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1 CAPAVOCAT CORRECTION DU GALOP DE PROCEDURE CIVILE N° 5 DU LUNDI 30 AOUT 2010 SUJET N° 1 : Commentaire de l’article 526 du CPC La nouvelle rédaction de l'article 526 du Code de procédure civile, issue du décret du 28 décembre 2005, est appelée à avoir des conséquences pratiques redoutables. En substance, cet article prévoit que le premier président ou le conseiller de la mise en état peut, à la demande de l’intimé, radier du rôle l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel, sauf s’il lui apparaît que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. La réinscription n’est alors possible qu’en cas d’exécution de la décision et si la péremption n’est pas acquise. Cet article, qui prend place dans les dispositions communes à toutes les juridictions (Livre premier) dans le Chapitre IV du Titre XV relatif à l’exécution provisoire des jugements et dans le chapitre III du Titre XI relatif aux cause de suspension de l’instance. Cela s’explique par le fait que l’article 526 CPC était voulu par le pouvoir réglementaire pour renforcer l’effectivité de l’exécution provisoire des décisions de justice. En effet, il était très courant qu’une partie condamnée en première instance n’exécute pas la décision et fasse un appel dilatoire. Soucieux de désengorger les juridictions, notamment d’appel, le pouvoir réglementaire a alors repris la proposition du rapport Magendie de transposer les dispositions des articles 1009-1 à 3 du Code de procédure civile déjà en vigueur devant la Cour de cassation depuis 1999. Il reste que, au niveau de l’appel, la menace d'une éventuelle radiation est autrement plus grave que devant la Cour de cassation, si l'on considère qu'un premier juge peut ordonner l'exécution provisoire toutes les fois qu'il « l'estime nécessaire », sans la moindre motivation (CPC, art. 515, al. 1). D’autant que l'appel dont le débiteur risque d'être privé, en raison de la péremption de l’instance, est une voie de recours ordinaire qui, à la différence du pourvoi en cassation, remet la chose jugée en question, aussi bien en fait qu'en droit. Finalement, c'est bien le double degré de juridiction qui est atteint. Il apparaît alors que les juges du fond devront appliquer l’article 526 du Code de procédure civile avec beaucoup de prudence. Sa mise en œuvre semble ainsi difficile (I) en raison de ses effets qui sont contestables (II). I. Une mesure difficile à mettre en œuvre La mise en œuvre de l’article 526 du Code de procédure civile ne va pas sans poser de difficulté quant à la compétence du juge qui peut la prononcer (A) et quant à ses conditions d’application (B). A. Les difficultés liées à la compétence du juge L’article 526 du Code de procédure civile prévoit que « Lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut (…) décider (…) la radiation du rôle de l'affaire ». De fait, la compétence relève soit du premier président de la cour d'appel, soit du conseiller de la mise en état. La question est alors de savoir quel juge les parties doivent saisir. Il apparaît clairement le pouvoir réglementaire avait à l’esprit, pour déterminer la compétence, les différents types de procédure. Ainsi, le premier président est seul compétent pour prononcer la radiation lorsque la procédure est sans représentation obligatoire, ou lorsqu'il n'y a pas de conseiller de la mise en état saisi (c'est-à-dire dans l'hypothèse d'un jour fixe). Il faut en déduire que le juge chargé de suivre l’instruction (dans les procédures sans représentation obligatoire) n’est pas compétent (Rennes, 3 mai 2007). Dans les autres cas, le conseiller de la mise en état devra statuer (Ph. Gerbay).

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CAPAVOCAT CORRECTION DU GALOP DE PROCEDURE CIVILE N° 5

DU LUNDI 30 AOUT 2010 SUJET N° 1 : Commentaire de l’article 526 du CPC La nouvelle rédaction de l'article 526 du Code de procédure civile, issue du décret du 28 décembre 2005, est appelée à avoir des conséquences pratiques redoutables. En substance, cet article prévoit que le premier président ou le conseiller de la mise en état peut, à la demande de l’intimé, radier du rôle l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel, sauf s’il lui apparaît que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. La réinscription n’est alors possible qu’en cas d’exécution de la décision et si la péremption n’est pas acquise. Cet article, qui prend place dans les dispositions communes à toutes les juridictions (Livre premier) dans le Chapitre IV du Titre XV relatif à l’exécution provisoire des jugements et dans le chapitre III du Titre XI relatif aux cause de suspension de l’instance. Cela s’explique par le fait que l’article 526 CPC était voulu par le pouvoir réglementaire pour renforcer l’effectivité de l’exécution provisoire des décisions de justice. En effet, il était très courant qu’une partie condamnée en première instance n’exécute pas la décision et fasse un appel dilatoire. Soucieux de désengorger les juridictions, notamment d’appel, le pouvoir réglementaire a alors repris la proposition du rapport Magendie de transposer les dispositions des articles 1009-1 à 3 du Code de procédure civile déjà en vigueur devant la Cour de cassation depuis 1999. Il reste que, au niveau de l’appel, la menace d'une éventuelle radiation est autrement plus grave que devant la Cour de cassation, si l'on considère qu'un premier juge peut ordonner l'exécution provisoire toutes les fois qu'il « l'estime nécessaire », sans la moindre motivation (CPC, art. 515, al. 1). D’autant que l'appel dont le débiteur risque d'être privé, en raison de la péremption de l’instance, est une voie de recours ordinaire qui, à la différence du pourvoi en cassation, remet la chose jugée en question, aussi bien en fait qu'en droit. Finalement, c'est bien le double degré de juridiction qui est atteint. Il apparaît alors que les juges du fond devront appliquer l’article 526 du Code de procédure civile avec beaucoup de prudence. Sa mise en œuvre semble ainsi difficile (I) en raison de ses effets qui sont contestables (II). I. Une mesure difficile à mettre en œuvre La mise en œuvre de l’article 526 du Code de procédure civile ne va pas sans poser de difficulté quant à la compétence du juge qui peut la prononcer (A) et quant à ses conditions d’application (B). A. Les difficultés liées à la compétence du juge L’article 526 du Code de procédure civile prévoit que « Lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut (…) décider (…) la radiation du rôle de l'affaire ». De fait, la compétence relève soit du premier président de la cour d'appel, soit du conseiller de la mise en état. La question est alors de savoir quel juge les parties doivent saisir. Il apparaît clairement le pouvoir réglementaire avait à l’esprit, pour déterminer la compétence, les différents types de procédure. Ainsi, le premier président est seul compétent pour prononcer la radiation lorsque la procédure est sans représentation obligatoire, ou lorsqu'il n'y a pas de conseiller de la mise en état saisi (c'est-à-dire dans l'hypothèse d'un jour fixe). Il faut en déduire que le juge chargé de suivre l’instruction (dans les procédures sans représentation obligatoire) n’est pas compétent (Rennes, 3 mai 2007). Dans les autres cas, le conseiller de la mise en état devra statuer (Ph. Gerbay).

