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Princ i pes et analyse Fondements et remise en cause des politiques , . economiques Depuis les premiers développements de l'économie politique, l'intervention de l'État dans les affaires économiques a fa it couler beaucoup d'encre, qu'elle ait pour objectif de modifier les structures de l conomie de marché ou de réguler une conjoncture instable. Mécanismes autorégulateurs du marché et bienfaits de la concurrence versus instabilité et sous-optimalité, État défenseur de l'intérêt général versus État prodi gue et spoliateur, les débats ne portent pas uniquement sur l'efficacité des politiques économiques, mais également sur leur légitimité. Serge d'Agostino présente ici la synthèse de ces controverses et montre que le revirement libéral des années 80 a moins consisté à bannir toute intervention publique qu'à en revoir les objectifs et les instruments. C. F. A u se ns s tri ct, les politiques économiques correspondent à un ensemb le de mes ure s décidées par l' État et destinées à améliorer les perform a nc es mac roé co nomi que s nati onales (stimulation de la croissance, réduction du chômage, maîtrise de 1' inflation et l imitati on des déficits externes) (1). Au sens large, on peut inclure dans le champ des po )itiques économiques les politiques sociales de l'Etat, qui garantissent à la populatipn l'accès aux biens et aux services jugés prioritaires et maintiennent les inégalités dans des limites socialement acceptables. Ces politiques peuvent de plus dans certains cas améliorer le s performances macroéconomiques. Par exe mple , l'e x ten sion de la pauvreté p èse s ur la consommation, et par conséquence, sur la croissance et l'emploi. Une politique sociale pr opre à endiguer la pauvreté est donc de nature à stimuler l'activité, ce qui constitue un objectif des politiques économiques. Dans cet article, les politiques économiques seront donc entendues au sens large. Plusieurs arguments fondent leur mise en oeuvre et ali mentent des débats récurrents sur leur ef ficacité et leur l égitimité. Les fondements des politiques économiques En 1959, l' économiste américain Richard Musgrave (né en 1910) élabore une typologie des fondements de l'intervention des pouvoirs publics dans une économie de marché (2). Il distingue trois grandes fonctions de l'État, chacune étant liée à certaines défaillances du marché (marketfailures) auxquelles peuvent remédier des politiques économiques appropriées : - un e fonction d'allocati on, consistant à modifier l'a ll ocation des ressources issue des mécanismes de marché, lorsqu 'elle s'avère pr éjudiciable à l'économie nationale ; - une fonction de redistribution, consistant à corriger la répartition de s revenu s primaire s jugée trop inégalitaire et/ou injuste ; - une fonction de stabilisation, dont le but est de maîtriser les fluctuations conjoncture lles de l' acti vité, inhérentes à 1 'économie de marché. La fonction d'allocation de ressources Cette fonction légitime les politiques économiques struc turelles destinées à améliorer durable ment l'efficience de l'appareil productif et ainsi à consolider ou améliorer les performances macroéco nomiques nationales (3). Contrer les effets des rendements croissants La libre concurrence que présuppose l' économie de marché peut être mise à ma l par le fait que de s e ntre pri ses bén éfic ient de rendement s d' éc helle croissants : les coû ts unitaires diminuent quand la ( 1) À la suite de N. Kaldor, on parle de «car pour désigner ces quatr e objectifs. (2) Ri chard Musgrave, Th e tlzeory of public finance, New York, Mac Graw Hi ll , 1959. Traduction du premier chapitre dans Jacques Géné· reux (1996). L'économie politique, Pa ris, Larousse-Bordas. 1996. (3) Voir dan s cc numéro, l 'a rticle de Damien Broussolle, « Les poli tiques structurelles ». p. 76. Les politiques économiques Cahiers français no 335 Principes et analyse 3

Principes Fondements en cause des politiques … · instabilité et sous-optimalité, État ... instruments. C.F. ... économiques à l'origine d'externalités négatives et

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Principes et analyse Fondements et remise en cause des politiques , . economiques

Depuis les premiers développements de l'économie politique, l'intervention de l'État dans les affaires économiques a fait couler beaucoup d'encre, qu'elle ait pour objectif de modifier les structures de l'économie de marché ou de réguler une conjoncture instable. Mécanismes autorégulateurs du marché et bienfaits de la concurrence versus instabilité et sous-optimalité, État défenseur de l'intérêt général versus État prodigue et spoliateur, les débats ne portent pas uniquement sur l'efficacité des politiques économiques, mais également sur leur légitimité. Serge d'Agostino présente ici la synthèse de ces controverses et montre que le revirement libéral des années 80 a moins consisté à bannir toute intervention publique qu'à en revoir les objectifs et les instruments.

C. F.

Au sens s trict, les politiques économiques correspondent à un ensemble de mesures décidées par l' État et destinées à améliorer les

performances mac roéconom iques nati onales (stimulation de la croissance, réduction du chômage, maîtrise de 1' infl at ion et limitation des défic its externes) (1). Au sens large, on peut inclure dans le champ des po)itiques économiques les politiques sociales de l'Etat, qui garantissent à la populatipn l 'accès aux biens et aux services jugés prioritaires et

maintiennent les inégalités dans des limites socialement acceptables. Ces politiques peuvent de plus dans certains cas améliorer les performances macroéconomiques. Par exemple, l'extension de la pauvreté pèse sur la consommation, et par conséquence, sur la croissance et l'emploi. Une politique sociale propre à endiguer la pauvreté est donc de nature à stimuler l'activité, ce qui constitue un objectif des politiques économiques. Dans cet article, les politiques économiques seront donc entendues au sens large. Plusieurs arguments fondent leur mise en œuvre et alimentent des débats récurrents sur leur efficacité et leur légitimité.

