181
PY0001X – SI PY0001X Psychologie d'hier et aujourd'hui : qu'est ce que l'humain ? 2012 / 2013

Py0001x - Sed

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Py0001x - Sed

PY0001X – SI

PY0001X

Psychologie

d'hier et aujourd'hui :

qu'est ce que l'humain ?

2012 / 2013

Page 2: Py0001x - Sed

Sommaire

PSYCHO D'HIER ET AUJOURD'HUI : QU'EST CE QUE L'HUMAIN ? Enseignants : TARTAS Valérie - SAURET Marie-Jean - ASKOFARE Sidi - SORDES-ADER Florence - TARTAS Valérie - LARROZE-MARRACQ Hervé - HAJJAR Violette - CAZALS-FERRE Marie-Pierre - HILTON Denis - NAVARRO Claude

Présentation(V.Tartas) p. 5

Introduction au cours p. 7

Psychologie clinique, psychopathologie, psychanalyse Le fait humain p. 9 Présentation p. 9 Leçon 1 p. 11 Leçon 2 p. 17 Leçon 3 p. 29 Leçon 4 p. 37

Psychologie du développement p. 45 Présentation p. 47 Plan du cours p. 49 Cours p. 51 Quelques éléments de conclusion p. 101 Références bibliographiques p. 103

Introduction à la Psychologie sociale p. 105 Remarques préalables p. 107 Première partie p. 109 Deuxième partie p. 123 Troisième partie p. 135 Bibliographie p. 143

Psychologie cognitive p. 147 Sommaire p. 149 Introduction p. 151 Cours p. 153 Ouvrages principaux consultés p. 181

Page 3: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail SED 2012 / 2013

UFR de PSYCHOLOGIE

UE1- PY0001X Psychologie d’hier à aujourd’hui- 1(première partie) :

Qu’est-ce que l’humain ?

PY0001X

3

Page 4: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

4

Page 5: Py0001x - Sed

Module : PY0001X Psychologie d’hier à aujourd’hui -1:

qu’est-ce que l’humain ?

Mademoiselle, Madame, Monsieur, Vous êtes inscrit(e), par l’enseignement à distance (SED) dans le module

PY0001X de première année “ Psychologie d’hier à aujourd’hui-1 qu’est-ce que l’humain ? ”, soit au titre d’UE 1, soit au titre d’UE 2. L’équipe pédagogique est heureuse de vous y accueillir et vous souhaite la bienvenue. Elle se propose de vous présenter une discipline nouvelle pour beaucoup d’entre vous : la psychologie et plus particulièrement une introduction à l’histoire de cette discipline.

Le domaine de la psychologie offre des paysages diversifiés, et nous avons privilégié, dans ce module, quatre d’entre eux qui composeront autant de chapitres de ce cours. Ces quatre chapitres sont, par ordre alphabétique : psychologie clinique (mais aussi psychopathologie et psychanalyse), psychologie cognitive, psychologie du développement et psychologie sociale. Chacun de ces chapitres a été remanié pour cette rentrée et de nouveaux documents pour compléter le cours vous seront proposés en ligne sur la plateforme IRIS à la rentrée. Pensez à vous y connecter afin de pouvoir y trouver les documents concernant le cours qui y seront proposés.

Les enseignants que vous rencontrerez dans le cadre des enseignements du SED, selon que vous suivrez le stage en semaine (s) ou celui du Samedi (S), sont respectivement et en principe, en psychologie clinique : Marie-Jean Sauret (s) et Sidi Askofaré (S) ; psychologie cognitive : Claude Navarro (s) (S) ; psychologie du développement : Valérie Tartas (s) et Hervé Larroze-Marracq (S) ; psychologie sociale : Marie-Pierre Cazal, Denis Hilton, Violette Hajjar.

Vos camarades en contrôle continu auront d’abord une séance d’enseignement dite tronc commun (TC), introduisant à l’ensemble des chapitres, puis 5 séances de CM par chapitre, les matinées respectivement des lundi, mardi, jeudi et vendredi. Ils ont, dans l’ordre, d’abord psychologie du développement et psychologie clinique (2 heures par chapitre chaque matinée indiquée) puis, dans la seconde partie du premier semestre, aux mêmes heures, psychologie cognitive et psychologie sociale.

Vous recevrez une présentation du cours de chacun des chapitres composants le cours. Nous y joignons en introduction, afin que vous en ayez une idée, le plan du tronc commun. Celui-ci peut vous paraître elliptique : il est d’emblée une invitation à le prendre comme un document à compléter à partir de la lecture d’un ouvrage choisi sur la liste bibliographique qui accompagne le plan du TC. C’est votre premier travail.

Chaque composante du cours propose également une bibliographie : il serait bien de lire, outre l’ouvrage introductif, un ouvrage par chapitre. Votre travail personnel et vos lectures doivent compenser l’absence des travaux dirigés (TD), dont vous êtes dispensés, proposés en parallèle des cours magistraux (CM) aux étudiants assidus : vous n’êtes pas dispensé des contenus de la discipline. Il serait bien, d’ailleurs, que vous saisissiez l’opportunité d’assister l’une ou l’autre fois au cours magistral afin de vous familiariser avec l’ambiance universitaire :

5

Page 6: Py0001x - Sed

camarades, enseignants, locaux… N’attendez pas le jour de l’examen pour découvrir les salles où vous êtes supposés composer.

Mes collègues de l’équipe pédagogique, Marie-Jean Sauret (Psychologie clinique) Christian Escribe (Psychologie cognitive), Fanny Verkampt (Psychologie sociale) et moi –même (Valérie Tartas, Psychologie du développement) ainsi que ceux que vous rencontrerez lors des regroupements se joignent à moi pour vous renouveler nos vœux les meilleurs et vous souhaiter un bonne rentrée.

Valérie Tartas

6

Page 7: Py0001x - Sed

Introduction du cours Plan du Tronc Commun

1. Introduction : 1.1 Objectif et plan 1.2 La psychologie et les sciences humaines 1.3 La préhistoire de la psychologie : De l’Antiquité au 18ième : quelques débats

philosophiques ouvrant sur des questionnements psychologiques fondamentaux: (autour des conceptions de l’individu, du savoir, de l’autre, des relations corps-esprit, pensée-langage, soi-autrui, individu-société) (titre en italique à reprendre…Par exemples : Descartes ; Locke, Rousseau)

1.3.1 Les Grecs et la nature sociale de l’homme (Aristote/Platon) 1.3.2 Les Grecs et l’étude de l’âme (Platon/ Aristote/ Saint-Augustin)

1.3.3 De l’âme aux faits de conscience (Descartes, Locke, Condillac)

1.3.4 Conclusion avec les 3 propositions de Wolff 2. Contextes d’émergence de la psychologie moderne Il faut mentionner que les conditions d’émergence de la psychologie scientifique

peuvent être aussi socio-économiques et politiques. 2.1 Conditions socio-économiques et politiques 2.2 Conditions scientifiques d’émergence 2.2.1 Rapport du biologique et du psychologique ((a) de la phrénologie à la

localisation cérébrale ; (b) la physiologie sensorielle (Hall, Bell et Magendie) 2.2.2 Comte et le positivisme 2.2.3 Darwin et l’évolutionnisme

3. Les précurseurs ou fondateurs non psychologues de la psychologie de la fin du

19ième 3.1 En Allemagne : Fechner, Ebbinghaus, Wundt 3.2 En France : Charcot, Ribot, Tarde… 3.3 En Angleterre : Galton 3.4 En Russie : Pavlov 3.5 En Amérique du Nord : W. James et son premier étudiant E. Hall 3.6 la psychanalyse 3.7 synthèse 4. CONCLUSION Du Tronc Commun : vers la psychologie du XXième

4.1 La mesure de l’intelligence (Binet et Simon) 4.2 La psychologie : science du comportement (behaviorisme, Watson) 4.3 La psychologie de la forme ou gestalt 4.4 la psychologie collective (Le bon) et historique (Meyerson) 4.5 La psychologie : science des conduites (Janet, Piaget…) 4.6 Objet et instrument en psychologie

7

Page 8: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

8

Page 9: Py0001x - Sed

PSYCHOLOGIE CLINIQUE, PSYCHOPATHOLOGIE, PSYCHANALYSE LE FAIT HUMAIN

(Rédaction Marie-Jean Sauret1

)

Comme dans les autres chapitres de la psychologie, il s’agit de s’interroger sur le fait humain à partir de la psychopathologie, de la psychologie clinique et de la psychanalyse. En un sens ce champ s’est constitué à partir de sa façon de répondre à une série de question relatives au fait l’humain : qu’est-ce qui fait la spécificité de l’humain (de l’hominisation à l’humanisation, quel est le processus d’humanisation, quelles sont ses conditions de pérennisation et de transmission) ? Et quels faits sont spécifiquement humains ? Lesquels appellent et relèvent de la psychologie – de la psychologie clinique, de la psychopathologie, de la psychanalyse ?

Force est de constater que de tous les « êtres vivants », l’humain est le seul qui parle. De ce fait il est immédiatement contraint de se poser à lui-même la question que la science pose aujourd’hui à propos de ses objets : que suis-je ? Il est alors le seul à devoir tenir compte de la réponse et de la nature de celle-ci : des mots. De tout temps les humains semblent avoir eu l’appréhension du fait que ce qu’ils sont comme objet du savoir général ne se confond pas avec la réponse à la question de ce qui fait la spécificité de chaque « individu » qui compose la foule humaine. Telle est au fond la matrice d’une division qui prendra divers noms dans l’histoire (nature et culture, corps et âmes, individu et sujet, sciences dures et sciences humaines…) à laquelle la psychologie clinique, la psychopathologie et la psychanalyse respectivement se dévoueront.

Chaque époque a secrété sa propre anthropologie – la notre n’y coupe pas – et les disciplines scientifiques portent la marque de leur temps. De sorte que nous allons tenter de croiser les conceptions du fait humain dans le champ que nous étudions, avec les discours qui trament chaque époque : et nous soupçonnons que les « psychologies » surgissent soit pour servir le discours dominant, soit pour le contrarier. Car à la différence d’autres chapitres de la psychologie, le départ est pris dans les souffrances psychiques concrètes que les « individus » éprouvent du fait de leur fonctionnement psychique mais également de leur difficulté à se loger, avec leur propre réponse à la question de ce qu’ils sont, dans le vivre ensemble qui leur est contemporain. La psychopathologie, la psychologie clinique, la psychanalyse sont à prendre comme les réponses d’une époque pour traiter (guérir ? éradiquer ? transformer ?) ce que chacun présente alors comme « symptôme » et comme les enseignements tirés sur le mode de fonctionnement et le « soin » psychiques. On verra que ces termes devront être précisés en fonction des problèmes, des théories et des époques examinées. Pour plus de commodité nous désignerons parfois ce chapitre par le premier terme du titre : « Psychologie clinique ».

D’ores et déjà le chapitre est découpé en quatre leçons : 1) La psychologie clinique : de l’archéologie du souci de soi à la science moderne ; 2) Deux réponses à la modernité : la psychopathologie et la psychologie clinique moderne ; 3) Les psychologies de la santé et la postmodernité ; 4) Une culture de l’exception : la psychanalyse. Bibliographie : Sauret Marie-Jean, Alberti Christiane, « Le fait humain », La psychologie clinique, Histoire et discours, Toulouse, P.U.M., collection Amphi 7, 1995, pp. 17-31.

1 - Les leçons rédigées par Marie-Jean Sauret ont été mises au point avec l’aide de Sidi Askofaré

9

Page 10: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

10

Page 11: Py0001x - Sed

3

I – LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE : DE L’ARCHEOLOGIE DU SOUCI DE SOI A LA SCIENCE MODERNE

11 – ARCHEOLOGIE DU SOIN (Michel FOUCAULT)

De tout temps et en tous lieux il y a eu soin. Mieux, cette universalité du soin se double de son caractère non spécifiquement humain. De ce point de vue, on pourrait faire une “ histoire naturelle ” du soin, voire son éthologie. Car avant d’être une activité et une pratique humaines, le soin apparaît et peut être défini d’abord comme un comportement animal contraint par l’instinct. A partir d’une certaine échelle dans l’évolution animale, la survie de l’individu n’est possible en effet qu’à la condition qu’un certain nombre de soins - de l’alimentation à la protection en passant par la chaleur, l’abri etc. - lui aient été prodigués. Le soin donc, au sens générique, n’est pas spécifique à l’homme et ne le spécifie pas.

Ce qui spécifie l’humain dans cette problématique du soin, c’est la paradoxalité que lui impriment deux déterminations particulières avec lesquelles nous relisons, rétroactivement, les pratiques ancestrales :

a) en raison de la “ prématuration spécifique de la naissance ” - inachèvement anatomique du système pyramidal, impuissance motrice, dépendance du nourrissage -, le petit d’homme exige pour son développement et son autonomisation un temps très long d’élevage et donc de soins : l’enfance ;

b) ces soins se déploient dans un espace, un univers de langage, avec a minima quatre conséquences importantes :

1) la dé-naturation du soin qui cesse d’être instinctuel pour s’élever à la dignité d’une pratique culturelle du simple fait de l’empreinte langagière qu’il reçoit (cf. les cuisines, le maquillage, la coiffure…) ;

2) la prise du soin dans le langage le plie au bon vouloir d’au moins un autre parlant – soit, aux conditions subjectives (le soin se désire, s’érotise, s’interprète…) – et le soumet à la nécessaire dépendance d’un autre parlant – dialectique intersubjective du lien - et à la disparité subjective qu’impose l’aliénation signifiante à l’Autre (le soin devient non seulement quelque chose qui se donne mais aussi quelque chose qui peut se demander, se refuser, se négocier, etc.) – .

3) à un niveau plus radicalement social, au plan de la Cité, le soin se professionnalise, de manière restreinte d’abord, puis de plus en plus élargie jusqu’à se stabiliser en des fonctions sociales plus ou moins éminentes (prêtres, sorciers, guérisseurs, etc.) ;

4) cette pratique de soin ne reste presque jamais à l’état d’une pratique muette, d’un faire brut que ne précède, que n’accompagne ou que ne reprend aucun savoir. Les pratiques de soins sont toujours prises dans des savoirs, dans des discours qui les fondent, les justifient, les orientent ou les éclairent.

Il est nécessaire de distinguer, d’un côté, les savoirs qui fondent et justifient des pratiques qui s’ordonnent à partir de leurs énoncés indialectisables - c’est-à-dire en général des mythes, des dogmes religieux ou idéologiques - et, de l’autre, des savoirs qui résultent de l’élaboration critique et rationnelle d’une expérience (mieux d’une pratique réglée). 12 –LA SCIENCE MODERNE : AVENEMENT ET INCIDENCES

12.1 – Les caractéristiques de la science moderne: Dans la mesure où nous avons choisi comme boussole la science moderne, essayons de

cerner ses caractéristiques.

11

Page 12: Py0001x - Sed

4

Nous appelons science aujourd’hui la pratique sociale qui vise la production de connaissances certaines ou en tout cas vérifiées et vérifiables. Cette science vise à décrire, à expliquer, à prévoir et si possible à reproduire. Elle s’inscrit dans un projet de maîtrise et de domination de la nature – son premier champ – et, au-delà, de tout ce qu’elle investit comme objet de recherche.

Telle qu’elle est issue de la physique mathématique, c’est-à-dire en particulier de la mécanique de Galilée et de Newton, elle opère par réduction du complexe

- au mesurable ; - au calculable ; - au prévisible ; - au reproductible ; - au manipulable (ce qu’on peut soumettre au changement en opérant sur des

variables). D’où la question radicale de ce qu’elle devient dès lors que son objet n’est plus la nature

– physique, astronomie, chimie etc., – ou le vivant végétal ou animal, mais le vivant animal parlant, le sujet humain qui tient son être et sa condition d’humain du langage, de la parole et de leurs incidences sur sa jouissance (ce vivant parlant est le seul capable de faire science).

12.2 – Le sujet de la science moderne.

12.21 – Les pionniers La science moderne commence avec les savants qui ont eu le courage de réfuter le

savoir accumulé jusqu’à eux, savoir auréolé de l’autorité de la tradition, parce qu’un fait d’expérience ou la rigueur d’un raisonnement s’y oppose. Ces savants découvrent qu’il y a du réel qui échappe au savoir présenté jusqu’à eux comme assuré et exhaustif, que le monde n’est pas tel que décrit par les savoirs qui font autorité : Aristote et La Bible, les deux mamelles de la scolastique.

Ces nouveaux savants (Copernic, Galilée, Huygens, Kepler, Newton, etc.) adoptent d’une part une posture qui consiste à interroger les savoirs établis, et d’autre part l’idée que le vrai dans la science se confond avec le vérifiable, ce qui se démontre et fait objet de consensus entre savants à l’exclusion donc de tout savoir révélé. Le gain de savoir obtenu à partir de là remet en cause les savoirs les mieux établis. Cette découverte a été accompagnée, sous l’impulsion de Galilée, de l’adoption du langage mathématique (langage sans parole) pour interroger la nature qui répond dans le même langage[1]

. On voit la difficulté et la gageure que représenterait l’ambition de la psychologie clinique pour faire science, soit d’exiger d’un sujet parlant qu’il réponde dans un langage de ce type qui est fondé sur l’univocité et la tautologie.

12.22 – Le doute fondateur Les inventeurs et des découvreurs ne définissent pas la science moderne qu’ils mettent

en œuvre Il revient à René Descartes de prendre d’en prendre acte. Si ses travaux de physicien n’ont pas marqué l’histoire des sciences, il est celui qui a donné à la science moderne ses fondements de raison. Dans deux de ses ouvrages, les Méditations métaphysiques et le très célèbre Discours de la méthode pour bien conduire sa raison, il s’interroge sur ce qu’est la science et sur la façon de conduire sa raison pour obtenir un savoir certain. Il est obligé de partir d’un constat. De tout ce qui lui a été appris par ses maîtres, il n’est certain d’aucun de ces savoirs dès lors qu’il les envisage en dehors de la garantie que leur confère leur [1] - Sur toutes ces questions, se reporter à Alexandre Koyré, Etudes d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard, “ Tel ” et à Françoise Balibar, Galilée, Newton lus par Einstein .Espace et relativité, P.U.F, Coll. “ Philosophies ”.

12

Page 13: Py0001x - Sed

5

énonciation par une autorité, un maître (Platon, Aristote, Hippocrate, Saint Thomas d’Aquin, etc.). Là où était la croyance au savoir appendue à l’argument d’autorité – c’est vrai parce qu’Untel l’a dit –, Descartes institue le doute. Il s’agit d’un doute méthodique (hyperbolique), c’est-à-dire un doute qui se veut une voie vers la vérité. Littéralement, ce doute est un remède contre le doute qui se trouve au principe de l’indécision et du choix. D’où l’expérience du Cogito qui consiste à se défaire de toutes les idées et de toutes les croyances, à se libérer de toutes les traditions et autorités pour parvenir à la certitude de la vérité.

Pour nous, une conclusion se dégage déjà : le sujet qui fait la science, le sujet qui est l’agent de la science est un sujet qui parle, qui doute, qui n’est pas assuré de ce qu’il perçoit, qui ne sait pas si ses sens, sa sensibilité ou son entendement ne le trompent pas – il est « divisé » entre le savoir (de la science) et la vérité (la recherche d’une garantie). Paradoxalement ce doute qui le divise caractérise le sujet qui fabrique la science, le sujet qui exerce sa raison. C’est le sujet qui déclare : « Cogito ; dubito ». De ce point de vue s’intéresser à la psychologie c’est faire la théorie du sujet qui fabrique la science !

12.23 – Une expérience mentale Le Cogito est l’occasion d’une expérience mentale : “ Je pense » (« je m’introduis

comme sujet du doute dans le savoir »), « je mets, constate le désordre dans le savoir » (aucune garantie par le maître ne résiste au doute), donc le sujet du doute existe” (donc « il y a du sujet »).

Du coup il nous faut distinguer deux « sujets » : a) le sujet qui pense et qui énonce « cogito », c’est-à-dire le sujet de l’expérience mentale ; b) le sujet démontré, produit par l’expérience comme « fait de discours », le sujet qui s’écrit « ergo sum ». Insistons : le “ je suis ” sur lequel conclut l’expérience du Cogito est un “ je suis ” transformé en fait de science, en énoncé linguistique, que nous pourrions traduire par : « Il existe donc du sujet ». Ce sujet démontré comme objet de science n’est aucun sujet particulier. Chacun de nous peut réitérer l’expérience du Cogito, sans que le sujet démontré (le « ergo sum ») porte la moindre trace de la singularité de Descartes (de sa biographie par exemple) ni d’aucun de ceux qui refont la démonstration après lui. Il y a donc d’un côté le sujet qui fabrique la science (un être singulier) et de l’autre l’affirmation scientifique de l’existence du sujet déduit d’une expérience mentale.

12.24 – La fabrication de l’objectivité Le savoir n’est scientifique que s’il privilégie dans le raisonnement la causalité formelle

du type : si A (la pagaïe dans le savoir du fait de l’introduction du sujet du doute) alors (donc, ergo) B (il existe du sujet). Le savoir produit n’est dit scientifique que parce qu’il atteint à l’objectivité. Il est objectif parce qu’il exclut la marque de la subjectivité qui le fabrique. Dès lors qu’il est objectif et démarqué de la subjectivité (doute, sentiment, croyance, etc.) qui le fabrique, il est généralisable et tend à l’universel : il vaut pour tous les objets du même type, il est acceptable par toutes les subjectivités qui en prendront connaissance. Le savoir scientifique, c’est le savoir désubjectivé !

A noter que Descartes divise le champ du savoir en deux (et du même coup enregistre la division du sujet lui-même). D’un côté (côté « ergo sum ») il y a le registre de la nature où ne se rencontrent que des objets (de la science) muets, ainsi fabriqués, relevant de la science physique (science de la nature), tel le corps humain doté de qualités et de caractéristiques à étudier : le sujet est objet d’étude (la cognition, les lois de la pensée, etc.). De l’autre côté (côté « Cogito »), « à côté » (méta) de la physique il y a donc le registre de la métaphysique où Descartes exile le sujet de la parole, du doute, de l’affect, etc. On le voit, les sciences dures et les sciences « humaines », celles qui vont s’interroger sur le sujet, prennent leurs sources dans la même expérience.

13

Page 14: Py0001x - Sed

6

Dès lors, on voit que, avec l’opération cartésienne, la science isole le sujet qui la fabrique, elle définit la catégorie de sujet mais elle le rejette dans le même temps comme ne relevant pas de son champ. Ainsi, elle est capable d’étudier et de produire un savoir sur la reproduction humaine, mais pas sur l’amour, le désir ou la sexuation (non pas l’anatomie, mais la question de ce que signifie être homme ou femme, ainsi que la façon dont chacun choisit et s’oriente vers son sexe propre…). Nous pouvons faire l’hypothèse que surgira de ce qui est ici exclu et rejeté le terrain où s’exercera l’interrogation et la recherche psychologique, spécialement clinique.

En toute logique, le sujet de la science (le sujet qui fabrique la science et le sujet de la civilisation scientifique, le sujet divisé entre savoir et vérité) c’est le sujet de la clinique, le sujet auquel la psychanalyse notamment se consacrera. 13 – LA MÉDECINE MODERNE

13.1 – Ses caractéristiques : L’avènement de la science moderne renouvelle de fond en comble la physique et les

disciplines connexes. Ce bouleversement se retrouve dans les grandes caractéristiques de la médecine moderne. Nous en retiendrons quatre principales :

naissance d’une médecine expérimentale et d’industries liées aux soins ; formation du médecin qui sacrifie tendanciellement l’art médical, la relation

clinique au profit de la formation scientifique et technique ; hyper spécialisation des médecins due aux progrès fulgurants des

connaissances et des appareillages ; clivage voire conflits entre recherche fondamentale et recherche clinique.

D’où les problèmes récurrents relatifs à la formation des médecins voire à leur identité professionnelle. Indiquons ici que nous aurons à revenir sur l’avènement d’une autre cause de bouleversement : l’invention de la psychanalyse, qui introduit, avec l’invention freudienne de l’inconscient, l’idée d’une détermination spécifique, proprement psychique, à côté des déterminations naturelles.