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Pour autant, le pouvoir réglementaire n’avait semble-t-il pas pensé à l’hypothèse dans laquelle le conseiller de la mise en état n’est pas saisi immédiatement. A-t-on alors le choix entre le premier président et le conseiller de la mise en état ? L’emploi, dans l’article 526 du Code de procédure civile, du verbe pouvoir laisse penser que la compétence du premier président est alternative avec celle du conseiller de la mise en état. Une telle alternance de compétence serait générateur de confusion et donc d’insécurité juridique. Il faut donc approuver le premier président de la cour d'appel d’Aix-en-provence qui a décidé dans une ordonnance de référé du 6 décembre 2006 que la compétence conférée par l’article 526 du Code de procédure civile au premier président et au conseiller de la mise en état est successive et non alternative (Aix-en-provence, ord. réf., 6 décembre 2006, Giudice). Ainsi, le premier président n'est donc plus compétent dès que le conseiller de la mise en état est saisi. Le premier président ajoute dans son ordonnance qu’à défaut de désignation expresse, le conseiller de la mise en état est réputé être saisi dès la mise au rôle de l'affaire. Enfin, le conseiller de la mise en état reste compétent quand bien même le premier président a été saisi antérieurement sur le fondement de l’article 524 du Code de procédure civile, et ce malgré le risque de contrariété de décision (Aix-en-provence, ord. réf., 6 décembre 2006, Warrick). Le premier président, dans son ordonnance, semble regretter ce risque de contrariété de décision, mais rappelle à juste titre qu’il relève du ressort du pouvoir réglementaire, et non du sien, de modifier les articles du Code de procédure civile qui risquent d’entraîner de telles conséquences. B. Les difficultés liées aux conditions de mise en œuvre La radiation de l’article 526 du Code de procédure civile ne peut être prononcé d’office. Le texte précise très clairement qu’elle doit être demandée. Ceci ne fait pas de difficulté particulière. En revanche, un premier problème d’application de l’article 526 du Code de procédure civile est relatif à la sémantique. En effet, le décret du 28 décembre 1998 a fait la distinction entre la radiation et le retrait du rôle (articles 381, 382 et 388) : la radiation sanctionne le défaut de diligence des parties alors que le retrait du rôle est ordonné lorsque toutes les parties en font la demande. Le défaut de diligence visé à l'article 381 est indiscutablement un défaut de diligence procédurale (l'article 381 est inséré dans une Section 2, Chapitre 3 du Titre XI du Code de procédure civile, lequel régit les incidents d'instance). Ainsi, le défaut de diligence ne devrait être qu'un défaut de diligence lié à l'instance et nullement un défaut de diligence lié à l'exécution de la décision. Cette ambiguïté n'est pas sans conséquence, comme nous le verrons, sur l'existence d'une éventuelle péremption ou tout simplement sur les conditions d'une remise au rôle. Ensuite, l’article 526 du Code de procédure civile ne prévoit pas les hypothèses particulières de la pluralité des intimés, dont la situation peut être différente, ni celle de la pluralité des appelants, ce qui est plus gênant encore. En effet, le magistrat devra-t-il refuser la radiation dès lors que l’exécution de la décision est impossible ou entraîne des conséquences manifestement excessives à l’encontre de tous les appelants ou seulement l’un d’eux ? Une autre difficulté porte sur le délai pour demander la radiation du rôle devant la cour d’appel. On sait que devant la Cour de cassation, la radiation doit être demandée dans un délai de 2 mois (depuis le décret du 22 mai 2008 ; art. 1009-1 et 982 CPC). A l’inverse, l’article 526 CPC ne prévoit aucun délai, et le décret du 9 décembre 2009 qui réforme la procédure d’appel à compter du 1er janvier 2011 ne prévoit rien non plus. On peut toutefois penser que le nouvel article 909 CPC qui impose un délai de deux mois à l’intimé pour déposer ses conclusions s’appliquera également pour invoquer la radiation. Enfin, la notion de conséquences manifestement excessives qui vient d’être évoqué est une notion quelque peu fuyante qui nécessite une interprétation jurisprudentielle. Elle devrait se distinguer du second fait justificatif, tiré de la jurisprudence (CEDH, 14 décembre 2000) rendue en application de l’article 1009-1 CPC : l’impossibilité d’exécuter. En effet, les conséquences seront manifestement excessives lorsque l’exécution de la décision crée ou aggrave la situation de précarité de l’intéressé. L’impossibilité d’exécuter, quant à elle, peut être juridique ou personnelle. Elle est par exemple juridique lorsqu’elle résulte d’une procédure collective postérieure à la

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condamnation (Cass., ord. 1er prés., 15 janv. 1997). Lorsqu’elle est personnelle, la notion se rapproche des conséquences manifestement excessives. Pour la distinguer, il faut admettre que la précarité de l’intéressé est déjà telle que tout paiement des causes de la condamnation est exclu. Toujours est-il que les juges du fond devront manipuler ces notions avec précaution, et ne pas avoir de vue trop restrictive sous peine de porter atteinte au double degré de juridiction, ce que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ne regarderait pas d’un bon œil. II. Une mesure aux effets contestables L’article 526 du Code de procédure civile a certes la vertu de renforcer le caractère exécutoire des décisions de première instance. Toutefois, en pratique, sa mise en œuvre risque de porter atteinte au double degré de juridiction (A). C’est la raison pour laquelle la jurisprudence semble vouloir en limiter les effets (B). A. Le risque d’atteinte au double de degré de juridiction Si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme n’impose pas le double degré de juridiction (CEDH, 17 janvier 1970, Delcourt c. Belgique ; 22 janvier 1984, Sutter c. Suisse), lorsque des cours d'appel sont instituées, la procédure suivie doit offrir les garanties de l'article 6§1 de la Convention européenne et, en particulier, assurer un droit effectif d'accès au juge. Si ce droit n'est pas absolu, encore faut-il que les limitations qui lui sont apportées ne restreignent pas l'accès ouvert « d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même », que les buts poursuivis soient légitimes et les moyens employés en rapport de proportionnalité raisonnable (CEDH, 28 mai 1985, Ashingdane c. Royaume-Uni). Il est certain que le but poursuivi par l’article 526 CPC est légitime en ce qu’il assure une meilleur effectivité des décisions de justice, qui est une garantie du procès équitable (CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce ; 31 mai 2005, Matheus c. France). Néanmoins, la radiation du rôle d’une affaire devant la cour d'appel fait courir le risque pour les parties d’une éventuelle péremption. Cette conséquence peut alors être désastreuse aussi bien pour le ou les appelants que pour le ou les intimés. Il faut donc se demander ce qu’il en est exactement. Devant la Cour de cassation, l’article 1009-2 du Code de procédure civile prévoit que le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation et est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter la décision attaquée. Les juges du fond considèrent ainsi que des versements significatifs constituent des actes interruptifs de la péremption. S’agissant des conséquences de la radiation devant la cour d'appel, sur le fondement de l’article 526 du Code de procédure civile, le problème est qu’il n’existe aucun texte équivalent à l’article 1009-2 du Code de procédure civile. De fait, la notion de diligence devrait être entendue suivant l’article 383, al. 2 du Code de procédure civile, applicable à toutes les juridictions. Il faudrait ainsi retenir que la diligence permettant d’interrompre la péremption est, au sens de l’article 526 du Code, toute démarche ayant pour but de faire avancer le litige vers sa conclusion. Cela n’a malheureusement de sens que lorsque la radiation est prononcée pour défaut de diligence et non pour défaut d’exécution, la remise au rôle se faisant, en toute hypothèse, sous contrôle du magistrat. Ainsi, les juges du fond devront prendre garde à ne pas laisser se périmer trop facilement les instances devant la cour d'appel sous peine de porter gravement atteinte au double degré de juridiction. Cette conséquence pénaliserait aussi bien les appelants que les intimés en les privant de la possibilité de former un appel incident, ou d’obtenir un titre définitif, ce qui s’avère nécessaire pour faire exécuter certaines décisions de justice comme en matière d’expulsion ou de saisie immobilière. C’est pour éviter que ne soit porter atteinte au double degré de juridiction que la circulaire CIV/04/02 du 8 février 2006 rappelle le juge ne peut prononcer la radiation que si les conditions visées à l'article 515 du Code de procédure civile sont remplies, c'est-à-dire si l'exécution

