La psychologie du combat (Premire partie)

La psychologie du combat : le chanon manquant . Dans les deux articles prcdents, nous avons tudi certaines dficiences de linstruction classique du tir de combat, et nous avons vu comment combler, dans une certaine mesure, ces carences pour prparer au mieux le professionnel arm sur le plan technico-tactique . Reste enfin aborder un paramtre fondamental du combat qui est trop souvent nglig lors des phases dinstruction : La prparation mentale et le rapport la mort. En effet tout professionnel arm peut avoir faire face au cours de sa carrire des situations extrmes o des vies seront en danger (et plus particulirement la sienne), et o il sera peut-tre amen devoir donner la mort. Cest dailleurs la raison pour laquelle il est habilit porter une arme et que linstitution qui lemploie la form dans cette logique. Paradoxalement, cet aspect est trs rarement abord, et lapproche du tir se cantonne souvent un simple geste technique dans des conditions aseptises, totalement dissoci de la ralit souvent tragique du combat*. Le professionnel arm perd ainsi totalement de vue le but ultime de cette instruction : Pouvoir tirer sur un tre humain ! Bien que linstruction force-contre-force permette effectivement de recrer de faon artificielle une exprience du combat et prpare de faon assez efficace loprateur presser la dtente sur son prochain, aucun entranement (aussi raliste soit-il) ne pourra jamais recrer ltat psychologique dans lequel tout individu sains desprit se trouve dans des situations aussi extrmes. Les probabilits de survivre un engagement arm ne reposent pas exclusivement sur les capacits techniques du tireur mais galement sur son tat psychologique au moment du combat. Il est par consquent primordial dassocier lapproche purement technique une prparation psychologique adapte au cours de laquelle notre professionnel pourra dune part comprendre les mcanismes psychophysiologique auxquels il va devoir faire face en situation de combat, et dautre part lui permettre daborder certains aspects de sa profession avec plus de lucidit et sans se voiler la face. Lorsque donner la mort est la seule option Tu ne tueras point est un des prceptes sur lequel est fond notre civilisation et sur lequel reposent les principes de vie en socit. Nanmoins force est de constater que certains individus nont aucun respect de la vie humaine. Contre de tels prdateurs et autres sociopathes, il ny a parfois aucune autre alternative que de faire usage de la force ltale pour protger des vies. Vue sous un angle thorique ce postulat semble assez simple, mais concrtement, le professionnel arm qui doit prendre une dcision aussi lourde de consquence doit non seulement ragir une situation extrme (il a rarement linitiative), prendre en compte le cadre lgale (est-il en tat de lgitime dfense ?), et faire abstraction des rpercussions pnales et administratives auxquelles il sera expos sil fait usage de son arme. Mais avant toute chose, rappelons quil devra lutter contre un principe profondment ancr dans son inconscient : il nest pas socialement acceptable de donner la mort ou mme de blesser un de ses semblables.

En effet, tout tre humain sain de corps et desprit ayant assimil les principes de vie en socit prouve une certaine rpugnance donner la mort. Cependant, le fait de choisir pour profession un des diffrents mtiers impliquant le port d'une arme feu (policier, gendarmes, militaire, agent SUGE, agent de protection rapproche, transporteur de fonds...) engage de lourdes responsabilits. Tout professionnel arm qui n'est pas prpar psychologiquement faire usage de son arme sur un tre humain et faire face la dramatique ralit des situations extrmes inhrentes sa profession reprsente un danger pour lui mme autant que pour ceux qu'il est sens protger. Il a mme t constat que certains individus se trouvant dans une telle situation prouvent une inhibition qui quivaut prfrer mourir plutt que de prendre une vie (mme si cet acte, aussi insoutenable soit-il, est lgitime). Bien quune telle raction soit de toute vidence trs singulire, elle ne peut en aucun cas tre envisage pour un professionnel arm sur lequel repose la vie d'autrui. Il faut par consquent se poser les bonnes questions en faisant preuve dune totale honntet intellectuelle.

Suis-je prt mettre ma vie en pril ? Suis-je prt donner la mort ? Surtout ne pas se voiler la face Nombreux sont ceux qui partent du principe quil ne se passera rien. Cette vision utopiste du problme nest pas compatible avec ce type de profession risque. Rappelons quen tant que professionnel arm vous pouvez avoir faire face de telles situations (a n'arrive pas qu'aux autres!). Mme si en effet les probabilits davoir faire usage de son arme sont relativement faibles, elles ne sont pas inexistantes, et les consquences sont souvent trop graves pour tre ngliges. Les faits divers dramatiques qui maillent trop souvent lactualit sont malheureusement l pour nous le rappeler. Le professionnel arm doit par consquent tre prt mentalement faire face aux situations les plus extrmes. Pour ne pas tre surpris au moment fatidique : Sattendre tout pour ne stonner de rien .