13.2 – La clinique médicale Le mot clinique dérive du grec Kliné qui signfie lit : il désigne la pratique qui s’exerce

au pied du lit du malade, au un par un, donc. La clinique médicale se définit par le dispositif de traitement, par sa méthode et ses objectifs, par l’appareillage conceptuel qu’elle induit à chaque niveau (dispositif, objectif, méthode).

13.21 – Le dispositif clinique

L’âme étant mise de côté (renvoyé du côté de la métaphysique), la science s’occupe du physique, du corps, du soma. Cette objectivation du corps s’épanouit avec la possibilité de la dissection et de l’autopsie interdites jusque là par l’Église (qu’on se souvienne des ennuis de Léonard de Vinci… et de La leçon d’anatomie de Rembrandt).

L’objectivation du corps s’accompagne de la promotion d’un regard et d’une écoute objectifs, désubjectivés (ce sont des signes que l’on cherche à capter et non plus des messages). Cette écoute est d’ailleurs appareillable (loupe, microscope, stéthoscopes, ancêtres des appareils modernes : IRM, ).

Cette double objectivation s’accompagne justement de la promotion d’une séméiologie, d’une science des signes qui exige la prise de notes, des descriptions détaillées (cf. Michel Foucault, La naissance de la clinique)...

14

Page 15: Py0001x - Sed

7

13.22 – Démarche et objectif La description autorise classement et calcul : - diagnostic : identification des maladies (les signes observés trahissent une entité

invisible, la maladie, dont la première question qu’elle pose est de savoir si elle existe ou si elle n’est qu’une fiction, une construction langagière) ;

- nosographie : description de la pathologie (y compris de son évolution, de ses mutations, etc.);

- étiologie : science des causes ; - pronostic : évolution supposée (guérison, à quelles conditions, ou mort) ; - et, bien sûr, traitement(s) (= thérapeutique) : guérir, soulager, réduire,

accompagner…).

14 –VERS UNE AUTRE CLINIQUE

L’invention de la science moderne (la physique mathématique), au-delà des progrès de la médecine, bouleverse non seulement tous le champ du savoir mais aussi l’ensemble des repères culturels et en particuliers métaphysiques. Métaphysiques antiques, théologies chrétiennes (malgré leur Réforme et Contre-réforme) et leurs noces scolastiques avec l’Université, deviennent insuffisantes pour répondre, voire simplement poser la question de la subjectivité nouvelle. Une psychologie nouvelle est requise qui rende compte du fonctionnement psychique du sujet du temps de la science

14.1 – Une clinique née de l’échec Il était inévitable que la médecine rencontrât des échecs. Il y en eut de deux types : a)

les premiers liés à l’état (aux limites) du développement de la médecine organique ; b) les autres liés au fait que les pathologies observées (troubles du caractère, des conduites, des comportements…) ne semblaient pas relever de l’organicité, quels que soient les progrès à espérer dans ce domaine.

C’est de ce deuxième constat qu’est née l’idée d’attribuer ces pathologies inexplicables en première lecture par la physique (par le biologique, c’est-à-dire par la science médicale de l’époque), à ce qu’elle laissait de côté : le sujet de la parole, du doute, etc. – bref, de la métaphysique. D’où, à côté du médecin (medicus, en latin) de l’organisme (soma), l’avènement d’un médecin (iatros en grec) pour les maladies (pathos) de l’âme (psyché) : un psychiatre pour les pathologies psychiques, les psychopathologies (attention : le terme va changer de sens et signifier non plus les maladies de l’âme, mais les théories du fonctionnement maladif du psychisme ainsi que la réflexion sur les théories de ce fonctionnement).

14.2 – Les pionniers : Nous ne serons pas surpris de noter l’influence de la réflexion philosophique et

politique, déjà rencontrée avec les Grecs – ici, l’incidence des philosophes des Lumières (Rousseau, Diderot, etc.) et de la Révolution française avec ses « droits de l’homme et du citoyen » : le sujet est responsable de sa position, et le psychiatre est d’abord un clinicien, un observateur…En France :Philippe Pinel (1745-1826), associé au surveillant-chef Pussin, reste dans les mémoires pour la libération des fous et la promotion du traitement moral (Cf. Marie Didier, Dans la nuit de Bicêtre, Gallimard, « L’un et l’autre »)…Etienne Esquirol (1772-1840) considère la folie comme un champ unitaire à côté de la médecine biologique, dans lequel on peut discriminer des états : manie, monomanie, hypomanie (littéralement une sous-manie, une manie atténuée), stupeur, démence…Jean Martin Charcot (1825-1893) s’illustre d’abord grâce à la méthode anatomo-clinique qui lui permet d’individualiser certaines scléroses et affections rhumatismales. Mais la même démarche l’oblige à reconnaître

15

Page 16: Py0001x - Sed

8

que l’hystérie ne peut être due à des lésions organiques mais tout au plus à des lésions fonctionnelles…En Allemagne : Emil Kraepelin (1856-1926) considère la folie comme une maladie (psychose), et met l’accent plus sur l’élaboration théorique que sur la clinique ; il produit le premier Traité de psychiatrie et longtemps le plus important et le plus systématique de la pathologie mentale…

14.3 – Une clinique de l’observation : Le champ de la psychopathologie n’est pas homogène. Nous pouvons nous y orienter à

partir d’une question sous-jacente à toutes les pratiques et théories qui le composent : quel sort faire (ou est-il réservé) à la souffrance du sujet ? Dans tous les cas, cette question amène les cliniciens à réaliser un recueil de données caractéristiques, voire des sortes d’exemples (le cas “ type ”, la vignette clinique, le paradigme), sur la base desquels ils s’appuient pour tenter de dégager des catégories, des régularités, des structures voire des lois générales.

La multiplicité des conceptions relatives à la psychopathologie (aux “ maladies mentales ”) est bien sûr le premier résultat notable. Elles oscillent entre deux pôles : l’application des principes de la médecine organique dans le domaine de l’âme (la psychiatrie) et le relevé du témoignage propre du patient (la psychanalyse). Ce faisant, elles butent sur l’irréductibilité de la singularité de chacun aux savoirs établis : passer du cas (du singulier) à la théorie (au général) ne se fait pas sans perte, perte qui pousse au renouvellement doctrinal.

Dans un premier temps cette exploration (observation) clinique (qui mobilise les sens : regard, audition, toucher, et même goût et odorat) débouche sur l’élaboration de grandes catégories nosographiques entre lesquelles le psychiatre espère répartir de façon exhaustive et sans recoupement les individus dits “ malades mentaux ” du type : les psychoses, les névroses, les perversions, les « états limites ». Les théories psychopathologiques s’efforcent de dégager pour chaque catégorie une description symptomatique précise qui prenne en compte l’évolution(dans le temps), un diagnostic, une étiologie, un pronostic et un traitement.

Bibliographie : Sauret Marie-Jean, Alberti Christiane, « La préhistoire de la clinique », « L’antiquité de la maladie mentale », « Le Moyen Age et l’universalisation du savoir », « La naissance de la clinique moderne et le discours de la science », La psychologie clinique, Histoire et discours, Toulouse, P.U.M., collection Amphi 7, 1995, pp. 34-90.

16

Page 17: Py0001x - Sed

9

LEÇON 2 DEUX REPONSES A LA MODERNITE : LA PSYCHOPATHOLOGIE ET LA

PSYCHOLOGIE CLINIQUE MODERNE

Avec ce chapitre nous rentrons de plain- pied dans l’appréhension du fait humain : d’une part à partir de l’énumération des modèles fabriqués pour rendre compte de ses accidents « psychiques », d’autre part à partir de l’invention d’une démarche mieux adaptée à leur appréhension que la seule démarche expérimentale issue de la physique. 21 – LES MODÈLES EXPLICATIFS EN PSYCHOPATHOLOGIE :

Nous distinguerons trois modèles fondamentaux ou “ purs ” : organogénétique (la cause

de la pathologie psychique est à chercher dans l’organisme), psychogénétique (la cause est mise aussi dans le psychisme), sociogénétique (la cause implique le social). Indiquons tout de suite qu’ils se révèlent tous réductionnistes (ils privilégient une détermination au détriment d’autres et ne rompent pas toujours avec l’explication biologique en dernière instance), et se révèlent incapables de fournir une explication générale satisfaisante des phénomènes psychiques.

À côté de ces modèles “ purs ”, d’autres s’inspirent directement de la philosophie (le phénoménologique), du syncrétisme (qui combine différents modèles), ou de disciplines récentes (sciences cognitives). S’y rajoutent des “ modèles ” déduits d’une expérience et d’une pratique spécifiques : c’est le cas de la psychanalyse, dont c’est, entre autres, l’une des spécificités par rapport aux autres modèles.

21.1 – Les modèles fondamentaux :

21.11 – Le modèle organogénétique, dit encore anatomo-comportemental (Pierre Janet [1859-1947]) est décalqué sur le modèle anatomopathologique ou anatomoclinique (Jean Martin Charcot[1825-1893]), emprunté à la médecine : il constitue le paradigme de l’orientation naturaliste. Il consiste à mettre en rapport un trouble mental (repéré à partir de ses manifestations : conduites et comportements) avec une atteinte organique (par exemple : un type de lésion cérébrale). Dans les faits, tous les courants psychiatriques que nous allons examiner s’en remettent au soubassement anatomique ou organique du modèle médical pour l’explication en dernière instance. Mais il est des pathologies pour lesquelles la lésion joue un rôle déterminant – par exemple la syphilis dans la démence que Antoine Laurent Bayle, en 1822, nomme paralysie générale, et à propos de laquelle le japonais Noguchi en 1913 mettra en évidence l’inflammation des méninges due au tréponème pâle de la syphilis –, même si la forme que prend la pathologie n’est pas réductible à son explication biologique. Côté mérite, citons encore : paralysies, démences séniles, maladie d’Alzheimer, aphasies... Cf. également les succès de l’approche biologique telle l’invention du premier neuroleptique, le largactil, en 1952, par Pierre Deniker (1917-1998) et Jean Delay (1907-1987) (à partir de la molécule de chlorpromazine sur laquelle travaillait Henri Laborit (1914-1995), ou l’efficacité du lithium dans la régulation de l’humeur dans le traitement des psychoses maniaco-dépressives. Ou encore les progrès de l’exploration du cerveau secondaires aux perfectionnements techniques (EEG, image à résonance magnétique, scanner, etc.).

La limite du modèle réside dans la généralisation du préjugé biologique : les manifestions psychologiques résulteraient nécessairement d’une détermination biologique ; et si c’était parfois le contraire ? On a mis en évidence des modifications de taux de neurotransmetteurs, telle la noradrénaline, dans la schizophrénie ; et si c’était la modification

17

Page 18: Py0001x - Sed

10

biologique qui était déterminée par le fonctionnement psychique (un peu comme le taux d’adrénaline augmente avec la colère ou la tension amoureuse) ?

21.12 – D’où le modèle dit psychogénétique – par opposition au modèle

organogénétique examiné ci-dessus –, qui postule que l’origine du trouble doit être cherchée dans un accident du psychisme ou de son évolution. Ainsi Eugen Bleuler (1857-1939), Gaëtan Gracian De Clérambault (1872-1934) et quelques autres ont inféré entre la lésion (visible ou non) et le comportement pathologique observé, l’existence d’un processus psychologique spécifique (lésion psychique dans la schizophrénie pour le premier ; automatisme mental pour le second). Ce modèle semble bien introduire l’idée d’une causalité d’ordre psychique en situant la lésion non pas directement dans l’organisme mais au niveau de l’appareil psychique. Mais d’une part la “ lésion psychique ” est elle-même attribuée aux conséquences d’une lésion organique dont elle explique seulement la variabilité des effets d’un individu à l’autre ; d’autre part, elle est conçue sur le même modèle déterministe que la détermination organique : cette conception rend tout simplement impossible l’explication des processus créateurs et d’invention, les actes par lesquels le sujet, justement, échappe non pas à ses déterminations mais à ce qu’elles paraissent lui dicter en les utilisant dans le cadre d’une réalisation imprévue et imprévisible.

21.13 – Dernière forme pure, le modèle sociologique ou psychosociologique,

pose la maladie mentale comme le résultat d’une perturbation de la relation à l’autre et au monde (ce qui confère un accent nouveau aux théories de la mondialisation !). Tout ce qui se présente comme crise ou dysfonctionnement social serait susceptible d’entraîner des troubles pathologiques. Ce qui entraîne l’idée que toute réparation psychologique passe par une remise en cause et un changement des liens sociaux dominants.

a) Il faudrait citer le courant dit de la psychothérapie institutionnelle né à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban (Lozère) durant la guerre de 1939-45, sous l’impulsion de psychiatres comme Georges Daumezon (1912-1979), Lucien Bonnafé (1912-2003), François Tosquelles (1912-1994), qui a pensé exploiter le potentiel thérapeutique de l’institution et des pensionnaires eux-mêmes (assemblées générales, participation aux décisions et au travail), contre les effets de sur-aliénation liés au marquage psychiatrique ;

b) Mentionnons l’expérience de l’antipsychiatrie anglaise (Ronald Laing [1927-1989], David Cooper [1931-1986], Aaron Esterson [1923-1999]) et son travail avec les schizophrènes (à partir du centre de Kingsley-Hall, cf. le film Family life ou le livre de Mary Barnes et Joe Berke : Voyage à travers la folie) ;

c) La psychiatrie démocratique italienne (Franco Basaglia [1924-1980]) a obtenu par la voie démocratique l’abolition de toutes les institutions spécialisées en psychiatrie. Son combat (et sa pratique dans les hôpitaux de Gorizia, Parme et Trieste) est en effet à l'origine de la Loi 180 visant la suppression des hôpitaux psychiatriques adoptée en 1978 ;

d) La psychiatrie communautaire française a créé des lieux d’accueil parmi lesquels nous mettrons à part celui de Maud Mannoni [1923-1998] (Bonneuil) pour sa référence à la psychanalyse ;

e) Enfin, il existe tout un courant de psychiatrie interculturelle ou d’ethnopsychiatrie, qui tend à relativiser les manifestations psychopathologiques en les attribuant à une incompréhension culturelle ou en indiquant qu’au moins leur forme est tributaire de la culture du sujet (Geza Roheim [1891-1953], George Devereux [1908-1985], Marie-Cécile [1915-2008] et Edmond Ortigues [1917-2005], Tobie Nathan [1948], Marie-Rose Moro [1961])..

Ce modèle généreux qui a mis l’accent sur la communication pour tenter de dépsychiatriser les malades mentaux a paradoxalement abouti (entre autres) à une relative psychiatrisation du champ social en attribuant la folie non pas à l’individu lui-même mais à la

18

Page 19: Py0001x - Sed

11

société ! S’il en est résulté la psychiatrie de secteur (des dispensaires, des appartements thérapeutiques et autres hôpitaux de jours ou de nuit), ce modèle a pu suggérer à certains que l’on pouvait renoncer à prendre en compte le plus particulier du sujet – ce qui fait sa “ folie ” – pour le dissoudre dans des déterminations sociales. Aujourd’hui, ce courant a donné lieu à une orientation qui s’efforce d’examiner à quelles conditions des sujets créent et organisent une vie sociale habitable par eux-mêmes et accueillante pour les autres – bref, sont créateurs de lien social (cf. l’option interculturelle du Master pro de Psychopathologie et psychologie clinique de l’Université de Toulouse 2 le Mirail).

21.2 – Modèle issu de la philosophie : Il s’agit du modèle psychophénoménologique : celui-ci met l’accent sur la question du

sens et l’exigence de compréhension des faits cliniques : c’est le paradigme de l’orientation humaniste (des cliniciens qui veulent à tout prix distinguer l’humain des objets de la science ainsi que dans la perspective naturaliste ou objectivante du modèle anatomo-psychopathologique par exemple). L’apport de cette approche réside dans le fait, donc, d’inclure le fait clinique dans un ordre purement humain. C’est pourquoi nous le retrouvons aujourd’hui dans les innombrables psychothérapies de ce courant dit humaniste. Elles ont en commun de s’intéresser au vécu du monde, par une personne, à partir de la signification de la situation clinique elle-même. Dans cette perspective sont introduits les notions ou concepts de sympathie, d’empathie, d’authenticité, de tolérance, de bienveillance, de neutralité, de non directivité, de prise de conscience… Sans doute Ludwig Binswanger [1881-1966] est-il l’un des pionniers ; et faut-il encore citer Carl Rogers [1902-1987] et un contemporain, Henri Grivois , qui postule une expérience de « centralité » dans la psychose (auteur de Parler avec les fous, Tu ne seras pas schizophrène, Naître à la folie). Le pas effectif réalisé par cette démarche dans le sens de la prise en compte du particulier est à notre sens contrarié chez certains par l’absence de références à la science et à la logique d’une part, et chez d’autres par un recul devant l’explication psychanalytique (par l’inconscient et le sexuel). Surtout les auteurs, là encore, semblent s’accorder sur l’attribution de ce qu’il y a d’incompréhensible, d’incohérent, d’insensé, dans le fonctionnement psychique d’un individu, à une organicité sous-jacente, sans produire la théorie qui construirait la chaîne de causalité qui relierait ladite organicité à la signification “ pathologique”.

Karl Jaspers (1883-1969) dans sa Psychopathologie générale propose de distinguer ce qui relève de l’explication causale naturaliste de ce qui relève de la compréhensibilité qui est seule du domaine de la psychologie. Cette approche envisage le patient dans la globalité de sa personnalité et dans la totalité de sa vie (synchroniquement et diachroniquement). Certains phénomènes psychiatriques vont donc s’étudier, être compris dans une démarche subjective : soit dans leur aspect phénoménologique et statique (synchronie), soit dans leur aspect génétique et dynamique (diachronie) qui permet de saisir les enchaînements de faits et de comprendre comment s’est installé un délire à partir du développement d’une personnalité, ou comment fait irruption une psychose réactionnelle à la suite d’un événement dramatique. On abandonne donc à l’explication naturaliste les processus organiques de certaines maladies mentales comme la démence et la schizophrénie. Encore que l’on distinguera dans ces deux dernières les phases processuelles incompréhensibles et les réaménagements psychopathologiques secondaires compréhensibles phénoménologiquement.

21.3 – Les modèles éclectiques, 21.31 Le modèle organodynamique : Sous ce nom, Henri Ey (1900-1977) tente de réorganiser le champ psychopathologique

en un continuum (qui sauverait la détermination biologique soutenue par le modèle anatomo-pathologique) : la hiérarchie des niveaux de désintégration fonctionnelle des activités

19

Page 20: Py0001x - Sed

12

neurologiques et cérébrales supérieures conduit à une théorie psychopathologique faisant apparaître les maladies mentales comme des “ modalités de la décomposition (de la dissolution) du corps psychique dont l’être conscient constitue la forme ”. On a donc un processus héritier de l’évolutionnisme de Darwin, en deux temps : désorganisation, réorganisation. Ce modèle présente à la fois une organogenèse et une structure psychologique qui constituent la base existentielle de toute forme de psychopathologie (héritage cette fois de John Hughlings Jackson : 1834-1911).

21.32 – Le modèle bio-psycho-social : Solution de “ synthèse ”, « éclectique » et beaucoup plus “ simpliste ”, ce courant (plus

que modèle) considère que l’individu (son fonctionnement psychique) est le résultat de l’action conjuguée de facteurs biologiques, psychiques (les mécanismes cognitifs par exemple) et sociologiques (familiaux et environnementaux) et de leurs interactions. Qui niera le poids de chacun de ces facteurs ? Cependant cette conception n’élabore pas de théorie de l’articulation du biologique, du psychique et du social, se contentant la plupart du temps de mettre en évidence des corrélations entre des comportements ou des conduites problématiques et les facteurs isolés. Au sens strict ce modèle ne produit donc pas de théories psychopathologiques. Il leur est même antinomique, annonçant une certaine mort de la psychopathologie clinique et une classification dite étiologiquement a-théorique des troubles mentaux : sur laquelle nous allons revenir.

21.33 – Le modèle intégratif : Le modèle dit intégratif est plus un parti pris épistémologique qu’un modèle stricto

sensu : postulant que chaque théorie détient sa parcelle de vérité, les théoriciens de ce courant s’efforcent de rassembler tout ce qui peut s’élaborer au sein de la même doctrine en réalisant un travail d’intégration afin de gommer les contradictions et disparités, un peu comme si la synthèse était en elle-même la preuve de la vérité. Ils pensent ainsi échapper à la fois à l’éclectisme sans éthique et à l’impérialisme de modèles insuffisants par ailleurs (cf. Serban Ionescu). Or, la pertinence d’une doctrine ne s’évalue pas seulement à son efficacité (perspective pragmatique) : tels effets peuvent être expliqués par une théorie fausse – ainsi les premiers chimistes ont amené la combustion comme preuve de l’existence du phlogistique avant la découverte du rôle de l’oxygène dans la combustion ; ou, dans notre champ, l’invention de l’atrabile ou du phlegme (pituite, lymphe) pour rendre compte de certaines pathologies (dont la mélancolie) par Hippocrate (460-356 av. JC), l’ancêtre de la médecine moderne. Rien ne dit que ce qui est rejeté d’une théorie pour réaliser la synthèse n’a pas son registre de pertinence…

21.4 – Modèle issu d’une autre discipline scientifique : Le modèle cognitivo-comportemental est issu du behaviorisme et des sciences

cognitives. Il propose également une “ synthèse ” et un “ dépassement ” des conceptions anatomo-comportementalistes et psychogéniques : il considère l’individu comme une machine de traitement de l’information à l’instar d’un l’ordinateur digital. Selon certains auteurs il ne s’agit là que d’une métaphore ; selon d’autres il y aurait non pas analogie mais identité entre le neurone informatique et le neurone humide. Cette conception a le mérite de permettre de distinguer entre les lésions neurologiques, les accidents du hardware, et les problèmes purement psychologiques, tel les conséquences d’un virus dans le software. Si cette conception permet des avancées décisives dans la réalisation des machines intelligentes, elle oublie parfois que la première machine, inventée par Alan Turing [1912-1954), repose sur le principe selon lequel la machine ne traitera que de la partie qui obéit à un strict calcul, entre autres pour désigner les problèmes qui mettent en échec tout calcul. La dissection du cerveau

20

Page 21: Py0001x - Sed

13

d’Albert Einstein n’a révélé ni les raisons de son génie ni les secrets de la découverte de la théorie de la relativité, ni cette théorie elle-même. Ajoutons la réplique de Kasparov après sa défaite aux échecs en 1997 contre l’ordinateur Deep Blue qu’il avait battu l’année précédente : “ Il ne sait pas qu’il a gagné ”, quand bien même le résultat de la dernière partie est intégré à la base de ses données. Tout le monde n’imagine pas que le dit ordinateur refuse désormais de se confronter aux humains, ses inférieurs, pour se consacrer à des parties entre machines, mais certains qui rêvent de post-humain qui nous délivrerait du vivant, oui…

21.5 - Nous mettons à part le modèle psychanalytique, paradigme de l’orientation

psychodynamique, inventé par Freud avec les névrosés – sur lequel nous reviendrons plus tard : c’est un “ modèle ” qui fait du patient lui-même l’expert ou l’enseignant, qui est attentif à la parole, dans lequel l’inconscient et le sexuel jouent un rôle central ; bref, qui privilégie la singularité du cas sur les catégorisations – un anti-modèle en quelque sorte !

21.6 – Les limites de la modélisation : Les classifications les mieux établies butent sur les progrès même de la clinique en

mettant au jour des faits qui ne rentrent dans aucune entité pathologique répertoriée (cf. les états limites). De sorte qu’à l’idéal classificatoire d’un individu appartenant à une seule catégorie et une seule, succède la crainte de devoir créer une classe par individu : à chacun sa pathologie ! En fait, la discrimination scientifique ne s’arrête pas à l’individu : le malade se voit lui-même subdivisé en attitudes et comportements (agressivité, frustration, tendances paranoïdes, schizophréniques, etc.) qui démontrent que l'individu n'est même pas sûr : il disparaît soit derrière la tentative de construire des continuum depuis la normalité jusqu’aux pathologies les plus graves, ou, au contraire, soit derrière la dispersion de signes pathologiques que l’on cherche de moins en moins à regrouper en syndromes.