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provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire. Le premier président ou le conseiller de la mise en état devra ainsi vérifier que l’exécution provisoire n’a pas été accordée trop facilement, simplement par habitude. En outre, il ne peut pas, comme nous l’avons vu, prononcer la radiation si l'exécution est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il existe une impossibilité manifeste, pour le demandeur à l'appel, d'exécuter cette décision. B. Les risques de l’atteinte limités par la jurisprudence La sanction de la radiation tombe comme un couperet pour l’appelant qui ne peut la contester. En effet, sur le fondement de l’article 526 CPC, la Cour de cassation réaffirme que la radiation étant une mesure d’administration judiciaire, elle n’est pas susceptible de recours, ce qui n’est pas contraire à l’article 6§1 CEDH (Civ. 2e, 18 juin 2009). Toutefois, pour échapper à la radiation, il reste une issue à l'appelant débiteur : il pourrait paralyser le jeu de l’article 526 du Code de procédure civile en sollicitant l'arrêt de l'exécution provisoire au titre de l’article 524 du Code de procédure civile. En effet, selon la Cour de cassation, la radiation ne fait pas obstacle à l’application de l’article 524 CPC qui permet de demander au premier président l’arrêt de l’exécution provisoire (Civ. 2e, 9 juillet 2009). Ayant obtenu l’arrêt de l’exécution provisoire, l’appelant devrait alors pouvoir demander la réinscription au rôle. Plus radicale est la solution que le premier Président de la cour d'appel de Limoges a rendu le 13 août 2006 et qui semble paralyser totalement l’exécution provisoire ordonnée. En effet, il retient lapidairement qu’en raison de la nouvelle possibilité de demander la radiation en cas de non-exécution d’une décision assortie de l’exécution provisoire, le prononcé de l’exécution provisoire par le juge porte atteinte au droit au procès équitable, lequel implique nécessairement l’accès libre aux voies de recours dans les conditions prévues par les textes législatifs et réglementaires. Il en conclut que le prononcée par le jugement de l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives au sens de l’article 524 du Code de procédure civile, qui n’exige pas d’autres conditions pour permettre au premier président d’ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire. La même Cour d’appel de Limoges a confirmé cette solution dans une ordonnance du 15 septembre 2009. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre de la notion de conséquences manifestement excessives par les juges devrait permettre d’éviter la radiation lorsqu’elle n’est pas justifiée. Il reste que le plaideur qui n’est pas assez riche pour exécuter la première décision et pas assez pauvre pour bénéficier de l’exception de l’article 526 CPC risque de voir son droit d’appel affecté. C’est pourquoi les juges sont invités par la Cour européenne des droits de l'homme à appliquer l’article 526 CPC avec beaucoup de précaution. Dans son arrêt du 14 novembre 2006, Ong c. France, la cour européenne décide que la radiation du rôle de la Cour de cassation, qui peut entraîner une extinction du droit au pourvoi par le jeu de la péremption, est contraire au procès équitable si elle n’est pas proportionnée au but légitime poursuivi. Cela ne signifie pas que l’article 526 du Code de procédure civile est en lui-même contraire à l’article 6§1 CEDH, mais qu’il est potentiellement contraire à lui. C’est donc un message fort que la cour européenne adresse aux premiers présidents de cour d'appel français qui devront vérifier concrètement que la mise en œuvre de l’article 526 CPC ne porte pas atteint au double degré de juridiction, sous peine d’entraîner une condamnation de la France. L’application de l’article 526 CPC est ainsi dangereuse. Sans doute aurait-il été préférable de ne pas confier à la procédure civile la mission d’assurer l’effectivité des décisions de justice par une sorte de chantage. Cette mission relève en principe des voies d’exécution et en instaurant la technique de la radiation en cas d’inexécution de la décision attaquée, le pouvoir règlement « mélange un peu tout » (J. Héron).

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SUJET N° 2 : Commentaire de l’arrêt rendu le 8 avril 2010 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation La société Le Caveau a conclu un bail commercial avec Mme X. Cette société agit en remboursement du trop perçu des loyers versés à Mme X. le 20 octobre 2003. La société demanderesse sollicite également le libre accès d’une partie des locaux loués. Mme X. forme une demande reconventionnelle relative au paiement d’arriérés de loyers. Mme X. réclame aussi la validation du congé délivré le 19 avril 2003 avec refus de renouvellement et sans indemnité d’éviction pour motifs graves et légitimes, ainsi que la résiliation judiciaire du bail à titre subsidiaire. La société Le Caveau présente également une demande additionnelle relative au paiement d’une indemnité d’éviction. En première instance, la demande reconventionnelle de Mme X. est jugée irrecevable, faute de présenter un lien suffisant avec la demande principale, tout comme la demande additionnelle de la société Le Caveau. Celle-ci fait appel de ce chef de jugement, mais son appel est également rejeté. La Cour d’appel considère ainsi que le rejet de la demande reconventionnelle de Mme X. ne fait pas grief à la société Le Caveau, de sorte que celle-ci ne peut attaquer ce chez de jugement. Une partie peut-elle faire appel du jugement rejetant les prétentions de l’autre partie, lorsque ce rejet a entraîné celui de la demande additionnelle de l’appelant ? Au visa des articles 546 alinéa 1, 561 et 562 alinéa 2 du Code de procédure civile, la Cour de cassation relève que la société Le Caveau avait intérêt à interjeter appel dans la mesure où ses prétentions n’avaient pas été totalement accueillies en première instance. En outre, elle précise qu’en tout état de cause l’effet dévolutif de l’appel conduit à saisir la Cour d’appel de la totalité du litige. Autrement dit, la Cour de cassation considère que l’appelant a intérêt à faire appel d’un jugement rejetant partiellement ses prétentions même si cela doit le conduire à critiquer le chef du jugement rejetant la demande reconventionnelle de la partie adverse (I). A cette recevabilité de l’appel, une autre règle procédurale a pour effet de soumettre la totalité du jugement à l’appréciation de la juridiction du second degré : l’effet dévolutif de l’appel (II). I. L’intérêt à agir de l’appelant en cas de rejet partiel de ses prétentions Dans l’arrêt du 8 avril 2010, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure : l’appelant dispose d’un intérêt à agir lorsque ses prétentions ont été rejetées partiellement en première instance (A). Cette solution s’applique même lorsque la demande rejetée par la juridiction du premier degré est une demande additionnelle (B).

A. Un intérêt à agir présumé en cas de rejet des prétentions L’arrêt du 8 avril 2010 est rendu au visa de l’article 546 alinéa 1 du Code de procédure civile. Selon ce texte, sauf renonciation, le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt. Ce texte fait écho à l’article 31 relatif à l’action en justice dont l’existence dépend de l’intérêt à agir. En effet, l’action en justice nécessite de faire la preuve d’un intérêt au rejet d’une prétention. Néanmoins, le droit au juge se distingue ici du droit à une voie de recours. Lors de l’exercice d’une voie de recours, l’intérêt à agir s’apprécie par rapport à la décision attaquée. A l’inverse, le droit au juge conduit à apprécier l’intérêt par rapport aux attentes du justiciable. En effet, l’intérêt à agir, au sens