Dans la mme logique, certains ngligent le port de leur gilet pare-balles (souvent pour des raisons de confort) et partent du principe quil ne sest jamais rien pass jusqu prsent pourquoi en serait-il autrement aujourdhui ? . A linverse, dautres ont pris conscience que lenjeu est trop important pour tre pris la lgre, et se disent chaque prise de service "aujourd'hui, je peux me faire tirer dessus!". Ces derniers enfilent alors consciencieusement leur gilet pare-balles, mme lorsquil fait quarante degrs et quil ny a pas de climatisation dans leur vhicule de patrouille. Porteriez vous un gilet pare-balles si vous aviez la certitude absolue de vous faire tirer dessus ? Si la rponse et oui, partez toujours de cette hypothse et faites en un principe immuable. Noubliez pas que la vie na pas de prix ! Le processus de ngation (dni de la ralit) : Un des multiples mcanismes psychologiques de dfense dont ltre humain dispose consiste nier la ralit perue. Lorsque ce mcanisme est utilis par le sujet, celui-ci transforme (ou minimise) inconsciemment la signification des faits quil peroit pour se rassurer. Lexprience dmontre que certains professionnels arms, placs dans

des situations extrmes ragissent de manire inadapte, ou trop tard : Non, mon adversaire ne va pas faire usage de son arme . Cette ralit est trop insoutenable pour tre accepte et notre sujet nest pas prpar psychologiquement faire face ce type de situation. Lhsitation Souvent associ au processus de ngation, lhsitation est souvent la cause premire dune raction contre temps. Lchance est ainsi sans cesse repousse, et bien que le danger soit rel et imminent, et que lusage de la force ltale soit compltement justifie, le professionnel doute de la lgitimit de son geste et temporise son action. La prise dune dcision aussi grave ncessite en effet de pouvoir en assumer les consquences. Sans une prparation psychologique approprie, le sujet intgrera son processus dcisionnel une multitude de donnes parasites tels que la pression sociale, son bagage motionnel et culturel, la crainte de sanctions administratives ou pnales, etc. Et chose tonnante, ce phnomne dhsitation peut galement tre constat au cours de certains exercices force-contre-force o le stagiaire sait pourtant que ses actes ne portent pas consquence. Le but dune instruction moderne associ une prparation psychologique adapte aura pour but de permettre au professionnel arm danalyser la situation avec le plus de lucidit possible, et de pas perturber son processus dcisionnel avec des paramtres ne devant pas rentrer en ligne de compte lorsque de vies humaines sont en jeu. Quant la matrise de la situation nest quillusion Lors des phases dinstruction, il est frquent dentendre certains lves affirmer quils nauront jamais utiliser leur arme, quune attitude dtermine sera amplement suffisante pour matriser un adversaire arm. Dautres simaginent que le simple fait de voir un uniforme et dentendre des injonctions est suffisamment dissuasif pour que lusage des armes ne soit pas ncessaire. Cest en effet parfois le cas, nanmoins, il est illusoire de croire que ce principe est une vrit absolue. Cette vision nave du problme est principalement le fruit de la projection de leur propre ducation et de leurs propres valeurs (la crainte du policier , la notion de bien et de mal, le respect de lautorit) sur le comportement dun adversaire dont la logique nest pas forcment rgie par de tels principes. Dautre part, une aversion, (plus ou moins inconsciente), pour lemploi de la violence, contribue cette vision fausse de la ralit. Il est effectivement rassurant de penser pouvoir matriser la situation sans avoir faire usage de la violence. Il est malgr tout primordial dtre prpar psychologiquement faire face aux situations spcifiques o une telle matrise nous chappe. Volont et dtermination Bien que la capacit technique faire usage de son arme avec efficacit soit effectivement importante pour survivre une confrontation arme, il nen demeure pas moins quelle doit imprativement tre associe une dtermination sans faille Cette dtermination est en effet laspect le plus important pour survivre lengagement. Une arme feu est effectivement totalement inutile si elle nest pas associe un acte la fois volontaire et responsable. Le meilleur tireur du monde