Du coup, la psychiatrie moderne préfère en revenir à des listes de symptômes établis sur un postulat athéorique... par sondage d'opinions scientifiquement mesurées auprès des psychiatres de l'Association Américaine de Psychiatrie : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, dit DSM. Voir l’exemple du traitement de l’homosexualité (egosyntonique et egodystonique) par motion adoptée à l’unanimité ! La première version dite DSM1 est parue en 1952 ; la version actuelle est le DSM IVTR (2000 ; le DSM IV date de 1996). La publication du DSM V est reportée à 2013 pour tenir compte de la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé qui sortira alors : CIM11. L’avantage de ce type d’outil est de proposer aux cliniciens un langage commun. Mais c’est au prix de l’abandon de la psychopathologie et de toute référence à la psychanalyse à partir de la troisième version. Précisons que les promoteurs du DSM ont renoncé à la validité de leur instrument (est-ce que les pathologies isolées par sondage d’opinion existent réellement ?) au profit de la fiabilité du diagnostic (deux médecins se servant des grilles du DSM face au même patient identifieraient les mêmes signes de dysfonctionnement psychique et leur donneraient le même nom). Or, des études systématiques démontrent qu’il n’en est globalement rien !

Il faudrait pouvoir lier la démultiplication des théories jusqu’à l’échec des classifications modernes au fait qu’un réel échappe à chacune : et faire l’hypothèse que ce réel pourrait concerner le singulier (ce qui fait que chaque être parlant est irréductible à son semblable !). C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier ce constat selon lequel les classifications les mieux établies (un individu appartient à une catégorie et une seule) s’effondrent (un individu par catégorie) avant de voir l’individu céder lui-même au découpage multifactoriel (il devient une foule de particularités étudiées : niveaux d’agressivité, d’angoisse, de frustration, etc.). La démarche scientifique réagit en invitant les chercheurs à affiner leurs grilles d’évaluation : de sorte que nous devrons examiner deux cliniques, celle, proprement psychologique, qui poursuit sur l’objectivation du patient (les psychologies de la

21

Page 22: Py0001x - Sed

14

santé), et celle qui s’efforcera de traiter avec ce qui fait la singularité de chacun (psychanalyse psychopathologie clinique).

22 – L’APPARITION DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE :

22.1 Le surgissement de la psychologie clinique : La psychologie clinique (une clinique non psychopathologique) naît en même temps

aux Etats Unis, en France et en Autriche, mais dans trois registres différents : elle est fille de la psychologie expérimentale (naturaliste) aux Etats-Unis ; issue de la psychopathologie en France, et comme – expression malheureuse – une « psychologie des profondeurs » annonciatrice d’une psycho-analyse (devenue : psychanalyse) en Autriche (avec Freud, nous y reviendrons au chapitre suivant).

22.11 - Lightmer Witmer (1867-1956), psychologue américain élève de

Wundt serait le premier à avoir utilisé le terme de psychologie clinique lors d’une conférence, en 1896, devant l’Association Américaine de Psychologie (APA). En fait il proposait concrètement la création d’une “ clinique psychologique ” assortie d’un service de “ guidance ” (entre médecine et assistanat social). Cette conférence resta sans effets jusqu’à la création en 1919, au sein de l’APA (American Psychologic Association) d’une section clinique.

22.12 – En France, c’est dans le champ de la psychopathologie et non de la

psychologie expérimentale que le terme de psychologie clinique est apparu pour la première fois. Un peu d’histoire[2]

a) Jean Martin Charcot : :

Les travaux de Charcot (1825-1893) sur l’hystérie marquent, malgré lui, le passage à l’orientation nouvelle, qui ne réduit pas la psychologie à l’explication naturaliste : l’hystérie est une névrose qui n’est pas due à des lésions anatomiques mais fonctionnelles ; son tableau clinique présente des manifestations critiques et intercritiques (crises aiguës et rémissions), des stigmates et une évolution. On appelle trouble fonctionnel une perturbation qui affecte le fonctionnement d’un appareil organique – digestif, moteur, respiratoire, sphinctérien, circulatoire, etc. – en l’absence, ici, de lésion anatomique : mais l’accident, dans l’esprit de Charcot, reste localisé à l’organisme. Néanmoins, le trouble fonctionnel ouvre la voie à une prise d’indépendance d’avec l’organicité (dans laquelle Freud se glissera). D’où, nous le savons, un modèle psychopathologique (anatomopsychopathoclinique) pour aborder le fonctionnement psychique.

b) Pierre Janet, pionnier de la psychologie clinique : Pierre Janet (1851-1947) développe une approche réellement clinique en ce qu’elle

étudie à la fois le particulier et la totalité de la personne. Sa contribution à la psychologie générale est celle de la psychologie de la conduite ; son apport majeur à la psychopathologie réside dans la psychasthénie. Personnage original, il a servi de modèle à Hergé pour le professeur Tournesol.

[2] - Il faudrait, si le temps le permettait, examiner l’incidence de la psychologie naturaliste française. Henri Piéron (1881-1964), par la voie expérimentale et behavioriste avant l’heure, Alfred Binet (1840-1910), avec la psychométrie, Henri Wallon (1879-1962), pionnier de la psychologie du développement, participèrent de la création d’une psychologie de terrain. Piéron participe à la création de l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris, qui formera, entre 1921 et 1947, les seuls psychologues diplômés de l’enseignement supérieur. Son grand œuvre demeure la création de l’Institut National d’Orientation Scolaire et Professionnelle. Sans doute cette institution contribue-t-elle le mieux à la professionnalisation de la psychologie, et indique-t-elle à quelle commande sociale les psychologues entendent répondre.

22

Page 23: Py0001x - Sed

15

Philosophe puis médecin avant de devenir psychologue, Janet est souvent présenté à la fois comme un adversaire résolu de Freud et comme celui qui revendiquerait contre ce dernier la découverte des fondements de la psychanalyse. Il soutient une thèse en philosophie, sur L’automatisme psychologique (1889). Il y distingue deux modalités du fonctionnement psychique : l’activité automatique et l’activité de synthèse. Relèvent de la première les états hypnotiques et somnambulique, formes élémentaires de la conscience réduite “ à une vie purement affective, sans connaissance et sans réflexion ”. Les activités de synthèse visent à la création, impliquant un haut niveau de conscience. Cette thèse inclut déjà les idées maîtresses de Janet : la dissociation de la personnalité (entre ces activités), la force et la faiblesse psychologique (selon celles qui dominent), les états de haute et basse tension. Sans doute la maladie se définit-elle par la prédominance des activités automatiques. Mais la santé ne se distingue pas par l’exclusivité des activités de synthèse, mais bien par un équilibre entre les deux types.

Enfin, Janet s’aperçoit – à peu près en même temps que Freud – que si l’hystérique retrouve sous hypnose l’émotion liée au traumatisme à l’origine de sa pathologie, le symptôme disparaît. Grâce à ce travail Charcot crée pour lui, à la Salpêtrière, dans les années 1890, un petit laboratoire de psychologie pathologique. Le “ laboratoire de psychologie de la clinique de la Salpêtrière ”, lequel devient par une sorte de lapsus “ laboratoire de psychologie clinique ” : le terme s’impose, même si Charcot et Janet lui-même en usent peu. Pour éviter toute confusion, il est important de marquer ici que si Charcot et Janet ont mis en évidence l’importance de déterminations du fonctionnement psychique par des idées non conscientes éventuellement accessibles par l’hypnose (Charcot), il n’existe qu’une analogie avec ce que Sigmund Freud appelle inconscient.

c) Premières polémiques et première définition de la psychologie clinique en France :

Entre décembre 1897 et décembre 1901, deux psychiatres de l’Hôpital Sainte Anne, Paul Hartenberg et Paul Valentin, créent et publient la Revue de Psychologie clinique et thérapeutique. L’ambition est polémique : défendre les thèses de Bernheim contre celles de Charcot. Charcot, en effet, use de l'hypnose pour étudier l'hystérie ; Bernheim (mais aussi Liébault) considère que c’est la suggestion qui opère, au point de ne quasiment distinguer hypnose et suggestion ; il en conclut que les phénomènes physiques observables dans l’hypnose sont des phénomènes psychologiques, et donc que Charcot crée artificiellement les grandes hystéries qu’il prétend étudier.

Au delà, la revue propose une première distinction entre psychologie expérimentale et psychologie clinique extrêmement moderne, qui ne repose pas sur l’opposition entre dispositif expérimental et hypnose : a) “ La psychologie expérimentale isole et dissocie les éléments de la vie psychique. Elle suscite dans des conditions prévues d’avance, les phénomènes de sensation, de volition, d’idéations, qu’elle note et qu’elle mesure à l’aide de calcul et des instruments enregistreurs. Elle conduit à des moyennes d’autant plus satisfaisantes qu’elles sont plus abstraites et plus générales. C’est pour ainsi dire la mathématique de la psychologie ”. b) “ La psychologie clinique, au contraire (…) observe la vie psychologique elle-même, considérée comme un tout concret et réel (…), elle poursuit le développement, normal et pathologique de la personnalité, la tâche n’est pas de schématiser mais d’individualiser ” (cité par Evelyne Séchaud, Psychologie clinique. Approche psychanalytique, Paris, Dunod, 1999, p. 6).

23

Page 24: Py0001x - Sed

16

22.2 – De la guerre de 40-45 à la naissance de la psychologie clinique : La place manque pour souligner le rôle de la guerre : la politique de Vichy, la

fondation Alexis Carrel, l’enquête aux 100 000 enfants [3]

22.21 – Daniel Lagache, le fondateur de la psychologie clinique : …

Professeur de psychologie à Strasbourg, il y crée une licence de psychologie autonome (hors philosophie). Après l’occupation de l’Alsace par l’Allemagne, il se retrouve à Clermont-Ferrand où le gouvernement de Vichy a rapatrié son université. À la sortie de la guerre il est sollicité pour former les psychologues dont la nation a besoin. À cette époque, D. Lagache paraît plus préoccupé de “ psychologie sociale ” et de psychiatrie que de psychanalyse, adoptant délibérément un point de vue humaniste (phénoménologique).

À l’endroit de la psychanalyse (“ De la psychanalyse à l’analyse de la conduite ”, 1949), Lagache se propose de réaliser l’opération que Janet à “ réussi ” avec la psychologie – la transformer en “ analyse de la conduite ”. Il travaille ainsi à l’introduction de la psychanalyse dans la psychologie générale.

À terme, Lagache conclut que “ le mot psychanalyse ne veut rien dire de plus qu’analyse psychologique ” : “ La psychanalyse a pour objet la personnalité totale, dans ses rapports avec le monde et avec elle-même… Ces rapports n’étant pas autre chose que des conduites, cette définition inclut la psychanalyse dans la psychologie conçue comme science

[3] - Première phase d’institutionnalisation du secteur de l’enfance inadaptée et de l’éducation surveillée à l’initiative du gouvernement de Vichy : la dynamique ainsi créée se poursuivra après la libération et donnera naissance à la profession d’éducateur spécialisé en même temps qu’elle offrira des places nouvelles aux psychologues. La Fondation pour l’étude des problèmes humains, dite fondation Alexis Carrel (prix Nobel de Médecine qui la dirige) n’est pas sans évoquer l’institut Göring créé par le Troisième Reich. Appartinrent à ladite fondation René Le Senne, qui démissionnera en 1943, Jean Delay, Françoise Dolto, Pierre Naville, Jean Stoetzel. Il est difficile de trancher exactement entre ceux qui y firent seulement l’apprentissage de techniques collectives ou qui y saisirent l’occasion de mettre en œuvre de nouvelles démarches de recherches empiriques et expérimentales (Stoetzel, Naville – à côté de sa contribution à la résistance – , Le Senne) et ceux qui préfèreront refouler cet épisode au point de le rayer de leur biographie (Dolto) – jetant la suspicion sur leur rapport à la politique officielle. La Fondation diligenta une enquête sur le nombre d’enfants anormaux en France.. Lagache en établira la nomenclature psychiatrique[3]. Cette enquête sera exploitée en 1947 et publiée en 1950 en gommant soigneusement les circonstances et la visée eugéniste : “ conduire à une évaluation du capital actif de l’enfance d’âge scolaire, autant qu’à la valorisation du passif récupérable, tout en appréciant l’importance du déchet ”. A sa sortie, l’usage des tests est contestée par quelques uns, mais aucune critique n’est adressée au contexte idéologique ou au biais lié à la situation de guerre susceptible d’infléchir notablement les résultats. Pour autant, et à cause de son amplitude (100 000 enfants contactés), cette enquête demeurera longtemps une référence.

Cette histoire devrait être poursuivie en examinant le rôle des psychologues de l’enfance (Binet, Piaget qui est analysé par Sabina Spilrein) ; de Georges Mauco, Juliette Favez-Boutonnier qui créen les Centre Psycho Pédagogiques (trop vite devenus CMPP) pour traiter de façon non médicale l’enfance traumatisée par la guerre, et du Centre Claude Bernard qui ouvre le premier territoire du psychologue clinicien, Favez-Boutonnier provoquant la division d’avec les expérimentalistes pour créer enfin le premier département de psychologie clinique… dans lequel des psychanalystes enseignent… la psychanalyse (Jean Laplanche).…

A la sortie de la guerre, Jacques Lacan, psychiatre et psychanalyste, promoteur du retour à Freud, se fera le défenseur d’abord de la psychologie appliquée, puis des psychologues cliniciens : au travers de son rapport sur la psychiatrie anglaise après la guerre, ensuite à l’occasion du procès de madame William Clark, perdu en appel, pour exercice illégal de la médecine (alors que la psychiatrie dans son ensemble, Lagache y compris entendent faire des psychologues les auxiliaires de la médecine). Lacan sera le seul a demander si les psychiatres se jugent tellement bien formés qu’ils peuvent se passer des psychologues, alors que ces collègues allègueront plutôt le manque de médecin, des tâches plus pédagogiques que thérapeutiques et l’existence de cas faciles – notamment en guidance infantile – pour justifier le travail de psychologues. Ce procès indiquait la réticence du corps médical à voir des non médecins exercer une clinique ; il révélait également le peu de confiance que les psychanalystes eux-mêmes faisaient à la formation psychanalytique puisque celle-ci ne devait pas permettre de traiter des cas graves – auxquels seule la psychiatrie préparerait. Les débats ne donnent pas l’impression que la spécificité de la psychanalyse ait été perçue[3]

24

Page 25: Py0001x - Sed

17

du comportement des êtres vivants ”. Ego Psychologie et psychologie sociale sont les moyens utilisés par Lagache pour obtenir cette intégration de la psychanalyse dans la psychologie. L’affirmation de cette intégration aboutit à la création de la psychologie clinique et à sa leçon fameuse “ Psychologie clinique et méthode clinique ” (1949), dans laquelle la psychanalyse apparaît sous l’appellation d’ultra-clinique comme l’un des outils à la disposition du psychologue clinicien. Chacun a en mémoire sa définition de l’objet de cette psychologie – l’ « étude approfondie de cas individuels », i.e. de la personne totale en situation, de l’homme concret aux prises avec des situations concrètes – et ses buts qui ne sont rien moins que ceux déclarés impossibles par Freud : conseiller, guérir, éduquer…

Lagache reste l’auteur de cette idée qui continue à primer : la psychanalyse fournit des hypothèses utiles à la psychologie individuelle, dans le domaine de la psychologie pratique - conseil, traitement ( !), éducation, publicité… -, dans la psychologie des petits groupes, et, avec quelques réserves, dans le champ de la psychologie des populations étendues, et dans celui de l’axiologie (morale, politique). Mais dans tous les cas ces hypothèses doivent être soumises aux conditions d’administration de la preuve spécifiques au registre considéré. Avec ce principe méthodologique, Lagache ne dénie-t-il pas à la psychanalyse toute capacité à la démonstration ?

Certes Lagache arrache la première licence de psychologie clinique. Mais il est pris à contrepied par le ministère qui généralise aussitôt cette création dans toute la France quand lui-même entendait la maintenir sous contrôle à Paris.

Paradoxe, Lagache a bradé les découvertes de la psychanalyse pour se faire absorber par la psychologie générale… Mais les psychologies qui s’appuient sur l’objectivation et l’expérimentation n’abandonneront pas pour autant à son endroit le reproche de faire la part trop belle aux points de vue qualitatif, subjectif, et pour tout dire « non scientifique ».

La situation n’est pas sans analogie avec ce qui se passe aujourd’hui où des psychanalystes s’efforcent de rendre la psychanalyse compatible avec les exigences du cognitivo-comportementalisme sous prétexte qu’une discipline n’est scientifique que si elle se plie aux problématiques de l’évaluation et de la mesure des disciplines expérimentales. Or nous devinons que cela ne peut se faire qu’au détriment de la prise en compte de la singularité (de la parole et du symptôme du sujet). Si l’on élimine le sujet, c’est la mort d’une psychologie qui est programmée : comme il se voit déjà dans de nombreuses études qui réduisent les faits mentaux à la description des mécanismes biologiques mesurables.

Les études quantitatives répondent à un certain type de questions posées par les psychologies qui recourent à l’observation et à la démarche expérimentale. Mais qu’est-ce qui peut bien pousser des psychanalystes à un pareil reniement de ce qui fait leur spécificité (sur laquelle nous reviendrons) ? N’y-a-t-il pas un problème éthique ?

22.22 – Rappel historique :

a) – L’invention de la psychologique clinique universitaire : Un double mouvement caractérise cette invention : la psychologie doit se dégager des

études de philosophie, la psychopathologie sortir de la psychiatrie, puis la psychologie clinique doit gagner sa place parmi les cursus de la psychologie à côté des autres sous disciplines.

En 1937 : création par Daniel Lagache d’une licence de psychologie libre (hors cursus de philosophie) à Strasbourg ;

En 1947, Daniel Lagache est choisi pour créer une licence de psychologie à la Sorbonne ;

En 1955, D. Lagache prend la nouvelle chaire de psychologie pathologique de la Sorbonne et Juliette Favez-Boutonnier le remplace dans celle de psychologie ;

25

Page 26: Py0001x - Sed

18

En 1958, Juliette Favez crée le premier séminaire de recherche en psychologie clinique au niveau 3ème cycle ;

En 1967, Juliette Favez propose un certificat de psychologie clinique en licence : protestation des médecins qui accusent les psychologues à la fois de leur voler leur clinique et d’exercice illégal de la médecine ;

En 1968, la loi Faure crée les U.E.R. de psychologie ; viendront les D.E.S.S., Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées en psychologie (suivi de la mention de la sous discipline : clinique, sociale, etc.), diplôme professionnel. Philippe Malrieu crée l’Institut de psychologie à Toulouse.

Le 25 juillet 1985, signature de la loi portant sur le titre de psychologue, entre autres de psychologue clinicien (il faut saluer l’action de Didier Anzieu ici). 19 janvier 2004 l’article 52 réglemente la psychothérapie dans le cadre de la loi de Santé publique.. 2006-2011 : décret d’applications de cette réglementation (dont l’annexe qui concerne les psychologues cliniciens est encore en cours d’écriture en juillet 2011). b) Naissance à l’université, au carrefour de trois discours (psychanalyse,

psychiatrie, psychologie) : La psychiatrie attend des psychologues leur contribution psychométrique au diagnostic ;

elle demande aux psychanalystes de prendre le relais des théories défaillantes et de leur fournir un modèle de traitement clinique. Les psychologues attendent de la médecine un terrain clinique et des psychanalystes une réserve conceptuelle qu’ils ne se priveront pas de piller ainsi qu’une technique d’entretien clinique. Les psychanalystes espèrent des psychiatres la possibilité de pratiquer sans être accusés d’exercice illégal de la médecine quand ils sont “ laïcs ”, le cas échéant à l’hôpital, et de la psychiatrie et de la psychologie une ouverture vers l’université qui confèrerait à leur “ discipline ” un statut officiel. La psychologie clinique naît de cette convergence d’intérêts réciproques.

Le résultat de la façon dont la psychologie clinique s’est constituée, sur la scène universitaire, débouche sur un discours psychologique particulier. La psychologie clinique comme doctrine prend l’allure d’un discours métissé (un patchwork théorique). Et ce métissage des discours va dans le sens d’un métissage des déterminations, lequel tend à résorber la cause, découverte par la psychanalyse, comme une détermination entre autres, supplémentaire (affective, sexuelle, voire langagière selon les auteurs).

Telle est la situation actuelle : d’un côté deux courants semblent diviser les psychanalystes entre ceux qui persistent à soutenir l’originalité de la démarche freudienne, et ceux qui s’efforcent à des compromis résorbant la psychanalyse dans la psychiatrie, la psychologie ou la psychothérapie ; de l’autre apparaît une nouvelle profession, la psychologie clinique, dont la question se pose de savoir si elle n’est qu’un avatar des ratés de la psychanalyse ou une chance pour le lien social contemporain.

La psychologie clinique est une invention universitaire récente. Sa profession vient à peine de se doter de l'appareil législatif dont elle a besoin pour se soutenir (un décret réglant la pratique de la psychothérapie pratiquée par les psychopathologues cliniciens est en cours de réécriture au moment de l’établissement de ce texte en juillet 2011). Il faut rappeler le rôle de Didier Anzieu (1923-1999) dans le succès de la professionnalisation (Syndicat national des psychologues psychanalystes en 1953, inspirateur du code de déontologie des psychologues, interlocuteur du gouvernement relativement à l’écriture de la loi relative au titre de psychologue). La psychologie clinique porte avec elle le paradoxe lié au fait de s’intéresser rigoureusement au sujet que la science s'efforce d'exclure pour se constituer (cf. Foucault, Kühn, Prigogine, Stenger). Les cliniciens se référant à la psychanalyse tentent de se rassembler sous l’égide de la Psychopathologie clinique (Pierre Fédida [1934-2002], Roland Gori et André Sirota ont ainsi créé le Séminaire Inter Universitaire Européen d’Enseignement

26

Page 27: Py0001x - Sed

19

et de Recherches en Psychanalyse et Psychopathologie aujourd’hui présidé par Alain Abelhauser).

Bibliographie : Sauret Marie-Jean, Alberti Christiane, « La clinique classique : la clinique psychiatrique », « L’antiquité de la maladie mentale » (pp. 90-117), « Au carrefour de trois discours : la psychologie clinique moderne » (pp. 140-162) La psychologie clinique, Histoire et discours, Toulouse, P.U.M., collection Amphi 7, 1995.

27

Page 28: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

28

Page 29: Py0001x - Sed

21

LEÇON 3 LES PSYCHOLOGIES DE LA SANTE ET LA POSTMODERNITE

(Rédaction Florence SORDES)

La psychologie de la santé est une discipline très récente ; c'est un groupe de travail réuni en 1976 au sein de l'Association américaine de psychologie qui signe sa naissance. En moins de trente ans, elle a connu un essor considérable, d'abord dans le monde anglo-saxon, puis en France dans les années 90. Cette discipline fait appel à différentes disciplines (psychanalyse, psychosomatique, hygiène, traumatologie, toxicologie, psycho-neuro-immunologie, psychopharmacologie, etc.) que nous allons traverser pour comprendre les apports des unes et des autres dans l’objectif de comprendre l’être humain à l’intersection de la santé et de la maladie, aux prises de son développement cognitif, biologique, de sa culture, … 31– LA NAISSANCE DE LA PSYCHOLOGIE DE LA SANTE

Est-ce-que la maladie est un phénomène purement physique? Est-ce-que l’esprit de la

personne joue un rôle dans le fait de tomber malade ou de récupérer sa santé? Ces questions ont été abordées depuis des millénaires et les réponses qui y ont été apportées ont varié notablement au cours du temps.

31.1 Le temps de l’histoire

Temps préhistoriques Bien que nous ne sachions rien de certain, il semble que les personnes les plus

“éduquées”, d’il y a plusieurs milliers d’années, pensaient que les maladies physiques ou mentales étaient causées par des forces démoniaques.

