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Jean Rudhardt Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans les Hymnes orphiques In: Revue de l'histoire des religions, tome 219 n°4, 2002. pp. 483-501. Résumé Les "Hymnes orphiques" ne sont pas narratifs. Toutefois, par un jeu savant d'adjectifs, de participes et de propositions relatives, ils se réfèrent à de nombreux mythes. Il s'agit pour nous de percevoir et de comprendre ces brèves allusions : un exemple illustrera la richesse de leur apport. - La tradition hellénique courante fait de Dionysos le fils de Zeus et de Sémélé ; les mythes évoqués dans les fragments orphiques publiés par Otto Kern font de lui le fils de Zeus et de Perséphone. Nous constaterons que les "Hymnes orphiques" coordonnent les deux traditions d'une manière étrange et subtile. Abstract The two mothers of Dionysos, Persephone and Semele, in the "Orphic Hymns" The "Orphic Hymns" are not narrative, but through a skillful interplay of adjectives, participles and relative clauses they refer to numerous myths. The present study aims to isolate and understand these fleeting allusions, one example of which can illustrate quite how rich they prove to be. The prevailing, Hellenic tradition sees Dionysos as the son of Zeus and Semele, whereas the myths evoked in the Orphic fragments published by Otto Kern show him as the son of Zeus and Persephone. It will be seen that in the "Orphic Hymns" the two traditions are conjoined in strange and subtle ways. Citer ce document / Cite this document : Rudhardt Jean. Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans les Hymnes orphiques. In: Revue de l'histoire des religions, tome 219 n°4, 2002. pp. 483-501. doi : 10.3406/rhr.2002.955 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_2002_num_219_4_955

Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans les

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Jean Rudhardt

Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans lesHymnes orphiquesIn: Revue de l'histoire des religions, tome 219 n°4, 2002. pp. 483-501.

RésuméLes "Hymnes orphiques" ne sont pas narratifs. Toutefois, par un jeu savant d'adjectifs, de participes et de propositions relatives,ils se réfèrent à de nombreux mythes. Il s'agit pour nous de percevoir et de comprendre ces brèves allusions : un exempleillustrera la richesse de leur apport. - La tradition hellénique courante fait de Dionysos le fils de Zeus et de Sémélé ; les mythesévoqués dans les fragments orphiques publiés par Otto Kern font de lui le fils de Zeus et de Perséphone. Nous constaterons queles "Hymnes orphiques" coordonnent les deux traditions d'une manière étrange et subtile.

AbstractThe two mothers of Dionysos, Persephone and Semele, in the "Orphic Hymns"

The "Orphic Hymns" are not narrative, but through a skillful interplay of adjectives, participles and relative clauses they refer tonumerous myths. The present study aims to isolate and understand these fleeting allusions, one example of which can illustratequite how rich they prove to be. The prevailing, Hellenic tradition sees Dionysos as the son of Zeus and Semele, whereas themyths evoked in the Orphic fragments published by Otto Kern show him as the son of Zeus and Persephone. It will be seen thatin the "Orphic Hymns" the two traditions are conjoined in strange and subtle ways.

Citer ce document / Cite this document :

Rudhardt Jean. Les deux mères de Dionysos, Perséphone et Sémélé, dans les Hymnes orphiques. In: Revue de l'histoire desreligions, tome 219 n°4, 2002. pp. 483-501.

doi : 10.3406/rhr.2002.955

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_2002_num_219_4_955

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JEAN RUDHARDT Université de Genève

Les deux mères de Dionysos,

Persephone et Sémélé,

dans les Hymnes orphiques

Les Hymnes orphiques ne sont pas narratifs. Toutefois, par un jeu savant d'adjectifs, de participes et de propositions relatives, ils se réfèrent à de nombreux mythes. Il s 'agit pour nous de percevoir et de comprendre ces brèves allusions : un exemple illustrera la richesse de leur apport. - La tradition hellénique courante fait de Dionysos le fils de Zeus et de Sémélé ; les mythes évoqués dans les fragments orphiques publiés par Otto Kern font de lui le fils de Zeus et de Persephone. Nous constaterons que les Hymnes orphiques coordonnent les deux traditions d'une manière étrange et subtile.

The two mothers of Dionysos, Persephone and Semele, in the Orphic Hymns

The Orphic Hymns are not narrative, but through a skillful interplay of adjectives, participles and relative clauses they refer to numerous myths. The present study aims to isolate and understand these fleeting allusions, one example of which can illustrate quite how rich they prove to be. The prevailing, Hellenic tradition sees Dionysos as the son of Zeus and Semele, whereas the myths evoked in the Orphic fragments published by Otto Kern show him as the son of Zeus and Persephone. It will be seen that in the Orphic Hymns the two traditions are conjoined in strange and subtle ways.

Revue de l'histoire des religions, 219 - 4/2002, p. 483 à 501

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Présentation des Hymnes. Mon projet.

Quand je me suis mis à étudier la religion grecque, vers 1945, je décidai de ne pas aborder d'emblée les. textes orphiques, au sujet desquels les : érudits prononçaient . des jugements contradictoires ; ; cette négligence • me paraissait justifiée car, malgré leurs divergences, ces savants < s'accordaient sur un point : ils tenaient" l'orphisme : pour un courant marginal dans l'ensemble des traditions helléniques. Au cours de mon travail, je devais pourtant m'interroger maintes fois à son sujet, car. les auteurs anciens que je lisais ; et leurs : commentateurs modernes y faisaient des < allusions fréquentes. C'est pourquoi Je crus nécessaire, dans le cours des année cinquante, de lire les Orphicorum Fragmenta de Kern. Je ne les pris pas en considération dans ma thèse mais j'y revins dès qu'elle eut paru, en 1958, et je me lançai dans un premier travail - sur l'orphisme. Comme les fragments de Kern me paraissaient extrêmement divers et difficiles Л concilier entre eux, je crus sage : de les , considérer dans leur • succession ; chronologique : et d'étudier, uniquement, dans une première étape, ceux d'entre eux qui sont antérieurs au IVe siècle avant notre ère; Ces documents -je rappelle que le Papyrus de Dervéni était encore inconnu - ces documents; comprenaient de brèves informations sur des écrits que le mage- musicien légendaire aurait composés, sur des rites qu'il aurait institués, sur un genre de vie dont il serait l'inspirateur et sur des : personnages qui plaçaient certaines de leurs activités ou de leurs œuvres sous son patronage. J'ai eu le sentiment de me trouver en présence de faits hétérogènes, impossibles à coordonner ; cela me conduisait à conclure : Au: cours des Ve et IVe siècles, si quelques individus ont invoqué l'autorité d'Orphée. pour, donner du poids à certaines de leurs pratiques ou de leurs croyances, ils ne constituaient pas ensemble une communauté, ne s'inscrivaient nullement dans une tradition cohérente,- n'étaient point ' unis entre . eux par ; une inspiration commune. Le relatif scepticisme exprimé quant a l'orphisme par Linforth puis par Dodds1 me confortait dans ; cette opinion. J'ai renoncé , à publier le mémoire où je la' défendais - fort • heureusement, car je serais obligé de le désavouer aujourd'hui. . J'y renonçai, . en ; partie , parce que Moulinier, venait de

1. I. M. Linforth, The Arts of Orpheus, Berkeley- et Los Angeles, 1941 ; E. R. Dodds, The Greeks and the Irrational, Berkeley et Los Angeles, 1951.