quip du pistolet le plus prcis et le plus fiable ne survivra pas s'il n'est pas prt faire tout ce qui est en son pouvoir (y compris donner la mort) pour protger sa propre vie ou celle d'autrui. "L'arme ultime est l'esprit humain, tout le reste n'est qu'accessoire" John Steinbeck "Celui qui n'est pas psychologiquement prt faire usage de son arme au cours d'une confrontation arm devra faire face deux adversaires au moment du combat: il devra en effet se vaincre lui mme avant de pouvoir affronter son adversaire" La boucle OODA Le concept de la boucle OODA (Observation, Orientation, Dcision, Action) a t dvelopp par le colonel John Boyd de lUS Airforce. Cette thorie base sur son exprience en tant que pilote de chasse est intressante tudier car elle sapplique absolument toutes les situations de combat.

Celle-ci repose sur le postulat suivant : tous les protagonistes engags dans une confrontation suivent le mme processus dcisionnel. Ce processus se compose comme suit : une premire phase dobservation (de ladversaire et de lenvironnement) dont le but est de recueillir les informations ncessaires la phase suivante : lorientation qui permet de se positionner dans lespace, mais galement de se prparer psychologiquement. Vient alors la phase de prise de dcision, qui sappuie sur les informations recueillies au cours des phases prcdentes ; elle a pour objet de dterminer la conduite tenir. Puis vient laction, rsultat logique des trois phases prcdentes qui clos la boucle avant que cette dernire ne reparte pour un nouveau cycle.

Selon John Boyd ce processus dcisionnel peut fonctionner des vitesses variables. Par consquent lobjectif dun entranement efficace et dune prparation mentale adapte est de permettre loprateur de complter lintgralit de ce processus plus rapidement que son adversaire mais galement de perturber et de rallonger le cycle de ce dernier.

Remise zro du processus mental de ladversaire (LIDA Vs ALIDA) Une volution des principes de John Boyd telle quelle est enseigne par Daniel Wenker (Prsident de la Socit Genevoise de Tir Tactique), consiste dissocier le processus mental de lagresseur de celui du dfenseur. En effet, lagresseur lInitiative, alors que le dfenseur ne fait que ragir une agression extrieure, ce qui a pour rsultat deux processus dcisionnels distincts. Ainsi, le processus mental de lagresseur peut-tre synthtis de la manire suivante : Une premire phase de Localisation et dIdentification de sa cible (qui sapparente la phase dobservation de la boucle OODA). Lagresseur choisit sa victime. Il Dcide alors du mode opratoire et du moment o il va agir. Puis il Agit. Le dfenseur quant lui doit avant tout Analyser les multiples stimuli auquel il est expos au moment de lagression, il doit comprendre la situation pour ragir en consquence. Puis il doit son tour Localiser et Identifier son adversaire, Dcider des rponses apporter aux problmes formuls partir des informations recueillies au cours des deux phases prcdentes, puis enfin Agir de faon approprie. Nous avons donc dune part un agresseur qui est lorigine du conflit et dont le processus mental peut tre dcompos en trois phases et dautre part un dfenseur qui ragit un lment extrieur et dont le cycle dcisionnel comporte une tape supplmentaire. Vu sous cet angle, le combat ressemble un jeu de dupe o celui qui a linitiative ne peut pas perdre. Et de toute vidence, cest en effet souvent le cas ! Nanmoins, tout espoir nest pas perdu et un dfenseur qui est entran en consquence et qui a assimil ces principes peut les utiliser son avantage et ainsi influer sur le comportement de son adversaire. En effet, si lagresseur peroit sa cible et les menaces quil reprsente de manire incorrectes, ou comprend mal ce qui se produit dans l'environnement autour de lui, alors il orientera sa pense (et ses forces) dans de fausses directions et prendra finalement des dcisions inadaptes la situation. Il sera alors contraint recommencer tout son processus dcisionnel ab initio.

Degrs de prparation et anticipation (le code des couleurs de Jeff Cooper) Le seul moyen daugmenter les chances de survie face une confrontation arme est dtre prpar mentalement faire face au plus large panel de situations et de pouvoir anticiper toute action hostile de la part dun adversaire prsum. En effet, plus tt les diffrents paramtres dune situation donne sont perus et analyss, plus rapide sera le processus dcisionnel. Le Colonel Jeff Cooper, pre des techniques de tir de combat moderne, sest appuy sur ce principe pour dfinir diffrents degrs de conditions psychologiques (influant sur la perception de lenvironnement) quil a synthtiss sous la forme dun code de couleur. Dtendu, inattentif

Aucune perception de danger, lattention du sujet nest pas concentre sur son environnement (Je suis chez moi, je me relaxe devant la tlvision).

