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LUC RENAUT Docteur EPHE, Paris PTOLÉMÉE PHILOPATOR ET LE STIGMATE DE DIONYSOS Les études sur Dionysos et son culte recèlent un petit dossier rarement compulsé par les hellénistes de l’époque classique, mais auquel les his- toriens de l’époque hellénistique et romaine font régulièrement allusion, celui du marquage corporel indélébile que certains mystes de Bacchus auraient eu l’heur de s’infliger. Ce dossier, unaniment reçu en l’état par ceux qui, de près ou de loin, s’en sont fait l’écho, sort tout droit d’une époque où les cultes non-indigènes de l’époque hellénistique et romaine se devaient d’apparaître sous des dehors suffisamment exotiques pour sonner le glas des vieilles modes, bouleverser le « sentiment religieux » et préfigurer la décomposition finale du paganisme traditionnel. À leur tour, les dévôts de Cybèle, d’Isis, de Mithra et de la « Déesse syrienne » de Hiérapolis — de même que certains chrétiens hétérodoxes, Carpocratiens et Montanistes — ont été crédités de marquages corporels dont l’exis- tence, pour assurée qu’elle soit aux yeux de beaucoup, montre cependant une faible résistance à l’examen . Les commentateurs modernes invoquent en faveur du marquage cultuel . Voir L. Renaut, Marquage corporel et signation religieuse dans l’Antiquité, Thèse de doctorat sous la dir. d’A. Le Boulluec, Paris : École Pratique des Hautes Études, décem- bre 2004, pp. 405-66. À l’heure où l’on me lit, une version remaniée de ma thèse devrait avoir paru dans la collection des monographies du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance (Collège de France/CNRS). 2. Entre autres P. Perdrizet, « Le fragment de Satyros sur les dèmes d’Alexandrie », Revue des Études Anciennes, 2, 90, pp. 234-247 ; F. J. Dölger, Sphragis. Eine altchris- tliche Taufbezeichnung in ihren Beziehungen zur profanen und religiösen Kultur des Altertums, Paderborn, 9, pp. 42-43 ; H. Jeanmaire, Le messianisme de Virgile, Paris, MÈTIS N. S. 4, 2006, pp. à 238

Ptolemee Philopator Et Le Stigmate de Dionysos

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  • Luc RenautDocteur EPHE, Paris

    Ptolme PhiloPatoret le stigmate de dionysos

    les tudes sur dionysos et son culte reclent un petit dossier rarement compuls par les hellnistes de lpoque classique, mais auquel les his-toriens de lpoque hellnistique et romaine font rgulirement allusion, celui du marquage corporel indlbile que certains mystes de Bacchus auraient eu lheur de sinfliger. Ce dossier, unaniment reu en ltat par ceux qui, de prs ou de loin, sen sont fait lcho, sort tout droit dune poque o les cultes non-indignes de lpoque hellnistique et romaine se devaient dapparatre sous des dehors suffisamment exotiques pour sonner le glas des vieilles modes, bouleverser le sentiment religieux et prfigurer la dcomposition finale du paganisme traditionnel. leur tour, les dvts de Cyble, dIsis, de Mithra et de la Desse syrienne de Hirapolis de mme que certains chrtiens htrodoxes, Carpocratiens et montanistes ont t crdits de marquages corporels dont lexis-tence, pour assure quelle soit aux yeux de beaucoup, montre cependant une faible rsistance lexamen.

    les commentateurs modernes invoquent en faveur du marquage cultuel . Voir L. Renaut, Marquage corporel et signation religieuse dans lAntiquit, thse de

    doctorat sous la dir. dA. Le Boulluec, Paris : cole Pratique des hautes tudes, dcem-bre 2004, pp. 405-66. lheure o lon me lit, une version remanie de ma thse devrait avoir paru dans la collection des monographies du Centre dHistoire et Civilisation de Byzance (Collge de France/CNRS).

    2. Entre autres P. Perdrizet, le fragment de satyros sur les dmes dalexandrie , Revue des tudes Anciennes, 2, 90, pp. 234-247 ; F. J. Dlger, Sphragis. Eine altchristliche Taufbezeichnung in ihren Beziehungen zur profanen und religisen Kultur des Altertums, Paderborn, 9, pp. 42-43 ; H. Jeanmaire, Le messianisme de Virgile, Paris,

    mtis n. S. 4, 2006, pp. 238

  • bachique quatre sources anciennes que R. Turcan vient encore rcemment de runir dans ce sens3. Les trois premires concernent Ptolme IV Phi-lopator (22-205) dont lhistoriographie a voulu faire le grand promoteur de la cautrisation et/ou du tatouage dionysiaque la feuille de lierre. Le dernier document invoqu une pitaphe latine de doxato (macdoine, iiie s. apr. J.-C.) mentionne des Bromio signatae mystides. La critique des diffrentes pices du dossier, qui restait faire, montrera si lexistence de mystes marqu(e) s par Bromius est avre.

    1. 3 maccabes et Le DcRet vengeuR De PhiLoPatoRle Troisime livre des Maccabes (3M) attribue Ptolme IV Philo-

    pator (22-205) un dcret ordonnant entre autres dinfliger aux Juifs une cautrisation la feuille de lierre (3M 2, 29). Cette fiction prtention historique pose des problmes de tous ordres : sources, composition, mobile(s), auteur(s), datation, etc. Je reviendrai dans mon analyse sur certaines de ces questions. Cette matire sera plus amplement traite par Joseph Mlze-Modrzejewski, qui sapprte faire paratre une traduction commente de 3M5. Je tiens le remercier pour ses nombreuses remar-ques et pour la discussion que nous avons engage ensemble.

    930, p. 42 ; H. Lillebjrn, ber religise Signierung in der Antike mit besonderer Bercksichtigung der Kreuzsignierung, Uppsala, 933, p. 90 ; J. tondriau, tatouage, lierre et syncrtismes , Aegyptus, rivista italiana di Egittologia e di Papirologia, 30, 950, pp. 57-66 ; H. Jeanmaire, Dionysos. Histoire du culte de Bacchus, Paris, 95, p. 45 ; G. W. H. Lampe, The Seal of the Spirit, Londres/New York/Toronto, 95, p. 0 ; C. P. Jones, Stigma : tattooing and Branding in graeco-roman antiquity , The Journal of Roman Studies, 77, 987, p. 52 ; W. Burkert, Les cultes mystres dans lAntiquit (987), trad. fr., Paris, 2003, p. 02 et n. 9 (p. 54) ; R. turcan, Les cultes orientaux dans le monde romain, e d., Paris, 992, p. 297.

    3. R. turcan, Liturgies de linitiation bacchique lpoque romaine (Liber). Documentation littraire, inscrite et figure (mmoires de lacadmie des inscriptions et Belles-Lettres, 27), Paris, 2003, pp. 8-9.

    4. d. R. hanhart, Maccabaeorum liber III (Septuaginta IX, fasc. 3), Gttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 980, pp. 4-70. 3M ne parle pas de la famille de Judas maccabe, mais, avec m trait philosophique illustr dexempla, Antioche (?), ier s. de notre re , il constitue la contrepartie diasporique des chroniques asmonennes m et 2M (J. Mlze-Modrzejewski, La diaspora face aux tyrans paens : Maccabes 3 et 4 dans la septante , Le Monde de la Bible, 68, nov.-dc. 2005, pp. 37-40).

    5. J. Mlze-Modrzejewski, Le Troisime Livre des Maccabes , dans La Bible. crits intertestamentaires, 2, dir. A. caquot et M. Philonenko (Bibliothque de La Pliade), Paris, Gallimard, et dans la collection de La Bible dAlexandrie, Paris, Cerf (en prparation).

    LUC RENAUT

  • a) Mise en contextePtolme Philopator, accompagn de sa sur arsino, marche avec

    son arme sur la ville de Raphia afin de reprendre les positions prises par Antiochos III (224-87) en Coel-Syrie (3M , )6. Lun de ses gnraux, thodotos7 qui agit secrtement pour le compte de ladversaire tente dassassiner Philopator, mais lentreprise est djoue par un certain Dosi-thos8, fidle de Philopator, que 3M dcrit comme un Juif de naissance qui, par la suite, changea de coutumes et scarta des doctrines de ses pres (, 3). Grce aux encouragements que sa sur Arsino prodigue aux soldats, Philopator remporte la bataille de Raphia (37 av. J.-C.) et fait de nombreux prisonniers (, 4-5). Il visite les cits voisines et fait des donations aux temples (, 7). Une dlgation juive compose de membres du Conseil et danciens vient la rencontre du souverain le fliciter pour ses hauts faits, lui offrir de nombreux prsents et linviter Jrusalem (, 8). Arriv auprs du lieu saint ( ), Philopator offre des sacrifices daction de grce au Dieu trs haut , smerveille de la beaut du temple et projette dentrer dans le sanctuaire ( ) (, 9-0). Il se heurte la rsistance des Juifs qui se rassemblent et demandent Dieu dempcher la profanation. Le grand prtre prononce une longue prire (2, -20), laquelle Dieu rpond en provoquant la paralysie instan-tane du souverain (2, 22)0. Ptolme Philopator se relve finalement de

    6. La bataille de Raphia, remporte par Philopator le 22 juin 27 av. J.-C. (Polybe, Histoires, V, 79-86).

    7. Gouverneur lagide de la Coel-Syrie (Polybe, V, 40, -3), il tait pass dans le camp dantiochos iii et avait effectivement tent dassassiner Philopator (Id., V, 8, -7).

    8. 3M se rfre trs probablement Dosithos fils de Drimylos, mentionn dans les papyrus du iiie sicle av. J.-C., qui occupait des fonctions importantes la cour de Ptolme iii vergte (246-22) et de Ptolme IV. Lanecdote prte ce personnage par 3M rappelle celle du Livre dEsther o Mardoche, un Juif portier au palais du roi perse Assurus, djoue un complot ourdi contre le souverain par deux eunuques de ses collgues (Est 2, 2-23 ; Est grec m).

    9. Chez Polybe (Histoires, V, 83, 3) ce sont Ptolme, Arsino, Andromaque et Sosibios qui encouragent conjointement les soldats.