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publier un • petit livre2 où : il énonçait une thèse assez : proche r de la mienne, en partie aussi parce que j'avais été pris d'un doute en achevant mon manuscrit. Il m'avait paru de bonne méthode de suivre. un ordre chronologique et d'étudier les documents les plus anciens avant les plus récents * mais, constatant i la .- pauvreté des plus anciens, leur incomplétude et leur dispersion, je me demandais s'il ne serait pas plus, sage de procéder, en! sens inverse,- du mieux documenté au plus incertain,, du mieux au ; plus mal connu. Cités par, les néoplatoniciens,, les fragments les * plus nombreux, . les plus intéressants - à' de : nombreux égards, servent ; de principal fondement . aux . reconstitutions modernes du mythe orphique. Très courts, sporadiques, choisis et interprétés par des ; philosophes incroyablement abstraits, . intégrés dans l'exposé de leur, doctrine, ils ; me semblaient difficiles ; à comprendre, et ■ je ne ; me croyais pas capable d'en • tirer des enseignements meilleurs que les nombreux savants qui les avaient déjà exploités. (Pour que l'entreprise devînt possible, il fallait attendre les travaux de Luc Brisson.) Il existait en revanche un recueil cohérent de 87 hymnes que son titre et son préambule présentent explicitement comme une œuvre, d'Orphée. .Ne valait-il • pas ■ la peine de l'étudier ?

Les ; auteurs - modernes tenaient i ces hymnes en* piètre estime. Ils • sont, disaient-ils, dépourvus de mérite littéraire ; de leur côté, les historiens de la religion i affirmaient généralement qu'ils ne sont pas orphiques du . tout. Je me sentais incapable d'évaluer leur, qualité littéraire: En к revanche, , alors >. que nous ne . savons pas exactement! ce qu'est l'orphisme, je me demandais de quel droit nous pourrions contester le caractère orphique d'un livre qui, en se donnant1 pour, une œuvre du* musicien* légendaire, se place - explicitement sous; le patronage: d'Orphée. J'admettais volontiers l'idée que ces hymnes ne nous renseignent pas surtout l'orphisme ; ils me semblaient pourtant propres à en éclairer au moins l'une des formes. Je les ai donc lus et relus - en les confrontant évidemment aux fragments de Kern - et je leur ai consacré plusieurs séminaires, dans le cours de mon enseignement.

Ceux qui contestent l'orphisme des hymnes - dans sa traduction des hymnes , de . Proclus, Saffrey parle encore en - 1 994 ■ des \ « hymnes orphiques qui n'ont d'orphique que le nom » - ces auteurs critiques ne : manquent pas ■ d'arguments pour, justifier leur, scepticisme. Les fragments attribuent un rôle majeur à quelques divinités, à Phanès, à Zeus et à Dionysos notamment. Or la collection des Hymnes comprend

2. Louis Moulinier, Orphée et l'orphisme à l'époque classique,- Paris, 1955.

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sans doute un chant consacré à Phanès et quelques autres célébrant Dionysos -mais le plus grand nombre d'entre eux honorent des dieux différents. Ce sont, majeurs ou mineurs, la plupart des dieux communs de la Grèce ; ce sont des divinités abstraites, telles que la'Justice ou la Loi ; ce sont des divinités empruntées à l'Asie Mineure; telles ; que Mélinoé ou < Misé. Ce panthéon composite n'a rien d'orphique, dit-on le plus souvent.1 Je n'en suis pas certain: II? est vrai que nous voyons mentionnées dans les hymnes environ 70 divinités mais nous en trouvons à peu près 90 dans les fragments de Kern (dont plus de 70 dans les Rhapsodies). Il y a parmi elles les principales divinités traditionnelles de la Grèce, plusieurs divinités abstraites, telles que la Loi, la Justice • ou la Piété et des divinités étrangères - provenant d'Asie Mineure ou d'Egypte. Si donc; tels que les fragments nous le laissent entrevoir, l'orphisme accorde une importance particulière à certaines divinités, il ne néglige pas les autres dieux connus dans le monde grec ; anciens ou nouveaux, illes adopte, tous à sa 'façon.' Sur ce point, les hymnes ne s'opposent pas aux fragments. Bien ; qu'il accorde aux Hymnes « plus d'attention que certains de ses prédécesseurs, Guthrie signale un autre trait i qui en ■ atténue pour lui le caractère orphique: La communauté qui les utilise, écrit-il, « n'a pas pratiqué l'ensemble des dogmes orphiques ». Je ne sais pas si le mot « dogme » est parfaitement approprié,' il faut cependant reconnaître une chose. Les poèmes attestés par les fragments relatent des mythes inconnus, semble-t-il, des traditions helléniques i dominantes ; ils racontent une : théogonie différente delà - théogonie hésiodique, parlent de la mort et de la renaissance de Dionysos, se réfèrent à une anthropogonie ; de façons diverses, ils évoquent une eschatologie. Or les Hymnes ne développent aucun i de ces ; grands thèmes.

Ces observations ne me paraissent pourtant ni. décisives ni tout à fait 'pertinentes.

Pausanias signale un trait qui distingue les hymnes orphiques dans l'ensemble des hymnes formés d'hexamètres : . ils sont courts3. De fait, alors que certains des hymnes homériques comptent des centaines de vers, les hymnes orphiques n'en dépassent- pas ; vingt ou trente.. Cette différence de longueur, est' le reflet d'une autre différence plus fondamentale. Les grands hymnes homériques sont narratifs ; ils ; relatent avec précision un ou deux épisodes • des • mythes ■• relatifs à ! la • divinité ': célébrée. Les hymnes orphiques sont d'une autre sorte. Simples prières

3: Paus. IX, 30,42:

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rythmées, ils comprennent essentiellement une invocation et l'énoncé d'une demande adressée à la divinité invoquée/Entre ces deux parties, quelques vers semblent constituer un développement de l'invocation ; ils signalent les qualités, les pouvoirs les plus frappants de la divinité; ou 'parfois ceux d'entre eux que la prière lui' demande de mettre en1 œuvre4. Ce développement est formé d'épithètes," de participiales ou de courtes relatives. Il n'y a i là aucune place pour un ! récit ; en • bref, les hymnes orphiques ne sont pas narratifs ; il ne faut > donc y chercher l'exposé d'aucun mythe.