Grèce et Rome Les philosophes grecs sont les auteurs des écrits les plus anciens (500 à 300 avant notre

ère) sur la physiologie et le processus conduisant à la maladie. Hippocrate, le père de la médecine, a proposé une théorie des humeurs selon laquelle l’état de santé est préservé aussi longtemps que les quatre humeurs que l’organisme possède sont en proportion harmonieuse. Si ces proportions sont changées, l’organisme devient malade. Hippocrate recommandait une diète saine et sans excès, de manière à ce que l’équilibre des humeurs soit préservé.

Les philosophes grecs, Platon en particulier, ont été parmi les premiers à proposer l’idée que le corps et l’esprit forment deux entités séparées. La théorie des humeurs reflète cette conception; une personne tombe malade parce que l’équilibre des humeurs est rompu. L’esprit est considéré comme n’ayant que peu de choses à voir avec le processus par lequel la maladie s’installe. Cette vision des choses est restée la pensée dominante pendant plus de mille ans.

Beaucoup de gens s’expriment encore aujourd’hui comme si le corps et l’esprit formaient deux entités séparées. Le corps réfère au corps physique: les muscles, la peau, les os, le coeur, le cerveau. L’esprit réfère à des processus abstraits: les pensées, la perception, les sentiments. La question essentielle pour nous est de savoir dans quelle mesure ils fonctionnent indépendamment.

Moyen Age Après la chute de Rome, au cinquième siècle, les progrès de la connaissance et de la

culture se réduisirent et le niveau de celles-ci demeura relativement bas durant ce qui est appelé le Moyen Age, soit un millier d’années environ. Ce sont les idées de Galien à propos de la physiologie et de la maladie qui ont dominé cette période. L’influence de l’Eglise ne favorisa guère le développement de la connaissance médicale pendant le Moyen Age. Les idées des personnes à propos des causes des maladies devinrent très imprégnées de religion.

29

Page 30: Py0001x - Sed

22

La croyance dans les démons redevint très forte. La maladie était considérée comme une punition divine pour les méfaits commis. L’Eglise contrôla de plus en plus la pratique médicale et les prêtres s’impliquèrent de plus en plus dans le traitement des malades, quelquefois même en torturant le corps de ceux-ci pour en chasser le démon.

Ce n’est pas avant le XIIIème siècle que des idées nouvelles à propos du problème corps/esprit purent émerger. Saint Thomas d’Aquin rejeta l’idée selon laquelle corps et esprit forment deux entités séparées. Il les considérait comme formant une unité intégrée constituant la totalité de la personne. Cette position n’eut guère d’influence à l’époque mais elle renouvela l’intérêt que les philosophes portaient au problème.

Renaissance Durant cette période (XIV et XVèmes siècles), l’Europe connu une “renaissance” de

l’intérêt pour la culture, la politique, l’interrogation. Les savants devinrent davantage centrés sur l’homme que centrés sur Dieu. Dans leur quête de la vérité, ils acceptèrent l’idée que celle-ci pouvait être atteinte de diverses manières, et considérée à partir de perspectives individuelles différentes. Ce changement de point de vue rendit la révolution scientifique possible.

XVIIème siècle René Descartes est probablement le philosophe qui eut la plus grande influence sur la

pensée médicale. Il considérait, comme les Grecs, que le corps et l’esprit constituaient deux entités séparées mais il introduisit des innovations importantes. La première de celles-ci réside dans le fait qu’il considéra le corps comme une machine dont il décrivit les mécanismes de l’action et de la sensation. La seconde concerne la communication possible du corps et de l’esprit. Quoique séparées, les deux entités étaient conçues comme reliées par une glande du cerveau, la glande pinéale. Troisièmement, Descartes croyait d’une part que les animaux étaient dépourvus d’âme et deuxièmement que celle des humains quittait le corps à la mort. Cette croyance rendit la dissection un procédé acceptable et l’Eglise était maintenant prête à accepter cette conception.

XVIII et XIXèmes siècles Au cours de la période récente, la connaissance scientifique et médicale s’est

développée rapidement, aidée par les progrès de la microscopie et la pratique de la dissection. Une fois que les scientifiques eurent appris les bases du fonctionnement du corps humain et découvert que certaines maladies étaient causées par des micro-organismes, ils devinrent capables de rejeter la théorie des humeurs et d’en proposer d’autres. Le domaine de la chirurgie s’étendit, une fois les techniques antiseptiques et anesthésiques mises au point vers 1850. Avant cette période, l’hôpital était surtout un endroit où l’on pouvait, facilement, attraper toutes sortes de maladies. Depuis, la réputation des médecins et des hôpitaux s’est nettement améliorée et la confiance des gens en leur médecin s’est accrue.

Ces avancées, couplées avec la croyance dans la séparation du corps et de l’esprit, jetèrent les fondations d’une approche nouvelle pour la conceptualisation de la santé et de la maladie. Cette approche, appelée le modèle biomédical, propose que toutes les maladies ou désordres physiologiques peuvent être ramenés à des perturbations dans les processus physiologiques résultant de blessures, de déséquilibres biochimiques, d’infections bactériennes ou virales, etc. Le modèle biomédical assume que la maladie est une affliction du corps et qu’elle est indépendante des processus psychologiques ou sociaux qui concernent l’esprit. Ce point de vue devint très largement accepté aux XVIII et XlXèmes siècles et l’on peut dire qu’il constitue encore le point de vue dominant au XXème siècle.

31.2- Les Insuffisances du Modèle Biomédical

Le modèle biomédical a été très utile. Les chercheurs ont appris à combattre de

30

Page 31: Py0001x - Sed

23

nombreuses infections comme la poliomyélite ou les oreillons, à travers le développement de vaccins, à fabriquer des antibiotiques rendant possible la guérison de maladies causées par des infections bactériennes. Malgré cela, le modèle biomédical mérite d’être reconsidéré.

31.3 Le rôle de la Psychologie.

L’idée que médecine et psychologie sont en connexion a une longue histoire. Elle remonte aux anciens grecs. Elle a reçu sa formalisation au début du XXème siècle, dans le travail de Sigmund Freud, lequel était d’abord un médecin. Puis Freud pris conscience que certains malades présentaient des symptômes sans rapport avec un désordre organique quelconque. Freud a proposé que ces symptômes étaient des conversions de conflits émotionnels inconscients. Cet état fut appelé hystérie de conversion.

La nécessité de comprendre des phénomènes comme l’hystérie de conversion a conduit des chercheurs a l’étude des relations entre la vie émotionnelle et les processus corporels. Le domaine de recherche s’est appelé médecine psychosomatique; ses figures de proue furent Alexander et Dunbar. Les chercheurs dans ce domaine étaient surtout des médecins, des psychiatres et des psychanalystes.

Durant les 25 premières années de son existence, la recherche en médecine psychosomatique a mis l’accent sur l’interprétation psychanalytique d’un ensemble spécifique de problèmes de santé: ulcères, tension artérielle élevée, asthme, migraines et arthrite rhumatismale.

Pendant les années 60, la médecine psychosomatique commença à s’intéresser à des approches, et produisit des théories, nouvelles. C’est maintenant un champ de recherche large, concerné par les relations entre facteurs psychologiques et sociaux d’une part, fonctions biologiques et physiologiques d’autre part et développement et cours des maladies en troisième lieu.

Un champ de recherche nouveau émergea au début des années 70: l’étude du rôle de la psychologie dans la maladie. Ce champ, appelé médecine comportementale, se développa à partir du béhaviorisme, pour lequel le comportement est le résultat de deux sortes d’apprentissages: le conditionnement classique et le conditionnement opérant. Dans le conditionnement classique, le stimulus conditionné devient capable de produire une réponse du fait de son association (temporelle) à un stimulus inconditionné qui naturellement produit la réponse. Dans le conditionnement opérant, le comportement subit des changements du fait de ses conséquences, renforcées ou non. Le comportementalisme était en pointe à l’époque et les méthodes de conditionnement avaient permis d’obtenir d’indéniables succès en tant qu’approches thérapeutiques, en aidant les personnes à modifier certains de leurs comportements, comme le fait de trop manger, ou certaines émotions, comme l’anxiété et la peur. A cette époque, les psychophysiologistes avaient montré que les événements psychologiques, les émotions en particulier, influencent les fonctions corporelles, comme la pression sanguine artérielle. Les chercheurs ont montré que les personnes peuvent contrôler certains systèmes physiologiques si un feed-back approprié leur est donné.

Ces recherches ont montré que le lien entre l’esprit et le corps était beaucoup plus direct et important que ce qui était envisagé antérieurement Elles ont très vite conduit à la mise à disposition d’une technique thérapeutique: le biofeedback (contrôle de la pression sanguine). Elles ont très vite conduit à la mise à disposition d’une technique thérapeutique: le biofeedback. Grace à cette technique, une personne est en mesure de contrôler sa pression sanguine ainsi que d’autres processus physiologiques. Dans le cadre du comportement opérant, le feed-back est la conséquence. Le biofeedback s’est révélé utile pour traiter, par exemple, les migraines. Un troisième champ de recherche émergea au début des années 80, à partir du domaine propre de la psycho1ogie : la psychologie de la santé. Matarazzo (1982) proposa pour la

31

Page 32: Py0001x - Sed

24

psychologie de la santé les objectifs suivants: “La psychologie de la santé est l’ensemble de toutes les contributions éducatives, scientifiques et professionnelles de la psychologie, à la promotion et au maintien de la santé, à la prévention et au traitement de la maladie, à l’identification des corrélats diagnostiques et étiologiques de la santé, de la maladie et des dysfonctions associées, et à l’analyse et à l’amélioration du système de soins et des politiques de santé.”

Le premier objectif est de promouvoir et de maintenir la santé. Les psychologues étudient pourquoi les gens fument du tabac, utilisent ou non la ceinture de sécurité, boivent de l’alcool, consomment certains aliments. Ils étudient aussi la perception qu’ont les gens des risques associés à de tels comportements. En conséquence, les psychologues peuvent contribuer à la mise en place de programmes d’éducation scolaire et de campagnes médiatiques encourageant des comportements moins risqués’. Le second objectif concerne la prévention et le traitement des maladies. Les principes de la psychologie ont été effectivement appliqués à la prévention des maladies comme lorsque l’on apprend au malade à réduire sa pression artérielle (biofeeback). L’on prévient ainsi les maladies cardiaques ou les attaques. Pour les personnes devenues malades, les psychologues cliniciens peuvent aider les malades à s’adapter à leur condition; aux programmes de réhabilitation et à la vie future qui les attend: réduction de la charge de travail, remise en route des fonctions sexuelles, etc.

Le troisième objectif concerne les causes (corrélats étiologiques) et la détection de la maladie. Les psychologues étudient les causes des maladies. Les recherches dont nous avons parlé et qui concernent les relations entre personnalité et santé sont un exemple de telles recherches. Les psychologues étudient également les processus de perception et leurs connaissances de ces processus ont été appliquées au diagnostique de problèmes de vision ou d’audition. Le dernier objectif concerne l’amélioration du système de santé et des politiques de santé.

Les psychologues contribuent à cet objectif en étudiant la manière dont les patients sont affectés par les caractéristiques ou le fonctionnement des hôpitaux, des maisons de retraite, du personnel médical. En fonction des résultats observés, ils peuvent faire des recommandations, suggérant par exemple aux médecins et au personnel infirmier d’être plus sensibles et ouverts aux besoins des malades, suggérant des moyens de rendre le système plus ouvert aux individus qui jusque là échouaient à accéder aux traitements. 32 – LA PERSPECTIVE BIOPSYCHOSOCIALE : PERSPECTIVE ACTUELLE

Une fois que nous ajoutons la personne au modèle biomédical, nous nous trouvons en possession d’une représentation différente et plus large des déterminants de la santé et de la maladie. Cette nouvelle vision des choses implique le jeu croisé des aspects biologiques, psychologiques et sociaux de la vie de la personne. Ce nouveau modèle est appelé le modèle biopsychosocial.

32.1 –Le rôle des facteurs biologiques

Le terme inclut le matériel génétique et les processus par lesquels les caractéristiques parentales sont héritées. Il inclut le fonctionnement physiologique de la personne, les défauts structuraux de sa constitution (malformations) qui menacent le fonctionnement des organes vitaux, le fait que le corps réponde ou non efficacement lorsqu’il s’agit de se protéger, en combattant les infections par exemple, et le fait que le corps réagit mal à propos à certaines substances, comme dans le cas d’allergies aux pollens ou à la poussière. Le corps est constitué des systèmes physiques extraordinairement complexes. Il a des organes, des os et des nerfs, lesquels sont composés de tissus lesquels consistent en cellules, molécules et atomes. Le

32

Page 33: Py0001x - Sed

25

fonctionnement efficient de ces systèmes dépend de la manière dont Ces composants interagissent.

32.2 – Le rôle des facteurs psychologiques Lorsque nous avons discuté du rôle du style de vie et de la personnalité dans la

santé et la maladie, nous avons décrit le comportement et les processus mentaux, en d’autres termes des facteurs psychologiques. Les comportements et les processus mentaux sont au coeur de la psychologie; ils impliquent la cognition, l’émotion et la motivation. La cognition est une activité mentale qui comprend la perception, l’apprentissage, la mémoire, la pensée, l’interprétation, la croyance, la résolution de problème.

Comment ces facteurs cognitifs influent-ils sur la santé? Supposons par exemple que vous croyez fortement que la vie ne vaut pas d’être vécue si vous ne pouvez profiter des choses que vous appréciez. Si vous appréciez beaucoup le fait de fumer, allez-vous réduire votre consommation de tabac de manière à diminuer les risques de cancer ou de maladie cardiaque? Probablement pas. Supposons que vous ayez mal à l’abdomen et que cette douleur vous rappelle une douleur que vous avez eue il y a plusieurs mois, laquelle a passé en quelques jours. Allez-vous consulter pour cela. Probablement pas non plus. Ces exemples ne sont que quelques illustrations de la manière dont la cognition joue un rôle dans la santé et la maladie.

L’émotion est un sentiment subjectif qui affecte et est affectée par nos pensées, comportements et notre physiologie. Certaines émotions sont positives ou plaisantes, comme la joie et l’affection. Certaines sont négatives, comme la colère, la peur ou la tristesse. Certaines émotions sont liées à la santé et à la maladie de multiples manières. Les personnes dont les émotions sont relativement positives sont moins susceptibles de contracter une maladie et plus susceptibles de prendre soin de leur santé ou de récupérer rapidement d’une maladie que ne le sont les gens dont les émotions sont relativement négatives. Ces relations ont été considérées lors de la discussion du rôle de la personnalité dans la maladie. Les émotions peuvent aussi être importantes dans les décisions prises par les gens à propos

La motivation est un terme appliqué aux explications des raisons pour lesquelles les personnes se comportent de telle ou telle manière, se lancent dans certaines activités, en choisissant la direction, maintiennent leur effort. Une personne qui est motivée à acquérir une apparence meilleure ou à se sentir mieux dans sa peau va commencer un programme d’entretien corporel, en choisir les objectifs et sera relativement persistante. Beaucoup de gens sont motivés à faire ce que leur entourage attend qu’ils fassent. Les parents qui cessent de fumer sous la pression et les arguments des enfants en sont un exemple rafraîchissant.

de la recherche d’un traitement. Les personnes qui ont peur des médecins ou des dentistes risquent de chercher à éviter les soins que leur état nécessite.

32.3 – Le rôle des facteurs sociaux

Les hommes vivent dans un monde social. Nous avons des relations avec des personnes individuelles - amis, relations, parents, et avec des groupes. Lorsque nous interagissons avec les gens, nous les affectons et ils nous affectent. Notre monde social est plus large; il englobe de nombreuses sphères sociales, la famille, le quartier, la ville, etc.. Chaque niveau est influencé par tous les autres. Les auteurs célèbres par exemple influent sur notre manière de penser mais nous aussi exerçons une influence sur eux de par la manière dont nous réagissons à leurs idées. Comment facteurs sociaux et santé interagissent ? D’une manière très globale, notre société affecte la santé des individus en promouvant certaines valeurs de notre culture. Une de ces valeurs est que le fait d’être en forme et en bonne santé est quelque chose de bon. Toutes les cultures ne promeuvent pas ce type de

33

Page 34: Py0001x - Sed

26

valeur. Dans certaines cultures, se préoccuper de son corps est mauvais et punissable. Souvent les médias reflètent ces valeurs en mettant en avant des exemples que l’on peut considérer comme bon. Ils nous incitent à ne pas trop manger, ne pas trop boire avant de conduire, ne pas consommer de drogues. Il est clair que les médias pourraient faire beaucoup plus pour la promotion de la santé. Il arrive aussi que les médias encouragent des comportements malsains, lorsque des célébrités sont présentées en train de fumer ou de boire excessivement. Les individus peuvent-ils affecter les valeurs de la société ? Oui. Comme membres de la société, ils peuvent affecter ses valeurs en faisant connaître leur opinion par voie de presse, ou en sélectionnant les programmes de télévision qu’ils aiment (ou du moins supportent), en n’achetant que des produits sains, etc. Notre communauté consiste en amis, voisins, camarades de classe, collègues de travail etc. Les relations que nous entretenons avec ces personnes impliquent des influences relativement directes et réciproques. Nous influençons et sommes influencés par de nombreuses personnes. Beaucoup de gens pratiquent une activité physique de manière à devenir ou à rester attractives, tout particulièrement sexuellement attractives. Les adolescents, souvent, commencent à fumer ou à consommer de l’alcool du fait même de la pression des autres. Le fait d’observer simplement une personne du même âge en train de fumer peut constituer un encouragement à fumer. Les adolescents ont besoin de se sentir populaires, de paraître ‘cool’ de se montrer ‘branchés’. Ces exemples contiennent des éléments motivationnels puissants, de nature entièrement sociale.

Les relations sociales les plus étroites et les plus continues ont lieu au sein de la famille, laquelle peut inclure des non-parents liés néanmoins affectivement à la famille. Au fur et à mesure que l’enfant se développe, la famille exerce des influences très fortes. Les enfants apprennent de leurs parents et de leurs frères et soeurs de nombreux comportements, attitudes, croyances, liés à la santé. il apprennent ce type de chose chaque fois que leurs parents montrent le ‘bon exemple’ en adoptant des comportements sains comme mettre la ceinture de sécurité, servir des plats nutritifs, faire de l’exercice, se retenir de fumer. ils prennent aussi de bonnes habitudes lorsque leurs famille les encourage à adopter des comportements sains et les récompense de faire cela. L’individu peut, nous l’avons déjà souligné, influencer une unité sociale plus large. C’est toute la famille qui peut cesser de manger des choux de Bruxelles ou du poisson pour la simple raison que l’enfant pique une crise lorsque ces mets sont servis. L’influence de la communauté et de la société augmente continuellement au fur et à mesure que le monde de l’enfant s’élargit durant les années de scolarité et plus tard encore.

Le rôle des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux dans la santé et la maladie n’est pas très difficile à reconnaître. Ce qu’il est plus difficile de voir est comment la santé est affectée par le jeu croisé de tous ces composants.

33 – L’HOMME, LA SANTE, LA MALADIE : QUELS ENJEUX AUJOURD’HUI ?

Aujourd’hui, nous devons être « en bonne santé, jeune, beau et dynamique… ». L’emprise du milieu médical sur les patients, la technicisation, l’espérance de vie, l’attention culturelle extrême portée au corps sont autant d’éléments amenant de nouvelles réflexions.

33.1 – – La maladie : quel sens ? La question ici portera sur l’élaboration du récit de la maladie, c'est-à-dire rendre son

histoire intelligible ; donner du sens, une signification aux éléments de la maladie ; tentative de contrôle de la maladie ; être acteur de sa maladie (exemple de Mars de Fritz Zorn, 1979).

34

Page 35: Py0001x - Sed

27

33.2 – – La promotion des comportements de santé : Au regard des différentes disciplines associées à la psychologie de la santé, pouvons

nous améliorer les facteurs environnementaux, modifier les facteurs comportementaux ? 33.3 – Les types de comportements spécifiques (Matarazzo et al, 1984) et style de vie

(prédicteur de l’état de santé et de la longévité) : Seront évoqués les comportements à risque (pathogènes, accroissent la probabilité d’être

malade) ; les comportements sains (diminuent le risque d’être malade). 33.4 - La législation, l’éthique, le droit humain : L’évolution de notre société dans cette perspective de santé et de maladie appelle

inévitablement des questions autour, par exemple, de l’annonce d’un diagnostic; des droits du malade…. Bibliographie : Amiel-Lebigre, F. & Gognalons-Nicolet, M. (1993). Entre santé et maladie. Paris : PUF, Les champs de la santé. Bruchon-Schweitzer, M. (1996). Recherches en psychologie de la santé et problèmes éthiques. Psychologie française, n°41-2, 107-115. Bruchon-Schweitzer, M.L. et Dantzer, R. (1994). Introduction à la psychologie de la santé. PUF Bruchon-Schweitzer, M., (2002). Psychologie de la santé, modèles, concepts et méthodes. Dunod, Paris. Fischer G.N. & Tarquinio C. (2006). Les concepts fondamentaux de la psychologie de la santé. Dunod, Paris. Herzlich, C. & Pierret, J. (1984). Malades d'hier, malades d'aujourd'hui. Paris : Payot. Odgen, J. (2008). Psychologie de la santé. Bruxelles: de Boeck. (traduit de la 3è édition anglaise.)

35

Page 36: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

36

Page 37: Py0001x - Sed

29

LEÇON 4 UNE CULTURE DE L’EXCEPTION : LA PSYCHANALYSE.

(Rédaction Marie-Jean Sauret)

LEÇON 3 – LA NAISSANCE DE LA PSYCHANALYSE Le rôle de la psychanalyse dans la création de la psychologie et le renouvellement de la

psychopathologie est incontestable. Cependant l’orientation prise par la psychologie actuelle (privilégiant le discours scientifique, l’observation et l’expérimentation) oblige de reposer la question de ce que la psychanalyse introduit de spécifique au regard de la question qui oriente ce cours : qu’est-ce que le fait humain ? Quelle conception la psychanalyse permet de s’en faire ?

41 – INTRODUCTION : L’HOMME FREUD (1856-1939) :

Tout le monde sait que la psychanalyse est l’invention de Sigmund Freud. Neurologue viennois né dans l’actuelle Tchéquie, il est, historiquement, le troisième à utiliser le terme de psychologie clinique. Ecarté de l’université à cause de ses appartenances juives, il se tourne vers la psychiatrie de cabinet pour “ faire bouillir la marmite ”. Il invente une nouvelle discipline dont il écrit en 1899 : “ Maintenant la connexion avec la psychologie telle qu’elle se présente dans les Etudes sur l’hystérie [un ouvrage qu’il écrit] sort du chaos ; j’aperçois les relations avec le conflit, avec la vie, tout ce que j’aimerais appeler psychologie clinique ”. Indiquons seulement que sa discipline lui paraîtra tellement nouvelle qu’il optera pour un nom nouveau proposé la première fois en français : psycho-analysis, qui accentue la référence à la chimie (à la décomposition en éléments). Plus tard, il utilisera aussi celui de métapsychologie (1915), pour intégrer les trois points de vue topique, économique et dynamique de la psychanalyse, soulignant ainsi l’écart aux théories psychologiques ambiantes.

42 – LE TRAVAIL « PRE-ANALYSTIQUE » :

42.1 – Les psychothérapies : “ Les mots agissent sur les maux ” : telle est la première leçon retenue par Freud des psychothérapies en vigueur (électrothérapie, hydrothérapie, institutions, suggestion, suggestion sous hypnose). En bref il considère que tout se ramène à la suggestion, mais au lieu de la rejeter, il cherche à percer le secret du pouvoir des mots (aujourd’hui exploité même en médecine sous le nom d’effet placebo).