    0. On relve ici un parallle avec 2M o Hliodore, envoy par Sleucos IV rquisi-tionner les richesses du Temple, tombe terre, sans connaissance, aprs que les Juifs ont suppli leur dieu dcarter lopprobre (2M 3, 3-30). Selon certains, ce parallle nim-pliquerait cependant pas que 3M fasse ici le dcalque de 2M (S. R. Johnson, Historical Fictions and Hellenistic Jewish Identity : Third Maccabees in its Cultural Context, Berkeley, University of California Press, 2004, p. 5, n. 27). Dautres canevas lgendaires proches ont en effet t reprs au Proche-orient, et lun dentre eux remonte lpo-que no-babylonienne (N. Stokholm, Zur berlieferung von Heliodor, Kuturnahhunte

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  • son chtiment. Revenu en gypte, il nourrit dsormais lgard des Juifs un vif ressentiment quentretiendront ses compres buveurs () et compagnons loigns de toute justice (3M 2, 25). Il rpand des calom-nies sur le compte des Juifs et affiche une ordonnance vengeresse :

    3M 2, 27 28 , , , 29 , . 30 , , .

    3M 2, 27 Il prescrivit de publier un blme contre la nation [juive] ; rigeant une stle sur la tour prs du palais il grava le texte [suivant] : 28 Ceux qui noffrent pas de sacrifices nauront pas le droit dentrer dans leurs temples ; tous les Juifs seront amens au recensement populaire () et la condition servile ; les opposants seront soumis aux tortures jusqu ce que mort sensuive. Ceux que lon aura recenss seront marqus au feu sur le corps dune feuille de lierre, lemblme de Dionysos, et assigns lautorit absolue () qui tait auparavant limite. 30 Afin de ne pas paratre odieux tous, (Philopator) ajouta : Si certains dentre eux choisissent de se rallier ceux qui ont t initis aux mystres, ceuxl seront citoyens au mme titre que les Alexandrins.notes de traduction2, 28 On sest tonn de voir les synagogues dsignes par , alors que 3M 7, 20 appelle la synagogue de Ptolmas . Mais il peut sagir dune incorrection volontairement mise dans la bouche de Philopator : ce dernier ne distin-gue pas entre synagogues et sanctuaires paens. On peut comprendre cette directive de deux manires : a) Les cultes juifs sont soumis aux mmes exigences que les cultes paens : sacrifier pour le salut de la dynastie. videmment, pour la diaspora orthodoxe, cette directive est irralisable, car le temple de Jrusalem est seul habilit recevoir des sacrifices. b) On peut aussi lire comme une priphrase dsignant

    und anderen missglckten Tempelrubern , Studia Theologica : Scandinavian Journal of Theology, 22, 968, pp. -28).

    . Le palais (, comme chez Polybe) occupait une large zone ct du quar-tier juif, au Nord-Est dAlexandrie. Les que dcrit Strabon (Gographie, XVII, ch. , 8-9) comptaient plusieurs rsidences royales, des ports privs, le complexe du Muse avec la bibliothque, des temples et des espaces de rception. Voir P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria, , Oxford, 972, pp. 22-23 et notes affrentes ; K. Ahmed, Les monuments civils dAlexandrie lpoque grcoromaine, Thse de doctorat sous la dir. de J.-Y. Empereur, Lyon, Universit Lumire Lyon II, 2003, 2e partie, ch. 7.

    LUC RENAUT

  • les Juifs (et donc rejeter ventuellement le de la suite comme une glose). Dans ce cas, Philopator interdit purement et simplement la religion juive.

    2, 29 La plupart de mes prdcesseurs voient dans (hapax) un statut auparavant restreint auquel les Juifs seraient rtrograds. Aryeh Kasher imagine ainsi Philopator revenant sur laffranchissement que Ptolme II Philadephe aurait promulgu au bnfice des Juifs ramens captifs de Palestine en 30 (cf. Lettre dAriste 3, 22 ; 4, 37). Mais = statut nest attest nulle part. Je propose de revenir lacception courante d (autorit absolue, domination implacable et coercitive exerce par les souverains et les dieux sur leurs sujets)3. Les Juifs perdent le bnfice de leur statut antrieur : compts au rang des indignes, pas-sibles de la peine de mort et marqus comme les captifs personnels du souverain (voir infra), ils sont dsormais exposs larbitraire dune sans bornes.

    Hormis quelques tratres qui cherchent collaborer avec le roi, les Juifs dans leur ensemble tentent dchapper au recensement par la corruption. Philopator en prend ombrage et entend appliquer les mesures de rtorsion prvues en 2, 28 contre les opposants. Il dcide donc de rassembler tous les Juifs dgypte, ceux dAlexandrie et de la chra, et de les mettre mort (3, ). Avant que cette seconde dcision ne soit applique, le narrateur insre une longue lettre que Ptolme adresse ses stratges et ses soldats, dans laquelle le souverain rappelle ce qui sest rellement pass selon lui depuis lincident du Temple. Jrusalem, les Juifs auraient empch Philopator de dposer des offrandes au Temple. Le souverain lagide, revenu victorieux de Coel-Syrie, naurait pas tenu compte de leur sottise (3, 20 ). En effet, pour rcompenser les Juifs de leur soutien militaire, il aurait mme dcid de les juger dignes de la citoyennet alexandrine et de les tablir comme dtenteurs de pr-trises perptuelles (3, 2 - ). Les Juifs auraient rejet linestimable citoyennet (3, 23 )

    2. A. Kasher, The Civic Status of the Jews in Ptolemaic Egypt , Ethnicity in Hellenistic Egypt, Aarhus University, 992, pp. 0-02.

    3. Notons qu est demploi plutt tardif. Voir Pseudo-hippolyte, Rfutation, VII, 28, 2 et 33, 2 (chez les gnostiques, = souverainet suprme exerce sur le cosmos) ; trait hermtique Poimandrs, , 2 ( Je suis Poimandrs, ). Quand dsigne lautorit suprme, Jean Chrysostome la qualifie par-fois de royale (PG 49, 323 ; PG 54, 754) ou de despotique (PG 48, 788, 800, 804 ; PG 50, 643). = potere assoluto, autorit galement chez A. Passoni dellacqua, Il terzo libro dei Maccabei. Introduzione, traduzione, note e bibliografia , Apocrifi dellAntico Testamento, 3, dir. P. Sacchi, Brescia, 2000, pp. 57-664. Anna Passoni DellAcqua y voit le dcret lui-mme, et traduit par la suddetta ordinanza .

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  • et tenu dans le plus grand mpris ceux dentre eux qui staient mon-trs les mieux disposs envers le souverain. Maintenant, craignant que les Juifs hostiles, tels des tratres ou des barbares (3, 24 ), engendrent des troubles, Ptolme ordonne ses stratges de les lui amener de tout le pays, avec femmes et enfants, entirement enchans, soumis aux outrages et aux svices ( ), pour tre excuts. Le narrateur reprend la parole et brosse un tableau pathtique de la dportation (4, 3-8).

    Aprs avoir embarqu sur un bateau et remont le Nil, les Juifs sont dbarqus sur les quais de Schedia ( quelques kilomtres dAlexandrie), puis parqus dans lhippodrome situ lextrieur de la ville. Lorsque Ptolme apprend que des Juifs dAlexandrie viennent secrtement se la-menter sur le sort de leurs compatriotes, il ordonne un recensement gn-ral aux vises plus funestes encore que le prcdent. Cette fois, tous les Juifs devront tre torturs puis excuts :

    3M 4, 4 , , .

    Que toute la race [des Juifs] soit recense nominativement, non pour le service acca-blant de travaux brivement notifi auparavant, mais pour que la mort les anantisse en lespace dune journe, aprs quon les aura soumis aux tortures prescrites.

    Les Juifs sont si nombreux quaprs quarante jours de labeur les scri-bes de Philopator ne sont toujours pas parvenus achever leur enregis-trement ( ). Le souverain dcide den finir : il ordonne que des lphants enivrs avec de larges poignes dencens et beaucoup de vin pur (5, 2) soient lchs sur les captifs. deux reprises, le roi est plong dans le sommeil et loubli, et ne parvient pas finaliser son projet. Au troisime jour cependant, Philopator, plus rsolu que jamais, jure que les lphants feront cette fois passer les Juifs de vie trpas. Il promet mme daller ensuite dvaster la Jude et dtruire le temple de Jrusalem. mais, au dernier moment, les prires du prtre lazar sont exauces : une glorieuse piphanie divine (6, 8) dtourne les btes sur les soldats. Philopator, effray, puis pris de piti et de remords, prononce un discours de repentir (6, 24-28), et se fait le mcne dune fte de dlivrance o les Juifs dansent et chantent des psaumes de louange (6, 30-33, 35). Les Juifs tablissent une coutume gnrale (6, 36 ) pour que, tant que durera leur sjour () en terre dgypte, les gn-rations venir clbrent la mmoire de cette dlivrance survenue . Les Juifs demandent Philopator lautorisation dexcuter les

    LUC RENAUT26

  • rengats (7, 4-6 : trois cents dentre eux sont mis mort), et ceux de la chra obtiennent du souverain une lettre dordres protgeant leur retour. Un cortge radieux quitte Alexandrie pour gagner le port de Ptolmas (dans le nome Arsinote) o une flotte a t mise la disposition des Juifs. Nouveau banquet de libration ( ). On convient de consacrer sur une stle la mmoire de ces jours de rjouissance, et de poser les fondations dune synagogue (7, 20 ). Chacun rentre chez soi qui par terre, qui par mer, qui par fleuve 5 aprs avoir rcupr ses biens (7, 22 , daprs linventaire de saisie). louvrage sachve par une formule de louange adresse au grand dieu librateur dIsral (7, 23).

    b) Analyse quelle poque 3M a-t-il t compos ? Les datations proposes sche-

    lonnent du premier sicle avant au premier sicle aprs. Un terminus post quem semble acquis pour ltat actuel du texte : certaines particularits en rendraient la fixation impossible avant lan 00 av. J.-C.6. Les rapports de 3M avec dautres crits judo-grecs (2M, Esther grec, Lettre dAriste) invitent galement reculer la rdaction dau moins un sicle par rapport

    4. Bien attest dans les papyrus ds le iiie sicle, ce village tait appel , Ptolmas du Port (auj. El-Lahun). Ptolmas donnait accs au rseau fluvial du Fayoum depuis le Bahr Youssef. On y faisait transiter dimportants tonnages de bl fiscal destination dAlexandrie. Labsence dadministration portuaire spcifique laisse penser que ce trafic tait directement contrl depuis la capitale. Le lieu tait donc stra-tgique : au iiie sicle av. J.-C., une rsidence servait au roi et ses fonctionnaires lors de leurs dplacements. Voir D. Bonneau, Ptolmas Hormou dans la documentation papy-rologique , Chronique dgypte, 54, 979, pp. 30-326. Les Juifs dont nous parle 3M sapprtent donc rejoindre diffrentes localits du Fayoum, une rgion o leur prsence est atteste ds le iiie sicle av. J.-C. (voir aussi note suivante).