Les fondements des politiques économiques

En 1959, l'économiste américain Richard Musgrave (né en 1910) élabore une typologie des fondements de l'intervention des pouvoirs publics dans une économie de marché (2). Il distingue trois grandes fonctions de l'État, chacune étant liée à certaines défaillances du marché (marketfailures) auxquelles peuvent remédier des politiques économiques appropriées :

- une fonction d ' allocation, consistant à modifier l' allocation des ressources issue des mécanismes de marché, lorsqu'elle s'avère préjudiciable à l' économie nationale ; - une fonction de redistribution, consistant à corriger la répartition des revenus primaires jugée trop inégalitaire et/ou injuste ;

- une fonction de stabilisation, dont le but est de maîtriser les fluctuations conjoncturelles de l'activité, inhérentes à 1 'économie de marché.

La fonction d'allocation de ressources

Cette fonction légitime les politiques économiques structurelles destinées à améliorer durable ment l' efficience de l'appareil productif et ainsi à consolider ou améliorer les performances macroéconomiques nationales (3).

Contrer les effets des rendements croissants

La libre concurrence que présuppose l' économie de marché peut être mise à mal par le fait que des entrepri ses bénéficient de rendements d ' éche lle croissants : les coûts unitaires diminuent quand la

( 1) À la suite de N. Kaldor, on parle de «carré magique ~ pour désigner ces quatre objectifs. (2) Richard Musgrave, The tlzeory of public finance, New York, Mac Graw Hill, 1959. Traduction du premier chapitre dans Jacques Géné· reux ( 1996). L'économie politique, Paris, Larousse-Bordas. 1996. (3) Voir dans cc numéro, l'article de Damien Broussolle , « Les polit iques structure lles » . p. 76.

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production augmente, du fait de la répartition des coûts fixes sur un volume d 'unités produites plus important. Ces entreprises interviennent par exemple dans le domaine de la production et de la distribution d'énergie. Dans ce cas de figure, le marché tend au monopole ou à l'oligopole puisqu ' il suffit aux firmes les plus performantes d 'accroître leur production pour éliminer leurs concurrents. L'Etat doit alors faire en sorte que ces entreprises ne puissent abuser du monopole naturel que leur confèrent les rendements croissants. Il peut par exemple les nationaliser ou leur imposer un barème de prix et/ou des normes quant à la qualité de leur offre. L'intervention de l'Etat est d ' autant plus fondée que, d'une part, certaines de ces entreprises sont en charge d'un service public en intervenant dans des domaines d'intérêt général et en œuvrant à la cohésion sociale (par exemple, distribution d 'électricité, construction de voies ferrées ... ), et/ou que d'autre part, elles influent fortement sur l' activité économique. En outre, pour permettre à des producteurs nationaux (qui peuvent être des e ntreprises publiques) d 'affronter la compétition mondiale en atteignant le seuil de production critique à p~tir duquel les rendements deviennent croissants, l'Etat peut mener une politique industrielle (4) prévoyant éventuellement la protection du marché national. Il définit dans ce cas une politique commerciale déterminant le degré d 'ouverture de l'économie nationale et établit le niveau de contrainte s'appliquant aux investissements des firmes étrangères aspirant à s' implanter sur son territoi re.

Prendre en compte les externalités

Le marché ne prend pas en compte les externalités : celles-ci sont les conséquences positives ou négatives de l'activité économique de certai ns agents sur le bien-être d 'autres agents, les premiers n'en supportant pas les coûts (cas des externalités négatives) ou n'en retirant aucun gain (cas d ' externalités positives). Dans ce cas, l'optimum individuel ne coïncide pas avec l 'optimum social. Par exemple , des entreprises polluant 1 'atmosphère par leurs rejets de gaz à effets de serre détério rent les condition s de vie de la population sans en supporter le coût. N'intégrant pas dans leur calcul économique la désutilité provoquée par leur activité, ces firmes vont déterminer un niveau de production qui maximise leur bien-être, mais qui est supéri ~ur à celui correspondant au bien-être collectif. A l'inverse, des firmes pratiquant une politique de recyclage de leurs déchets contribuent à l 'amélioration du bien-être de la population sans bénéficier en retour d ' un gain pécuniaire. Leurs efforts seront donc inférieurs au niveau qu'imposerait la maximisation de l'utilité collective. Ces effets pervers ont été particulièrement étudiés au cours des années 20 par Arthur Cecil Pigou ( 1877 -1959), qui propose une politique fi scale taxant les agents économiques à l'orig ine d ' externalités négatives et détaxant ou subventionnant ceux qui sont à l'origine d ' externa lités posi ti ves. De pui s une trentaine

d 'années, l'application dans plusieurs pays du principe du po llueur payeur (l'auteur d ' une pollution doit payer une taxe à la hauteur des dégâts qu ' il occas ionne à la collectivité) relève de ce type de politique.