42.2 – Suggestion et hypnose : il se spécialise en suggestion et hypnose chez Charcot à

la Salpétrière et chez Bernheim et Liébault à Nancy (alors ville allemande). Il en retire un modèle d’hystérie expérimentale : il est possible de créer un symptôme hystérique (un comportement aberrant, une bouffée de chaleur) en donnant un ordre sous hypnose (“ Vous ouvrirez la fenêtre parce que vous aurez trop chaud lorsque je vous réveillerai ”). Le symptôme est attribuable à l’action d’un savoir inconscient. Freud en retire aussi l’idée d’une action thérapeutique : si l’on supprime le souvenir inconscient en le rendant conscient ou en le rendant encore plus inconscient (quand il s’agit non d’un propos rectifiable mais d’un événement réel traumatique dont on ne peut faire qu’il n’ait pas existé), le symptôme cesse. Seulement Freud se heurte à trois ordres de faits : a) des hystériques ne se laissent pas hypnotiser alors que l’hystérie serait le résultat d’un traumatisme survenu dans un état hypnotique ; b) d’autres, hypnotisés, ne se soumettent pas à la suggestion alors que le symptôme est attribué à une suggestion par un souvenir inconscient ; c) enfin, même après hypnose et suggestion, certains récupèrent leur symptôme.

37

Page 38: Py0001x - Sed

30

D’où trois conclusions : a) et si ce refus manifesté par l’insoumission et l’attachement au symptôme était la marque du sujet, ne conviendrait-il pas de le prendre au sérieux – par exemple en ne cherchant pas à l’effacer – ? b) pourquoi aurait-on la liberté de faire intrusion plus librement dans le psychisme d’un sujet que dans son organisme (qu’il le souhaite ou non) ? C’est le refus éthique de l’hypnose. c) Enfin, Freud se rappelle que les patients hypnotisés se souvenaient de l’ordre inconscient après leur réveil à condition d’insister : il fait de cette résistance la marque du sujet mais aussi l’obstacle encore à vaincre par la suggestion elle-même.

42.3 – Les paralysies hystériques et le refoulement : Reste à savoir d’où vient l’ordre

inconscient pathogène. La réponse lui est fournie par ses travaux de neurologues sur les paralysies. Freud connaît les paralysies organiques : définies par des lésions dans le système nerveux, dont la construction en système permet d’expliquer pourquoi tel sujet présente une hémiplégie droite, tel autre gauche ; celui-ci une tétraplégie ; celui-là une paraplégie (membres inférieurs seulement). Or il existe des paralysies qui n’obéissent pas aux lois de l’anatomie, pour lesquelles on ne découvre aucune lésion, et que pour ces raisons on qualifie de paralysies hystériques : paralysie de la cuisse seule, paraplégie des membres supérieurs seulement, perte de la fonction de la marche… Charcot prône l’existence d’une lésion essentielle dans une organicité aujourd’hui invisible mais dont il prophétise la découverte ultérieure. Freud objecte que l’individu ne peut présenter deux anatomies, une visible et une invisible. Il faut donc expliquer les paralysies hystériques avec un organisme sain (sans lésion). Il est mis sur la voie de la solution par ses patientes hystériques : leur paralysie obéit à l’idée que ses patientes ont de leur corps. “ Ce n’est pas le bras qui est malade, c’est l’idée de bras ”. Il conclut que l’humain, parce qu’il parle, non seulement n’est pas soumis directement à son fonctionnement organique, mais doit retrouver le fonctionnement de ses organes dans le langage : tout se passe comme si l’organisme était doublé d’un tissu de représentation, l’image du corps, le moi. Ce faisant, Freud, le premier, invente une théorie qui permet de distinguer la lésion organique – dans l’organisme – de la lésion psychique – dans le corps, le moi -, et une théorie des rapports de l’organicité et du psychisme. La lésion psychique est ce qu’il appellera refoulement : passage d’une représentation à l’inconscient.

42.4 – Le sexuel freudien : Pourquoi le refoulement ? Freud découvre que tous les

souvenirs refoulés ont trait au sexuel. Non pas à la génitalité, nécessairement, et encore moins à la reproduction. Cela se déduit du fait de l’hominisation : ce n’est pas l’instinct qui règle les rapports du sujet à ses objets, mais le langage, le désir. Dès lors il faut expliquer ce qui pousse un sujet vers n’importe quel objet : nourriture, partenaire, mais aussi goût pour telle activité, lecture ou spectacle… Freud appelle sexualité le champ où vaut le mot “ amour ”. Ce qui l’oblige à distinguer entre une sexualité de l’ordre du plaisir et une sexualité traumatique. Cette dernière se caractérise par sa dimension non maîtrisable et incompréhensible : témoin cette patiente paralysée de la cuisse qui découvre que lorsqu’elle posait la jambe paternelle sur sa propre cuisse pour le soigner, elle était saisie d’un émoi sexuel insupportable (il s’agit de son père !) avec lequel elle n’arrivait pas à s’expliquer ; elle a préféré refouler la scène, déconnectant la représentation de la cuisse du reste du corps jusqu’à devenir paralysée. Témoin encore Emma qui fuit devant le sourire d’un vendeur, déclenchant une phobie des magasins, et découvrant qu’âgée de 8 ans elle est rentrée chez un commerçant qui l’a tripotée sans que cela ne lui fasse ni chaud ni froid, puisqu’elle y est revenue tous les jours : mais la séduction actuelle par le vendeur transforme le souvenir anodin en souvenir sexuel, et le forçage sexuel du premier commerçant comme sa participation (elle revient le voir) lui demeurent terriblement énigmatiques – comme un “ corps ” étranger. Le traumatisme

38

Page 39: Py0001x - Sed

31

résiderait dans la découverte, à partir du désir actuel, du fait que son propre désir pourrait avoir été intéressé par l’exploitation de ce désir par l’Autre. 43 – LA NAISSANCE DE LA PSYCHANALYSE : L’INVENTION D’UN NOUVEAU DISPOSITIF :

43.1 – L’expérience inaugurale : L’invention de la psychanalyse attend la contribution de l’hystérique elle-même : le jour où Emmy von N., le 12 mai 1889, intime à Freud l’ordre de se taire, de cesser ses suggestions, et de l’écouter. Le génie de Freud, c’est d’avoir obtempéré : pour la première fois dans l’histoire de la clinique, l’enseignant est le patient ! Insistons pour être clair : la psychanalyse naît avec l’abandon de l’hypnose, de la suggestion, la rupture avec l’introspection psychologique (qui n’a jamais vraiment tenté Freud) et la double découverte d’une sexualité traumatique et d’un inconscient qui ne peut jamais être remémorée. Les concepts fondamentaux sont liés à l’expérience inaugurée par la psychanalyse.

43.2 – La règle fondamentale : Côté sujet, une psychanalyse est en effet une

expérience – et non une expérimentation – offerte à celui qui veut tirer les conséquences d’être ce qu’il est : un “ être parlant ”. Il faut distinguer expérience et expérimentation, même si souvent en psychologie un terme est employé à la place de l’autre. L’expérience implique “ la soumission d’un sujet à une expérience ” dans laquelle ce dernier met en jeu sinon sa vie, du moins son existence : il y met du sien. La règle est ici dite “ association libre ”. Par expérimentation il convient d’entendre le dispositif grâce auquel un chercheur “ expérimente sur ” quelque chose ou quelqu’un d’autre à qui il l’impose (bon gré ou mal gré) : confer la définition déjà rencontrée du dispositif expérimental de la psychologie introspective ou celle de Hartenberg et Valentin. L’expérience et l’expérimentation requièrent un certain nombres de conditions – différentes bien sûr. Les conditions de l’expérience sont liées à la structure du sujet telle que la psychanalyse la révèle.

43.3 – Une définition en trois dimensions : Côté psychanalyste, la psychanalyse est

une pratique qui ne se confond avec l’application d’aucun savoir préalable (“ écoute flottante ”). Cf. la définition écrite par Freud pour L’Encyclopédie (1922) et examinée en TD : “ Psychanalyse est le nom : 1° d’un procédé pour l’investigation de processus mentaux à peu près inaccessibles autrement ; 2° d’une méthode fondée sur cette investigation pour le traitement de désordres névrotiques ; 3° d’une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui s’accroissent ensemble pour former progressivement une nouvelle discipline scientifique ”.

Si l’on prend ensemble les deux points de vue, côté analysant et côté analyste, la psychanalyse est une forme de lien social (songez à la durée d’une analyse) déterminé par la pratique de la cure. A partir de quoi se déduisent les concepts fondamentaux : ceux nécessaires au psychanalyste pour penser son expérience et appréhender le réel en jeu – et qui du coup se distinguent des concepts et notions des autres psychologies du champ clinique..

44 – « L’ANTHROPOLOGIE » FREUDIENNE

Sans doute Freud récuserait le terme, lui qui met à jour ce qui fait de chacun une

exception à une définition qui vaudrait pour tout homme et qui ne permettrait pas de distinguer de le distinguer de la masse.

39

Page 40: Py0001x - Sed

32

44.1 – Deux particularités : 44.12 -e privilège de la parole : La conception de la cure psychanalytique est liée à la caractéristique de humain : la

parole. Celle-ci suppose de distinguer le langage comme pouvoir de symbolisation, la langue comme institution sociale (anglais, français...), et la parole comme mise en acte singulière du pouvoir de symbolisation dans une langue.

A l’écoute de ses semblables, Freud découvre que l’humain naît deux fois : une fois comme organisme vivant, une fois comme sujet parlant. Cette seconde naissance introduit un lien complexe entre le sujet et cet organisme : ainsi nous ne disons pas “ je suis un organisme ” mais “ j’ai un corps, un organisme ” – un peu comme si le sujet pouvait survivre à sa perte (ce dont témoigne précisément les croyances religieuses à la survie de l’âme après la mort… ou les membres fantômes !).

Plus concrètement, Freud relève que rien ne parvient au sujet qui ne passe d’abord par le langage. Le langage constitue l’habitat langagier de l’humain qui du coup n’a plus de niche écologique (naturelle). Même un accident de voiture inopinée, une maladie organique, questionnent le sujet : “ Qu’est-ce qui m’arrive ? Qu’ai-je fait au bon Dieu ? ”. Du coup, tout ce qui survient au sujet, de sain ou non, sollicite son rapport au langage : l’habite-t-il comme un névrosé ? En est-il parasité, persécuté, comme un psychotique paranoïaque, ou rejeté comme un mélancolique ?

On ne doit pas oublier ce point de départ : ce que Freud découvre, il le tient ou le déduit de ses analysants. Examinons quelques aspects de sa théorie du sujet telle qu’il est contraint de la construire.

44.2 – … et ses conséquences :

Qu’est-ce qu’un sujet ? Pour en rendre compte, nous aurons besoin des notions et des concepts de « manque-à-être » , de désir, d’inconscient et de transfert.

Du fait d’être parlant, l’humain est la seule espèce qui se demande ce qu’elle est elle-même. En ce sens l’homme est le seul à se poser la question que la science pose à propos de ses objets. Il est le seul “ objet ” à continuer à parler après le passage de la science qui les a rendus muets. Mais paradoxe, là le sujet ne rencontre dans le langage que des mots : la réponse est toujours verbale – par définition. Le savoir sur ce qu’il est lui manque radicalement : c’est ce défaut de savoir que Freud a désigné des termes d’inconscient ou de refoulement originaire (jamais levé puisque constitutif du sujet parlant). La rencontre de ce défaut mobilise la fonction du sujet supposé savoir : il s’adresse à un autre dont il aime déjà le savoir supposé. Tel est ce que Freud a isolé comme transfert, moteur de la cure : l’amour adressé au savoir, lequel permettra la mise en acte (dans les dits rapportés en cure) de la réalité sexuelle de l’inconscient.

“ Je suis ceci ou cela ” ne permet pas au sujet de toucher à son être réel : qu’est-ce que l’être du sujet dès lors qu’il ne se confond ni avec la réponse verbale ni avec l’organisme de l’individu biologique ? Lacan propose de le nommer jouissance. Dans une analyse chacun tente de prendre la mesure de son rapport à la jouissance (la perversion au sens freudienne) et de prendre une vue sur ce qui du corps se prête à lui donner un peu de substance et qui fait la radicale singularité du sujet (ce qui fait qu’il ne se confond à aucun aute).

En toute logique, c’est son défaut d’être que le sujet trouve immédiatement dans le langage : il éprouve ce défaut comme un manque qu’il cherche à combler… par un être de langage (un moi, une « identité » trompeuse). Le mouvement de retrouvaille vers le réel de cet être dont il n’a jamais eu la jouissance, tel est ce que Freud appelle le désir, constitutif de l’humain de l’humanité – et dont le sujet déploie les incidences simplement à parler.

40

Page 41: Py0001x - Sed

33

44.2 – Totem et Tabou (Sigmund Freud, 1913) 44.21 – Introduction – la question du père : Freud s’est étonné du fait que chaque sujet qui cherche à s’expliquer sur ce qu’il est en

appelle à la fonction paternelle pour symboliser son rapport à l’Autre : “ Faute de pouvoir avancer ce que je suis, je peux me présenter comme fille ou fils de ”. Il s’est demandé d’où cette fonction tenait cette prérogative. Et c’est pour répondre à cette question qu’il a forgé son mythe de l’origine de l’humain. Un mythe scientifique, car il s’agit d’imaginer comment les éléments constitutifs de l’humain peuvent et doivent tenir ensemble.

44.22 – La horde primitive : Freud imagine une biocénose – une organisation animale dont la cohérence est assurée

par les nécessités biologiques (reproduction sexuelle, répartition de la nourriture et du territoire) : un mâle commande à une horde, chassant, châtrant ou tuant les jeunes mâles qu’il engendre. Jusqu’au jour où les jeunes mâles provoquent le vieux, réussissent à le tuer et se partagent le harem.

Freud imagine ainsi une association de jeunes mâles en vue de prendre leur part aux satisfactions biogéniques. Mais une fois le “ chef ” tué, ils décident de sauver leur alliance. Là commence le mythe, car cela suppose que ladite alliance perdure au-delà des nécessités biologiques, donc pour d’autres “ raisons ” (Si ce n’est pas naturel, c’est donc culturel). Ils disent “ non ” à la jouissance de ce pour quoi ils ont tué : tel est le premier mot qui les fait humains, un non à la jouissance. Ils naissent manquant et désirant.

44.23 – La fabrication du père et ses conséquences : Ils érigent alors un trait prélevé sur la bête morte en signe de reconnaissance, en Totem,

dont ils se déclarent fils : il entérine la naissance de la fraternité de la communauté homosexuelle des hommes. Les relations sexuelles sont proscrites à l’intérieur du groupe. Seule solution, l’exogamie, l’échange des femmes. Le mythe confirme que l’on ne s’humanise pas tout seul. Pourquoi l’exogamie et pas l’échange des hommes, par exemple ? Parce que si l’humanisation consiste bien à abandonner la nature pour habiter la culture, la maternité, la grossesse, les règles, rappellent que l’on ne s’en affranchit pas absolument : dès lors l’exogamie constitue une tentative de plier ces éléments naturels à une loi symbolique.

Nous pourrions déduire de cette construction que la cause du désir est le renoncement obligé à la jouissance, que l’angoisse sera justement liée à la menace des retrouvailles avec la jouissance, que le sexuel est d’un côté ce à quoi il faut renoncer (le sexuel naturel traumatique) et de l’autre ce qu’il est autorisé d’approcher selon la loi ; que l’humanité naît parricide, donc affectée d’une culpabilité foncière...

44.24 – La transmission de l’humanité de l’humain : Le complexe d’Oedipe se précise : il constitue le moment où le sujet prend sur le lui de

refaire le pas par lequel l’humanité s’est humanisée. Nous ne sommes pas humain seulement parce que nos parents sont humains, mais parce que nous consentons à nous inscrire dans la communauté des humains en parlant : et de parler, je me sépare, je me distingue, je mets à mort, l’autorité de l’Autre jusqu’à symboliser le fait que dès lors je suis manquant et désirant (donc “ castré ”).

44.25 – Une théorie propre à chacun, le fantasme : Chacun, en fonction des expériences quasi biographiques qu’il a eu avec l’Autre

parental, se dote d’une solution qui règle son rapport à la jouissance perdue (qui lui indique à quoi doivent ressembler les objets substitutifs de son désir) et aux autres : le fantasme.

41

Page 42: Py0001x - Sed

34

L’échec éventuel du fantasme se traduit par l’angoisse, et divers “ symptôme ” pour tenter de restaurer un modus vivendi supportable.

L’effort de Jacques Lacan sera de revenir aux conditions grâce auxquelles Freud a pu inventer la psychanalyse et d’extraire la logique du mythe.

44.3 – Du Malaise dans la civilisation (Sigmund Freud, 1929) aux « impasses

« du monde contemporain : La conception du sujet que Freud tire de la psychanalyse et son « anthropologie »

implicite l’amènent à une théorie précise de la civilisation. L’humain se découvre, dès l’origine, mortel, fragile devant les forces de la nature, en difficulté pour vivre en paix avec ses semblables, etc. Pour traiter cette précarité ontologique il exploite les moyens du langage et crée ainsi la civilisation. Celle-ci commence avec la substitution, que nous avons vu à l’œuvre dans Totem et Tabou, du Droit (et de la justice) à la force animale (l’agressivité et la violence). Elle se perfectionne avec le développement des ontologies (religions), des tecniques, des arts, l’invention de la politique, de la religion, de la science, etc. Mais la force animale ne se réduit pas à ce qu’en fait la civilisation, et elle exige satisfaction. Aussi la civilisation mobilise le sexuel sous la forme sublimée de l’amour du prochain pour faire tenir les humains ensemble. A ceci près que l’agressivité et la sexualité exigent leur content de satisfaction, ne se contentant jamais de la forme sublimée : cette exigence, que Freud désigne de la lutte d’Eros et de Thanatos, oblige la civilisation et le lien social à sans arrêt se renouveler. Avec cette question terrible que pose Freud :: quel est l’avenir de l’humanité, dans la mesure où, si les pulsions venaient à triompher de la civilisation, ce serait la fin de celle-ci, mais également dans la mesure ou le triomphe de la civilisation (de la religion, de la science et de la technique) consacrerait la mort de ce qu’il y a de vivant dans l’homme (les pulsions) ?

La psychanalyse apporte une réponse à une question politique essentielle. Comment le sujet réussit-il à faire lien social en évitant deux écueils : d’une part de devoir renoncer à sa singularité pour se dissoudre, s’adapter, se fondre, dans la masse des autres ; d’autre part préserver sa singularité sans que le “ vivre ensemble ” ne vole en éclats sur le caprice de chacun. Cette solution est le symptôme comme solution (sinthome) : en visant le dégagement de cette solution de sa gangue pathologique (non pas en guérissant de ce qui ne va pas, mais en extrayant ce qui va de ce qui ne va pas), la psychanalyse s’excepte des psychothérapies..

Mais le monde a changé. Tout se passe comme si avec les développements du libéralisme et du capitalisme, la métaphore civilisationnelle n’était plus la même : le Calcul (l’évaluation) est substitué au Droit. L’humain est invité à se penser comme une machine, et ses pathologies sont lues comme des accidents ou des troubles du fonctionnement. Cela ne signife pas que les sujets parlant ont changé de structure : mais qu’il convient de faire un effort pour rendre au symptôme sa place. Loin d’être une conception passéiste, la psychanalyste pourrait bien être une chance à saisir par notre contemporain au vue des accidents qu’il développe (cf. le nombre de suicides, les pathologies de la consommation ou de l’ennui, etc.)2

2 - Pour mémoire: devant la montée du nazisme, la plupart des psychanalystes juifs se sont enfuis d’Allemagne et d’Autriche, et ont donc « inséminé » l’Europe et les Etats-Unis, même si c’est pour relativement dévoyer parfois la psychanalyse… Quinze d’entre eux sont morts dans les camps, dont Karl Landauer. Celui-ci et quelques autres réussirent à pratiquer la « psychothérapie » à l’intérieur du camp de Bergen-Belsen (Geoffrey Coocks, La psychothérapie sous le IIIe Reich, Paris, Les Belles Lettres, 1987, p. 137). Bergen-Belsen, parfois appelé Belsen, était un

.

camp de concentration nazi situé en Basse-Saxe, au sud-ouest de la ville de Bergen près de Celle, dans la lande de Lunebourg : c’est là qu’Anne Franck fut internée et qu’elle mourut.

42

Page 43: Py0001x - Sed

35

En résumé, la psychanalyse renouvelle la conception à se faire de l'humain, d'une

part en insistant sur le rapport du sujet au langage (voir L'interprétation des rêves), et d'autre part en situant le rapport à la sexualité au cœur de la définition de l'humain et au principe de toute pathologie (voir Totem et Tabou) : en découle une nouvelle anthropologie qui affecte le métier de psychologue. Celle-ci est actuellement défendue à l’université sous le terme de Psychopathologie clinique. Bibliographie : Sauret Marie-Jean, Alberti Christiane, « La naissance de la psychanalyse », « Le fait humain », La psychologie clinique, Histoire et discours, Toulouse, P.U.M., collection Amphi 7, 1995, pp. 91138. Sauret Marie-Jean et alii, La psychanalyse, Toulouse, Milan, collection « comprendre pour mieux aimer » 2010 Sauret Marie-Jean, Marie Révillion, Entreprendre une psychanalyse ? Toulouse 2001, Editions Milan, 64 pages. .

43

Page 44: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

44

Page 45: Py0001x - Sed

Université de Toulouse le Mirail UFR de Psychologie

Unité d’Enseignement 1- L1 Discipline principale de Psychologie

Psychologie d’hier à aujourd’hui 1 : qu’est-ce que l’humain ?