On ? observera toutefois = que les épithètes - parmi ■ lesquelles nous ,. trouvons de nombreux mots composés - que les participiales ! et les relatives se réfèrent souvent à des événements mythiques , permettant de préciser l'identité du dieu, sa force ou ses compétences. Cette référence est toujours allusive, si allusive que le lecteur ne la comprendrait pas si le mythe évoqué lui était inconnu. Comme les hymnes font un usage constant de telles allusions mythiques, si brèves que beaucoup d'entre elles nous restent aujourd'hui: énigmatiques, nous, devons admettre \ que les mythes évoqués * étaient 'jadis présents • à ; l'esprit .• de leurs utilisateurs.

C'est pourquoi il m'a paru intéressant d'étudier ces allusions d'une manière systématique,- à l'intérieur, de chaque hymne d'abord ! puis en regroupant* les informations obtenues d'hymne en hymne, de manière à restituer quelques éléments d'une* mythologie implicite, sous- entendue dans le recueil < entier.- Au cours des ans, j'ai cru découvrir que cette mythologie est; proche . de ! celle que l'étude des fragments nous laisse entrevoir. Je signalerai seulement un des points de leur convergence. Dans le cours d'une théogonie complexe, on sait que les . Rhapsodies finissent par assimiler entre eux trois grands dieux, Pha- nès, Zeus et Dionysos. En leur attribuant des aspects et des rôles différents dans le cours de la cosmogonie, elles les distinguent clairement les uns des autres mais elles nous invitent à reconnaître en eux trois manifestations d'une même puissance divine5. Or, par des indications discrètes et sporadiques, les Hymnes nous donnent le même enseignement. Voici l'un de ces signes : reprenant une formule voisine de celle que nous trouvons déjà dans un texte orphique figurant dans le traité

4. Cf. J. Rudhardt, Quelques réflexions sur les Hymnes orphiques, in Orphisme et Orphée,- textes réunis et édités par Ph. Borgeaud, Genève, 1991, p. 263-289.

5. Voir, par exemple; OF, 130 ; 236-237, Kern.

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pseudo-aristotélicien ■» de , Mondo6, . un hymne du -. recueil 1 appelle - Zeus « début de. toutes choses et fin de toutes choses ». En voici un second : dans ; un ; des ,vers cités hier ;par Anne- France Morand, nous avons vu Dionysos í appelé , « Phanès Ericépaios » et tenu \ simultanément f pour « père et fils des dieux ». Je , ne poursuis pas l'étude des relations qui unissent les trois divinités les ; unes aux autres ; je ne me lancerai pas non plus dans i l'étude de l'ensemble des mythes évoqués par les hymnes orphiques ; l'une et l'autre . de ces démarches ; sont! difficiles ; et requièrent du temps. Je choisirai » un; seuť exemple, pour montrer le type d'enseignement qu'il est > possible de retirer de notre collection : celui de la naissance de Dionysos.

Deux traditions ; relatives à < la • naissance de • Dionysos >■

Vous vous rappelez le. début des Bacchantes : Dionysos revient: à Thèbes, sur le lieu de sa naissance. Elle fut dramatique. Tiré du sein de Sémélé, sa -, mère . foudroyée; il acheva ; sa gestation ; dans la . cuisse de Zeus. Produit au jour, il connut une enfance menacée ; ses proches ne croyaient ; pas .; qu'un dieu fût véritablement , son père. . De son côté, Héra - qui . n'en . doutait point : - poursuivait de ; sa vengeance : un i fils adultérin. .. L'enfant . Dionysos ', dut ; fuir ; de . lieu ■ en : lieu , puis se forma dans le cours d'un : exil , lointain ; . il ? revint , finalement '■ dans ; sa ville natale pour, y faire reconnaître sa divinité et pour y introduire ses cultes. En . termes ; simples . et clairs, le Pseudo-Apollodore : réexpose ce mythe ; il appartient . à la tradition grecque la ; plus . commune. Elle - enseigne que Dionysos est le fils de Zeus et de Sémélé..

Les fragments orphiques racontent une autre histoire. Voici deux1 textes significatifs, recueillis par Kern7. Le premier: est tiré : de Dio- dore : « On raconte que ce dieu naquit en Crête de Zeus et de Persephone, ce dieu qui selon la tradition des mystères institués par Orphée fut< démembré par les Titans. » Le second est extrait' de: Nonnos Abbas : « Persephone met au ; monde . Dionysos Zagraios, » qu'elle a, conçu de Zeus. Quand il est né, les Titans - une classe d'êtres démoniaques - le démembrent, poussés ,- par la jalousie en songeant qu'il tire sa naissance de Zeus. Selon; d'autres, c'est à la suggestion d'Héra que Dionysos fut démembré par= les -- Titans. » L'union de Zeus et de sa fille, Persephone, est connue d'auteurs chrétiens qu'elle scanda-

6. Cf. OF, 21 et 21 a. Le Papyrus derDervéni (col. xvib selon Laks-Most),. énonce déjà une idée semblable.

7. OF, 210, Kern, Nonn. Abbas in orat. II, contra Iulian., 35 ; Diod. V, 75, 4.

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lise : « Déméter enfante et/ Coré grandit mais Zeus. qui l'a engendrée- s'unit à elle..., à Phéréphatta, sa propre fille... Le voilà à la fois père et. corrupteur de la jeune : fille: »8 À lire les fragments de Kern, il semble que cette généalogie. soit la seule connue de la tradition orphique. Le nom de Sémélé n'apparaît pas dans : ses Index9. .

Tout se passe donc comme si la Grèce avait connu deux traditions distinctes : a) la : tradition , commune, issue d'Hésiode, , enseignant" que Zeus s'unit à Sémélé pour engendrer. Dionysos; b) la tradition orphique faisant naître Dionysos de l'union de Zeus et de Persephone. .