Produire des biens collectifs

La fonction d ' allocation qu ' assume 1' État trouve une autre justification dans l 'ex istence de biens co ll ectifs. Au sens str ict. il s 'agit de b iens indi v is ibles ou non rivaux ( i ls peuvent ê tre consommés simultanément par un grand nombre de consommateurs) et non excluables (nul ne peut être pri vé de sa consommation, faute de pouvoir en tarifer l ' usage). On parle dans ce cas de biens collectifs «purs». L'éclairage public ain si que de nombreux autres équipements collecti fs entrent dans cette catégorie. Au s ens large, les biens collectifs comprennent aussi les biens indivisibles et e,xcluables (par exemple, les services rendus par 1' Education nationale) et les biens d ivisibl es et non excluables (par exemple, les gisements pétroliers sous-marins hors d es eaux territoriales , la flore et la faune sauvages quand elles ne sont pas protégées) (5). De nombreux biens collectifs relèvent de l' intérêt généra l tant il s so nt nécessa ires au bon fonctionnement de J'économie nationale et à la cohésion sociale (par exemple. des infrastructures performantes, des systèmes éd ucati f e t sanitaire efficaces). Toutefois, leur nature permet rarement qu ' ils so ient produits sans 1 'intervention d es pouvoirs publics. Par définition, la tarification des bie n s no n exc luables est impossible : tout consommateur potentiel pourrai t se déclarer non intéressé par de tels biens pour ne pas a voir à participer au financement de leur production, et e n bé néficier quand même, dès lors que d'autres accepteraient de fournir une co ntribution (comportement de passager c la nd es tin ). Ce comportement étant généralisable, nul ne financera la production de ces biens à moins d ' y être contrai nt. La tarification des biens collectifs excluables est quant à elle concevable, mais bien souvent, leur production réclame des investissements coûteux qui dépassent les capacités financières d'agents privés, et dont la rentabilité est aléatoire ou lointaine. Pour servir l ' intérêt gé néral, l'État doit donc assumer la production des biens col lectifs ou aider des producteurs privés à la prendre en charge. Parmi les biens collectifs nécessaires a u bon fonctionnement de l 'économie 1111Lionale figure la création d'un cadre réglementaire recouvrant un ensemble de lois, d 'a rrêt és, de règlements, par lesquels 1 'État impose une contrnintc aux entreprises et aux individus (po litique r6glcrncntaire). Sans un

(4) Au sein de lïnduslri,•, J't'hui JliiU I lnccrvcni r pour favoriser l'essor de cenaincs a~:l ivl l~~ plull\1 IJIIll ol ' uucc·.:s; il peul égalemenl contribuer au dévclupll<'llll' lll cl'ulc lll'~ ~·· "leurs. par exemple l' agri­culture (poliliquc 1111r cuh•l. (5) Les biens dl vi~lbl<'~ ('1 ôWhl~hlt•~ H11oll \les biens privés.

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tel cadre, c'est « la l.oi de la jungle », néfaste au déve loppement de l'activité économique et à la cohés ion sociale, qui s' imposerait. Une telle expérience est par exemple vécue par la Russie depuis l' effondrement du modèle socialiste au début des années 90: faute d ' un système de règles, de normes juridiques, commercia les, sociales et financières appropriées, 1 'adoption de 1' économie de marché en substitution de la planification centralisée et impérative s'est traduite par un recul de l 'activité économique, 1 'extens ion de la pauvreté e t la multiplication de pratiques mafieuses. Dans le même ordre d'idée, l'incapacité au niveau international, à produire ce type de bien collectif explique le maintien d ' un certa in nombre de désordres, financiers et environnementaux notamment (6).

Les fonctions de redistribution et de stabilisation

La redistribution des revenus

La fonction de redistribution qu'exerce l 'État a pour objet de corriger la répartition des revenus issue du fonctionnement de l'économie de marché (7). Dans certains cas, des agents économiques peuvent être dépourvus de revenus ou en percevoir un d ' un niveau trop faible, pour des raisons qui leur sont exogènes. Par exemple, une sécheresse imprévue peut détruire les récoltes et rédui re à néant les revenus de certains agricu lteurs. JI revient a lors à l'État (ou à une coll ectivité publi que) d'intervenir au nom de la solidarité nationale pour attribuer des allocations compensatrices à ces agriculteurs, financées par des prélèvements fiscaux ou parafi scaux sur les autres agents économiques. En o utre, la répartition des reve nu s is s ue du fonctionnement du marché peut aboutir à un degré d ' inégalité jugé sociale ment injuste en fonction d'un ou plusieurs critères auxque ls adhère la population et mettre à mal la cohésion sociale. Ainsi, l'inégalité des revenus (8) devrait correspondre à une différence de talents, de compétences, de qualifications, entre les individus ; or, il est possible que l'écart des revenus soit considé ré comme excessif e n regard de ces critè res. Un au tre principe de jus tice, inspiré des thèses de John Raw ls (1921-2002) , jus tifie les inégalités (y compris quand elles se creusent) par le fait que le sort des plus démunis s'amé liore dans un contexte où l'égalité des chances et les grandes libertés individue lles sont respectées. Si le sort d~s plus dé munis ne s'amé liore pas, il revient à l'Etat de prévoir le versement d'un revenu minimum et/ou d ' a ll ocations spéc ifiques. L'économiste indien Amartya Sen (pri x Nobel d 'écono mie en 1998) critique toutefois les critères de justice de Rawls en montrant que même si le sort des plus démunis s'améliore, i l est possible qu ' ils ne puissent exercer ple inement leurs potentialités et saisir les opportunités qui s'offrent à eux, en raison d ' un revenu insuffisant ou d'un handicap quelconque. Pour cet auteur, une juste répartition des revenus doit permettre à chacun

de vivre dignement et de choisir sa vie. S ' ill)'en est pas ainsi , l ' intervention correctrice de l'Etat est fondée.

La maîtrise des fluctuations économiques.