Dtendu mais attentif

Conscience de lenvironnement. Il ny a aucun danger pour le moment mais la situation peut voluer (je marche dans la rue, je fais donc attention au monde qui mentoure, aux passants, aux vhicules, etc

Attentif une menace suppose

Danger suppos, le sujet se concentre sur le comportement de ladversaire potentiel, de faon pouvoir anticiper toute action. Tous ses sens sont en alerte, (attitude adopter par exemple lors dun contrle didentit).

Menace avre

Situation de combat, le sujet adopte un comportement adapt et focalise son attention sur la menace.

A ce code de couleur, certains instructeurs ajoutent une cinquime situation : la condition noire. Condition particulire ou le sujet passe directement de la condition blanche une situation de combat, et agit de faon totalement inadapte ou contre temps, car son processus dcisionnel dmarre alors que le cycle de lagresseur est termin depuis bien longtemps. Il nest toutefois pas humainement possible de rester 24 heures sur 24 en condition Orange et encore moins en condition rouge, il faut par consquent savoir adopter le bon comportement face aux diverses situations. Lanticipation de toute action hostile permet de rduire le temps de raction de faon consquente, une partie du processus dcisionnel ayant dmarr avant mme le dbut de laffrontement. Idalement, lanticipation peut mme dans certains cas permettre dviter purement et simplement davoir combattre. Malheureusement, trop de professionnels arms tombent dans une routine et sous estiment le danger de certaines situations banales . Ils nadoptent par consquent pas toujours un degr dattention appropri, et payent parfois trs cher le prix de leur ngligence.

Limportance de la prparation mentale Lexprience dmontre que ltat psychologique dun individu est en rgle gnrale le paramtre les plus important pour survivre une confrontation arme. Il est donc illusoire de croire quune instruction reposant uniquement sur de simples gestes techniques (aussi parfaits soient-ils) sera suffisante pour faire face au chaos du combat. Avec un peu d'entranement nimporte qui peut arriver dgainer son arme et toucher en mouvement une cible se trouvant 7m en moins d'1,5 seconde...mais pensez-vous pouvoir arriver un tel rsultat alors que des vies sont en jeu (et en particulier la vtre), et que "le plomb vole" dans votre direction? La clef de la survie au combat est de pouvoir Sorganiser lintrieur pour rpondre un problme qui vient de lextrieur comme lexplique Julien Luquet spcialiste en techniques corps corps. Selon Charles Rembsberg auteur du livre The tactical Edge (Caliber Press), au cours dune confrontation arme, les chances de survie dun individu prpar sont bases 75% sur le mental, 15 % sur les comptences techniques (et en loccurrence sur sa capacit faire usage de son arme avec efficacit), 5 % sur sa condition physique et 5% sur le facteur chance. En outre, pour un individu non prpar, la tendance sinverse et ses chances de survie reposent alors 5% sur son mental, 15 % sur ses comptences techniques, 5 % sur sa condition physique et 75% sur le facteur chance. En conclusion : Certains individus dpensent des milliers deuros et sentranent pendant des heures dans le seul but de gagner une simple coupe ou une mdaille, enjeu drisoire compar la valeur dune vie humaine me direz vous. Il est par consquent assez paradoxal de constater que de nombreux professionnels arms ngligent cet aspect fondamental de leur profession et ne consacrent pas une part suffisante de leur temps sentraner pour tre en mesure de sauver leur propre vie ou celle dautrui. Ce constat de carence nest en rgle gnrale pas le fait dun manque de professionnalisme, mais plutt le rsultat dun conditionnement psychologique inappropri offrant tout simplement une vision fausse de la ralit. Une instruction moderne* du tir de combat doit par consquent tre imprativement associe une prparation mentale objective dont le but nest en aucun cas de produire des machines tuer , mais des professionnels responsables, dous de raison et ayant le sang-froid ncessaire pour faire face aux situations les plus extrmes. *Voir les articles Entrane toi comme tu combatscar tu combattras comme tu tes entran !! Pro scurit N41 et 42 Lauteur de cet article tient particulirement remercier les autres moniteurs de lAssociation Franaise de Tir Tactique et Madame Sandrine Terisse, psychologue au Ministre de lIntrieur, pour leur expertise, ainsi que Monsieur Pierre Vermeersch pour lclairage de sa lecture.