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de l’article 31 du CPC, c’est l’avantage poursuivi devant le juge si celui-ci reconnaît la prétention bien-fondée. En l’espèce, pour déclarer l’appel irrecevable, la Cour d’appel fait référence à l’absence de grief qui peut être assimilée à une absence d’intérêt à agir. Par ailleurs, la procédure en cause conduit à une situation quelque peu paradoxale : la société Le Caveau avait intérêt à ce que la demande de son adversaire soit jugée recevable pour que sa demande additionnelle soit examinée. Par conséquent, l’intérêt de la société Le Caveau ne se situait pas dans le rejet d’une prétention, mais dans la recevabilité de celle-ci. Cette situation peut se comprendre d’un point de vue concret : la société Le Caveau souhaitait sans doute cesser son activité dans les locaux concernés et bénéficier d’une indemnité d’éviction pour la développer ailleurs ou pour la modifier. La solution de la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 avril 2010 conduit donc à admettre l’intérêt à agir de l’appelant dès que celui-ci voit ses prétentions rejetées en première instance, totalement ou partiellement, sans tenir compte du contenu du jugement. Peu importe que le rejet partiel des prétentions de l’appelant repose sur l’irrecevabilité d’une demande de l’intimé. La jurisprudence pose donc une véritable présomption de l’intérêt à agir de l’appelant, dès lors que ses prétentions ont été rejetées. Cette solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt du 3 octobre 1989, la Cour de cassation avait considéré qu’une partie a intérêt à faire appel dès lors que ses prétentions n’ont pas été complètement accueillies. De la même façon, l’intérêt de l’appelant s’apprécie au jour de la déclaration d’appel (Civ. 1re, 14 mars 1981), sans prendre en considération l’exécution provisoire du jugement attaqué (Com. 13 avril 2007).

B. L’intérêt à agir en cas de rejet d’une demande additionnelle Dans l’arrêt du 8 avril 2010, la Cour d’appel a déclaré irrecevable l’appel formé par la société Le Caveau, aux motifs que celle-ci critiquait un chef du jugement attaqué rejetant une demande de l’adversaire. La Cour de cassation sanctionne cette décision en considérant que le rejet partiel des prétentions de l’appelant suffit à justifier son intérêt à exercer une voie de recours. La Cour de cassation fait référence aux prétentions qui n’ont pas été complètement accueillies. Autrement dit, on peut déduire de l’attendu de la Cour de cassation que la demande principale de la société Le Caveau a bien été retenue par le jugement de première instance, seule la demande additionnelle ayant été rejetée. La solution de la Cour de cassation conduit à admettre que le procès se prolonge sur les demandes incidentes alors que la demande initiale a été retenue. La position de la Cour de cassation appelle quelques remarques. En premier lieu, elle confirme que le principe de l’immutabilité du litige connaît de nombreux assouplissements. En effet, le principe contenu à l’article 4 signifie que le litige est défini par les parties dès le début du procès du procès civil et qu’il ne peut évoluer. Ce principe connaît de nombreux aménagements dont les demandes reconventionnelles et les demandes additionnelles sont les principales illustrations. La demande reconventionnelle est celle par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire (art. 64 CPC). Formée par le défendeur, elle lui permet de modifier l’objet du litige et de faire l’économie d’un procès. La demande additionnelle est celle par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures (art. 65 CPC). En second lieu, la solution confirme que le régime des demandes incidentes ne suit pas toujours le régime de la demande initiale. Si l’irrecevabilité de la demande initiale entraîne en principe l’irrecevabilité des demandes incidentes, il reste que les demandes incidentes témoignent d’une certaine autonomie procédurale. C’est le cas de certaines demandes reconventionnelles qui

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survivent à l’irrecevabilité de la demande initiale, lorsqu’elles ne contestent pas les prétentions exprimées dans la demande principale. C’est également le cas en cas d’appel des demandes additionnelles comme le prouve l’arrêt du 8 avril 2010. En appel, les demandes incidentes formulées en première instance peuvent être examinées indépendamment du sort de la demande initiale. Cela sera notamment le cas lorsque l’appel sera formulé seulement contre certains chefs de jugement. Cela sera également le cas lorsque l’appelant a vu sa demande principale retenue et sa demande additionnelle rejetée. Toujours est-il que l’on peut avoir une appréciation différente sur les effets d’une telle solution. Celle-ci présente l‘avantage de permettre au justiciable de faire l’économie d’un nouveau procès, puisque les parties peuvent régler dès à présent la totalité des questions soulevant un litige entre elles. La solution permet ainsi indirectement une concentration des demandes, sans que celle-ci ne soit sanctionnée, si elle n’est pas respectée. Au titre des inconvénients, l’arrêt conduit à allonger la durée des procédures, à un moment où les évolutions législatives et jurisprudentielles sont marquées par la volonté d’assurer la célérité de la justice. II. La portée de l’effet dévolutif de l’appel Comme le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 avril 2010, l’effet dévolutif de l’appel conduit en principe à soumettre à la juridiction du second degré la totalité du litige (A). Toutefois, la Cour d’appel n’aura, par exception, qu’une connaissance limitée du litige sauf si l’article 562 alinéa 2 du CPC trouve à s’appliquer (B).

A. La connaissance de la totalité du litige L’arrêt du 8 avril 2010 est rendu au visa de l’article 561 du Code de procédure civile qui précise que l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’elle statue à nouveau en fait et en droit. Ce texte consacre donc l’effet dévolutif de l’appel qui a été méconnu en l’espèce par la juridiction du second degré. En effet, en rejetant l’appel de la société Le Caveau pour défaut d’intérêt, la juridiction du second degré n’a pas tiré les conséquences de l’effet dévolutif. L’effet dévolutif marque le dessaisissement du juge de première instance et constitue une véritable obligation pour le juge d’appel : sa saisine l’oblige à statuer, sauf si l’appel est irrecevable. Néanmoins, l’adage « Tantum devolutum, quantum judicatum » trouve à s’appliquer : il n’est dévolu qu’autant qu’il a été jugé. Cet adage rappelle qu’en principe l’objet du litige en appel se limite à celui qui fut soumis à la décision du juge de première instance. Cette conception de l’appel correspond à celle du droit romain. Elle s’oppose à la conception germanique de l’appel qui voit dans celui-ci une seconde première instance, qui autorise toutes sortes de modifications, à la fois quant aux personnes, mais aussi quant à l’objet des prétentions. C’est la conception romaine qui a été retenue en droit français, comme le prouve l’interdiction de principe des demandes nouvelles en appel (art. 564 CPC). Néanmoins, cette conception de l’appel fait l’objet d’aménagements. En effet, c’est l’acte d’appel qui opère la dévolution, ce qui signifie que les parties peuvent limiter la portée de leur appel. Ainsi, un appel limité à certains chefs de jugement ne peut être étendu lors de l’échange des conclusions. En revanche, un appel général pourra voir sa portée limitée par des conclusions ultérieures. En l’espèce, même si le contenu de l’acte d’appel n’est pas précisé, la société Le Caveau n’avait pas intérêt à formuler un appel général, dans la mesure où elle a obtenu partiellement gain de cause en première instance. La Cour d’appel était donc confrontée a priori à une connaissance limitée du litige.