La fonction de redi s tribution est au cœur de s politiques sociales mises en œuvre par 1 'État. Par ailleurs, la modification de la hiérarchie des revenus influe sur la demande globale, et donc sur le taux de croissance de l 'économie nationale. La politique des revenus peut donc participer à la maîtrise des fluctuations conjoncturelles au même titre que les politiques économiques activées dans le cadre de la fonction de stabilisation. Cette fonction est largement fondée sur les travaux de John Maynard Keynes (1883- 1946). Au cours des an nées 30, cet auteur montre que l 'économie de marché peut conduire à un équilibre de sous-emploi : 1' égalité entre 1 'offre et la demande globale de produits peut s'accompagner d'un chômage involontaire persistant du fait du niveau insuffisant de la demande anticipée par les chefs d ' entreprises dont les plans de prod,!Jction et d'embauche sont alors revus à la baisse. L'Etat doit dans ce cas mettre en œuvre une politique conjoncturelle de relance de la demande en abaissant les taux d'intérêt (politique monétaire) ou en creusant son déficit budgétaire par la hausse de ses dépenses ou, à défaut, par la baisse des impôts (politique budgétaire) . Les enseignements de Keynes ont donné lieu à de multiples travaux, dont ceux de John R. Hicks (1904-1989, prix N obel d 'économie en 1972) , Pau l Samuelson (né en 19 15, prix Nobel d'économie en 1970) et Robert Solow (né en 1924, prix Nobel d 'économie e n 1987). Ces auteurs définissent les mécanismes des politiques conjoncturelles que les États doivent me ttre en œuvre pour consolider la_ croissance tout en restaurant le plein emploi e n cas de récession (au prix d'une inflation croissante) ou en réduisant les pressions inflationnistes lors des périodes de surchauffe (au détriment provisoire de l'emploi). Cette possibil ité d'un arbitrage e ntre inflation et chômage a été modélisée en 1960 par Samuelson et Solow dont les travaux sont ensuite complétés par Robert Mundell (né en 1932, prix Nobel d 'économi e en 1999) et Marcus Fleming (1911-1976) qui prennent e n compte la nature du système de changes (changes fixes ou flexibles) e t le degré de contrainte pesant sur les mouvements internationaux de capitaux (9).

(6) Voir dans cc numéro. l'article de Jean-Marc Siroën. « Vers une gouvernance économique mondia le ? >>, p. 50. (7) Cette fonc tio n e st éga lement exercé e pour agir sur le rythme d ' activité économique. Dans ce cas, elle est assimilée à la fonction de stabil isation dont il sera question plus loin . (8) Un raisonnement analogue vaut pour l' inégalité des patrimoi­nes, des fortunes. (9) Voir dans ce numéro, l' article d'Alain Beitone, « La po litique économique conjoncturelle : mécanismes, enjeux et limites». p. 12.

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La remise en cause des politiques économiques

Les critiques à l'adresse des politiques économiques sont anciennes. Elles émanent essentiellement du courant libéral qui met en doute le ur efficacité et conteste leur légitimité.

Des politiques économiques inefficaces

Le discours libéral trouve sa cohérence dans la croyance en un marché efficient - c'est-à-dire conduisant à un équilibre optimal au sens de Pareto ( 10) - et en la rationalité des agents, capables d'anticipations. Dès lors, toute intervention de l'État visant à modifier l'allocation de ressources, la répartition des revenus ou le rythme de l'activité économique sera préjudiciable au bien-être collectif. Il suffit en fait de laisser librement agir les forces du marché pour que tout déséquilibre se résorbe de lui­même.

L'efficacité des politiques de relance remises en question par les anticipations

Dans les années 50 et 60, Milton Friedman (né en 1912, prix Nobel d 'économie en 1976) dénonce les politiques de relance d'inspiration keynésienne fondées sur la croissance des dépenses publiques financées par création monétaire . Ces politiques réduisent le chômage ~;niquement à court terme et sont à 1' origine de l ' inflation croissante que connaissent les pays développés à économie de marché à la fin des années 70. Pour les économistes de la Nouvelle École classique (11), les politiques économiques sont inefficaces, à court terme comme à long terme. Pour Friedman, les agents économiques sont pour un temps victimes d'une illusion monétaire. En cas de politique de relance, ils ne se rendent pas immédiatement compte des effets inflationnistes qu'elle induit. Mais progressivement, l'illusion se dissipe, et ce de plus en plus rapidement , car les agents développent des anticipations adaptatives. Les salariés réclament alors des hausses de salaires compensatrices et les employeurs licencient des travailleurs devenant trop coûteux ; le chômage qui avait baissé revient à son niveau naturel (12), et l'inflation est plus forte. Une nouvelle politique de relance aura les mêmes effets et, à terme, le chômage sera toujours à son niveau initial (chômage naturel) mais qnflation, de plus en plus élevée. Pour la Nouvelle Ecole classique, les anticipations des agents économiques sont rationnelles : ils ne sont pas victimes d ' illusion monétaire et ajustent sans délai leurs comportements dès qu'une politique de relance est annoncée puisqu ' ils en connaissent les effets. Le chômage ne diminue donc pas - même momentanément -et l'inflation est plus élevée. D'autres auteurs encore soulignent qu 'en économie

ouverte, les politiques de relance attisent l'inflation au détriment des exportations. De plus, le financement des dépenses publiques par de s pré lè vements obligatoires (impôts et cotisations sociales) grève les coûts des entreprises, diminuant leur compétitivité et donc leurs exportations. Enfin, en dopant la croissance, les politiques de relance stimulent les importations d'autant plus fortement que les entreprises locales sont insuffisamment compétitives. Le chômage ne diminue pas ou trop peu et le défic it de la balance des trans actions co ura ntes se c reu se, aggravant l 'endettement extérieur.

Les politiques structurelles à l'orig ine de rigidités

Outre les politiques de re lance, le courant libéral dénonce les politiques économiques structurelles, qui provoquent des rigidités sur les marchés et perturbent l'allocation des ressources. Par exemple, la fixation d ' un sala ire minimum nuit au rétablissement de l'équilibre sur le marc hé du travai l ; l'attribution d'allocations trop généreuses aux plus pauvres ne les incite pas à chercher à sortir de leur pauvreté (trappe à pauvreté). Les nationa li sations sont so urces de gaspillages de ressources dans la mesure où 1' État comble systématiquement les déficits des entreprise~ publiques, fruits de l'incompétence de leurs dirigeant~ - dont la nomination relève surto ut de c ritère~ politiques- ou de l' absence de réelle:-. sanctions à lew égard en cas de mauvaise gestion. La protection dt marché intérieur est quant à elle une entrave à la libn concurrence impliquant des prix plus élevés pour le: consommateurs puisque les importations de produit moins coûteux sont bridées, et une moindre !ncitatiOJ à innover des entreprises, leurs débouchés nationau; étant assurés.