La synthèse des •-. deux, traditions, selon i l'enseignement , des Hymnes :

Qu'est-ce donc que les Hymnes nous apprennent sur ce point? Nous lisons les vers suivants dans l'hymne de Persephone :

« Praxidiké, toi qui portes des boucles charmantes, jeune pousse issue de Déô, génitrice des Euménides, reine des habitants du monde souterrain; mère d'Eubouleus, le dieu bruyant aux multiples formes. »

Un passage de l'hymne de-Dionysos leur fait écho : « Eubouleus riche en bons conseils, conçu de l'union indicible, de Zeus et de Persephone, oh toi, divinité immortelle... »"'

Ces deux hymnes, leur confrontation avec d'autres pièces du recueil nous apprennent en premier lieu qu'Eubouleus est une épiclèse de Dionysos, et que le dieu porte ce nom quand il est considéré comme fils de Persephone11. Nous * apprenons en ' second s lieu .. qu'il fut •;. conçu lors d'une union dont il est impossible de parler, arrhêtois lektroisi teknô- theis. L'adjectif drrhêtos signifie sans doute tout à la fois « ineffable », si' prodigieux qu'il , est impossible de . le dire, et « tabou, frappé* d'interdit », , si , inquiétant qu'il est défendu d'en parler. La Grèce : n'a ■ pas connu de nom' équivalent : au nom français « inceste ». L'union

8. Clem. Alex., Protr. Il, .16. 9. Nous attendons avec impatience l'édition nouvelle que prépare A. Ber-

nabé.Elle sera plus complète,- sur ce point notamment. 10. Orph. Ну., 29, 5-8 ; 30, 6-7. 11. Nous constaterons que Dionysos est un ; c'est toujours le même dieu en

dépit de ses deux naissances. Tous ses noms, toutes ses épithètes s'appliquent donc à la même personne et peuvent' lui convenir en toutes circonstances. J'observe cependant que les hymnes établissent une relation privilégiée entre certaines de ses appellations et certains épisodes de son mythe. Eubouleus convient particulièrement au Dionysos envisagé comme fils de Persephone et, bien qu'il soit plus courant, Bacchos qualifie souvent le fils de Sémélé (voir Pr. 34 ; 44, 8 ; 47, 1-2 ; 48, 2).

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d'un frère et d'une , sœur, n'y était pas . habituelle : mais elle ne provoquait pas grand scandale. Les divinités du mariage, Zeus et Héra sont, frère et sœur ; leur couple constitue le modèle du couple endogamique dont les membres sont de condition égale. En; revanche, l'union < de l'ascendant ; et : de : l'un de ses descendants „ directs : terrifie. (Le . mythe d'Œdipe suffit à le montrer.) Ambivalent, le sacré est : bénéfique ou maléfique, selon les circonstances. Si l'amour sacralise - le rôle joué par les symboles sexuels dans certains . rites, . celui : des ; hiérogamies le prouvent - la parturition et l'enfantement sacralisent de leur côté ; il y a des divinités de l'amour comme il y a une déesse de l'accouchement. L'union d'un enfant avec son père ou sa mère superpose du sacré au < sacré ; dangereuse parce qu'elle : est г sursacralisante, elle menace de compromettre • l'équilibre où. les puissances sacrées produisent • des , effets bienfaisants. Dionysos est né d'une telle union; elle est à peine - concevable, on ne peut en, parler. Plusieurs termes employés dans les hymnes soulignent ce paradoxe redoutable.

Le recueil des : hymnes reprend . donc la tradition ! orphique mais il fait- aussi ■; une place à* lai tradition commune/. La collection comprend en effet un hymne de Sémélé dont voici les premiers vers :

«J'invoque la fille de Cadmos, la toute-souveraine,. la belle Sémélé aux belles boucles, à l'ample poitrine, la mère du joyeux Dionysos; porte-thyrse ; elle a fait un grand travail d'enfantement sous l'éclat d'une lumière brûlante, consumée par les flammes, sous l'effet des décisions de Zeus... »12

En quelques mots, le dernier de ces vers évoque la mort de Sémélé consumée, quand: Zeus vient; auprès d'elle: sous, sa; forme divine, comme il le fait quand il s'approche d'Héra. D'autres hymnes se réfèrent au même mythe, d'une manière plus , elliptique. Je mentionnerai seulement ici l'hymne 48, qui invoque dans les termes suivants un dieu Sabazios assimilé à Zeus :

«Toi qui as cousu Bacchos Dionysos... dans ta propre cuisse pour qu'il y parvienne à terme: »n

II ne faudrait pas croire que, fait de pièces hétérogènes, le recueil juxtapose maladroitement des poèmes : issus de deux traditions différentes, sans que l'on ait perçu leur contradiction. Bien au contraire, la

12. Orph. Ну.; 44, 1-4. tt.-Orph. Ну., 48, 2-3. Cf. 47, 1.

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chose est délibérée : plusieurs hymnes établissent des liens étroits entre les deux mères. Nous lisons dans l'hymne de Dionysos Liknitès :

« Toi qui, jadis, fis légèrement des pas de danse dans les forêts de chênes avec les Nymphes gracieuses, poussé par le délire ! Par la volonté de Zeus, auprès de la noble Persephone tu fus' conduit' puis élevé,, objet de crainte, pour les dieux immortels... »14

Pourquoi donc Zeus devrait-il faire * conduire le fils de Persephone auprès de sa mère ? La ; phrase devient intelligible si nous ■ admettons que * c'est le fils de Sémélé qui doiu être < amené à Persephone. En * employant l'épiclèse Bacchos dans ses premiers vers15, l'hymne semble suggérer qu'il t s'agit - bien de ; l'enfant de la mortelle. Dionysos * passe ainsi des bras de l'une de ses mères à ceux de l'autre - nous verrons bientôt pourquoi.

Quelques vers . de , l'hymne à ;, Sémélé ■ nous > donnent , une seconde information de même type :

« Toi qui, de la part de la noble Persephone, as obtenu les honneurs qui te sont rendus chez les mortels lors de périodes biennales, quand ils célèbrent les douleurs qui ont donné le jour à ton Bacchos, la table sacrée et les saints mystères.»16

Ainsi Persephone se trouve mentionnée dans l'hymne même de Sémélé. La déesse, y lisons-nous, manifeste de l'intérêt pour la mortelle. Aux fêtes qui lui sont consacrées, elle associe la fille de Cadmos, reconnaissant en elle. une mère de Dionysos.

Si les hymnes attribuent ainsi deux mères et deux naissances à Dionysos, ils affirment cependant l'unité du dieu ; né deux fois, c'est toujours la même personne. En effet, plusieurs des hymnes qui le célèbrent font allusion tout à la fois à l'une et à l'autre de ses naissances.

C'est le cas du chant qui célèbre Dionysos Triétérique:

1. . «Je t'invoque, bienheureux appelé de multiples noms, Baccheus délirant ; toi qui portes des cornes taurines, protèges les pressoirs, naquis dans le feu, Nysien Libérateur ; toi qui fus nourri dans une cuisse, placé dans un van; maître de l'initiation ; nocturne Eubouleus, toi qui brandis le thyrse, coiffé d'une mitre ;

14. Orph: Ну., 46, 4-7. Suivant le texte de Quandt, j'avais d'abord ! compris « pour être cher aux dieux * immortels ». Dans : le : cours , de notre ; discussion, Mme Ricciardelli a rappelé que çiXoç figure dans une famille secondaire de manuscrits, alors que les, plus nombreux proposent le mot -ророс qu'elle trouve préférable. Son argumentation m'a convaincu. Elle retient cette lecture dans l'édition des Hymnes qu'elle a publiée depuis lors. Voir ci-dessous, p. 492 note 17.