Chapitre : Psychologie du développement

PY0001X

Document rédigé par Valérie Tartas

Responsable de l’UE 1 et du secteur Psychologie du développement : Valérie Tartas

UFR de Psychologie Bureau 114

Université de Toulouse 2-Le Mirail 5 allée Antonio Machado

F-31058 Toulouse Cedex 9 Tél : 05 61 50 41 71

e-mail : [email protected]

Juin 2012

45

Page 46: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

46

Page 47: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

3

Université de Toulouse le Mirail UFR de Psychologie

Département de Psychologie du Développement

Psychologie d’hier à aujourd’hui 1 : qu’est-ce que l’humain ? Unité d’Enseignement 1- L1

PY0001X

Ce document comprend l’intégralité du cours intitulé « Psychologie du développement d’hier à aujourd’hui 1 : qu’est-ce que l’humain ?». Il se compose de la partie -cours magistral composé de 3 chapitres. Concernant les documents travaillés durant les travaux dirigés, ils seront mis en ligne à la rentrée sur la plateforme Iris dans la partie SED. Bien que ne participant pas aux TD, les étudiants suivant le SED sont invités à prendre connaissance de ces documents qui constituent une bonne base de travail en psychologie du développement et offre la possibilité de lire des textes d’auteurs offrant une vision différente du développement de l’enfant (textes qui sont travaillés en TD). Je vous en souhaite bonne réception. Les regroupements se dérouleront (sauf changement) le lundi 12 novembre 2012 matin de 9h à 13h pour a formule “Semaine” et le samedi 17 novembre 2012 (après-midi 14h-18h) pour la formule “Samedi”. Vous veillerez néanmoins à vous assurer de la confirmation de ces dates. Les modalités d'évaluation des connaissances seront précisées lors des regroupements et sur le site web de l’université. Vous pourrez également les consulter sur le panneau d'affichage de l'UFR. Je vous souhaite une bonne année universitaire 2012-2013. Valérie Tartas

47

Page 48: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

48

Page 49: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

5

Plan du cours Introduction : Pour connaître l’humain, une nécessité : étudier l’enfant et son développement 5 1. Etudier le développement humain : quelle spécificité ? 5 Conceptions de l'enfant dans l'histoire 5 Quelques éléments de définition du développement 8 2. Les principales questions posées par la psychologie du développement 9 Chapitre 1 : Le développement humain uniquement déterminé par la biologie ou uniquement déterminé par l’environnement ? 12 1. L’approche maturationniste ou innéiste ou le développement guidé par la maturation 12 1.1 Eléments de définition : innéisme, maturationnisme, nativisme 12 1.2 L’approche de Gesell 12 1.2.1 Comment Gesell s’y prend-il pour étudier le développement ? 13 1.2.2 Les niveaux d’âge de Gesell 13 2. La perspective béhavioriste ou environnementaliste : le développement guidé par l’externe (mais sans interne !) 14 2.1 Définition et origines 14 2.2 Watson et Skinner ou la vision béhavioriste de l’enfant 14 3. Conclusions 17 Chapitre 2. Les racines biologiques de l’humain : deux modèles pour penser le développement 18 1. La perspective de Freud sur le développement de l’enfant 18 1.1Freud : sa vie, son œuvre 18 1.2 L’explication proposée par Freud du développement 20 1.2.1 Le développement du ça du moi et du surmoi 20 1.2.2 Comment Freud s’y prend-il pour théoriser le développement de l’enfant ? 21 1.2.3 Les stades du développement libidinal dans la théorie freudienne 21 1.2.4 Conclusion et perspectives 24 2. L’épistémologie génétique ou la perspective piagétienne 24 2.1. Les origines de l’épistémologie génétique 25 2.2 La théorie de Jean Piaget : l’épistémologie génétique 26 2.2.1 Les 4 facteurs de développement 27 2.2.2 Comment Piaget s’y prend il pour construire sa théorie 28 2.2.3 Les stades du développement de l’intelligence selon Piaget 29

2.2.4 Conclusion et perspectives ouvertes par Piaget 30

49

Page 50: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

6

3. Conclusion : Convergences entre Freud et Piaget sur la notion de stades 32 Chapitre 3. Le psychisme humain est social : vers une psychologie du développement socio-historique et culturelle 34 1. La perspective wallonienne : une théorie épigénétique avec des stades de développement 34 1.1 Wallon : sa vie, son œuvre 34 1.2 Les facteurs de développement pour Wallon 35 1.3 L’approche globale de la personnalité de l’enfant 36 1.4 Comment Wallon s’y prend-il. La méthodologie wallonienne pour l’étude du développement 36 1.5 Les stades de développement dans la théorie wallonienne 37 1.6 Conclusion et perspectives à partir de l’œuvre wallonienne 39 2. La psychologie historico-culturelle de Lev Vygotski 40 2.1 Le concept de médiation/médiatisation : outils et signes 42 2.2 Une loi de développement : de l’interpsychique à l’intrapsychique 44 2.3 Rapports entre apprentissage et développement 45 2.4 Comment Vygotski s’y prend-il pour rendre compte du développement ?46 2.5 Conclusion et perspectives 46 3. Synthèse et comparaisons Vygotski, Wallon et Piaget 47 4. la perspective culturelle de Jérôme Bruner 48 4.1 Jérôme Bruner : voyage au cœur du « faire sens » humain 48 4.2 Interactions sociales et développement 49 4.3 Le récit : un instrument culturel fondamental 50 4.4 Comment Bruner procède-t-il pour étudier le développement 51 4.5 Conclusion et perspectives ouvertes par Bruner 51 5. Conclusion : comment la psychologie historico-culturelle et culturelle transforme la vision du développement humain ? 52 Quelques éléments de conclusion générale sur le cours 53 Références bibliographiques 55 Annexes : quelques textes complémentaires étudiés en TD

50

Page 51: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

7

INTRODUCTION Pour connaître l’humain, une nécessité : étudier l’enfant et son développement La notion même de l’humain n’a cessé d’évolué au cours de l’histoire des sciences (et notamment les sciences humaines en particulier) et plus particulièrement elle s’est affinée, transformée au fur et à mesure que les connaissances notamment en biologie, médecine, physiologie, mais également que les questionnements en philosophie et les sociétés humaines ont évolué au cours de l’histoire. Dans le Tronc Commun, l’accent a été mis sur le fait qu’il est impossible d’étudier l’ « humain » indépendamment des conditions sociales, historiques et culturelles dans lesquelles les constructions relatives à l’ « humain » ont été proposées. Ici dans le chapitre consacré à la psychologie développementale ou psychologie du développement, nous essaierons dans un premier temps introductif de vous présenter comment l’enfant est devenu progressivement objet de science et a permis de questionner la genèse de l’humain c’est-à-dire d’où vient l’humain ? Pour comprendre les adultes, il est apparu indispensable à un moment donné de s’intéresser à l’enfant, sa place dans la société, et progressivement en changeant son regard sur son enfance, l’homme a appris à propos de ses racines, de son fonctionnement social, cognitif, affectif… « La psychologie du développement a donc largement contribué à l’histoire de la discipline psychologie mais elle a également sa propre histoire dans le mouvement des idées depuis le siècle des Lumières (p.15, Deleau 1999) ». 1. Etudier le développement humain : quelle spécificité ?

Avant d’aborder la spécificité de cette science humaine du développement qu’est la psychologie du développement, nous allons envisager très brièvement comment les conceptions, considérations de l’enfant ont évolué au cours de l’histoire. ce bref détour par l’histoire de l’enfant nous semble essentiel même si il est ici extrêmement réduit dans la vision qu’il propose pour comprendre comment progressivement nous sommes passés d’un désintérêt pour l’enfant à l’enfant comme source de questionnement scientifique et de questionnement autour de la spécificité de l’humain. 1.1 Conceptions de l'enfant dans l'histoire Antiquité

Les Grecs de l'Antiquité considéraient les enfants comme objets d'affection, membres importants de la famille, symboles de l'avenir. L'enfant est considéré comme un être humain potentiel, mais au plan légal il demeure avant tout la propriété du père. Dans leur philosophie de l'éducation, les Grecs soulignent l'importance de l'éducation physique dès la prime enfance et l'évolution des capacités des enfants en fonction de leur âge. Adaptant une attitude de supervision non punitive auprès des enfants, leurs principes éducatifs se distinguent de celui des Juifs. Par contre, chez les Grecs, l'infanticide est encore légal et approuvé par la société. Par exemple, à Sparte, le père avait obligation morale de décider si l'enfant mis au monde devait vivre ou pas. Les enfants handicapés

51

Page 52: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

8

ou non désirés ont été mis à mort à la naissance. En Europe, cette pratique est déclarée illégale seulement au Vème siècle, quand le code légal a été révisé. Depuis cette période, les pères n'ont plus le droit de tuer leurs propres enfants.

Dans la plupart des domaines, incluant leurs attitudes envers l'enfance, les Romains ont assimilé des principes philosophiques formulés par les Grecs. À cette époque, il y avait peu de référence à l'innocence des enfants. Au contraire, les textes romains mettent plus l'accent sur la tendance naturelle des enfants au désordre, à la colère, à la jalousie et au mensonge. Les enfants sont décrits comme ceux qui ne comprennent pas, ceux qui ont besoin de discipline continuelle. Cependant, c'est dans les textes latins qu'on trouve les premières références aux stades du développement. Les Romains avancent une notion du développement comme une transformation par étapes discrètes, mais progressives, vers le mode du fonctionnement adulte.

Dans la tradition judéo-chrétienne, dès la naissance, l'être humain est perçu comme victime du conflit entre la culpabilité primordiale et le châtiment provenant des autorités agissant au nom de Dieu. Par contre les relations interpersonnelles entre les parents et l'enfant sont jugées très importantes. Pour les parents, les enfants représentent l'honneur et la fierté, une aide de grande valeur surtout si l'enfant est un garçon. Dans la culture juive, l'enfant est vu comme un don de Dieu, un Messie potentiel. Dans le Nouveau Testament, on trouve plusieurs références aux enfants. Ils sont des symboles de la régénération de l'Esprit, des créatures humbles, non souillées par la société de l'homme. L'innocence dans le Nouveau Testament fait référence à la fois à la confiance primaire des très jeunes enfants et à leur dépendance aux adultes. Époque médiévale

Pendant les temps médiévaux, les attitudes envers les enfants étaient plutôt ambivalentes. Au début de la période chrétienne, les enfants ne sont pas représentés comme une réflexion du mal. Ils sont plutôt appréciés comme les disciples potentiels pour la nouvelle religion. Cependant, même pendant cette période, si le nouveau-né était innocent et pur, il portait le poids du péché originel. Par rapport aux pratiques éducatives, l'importance du rôle maternel, de la tendresse et des soins émerge beaucoup plus tard avec les récits relatifs à l'enfant Jésus et sa mère. En général, l'enfant est un objet d'importance théologique - une âme à sauver pour la gloire de Dieu. Il faut se rappeler qu'à cette époque, deux enfants sur trois meurent pendant la première année de la vie. Cette situation ne change pas avant le XVIe siècle. Époque de la Renaissance

Jusqu'à la renaissance, les Européens ont maintenu une vision de l'enfant en tant qu'objet d'échange social. Ils sont considérés comme légalement incompétents à gérer leurs affaires. D'ailleurs, les enfants ont un statut spécial semblable à celui des fous et des lépreux. Entre le XIVe et le XVIIe siècles, se développe la classe moyenne des marchands. Cette nouvelle bourgeoisie qui tient à assurer le statut social le plus favorable à ses enfants, établit des écoles formelles dirigées par les religieux. Le succès de ces institutions est tel, que bientôt, tous les enfants de l'aristocratie y participent aussi.

L'enrichissement de certaines grandes familles bourgeoises pose des problèmes à l'État qui veut instaurer un sentiment nationaliste chez le peuple. En Angleterre, en vue d'affaiblir les liens familiaux, le roi propose les modifications des lois civiles pour consolider ses pouvoirs souverains. Suite aux travaux de philosophie sociale de Thomas Hobbs, l'accent est mis sur la méchanceté humaine comme caractéristique innée présente dès la naissance. Cette nouvelle vision de l'enfant est associée à l'émergence des pratiques éducatives plutôt répressives dans toutes les classes sociales de l'époque. Cependant,

52

Page 53: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

9

c'est au XVIe siècle qu'on trouve pour la première fois des textes traitant de la santé des enfants. Par contre, les conseils médicaux donnés aux mères alternent des propos sur l'hygiène et la nutrition avec d’autres sur la superstition et la religion. Par exemple, dès la naissance, les bras et jambes des bébés doivent être "enroulés" dans des bandages afin de prévenir des malformations physiques.

L'organisation du système scolaire au cours du XVIe siècle a pour effet de prolonger la période pendant laquelle les enfants ne travaillaient pas. Il est reconnu formellement que l'enfance est une période de formation. Les enfants doivent surtout apprendre à respecter l'autorité de l'adulte. Les enfants de la bourgeoisie vont à l'école tandis que, dans les villes, les enfants pauvres sont mis au travail dès que possible. En 1690, John Locke, visant à soulager la situation déplorable des enfants sans abri dans les villes anglaises, propose la construction des "écoles de travail" pour les enfants pauvres à partir de leur troisième année (voir pour la France, Guidetti, Lallemand , Morel, 2000). Époque moderne

La conceptualisation de l'enfance aux cours des siècles a été façonnée pour répondre aux besoins, aux croyances et aux systèmes de valeurs des différentes sociétés. Les rapports familiaux étaient définis en termes de règles, d'obligations et d'attentes sociales. Aujourd'hui les relations familiales sont centrées davantage sur les sentiments interpersonnels.

Les idées de l'éducation moderne, davantage fondées sur les théories post-darwiniennes reposent sur la conviction que les pratiques éducatives appropriées sont éclairées par l'analyse fonctionnelle du développement. On persiste à croire que l'éducation éclairée par les connaissances scientifiques fournira un outil puissant pour assurer une société juste et équitable. L'éducation adaptée aux besoins des enfants peut maximiser leur implication, leur curiosité et leurs intérêts, leur expression artistique, ainsi que leurs stratégies d'apprentissage. Un tel programme d'éducation exige aussi que l'on clarifie les règles de conduite optimale des enseignants. L'éducation moderne propose des expériences qui facilitent la croissance des compétences des élèves. Dans cette perspective, l'enfant devient le centre d'attention et les problèmes pressants de la société sont écartés pour accorder plus de place aux considérations pédagogiques.

On ne peut donc comprendre la construction et l’histoire de la psychologie du développement si on ne prend pas en compte les contextes historiques sociaux et économiques de l’époque où elle s’est progressivement constituée. Il nous faut donc toujours garder à l’esprit que l’histoire de la psychologie est liée à celle de l’environnement social et scientifique d’une époque. La complexité de ces relations a été abordée par des psychologues et historiens (par ex. Ariès, P. (1966/1973) L’enfant et la vie familiale sous Ancien Régime). La notion d’enfance évolue, se développe et se modifie tout au long de l’histoire des sociétés. « L’enfant ne sait que vivre son enfance. La connaître appartient à l’adulte. Mais qui va l’emporter dans cette connaissance le point de vue de l’adulte ou le point de vue de l’enfant » (Wallon, 1941/1968 :17). L’objectif de ce cours est donc de présenter les origines et les étapes historiques de la psychologie du développement notamment en abordant les questionnements des chercheurs s’inscrivant dans ce courant. Nous verrons que le développement renvoie à des observations, des faits expérimentaux, des hypothèses, des interprétations, des modèles et des méthodes. En effet, on n’observe pas directement le développement d’un enfant. Le développement est un concept, une construction abstraite qui varie selon les

53

Page 54: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

10

conceptions théoriques utilisées par les auteurs. La notion de temps est directement impliquée en psychologie du développement. Les notions d’âge, de période, de stades, d’étapes, de phases, sont fréquemment utilisées en psychologie du développement. Le développement de l’enfant se déroule dans le temps et sa chronologie est essentielle. 1.2 Quelques éléments de définition du développement Le tronc commun de ce cours a permis de mieux cerner les questions posées par la psychologie en général, de prendre connaissance à la fois des racines philosophiques (Descartes et le rationalisme, Locke et l’empirisme ; Rousseau) et des pionniers de la psychologie (Wundt, James, Charcot, Binet…). Deux tableaux récapitulatifs du tronc commun sont ici proposés : Rappel des racines philosophiques de la psychologie Descartes Dualisme entre le corps et l’âme 1637 Locke L’enfant comme « tabula rasa » à transformer par les pratiques 1690 éducatives Rousseau L’enfant est innocent ; rôle néfaste de la société 1750 Darwin Forme et fonction ; phylogenèse, ontogenèse 1850 Evolution par sélection naturelle Parmi les pionniers de la psychologie abordés dans le tronc commun, certains ont particulièrement contribué à l’étude du développement. Profitons du tricentenaire de la naissance de Rousseau en 2012 pour examiner un peu comment ce pionnier a proposé une autre vision de l’enfant à son époque. Jean-Jacques Rousseau est décrit souvent comme le précurseur d’une approche scientifique de l’enfant. Il a compris que l’éducation, comme toute autre discipline appliquée, doit se fonder sur une connaissance établie à partir de l’observation de l’enfant. la pensée de Rousseau préfigure en quelque sorte l’approche génétique de la psychologie de l’enfant c’est-à-dire selon le sens de l’époque celle qui s’intéresse à la mise à jour des lois de développement et qui procède pour une grande part à la théorie de la récapitulation (voir Ottavi, 2001, p. 269). Les propositions de Rousseau dans Emile ou De l’Education sont souvent rapprochés de l’école pragmatique, fonctionnaliste portée par Dewey ou encore James : en effet, Rousseau est l’un des premiers à revendiquer l’idée éducative suivante : il faut éviter les interventions directes le plus possible pour laisser à l’enfant le plus d’initiative possible. L’adulte ne doit donc pas entraver le développement naturel de l’enfant. Rousseau est aussi vu nous rappelle Ottavi (2001) comme à l’origine d’une autre psychologie, la psychologie structurale : Rousseau en effet va décrire l’enfant « comme une succession de périodes distinctes bornées par les âges de 5, 12, 15 puis 20 ans et en mettant en évidence la crise d’adolescence, Rousseau aurait indiqué la direction suivie par la psychologie de l’enfant lorsque H. spencer et G. Stanley Hall par exemple appliquent la

54

Page 55: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

11

loi biogénétique fondamentale au développement de l’enfant- l’enfant se développerait naturellement en passant par des étapes qui se succèdent dans un ordre constant, ce étapes reprenant le parcours de l’esprit de l’humanité » (p.271). Pour Rousseau en quelque sorte, « le développement est naturel envisagé comme un processus solitaire, singulier, l’enfant devant être protégé de la société pour se retrouver face à sa propre nature » ( Ottavi, 2001, p.272). Rousseau défend la nécessité de ne faire faire à l’enfant que ce pour quoi il ressent le besoin, il considère que chaque âge a sa propre perfection, l’enfance celle de l’innocence, et la possibilité d’insouciance et de jouissance qu’il ne faut pas perturber mais respecter. Ce questionnement autour de l’éducation de l’enfant est perpétuel et s’enracine dans les conceptions en pleine évolution de ce qu’est l’enfant, les contextes dans lesquels il est amené à évoluer. La psychologie du développement, une science de l’enfant, permet d’éclairer sur les réponses possibles que l’on peut y apporter hier, aujourd’hui ainsi que demain. Rappel des pionniers de la psychologie du développement Preyer Embryologie et développement 1885 Observations systématique de la croissance James Analyse sociale de l’individu (concept de soi) 1890 Approche holistique de l’adaptation individuelle Hall Principe biogénique, maturation et récapitulation 1890 Invention du questionnaire Binet Mesure de l’intelligence 1900 Approche holistique de l’intelligence Baldwin Sociogenèse et Epistémologie génétique 1900 Ce cours introductif sur un des 4 chapitres de la psychologie qu’est la psychologie du développement permettra de mieux saisir la spécificité de l’objet étudié en psychologie du développement (on verra que celui-ci ne se limite pas à l’enfant) ainsi que les méthodes utilisées dans ce secteur. La psychologie, science de la vie mentale, du psychisme, science de la culture aussi… qu’en est-il de la psychologie du développement ? Le développement est défini comme « une notion très générale qui désigne l’ensemble des processus de transformations qui affectent soit les organismes vivants soit les institutions humaines (société, culture, institutions, etc.) soit encore leurs différentes propriétés. Ce terme est souvent porteur de connotations continuistes et finalistes, et est alors proche de celui d’évolution ; le développement conduit l’entité concernée d’un état initial réputé simple ou primitif à un état final considéré comme complexe, plus stable, voire définitif » (J.P. Bronckart, in Doron & Parot, 1998). Le terme de développement renvoie donc aux notions de continuité, de finalité et d’évolution. Le plus souvent on entend par développement : 1) l’ensemble des étapes temporellement fléchées qui conduisent un organisme vivant ou une organisation sociale d’un état élémentaire à un état plus élaboré et plus complexe ; 2) aux mécanismes et processus qui permettent le passage d’une étape à une autre (Bideaud, Houdé et Pédinielli, 1993).

55

Page 56: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

12

Cette conception large peut s’appliquer s’agissant de l’homme à la phylogenèse, c’est-à-dire aux processus d’évolution et d’acquisition propre à l’espèce. Elle s’applique aussi et surtout à l’ontogenèse définie comme l’ensemble des processus de développement et d’acquisition propres à l’individu depuis l’œuf fécondé jusqu’à la réalisation de son phénotype (ensemble des traits associés à l’information génétique portée par un organisme à l’état adulte).

Le terme de développement inclut dans les travaux actuels non pas uniquement la période de l’enfance et de l’adolescence mais également la période adulte et la personne âgée. On parle de développement vie entière (life span perspective). De nos jours, la psychologie du développement est définie comme l'étude des changements dans le fonctionnement psychologique de l’individu au cours de sa vie. Dans l'usage courant, il y a trois termes qui réfèrent sensiblement aux mêmes préoccupations. La psychologie génétique est l'approche qui date de la fin du 19ème siècle (1880-1895). Ce terme reflète l'intérêt primordial pour la genèse (dans le sens de l'origine et de l'émergence) des activités psychologiques chez l'adulte. Au début du 20ème siècle, avec les progrès rapides de la biologie moléculaire et les études sur la transmission des caractéristiques parentales, le terme génétique est devenu ambigu. Soit il se réfère à la genèse comme processus de croissance de l'individu, soit il se réfère à l'unité matérielle de transmission biologique- le gène. Pour éviter cette ambiguïté, les psychologues contemporains ont remplacé cette étiquette par psychologie du développement. La psychologie de l'enfant émerge aussi au début du 20ème siècle (1900-1910). Dérivée de la psychologie génétique, cette sous-discipline se donne comme objectif l'étude scientifique des enfants à différentes tranches d'âge. Son projet implique une mobilisation des énergies scientifiques pour faire progresser les études sur les nourrissons, sur les enfants d'âge préscolaire, sur les écoliers et sur les adolescents. À l'origine, la psychologie de l'enfant est associée à un mouvement de citoyens libéraux qui s'interrogent sur les moyens d'améliorer les conditions de vie des jeunes enfants. En France, la psychologie de l'enfant est soutenue par La Société Libre pour l'Étude Psychologique de l'Enfant; aux États-Unis, cette approche est associée au champ d'étude "Child Study" lancé par G. S. Hall en 1900. La psychologie du développement, qui date des trente dernières années (depuis 1970 environ), met l'accent sur le fait que les changements psychologiques, aux plans qualitatifs et quantitatifs, se déroulent tout le long de la vie de l'individu. Ainsi, même le vieillissement est intégré comme partie de l'étude psychologique du développement. De nos jours, la psychologie du développement englobe les deux champs d'étude originels : la psychologie de l'enfant et la psychologie génétique.

Une préoccupation pour le développement humain implique nécessairement un intérêt pour l'histoire personnelle et les origines des phénomènes psychologiques chez l'individu. La psychologie du développement vise à cerner les modes de fonctionnement de l'individu et les processus de transformation de ce fonctionnement durant les différentes périodes de l'ontogenèse. L'approche développementale exige une analyse des origines, des antécédents ainsi que des conséquences et des finalités des phénomènes psychologiques. Enfin, l'investigation du développement examine surtout les transitions qualitatives et quantitatives de ces processus dans le temps.

Nous essaierons de montrer comment les psychologues fondateurs de ce secteur (Piaget, Freud, Wallon, Vygotski) tentent alors d’organiser les faits de développement dans leurs approches respectives notamment en abordant l’importance et la signification de la notion de stades- qui sont ceux de l’évolution de certaines fonctions psychiques (perception, mémoire, langage…) ou d’activités comme le jeu…

56

Page 57: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

13

2 Les principales questions posées par la psychologie du développement et perspectives Dans les éléments de définition ci-dessus nous avons mis l’accent sur le fait que la notion de développement implique les dimensions de continuité/discontinuité et surtout pose la question des facteurs de développement. Les principales questions soulevées pourraient être ainsi résumées :

1) Faut-il concevoir le développement comme un processus continu de changements ou bien comme un processus qui engendre des transformations produisant de fortes discontinuités dans l’organisation du comportement de l’enfant ? 2) Le développement est-il guidé par des facteurs internes c’est-à-dire par un programme génétique ou bien est-il influencé par des facteurs externes tels que l’environnement social et physique dans lequel évolue le petit enfant ?

1) La notion de continuité /discontinuité a été abordée à deux niveaux différents : au niveau phylogénétique, quelle est la position de l’espèce humaine par rapport aux autres espèces animales ? Ceci amène à s’interroger sur la nature continue ou discontinue au cours de l’évolution de notre espèce. Darwin a justement renouvelé la question de l’homme et de sa spécificité avec ses idées sur l’origine des espèces et la continuité de l’animal à l’homme. L’hypothèse de Darwin a été de proposer que les capacités intellectuelles se sont graduellement perfectionnées sous l’effet de la sélection naturelle au cours de l’évolution, elles constituent le prolongement de l’adaptation biologique. L’homme a été inséré dans une théorie de l’évolution. (Cette thèse s’oppose à celle de Descartes proposant une discontinuité entre homme et animal). Pour d’autres, c’est l’argument des discontinuités phylogénétiques qui est utilisé avec l’idée que la continuité est partielle entre l’homme et les primates concernant des processus cognitifs tels que la perception, la mémoire et la résolution de problème, alors qu’il y a des discontinuités importantes concernant le langage, la fabrication et l’usage des outils… (Voir chapitre 1 in Vauclair, 2004, p.17). A l’échelle du développement individuel ou ontogénétique, les théories également s’opposent quant aux conceptions continues ou discontinues du développement. Le langage, la pensée du petit enfant se développent-ils de façon graduelle, continue ou bien par discontinuité, par étapes qualitativement différentes ? Certaines théories privilégieront des changements quantitatifs (accumulation régulière de connaissances) exclusivement pour expliquer le développement, d’autres mettront l’accent sur les changements qualitatifs (modification plus ou moins importante de l’organisation des actions et de la pensée). Pour mieux apprécier la nature des changements et le caractère continu /discontinu du développement, il est intéressant de se centrer sur les facteurs agissant sur le développement. 2) la question des facteurs endogènes ou exogènes renvoie à la controverse inné/acquis ou nature versus culture. Les théories du développement vont être caractérisées par le poids qu’elles accordent à ces différents facteurs et aux types de relations entre eux proposés. Quel poids accordent-elles aux facteurs biologiques (à la nature), aux facteurs environnementaux (à la culture) ? Quelles relations entre ces facteurs sont proposées dans les principales théories du développement ?