    5. 7, 20 . La mer nest autre que le Lac Mris dans le Fayoum, comme la bien montr I. abrahams, [art. cit. n. 8], pp. 50-52.

    6. Ltude stylistique et lexicale de 3M reste faire. On se rfre habituellement E. J. Bickerman, Makkaberbcher (III.) , RealEnc. 27, 928, col. 798 et la manire dont ce dernier apprcie les formules liminaires des lettres attribues Philopator en 3M 3, 2 et 3M 7, : [] . Lexpression nest effectivement connue que par une ordonnance de 99 av. J.-C. (M.-T. Lenger, Corpus des ordonnances des Ptolmes, Bruxelles, 964 [= C. Ord. Ptol.] n 63, ailleurs seul ou seul). En revanche, les pithtes divines (du type , , , etc.) sont attestes ds 40 av. J.-C. (C. Ord. Ptol. 47 puis 5-52), et peut-tre mme ds le rgne de Ptolme IV (C. Ord. Ptol. 82 o les seraient Ptolme IV et Arsino).

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  • au rgne de Philopator7. On saccorde enfin sur un terminus ante quem 70 apr. J.-C. (destruction du Temple).

    la valeur historique des diffrents pisodes mis en scne par lauteur a t trs diversement apprcie. Le cadre gnral des vnements (Philopator, Arsino, Antiochos III et la bataille de Raphia), en grande partie corrobor par Polybe, ne pose pas rellement de problme. Il nen va pas de mme de la situation conflictuelle dcrite par 3M. Certains y voient lcho de mesures prises par Philopator (A)8. Dautres pensent que 3M illustre une crise survenue au lendemain de lannexion romaine, dans les annes vingt av. J.-C. (B), ou une soixantaine dannes plus tard, sous le rgne de Gaius Caligula (C). Dautres encore militent pour une rdaction en plusieurs temps acheve lpoque romaine et faisant la fois rfrence a et B0. Dernirement, Sara R. Johnson a propos de dater ce texte autour de lan 00 av. notre re.

    lun des points frquemment discuts concerne lpisode des lphants enivrs, dont une variante se lit dans le Contre Apion. F. Josphe nous

    7. Pour 2M, voir supra n. 0. Dans sa prire (3M 6, 6), lazar voque les trois Hbreux sauvs de la fournaise par le Seigneur instillant de la rose (), un dtail qui trahit lutilisation de la version grecque de Daniel 3, 50 ( ). Les parallles avec Esther sont nombreux : scnario gnral, lettres et dcrets du roi, etc. Sur Ariste, voir M. hadas, aristeas and iii maccabees , The Harvard Theological Review, 42, 949, pp. 75-84. Contrairement ce quaffirme M. Hadas, Ariste et 3M militent tous deux pour une pacification des rapports avec le pouvoir.

    8. I. abrahams, The Third Book of the Maccabees , The Jewish Quarterly Review, 9, , 896, pp. 39-58 et 75-76 ; S. L. Wallace, Census and Poll-Tax in Ptolemaic egypt , The American Journal of Philology, 59, 938, pp. 48-442 ; A. Kasher, The Jews in Hellenistic and Roman Egypt. The Struggle for Equal Rights (texte und studien zum Antiken Judentum, 7), Tbingen, 985 ; Id., 992 [op. cit. n. 2] ; J. Mlze-Modrzejewski, Les Juifs dgypte. De Ramss II Hadrien, Paris, Errance, 99, pp. 7-25 ; Id., 2005 [art. cit. n. 4].

    9. H. Willrich, Der historische Kern des III. Makkaberbuches , Hermes, 39, 904, pp. 244-258 ; J. J. Collins, Between Athens and Jerusalem : Jewish Identity in the Hellenistic Diaspora, Grand Rapids (Michigan), W. B. Eerdmans, 2000, pp. 2-3. La crise du premier sicle est reconstitue en dtail par K. Blouin, Le conflit judo-alexandrin de 3841. Lidentit juive lpreuve, Paris, LHarmattan, 2005.

    20. F. Parente, The Third Book of Maccabees as Ideological Document and Historical source , Henoch, 0, 988, pp. 43-82 ; J. tromp, The Formation of the Third Book of maccabees , Henoch, 7, 995, pp. 3-328.

    2. S. R. Johnson, Historical Fictions and Hellenistic Jewish Identity : Third Maccabees in its Cultural Context, Berkeley, University of California Press, 2004, pp. 29-43. Tous ses arguments ne sont cependant pas dgale valeur.

    22. Flavius Josphe, Contre Apion, II, 53-55.

    LUC RENAUT28

  • ramne au rgne de Ptolme VIII Physcon (c. 45-6) et prcise que lanniversaire de ce jour de dlivrance tait toujours ft par les Juifs dalexandrie au ier sicle de notre re. Qui transmet la bonne version ? F. Josphe ou 3M ? Aucune rponse satisfaisante ne semble pouvoir tre apporte cette question. En effet, les deux variantes dont nous disposons dpendent probablement dun archtype commun (une lgende-cadre tiologique expliquant lorigine dune fte de dlivrance) dont la recons-titution ne peut tre quhasardeuse. Ce cas de figure, on la vu, a gale-ment t envisag pour lpisode de la visite de Philopator au temple de Jrusalem23.

    Autre dossier sensible, celui de la (3M 2, 28), littralement enregistrement du peuple . la suite de Victor Tcherikover, beaucoup ont reconnu dans ce terme limpt par tte (tributum capitis) introduit en gypte peu aprs 30 av. notre re, auquel taient astreints tous les hommes gs de 4 62 (ou 65) ans, lexception des citoyens. Lactualisation des registres fiscaux impliquait de recenser le peuple assujetti limpt tous les quatorze ans au moins25. Les Juifs, soudainement ravals au rang des indignes par les autorits romaines, se seraient vu imposer les mmes charges que les gyptiens de souche, et 3M exprimerait leur amertume.

    Le terme , qui dsigne bien le tributum capitis ds les annes vingt av. J.-C. (ostraca de Thbes26), nest cependant pas inconnu de ladministration des derniers lagides : trois papyrus de tebtunis27 (pre-mire moiti du ier sicle av. J.-C.) utilisent au sens propre, pour dsigner une liste de personnes assujetties la , une taxe dont la nature prcise reste encore mal dfinie. Dominic Rathbone propose de voir dans la de Tebtunis un impt annuel, impt dont le montant semble avoir t environ huit dix fois moindre que celui de la romaine28. Je retiens de son tude trois ides importantes :

    23. Voir supra, n. 0.24. V. tcherikover, The Third Book of the Maccabees as a Historical Source of

    augustus time , Scripta Hierosolymitana, 7, 96, pp. -26 (prcdemment paru en hbreu dans la revue Zion, 0, 944, pp. -20).

    25. Sur cette question, voir lexcellente tude de D. Rathbone, egypt, augustus and roman taxation , Cahiers G. Glotz, 4, 993, pp. 8-2.

    26. O. Bodl. II 407 (23 av. J.-C.), ; O. Stras. 38 (22/2 av.), 2-3 ; O. Ashm. Shelton 6 (2/20 av.), 3-4.

    27. P. Tebt. 03, -2 ; P. Tebt. 2 r, iv, 60-6 ; P. Tebt. 89 r, -2.28. Je me base sur les donnes fournies par D. Rathbone [art. cit. n. 25], p. 87 et 9.

    La , qui peut dsigner ailleurs dautres types de charges, nest donc pas ici une taxe occasionnelle , comme le prtend S. R. Johnson [op. cit. n. 2], p. 35 la suite de

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos

  • a) les impts directs perus annuellement par les Ptolmes (comme la ou la taxe sur le sel) reprsentaient une charge beaucoup plus lgre que le tributum capitis ; b) aucun dentre eux ntait dsign par le terme ; c) en revanche, un enregistrement annuel des popula-tions, appel (cf. papyrus de Tebtunis) tait apparemment en vigueur lpoque ptolmaque. Cette , qui constituait lun des outils de contrle de ladministration fiscale des Lagides, semble avoir facilit la tche des gestionnaires romains chargs dintroduire le tributum capitis. Il leur a en effet suffi, comme limagine judicieusement D. Rath-bone, dadapter cet ancien systme leurs besoins propres, do le terme appliqu au nouvel impt.

    En somme, si en 3M 2, 28 dsignait explicitement un impt, comme sur les papyrus de tebtunis, il serait lgitime dy voir une rfrence (volontaire ou non) au nouveau systme romain de capitation. Est-ce vraiment le cas ? En 2, 28, et surtout en 4, 4 (cit supra), le recen-sement est associ la condition servile et un service accablant de travaux . Il sagirait selon V. Tcherikover30 dune allusion au statut dgradant quimpliquait lassujettissement au tributum capitis. Si lon relit lensemble du dcret attribu Philopator, on constate cependant que les mesures prises lencontre des Juifs excdent de beaucoup une simple rtrogradation au statut de contribuables ordinaires. Jen veux pour preuve le , dcrt en 3M 2, 29, qui renvoie au marquage des esclaves rcalcitrants ou celui des prisonniers de guerre. arrtons-nous quelques instants sur cette singularit, avant de revenir sur le problme de la datation en conclusion.

    Lidentification des tres humains sest rarement faite au moyen du fer rouge3. Pour reproduire un signe, un symbole et surtout des caractres dcriture, le tatouage, plus net et plus prcis, lemporte sur la caut-risation (ou ferrade). Ramss III sen sert pour marquer en son nom les captifs quil transforme en esclaves32. lpoque no-babylonienne,

    V. tcherikover, 96 [art. cit. n. 24], p. 2.29. D. Rathbone [art. cit. n. 25], p. 96.30. V. tcherikover, 96 [art. cit. n. 24], p. 3 : This poll-taw was a mark of degrada-

    tion and enslavement .3. Voir ce sujet C. P. Jones, Stigma : tattooing and Branding in graeco-roman

    antiquity , The Journal of Roman Studies, 77, 987, p. 39-55, qui a t le premier combattre cette ide reue.