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B. Une connaissance limitée du litige par exception Dans son arrêt du 8 avril 2010, la Cour de cassation fait référence à l’article 562 alinéa 2 du Code de procédure civile. Selon ce dernier texte, l’effet dévolutif de l’appel s’opère pour le tout « lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs, lorsqu’il tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ». Autrement dit, l’article 562 alinéa 2 revient au principe (l’effet dévolutif pour le tout) dans trois cas distincts : appel non limité à certains chefs ; demande d’annulation du jugement ; litige indivisible. En l’espèce, le visa de la Cour de cassation surprend car l’appelant n’avait pas intérêt à formuler un appel général, puisque la juridiction de première instance lui a donné gain de cause sur sa demande principale. En réalité, il est possible de retenir deux analyses quant à la situation en cause. D’une part, on peut considérer que l’appel de la société Le Caveau était bien limité à certains chefs du jugement, mais c’est l’indivisibilité du litige qui a conduit la Cour de cassation à faire référence à l’effet dévolutif total. Ainsi, selon la jurisprudence, un appel limité à certains chefs n’empêche pas un effet dévolutif pour le tout en cas de litige indivisible. Par exemple, la demande de dommages-intérêts liée à la rupture du contrat de travail consécutive à la prise d'acte du salarié reprochant à son employeur de ne pas respecter ses engagements pécuniaires forme un litige indivisible avec le licenciement pour faute grave prononçait par l’employeur (Soc. 26 avril 2007). D’autre part, si la société Le Caveau a formulé un appel général, cela signifie que la Cour d’appel aurait pu statuer à nouveau sur la demande principale et retenir une solution défavorable pour l’appelant. Ici, l’exercice d’une voie de recours peut s’avérer préjudiciable pour son titulaire. Cependant, la jurisprudence de la Cour de cassation tient compte de cette situation. Ainsi, dans un arrêt du 11 janvier 1995, la chambre commerciale a pu considérer que « les juges d'appel ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son unique appel et en l'absence d'appel incident de l'intimé ». Or, en l’espèce, une modification du jugement quant à la demande principale serait défavorable à la société Le Caveau. Par conséquent, seul un appel incident de Mme X. pourrait justifier une telle solution.

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SUJET N° 3 : Cas pratique 1) L’habitant d’une commune de Normandie est exproprié sur la base d’un arrêté préfectoral approuvant une décision du conseil municipal. Il obtient des indemnités d’expropriation par un arrêt de cour d’appel du 31 décembre 2009 et par la suite l’annulation de l’arrêté préfectoral par une décision du 1er mars 2010. Il voudrait savoir s’il est possible d’obtenir une indemnité d’expropriation complémentaire. Pour cela, il faut se demander si à la date du 1er mars 2010, il est encore possible de se pourvoir en cassation contre un arrêt de la cour d'appel notifié le 31 décembre 2009. L’arrêt de la cour d'appel a en effet perdu son fondement juridique puisque la décision administrative qui lui servait de fondement a été annulée postérieurement par une décision du 1er mars 2010. Or, par application de l’article 604 du Code de procédure civile, qui prévoit que « le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit », la jurisprudence retient que l’annulation d’un acte administratif servant de fondement juridique au jugement (ou à l’arrêt) attaqué est constitutive d’une perte de fondement juridique justifiant la cassation de la décision (Civ. 2e, 8 février 1962 ; Civ. 1re, 27 mars 1985 ; Civ. 3e, 4 février 1987). Dès lors, en l’espèce, il y a bien un cas d’ouverture à cassation. Pour autant, se pose la question du délai pour former un pourvoi en cassation. En effet, en l’espèce, l’arrêt de cour d'appel a été notifié le 31 décembre 2009. L’article 612 du Code de procédure civile dispose que le délai de pourvoi en cassation est de deux mois. Lorsque les délais sont exprimés en mois, l’article 641 du Code de procédure civile prévoit que le dies ad quem est le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le dies a quo. Cela signifie qu’un mois de délai n’est pas équivalent à 30 ou 31 jours. En effet, l’article 641 Code de procédure civile précise qu’à défaut de quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. En l’espèce, le dies a quo est le jour de la notification de l’arrêt de la cour d'appel (article 640 CPC), c'est-à-dire le 31 décembre 2009. Même si le mois de février ne compte que 28 jours (l’année 2010 n’est pas bissextile), le délai pour former un pourvoi en cassation a expiré le dernier jour de ce mois, c'est-à-dire le 28 février 2010. De fait, le 1er mars 2010, date à laquelle le fondement juridique de l’arrêt de la cour d'appel tombe, le délai pour former un pourvoi en cassation est éteint. Par conséquent, il est impossible d’attaquer l’arrêt de la cour d'appel devant la Cour de cassation. La question est de savoir s’il est possible d’intenter une nouvelle action en justice en se fondant sur l’annulation d’un arrêté préfectoral ayant servi de fondement à une précédente décision de justice ? Pour répondre à cette question, il faut se demander si la nouvelle action en justice ne se heurterait pas à l’autorité de la chose irrévocablement jugée qui s’attache à l’arrêt de la cour d'appel du 31 décembre 2009.

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En effet, cet arrêt n’étant susceptible d’aucun recours, il est devenu irrévocable. Or, l’article 1351 du Code civil retient une triple identité du litige pour que l’autorité de la chose jugée soit caractérisée. Il faut une identité de parties, d’objet et de cause. En l’espèce, il y a bien une identité de parties et d’objet. Cela ne fait aucune difficulté. En revanche, la question de l’identité de cause est plus incertaine. On sait en effet que depuis l’arrêt Césaréo de l’Assemblée plénière en date du 7 juillet 2006, la Cour de cassation estime que la cause n’est constituée que par les faits du litige, de sorte que la modification du fondement juridique ne permet plus d’écarter l’autorité de la chose jugée. On pourrait alors penser qu’en l’espèce, l’autorité de la chose jugée empêche toute nouvelle action en justice, l’annulation de l’arrêté préfectoral pouvant être considéré comme un fondement juridique. Pourtant, dans un arrêt de la troisième chambre civile en date du 25 avril 2007, la Cour de cassation a décidé dans une espèce similaire que l’annulation d’un arrêté préfectoral ayant approuvé le plan local d’urbanisme, postérieurement à l’arrêt de la cour d'appel, constituait un fait juridique nouveau privant cet arrêt de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la seconde instance. La Cour de cassation prend ainsi le soin de qualifier cet événement postérieur de fait juridique et non de nouveau fondement juridique, pour que soit écartée l’autorité de la chose jugée, tout en se conformant à sa jurisprudence du 7 juillet 2006. L’annulation de l’arrêté préfectoral est en effet un élément qui commande l’application de la règle de droit. Elle n’est donc pas elle-même une règle de droit, mais un élément de son présupposé qui déclenche la sanction. Elle est ainsi assimilable à un fait. Ainsi, une seconde action en justice, pour demander une indemnité complémentaire, serait fondée sur un fait nouveau, né postérieurement à l’arrêt de la cour d'appel, de sorte que la cause de la demande serait différente. L’autorité de la chose jugée ne pourrait alors pas être valablement invoquée pour soutenir l’irrecevabilité de l’action. Il sera donc possible de demander une indemnité d’expropriation complémentaire par une seconde action en justice. 2) En l’espèce, une personne autorise, en 1982, ses anciens employés à demeurer à titre gratuit dans une maison lui appartenant et meurt deux ans plus tard. En 2000, son héritier, devenu prêteur, leur donne congé, pour pouvoir reloger son fils. Face au refus des occupants de quitter l’immeuble en cause, le prêteur demande en justice la fin du commodat et l’expulsion des occupants, en se fondant sur « un besoin pressant et imprévu de reloger son fils ». Un arrêt de cour d’appel du 3 septembre 2002, devenu irrévocable, rejette la demande d’expulsion. Apprenant que la Cour de cassation admet depuis un arrêt du 3 février 2004 que le prêteur peut résilier le prêt à tout moment, dès lors qu’il est à durée indéterminée, peu important que le besoin de l’emprunteur n’ait pas cessé, le demandeur initial assigne à nouveau les défendeurs en expulsion. Le demandeur se fonde cette fois sur cette nouvelle jurisprudence admettant la résiliation unilatérale du prêteur. La cour d'appel déclare cette demande irrecevable, comme s’opposant à l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 3 septembre 2002, appliquant ainsi le principe de concentration des moyens à l’espèce. Cette espèce soulève plusieurs questions qu’il faut résoudre successivement. A – L’application du principe de concentration des moyens En l’espèce, la cour d'appel met en œuvre le principe de concentration des moyens qui découle de l’arrêt Césaréo rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 juillet 2006.