57

Page 58: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

14

En parcourant les différentes façons d’aborder le développement (ses origines, ses structures et fonctions) au cours de l’histoire de la psychologie du développement en reprenant ces deux questions centrales, on peut identifier quelques façons de définir l’humain :

Au cours du premier Chapitre, le développement humain est envisagé d’un point de vue uniquement biologique (la perspective innéiste ou maturationniste) ou uniquement environnemental (perspective béhavioriste). Ces deux perspectives sont présentées brièvement dans le premier chapitre, elles sont aujourd’hui largement critiquées.

Au cours du deuxième chapitre, nous aborderons les racines biologiques de

l’humain au travers de 2 modèles théoriques clés pour penser le développement : la proposition de Freud des stades de développement psychoaffectif et la proposition de Piaget de constructivisme et/ou d’épistémologie génétique pour penser le développement. Un point commun de ces deux approches bien que différentes est de considérer l’humain et plus précisément l’enfant comme un être biologique qui socialise ses comportements naturels.

Au contraire, dans le troisième et dernier chapitre du cours, le psychisme

humain est défini dans les 3 approches théoriques proposées comme étant social. Wallon,Vygotski et plus récemment Bruner sont abordés afin de montrer le rôle constitutif du social et de la culture dans l’étude du développement humain.

58

Page 59: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

15

Chapitre 1 : Le développement humain : exclusivement interne ou exclusivement externe ?

1. Approche maturationniste ou innéiste 1.1 Eléments de définition : innéisme, maturationnisme, nativisme On définit l’innéisme comme une conception philosophique selon laquelle la nature d’un être est déterminée dès sa naissance et ne dépend ni des conditions de l’environnement dans lequel il vit ni des expériences qu’il peut y faire. L’innéisme s’oppose à l’empirisme pour qui les idées et l’intelligence proviennent de l’expérience sensible. Dans certaines conceptions psychologiques, on parle de nativisme comme synonyme d’innéisme. On qualifie de nativistes les théories pour lesquelles l’usage d’un appareil sensoriel ne nécessite aucune phase d’apprentissage. On qualifie de nativiste l’hypothèse chomskyenne d’une grammaire universelle (Chomsky, linguiste, parle du développement du langage, comme processus programmé à partir d’un dispositif inné, suivant un ordre fixe). Lorsqu’on parle de maturationniste on fait appel au concept de maturation qui désigne le processus par lequel un organisme arrive à maturité ou par lequel une fonction biologique ou psychologique se trouve actualisée. La maturation correspond à un programme de développement caractéristique de l’espèce (voir 1.2 Gesell). On trouve enfin le synonyme de préformisme dont l’origine est à situer dans les théories de la génération : l’hypothèse de la préformation des germes s’oppose à l’épigenèse dans le domaine de l’embryologie comme l’inné s’oppose à l’acquis en psychologie. Au vingtième siècle, la génétique a plus ou moins clos ce débat en disqualifiant les tenants d’une détermination complète des capacités individuelles à partir du patrimoine génétique au profit de ceux qui soutiennent l’idée d’un développement conçu comme une interaction entre le matériel génétique et les facteurs externes. (D’après Mengal in Doron et Parot, 1998, Dictionnaire de psychologie, p. 382).

L’approche de la psychologie du développement insiste sur l'importance des facteurs endogènes comme facteurs responsables du développement. Tout est déterminé, programmé dès la conception. Ainsi, le déroulement des changements développementaux suit un ordre immuable. Le concept de développement est assimilé au concept de maturation. Certains aspects du développement présentent une régularité qui va dans le sens du concept de maturation. Les maturationnistes ont pour objectif de souligner le rôle prédominant des facteurs génétiques et l'absence d'influence des facteurs environnementaux sur le développement.

1. 2 L’approche de Gesell La perspective maturationniste ou innéiste du développement est le plus souvent représentée par Arnold Gesell (1880-1961), psychologue américain qui fut un des premiers à fonder un laboratoire de recherche sur le développement de l’enfant en 1911 à l’Université de Yale aux Etats-Unis. A la fois pédiatre et psychologue, et pédagogue d’enfants dits anormaux, Gesell a entrepris d’étudier le développement normal pour avoir des normes de comparaison et mettre au point des méthodes de rééducation. Mais ces méthodes ne tardent pas se transformer et à devenir des guides de la croissance. C’est la signification de ces célèbres baby-tests. Gesell est, en effet, parfois considéré comme

59

Page 60: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

16

promoteur des Baby-tests : en 1925, il a proposé le premier test permettant d'évaluer les différents aspects du développement : il a établi des normes et des repères de développement du très jeune enfant. Gesell établit ce test à partir de l'observation d'une centaine de jeunes enfants. Ces observations ont permis de fixer les tendances du développement spécifiques aux différents âges. Les normes données dans le test de Gesell sont uniquement des points de repère qui permettent de situer un enfant d'un âge donné et, le cas échéant, de pointer l'existence d'une déviation (avance, retard). Il s'intéresse principalement au développement moteur (préhension, posture, locomotion), et au développement langagier (plus précisément à la communication langagière : sons gestes, langage).

1.2.1 Comment Gesell s’y prend-il pour étudier le développement ? Pour ces recherches, Gesell utilise la méthode de l’observation directe rigoureuse avec enregistrement et analyse cinématographique dans l’étude des jeunes enfants notamment (il utilise une caméra de cinéma pour filmer les enfants). Avec les enfants plus grands, il combine des méthodes d’observation de test et d’entretiens. Ses études sont à la fois transversales et longitudinales comparant les données de développement des âges successifs et des groupes d’enfants du même âge. Il a aussi pratiqué la méthode des jumeaux comparant, par exemple, deux jumeaux qu’il appelle T et C de la naissance à l’adolescence (Tran-Thong, 1992, p.238). Selon lui, le développement physique comme psychique est une affaire de maturation et d'actualisation du potentiel génétique. Il reconnaît l'existence de différences interindividuelles mais ces variations sont peu importantes par rapport au déroulement du programme génétique. Il accorde à l'environnement un rôle très limité dans le développement. Pour mettre en évidence le rôle prédominant des facteurs génétiques, il met en place la méthode du jumeau-témoin. Il s'agit d'apparier des enfants au niveau de leur potentiel génétique en s'intéressant à des jumeaux monozygotes. Au début de l'expérience, aucun des deux jumeaux ne sait gravir les marches d'un escalier. On entraîne un des jumeaux à gravir les marches pendant six semaines, alors que l'autre est écarté de tout escalier. On suppose que gravir des escaliers est sous dépendance des facteurs génétiques. Après les six semaines, les deux jumeaux sont mis en situation de monter les escaliers. Le jumeau entraîné réussit mieux que le jumeau non entraîné. Ce résultat ne montre que l'efficacité de l'entraînement dans l'apprentissage. Deux semaines plus tard, on remet les deux jumeaux dans la même situation. Les deux réussissent de la même manière. Il montre ainsi le rôle prédominant des facteurs endogènes et l'inefficacité des apprentissages précoces. Il s’oppose au courant behavioriste.

1.2.2 Les niveaux d’âge de Gesell ou stades Grâce à ses recherches et observations, Gesell est en mesure de distinguer 24 niveaux d'âges (stades évolutifs). Il emploie le terme de niveau d’âge pour désigner les différents stades de développement : 12 niveaux d’âge entre 0 et 5 ans, 6 pour ceux entre 5 et 10 ans et 6 derniers entre 10 et 16 ans. Le développement est découpé en 24 niveaux d’âge. Ces niveaux d’âge sont des niveaux de maturité. Pour Gesell, le développement est un processus continu, il procède étape par étape selon une séquence ordonnée. Chaque étape représente un niveau de maturité dans le cycle de développement. L’ordre de succession est immuable. Le nombre de stades varie avec l'âge chronologique. La maturation occupe donc une place primordiale c’est le facteur de développement qui est retenu. La maturation chez Gesell est d’abord liée au développement du système nerveux

60

Page 61: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

17

puis à la notion de constitution. « L’enfant possède des traits et des tendances constitutionnels pour la plupart innés, qui déterminent comment et ce que, et jusqu’à un certain point, quand il pourra apprendre ». En d’autres termes, la maturation est déterminante du comportement de l’enfant chez Gesell. Le milieu oriente et spécifie mais il ne crée pas les progressions. Cette conception qui ne laisse au milieu et à l’expérience qu’un rôle marginal est aujourd’hui contestée. Gesell a néanmoins contribué de façon importante à l’établissement d’une nouvelle méthodologie dans la discipline. Il a publié dans les années 1930 un atlas important comportant 3200 photographies et des films de jeunes enfants dans les situations variées exprimant toute une gamme de comportements, émotions. Reprenant les deux questions initialement soulevées dans l’introduction de ce cours, nous avons donc souligné que pour Gesell le développement est vu comme continu et causé par les mécanismes internes, biologiques : la maturation. Les stades qu’il propose ne sont que le reflet des changements de la structure biologique. 2. La perspective behavioriste ou environnementaliste 2. 1 Définition et origines du béhaviorisme Ce courant de recherche a été très fort durant la première moitié du XX siècle. Il est issu des théories du conditionnement (Pavlov : l’apprentissage peut intervenir grâce à un jeu d’association entre des stimuli et des réponses) et de l’apprentissage. C’est J.B Watson (1878-1958) qui crée le behaviorisme. Les propositions de Watson ont été développées par la suite par B. Skinner (1904-1990), inventeur du conditionnement opérant. Le behaviorisme ou comportementaliste en français propose une conception de la psychologie comme science du comportement observable sans référence à la conscience. Ce terme apparaît dans un article de Watson de 1913 considéré comme l’acte de naissance du behaviorisme. Le behaviorisme se propose de faire de la psychologie l’étude des lois qui régissent deux types d’observables : les stimuli (S) et les réponses (R) de l’organisme. Ces lois doivent permettre de trouver les réponses des sujets quand on connaît les stimuli. On n’étudie pas ce qui se passe entre S et R ce qui est appelé boîte noire. Pour les behavioristes les réponses de l’organisme ont une fonction adaptative, elles constituent des ripostes aux changements du milieu.

Les racines du béhaviorisme se retrouvent plus directement concernées par les implications de la théorie de l'évolution pour les processus psychologiques. Darwin constate la remarquable continuité (ou similarité) dans des structures physiologiques entre espèces apparentées, et propose l'existence de continuités dans les processus psychologiques associés à ces structures. Au cours de la décennie suivant la publication de l'Origine des espèces (1859), plusieurs chercheurs, professionnels et amateurs, ont entrepris des études par l'observation pour documenter la similarité du fonctionnement psychologique entre l'homme et les espèces animales. Ces chercheurs se penchant sur la question de l'intelligence animale visent à discréditer la notion de Descartes selon laquelle il existe une distinction fondamentale et catégorique entre l'esprit humain et l'esprit animal. Une anecdote très souvent citée à cette époque est l'histoire du paradoxe de "Hans le malin". Hans était un cheval de cirque qui apparemment savait compter. L'entraîneur posait un problème d'arithmétique et le cheval doté d'une intelligence prodigieuse tapait la réponse du sabot. Cette performance devient vite connue dans toute l'Europe. En 1870, Lord Morgan, chercheur en psychologie comparée d'origine britannique, est appelé à

61

Page 62: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

18

témoigner de ces capacités. Morgan est connu pour une position épistémologique relative aux recherches en psychologie comparée depuis appelé le "Morgan's Canon" -- en effet, il redécouvre le principe du Rasoir de Occam (C’est un principe attribué au moine franciscain et penseur du XIV, William d’Occam qui énonce l’idée que les entités ne devraient pas être multipliées sans nécessité. L’idée est donc que quand on a deux propositions théoriques en compétition qui permettent de prédire exactement la même chose celle qui est la plus simple est la meilleure). Selon Morgan, en comparant l'intelligence animale, nous ne devons jamais attribuer des fonctions mentales complexes (la réflexion) quand la performance peut être expliquée par des processus plus simples (la perception). La loi de la parcimonie jouait un rôle central dans cette approche méthodologique. La parcimonie est une attitude épistémologique qui privilégie toujours l'explication la plus simple comme plus économique pour expliquer les phénomènes psychologiques à l'étude. En observant systématiquement la situation de performance de Hans le cheval, Morgan découvre que les compétences apparentes en arithmétique dépendaient de la présence visuelle de son entraîneur. En manipulant d'une façon expérimentale la situation, il conclut que le cheval, tout en tapant du sabot, portait son attention aux changements dans la respiration de son entraîneur. Au moment où le nombre exact de coups sur le sol était atteint l'entraîneur expirait et le cheval était ainsi informé qu'il devait arrêter de taper. Dans son rapport sur cette expérience, Morgan a conclu que les capacités intellectuelles apparentes de "Hans" le malin pouvaient être expliquées par un processus de simple apprentissage. Le changement du rythme de respiration de l'entraîneur sert de signal déclenchant la performance attendue. Cette étude renforce la popularité du principe de Morgan que les fonctions mentales complexes peuvent souvent être expliquées à partir de mécanismes psychologiques plus simples. Peu de temps après, Georges Romanes publie une série d'études expérimentales sur le fonctionnement psychologique de diverses espèces animales. Il montre, à partir des idées de Morgan sur l'intelligence animale et dans une perspective développementale, que l'acquisition des performances dépend de processus sensori-moteurs rudimentaires et que l'organisation du comportement devient plus complexe avec l'âge. On s’attachera ici surtout à essayer de comprendre quelle conception du développement ont les behavioristes (voir le cours de cette UE 1 secteur psychologie cognitive pour une présentation détaillée de ces théories behavioristes, voir aussi Pewzner & Braunstein (1999) et Reuchlin (1996)) en particulier deux d’entre eux Watson et Skinner. 2. 2 Watson et Skinner ou la vision behavioriste de l’enfant John B. Watson (1878-1958) élabore une théorie alternative du développement précoce où les expériences précédentes jouent un rôle de facteurs de conditionnement du comportement et façonnent l'adaptation future. Watson rejette la notion de stades successifs structurant le développement de l'individu. A la place, il décrit le développement de la vie du nourrisson jusqu'à l'âge adulte comme une démarche continue. Toute différence entre les parcours individuels est compréhensible en termes de différences des histoires individuelles de conditionnement. Watson défend son approche parce qu'elle est vérifiable par la recherche scientifique. Il met en place une série d'expériences empiriques démontrant l'importance du conditionnement pendant la petite enfance pour la genèse des tendances comportementales stables, reconnaissables même des années après l'expérience initiale.

62

Page 63: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

19

Il cherche les stimuli qui suscitent des émotions. L'expérience la plus regrettable menée et publiée par Watson est celle du petit Albert. Ce bébé de 18 mois a participé dans une expérimentation de conditionnement classique par la peur. Dans un film, Watson montre Albert qui joue paisiblement avec des jouets dans son laboratoire. Placé dans une situation où un bruit très pénible est soudain associé à la présentation simultanée d'une peluche en fourrure blanche (un toutou en fourrure blanche), le petit Albert a développé une réaction conditionnée de peur à un stimulus auparavant neutre. De plus, cette peur se généralise à tous les objets plus ou moins ressemblant au toutou expérimental. Toute sorte de thérapies ont été essayées pour libérer le petit Albert de sa phobie, mais les psychologues, tout comme les béhavioristes, n'ont pas réussi. On voit ici les limites des expériences en psychologie et la nécessité d’avoir une éthique et un code de déontologie liée aux pratiques professionnelles et de recherche. Pour Watson cette expérience illustre clairement que la réactivité émotionnelle souvent décrite chez les jeunes enfants reflète une histoire d'associations malencontreuses dans leurs expériences précoces. Pour lui, ce type d'analyse expérimentale du comportement était le seul moyen d'étude scientifique de l'adaptation humaine. Depuis cette expérience classique, plusieurs chercheurs ont questionné autant les implications théoriques que les abus méthodologiques de Watson. En 1920, Watson affirme que l'enfant doit apprendre à maîtriser l'expression de ses émotions pour devenir capable de prendre place dans la société. Dans les vingt années qui suivent, les béhavioristes vendent de multiples manuels de pratiques pédagogiques aux parents, encourageant le contrôle de l'expression affective par et envers l'enfant comme moyen d'échapper aux effets néfastes lors du développement. Pour Watson tout devient possible : si l’on modifie le contexte familial on modifiera l’enfant. « Donnez-moi une douzaine d’enfants en bonne santé et en bonne constitution et un monde bien à moi pour les élever et je vous garantis que si j’en prends un au hasard et que je le forme j’en ferai un expert en n’importe quel domaine de mon choix- médecin, avocat, marchand, patron indépendamment de ses talents, des ses penchants, tendances aptitudes ou vocation » (repris de L’homme en développement, p.85).Il a fait de grands efforts pour promouvoir l'approche béhavioriste et la rendre accessible au public américain, surtout dans le domaine de responsabilité parentale dans les pratiques éducatives des enfants. Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) développe un modèle de la psychologie fondé sur la distinction entre le conditionnement répondant (réflexif, non réfléchi) et opérant (instrumental, action organisée, réfléchi). A travers ses expériences, Skinner propose une interprétation du comportement instrumental en termes de contingences de récompenses et de punition pour l'animal. Selon Skinner la maturation offre les fondations du développement mais les causes majeures sont des facteurs exogènes tels que l’environnement social des adultes qui encouragent les efforts réalisés par l’enfant ou le punissent. Le mécanisme principal du développement est l’apprentissage c’est-à-dire le processus selon lequel le comportement d’un organisme est modifié par l’expérience. Skinner a tenté par exemple d’expliquer le comportement verbal grâce aux concepts de stimulus, de réponse et de renforcement. Selon lui, c’est essentiellement grâce aux renforcements de l’entourage que l’enfant apprend à parler puis à former des abstractions (des réponses isolées de leur contexte) et à faire des discriminations. L’adulte façonnerait les premiers mots, les premières phrases en renforçant de façon sélective les énoncés qui se rapprochent le plus de la langue (Deleau, 1999). Cependant cette perspective n’avance aucune proposition concrète pour rendre compte des raisons de l’apparition de cette

63

Page 64: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

20

acquisition vers 1 an et pas avant par exemple. Etant capable de faire des associations très tôt, pourquoi le petit enfant ne parle-t-il pas plus tôt? Son explication de l’apprentissage du langage est très simpliste : c’est au travers d’un entraînement que l’individu apprend les règles grammaticales et les mots de sa langue. Les différences mises en évidence ne sont pas qualitatives mais quantitatives au sens d’une multiplication des mécanismes impliqués. Le développement n’existe pas en tant que tel puisque les behavioristes ne s’intéressent pas au développement du fonctionnement intellectuel qui est considéré comme une boîte noire. Ici le développement renvoie à l’apprentissage vu en termes de stimulations et récompenses, renforcements proposés par l’adulte. 3. Conclusion Ces perspectives sont radicalement opposées alors que l’une met l’accent sur les facteurs internes pour rendre compte du développement de l’enfant, l’autre ne prend en compte que le rôle de l’environnement au travers des stimulations qu’il propose à l’enfant comme source de transformations dans les comportements observables.

Les théories de l’apprentissage et du conditionnement ne sont pas développementales dans la mesure où elles ne font pas référence ni à l’organisation des systèmes de régulation de la conduite ni à leurs transformations au cours de l’enfance. C’est un même mécanisme qui est censé agir tout au long de la vie de l’individu. Elles ne sont pas développementales puisqu’elles ne font pas référence à des organisations internes. Deleau (1999) dans son chapitre d’introduction aux théories du développement les qualifie d’épigenèse sans développement (épigenèse car il y a bien interaction entre individu et environnement). Peu de travaux strictement behavioristes sont actuellement présents en psychologie du développement Il est à signaler, par contre, que la conception maturationniste du développement connaît dans les théories actuelles un renouveau avec les théories développementales qui portent sur les compétences précoces du nourrisson (cf. cours de psychologie du développement UE 8, L2). Ces deux approches, bien qu’opposées quant aux facteurs explicatifs du développement, ont pourtant des points communs : la conception du sujet sous-jacente semble proche : le sujet subit en quelque sorte soit ces gènes soit son environnement mais dans aucune des deux approches, l’accent est mis sur l’action du sujet pour se développer. Le sujet est donc plutôt passif dans ces deux perspectives. Comme nous l’avons déjà souligné, les théories qui retiennent l’attention aujourd’hui sont davantage celles qui postulent qu’il y a interaction entre le biologique et le milieu social et physique. On parle de perspectives interactionnistes : celle de Piaget qui postule un rôle réciproque de la maturation et de l’environnement, l’interaction envisagée est surtout entre l’enfant et le milieu physique (même si le milieu social a une importance) et le courant interactionnisme social ou culturel qui rend compte du développement comme résultant de l’interaction des facteurs biologiques et environnementaux mais le désaccord entre ces deux dernières approches porte sur le poids relatif attribué à ces deux sources et sur la façon dont elles interagissent.

64

Page 65: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

21

Chapitre 2. Les racines biologiques de l’humain : deux modèles théoriques pour penser le développement

Introduction . Nous commencerons par la perspective freudienne (sous-chapitre 1) qui, bien que différente de celle de Piaget dans ses intentions et objectifs, propose elle aussi une conception du développement de l’humain en stades de développement dont la définition est proche. Ainsi, Freud (1856-1939) et Piaget (1896-1980) ont eu recours aux stades pour rendre compte du développement de l’affectivité pour l’un, de l’intelligence pour l’autre, en ayant une approche semblable de cette notion. Ce qui amène Deleau (1999) dans Psychologie du développement à réunir ces deux approches sous le nom de « conceptions orthogénétiques » (p.26) dans la mesure où elles accordent toutes eux une place prépondérante aux facteurs internes dans les transformations de l’organisation psychologique au cours du temps. Nous limiterons donc ici la théorie freudienne à son explication du développement pulsionnel ou libidinal (mais nous n’évoquerons pas la théorie freudienne dans son entier, par ailleurs l’étudiant pourra se référer à ce même cours secteur psychologie clinique pour plus de détails). Nous présenterons ensuite la théorie piagétienne dans son entier afin de permettre de saisir la préoccupation piagétienne et en quoi cette théorie a marqué et marque toujours les travaux actuels. 1. La perspective de Freud sur le développement de l’enfant 1.1 Freud : sa vie, son oeuvre

Freud est né en 1856 en Moravie (actuelle République Tchèque), il fait ses études à

Vienne à partir de 1873. Étudiant en médecine, Freud se spécialise en anatomie et physiologie. Avec son diplôme de médecine, il s'engage dans la recherche en neurologie : avec une spécialisation en embryologie du système nerveux. Au plan théorique, Freud s'intéresse davantage aux idées d'évolution en biologie (Darwin et Haeckel) et aux principes d'associationnisme des philosophes anglais (Locke, Mill et Hume). En 1884, Freud est déjà connu au plan international pour ses recherches empiriques sur le développement neurologique. En 1885, Freud gagne un prix lui permettant de poursuivre ses études en neurologie au laboratoire de Charcot à Paris. Pendant ce stage, Freud prend connaissance des concepts et méthodes avancés par Alfred Binet et Pierre Janet. Après son retour à Vienne en 1887, il reste fortement impressionné par les expériences de Charcot sur la suggestibilité hypnotique comme démonstration empirique du fonctionnement des processus inconscients dans la psychologie humaine. Après avoir brûlé tous ses écrits antérieurs à la découverte des travaux de Charcot, Freud s'installe comme praticien en médecine spécialisée dans le traitement par l’hypnose des maladies nerveuses. Cette installation est rendue financièrement possible par un médecin juif, Joseph Breuer avec lequel il va poser les bases principales de sa théorie.