L'inefficacité des dépenses publiques

Enfin, quelle que soit leur nature, les politique économiques augmentent les dépenses publiques e contribuent à creuser les déficits budgétaïres des État: Dès lors, leurs bienfaits vont être annihilés, quels qu soient les moyens choisis pour les financer :

-le financement du déficit budgétaire peut tout d'abor être assuré par une hausse des impôts. Si la pressio fiscale devient trop élevée, elle a des effets désincitatit

(10) Pour Vilfredo Pareto (1848-1923), un optimum est une situ tion telle qu'il n'est pas possible d'accroître le bien-être d'un age économique sans détériorer celui d 'au moins un autre. ( Il ) Parmi eux figurent les Américains Robert Lucas (prix Nob d 'économie en 1995), Thomas Sargent. Robert Barro ... ( 12) Friedman appelle chômage naturel celui qui résulte des rigidit sur le marché du travail dont certaines permettent aux chômeurs refuser les emplois qui leur sont proposés : ce type de chômage cor prend aussi le chômage fri ctionnel résultant du fait qu'il s'écoule certain temps entre le moment oll un individu quille son emploi celui oll il en retrOuve un 1.1u1rc. Les économistes contemporains uti sent plutôt l'exprcssinn chl\rnu~c stn1cturel que chômage naturel.

sur Je travail et l'investissement. Dès lors, J'offre est bridée ains i que l 'emploi , d ' où la croissance du chômage ; en outre, les ressources fi scales de l'État vont s' amoindrir puisque J' activité économique recule ou ralentit. Cette thèse est popularisée par 1' économiste américain Arthur Laffer (né en 1941 ) au début des années 80;

- Je déficit budgétaire peut ensuite être couvert par la création monétaire. Dans ce cas, 1 ' inflation se développe, ruinant les titulaires de revenus fixes, rédui sant la compétitivité des firmes et sapant la confiance des agents économiques dans la monnaie ; en outre, la hausse des prix dissuade l'épargne, et donc l'investissement. Cette approc~e est celle de Milton Friedman e t de la Nouvelle Ecole classique (voir supra);

- le déficiJ peut enfin être couvert par l'emprunt. Dans ce cas, l' Etat capte des fonds qui vont faire défaut aux entreprises (effet d'éviction) et les taux d ' intérêt vont augmenter. Il en résulte une chute de l' investissement déprimant l'activité. Par ailleurs, en 1974, Robert Barro s'inspirant de certaines analyses de David Ricardo (1772- 1823), affirme que les effets du financement du détïc it budgétaire par l'emprunt ou par l'impôt sont équivalents (théorème d'équivalence ricardienne) :_les agents économiques rationnels prévoyant que l ' Etat augmentera les impôts dans Je futur pour rembourser sa delte accroissent immédiatement leur épargne pour faire face à l'augmentation d es prél è vements ob ligatoires à venir. La conso mmation e st a lo rs déprimée ce qui annule l' effet de relance souhaité par les pouvoirs publics comme l'aurait fait un prélèvement fiscal supplémentaire immédiat.

En outre, le cumul des déficits année après année peut provoquer un effet boule-de-neige : la dette publique s' acc roît de plus e n plus vite et dev ient insoute nable ( 13).

Des politiques économiques illégitimes

En dé nonçant le manque d' efficacité des politiques écono miques, Je courant libéral remet de facto en cause leur légitimité. Mais, cette re mise en cause repose aussi sur d'autres arguments. Friedrich Vo n Hayek ( 1899- 1992 , pri x Nobel d 'économie e n 1974) voit dan s l ' inte rventi o n publique une me nace pour les libertés individue lles, dans la mesure où elle renforce à l 'excès le pouvoir central. En outre, dès lors que les comportements des agents économiques sont licites, il est infondé de vouloir interférer dan s leurs re lati o ns qui, lorsqu 'elles sont libre ment établies, améliore nt le bien -être collectif. C ' est pourquo i le concept de j ustice sociale au nom duquel l'Etat inte rvie nt dans la répartition des revenus n ' a pas de sens. Il suffit de préciser les droits de proprié té ou d ' usage des agents économiques privés et de les laisser agir da ns le cadre de la légalité pour garantir 1 'effi c ience des marc hés, mê me quand 1' information des agents est

imparfaite. En tout état de cause, l ' État est incapable de ma1triser la complexité des sociétés modernes, fût-il dirigé par les plus grands des savants ou les plus sages des indi vidus. Les thèses de Hayek trouvent une illustration dans la manière d 'envisager la prise e n compte des externalités, qui diffère de celle de Pigou (v o ir supra). Po ur Hayek, les externalités provie nnent d ' une définition insuffisante des droits de propriété. Dans l' exemple de la pollution, le problème vient du fa it que 1 'air dans leque l elle est rejetée n ' appartient à personne. La so lution réside donc dans la mise en plac,e d 'un marché de droits à polluer. L e rôle de l'Eta t se résume donc à assurer la mise en place et le bon fonctionnement de ce marché. De nombreux auteurs contestent aussi la légitimité des politiques protectionnistes et/ou sectorielles qui privilégient certaines activités au détriment d 'autres. En effet, les avantages procurés par ce type de politique sont confi squés par un petit nombre de bénéficiaires (les dirigeants des entreprises dont le marc hé est protégé et de celles qui sont concernées par les politiques sectorielles) alors que les coûts qui s' y attachent sont répartis sur un grand nombre de personnes, apparaissant de ce fait modestes à chacun. Dès lors, les bénéfic iaires de telles politiques vont développer une grande énergie pour que 1 ' Etat les mette e n œuvre (par exemple e n pratiquant un lobbying intense auprès des responsables politiques) alors que ceux qui en pâtissent, bien que beaucoup plus nombreux, ne déploieront que peu d ' efforts pour s' y opposer tant que la charge supportée par chacun reste modérée. Par ailleurs, l ' École du Public choice, dont l ' Amé ricain J ames Buchanan ( né en 1919, prix Nobel d 'économie e n 1986) e st un représent,ant éminent, dénonce l'intervention excessive de l ' Etat qui re nforce la bureaucratisation de J'administration et des entreprises publiques e t implique un « détournement » de ressources d ' usages productifs vers qes usages improductifs. Ains i, 1' intervention de 1' Etat profite en premier li e u à un corps de bureaucrates, aux fonctionnaires, et non à l'ensemble de la population. En outre, le s prélèvements destinés à financer les dépenses de l'Etat sont obligatoires mê me si ceux qui les supportent sont en désaccord sur 1 ' usage des fond,s qui le ur sont prélevés. Ils sont donc spoliés par l'Etat dont la légitimité est de ce fait altérée. Enfin , la légitimité de l 'intervention de l'État, et donc de ses politiques économiques, est d 'autant plus entamée que les valeurs indi viduelles tende nt à supplanter les valeurs collectives au sein du corps social. Par exemple, le versement d'indemnités aux chômeurs peut ê tre re mis en cause lorsqu e Je sentiment de solidarité nationale s'affaiblit.