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On sait que depuis cet arrêt, il n’est plus possible, comme cela l’était avant (AP, 3 juin 2004), d’introduire une nouvelle demande en justice en se fondant sur un moyen de droit différent. Désormais, pour échapper à l’identité de cause de la demande, le demandeur, ou le défendeur (le principe ayant été bilatéralisé : Com., 20 février 2007 ; Civ. 3e, 13 février 2008), doit invoquer de nouveaux faits. De fait, les parties doivent désormais invoquer dès l’instance relative à la première demande tous les fondements juridiques de nature à fonder leur prétention. Or, en l’occurrence, la première procédure avait pris fin par un arrêt de cour d'appel du 3 septembre 2002, soit près de quatre ans avant l’arrêt Césaréo. Ainsi, l’application du principe de concentration des moyens en l’espèce ferait peser sur les parties, et particulièrement sur les avocats, une obligation nouvelle sans qu’ils puissent la connaître. On peut donc se demander si l’application de la jurisprudence Césaréo est ou non rétroactive. On sait que la Cour de cassation retient de manière constante que l’existence de l’intérêt à agir s’apprécie au jour de l’introduction de l’instance (Com., 6 décembre 2005 ; Civ. 2e, 9 novembre 2006 ; Civ. 2e, 13 juillet 2006). Par analogie, il serait possible d’en déduire que la recevabilité d’une action en justice s’apprécie au jour de l’introduction de l’instance. Or, en l’espèce, la seconde procédure a été engagée le 6 avril 2006, date à laquelle l’action était recevable suivant le droit positif de l’époque (puisque l’allégation d’un nouveau moyen de droit renouvelait la cause de la demande). Toutefois, la Cour de cassation estime traditionnellement qu’il n’existe pas de droit acquis à un jurisprudence figée (Civ. 1ère, 21 mars 2000 ; 9 octobre 2001 ; 11 juin 2009 ; Civ. 2e, 19 novembre 2009). Ainsi, l’application dans le temps des solutions jurisprudentielles est par principe rétroactive. De fait, le principe de concentration des moyens devrait s’appliquer immédiatement aux instances en cours, et notamment à celle engagée le 6 avril 2006. Il reste que lorsque le revirement de jurisprudence a pour effet de priver le demandeur du droit au juge, son application rétroactive est contraire l’article 6§1 CESDH (Civ. 2ème, 8 juillet 2004 ; AP, 21 décembre 2006). Or, en l’espèce, l’application rétroactive de la jurisprudence conduit précisément à priver le demandeur du droit au juge. On pourrait alors en conclure que le demandeur pourrait obtenir la cassation de l’arrêt de la cour d’appel sur ce fondement. Toutefois, dans un arrêt contestable du 24 septembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a retenu la solution inverse. En effet, elle estime dans cet arrêt que le principe de concentration des moyens s’applique aux instances en cours, même lorsqu’elles ont été introduites avant le 7 juillet 2006. Ainsi, le principe de concentration des moyens s’applique en l’espèce. La cassation de l’arrêt ne pourrait être obtenue sur ce fondement. B – L’allégation d’une nouvelle jurisprudence Le principe de concentration des moyens étant applicable, seul l’allégation d’un fait nouveau permettrait d’échapper à l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de cour d’appel du 3 septembre 2002. En l’espèce, le demandeur allègue au soutien de sa demande relative à la seconde instance une nouvelle jurisprudence. Alors que dans l’arrêt du 3 septembre 2002, la cour d'appel s’était fondée sur les besoins des emprunteurs, la Cour de cassation a décide dans un arrêt du 3 février 2004 que le prêteur peut résilier le prêt à tout moment, dès lors qu’il est à durée indéterminée, peu important que le besoin de l’emprunteur n’ait pas cessé.

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La question est de savoir si une nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation est constitutive d’un fait nouveau permettant un renouvellement de la cause de la demande au sens de l’article 1351 du Code civil. En principe, le principe de concentration des moyens est limité aux situations où le plaideur avait connaissance de tous les éléments au moment de l’introduction de la demande initiale et au cours de l’instance, pour obtenir satisfaction en justice. C’est d’ailleurs dans cet esprit semble-t-il que par un arrêt de la troisième chambre civile en date du 25 avril 2007, la Cour de cassation a estimé que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposé lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice. De même, l’autorité de la chose jugée devrait continuer à être écartée lorsqu’une loi nouvelle a pour résultat de créer un véritable droit nouveau au profit de l'une des parties. Cette solution jurisprudentielle, constante depuis de nombreuses années (Civ. 1re, 25 janvier 1960), était fondée sur le renouvellement de la cause, entendu comme un fondement juridique. Même si la cause est désormais réduite aux seuls faits du litige, la Cour de cassation devrait maintenir cette solution dans un souci d’équité. Toutefois, il faut rappeler que la jurisprudence n’est pas une source officielle du droit. En effet, l’article 5 du Code civil prohibe les arrêts de règlement, de sorte que les plaideurs ne peuvent invoquer un arrêt de la Cour de cassation comme un fondement juridique (Civ. 2e, 8 avril 2010). De fait, une nouvelle jurisprudence ne peut constituer en théorie un nouveau droit. C’est sans doute ce raisonnement qui a conduit la Cour de cassation à considérer dans son arrêt de la première chambre civile du 24 septembre 2009 que l’allégation d’une nouvelle jurisprudence ne renouvelait pas la cause de la demande, en l’absence de nouveaux faits allégués. Ainsi, en l’espèce, il faut en conclure que l’autorité de la chose jugée attaché à l’arrêt de cour d’appel du 3 septembre 2002 s’oppose à la recevabilité de la nouvelle action en justice. La décision des juges du fond est en effet conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. Il serait dès lors inopportun de faire un pourvoi en cassation. 3) Alors qu’un appel principal est interjeté par déclaration du 14 juin 2010, l’intimé souhaite faire un appel incident. En principe, le délai pour faire appel est d’un mois à compter de la signification de la décision attaquée (art. 528 et 538 CPC). En l’espèce, l’appel est interjeté trois jours avant la fin du délai pour faire appel. Il faut donc considérer que le jugement a été notifié le 14 mai 2010 et que le délai pour faire appel a expiré le 14 juin 2010. On peut alors se demander si un appel incident est encore possible après l’expiration du délai pour faire un appel principal. L’article 550 CPC prévoit que l’appel incident peut être formé en tout état de cause, alors même que le délai pour agir à titre principal est écoulé. En l’espèce, l’appel incident, même si le délai pour agir à titre principal est écoulé, peut être recevable.