15. Voir supra, p. 489 note 11. 16. Orph. Ну., 44; 6-8.

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5.' mystère indicible, être triple, rejeton caché de Zeus, Ericépaios Premier-né, père et fils des dieux; amateur de la chair crue,, porteur, de sceptre, toi qui conduis des cortèges1 rituels, dans la folie de la danse, quand tu accomplis les rites bacchiques, lors des fêtes biennales apaisantes ; toi qui as fendu . le sol dans l'éclat d'une flamme, Epaphrios, fils de deux • mères ;

10.' être cornu qui hantes les montagnes, vêtu d'une peau de faon, dans les fêtes biennales ; Péan porteur d'une lance d'or, toi qui as passé sous le sein, qui te pares de grappes de raisin,- Bassaros épris du lierre, entouré jeunes filles, doté d'une belle chevelure ! Viens, bienheureux, florissant de nombreux mystes, toujours réjoui. »17

L'hymne ; invoque Dionysos dans toute sa- plénitude ; il rappelle toutes les formes sous lesquelles le dieu se manifeste,- tous les aspects qu'il a revêtus. Nous apprenons dès le deuxième vers qu'il porte de multiples noms ; cette formule ne se réfère pas seulement à la pluralité de ses épithètes courantes, telles que Bacchos, Nysios, Lénaios, ou Liknitès, mais aussi au nom de divinités auxquelles Dionysos peut être assimilé, comme nous le voyons au vers 6; d'une façon remarquable, ce vers, interpelle Dionysos /Sous le nomďEricépaios qui est un des

17. Orph. Ну., 52.1. KixXr^xco m, ;лахар, TioXucóvuus, [AouvóXoc AïjvaTe, т:ур lotto ре Nóaie AuosO,

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Je suis le texte de G. Ricciardelli mais j'en propose une interprétation personnelle. Je ne me sens pas tenu par la ponctuation des manuscrits ; jusqu'à la fin de l'époque impériale, les papyrus ne sont ni accentués ni ponctués d'une façon systématique. Diverses considérations m'incitent à penser que, dans les hymnes, la parataxe de noms, des adjectifs et des participes implique parfois une syntaxe. J'ai, d'autre part, le sentiment que le vers constitue souvent une unité sémantique. (Voir l'article cité ci-dessus; note 4). Le français ne se prête pas à une simple transposition de ce procédé ; j'en suis réduit à proposer ici une paraphrase plutôt qu'une vraie traduction. . Au vers 10, хгрыс, est le produit d'une conjecture déjà ancienne. Les manuscrits donnent ■ spcoç. Si nous considérons que : l'hymne : identifie ; Dionysos : à* Ericépaios- Protogonos •■ et que celui-ci est lui-même identifié à; Éros dans < plusieurs textes orphiques, nous pourrions garder le texte des manuscrits, malgré la rencontre malheureuse des voyelles x et s dans la formule оирга^опта "Epwç.

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noms du dieu ̂ Premier-né. Le, vers 5 annonce cette assimilation ; nous y trouvons en effet les adjectifs arrhêtos etkruphios qui qualifient déjà, la divinité ancestrale dans l'hymne du Protogonos18. . Présentant • donc toutes les manifestations de Dionysos, l'hymne use de plusieurs termes qui évoquent, les uns le fils de Sémélé, les autres celui de Persephone. Aux vers 2 et 3, purisporos, « né dans le feu » et mêrotrephês; « nourri dans une cuisse », se réfèrent ; à des épisodes ; du i mythe de ■■ Sémélé, au vers 4, Eubouleus. s'applique au fils ; de Persephone; comme nous > l'avons déjà constaté. Au vers, 9, l'adjectif dimatôr fait la synthèse de ces indications successives ; bien que l'on en ait donné d'autres interprétations, il me paraît, dans ce contexte, signifier. clairement « enfant: de deux mères», c'est-à-dire enfant de Persephone et de Sémélé;

En bref, les hymnes ne juxtaposent pas .inconsidérément les données de deux . traditions distinctes ; ils en proposent une synthèse, en \ enseignant sans doute possible que Dionysos a eu deux mères successives. . Une donnée fondamentale du mythe orphique peut : seule expliquer ce paradoxe : il raconte le meurtre commis par les Titans sur la personne de Dionysos. Il faut que l'enfant de l'une des deux mères disparaisse, pour qu'il ait à naître une seconde fois..

Quelle fut • la première, quelle fut ; la seconde • mère ?

Une question se pose à ce propos; Dans quel ordre les deux mères, se sont-elles succédé ? On pourrait être tenté de considérer Persephone pour la seconde d'entre elles. Le mythe évoquerait ainsi la résurrection de l'enfant ' assassiné;, en le faisant i renaître de la reine du monde des morts, mais les textes s'opposent à cette interprétation. Les fragments, les passages de Diodore et de Nonnos Abbas que j'ai déjà cités notamment; enseignent que les Titans ont démembré l'enfant de Persephone. Celle-ci fut donc la - première mère. . Ils nous - apprennent ' encore ; une chose : quand les Titans eurent mis en pièces le corps de Dionysos, ils abandonnèrent son cœur intact ; Athéna * le ramassa- et le. remit; à Zeus19. Zeus est en possession de ce cœur, quand : il s'unit à. Sémélé ; grâce à la- permanence de cet organe. vital; d'une façon. mystérieuse et sous une forme renouvelée, l'enfant qui naîtra de cette union sera celui même que les Titans ont tué. C'est pourquoi Zeus fait amener à Persephone le fils de Sémélé ; il ' rend ainsi à la déesse l'enfant qu'elle a .

18. Orph.Hy., 6, 5. 19. OF, 210 et 216 b.

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perdu. C'est aussi ■ pourquoi Persephone fait ; célébrer, des i rites pour Sémélé : elle honore la femme qui a donné à son fils une vie nouvelle.