( 13) Pour plus d ' informations sur cette notion et sur les mécanis­mes d·accum ulation de la dette pub liq ue. voi r dans le numéro l'artic le de Michel Cabannes, « Les polit iques économiques face aux problèmes de l'endettement public », p. 37.

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Des politiques de règles plutôt que des politiques discrétionnaires

Face à 1 'ensemble des dysfonctionnements des pouvoirs publics, le courant libéral contemporain adopte une posit~on consistant à réduire le pouvoir discrétionnaire de l' Etat en encadrant ses actions par un ensemble de règles strictes ( 14).

1 nterventions conjoncturelles

Les interventions conjoncturelles de l 'État do ivent être soumises aux règles suivantes :

- la po litique monétaire doit ê trt: confiée à une Banque centrale indépendante des Etats, dirigée par un gouverneur réputé pour son avers ion contre l' inflation et dont la mission est de contribuer à la stabilité des prix ;

- le dé ficit budgétaire doit être limité. De nombreux économis tes d'inspiration libé ra le ~dmettent néanmoins qu'en cas de crise majeure, 1' Etat puisse creuser son déficit au-delà des limites retenues ; en outre, les stabilisateurs automatiques doivent pouvoir j ouer leur rôle ( 15) ;

- la création monétaire pour financer des dépenses publiques do it être prohibée, et le poids d es prélèvements obligatoires doit être limité (la fi scalité doit privilégier l 'impôt forfaitaire ou à défaut l ' impôt proportionnel plutôt que l'impôt progressif).

1 nterventions structurelles

Sur le plan structurel, l'État doit œuvrer à renforcer la concurrence sur les marchés, à réduire les rigidités, à perturber le moins poss ible 1 ' allocation d es ressources et la répartition des revenus opérées par le libre jeu des mécanismes de marché. Par exemple, la privatisation des entreprises bénéficiant d ' un monopole naturel ( voir supra) est recommandée ; le risque d ' abus de position dominante est tempéré par la création d'agences de supervision nationales, voire supranationalt:s , spécialisées par secteur et indépendantes des Etats et des firmes ; en outre, l' ouverture des marchés faisant planer la menace de 1' arrivée de nouveaux concurrents ou de 1' accroisse ment des importations, rendra pl us concurrentiel le cadre dans lequel interviennent les grands groupes privatisés ( 16). Au-delà des d~penses correspondant à ses fonctions régaliennes, l'Etat doit auss i ass urer la produc tion des biens collectifs indispensables à l ' économie mais seulement lorsque le secteur privé ne pe ut le faire. Il pe ut a uss i contribuer à l'essor des entreprises en donnant priorité à s e s dépenses de rec herc he et développement , d ' infrastructures et de formation ( 17).

Un débat qui n'est pas clos

Le renouveau de la pensée libérale depuis les années 70 semble donc faire émerge,r un consensus visant à encadrer fortement l'action de l'Etat. Il reste que, comme nous l'~vons vu précédemment, même soumis à des règles, l' Etat n' est pas inactif dans l'écono!flie. En fait , les débats ne portent plus sur 1' opposition Etat/marché, mais sur la part que doit occuper chacune de ces institutions dans l'économie nationale et à un moment donné, cette part étant variable selon les pays et les époques. Les politiques économiques ne sont donc pas totalement disqualifiées. Par ailleurs, la position li~érale contemporaine n' est pas exempte de critiques. A la dénonciation des effets contre-productifs des déficits publics peut être opposé un discours plus nuancé : par exemple, contrairement à ce qu 'affirm e Laffe r, l 'accro issement du ta ux d'impos ition ne conduit pas nécessaire ment à une réduction de la production des entreprises: el les peuvent aussi produire davantage pour préserver ou augmenter leur bénéfice après impôt. L'effet d'éviction est quant à lui peu probable en période de récession lorsque les entreprises investissent peu ; le théorème d'équivalence ricardienne est également disc utable : les agents économiques peuvent aussi bien comprendre que la relance par la hausse des dépenses publiques contribue à faire croître le revenu national, ce qu i permettra de faire face à l'accroissementdes prélèvement<> obligatoires dans le futur. Les politiques structurelles de 1' État peuvent être utiles et efficaces: ainsi, c'est une politiq~;~e protectionniste et un fort engagement de plusieurs Etats européens qui ont permis de concrétiser les programmes Airbus et Ariane. Par ailleurs, le libre-échange généralisé et la libre circulation des capitaux internationaux suscitent des controverses et de nombreux auteurs redoutent leurs effets dévastateurs. Ainsi, le Français Maurice Allais (né en 1911 , prix Nobel d 'économie en 1988) dénonce les excès de la mondialisation sans limites qui exacerbe la concurrence entre nations de niveau de développement très différent au détriment d ' une part importante de leurs populations. Il préconise la création de zone de libre-