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L’article 550 CPC précise que dans l’hypothèse où l’appel incident est formé après l’écoulement du délai pour agir à titre principal, il n’est pas recevable si l’appel principal ne l’est pas lui-même. Autrement dit, lorsque l’appel principal est irrecevable, l’appel incident devient principal et il est donc soumis au régime de l’appel principal, notamment en ce qui concerne le délai pour agir. En l’espèce, aucun élément ne permet d’affirmer que l’appel principal est recevable ou irrecevable. Si l’appel principal irrecevable, alors l’appel incident ne pourra être recevable. A l’inverse, si l’appel principal est recevable, alors l’appel incident est a priori recevable également. En l’espèce, l’intimé pense faire son appel incident peu de temps avant l’ordonnance de clôture. Il faut donc se demander jusqu’à quand l’appel incident peut être fait. L’article 550 CPC prévoyant que l’appel incident peut être fait en tout état de cause, il faut considérer qu’il peut être fait tant qu’il est possible de conclure, c'est-à-dire jusqu’à l’ordonnance de clôture (art. 783 et 910 CPC). La Cour de cassation en déduit que l’appel incident est recevable, même s’il est fait peu de temps avant l’ordonnance de clôture, dès lors que l’appelant principal a un temps suffisant pour organiser sa défense au sens de l’article 15 CPC. Surtout, elle considère que l’appelant principal ne peut reprocher à une cour d’appel d’avoir déclaré l’appel incident fait peu de temps avant l’ordonnance de clôture recevable, dès lors qu’il n’a demandé ni la révocation, ni le report de l’ordonnance de clôture (CM, 3 février 2006). En l’espèce, l’intimé envisage de faire son appel incident environ un mois et demi avant l’ordonnance de clôture, de sorte qu’en l’état actuel du droit positif, il serait recevable. Toutefois, il faut signaler à l’intimé qu’à compter du 1er janvier 2011 le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 modifie la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d'appel. En effet, le nouvel article 908 CPC prévoit désormais que l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du conseiller de la mise en état. De plus, le nouvel article 909 CPC prévoit que « l’intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ». Or, en l’espèce, l’intimé envisage de faire un appel incident après l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2011, alors que les délais pour conclure et former appel incident seront largement écoulés suivant la nouvelle réglementation. Il faut donc se demander si en l’espèce, l’appel incident sera soumis au nouvel article 909 CPC. L’article 14 du décret du 9 décembre 2009, qui est la disposition transitoire, prévoit que le nouvel article 909 CPC s’applique aux appels formés à compter du 1er janvier 2011. De fait, l’appel incident n’est pas soumis à la nouvelle réglementation, de sorte qu’il pourra être valablement formé le 28 février 2011.

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SUJET PARIS V 1) L’habitant d’une commune de Normandie est exproprié sur la base d’un arrêté préfectoral approuvant une décision du conseil municipal. Il obtient des indemnités d’expropriation par un arrêt de cour d’appel du 31 décembre 2009 et par la suite l’annulation de l’arrêté préfectoral par une décision d’une juridiction administrative. La question est de savoir si l’annulation d’un arrêté préfectoral sur le fondement duquel un arrêt de cour d’appel a été rendu est un motif à cassation. L’arrêté préfectoral était le fondement de l’arrêt de la cour d’appel. Il a par la suite été annulé. L’arrêt de la cour d'appel a donc perdu son fondement juridique. Or, par application de l’article 604 du Code de procédure civile, qui prévoit que « le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit », la jurisprudence retient que l’annulation d’un acte administratif servant de fondement juridique au jugement (ou à l’arrêt) attaqué est constitutive d’une perte de fondement juridique justifiant la cassation de la décision (Civ. 2e, 8 février 1962 ; Civ. 1re, 27 mars 1985 ; Civ. 3e, 4 février 1987). Dès lors, en l’espèce, l’annulation de l’arrêté préfectoral est un motif à cassation. 2) L’arrêt de la cour d’appel a été notifié le 31 décembre 2009. La question est alors de savoir si le 1er mars 2010, le délai pour faire un pourvoi en cassation contre un arrêt notifié le 31 décembre 2009 est ou non expiré. L’article 612 du Code de procédure civile dispose que le délai de pourvoi en cassation est de deux mois. Lorsque les délais sont exprimés en mois, l’article 641 du Code de procédure civile prévoit que le dies ad quem est le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le dies a quo. Cela signifie qu’un mois de délai n’est pas équivalent à 30 ou 31 jours. En effet, l’article 641 Code de procédure civile précise qu’à défaut de quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. En l’espèce, le dies a quo est le jour de la notification de l’arrêt de la cour d'appel (article 640 CPC), c'est-à-dire le 31 décembre 2009. Même si le mois de février ne compte que 28 jours (l’année 2010 n’est pas bissextile), le délai pour former un pourvoi en cassation a expiré le dernier jour de ce mois, c'est-à-dire le 28 février 2010. De fait, le 1er mars 2010, date à laquelle le fondement juridique de l’arrêt de la cour d'appel tombe, le délai pour former un pourvoi en cassation est éteint. Par conséquent, il est impossible d’attaquer l’arrêt de la cour d'appel devant la Cour de cassation. 3) La question est de savoir s’il est possible d’intenter une nouvelle action en justice en se fondant sur l’annulation d’un arrêté préfectoral ayant servi de fondement à une précédente décision de justice ? Pour répondre à cette question, il faut se demander si la nouvelle action en justice ne se heurterait pas à l’autorité de la chose irrévocablement jugée qui s’attache à l’arrêt de la cour d'appel du 31 décembre 2009.

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En effet, cet arrêt n’étant susceptible d’aucun recours, il est devenu irrévocable. Or, l’article 1351 du Code civil retient une triple identité du litige pour que l’autorité de la chose jugée soit caractérisée. Il faut une identité de parties, d’objet et de cause. En l’espèce, il y a bien une identité de parties et d’objet. Cela ne fait aucune difficulté. En revanche, la question de l’identité de cause est plus incertaine. On sait en effet que depuis l’arrêt Césaréo de l’Assemblée plénière en date du 7 juillet 2006, la Cour de cassation estime que la cause n’est constituée que par les faits du litige, de sorte que la modification du fondement juridique ne permet plus d’écarter l’autorité de la chose jugée. On pourrait alors penser qu’en l’espèce, l’autorité de la chose jugée empêche toute nouvelle action en justice, l’annulation de l’arrêté préfectoral pouvant être considéré comme un fondement juridique. Pourtant, dans un arrêt de la troisième chambre civile en date du 25 avril 2007, la Cour de cassation a décidé dans une espèce similaire que l’annulation d’un arrêté préfectoral ayant approuvé le plan local d’urbanisme, postérieurement à l’arrêt de la cour d'appel, constituait un fait juridique nouveau privant cet arrêt de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la seconde instance. La Cour de cassation prend ainsi le soin de qualifier cet événement postérieur de fait juridique et non de nouveau fondement juridique, pour que soit écartée l’autorité de la chose jugée, tout en se conformant à sa jurisprudence du 7 juillet 2006. L’annulation de l’arrêté préfectoral est en effet un élément qui commande l’application de la règle de droit. Elle n’est donc pas elle-même une règle de droit, mais un élément de son présupposé qui déclenche la sanction. Elle est ainsi assimilable à un fait. Ainsi, une seconde action en justice, pour demander une indemnité complémentaire, serait fondée sur un fait nouveau, né postérieurement à l’arrêt de la cour d'appel, de sorte que la cause de la demande serait différente. L’autorité de la chose jugée ne pourrait alors pas être valablement invoquée pour soutenir l’irrecevabilité de l’action. Il sera donc possible de demander une indemnité d’expropriation complémentaire par une seconde action en justice. 4) En l’espèce, le demandeur souhaite réclamer 3 500 euros au titre de la réparation de son préjudice et 1 000 euros au titre de l’article 700 CPC. Or, l’article L. 231-3 COJ fixe le taux de compétence du juge de proximité à 4000 euros. La question est alors de savoir comment évaluer le litige lorsque le demandeur demande, en plus de sa demande principale, des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 700 CPC. On sait que pour évaluer le montant d’un litige, il faut apprécier la demande en principal. A contrario, cela signifie que l’accessoire de la demande ne doit pas être pris en compte. La question est alors de savoir si la somme réclamée au titre de l’article 700 CPC entre dans le principal de la demande ou n’en est qu’un accessoire. Le code ne répond pas directement à la question, mais la jurisprudence estime que la somme réclamée au titre de l’article 700 CPC est un accessoire de la demande, de sorte qu’elle ne doit pas être ajoutée à la demande principale pour évaluer le litige (Civ. 3e, 6 janvier 1981). Ainsi, en l’espèce, le litige s’élève à un montant de 3500 euros.