Proclus me paraît confirmer ces conclusions. Il connaît bien le texte des > Rhapsodies dont : il ■ cite ' ou commente de nombreux vers ; les œuvres orphiques lui' sont familières et il leur voue beaucoup de respect. Nous avons lieu de penser que, toute personnelle qu'elle soit, la pensée qu'il exprime dans ses propres poèmes n'est pas contraire à leur enseignement. Or il i y écrit les vers suivants, dédiés à -Athéna :

« Toi qui as sauvé le cœur intact du Seigneur dans les replis de l'éther, le cœur de Bacchos mis en morceaux de la main des Titans, et qui; l'apportant à son père, le lui as fourni afin , que, renouvelé í sous í l'effet . des < volontés indicibles , de ■ son géniteur, issu de Sémélé, Dionysos s'élève dans l'univers: »20

Ainsi, recueilli '. par Athéna, le cœur , de l'enfant assassiné joue un : rôle décisif dans sa renaissance. Ce rôle, quel est-il donc ? Une notice d'Hygin nous l'apprendra peut-être :

« Liber, le fils de Jupiter et de Proserpine fut mis en morceaux par les Titans. Jupiter donna* à Sémélé le cœur du malheureux, pilé dans; une boisson. Liber Iovis et Proserpinae filius a Titanis est distractus, cuius cor contritum iovis Semele dédit in potionem. Comme Sémélé se trouvait enceinte des œuvres de Jupiter, Junon prit la forme de Béroé, la nourrice de ; Sémélé, et dit : "Mon enfant, demande à Jupiter de venir/ auprès de ; toi tel qu'il s'approche de Junon, afin que ; tu saches quelle est la volupté de coucher, avec un dieu." Ainsi stimulée, Sémélé fit la demande à Jupiter et mourut foudroyée. Alors Jupiter tira Liber; du .ventre de Sémélé et le donna à Nysos pour qu'elle le nourrît. C'est pourquoi il: est nommé Dionysos et appelé fils de deux mères. Unde Dionysos. est appellatus et bimater dictus est;»21

D'une manière étrange mais étonnamment logique,' le mythographe latin explique ainsi un fait inconcevable : Dionysos persiste dans son identité bien ' qu'il naisse : d'une r seconde mère, après avoir, trépassé. Ayant absorbé : une . potion qui contient le cœur dilué . de ; Dionysos, Sémélé porte en elle de la substance du dieu quand elle conçoit, si bien que l'enfant mort pourra trouver une vie nouvelle dans le fils auquel elle donnera' le jour.

20. Proclus. Hymne 7 à Athéna, 11-15. Ce texte est cité par Kern dans les- notes qu'il adjoint à son fragment 210, p. 231.

21. U.ygm; Fab., 167.

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Peut-être la : mort prématurée de Sémélé répond-elle à '< une nécessité ? Peut-être ne faut-il pas > qu'elle garde l'enfant '- conçu dans > son propre sein jusqu'à ce qu'il parvienne à terme ? Peut-être ne faut-il pas qu'elle en achève la formation, au point de faire pleinement de lui son- fils ? Cet achèvement * lui donnerait une identité nouvelle,* alors qu'il doit rester l'enfant de Persephone : sorti de Sémélé, il achèvera donc sa gestation dans le corps de Zeus: Trop subtile et trop conjecturale, cette * explication n'est pas indispensable; nous ne nous y attacherons pas..

Il n'est pas certain qu'Hygin se réfère exactement au récit orphique auquel les , hymnes font allusion ; il '■■ atteste pourtant" l'existence d'un mythe très proche de celui que la lecture des hymnes nous a permis de. reconstituer et confirme ainsi cette reconstruction.

En bref, les hymnes se réfèrent à un mythe complexe où les deux mères de Dionysos trouvent leur place, où les deux naissances du dieu se trouvent logiquement coordonnées. Il me paraît peu probable que cette intégration des ; deux mères dans ; un système cohérent soit ?. une invention î du ou > des auteurs qui • ont composé les chants -j de notre recueil. Sur ce point; je suis enclin à croire qu'ils • s'inspirent au contraire : d'une tradition >■ qui \ les ; précède , et , les • dépasse. Écrit par < un homme familier de la littérature orphique, l'hymne de Proclus nous Гаг déjà suggéré ; bien que nous ne connaissions pas exactement ses sources, , Hygin nous í incite à le penser. . Ce . qui .- subsiste de la littérature orphique est si maigre que l'absence du nom de Sémélé dans les fragments de Kern est peu significative et ne suffit pas à prouver que cette littérature l'ait ignoré:

Dégageons une : première conclusion de . nos observations. , L'étude des hymnes, celle des allusions brèves et discrètes qu'ils font constamment à des événements mythiques, nous apprend deux choses, a) Les hymnes se réfèrent implicitement à un système de mythes semblable à celui que les fragments nous laissent entrevoir, b) L'étude des hymnes» peut ainsi confirmer l'enseignement des fragments ou même le compléter sur certains points. ,

Traditions orphiques et traditions helléniques communes

Risquons une seconde conclusion: À cette fin revenons d'abord à l'enseignement d'Hésiode et à celui

des auteurs qui exposent des mythes semblables à celui dont il est pour: nous le premier témoin. Ils situent Dionysos dans la théogonie autrement que les textes orphiques le font ; pourtant l'image de ce dieu que

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les premiers nous suggèrent n'est peut-être pas aussi différente qu'il le paraît de celle que les seconds, nous en donnent.

Dans l'ordre donné chez Hésiode, considérons les partenaires auxquelles Zeus s'est successivement uni :.

17 Métis. . C'est, une ; fille d'Océanos, dieu-fleuve dont Hésiode fait : un Titan. J'observerai toutefois qu'il \ ressemble peu à' ses frères ; sa « personne est mieux dessinée que la leur; selon; plusieurs témoins, il ne* participe pas à la Titanomachie et ne partage pas leur exil au fond du Tartare22. D'après l'Iliade, . il est* le principe générateur, des dieux, le principe générateur, de toutes choses ;, chez 'Hésiode il reste l'aîné des' fils d'Ouranos23. Bref si Métis est une cousine de Zeus, elle est cependant plus ancienne que lui,- très proche des premières générations divines. Rappelons que cette union de Zeus présente. un caractère exceptionnel : il finit par. avaler sa première épouse et se l'incorpore..

2 / Thémis. , 3 / Mnemosyne.. Toutes deux Titanines, filles d'Ouranos et de Gaia; Thémis et Mné-

mosyne . appartiennent : à , une génération antérieure à , celle de . Zeus. . Leurs frères sont plongés . dans le Tartare.

4/ Léto. C'est, une cousine de Zeus; ses , parents, . Coios et Phoibé,1 s'apparentent à Cronos et à Rhéa davantage qu'Océanos ; elle est certainement plus - proche * de Zeus, . plus semblable ; à ■ lui? que * le fut l'ancienne et l'exceptionnelle Métis. ,

5 / Déméter.. 6/Héra. Cronides, ces deux déesses sont l'une et l'autre des sœurs de Zeus ;

elles siègent . suri l'Olympe ; la ; seconde d'entre elles sera son ; épouse ; définitive et deviendra* la protectrice du mariage. -

7 / Maia. C'est- une : Pléiade. Fille i d'Atlas, elle * appartient' à . une génération. postérieure à celle de Zeus, génération dans laquelle on ne trouve. plus • que des divinités mineures.

8 / Sémélé. Lointaine descendante de Zeus et dTo, elle compte dans . ses ancêtres Poseidon, l'amant de Libye, puis Ares et Aphrodite, les parents d'Harmonie. C'est pourtant une simple mortelle.