( 14) Voir en particulier : Finn Kydland et Edward Prcscott (tous deux prix Nobel d 'économie en 2005), « Rul es rather than discretion », Journal of Political Economy, juin 1977. ( 15) En période de récession, le déficit se creuse nature llement car les recettes fiscales tendent à se tasser du fai t du ralentissement de la croissance. L'augmentaùon du déficit exerce alors un effet de relance automatique sur l'économie. Inversement, en cas de surchauffe, le déficit se réduit ralentissant automatiquement la croissance. ( 16) La théorie des marchés contestables (les monopoles ou oligo­poles nationaux peuvent être " contestés ,. quand les marchés sont ouverts), à laquelle l'Américain Will lnm Bau mol a contribué au cours des années 80. participe ~ lu juxtlficution de la privatisation des grandes entreprise~ qui héné l11!1cnt d'un monopole naturel. ( 17) La théorie de ln croissnnct emJnuène il l'élaboration de laquelle partic ipent des éconotn i811:~ d'ln~plrntion libérale (Pau l Romer. Robert Lucas ct RollC'rt 011rr~• tum unment ) formalise cette thèse. Dès la tin du XVIII' "lllék , Aljllm Stulth avait démontré la nécessité de la prisl.' c rt Cllltrljll plU' l' lliul clcs dépenses d'éducation et en in frnstruoturc·•·

échange entre pays de niveau de développement proche tandi s que des barriè res protectionnistes seraient instaurées entre zones d'échange différentes. Enfin, plusieurs auteurs appartenant au courant de la Nouvelle école keynésienne défendent la légitimité des politiques économiques et dénoncent les _errements des économi stes libéraux orthodoxes. L'Etat peut être encadré par des règles à la condition qu'elles soient pertinentes et qu'e11es lui laissent une marge de manœuvre suffisante. Ainsi, Joseph Stiglitz (né en 1943, prix Nobel d'économie en 2001) récuse les règles trop stri ctes auxquelles est soumise la politique monétaire au sein de la zone euro (18). A contrario, il vante l'efficacité du FED (Federal Reserve) américain dont les objectifs ne sont pas exclusivement centrés sur la stabilité des prix mais tiennent compte aussi de l' évolution du chômage. En France, Jean-Paul Fitoussi répète avec constance que les règles du pacte de stabilité et de croissance ( 19) sont trop rigoureuses.

Pour en savoir plus

Abraham-Frais G., F. larbre (1998), La macroéconomie après Lucas. Textes choisis, Paris, Economica.

Ferrandon B. (dir.) (2004), La politique économique et ses instruments, Paris, La Documentation française, coll. " Les notices de la Documentation française ,. .

Guesnerie R. (1996), L'économie de marché, Paris, Flammarion, coll. << Dominos "·

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Incontestablement, Je renouveau de la pensée libérale intervenu depuis les années 70 a contribué à une remise en cause des politiques économiques. Néanmoins, l'existence de défaillances du marché justifie auprès de l'ensemb le des économi stes la nécessité de 1' intervention publique. Le débat reste en revanche ouvert quant à ses modalités. •

Serge d' Agostino, Professeur de sciences économiques et sociales

au lycée Camille Vernet, Valence (Drôme)

( 1 8) Voir dans ce numé ro, J'article de Jacques Le Cacheux, << Les poli tiques conjoncturelles : quell e responsabilité dans la faible performance économique de I'UE ? », p. 68. ( 19) Idem.

Mayer A. (2003), Les grands économistes contemporains. Problèmes d 'actualité et réponses de la recherche moderne, Paris, PUF, coll. •• Major " ·

Montoussé M. (2002}, Nouvelles théories économiques, Rosny-sous-Bois, Bréal, coll. •• Thèmes et débats "·

Stiglitz J. (2000), Principes d'économie contemporaine, Bruxelles, De Boeck Université, 2000.

Régulation de la conjoncture, réforme ~tructurelle, politique de l'oflr:e, politique· de la demande : quelques définitions , , . ·

La distinction entre politiques d'of­fre et politiques de demande ren­voie à une séparation, traditionnelle en théorie économique, entre, d'une part, la croissance tendancielle et, d'autre part, les fluc­tualions autour de la tendance. Cette distinction est utile dans la mesure où les politiques d'alloca­tion visent à modifier le taux de crois­sance à long terme, tandis que les politiques de stabilisation cherchent à atténuer les fluctuations à court terme. - , · Schématiquement, les politiques d'offre s'attachent à améliorer la production potentielle de l'écono­mie tandis que les politiques de

< •

demande visent à âméliorer la. pro­duction effective au plus près de la · production potentielle. ( ... ) Des chocs tendent en permanence à éloigner la production effective de la production potentielle, induisant des fluctuations économiques. On appelle choc d'offre toute perturba­tion exogène qui affecte le lien en­tre capacité de production et prix, par exemple un choc sur le prix des inputs (ex. : choix pétrolier) qui -a.f­fecte le prix de vente à une quantité donnée, ou un choc sur la fonctiOn de production (ex. : chôe de proê:fuc.; tivité) qui affecte la quantité prodl,llte à prix donné ; de même, on appelfe choc de demande ·toute perturba-

üon exogène du lien entre demande et prix, par exemple une baisse de • la propension à consommer des ménages. S:introdult ainsi, entre le niveau de production et la production poten­tielle, un écart de production ou output gap. ( ... ) La décomposition de la production en production potentiellè d'une part, écart de production d'autre part, est une source de divergences de vue de nature positive. Ces pivergen-

. ces, qui portent sur la manière de calculer la production potentielle, ·

· sont loutdes de conséquences car seules les politiques d'offre (par opposition aux politiques de de-