    32. Comparer P. Harris I, 77, 5-6 et la scne de marquage sculpte en bas-relief lextrieur du temple de Mdnet Habou (panneau XV, voir The Epigraphic Survey of the

    LUC RENAUT0

  • les serviteurs donns ou promis au temple dUruk sont tatous sur la main par leur matre au nom et au symbole du temple (ltoile dItar)33. des indices sur le tatouage servile pourraient mme se trouver dans des documents remontant lpoque palo-babylonienne (xviiie xviie s.)34. Les Juifs dlphantine (ve s.) et de Samarie (ive s.) connaissaient galement le procd. On ne tatouait gnralement que les esclaves risque , susceptibles de senfuir ou dtre dtourns35, do lide de coercition frquemment associe au marquage servile : le tatou, le , est un esclave de mauvaise rputation que les comiques se plaisent mettre en scne36. La stigmatisation pnale, lorsquelle nimpliquait pas la reproduction dune inscription proprement dite37, pouvait aussi bien se faire au fer rouge, comme le prvoit un projet de code pnal destin aux himyarites : aprs les avoir marqus au front de quelque signe ou sceau, avec un fer rougi au feu ( - ), relchez-les en les livrant au public dans cet tat, dvtus 38. Cest lalternative choisie par 3M. Pour imprimer une simple feuille de lierre, nul besoin daiguilles ou de lancettes : la ferrade est plus rapide et plus facile mettre en uvre.

    Great Temple of Medinet Habu, vol. , Chicago, 930, pl. 42). Avec Bernadette Menu, je pense que la scne de mdnet habou reprsente lapplication dun tatouage, plutt quun marquage au fer rouge (B. Menu, Captifs de guerre et dpendance rurale dans lgypte du nouvel empire , La dpendance rurale dans lAntiquit gyptienne et procheorientale, Le Caire, 2004, p. 99).

    33. D. arnaud, Un document juridique concernant les oblats , Revue dAssyriologie et dArchologie Orientale, 67, 973, pp. 47-56.

    34. L. Renaut [op. cit. n. ], pp. 336-343.35. Pour lpoque romaine, voir Y. Rivire, Le cachot et les fers. Dtention et coercition

    Rome, Paris, 2004, pp. 279-308, largement prfrable W. M. gustafson, Inscripta in fronte : Penal tattooing in late antiquity , Classical Antiquity (California Studies in Classical Antiquity), 6, 997, pp. 79-05.

    36. aristophane, Les Oiseaux, 760-76 (le fugitif tatou, ) ; Lysistrata, 330-33 (les deux classes de la domesticit athnienne : servantes et ) ; Diphile apr. athne, Deipnosophistes, VI, 225 a-b (un tente de dissimuler son tatouage derrire ses cheveux) ; le clbre Mime V dhrondas (en part. 27-28, 65-67, 77-79) ; toujours en gypte, au iiie s. av. J.-C., comme mesure pnale contre un esclave : quil le fouette dau moins cent coups et le tatoue au front ( [] ) (P. Lille , ii, 33-36).

    37. Voir thophane, Chronographie, anno mundi 6285 : en 79, Constantin VI crivit en puncture noire sur le visage ( ) [des rebelles dAsie Mineure] : tratre de lArmniakon , et les dispersa en Sicile et dans dautres les .

    38. grgence, Les lois Himyarites, 5 (PG 86, , 583B-C).

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos

  • Contrairement ce que certains ont pu penser39, le marquage la feuille de lierre ne saurait tre considr comme un pr-requis linitiation dio-nysiaque propose en 3M 2, 30. Si tel avait t le cas, cette mesure aurait seulement t applique aux Juifs acceptant de participer au culte officiel (3M 2, 30). En tant quemblme de Dionysos, la feuille de lierre renvoie surtout la personne mme du roi : Ptolme IV tait appel Dionysos ( ) , nous assure Clment dAlexandrie0. Lhistorien hellnistique Satyros reproduit de son ct une gnalogie en grande partie mythique faisant remonter la dynastie lagide jusqu Dionysos, partir de Ptolme IV. Ce dernier ne fut videmment ni le premier ni le dernier souverain lagide avoir re-crut dionysos dans son service de communication. Une cinquantaine dannes avant Philopator, Ptolme Philadelphe fit dfiler une grandiose procession dionysiaque dans le stade dAlexandrie. Le lierre, qui est bien lemblme de Dionysos (3M 2, 29), constituait le motif principal des ornements exhibs par ceux qui marchaient sous les couleurs du dieu43.

    En signalant lappartenance Dionysos, la marque au fer rouge de 3M 2, 29 renvoie sans ambigut au souverain lagide lui-mme, auquel les Juifs sont dsormais soumis, tels des captifs pris sur lennemi. Les Juifs de la chra que Philopator projette finalement de dporter en masse sont dailleurs consi-drs comme des sditieux, des ennemis tratres et barbares (3, 24). En somme, 3M met en scne un Ptolme qui, comme Xerxs avant lui, marque

    39. Dernirement P. S. alexander, 3 Maccabees , Eerdmans Commentary on the Bible, d. J. D. G. Dunn et J. W. Rogerson, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 2003, p. 870 ( that brand was surely meant as a sign of acceptance of the cult ) et N. hacham, 3 Maccabees : An Anti-Dionysian Polemic , Ancient Fiction : The Matrix of Early Christian and Jewish Narrative, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2005, pp. 67-83, en part. p. 72. Cet essai, qui fait la part belle aux conjectures les plus improbables, ne convainc pas.

    40. Clment dAlexandrie, Protreptique, 54.4. Fragment transmis conjointement par Thophile dAntioche (iie s. apr. J.-C.,

    Autolycus, II, 7) et P. Oxy. 2465 (iie sicle apr. J.-C., The Oxyrhunchus Papyri, XXVII, 962).

    42. Voir F. Dunand, Les associations dionysiaques au service du pouvoir lagide (iiie s. av. J.-C.) , LAssociation dionysiaque dans les socits anciennes, Rome, 986, pp. 85-03.

    43. Callixne de Rhodes, apr. Athne, Deipnosophistes, V, 97e-99a (voir P. Goukowsky, Ftes et fastes des Lagides , Alexandrie au IIIe sicle av. J.C. Tous les savoirs du monde ou le rve duniversalit des Ptolmes, dir. de C. Jacob et F. de Polignac, Paris, Autrement, 992, pp. 52-65).

    LUC RENAUT

  • ceux qui lui ont rsist de . Il est intressant de noter qu lpoque ramesside le marquage des captifs allait de pair avec un enregistrement des personnes45. 3M 2, 30 runit lui aussi marquage (-) et catalogage (), un catalogage que lon pour-rait comparer la note dinfamie porte sur les registres par le censeur romain : en cas de poursuite judiciaire, la privation de droits quelle impli-quait exposait parfois aux mauvais traitements. Cest certains gards le sort rserv aux Juifs, dsormais soumis un excutif implacable dont les limitations antrieures ont t abroges ( - ).

    En somme, je vois dans le premier dcret promulgu par Philopator davantage quune simple rduction au statut indigne : marqus lem-blme de la dynastie comme prisonniers de guerre ou rebelles, les Juifs deviennent proprit personnelle du roi et doivent accomplir un service accablant de travaux (3M 4, 4). Les souverains Lagides, on le sait, contrlaient le march des esclaves remports sur lennemi (taxation ou ventes publiques)46. La couronne se rservait galement le droit dasservir ses propres sujets pour dettes fiscales. La servitude force pouvait donc intervenir titre de sanction pnale. Un dernier lment de comparaison nous est fourni par un papyrus du iiie sicle av. notre re. Il y est question de marins portant la marque ( ) galement appels marins du roi ([] ). Lorsque ces derniers taient intercepts par la police fluviale aprs avoir dsert leur quipage, les contrleurs du nil devaient imprativement les dfrer aux autorits sous peine de devoir eux-mme prendre leur place47. Ces galriens tmoi-gnent de lexistence dune catgorie de forats marqus appartenant en

    44. hrodote, Histoires, VII, 233. Les infligs aux Thbains sont les duplicatas du nom royal (tatous et non cautriss). Voir aussi Quinte-Curce, Histoires, V, 5 : les hommes dAlexandre retenus prisonniers par les Perses auraient t mutils (am-putations diverses) et cautriss avec les marques brlantes de lettres barbares (inustis Barbarorum litterarum notis).

    45. La scne du temple de Mdnet Habou (supra n. 32) montre des scribes louvrage, tandis que dautres prposs marquent les captifs sur lpaule.

    46. C. Praux, Lconomie royale des Lagides, Bruxelles, 939, pp. 305-307. Voir C. Ord. Ptol. 22 et 25.

    47. P. Hibeh 98 (vers 250-260 av. J.-C.), 85-96. Un jeu prcis dquivalences permet dassocier les marins portant la marque aux marins du roi , catgorie laquelle appartient celui qui a abandonn son bateau ( [ ] [][]). La menace qui pse sur les contrleurs tient au caractre liturgique de leur charge. Voir le riche com-mentaire de M.-T. Lenger dans E. G. turner, The Hibeh Papyri, part (graeco-roman Memoirs, 32), Londres, Egypt Exploration Society, 955, pp. 97-02.

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos 223

  • propre la couronne. Or cette catgorie me semble prcisment tre celle laquelle 3M veut faire allusion dans le premier dcret.

    Lauteur de 3M, on la dit, pourrait dpendre de 2M. Parmi les mesures draconiennes prises par Antiochos IV piphane (74-64) pour forcer les Juifs adopter les cultes hellnistiques chez les Juifs, lune dentre elles associe culte dynastique et culte dionysiaque :

    il ntait pas possible de clbrer le sabbat, ni de garder les ftes des pres, ni simplement de confesser que lon tait Juif. Par une contrainte cruelle, [les Juifs] accomplissaient chaque mois un sacrifice, le jour de la naissance du roi, et, lorsque arrivaient les ftes dionysiaques, ils taient forcs de marcher en procession pour dionysos en portant des lierres ( ) (2M 6, 6-7).