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En l’espèce, le litige relève donc de la compétence du juge de proximité. 5) En l’espèce, le demandeur saisit le juge de proximité de Nanterre en se fondant sur une clause attributive de juridiction insérée dans le contrat qu’il a conclu avec le défendeur et qui est l’objet du litige. Ils sont tous les deux des commerçants, mais le contrat avait pour objet la réfection de certaines pièces du domicile du défendeur. On peut donc se demander si une clause attributive de compétence territoriale est valable dès lors qu’elle est insérée dans un contrat conclu par des commerçants, mais dont l’objet était la réfection du domicile de l’un d’eux. Suivant l’article 48 du Code de procédure civile, les clauses attributives de juridiction ne sont valables qu’entre « des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant ». Ainsi, il ne suffit pas d’être commerçant, il faut encore contracter en qualité de commerçant pour pouvoir insérer une clause attributive de juridiction valable dans un contrat. En l’espèce, le défendeur n’a pas contracté en qualité de commerçant puisque l’objet du contrat portait sur la réfection de son domicile. Ainsi, la clause attributive de compétence territoriale n’est pas valable. Elle est réputée non écrite. 6) La clause n’étant pas valable, il convient de revenir d’appliquer les règles de compétence de droit commun. En l’espèce, le litige est relatif à l’exécution d’un contrat de prestation de service. Or, en matière contractuelle, l’article 46 du Code de procédure civile offre au demandeur une option de compétence entre le juge du lieu du domicile du défendeur et le juge du lieu de l’exécution de la prestation de service. De fait, dans tous les cas de figure, seul le juge parisien était compétent, étant tout à la fois le juge du lieu du domicile du défendeur et celui du lieu de l’exécution de la prestation principale. 7) Le demandeur n’a pas comparu à l’audience et le défendeur a soumis au juge de proximité une demande reconventionnelle. On sait que devant la juridiction de proximité, la procédure est orale (article 843 CPC). La question est alors de savoir si, dans le cadre d’une procédure orale, une partie viole le principe du contradictoire en soumettant au juge une nouvelle demande pour la première fois lors d’une audience et en l’absence de la partie adverse. Lorsque la procédure est orale, les écritures n’ont aucune valeur juridique. Le déroulement de l’instance et de l’instruction n’est censé avoir que devant le juge. De fait, pour apprécier le respect de l’article 15 CPC qui oblige les parties à se communiquer les pièces et arguments en temps utile, le juge ne doit prendre en considération que ce qui s’est passé durant les audiences. En l’espèce, la demande reconventionnelle du défendeur en principe recevable. Toutefois, lorsque le défendeur est défaillant, le demandeur, qui souhaite formuler oralement à l’audience de jugement des demandes reconventionnelles, doit en aviser le défendeur

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afin de respecter le principe du contradictoire. A défaut, le juge ne peut accueillir ces demandes sans violer le principe du contradictoire (art. 14 et 16, al. 2 CPC). C’est en effet ce que décide la Cour de cassation (Civ. 1re, 15 mai 2007). Ainsi, en l’espèce, il faut s’assurer que le défendeur a notifié au demandeur sa demande reconventionnelle. Le mode le plus sûr pour s’assurer de la régularité de la procédure au regard du principe du contradictoire est la signification. Il faut donc souhaité que le défendeur aura préalablement à l’audience signifié au demandeur sa demande reconventionnelle. 8) A titre préalable, précisons que si le montant de la demande incidente (8 000 euros) dépasse le taux de compétence du juge de proximité (4 000 euros), qui n’est donc pas compétent pour statuer dessus (art. 38 CPC), ce dernier n’a pas l’obligation de soulever son incompétence d’office. En effet, l’article 92 CPC ne prévoit que la faculté du juge de soulever son incompétence d’office, notamment lorsque le défendeur ne comparait pas, et cette règle est une disposition commune à toutes les juridictions, applicable par conséquent au juge de proximité (Civ. 3e, 7 février 2007). Ainsi, en l’espèce, le juge a valablement pu statuer sur la demande incidente. Alors qu’un appel principal est interjeté par déclaration du 14 juin 2010, l’intimé souhaite faire un appel incident. En principe, le délai pour faire appel est d’un mois à compter de la signification de la décision attaquée (art. 528 et 538 CPC). En l’espèce, l’appel est interjeté trois jours avant la fin du délai pour faire appel. Il faut donc considérer que le jugement a été notifié le 14 mai 2010 et que le délai pour faire appel a expiré le 14 juin 2010. On peut alors se demander si un appel incident est encore possible après l’expiration du délai pour faire un appel principal. L’article 550 CPC prévoit que l’appel incident peut être formé en tout état de cause, alors même que le délai pour agir à titre principal est écoulé. En l’espèce, l’appel incident, même si le délai pour agir à titre principal est écoulé, peut être recevable. L’article 550 CPC précise que dans l’hypothèse où l’appel incident est formé après l’écoulement du délai pour agir à titre principal, il n’est pas recevable si l’appel principal ne l’est pas lui-même. Autrement dit, lorsque l’appel principal est irrecevable, l’appel incident devient principal et il est donc soumis au régime de l’appel principal, notamment en ce qui concerne le délai pour agir. En l’espèce, aucun élément ne permet d’affirmer que l’appel principal est recevable ou irrecevable. Si l’appel principal irrecevable, alors l’appel incident ne pourra être recevable. A l’inverse, si l’appel principal est recevable, alors l’appel incident est a priori recevable également. En l’espèce, l’intimé pense faire son appel incident peu de temps avant l’ordonnance de clôture. Il faut donc se demander jusqu’à quand l’appel incident peut être fait. L’article 550 CPC prévoyant que l’appel incident peut être fait en tout état de cause, il faut considérer qu’il peut être fait tant qu’il est possible de conclure, c'est-à-dire jusqu’à l’ordonnance de clôture (art. 783 et 910 CPC). La Cour de cassation en déduit que l’appel incident est recevable,

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même s’il est fait peu de temps avant l’ordonnance de clôture, dès lors que l’appelant principal a un temps suffisant pour organiser sa défense au sens de l’article 15 CPC. Surtout, elle considère que l’appelant principal ne peut reprocher à une cour d’appel d’avoir déclaré l’appel incident fait peu de temps avant l’ordonnance de clôture recevable, dès lors qu’il n’a demandé ni la révocation, ni le report de l’ordonnance de clôture (CM, 3 février 2006). En l’espèce, l’intimé envisage de faire son appel incident environ un mois et demi avant l’ordonnance de clôture, de sorte qu’en l’état actuel du droit positif, il serait recevable. Toutefois, il faut signaler à l’intimé qu’à compter du 1er janvier 2011 le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 modifie la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d'appel. En effet, le nouvel article 908 CPC prévoit désormais que l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du conseiller de la mise en état. De plus, le nouvel article 909 CPC prévoit que « l’intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ». Or, en l’espèce, l’intimé envisage de faire un appel incident après l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2011, alors que les délais pour conclure et former appel incident seront largement écoulés suivant la nouvelle réglementation. Il faut donc se demander si en l’espèce, l’appel incident sera soumis au nouvel article 909 CPC. L’article 14 du décret du 9 décembre 2009, qui est la disposition transitoire, prévoit que le nouvel article 909 CPC s’applique aux appels formés à compter du 1er janvier 2011. De fait, l’appel incident n’est pas soumis à la nouvelle réglementation, de sorte qu’il pourra être valablement formé le 28 février 2011.