9 / Alcmène. Bien qu'elle soit issue de Zeus et de Danaé, son ascendance comprend moins de divinités que celle de Sémélé. C'est ; une

22.' Нот. IL, XIV, 202-204; apld. I, 1, 4; OF, 135. 23. Sur ces différents points, voir J. Rudhardt. Le thème de l'eau primordiale

dans la mythologie grecque: Berne, 1971.

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mortelle, dernière des compagnes de Zeus mentionnées ; dans la. Théogonie24.

Les unions du* dieu; souverain se succèdent' ainsi dans • un ♦ ordre remarquable. Ses premières partenaires sont > des ; divinités éloignées, très anciennes ; les ■ secondes sont > ses ; contemporaines ; puis, au t terme : extrême de la; proximité, ses sœurs ; dans : un1 éloignement d'uib nouveau • type; ses :• compagnes • suivantes sont . une divinité mineure, sa> cadette, et en dernier lieu de simples mortelles.

La succession des dieux engendrés par Zeus obéit à une logique analogue; Fille de Métis, Athéna n'est pas la première de ses enfants; Zeus avale ou engloutit Métis avec l'embryon qu'elle porte ; celui-ci se développe alors dans le corps de son père ; Athéna y grandit; elle y mûrit et n'en sortira pas avant d'être parvenue à l'âge adulte25. Son cas est donc particulier. .. Conçus après elle; d'autres > grands , dieux seront s présents quand elle paraît; issue du crâne paternel. Les filles des ,Titanines; les Hôrai, les > Charités , et : les : Muses; sont des divinités collectives. Bien qu'elles portent chacune un nom; leur individualité est mal définie ; chacune d'entre elles se fond le plus souvent dans le groupe de ses sœurs. Tels Apollon; Artémis, Persephone ou Ares, les enfants des déesses les" plus proches de Zeus ont au contraire des personnalités bien caractérisées et disposent chacun : de ■ pouvoirs efficaces ; ' ils appartiennent * au groupe des dieux majeurs de la religion grecquer Notons qu'ils n'ont pas г de véritable enfance. Apollon apparaît sous la forme d'un nourrisson mais aucun mythe ne raconte sa croissance ; il passe d'un coup de l'état de nouveau-né à celui qui sera toujours le sien26. Les dieux ne grandissent pas ; comme le .vieillissement, , la croissance est le propre de, l'être: mortel. De ce point de vue; Hermès, le fils de Maia, présente des traits inattendus ; certes nous ne le voyons pas grandir, à- proprement parler mais le mythe évoque longuement l'enfant qu'il fut ; celui-ci sort de son* berceau et commet mille méfaits, avec une grande habileté: Ce n'est pas

24. Hes, Th.; 886-944. Dans le texte qui nous est parvenu, il est difficile de définir exactement les limites originelles de la Théogonie. Une chose est pourtant, claire : seules les unions qui donnent naissance : à des ■ dieux < peuvent y trouver ; place. Alcmène peut y être citée dans la mesure seulement où son fils Héraclès doit finalement accéder à l'Olympe; Quant au reste, les unions de Zeus avec des femmes mortelles seront évoquées dans le Catalogue des Femmes. (Bien que je n'aime pas remanier les : textes de la < tradition ' manuscrite; je ne crois pas imprudent d'éliminer de la Théogonie les vers 965-1022.* Ils m'y semblent introduits pour faire une transition entre la Théogonie et le Catalogue.)

25. Hes, Th:, 886-900 ; 924-926. 26. Voir notamment Нот. Ну., Ill; à Apollon, 102-150.'

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un nourrisson qui se présente devant Zeus aux côtés de son frère Apollon ; ce n'est pourtant pas encore le dieu adulte, maître de tous ses pouvoirs27. Hermès n'a donc pas de croissance mais le mythe prend largement son enfance en considération. Une autre observation mérite d'être faite. Hermès appartient à la descendance du Titan Japet. Or les enfants de celui-ci présentent d'étranges affinités avec les humains. Enlevé à la terre, Ménoitos ; est! envoyé dans les îles des ; Bienheureux, comme le seront plusieurs héros. Protecteur de l'humanité, Prométhee donne naissance à un enfant mortel, Deucalion. Le dernier, fils de Japet, Atlas, engendre : les Pléiades. Une ou deux d'entre elles, selon i les versions, s'unissent' à un mortel ; les autres épousent sans doute des dieux mais elles enfantent des êtres voués à la mort ; seule Maia, unie à Zeus, donne le jour à un dieu. Celui-ci, Hermès; se trouve donc étroitement lié à des mortels dont il est proche parent. Lui-même ne meurt pas mais, seul' parmi' les dieux, il ; franchit constamment . la frontière infernale, en : conduisant les morts dans l'au-delà. Bref, si Hermès est incontestablement un dieu, il présente de fortes affinités avec les hommes et fréquente , lui-même le trajet qui conduit de la vie à la mort. De génération en génération, les dieux sont donc plus étroitement spécifiés; chacun plus efficace dans le champ de ses compétences spécifiques, mais aussi chacun, plus limité ; de partenaire en partenaire; Zeus engendre des enfants qui s'apparentent de plus en plus à des hommes:.

Le processus ; se poursuit ; après ; la naissance d'Hermès ; né d'une princesse • humaine;, le dernier • des enfants divins de Zeus, Dionysos, ressemble ; beaucoup : à: un .. mortel. Les . mythes traitent abondamment des débuts de son existence., Ils ne font pas état de sa croissance mais; ils ' énumèrent plusieurs ; épisodes de sa ■; petite enfance ; le jeune dieu échappe à divers : traquenards et passe sous la > protection de : plusieurs nourrices. Les . textes : ne ; le : montrent pas s en >, train ■: de grandir mais ils ; évoquent diverses phases de sa formation, dans le cours d'un long exil. Enfin et surtout;ils évoquent la mort du dieu. L'idée de cette mort n'est en effet pas exclusivement orphique ; elle appartient à la tradition hellénique commune; puisque le sanctuaire de Delphes abrite un tombeau -s de Dionysos28. En . bref, . dernier né ', des enfants divins de Zeus,

27. Voir notamment Нот. Ну., IV, à Hermès., 28. Voir notamment 328 Philochore. Fr. J Jacoby ; Plut. Is Os; 365 a. Tel ;

qu'il est impliqué par le tombeau delphique, le mythe de la mort de Dionysos ne se rattache pas à la tradition orphique. D'après Philochore, une inscription précisait en effet : « Ici repose, après sa mort; Dionysos, né de Sémélé. » Cela n'exclut pas, pour les auteurs orphiques, la possibilité d'exposer à leur façon les relations qui ont unit Apollon à un Dionysos trépassé. Cf. OF, 210, p. 230 et OF, 211.