    Sans ignorer le sens gnral de ce passage, lauteur de 3M ntait-il pas mme de sen inspirer ? Il lui suffisait dimaginer derrire un dfil de captifs mens en triomphe, et de complter le tableau en se reprsentant les comme des Juifs marqus la feuille de lierre. Cette conjecture, supposer quon ladmette, na cependant pas dincidence sur la signification de 3M 2, 29. Ce verset, je le rpte, nimplique pas de lien de cause effet entre la participation au culte de Dionysos et le marquage la feuille de lierre.

    c) Conclusionlordonnance que Philopator fait placarder sur la tour du palais ne sau-

    rait tre considre comme authentique. Elle nest pas, comme le croit A. Paul, la reprise, revue et corrige par lauteur de 3M, dun docu-ment existant et, dans son tat originaire, certainement contemporain de Ptolme IV 48, ou la consquence dun malentendu, comme limaginait il y a quinze ans J. Mlze-Modrzejewski : Philopator a pris les Juifs pour une secte dionysiaque laquelle il a voulu appliquer la rglementa-tion prvue par son dcret . Comme la suite va le montrer, il ny a pas non plus lieu de suivre F. Parente qui voit dans la marque de Dionysos le signe-mme que Philopator portait 50.

    48. A. Paul, Le Troisime livre des Maccabes , ANRW II, 20, , 987, p. 34.49. J. Mlze-Modrzejewski, 99 [op. cit. n. 8], p. 24-25, qui fait allusion au dcret

    fameux retrouv au verso dun prt de bl dat de 25/24 av. notre re (C. Ord. Ptol. 29). Comme je le montrerai dans une note en prparation pour la revue Kernos, ce dcret ne vise pas harmoniser les diffrentes thologies dionysiaques, mais, plus prosaque-ment, tablir linventaire des prtrises et des diffrentes charges lies au culte officiel de Dionysos, pour en planifier la taxation.

    50. F. Parente [art. cit. n. 20], p. 64.

    LUC RENAUT

  • Le terme apparat dans un contexte qui ne permet pas de lassocier au domaine fiscal. La procdure denregistrement quil dsi-gne sapparente plutt une conscription de captifs rduits en esclavage. Doit-on pour autant faire remonter la rdaction de 3M lpoque lagide ? Lauteur de 3M pourrait avoir t plus astucieux quon ne le pense. Le fait que le tributum capitis ait t en vigueur son poque ne lempchait nullement demployer sous une acception diffrente. En lui donnant une signification hautement dramatique, il pouvait mme esprer renforcer son message. En somme, rien nempche (mais rien ne prouve) que 3M ait t rdig aprs lannexion romaine de lgypte. Peut-on ds lors envisager de retarder notre texte jusqu la crise des annes 38-4 apr. J.-C. ? Cette possibilit nest pas exclure. Je me contenterai de mention-ner les arguments principaux qui fondent cette hypothse, sans pousser plus loin lanalyse, car aucun dentre eux ne me semble en mesure de ltablir positivement. a) Ni Philon (ca. 54) ni Flavius Josphe (apr. 00) ne connaissent 3M. b) Aucun pogrom, aucune rpression anti-juive suscep-tible davoir inspir lauteur de 3M nest connue avant lpoque romaine. les ddicaces royales des synagogues du iiie s. av. J.-C. suggrent mme des rapports assez sereins avec les autorits. c) La question de la citoyen-net, offerte aux Juifs qui acceptent de participer au culte officiel, mais refuse par la plupart (2, 30 ; 3, 2 et 23), tait brlante en 38-4, et pour partie lie des questions fiscales5. d) La tentative de violation du Temple par Philopator pourrait faire cho celle, fameuse, de Caligula en 39/40 de notre re : lempereur avait projett dinstaller sa statue dans le Temple de Jrusalem52. Lors du pogrom de 38, des effigies de Gaius avaient mme t tablies de force dans les synagogues dalexandrie53. La question de la violation du temple par un souverain tranger nest cependant pas nou-velle54. e) On peut se demander si limposition de la marque au fer rouge et les nombreuses scnes doutrages de 3M ne rpercutent pas certains svi-ces effectivemment mis en uvre lpoque romaine contre des opposants

    5. Voir K. Blouin [op. cit. n. 9], pp. 36-40 et 60-64.52. Philon dAlexandrie, Legatio ad Gaium, 97-30 ; Flavius Josphe, Guerre des

    Juifs, II, 85, 94, 97, 202, 266 ; Id., Antiquits judaques, XVIII, 257-309 ; tacite, Histoires, V, 9, 2.

    53. Philon dAlexandrie, Legatio ad Gaium, 32-38 ; Id., In Flaccum, 4-43.54. Antiochos IV pille le Temple en 69 av. J.-C. (M , 20-24 ; 2M 5, 5-2) et le ddie

    Zeus Olympien (2M 6, -2). Pompe pntre dans le Saint des Saints en 63 av. J.-C. (Flavius Josphe, Guerre des Juifs, I, 50-54 ; Id., Antiquits judaques, XIV, 7-74) ; Crassus pille le trsor du Temple en 54 av. J.-C. (Flavius Josphe, Guerre des Juifs, I, 79 ; Id., Antiquits judaques, XIV, 05-09).

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos 225

  • juifs, en particulier lors de la crise de 3855. Cette anne-l, le prfet Flaccus fit arrter 38 membres du Conseil juif (), quil fit dfiler dans les rues, enchans, jusquau thtre. Devant la foule assemble, on les dsha-billa et on les fouetta cruellement56. Philon se scandalise dun tel procd, habituellement rserv aux plus obscurs des gyptiens [de souche] cou-pables des plus grands crimes , alors que les Juifs dAlexandrie taient habituellement frapps avec les instruments rservs aux hommes libres et aux citoyens 57, savoir les baguettes plates (). Flaccus organi-sa mme des excutions publiques dans le thtre loccasion desquelles des condamns furent crucifis, aprs avoir t fouetts et torturs par le fer et par le feu ( )58. La stigmatisation dgra-dante faisait peut-tre partie des tortures auxquelles les condamns taient soumis59, et ce motif pourrait avoir retenu lattention de lauteur de 3M. Mais nous avons vu quune documentation plus ancienne offrait dj un parallle trs clairant au marquage collectif dcrt par Philopator.

    Peut-on provisoirement carter la question du contexte historique, et analyser 3M comme une uvre littraire ? Une telle approche a rcemment permis Robert C. Cousland dclairer le dispositif narratif de 3M structur autour dune srie de retournements de situation et de retrou-ver, derrire les contradictions apparentes du texte, une vise densemble cohrente, savoir promouvoir lorthopraxie au sein de la communaut juive expatrie 60. lire R. C. Cousland, on en vient presque se deman-der si lunit rdactionnelle de 3M ne devrait pas tre dfendue contre les scnarios dlaboration en plusieurs tapes proposs par certains. Je crois en tous cas que lhtrognit (toute relative) de la documentation exploite par notre opuscule ne prouve nullement, comme on la souvent prtendu, quil ait t crit plusieurs mains, en plusieurs temps. On peut

    55. Voir Philon dAlexandrie, In Flaccum, 58-96 o ces svices sont dcrits par le menu.56. Ibid., 74-75.57. Ibid., 80.58. Ibid., 84.59. Philon prcise ailleurs que les provocateurs et les sditieux sont habituellement

    tatous (), fouetts et amputs avant leur excution (De somniis, II, 84).60. J. R. C. Cousland, Reversal, Recidivism and Reward in 3Maccabees : structure and

    Purpose , Journal for the Study of Judaism, 34, 2003, pp. 39-5. Du mme, moins abouti et moins convaincant : dionysus theomachos ? echoes of the Bacchae in 3Maccabees , Biblica, 82, 200, pp. 539-548. Avec J. R. C. Cousland, il faut rejeter lhypothse artifi-cielle de D. S. Williams, 3Maccabees : A Defense of Diaspora Judaism ? , Journal for the Study of the Pseudepigrapha, 3, 995, pp. 7-29, qui veut faire de 3M une apologie du judasme de la Diaspora adresse aux Juifs de Palestine autour de 00 av. notre re.

    LUC RENAUT226

  • galement se rallier aux conclusions densemble de S. R. Johnson qui tudie 3M ct dautres crits comme 2M, Ariste, Esther grec ou mme Daniel : ajuster le pass aux ncessits prsentes, rcrire lhistoire pour asseoir et faonner lidentit judo-hellnistique, tel est bien le projet g-nral de cette littrature.

    En reprenant la figure maudite de Ptolme Philopator que les Grecs eux-mmes tenaient en pitre estime6 et en lanimant de sombres des-seins leur gard, 3M permettait aux Juifs dAlexandrie dexprimer leurs diffrends et leurs inquitudes vis--vis des grecs, tout en esprant une pacification laquelle ils avaient intrt. Cest dailleurs le sens gnral de lhistoire qui nous est conte, puisque le cruel Ptolme est en dfinitive appel se repentir devant la puissance de Dieu et restaurer les Juifs dans leurs biens et leur scurit.

    . PhiLoPatoR DaPRS LetymologIcon magnum en croire certains commentateurs, nous lavons vu, lemblme de

    Dionysos mentionn par 3M aurait t port par Philopator lui-mme, et ce dernier aurait voulu limposer aux nophytes dont il croyait augmen-ter sa secte 62. Pour justifier cette interprtation, on insiste sur la dvotion particulire que Ptolme Philopator aurait eue lgard de dionysos63 une dvotion qui ntait toutefois pas exceptionnelle pour un souve-rain lagide64 et sur son got prononc pour les mystres. Enfin, sans la moindre prudence historique, on produit un texte extrmement tardif dans lequel Philopator est dit avoir t lui-mme tatou dune feuille de lierre65. Ce passage se lit dans lEtymologicon magnum (c. xie sicle au plus tt), qui donne s. v. les prcisions suivantes :

    a) : , .b) 66.

    6. Voir ci-dessous, n. 90.62. P. Perdrizet [art. cit. n. 2], p. 238.63. Ibid., pp. 230-234.64. F. Dunand [art. cit. n. 42], pp. 85-03.65. Ce que fait encore dernirement R. Turcan, qui cite la notice de lEtymologicon

    magnum en tte du paragraphe quil consacre au tatouage bacchique (R. Turcan [op. cit. n. 3], p. 8) une notice qui lui permet daffirmer, dans son introduction (p. viii), que Ptolme Philopator portait comme marque de son appartenance un thiase le tatouage la feuille de lierre .