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mande) sont susceptibles de modi­fier la production potentielle : par exemple, sous-estimer la produc­tion potentielle lorsque l'économie risque la surchauffe (comme l'éco­nomie américaine dans la seconde moitié de années 90) revient à surestimer le risque d'inflation, donc peut pousser à ralentir prématuré­ment la croissance ; à l 'inverse, sous-estimer la production poten­tielle en situation de sous-emploi keynésien, c'est sous-estimer la place pour une relance par la de­mande, qui atténuerait l'écart de production. Ainsi présentées, les politiques d'offre et de demande sont complé­mentai res : qu ' il y ait motif à accroître la production potentielle n'implique pas qu'il ne faille pas li­miter les fluctuations de la de­mande. Au-début des années 80, cependant, la ".révolution de l'of­fre , venue des Etats-Unis a, dans un contexte d'inflation et de ralen­tissement de la production poten­tielle, mis en cause l'idée, domi­nante dans les années 60 et 70, selon laquelle l'essentiel de la po­litique économique avait trait à la demande. Un rééquilibrage s'en est suivi, qui a conduit certains, notam­ment en Europe, à dénier tout rôle à la politique de demande. Ce revi­rement a ici encore été de nature plus positive que normative : il pro­venait d'un certain désenchante­ment face à l'efficacité des politi­ques de stabilisation. ( ... ) Pour importante qu'elle soit, la dis­tinction entre politiques d'offre et politiques de demande n'est pas entièrement satisfaisante. Elle ne rend pas bien compte de la nature du débat qui s'est développé à par­tir des années 80 autour de la no­tion de réforme structurelle. ( ... ) Une étude du Fonds monétaire in­ternational (FMI) (2004) les définit ainsi comme " incluant des mesu­res qui modifient le cadre institution­nel et les contraintes qui gouvernent le fonctionnement des marchés , . ( .. . ) Pour préciser la notion de réforme structurelle et la manière dont elle se distingue de la régulation con­joncturelle, il est utile de se donner une représentation synthétique de la politique économique, qu'elle touche à la fonction d'allocation, de stabilisation ou de redistribution. Celle-ci vise, dans le cadre d'insti­tutions économiques et sociales données, à atteindre un ensemble d'objectifs en jouant sur une série d'instruments :

- Les objectifs de la politique éco­nomique( ... ) sont nombreux et par­fois contradictoires. Peuvent être cités un niveau de vie élevé, le plein emploi , la stabilité des prix, une répartition du revenu équitable, l'ac­cès de tous aux services essentiels, etc.( ... ) - Les instruments peuvent apparte­nir à la panoplie des outils macroé­conomiques (fixation du taux d'in­térêt, choix du niveau de dépenses publiques) ou relever d'une appro­che microéconomique (fiscal ité, prestations sociales, réglementa­tions, décisions de politique de la concurrence, etc.) - Enfin, les institutions touchent à l 'organisation des marchés (des biens et services, du travail ou des capitaux) ou à la politique écono­mique elle-même (procédures de décision budgétaire, indépendance de la banque centrale, régime de change, règles de la concurrence, etc. ( ... )

Dans ce cadre, les choix de politi­que économique peuvent être re­présentés comme une optimisation sous contrainte : il s'agit de choisir les instruments en sorte d'appro­cher au plus près les objectifs dans le cadre institutionnel donné. ( .. . ) La relation entre instruments et ob­jectifs peut être représentée par une relation ( ... )dont la signification est que le maniement des instruments permet d'atteindre un ensemble de combinaisons de variables-objec­tifs, conditionnellement à un certain état des institutions. Un changement des institutions modifie ainsi la re­lation entre instruments et objectifs. Par exemple, l 'effet sur le PIB (objectif) d 'une augmentation de dépenses publiques (instrument) dépend du régime de change - fixe ou flottant - (institution) ou bien l'ef­fet sur l'emploi (objectif) d 'une baisse de la TVA appliquée aux res­taurants (instrument) dépend de l'in­tensité de la concurrence sur le marché etes services de restaura­tion (institution). La relation entre instruments et objectifs est donc conditionnelle aux institutions éco­nomiques. Cette représentation très simple permet de distinguer deux types de politiques économiques. Les politi­ques de régulation à la marge jouent sur les instruments en vue d'atteindre les objectifs en prenant les institutions comme données. Le plus souvent, ces politiques sont réversibles : la Banque centrale

augmente ou réduit le taux d'inté­rêt se lon la conjonctu re, le Parlement augmente ou réduit les impôts, etc. Les politiques de ré­forme struc turel le visent au contraire à modifier de manière du­rable les institutions pour amélio­rer les performances de l'économie ou sa réponse aux impulsions don­nées par le maniement des instru­ments. Par exemple, une réduction des barrières à l'entrée qui limitent la concurrence dans certains sec­teurs a pour effet de favoriser l'émergence de nouvelles entrepri­ses, mais aussi de faire en sorte qu'une baisse de la fiscalité directe soit mieux répercutée dans les prix. ( ... ) Il est courant mais inexact d'assi­miler réformes structurelles et poli­tiques d'offre. L:indépendance de la Banque centrale ou la fixation d'un cadre de politique budgétaire sont, dans le domaine de la gestion de la demande, des réformes structu­relles qui visent, par des change­ments institutionnels, à déplacer les arbitrages entre objectifs. A contra­rio, la manipulation des taux d'im­position est une politique d'offre qui n'a pas le caractère d'une réforme structurelle. n

Agnès Benassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet,

Jean Pisani-Ferry

(*) Extraits choisis par la Rédaction des Cahiers français dans l'ouvrage de:' Agnès Benassy-Quéré, Benoît Cœu~~ Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferr~"i;; Politique économique, Bruxelles, der. Boeck, 2005, pp. 43-59.