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Dionysos se situe à la limite de la mortalité et de l'immortalité ; c'est pourquoi : ilř fait l'expérience du : trépas:. L'enfant . suivant du; dieu- souverain « se : trouvera de l'autre côté de • cette limite : : né : d'Alcmène, Héraclès : sera ; mortel. Comme il : se situe . encore très près de la frontière, son statut reste cependant ambigu : on sait qu'Héraclès accéderai finalement à l'Olympe.

Notons autre chose. Lors de la naissance de Dionysos, la distribution •■ des timai entre les dieux ; paraît ; achevée ; ils ont tous reçu : leurs charges et leurs privilèges ; il semble que l'ordre du monde soit établi. Dionysos doit lutter pour faire reconnaître sa divinité, pour conquérir sa place parmi les dieux et- pour imposer ses cultes parmi les hommes. Ce sera nécessairement un perturbateur. C'est pourquoi il peut inspirer de la • crainte auxi immortels,, comme : l'hymne- du- Likniktès ; nous; l'apprend29.

Comme ; l'orphisme identifie volontiers ; plusieurs divinités les unes aux autres, il nous est difficile,1 en lisant les fragments, de reconstituer, l'ordre : dans i lequel il ; place ; les unions successives , de Zeus. - Nous \ savons du î moins > qu'il ) connaît . l'union : de Zeus » et d'Héra, celle de ; Zeus et de Déméter et situe, après l'une et l'autre, celle de Zeus et de Persephone.- Si le mythe hésiodique montre Zeus choisissant des déesses qui lui sont de plus en ■ plus proches jusqu'à s'unir à : ses sœurs, , le : mythe orphique poursuit cette progression jusqu'à son terme extrême et scandaleux en i accouplant Zeus à sa ; propre : fille.* D'une * manière discrète mais claire," le mythe hésiodique situe Dionysos à la limite de : l'immortel et du mortel; le mythe, orphique donne le même enseignement d'une manière plus explicite . et plus surprenante, en • racontant' le meurtre commis par, les Titans sur la •« personne du jeune ; dieu. Avec ; plus ou « moins d'intensité, l'idée d'une : mort de Dionysos est i certainement . présente ; à l'esprit des Grecs •■ - qui < pouvaient L voir son tombeau dans le sanctuaire de Delphes - mais ils ne doutent pas , que le , dieu i soit « vivant ; dans 1 le monde : présent - et que son action < y reste efficace. Le mythe orphique insiste sur ce paradoxe et le développe, en donnant au dieu mort ; une seconde mère et une seconde naissance. .

29.*. Voir ci-dessus, p. 491 et n. 14. Les dieux se réconcilient; la paix revient. En intégrant les cultes de Dionysos dans le calendrier de leurs fêtes, les cités rythment l'exaltation qu'il inspire, la limitent et la disciplinent. Dionysos ne met plus en danger l'ordre du monde mais il l'empêche de se figer et en restaure constamment le dynamisme.

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500» JEAN RUDHARDT.

Comme nous ; l'avons vu, la ; pensée : orphique identifie . le • dernier- né des \ dieux; cet être •. menacé r si proche . de la * mortalité; . à Zeus, le dieu i souverain; et r au ' formidable ■ Phanès, le Premier-né. Propre r à l'orphisme, ce trait' n'a , pas de vrai correspondant \ dans . les traditions communes. On notera \ toutefois . que : celles-ci '■ établissent . une relation d'intimité particulière entre Dionysos et Zeus. . Elles • enseignent ■■ que, . lors ■ de :1a mort : de - Sémélé,\ Zeus prit r l'enfant embryonnaire : qu'elle portait . pour le coudre . dans i sa , propre cuisse ; . c'est , dans . la chair de som père~ qu'il» a continué1 de: croître, pour parvenir- finalement! à terme:.

Notons : une chose à ce . propos : les mythes courants < établissent . une : symétrie remarquable entre le destin ď Athéna et celui de Dionysos.'. La première conçue • des enfants de Zeus et , le dernier ; né de ses fils divins, achèvent tous les deux leur gestation dans le corps «même de leur père.. Maisf une différence- significative: les opposer l'un à l'autre : Athéna ; sort adulte du crâne de : Zeus, ayant atteint d'emblée lai forme qui serai la . sienne pour toujours ; parfaitement « divine; elle n'a ■ pas de ; croissance, . ignorant i même -. la « situation ; dm nouveau-né. Au contraire,, proche •; des • mortels;. Dionysos , voit le' jour, sous la forme" d'um enfant; vulnérable, qui . subit t de- nombreuses: aventures. Elle : est plus : transcendante, proche : de ; l'autorité politique ; et ■ de ; la , cité ; il ■> est' plus ■- immanent, proche de l'individu. . Les \ commentateurs néoplatoniciens • me ; semblent i énoncer une idée ■ semblable d'une ; tout •■ autre façon. Selon eux, l'image de lui-même que Dionysos contemple dans le miroir offert par les Titans ! figure sa dispersion dansie tout; ils établissent . d'autre part f une correspondance entre le démembrement ' du dieu et - fragmentation de ; l'âme dans les \ âmes > individuelles. Rassemblant les- membres du dieu, Apollon^ le rétablit- dans son* unité. Recueillant; le cœur divin, Athéna sauve le nous; l'esprit indivisible • qui < transcende * la multiplicité des : âmes30.

Nous constatons que les. traditions helléniques dominantes véhiculent des récits très différents de ceux que les textes orphiques nous laissent4 entrevoir ; en - dépit r de ces différences pourtant, les1 uns et les autres peuvent orienter nos esprits dans une direction commune ; dans des langages > différents, ils nous donnent sur Dionysos des enseignements convergents. L'examen des autres dieux invoqués dans les hymnes; m'as conduit' à. des observations, semblables. En< ce qui

30. OF, 209 et 210.

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concerne la mythologie des dieux du moins, je ne crois donc pas que l'orphisme s'oppose radicalement aux enseignement généraux de la religion grecque31. Il s'inspire de la tradition commune ; il en aménage et en développe certains motifs ; il donne une expression plus systématique, plus forte et parfois plus paradoxale à quelques-uns de ses thèmes principaux.

17, rue de Saint- Jean CH-1203 Genève

31. La situation est différente en ce qui concerne les premières phases de la cosmogonie, d'une part, et l'eschatologie, d'autre part. Sur le premier point, il convient de noter que la Grèce a connu plusieurs systèmes cosmogoniques ; celui de la théogonie hésiodique ne s'impose pas avec une grande autorité ; les présocratiques peuvent en inventer à leur convenance, sur le mode mythique ou non. Sur le second point, on observera que tous les Grecs semblent ne s'être pas fait la même image de la mort et du monde des morts. Beaucoup d'entre eux n'en ont pas eu une idée très ferme. Quelle qu'en soit l'originalité, les croyances orphiques ne s'opposent à des traditions bien établies et largement répandues ni sur l'un ni sur l'autre de ces deux points.