    66. T. Gaisford (d.), Etymologicon magnum, Oxford, 848 (repr. Amsterdam, 994), col. 63 = f 220, l. 9-2.

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos 227

  • a) Galle : Philopator en fut un, pour avoir t tachet de feuilles de lierre, comme les Galles.b) Car, lors des crmonies dionysiaques, [les Galles] se couronnaient tou-jours de lierre.

    Cette notice, dans son tat actuel, prsente trois singularits. Premirement, lemploi de propos du culte de Dionysos. Cette acception nest pas impossible en thorie galle dsigne effectivement un certain comportement rituel qui peut aussi tre celui de la transe dionysia-que 67 mais elle napparat ma connaissance nulle part ailleurs dans la documentation68. Deuximement, lemploi de (tacheter, parsemer, bigarrer, maculer), rarement utilis propos du tatouage propre-ment dit69. Troisimement, le lien de cause effet que introduit entre les deux propositions a et b. Sil sagit bien de tatouage, ce lien est incom-prhensible : on ne voit pas comment la coutume de se couronner de lierre expliquerait que les Galles (et Philopator) aient t tatous de lierre. dans ses notes critiques, thomas gaisford signale deux corrections pro-poses jadis par le philologue et alchimiste allemand Jacob Tollius (630-696) afin dharmoniser les deux propositions70. Une premire solution

    67. M.-F. Baslez, Les Galles dAnatolie : images et ralits , Res Antiquae, , 00, pp. 233-245, ici pp. 242-243.

    68. Voir ibid., pp. 24-242 (gallare, , attests dans des contex-tes cultuels indtermins, mais o interviennent vaticination, transe ou mlopes particu-lires). LEtymologicon magnum donne dailleurs une deuxime entre mtroaque , o se lisent les lieux communs habituels sur les disciples de Cyble : ils font des orgies pour la Mre des dieux ; en se chtrant, ils changent leur nature dhomme, au point de ntre plus ni homme ni femme.

    69. Strabon, Gographie, VII, 5, 4 : les Iapodes sont tachets comme les autres Illyriens et Thraces ( ) ; Philon dalexandrie, De specialibus legibus, I, 58 propos de marques corporelles compa-res aux critures () que lon parsme () sur des certificats ( ) ; Souda, s. v. : longtemps aprs la mort du sage, on retrouva sa peau tachete de lettres ( ) ; irne de lyon, Contre les hrsies, I, 5, 4 : la figure symbolique de la Vrit imagine par le gnostique marc est dcrite comme une idole tachete des lettres de lalphabet ( ). Voir aussi Souda, s. v. = (chamarr, bigarr, bariol). Attest au sens de ponctuer (Basile de Csare, Lettre, 333) ou accentuer un texte (hrodien, Trait daccentuation gnrale, fin du prologue). Qualifie les animaux bigarrs dans les traits de zoologie. Chez les Pres de lglise, voque les ulcres de la lpre et, par extension, les souillures du pch (G. W. H. Lampe, A Patristic Greek Lexicon, Oxford, 96, s. v. , p. 72).

    70. J. Tollius, Insignia itinerarii italici, quibus continentur antiquitates sacrae, Utrecht, 696, p. 20, qui se demande si le passage de lEtymologicon est bien conserv, et sil

    LUC RENAUT228

  • consistait remplacer par :

    a) : , .b) .

    a) Galle : Philopator en fut un, pour avoir t tachet de feuilles de lierre, comme les Galles.b) Car, lors des crmonies dionysiaques, [les Galles] se tatouaient toujours de lierre.

    Cette correction prsente deux inconvnients majeurs. Elle suppose dabord une grave erreur du copiste, qui aurait modifi profondment et lorthographe et le nombre des lettres du verbe original. Elle rend enfin la proposition b pour le moins incohrente : laction est cense se reproduire chaque () crmonie ou initiation, ce qui saccorde mal avec une dmarche aussi irrversible que le tatouage. La seconde solution, qui a la prfrence de J. Tollius, me parat aussi plus convaincante. Il sagit cette fois de remplacer par :

    a) : , .b) .

    a) Galle : Philopator en fut un, pour avoir t couronn de feuilles de lierre, comme les Galles.b) Car, lors des crmonies dionysiaques, [les Galles] se couronnaient tou-jours de lierre.

    est linfinitif parfait passif de , dont le sens premier est entourer, ceindre autour , et que la plupart des textes emploient au sens de couronner . Cet infinitif a lavantage de prsenter exactement le mme nombre de caractres que et davoir en commun avec lui 9 lettres sur . Lerreur du copiste porte donc seulement sur deux lettres. On doit dailleurs noter que lEtymologicon magnum nignore pas le verbe : on le trouve employ un peu plus loin linfinitif moyen7. Cette seconde conjecture de Tollius, que T. Gaisford qualifie lui-mme de probabilis, aurait t adopte par le ne faut pas plutt y lire , [] puisqu la suite on a : - . Il faudrait par consquent, pour que cette ex-plication ait un sens, corriger en . Mais il est clair, daprs de nombreux auteurs, que les bacchantes et les bacchants ont lhabitude de se couronner dans les ftes de Dionysos rien nest en effet plus courant .

    7. Ibid., s. v. ( branche dolivier entoure de laine ), au f 303, l. 29-30 : ( sentourer de laine ).

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos

  • philologue Johannes Friedrich Schleusner (fin xviiie dbut xixe s.)72. Elle me parat tout fait recevable, et pourrait mme amliorer lintelligence du passage. Grce elle, chaque proposition sauvegarde sa logique propre, et toutes deux sharmonisent au mieux autour de la conjonction . Il reste souhaiter que ldition critique des Etymologica byzantins, entreprise il y a maintenant trente ans, se poursuive73.3. PLutaRque et LeS De PhiLoPatoR

    Un dernier passage concernant Philopator, extrait de Plutarque, a parfois t allgu en faveur du marquage dionysiaque74 :

    [] la louange qui accoutume aux vices comme aux vertus [] signa larrt de mort de lgypte en appelant pit et dvotion ( ) les murs effmines de Ptolme ( ), sa su-perstition (), ses hurlements (), les lacrations de krina et de tympana ( )75.

    les traducteurs de la CUF voient dans les stridences des danses et des tambourins 76. Lacception figure = stridence nest pourtant pas atteste. Ils considrent en outre , dont le sens premier est lis, comme une danse, en sap-puyant sur un fragment isol transmis par athne77. Je crois que le terme doit tre pris pour ce quil est : un substantif driv du verbe , entailler, graver, faire une incision, lacrer, scarifier (chez

    72. Dans un ouvrage que nous navons pas pu localiser. Son clbre lexique de lAncien testament, qui recouvre les apocryphes deutrocanoniques, ne comporte aucune remarque de ce type.

    73. Face au silence de lapparat critique de Gaisford, il faut croire en effet que est transmis par les trois mss principaux, P (Codex Parisiensis n 2654, A.D. 273), M (Bibliothque de S. Marco Venise n 530, fin xiiie s.) et V (un codex que poss-da Isaac Vossius, auj. la Bibliothque de Leyde, fin xiiie s.). Voir Etymologicum magnum genuinum/Symeonis Etymologicum/Etymologicum Magnum Auctum, d. F. Lasserre et N. Livadaras, vol. ( ), Rome, 976 ; vol. 2 ( ), Athnes, 992. Sil parat un jour, le prochain volume de cette dition synoptique monumentale, qui accorde le premier rang lEtymologicon magnum, comportera lentre .

    74. F. J. Dlger, Sphragis [op. cit. n. 2], pp. 42-43 : Von Ptolemaios Philopator wissen wir, da er ein Stigma in der Form eines Tympanons (= Efeublatt) trug (sic !).

    75. Plutarque, trait 4 (De adulatore = Les moyens de distinguer le flatteur davec lami), ch. 2 (= 56e), dans uvres morales, t. , 2e part., d. et trad. (modifie) R. Klaerr, A. Philippon, J. Sirinelli, CUF, 989, p. 0.

    76. Lecture reprise par R. Turcan [op. cit. n. 3], p. 9.77. athne, Deipnosophistes, III, 4f.

    LUC RENAUT230

  • les mdecins antiques). On ne peut admettre cependant scarifications [en forme] de lis et de tambourins . Un type de mutilation aussi nouveau et trange naurait-il pas rclam de Plutarque au moins quelques mots dexplication ? il faut prfrer sorienter vers lacception bien atteste de comme instrument de torture78. Le substantif dpend du verbe (frapper) et (frapper/torturer), et peut dsigner : a) linstrument de percussion que lon frappe ; b) le poteau sur lequel on frappe un condamn ; c) le bois noueux avec lequel on frappe une victi-me79. Cette dernire acception se trouve chez Plutarque lui-mme80. Dans un autre passage du De adulatore, galement consacr aux dbordements moraux de Ptolme Philopator, Plutarque exploite sciemment les polys-mies respectives de (jouer du tambourin, ou frapper, tortu-rer) et de (initier, mais aussi achever ou excuter un condamn) :

    8.

    alors quil usait de cruaut et de violence, quil torturait et quil excutait (ou : quil jouait du tambourin et quil initiait), personne parmi les gens [de son entourage] ne sy opposa.

    Cet indice interne extrait du ch. 7 est trs prcieux : il autorise en effet comprendre les du ch. 2 comme des entailles et des blessures provoques par des coups de .

    Que signifient cependant les lis () ? Les manuscrits anciens transmettent bien , et il ny a aucune raison de rejeter ou de corriger cette lectio difficilior82. En mme temps, on ne voit pas comment

    78. M. Halm-Tisserant, Ralits et imaginaire des supplices en Grce ancienne (Association Guillaume Bud, Collection dtudes Anciennes, srie grecque, n 25), Paris, 998, pp. 22-23 ; pp. 58-62 ; pp. 84-85 et passim.

    79. Voir en part. Damascius, Vie du philosophe Isidore (apr. Photius, Bibliothque, 242, 85) o, au cours dune sance de bastonnade, est utilis conjointement (bton noueux).

    80. Plutarque, Sur lalimentation carne, , 5 (= 995a) : lhomme est dpourvu de loutillage naturel dont disposent les authentiques carnivores (bec crochu, griffes, crocs acrs, estomac et sucs digestifs capables de dcomposer la chair crue). Il est incapa-ble de faire prir sa nourriture sans utiliser ni coutelas, ni tympanon, ni hache ( ).

    8. Plutarque, De adulatore, ch. 7 (= 60a). Voir encore Plutarque, Frag. 78 (Sur lme) : mourir () et tre initi () sont proches quant au mot et quant leffet .

    82. Sur une dizaine de mss, chelonns du xie au xive sicle, deux des plus anciens omettent cependant : G (Barberinianus gr. 82, xie s.) et Y (Marcianus gr. 249, xiexiie s.).

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos 23

  • ces pourraient tre entendus au sens propre. Le contexte invite plutt y voir quelque objet tranchant susceptible de meurtrir la peau. La tige lisse, les ptales ou le pistil pourraient avoir motiv lassociation du lis avec un instrument de torture. Je pense au grappin dont les crochets recourbs pouvaient facilement tre compars la corolle de ptales poin-tus du lis. Cet instrument et dautres objets apparents servant lacrer la peau ou mme traner les condamns terre sont dsigns en grec et en latin par des substantifs familiers entendus au sens figur, comme et uncus (ongle, griffe, do crochet, croc), ou encore (litt. corbeau, par analogie avec le bec crochu)83. Les recherches que jai menes chez les auteurs grecs nont donn aucun rsultat. Lacception figure de lis se rencontre cependant en latin84.

    Cette lecture est conforte par la nature des reproches que Plutarque adresse Philopator. Les vices religieux que le moraliste condamne nous orientent non vers le culte de Dionysos, mais vers celui de Cyble. ailleurs, dans la Vie de Clomne85, Plutarque se moque de notre Ptolme en le qualifiant de , un terme rserv aux mendiants itin-rants de la grande mre, qui parcouraient les villes en qute de subsides, accompagns de tambours et de fltes. Ces ou ces Galles avaient en outre la rputation dtre effmins et de pousser des hurlements ( ), et Plutarque utilise dans notre passage. Autre trait caractristique du culte mtroaque, les auto-mutilations : plusieurs pigrammes de lAnthologie grecque mentionnent, ct des tambourins, des cymbales et des costumes fminins, les instru-ments tranchants86. Coutelas et poignards ntaient pas rservs la cas-tration : les galles les utilisaient aussi pour se lacrer au cours de sances extatiques87. Et cest bien, je crois, ce quoi Plutarque fait allusion dans le De adulatore, en parlant de qui

    83. Sur les outils lacrer, cf. M. Halm-Tisserant [op. cit. n. 78], p. 37.84. Csar, Guerre des Gaules, VII, 73, 3 : on appelle lis (lilium) des piges consti-

    tus dun pieu taill en pointe et fich dans un trou, ex similitudine floris (i. e. pistil du lis dress au milieu de sa corolle de ptales).

    85. Plutarque, Clomne, 36, 7.86. Anth. pal., VI, pigr. 5 (couteaux rouges de sang) ; Anth. pal., VI, pigr. 94 (fer

    double tranchant avec lequel le ddicant sest mascul).87. Lucien de Samosate, La desse syrienne, 50 : les ministres de la desse accomplis-

    sent des rites orgiastiques, se tailladent les avant-bras et, les uns les autres, se frappent sur le dos ; Prudence, Le livre des couronnes, Hymne X, 06-065 : Un fanatique tire un couteau contre ses muscles ; il apaise la Desse Mre avec ses bras taillads ; que le myste dlire et tournoie est trouv lgitime ; la main qui rechigne taillader est dite impie ; le ciel (ou le ciseau : jeu de mot sur caelum) rcompense la cruaut des blessures .

    LUC RENAUT232

  • constituent une manifestation typique de 88. La supersti-tion apparat dailleurs chez Plutarque comme lune des passions les plus funestes : ceux qui la cultivent en viennent se mutiler eux-mmes ou menacer la vie dautrui89.

    en faisant de Philopator un modle de dpravation, Plutarque poursuit une tradition dj amorce par Polybe qui avait consacr une cinquantaine de pages aujourdhui perdues dnoncer les vices de Ptolme0. Un des courtisans de Philopator, un autre Ptolme (originaire de mgalopolis et fils dAgesarchos) avait mme crit des Histoires sur Philopator o lon pouvait lire plusieurs pisodes se rapportant aux beuveries clbres du souverain. Cette figure dprave de Philopator est reste vive dans la m-moire des auteurs postrieurs : 3 Maccabes, on la vu, sen est fait lcho. strabon, quant lui, nhsite pas dater du rgne de Ptolme Philopator le dbut de la dgnrescence lagide.4. LeS bromIo sIgnatae mystIdes De Doxato

    les auteurs antiques sont parvenus faire de Ptolme Philopator une figure emblmatique o la dvotion excessive rejoint la cruaut : cruaut envers soi-mme (les chez Plutarque) et envers les autres (la ferrade inflige aux Juifs en 3M). Ce portrait charge ne suffit cependant pas tablir lexistence dun rituel de marquage pratiqu par les mystes ordinaires de Bacchus. Un document pigraphique a cependant sembl tablir le fait de manire plus directe : un enfant trop tt disparu y tait dplor, et lon assurait quil serait accueilli dans lau-del par des Bromio signatae mystides, une formule dans laquelle on croit reconnatre des mystes marques par Bacchus . Linscription, qui parat dater du iiie s. apr. J.-C., provient de Doxato (Philippes) en Macdoine, et comptait 24 lignes. Ldition des 22 lignes restantes se heurte toutes sortes de

    88. Lucien de Samosate, La mort de Prgrinos, 7 : Prgrinos, auprs du philosophe cynique Agathobule, stait fait frapper les fesses ( ) avec une frule () ; 28 : les ministres de Prgrinos seront assurment prtres de fouets ou de cautres, ou de toute autre charlatanerie de ce genre ; Id., La philosophie de Nigrinos, 27 : Nigrinos condamne ces philosophies qui exigent de leurs nophytes de pnibles preuves, par exemple en les fouettant ou en leur raclant la peau au fer (... ).

    89. Plutarque, De la superstition, 5 (67c) ; 2 (7a) ; 0 (70a).90. Voir C. Praux, Polybe et Ptolme Philopator , Chronique dgypte, 40, 965,

    p. 367.9. Athne, Deipnosophistes, VI, 246c.92. Strabon, Gographie, XVII, 796.

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos 233

  • difficults93. Je paraphrase le dbut avant de citer les derniers vers conservs :

    le ddicant se compare (v. -2) Hercule pleurant son jeune compa-gnon hylas et fait galement allusion (v. 3-4) aux funrailles du corps dachille95. Vnus na certes pas dot le dfunt dun aussi beau visage (que le hros homrique, sentend), mais elle demeurait dans tous les replis de son cur (v. 5-6). En sa poitrine rgnait une sobria virtus, que namoindrissaient ni son jeune ge ni son origine (lire loco et non ioco) modeste (v. 7-8). Les douleurs du ddicant, aussi violentes soient-elles, narracheront pas le dfunt la mort, mais il est permis de pleurer un enfant (puer) (v. 9-0) [lacune dune ligne et demie].

    et reparatus item vivis in Elysiis.Sic placitum est divis a[e]terna vivere for[ma],qui bene de supero [n]umine sit meritus.Quae tibi castifico promisit munera cursuolim iussa deo simplicitas facilis.Nunc seu te Bromio signatae mystid[e]s a[d] seflorigero in prato congreg[em] Satyrumsive canistriferae poscunt sibi Nad[e]s aequ[e],qui ducibus taedis agmina festa trahas.Sis quo[d] cumque, puer, quo te tua protulit aetas,dummodo

    et toi, renouvel lidentique, tu vis aux Champs lyses. Telle est la vo-lont des dieux : que vive sous une ternelle beaut celui qui se sera mon-tr mritant auprs de la Puissance den-haut. Ce qui, au cours de ta chaste vie, ta garanti ces rcompenses, cest une candeur naturelle de longue date conforme au dieu. Dsormais, soit que les Bromio signatae mystides (te rcla-ment) comme Satyre runi leur troupe dans la prairie fleurie, soit que les

    93. La plaque a disparu (ou reste retrouver). Tous les diteurs dpendent du relev de L. heuzey et H. Daumet, Mission archologique de Macdoine, Paris, 876 [paru en fasc. avant 868], pp. 28-29 ; M. haupt dans T. Mommsen, CIL III, , 873, p. 26, n 686 ; F. Bcheler, Anthologia latina, ii : Carmina latina epigraphica, fasc. 2, BT, 897, n 233, pp. 577-579 ; W. vollgraff, remarques sur une pitaphe latine de Philippes en macdoine , Hommages Joseph Bidez et Franz Cumont (Collection Latomus, 2), Bruxelles, 949, pp. 353-373 ; A.-F. Jaccottet, Choisir Dionysos. Les associations dionysiaques ou la face cache du dionysisme, t. 2 : Documents, Zrich, Kilchberg, 2003, n 29, pp. 65-68.

    94. Apollonios de Rhodes, Argonautiques, I, 26-272. W. Vollgraff imagine que notre pitaphe a t com mande par un matre dcole accabl par la perte de son jeune lve et amant.

    95. Odysse, XXIV, 36-94, en part. 44-45 : on lave le beau corps ( ) dAchille dans leau tide avant de loindre.

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    LUC RENAUT234

  • Naades cistaphores te rclament galement leurs cts, afin que tu mnes des cortges de ftes, torches en tte. Demeure quoi quil en soit, mon enfant, l o ton ge ta port, pourvu que

    H = d. Heuzey ; M = d. Haupt dans Mommsen ; B = Bcheler ; V = Vollgraff a[l]terna H V, a[e]terna M B | 5 [l]umine h m, [n]umine B | 8 mystidis aise (?) h, mystides at se m, mystides ad se B (apparat crit.) mystides axe V | 9 congre[gat] in satyrum h, congre[gem uti] satyrum m, congregium Satyrum B (apparat crit.) | 20 Nadis aequ[um] h, Nades aequ[e] m B, Nades aequ[ae] V.

    Qui sont les Bromio signatae mystides (v. 8) ? tant entendu que la rgion de Philippes est voisine de la Thrace, P. Perdrizet a le premier cru reconnatre dans lpitaphe de Doxato une persistance jusqu lpoque impriale du rite du tatouage dans le culte thrace de Bacchos . Le dfunt serait un jeune initi aux mystres de Dionysos, et les mystides des bac-chantes tatoues comme le sont les femmes thraces dcorant les vases grecs96 : les signatae mystides qui accueilleront le dionysiaste dans la prairie doutre-tombe sont marques du signe mystique, tatoues de lima-ge dun chevreau ou dun faon, sur la jambe ou sur le bras, car tel devait tre le tatouage des bacchantes 97. Ailleurs, P. Perdrizet affirme que ce signe mystique en forme de chevreau ou de faon tait un souvenir de lmophagie pratique par elles98. F. J. Dlger crut dans un premier temps, comme P. Perdrizet, que le dfunt de notre inscription appartenait une communaut dionysiaque exigeant de ses adeptes un tatouage religieux. Mais, dans une publication postrieure reste malheureusement confiden-tielle00, F. J. Dlger nuancera considrablement son propos. Pour mieux dbrouiller la question, il entreprend lexamen de plusieurs figurations de femmes thraces tatoues. F. J. Dlger appelle mnades les protagonistes de la mort dorphe reprsentes sur les vases grecs, un nom habituelle-ment rserv aux bacchantes, bien que (furies) puisse tout aussi bien sappliquer aux meurtrires dchanes du pote mythique. Pour autant, il reconnat que, parmi les tatouages ports par ces mnades , aucun ne peut tre compris comme un vritable tatouage religieux au

    96. Voir ce propos K. Zimmermann, Ttowierte Thrakerinnen auf griechis-chen Vasenbildern , Jahrbuch des deutschen archologischen Instituts, 95, 980, pp. 63-96.

    97. P. Perdrizet [art. cit. n. 2], p. 237.98. P. Perdrizet, Cultes et mythes du Pange, Paris/Nancy, 90, pp. 96-97.99. F. J. Dlger, Sphragis [op. cit. n. 2], p. 42.00. F. J. Dlger, Zur Frage der religisen Ttowierung im trakischen Dionysoskult :

    Bromio signatae mystides in einer Grabinschrift des dritten Jahrhunderts n. Chr. , Antike und Christentum, 2, 930, pp. 07-6.

    Ptolme PhiloPator et le stigmate de dionysos 235

  • sens dune conscration un dieu 0. Cette dernire mise au point de F. J. Dlger ne convaincra pas J. Ysebaert qui croit possible que des initis dionysos aient marqu leur peau avec divers signes en lhonneur du dieu 0. W. Vollgraff entend lui aussi maintenir lide dun marquage re-ligieux, en proposant de restaurer la fin du vers 7 de la faon suivante : Bromio signatae mystid[e]s a[x]e = les inities marques au signe du char dionysiaque . Le char exprimerait, de la part des initis, lespoir de se voir un jour transport au ciel par Dionysos. Ce symbole ne ferait que sajouter aux quatre autres marques corporelles bachiques connues (sic !) : la feuille de lierre, le lis, le chevreau (ou le faon, ou le cerf), et enfin lchelle03. Naccablons pas W. Vollgraff : il a t en partie victime de ses prdcesseurs.

    Les rapports (essentiellement littraires) entretenus avec la Thrace par dionysos et ses bacchantes, aussi nombreux soient-ils0, ne permettent pas de considrer les tatouages qui apparaissent sur les vases grecs comme une composante du culte de Bacchus. En effet, liconographie des vases nous donne deux informations importantes : dune part, le tatouage ny est pas lapanage des meurtrires dorphe (il apparat aussi sur dautres femmes que les peintres ont souhait caractriser comme Thraces), dautre part, les meurtrires dOrphe tatoues narborent jamais le costume tradi-tionnel des bacchantes, reprsent pourtant sur dautres vases de la mme poque05. Elles sont simplement vtues dune tunique grecque, laquelle

    0. F. J. Dlger, ibid., pp. 5-6.02. J. Ysebaert, Greek Baptismal Terminology. Its Origins and Early Development,

    Nijmegen, 962, p. 89.03. W. Vollgraff [art. cit. n. 93], pp. 363-367. Autres interprtations contestables : au

    v. 5, quon lise supero lumine ou supero numine, Vollgraff est persuad davoir affaire Mithra ; au v. 6, castifico cursu, qui dsigne nen pas douter le cours dune existence irrprochable, dsignerait, daprs Vollgraff, le taurobole, limmolation du taureau suivie de laspersion par son sang, crmonie par laquelle les adorateurs de Cyble entendaient se sanctifier (sic !).

    04. Dionysos et Lycurgue, roi des doniens : eschyle, Lycurgie (H. J. Mette, Die Fragmente der Tragdien des Aischylos, Berlin, 959, fr. 69-00) ; Diodore de Sicile, Bibliothque historique, III, 65, 6. Satres de Thrace et leur sanctuaire oraculaire de dionysos : hrodote, Histoires, VII, . Les bacchantes thraces meurtrires dOrphe : Virgile, Gorgiques, IV, 520 ; Ovide, Mtamorphoses, XI, 7 ; Pseudo-Apollodore, Bibliothque, I, 3, 2. Les bacchantes thraces : Horace, Odes, III, 25, 8-4 ; II, 9, 9-20 ; Plutarque, Vie dAlexandre, 2, 7.

    05. F. Frontisi-Ducroux, Images du mnadisme fminin : les vases des Lnennes , LAssociation dionysiaque dans les socits anciennes. Actes de la table ronde organise par lcole franaise de Rome (Rome 2425 mai 1984) (Collection de lcole franaise de Rome, 89), Rome, 986, pp. 65-76.

    LUC RENAUT236

  • sajoute parfois un lment de costume cens rappeler leur origine bar-bare. De leur ct, les textes nentendent nullement rattacher le tatouage des femmes thraces au culte de Dionysos. Clarque de Solos et Phanocls parlent dune fltrissure punitive, conformment au rle quavait le stig-mate corporel chez les grecs : les thraces auraient ainsi t outrages par leurs ennemies scythes06 ou bien punies par les hommes pour avoir tu orphe07. De faon beaucoup plus vraisemblable, Hrodote08, les Doubles dits0 et Dion Chrysostome0 attribuent au tatouage thrace une fonction dcorative en lien avec le genre et la position sociale. Rien par consquent qui permette de parler dinsigne cultuel ou de marque de conscration.

    F. J. Dlger a donc tout fait raison de refuser dexpliquer le signatae de lpitaphe de doxato comme une marque corporelle : selon lui, il sagirait seulement dune locution exprimant le fait que les compagnes mythiques de dionysos dont parle linscription ont t consacres (signatae) Bacchus comme mystes . Parler ici de conscration me semble cependant excessif. Je prfre entendre signare sous lacception drive de = sceller, confirmer, telle quelle apparat plusieurs reprises dans luvre de tertullien et, lpoque de notre inscription funraire, sur des documents militaires o les expressions aestimatus ab, probatus ab, signatus ab (= confirm, homologu par) sont quivalentes et nimpliquent pas de marquage corpore3.

    06. Clarque de Solos apr. Athne, Deipnosophistes, XII, 524d-e.07. Phanocls, Amours ou beaux garons, fr. , 9-0 ; 23-27, d. J. DefradaS Les l

    giaques grecs, Paris, 962, pp. 03-04.08. Hrodote, Histoires, V, 6 : chez les Thraces, tre tatou est jug noble, tandis

    que le fait de ntre pas tatou est jug vil ( , ).

    09. Les Doubles dits ( , fin du ve s. av. J.-C.), fr. 2, 23 : Chez les Thraces, le tatouage des jeunes filles est un ornement ( ).

    0. Dion Chrysostome, Discours : Sur lesclavage et la libert, -0 : les femmes thraces ont des tatouages dautant plus nombreux et bigarrs quelles apparaissent nobles ou de meilleure extraction ( ).

    . F. J. Dlger [art. cit. n. 00], p. 6.2. Voir en part. Tertullien, Apologtique, , 0 : boire le sang tir dune cuisse ouverte

    confirme (signat) les entaills de Bellone ; voir aussi Adversus Judaeos, 8, 5 et 2 et les occurrences de signaculum, consignare. Cette acception est dj celle de / dans le Nouveau Testament, comme la bien montr M. Trimaille, Sceau dans le nouveau testament , Supplment au Dictionnaire de la Bible, 2, Paris, 996, col. 22-228.

    3. R. O. Fink, Roman Military Records on Papyrus (Philological monographs of the

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  • tout cela mincite voir dans les Bromio signatae mystides des mystes confirmes/homologues par Bromius , cest--dire des bacchantes d-funtes mritantes que dionysos a choisi dagrger ses ftes doutre-tombe, linstar de ce Julien dAyazviran (Lydie), qui explique dans son pitaphe : Bromios, avec les moires, ma choisi (), moi son com-parse, afin de mavoir comme compagnon-myste pour ses propres danses ( ) 5. Jusqu un certain point, cet emploi d peut nous aider contrler le sens que revt signare Doxato. En aucun cas les Bromio signatae mystides nont t tatoues par le dieu. Dionysos peut se jouer de Penthe et lui faire perdre de la face. Mais il ne fltrit pas ses bien-aimes.

    American Philological Association, 26), Princeton, 97, p. 340 : prfets homologuant la remise dun cheval un cavalier (vers 250). Cette ratification nimplique aucune ferrade. lorsque une marque dleveur existe, elle est simplement signale dans la description du cheval par le verbe notare.

    4. Sur cette vision dun au-del bachique, exprime par dautres documents, voir A.-F. Jaccottet [op. cit. n. 93], p. 67.

    5. J. Keil et P. Herrmann, Tituli Asiae Minoris, vol. 5 : Tituli Lydiae linguis graeca et latina conscripti, fasc. : Regio septentrionalis ad Orientem vergens, Vienne, 98, p. 52, n 477 (240-24 apr. J.-C.), l. 2-6 ; A.-F. Jaccottet [op. cit. n. 93], n 2, pp. 202-203 ( qui jemprunte ma traduction).

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    Introduction1. 3M et le dcret vengeur de Philopatora) Mise en contexteTexte et traductionNotes de traduction

    b) AnalyseLa laographiaL'identification des tres humainsLe marquage la feuille de lierreMarquage et servitude force

    c) Conclusion

    2. Philopator d'aprs l'Etymologicon Magnum3. Plutarque et les encharaxeis de Philopator4. Les "Bromio signatae mystides" de DoxatoTexte et traductionEtat de la questionLe tatouage des femmes thracesConclusion