65

Page 66: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

22

Etapes importantes dans la vie de Freud (1856-1939) 1876-1885 Études en médecine et neurologie 1886-1887 Stage chez Charcot à Paris. Étude de la relation entre l'hypnose et l'inconscient

à partir des hypothèses de Charcot sur l’origine sexuelle des troubles hystériques

1887-1895 Clinicien spécialisé sur l'hystérie, Abandonne l'hypnose pour l'association libre. Publication avec Josef Breuer de la monographie - Études sur l'hystérie 1895-1900 Début de son auto- analyse. Élaboration de la notion de désirs inconscients. Publication de L'interprétation des Rêves 1900-1910 Identification des actes manqués, des fantasmes, de la sexualité infantile et des stades psycho-sexuels 1909-1910 Publication des Conférences sur la Psychanalyse aux États-Unis suite à l'invitation de G. S. Hall 1910-1935 Consolidation de la théorie psychanalytique et Institutionnalisation de la psychanalyse. 1918-1920 Révision de la théorie de la libido. Distinction entre les pulsions de vie (Eros) et de mort (Thanatos) 1937-1938 Départ de Vienne pour échapper aux persécutions nazies 1939 Décédé par euthanasie à Londres.

En 1895, Freud et Breuer publient une monographie : « Études sur l'hystérie », qui documente les techniques thérapeutiques et les nouvelles méthodes de la psychanalyse. Ils étudient les effets de la catharsis hypnotique avec une patiente surnommée Anna O. et élaborent ensemble un modèle psychologique de dysfonctionnement physiologique fondé sur la notion des souvenirs oubliés (refoulés) qu'impose une fixation ou blocage psychologique. Mais les interprétations des deux auteurs concernant Anna O. divergent et leurs divergences iront grandissant après la publication de l’ouvrage. Cette première rupture préfigure toutes celles à venir, puisque Freud entrera souvent en conflit avec les confrères, collaborateurs ou continuateurs avec lesquels il se sera lié d’amitié. Cet ouvrage souligne les résistances rencontrées dans la technique des associations libres et c’est de l’expérience de cette résistance que se dégageront les concepts de refoulement et de défense dont le symptôme est une forme de solution de compromis entre principe de plaisir et principe de réalité. C’est encore une patiente, Emmy von N. qui va mettre Freud sur la voie de cette thérapie par le discours et de sa formalisation, en lui lançant dans un moment de grande angoisse : « Ne bougez pas ! ne dites rien ! Ne me touchez pas ! » Les règles de bases de la psycho-analyse par la force d’élaboration du verbe résident dans ces injonctions. Freud abandonne l'hypnose comme outil analytique et développe la procédure de l'association libre (« dites ce qui vous vient à l’esprit ») qui devient la méthode principale dans les séances thérapeutiques de psychanalyse. La théorie psychanalytique classique est fondée sur un ensemble de propositions

66

Page 67: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

23

concernant l'économie des énergies psychiques sous-jacentes aux activités de l'individu. Dans la version originelle de sa théorie, Freud postule l'existence d'une seule force générale (libido) qui est progressivement structurée pendant l'ontogenèse. Déjà à la naissance une partie des énergies libidinales est investie dans les différentes pulsions instinctives nécessaires pour assurer la vie de l'individu. Avec le développement, les énergies libidinales sont davantage organisées en termes de pulsions secondaires et de structures de la personnalité au service de l'adaptation de l'individu dans son environnement 1.2 L’explication proposée par Freud du développement

Il faut d’abord rappeler que les préoccupations de Freud ont été peu tournées vers l’enfant en tant qu’objet d’étude spécifique. C’est seulement après plusieurs années d’élaboration de son œuvre, la psychanalyse, qu’il s’intéresse au rôle des conflits intrapsychiques de l’enfance sur la genèse des troubles observés chez l’adulte (Deleau, 1999). Les premières démarches de Freud ne portent pas sur la genèse de l’appareil psychique mais sur son fonctionnement dont il met en évidence les caractéristiques inédites dans l’étude des manifestations névrotiques et dans l’analyse des rêves et des actes manqués. Ces démarches ont abouti à deux propositions essentielles et originales: celle de l’inconscient et celle de la sexualité infantile. La notion de stade s’insère donc chez Freud dans le cadre d’une conception de l’appareil psychique, de son fonctionnement et de sa genèse élaborée sur la base de données pathologiques mais qui s’appliquent à l’homme adulte normal.

1.2.1 Le développement du ça, du moi et du surmoi Du point de vue des structures de l’appareil psychique, Freud décrit dans son

deuxième modèle trois instances : le ça, le moi et le surmoi. Chaque instance est à la fois structure et fonction, couche psychique et siège d’opérations et de processus à orientation bien déterminée. Sur le plan développemental, le moi est une différenciation du ça et le surmoi, une différenciation du moi. Ils se constituent successivement aux différents moments de l’évolution de l’enfant et déterminent les différents stades de développement. Le ça « c’est la partie obscure, impénétrable de notre personnalité … » « c’est la plus ancienne des instances psychiques... Son contenu contient tout ce que l’être apporte en naissant, tout ce qui a été constitutionnellement déterminé donc avant tout des pulsions émanées de l’organisation somatique et qui trouvent dans le ça une première forme d’expression psychique » (Freud, 1938). Le ça est donc ce qui fait la jonction entre l’organique et le psychique. Il est constitué d’instincts (la libido et l’agressivité). Au cours du développement, l’énergie libidinale tend à s’investir dans divers objets à la recherche de la satisfaction instinctuelle. Ce déploiement peut être étudié dans cet élément de la libido qu’est la pulsion sexuelle avec ses diverses zones érogènes et ses objets successifs sur lequel elle s’investit. Le ça comprend outre les pulsions innées sexuelles et agressives, les désirs refoulés. Le ça est inconscient. Le ça apparaît donc comme une énergie mobile dont l’orientation est la recherche de plaisir de la satisfaction libidinale par une suppression de tension. La genèse du moi se fait progressivement à partir du ça et est liée au développement pulsionnel qui en conditionne les stades. Le moi qui représente « la raison et la sagesse » face au ça « dominé par les passions » s’efforce d’étendre sur le ça l’influence du monde extérieur. Sa fonction essentielle est d’organiser les énergies libres et mobiles du ça en tenant compte des impératifs et des limites qu’impose le réel. La structure du moi est faite de connaissance et de défense. Les mécanismes de défense (l’introjection, la projection,

67

Page 68: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

24

le refoulement, la sublimation) utilisé par le moi se forment au cours des stades de développement. Le surmoi est la troisième instance de l’appareil psychique dont l’apparition est la plus tardive. Il est une différenciation du moi au cours d’une scission où une fraction du moi se détache et se constitue en instance indépendante. La modification essentielle du moi qui prépare la naissance du Surmoi se produit au stade du complexe d’Œdipe au cours duquel la sexualité ambivalente de l’enfant se porte sur la personne de ses parents par des manifestations d’amour libidinal aussi bien que de jalousie agressive.Le surmoi est donc l’héritier du complexe d’Œdipe et résulte des identifications qui liquident ce dernier. ÇA les énergies psychiques investies pour assurer les fonctions vitales MOI entité régulatrice du fonctionnement représentation de la personne, siège des mécanismes de refoulement SURMOI Héritier de la période oedipienne

internalisation de la régulation sociale, de l’interdit de l’inceste. La conscience et la culpabilité

le projet d'avenir, le Moi idéal Figure 1: Les structures de la personnalité

1.2.2 Comment Freud s’y prend-il pour théoriser le développement de l’enfant ?

Comme nous l’avons déjà souligné, Freud n’a pas directement étudié l’enfant « en train de se développer ». Il n’a ni conduit des observations directes d’enfant, ni vraiment développé la psychanalyse d’enfants (ce qui sera développé après lui par sa fille Anna Freud, Mélanie Klein et Donald Winnicott pour ne citer qu’eux). Les données verbales sur lesquelles il s’appuie pour construire les stades de développement proviennent des discours des patients et plus précisément de l’anamnèse des patients. Ainsi, la méthode freudienne pour proposer des stades de développement est une reconstruction à partir de points communs retrouvés dans différents matériaux verbaux analytiques.

1.2.3 Les stades du développement libidinal dans la théorie freudienne Les stades psychanalytiques sont caractérisés chacun par un niveau de maturation pulsionnelle et par un type de relations objectales qui se forment selon des mécanismes spécifiques. Le système psychanalytique comprend 5 stades dénommés stade oral qui s’étend de 0 à 1 an, le stade anal de 1 à 3 ans, stade phallique de 3 à 5 ans qui s’achève avec le Complexe d’Oedipe, période de latence de 5-6 ans à la puberté où débute le denier stade le stade génital. Tout comme pour les stades piagétiens l’objectif ici est d’en faire une présentation succincte centrée sur les principales acquisitions.

68

Page 69: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

25

Tableau n° 1. Les stades freudiens du développement libidinal Stades Caractéristiques Oral (0-1 an) Zone érogène : région bucco-labiale

Succion (=activité libidinale) puis morsure Le moi s’ébauche pendant cette période

Anal (1-3 ans) Zone érogène : région anale Défécation et urination Moi définitivement formé

Phallique (3-5 ans) Zone érogène : organes génitaux Curiosité sexuelle La libido commence à s’investir sur les parents Complexe d’Oedipe

Latence (6 ans à la puberté) Décroissance de la poussée pulsionnelle Sublimation, acquisition de la culture (apprentissages scolaires)

Génital de la puberté Zone érogène = zone génitale Poussée instinctuelle se tourne vers l’objet sexuel (jusque là auto-érotique)

Le stade oral (0-1 an) : La source pulsionnelle est le carrefour buccal et aérodigestif, poumons, estomac, l'olfaction, la vision, le toucher etc. sont aussi impliqués. L'objet est le sein maternel ou son substitut. la relation à cet objet est anaclitique, c'est à dire basée sur une dépendance absolue. La satisfaction libidinale est au départ étayée sur le besoin physiologique de la prise de nourriture. Le but pulsionnel: auto érotisme ou d'incorporation d'un objet qui n'est qu'une part du sujet (confusion entre l'avoir et l'être). La relation à l'objet est ambivalente, dans la mesure où cet objet est parfois bon (présence comblante), parfois mauvais (absence frustration). La fin du stade oral survient avec le sevrage qui constitue un traumatisme vécu comme une punition, non seulement liée à des contraintes biologiques, mais aussi culturelles. Le passage d'un stade à un autre est toujours déterminé par des contraintes à la fois biologiques mais aussi socioculturelles.

Le stade anal (1-3 ans) : La source pulsionnelle est la zone ano rectale intestinale. C'est la dimension éducative qui intervient ici : par le contrôle sphinctérien l'enfant va acquérir la maîtrise de l'acte de défécation. L'objet de la pulsion: les fécès (excréments), partie de son propre corps ou leurs substituts réels ou symboliques sont manipulés (pâte à modeler, mie de pain, boue, expressions scatologiques etc.) et à travers eux l'objet mère. Le but pulsionnel est la manipulation de l'objet, manipulation à travers ces objets libidinaux intermédiaires, parties du corps que l'enfant peut conserver ou expulser. Cette activité organise une différenciation entre l’interne et l'externe. La conquête de la discipline sphinctérienne permet à l'enfant de découvrir la propriété privée, le pouvoir sur soi et sur les autres (toute puissance narcissique), le contrôle et la possession de l'objet de son désir: la mère (sadisme).

69

Page 70: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

26

Le stade phallique (3 - 5 ans) : La source pulsionnelle est l'érotisme urétral dans le plaisir d'uriner ou de retenir. A partir de l'excitation naturelle de la miction des jeux manuels et masturbation primaires étayés sur cette miction, va se produire une dissociation progressive entre cette masturbation primaire et une masturbation secondaire qui se reproduit pour elle même de manière répétitive. (on retrouve l'étayage sur une fonction physiologique) Cette masturbation est souvent associée à des fantasmes sexuels (souvent sources d'angoisse et culpabilité car d'essence oedipienne: jeux sur les genoux des parents, caresses lors du bain, etc.) C'est cette activité fantasmatique qui expliquerait l'amnésie infantile. Ces activités masturbatoires et l'intérêt porté par les parents à ces activités du fait des angoisses incestueuses qu'elles réveillent chez eux vont susciter la curiosité sexuelle de l'enfant et la confrontation à la différence anatomique des sexes.

Selon la théorie freudienne élaborée dans un contexte très patriarcal, il n'y a pour l'enfant dans cette découverte de la différence des sexes qu'un seul sexe, un "étalon" autour duquel se pose la question de la présence ou de l'absence, de l'avoir ou pas: c'est le pénis. Attribut corporel (sans doute plus prégnant parce que visible) à l'origine de l'angoisse de la perte. Le pénis dont il s'agit ici n'est pas perçu comme organe génital mais comme un organe de puissance ou plus exactement de complétude. Cette revendication phallique du parent de l’autre sexe va se heurter à l’interdit de l’inceste et déboucher sur la triangulation oedipienne qui marque l’impossibilité d’une relation duelle avec le parent et la nécessité d’accepter la présence d’un tiers venant interdire la fusion (fonction paternelle) et offrir la potentialité d’entrer dans la culture. L’intériorisation de cet interdit débouche sur la formation du surmoi et la formation d’un idéal du moi porteur des identifications au parent de même sexe : si je ne peux avoir l’objet du désir de la mère, je peux au moins lui ressembler. Par exemple, concernant la fille, le désir du père est source d'une jalousie très ambivalente à l'égard de la mère qui était le premier objet d'amour. A terme, selon l'équation freudienne bien connue: pénis (phallus)= enfant, le désir du phallus va se déplacer sur celui d'un enfant, permettant à la femme de prendre symboliquement la place de sa mère en découvrant la toute puissance du don de la vie. Rappelons que tous ces scénarios du jeu du désir se jouent à un niveau inconscient. La période de latence (5 ans à l’adolescence) : Caractérisée par un temps d’arrêt, une stase dans l’évolution de la sexualité, qui rend cette période propice aux acquisitions scolaires et plus largement intellectuelles. On note une diminution des activités sexuelles, une désexualisation des relations d’objets (la tendresse prend le pas sur les désirs sexuels), l’apparition de la honte, la pudeur, les aspirations morales et esthétiques. Ces changements sont sous tendus par le refoulement, le développement de l’identification aux parents et des sublimations : la pulsion est dérivée vers un but non sexuel et s’oriente vers des objets socialement valorisés. La soif de connaître de l’enfant et l’intérêt pour l’abstraction sont donc conçus comme résultant du déplacement du sexuel vers l’intellectuel. Le stade génital (adolescence et âge adulte) : L’énergie psychique est centrée sur les rapports sociaux et les désirs sexuels, les transformations physiologiques liées à la puberté vont entraîner une réactivation de la problématique oedipienne et de ses avatars : construction de l’image corporelle, pression du surmoi, culpabilité, identifications aux imago parentales etc. La dynamique oedipienne va trouver là une nouvelle chance de se rejouer et de conduire à de nouvelles modalités de résolution : orientation vers des objets

70

Page 71: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

27

d’amour extérieurs à la famille, premières relations sexuelles, développement des relations amicales, références aux groupes de pairs, autonomie affective (rupture des liens d’attachement et mise à distance des images parentales), autonomie comportementale (choix des vêtements, coiffures), autonomie idéologique (formation du jugement et des opinions dans le domaine religieux, politique, idéologique), autant de mutations qui sont source d’espoir, fondement de nouvelles compétences sociales mais aussi source de culpabilité et de conflit par l’ambivalence des sentiments qu’elles suscitent. Transformations dépendantes des contextes socio-économiques qui expliquent le prolongement de cette période bien au delà de l’entrée dans l’âge adulte.

1.2.4 Conclusion et perspectives

Les années suivant la formalisation classique de la théorie psychanalytique par Freud sont marquées par des controverses mais aussi des conflits intenses entre les différents adhérents. Après la première guerre mondiale, Freud lui-même propose une révision importante de sa théorie qui n'est guère acceptée. Il invente une nouvelle conception de l'énergie libidinale en deux composantes (Éros ou les forces appuyant la vie, et Thanatos, les forces qui amènent à la destruction et à la mort). Durant trente ans, la psychanalyse comme champ d'étude se caractérise par deux tendances principales : * les perspectives post-freudiennes visant à clarifier et approfondir l'implication des idées psychanalytiques pour le développement psychologique, dont Anna Freud, fille de Sigmund Freud a développé les idées en devenant psychanalyste pour enfants. On trouve dans ce courant post –freudien, Mélanie Klein, René Spitz * et les perspectives néo-freudiennes proposant les révisions fondamentales à la théorie de la psychanalyse classique qui vont jouer un rôle important dans la recherche moderne en psychologie du développement. Des psychanalystes comme Carl Gustav Jung et Alfred Adler appartiennent à ce courant. De nombreux travaux psychanalytiques après Freud on permis d’éclairer les relations mère-enfant et notamment de montrer comment le petit enfant se construit en se séparant de ses figures d’attachement (notamment Donald Winnicott et John Bowlby). Bien que totalement guidée par un autre objectif que celui de guérir des patientes hystériques (entre autres, mais ce sont bien les origines des troubles hystériques qui ont conduit Freud à proposer les stades du développement libidinal), une autre figure marquante de la psychologie et plus particulièrement de la psychologie appelée à l’époque génétique (on dit aujourd’hui psychologie du développement) va transformer la vision que l’on a de l’enfant et de son intelligence et par là même la définition que l’on a de la spécificité humaine: il s’agit de Jean Piaget et de sa théorie « l’épistémologie génétique » ou « constructivisme piagétien ». 2. L’épistémologie génétique ou la perspective piagétienne "Entre la biologie et l'analyse de la connaissance, il me fallait quelque chose de plus que la philosophie. Je crois que c'est à ce moment-là que je découvris un besoin qui ne pouvait être satisfait que par la psychologie. Ce fut dans ce champ de recherches que les habitudes mentales que j'avais acquises au contact de la zoologie devaient me rendre de grands services. Je n'ai jamais cru à un système sans contrôle expérimental précis." Piaget (1976)

71

Page 72: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

28

Alors qu’en philosophie, les propositions théoriques sont davantage défendues sur la base de leur logique, en psychologie, on se demande quelles procédures empiriques sont nécessaires pour mettre en évidence le bien-fondé de nos idées. Dans ce contexte, la théorie d'épistémologie génétique est surtout intéressante parce qu'elle nous propose une vision de l'enfant qui diffère fortement de celle véhiculée par la psychanalyse ou le béhaviorisme.

Freud avance une vision de l'être humain défini en termes de la recherche de gratification personnelle. Pour lui, les contraintes biologiques expliquent la mise en place et l'organisation des éléments psychiques chez l'enfant. En contraste, le béhaviorisme accentue le rôle de l'expérience comme facteur façonnant la reproduction chez l'individu d'une représentation du monde externe. Dans l'approche béhavioriste, l'enfant se représente les circonstances d'apparition des stimuli et l'organisation entre divers éléments du contexte. Cette représentation organise sa connaissance du monde externe. Cependant, les deux approches se sont rejointes sur l'idée que l'enfant, être en développement, n'est pas plus qu'un produit passif des circonstances. Pour Piaget, l'intelligence nécessite une équilibration active qui résulte de l'interaction entre le sujet et son milieu. Le développement de l'enfant est une construction qui exige une contribution continue et active du sujet dans un milieu stimulant, d’où le terme de constructivisme pour qualifier la théorie piagétienne. 2.1 Les origines de l’épistémologie génétique

L’épistémologie génétique est une expression que l’on trouve chez J.M. Baldwin

(1861-1934) qui désigne de cette façon un projet de construction d’une théorie de la connaissance fondée sur les conceptions évolutionnistes et développementales et enrichissant la méthode longitudinale proposée par G. Stanley Hall (1844-1924) dans sa psychologie génétique Il adopte le principe de récapitulation proposé par Haeckel. Ce principe, dérivé de la théorie de l'évolution, prétend que dans l'ontogenèse de chaque organisme, il y a récapitulation de son histoire phylogénétique1

C'est James Mark Baldwin qui a été le premier à utiliser le terme Épistémologie Génétique. En 1892, Baldwin présente sa théorie concernant le développement des processus cognitifs chez l'enfant. Cette théorie nous offre une vision dynamique de la mise en place des structures cognitives. Le développement intellectuel dépend de l'adaptation ontogénétique impliquant deux processus complémentaires : l'assimilation et l'accommodation.

.

Au cours de la prime enfance, les réflexes présents à la naissance sont élaborés en schèmes d'action (stratégies rudimentaires). Cette transformation engendre chez l'enfant des niveaux de plus en plus complexes d'autorégulation. Ce processus amène l'enfant à quitter les schèmes de réactions automatiques pour adopter une conduite de plus en plus intentionnelle.

1 Hall propose une extension de ce principe, en affirmant que l'ontogenèse humaine implique aussi une récapitulation de l'histoire socioculturelle de notre espèce. Dans les modes de fonctionnement caractérisant les différents stades de développement, on retrouverait les différentes formes primitives du fonctionnement socioculturel de l'être humain. En se référant à ce principe, Hall postule que le développement de l'esprit, comme le développement comportemental et morphologique, progressent selon un schème invariant déterminé par l'histoire de l'évolution de l'espèce. G.S. Hall a fondé l'American Journal of Psychology, premier journal de psychologie aux Etats-Unis en 1887, et a créé l’American Psychological Association en 1892. Avec, par la suite, le rejet général de ce principe, l'influence théorique de l'approche élaborée par Hall est très limitée. Par contre, ses études descriptives sur les opinions et les attitudes des écoliers américains ainsi que ses activités de formation et d’animation ont contribué grandement à l'avancement de la recherche empirique et théorique en psychologie du développement.

72

Page 73: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

29

Ainsi, les concepts de base pour la théorie de l'épistémologie génétique de Piaget sont déjà en place au début du siècle. Sans doute, Piaget apprend-il ces notions pendant son stage post doctoral avec Simon au laboratoire de Binet en 1919. Binet, Simon et Janet ont lu les ouvrages de Baldwin en Anglais. C'est probablement Janet qui explique les notions théoriques de Baldwin à Piaget. Par contre, la grande tâche de documenter la pertinence de ces idées pour l'étude du développement cognitif reste à faire. La contribution majeure de Piaget consiste en la réalisation d’études systématiques qui défendent la position scientifique de l'épistémologie génétique. Jean Piaget (1896-1980) reprendra donc ce projet et le conduira à son terme en intégrant les deux aspects de l’épistémologie : philosophie des sciences et théorie de la connaissance. L’ambition de Piaget est de décrire la genèse des connaissances scientifiques dans l’espèce humaine. Piaget choisit donc une approche génétique et non historique car elle paraît indépendante de toute échelle temporelle. La psychologie de l’enfant semble alors la méthode la plus adéquate dans la mesure où son utilisation est fondée sur une généralisation de la loi de la récapitulation. L’ontogenèse des connaissances sera considérée comme la récapitulation de l’histoire des sciences (P. Mengal, in Doron et Parot 1998). 2.2 La théorie de Piaget : l’épistémologie génétique

Jean Piaget est suisse. Incité par un père « à l’esprit scrupuleux et critique », initié très tôt à la précision de l’observation naturaliste par le directeur du Musée d’Histoire naturelle de Neuchâtel sa ville natale, lancé encore écolier dans l’arène des publications et confrontations scientifiques (il publie en 1911 son premier article sur les limnées des lacs de Neuchâtel, Bienne et Morat) Piaget fut très vite séduit par le charme et la rigueur de la recherche scientifique. Il est né et a fait ses études à Neuchâtel et après avoir étudié la biologie et la philosophie, il va se tourner vers la psychologie et ira enseigner la psychologie à Genève. Pour Piaget, la tâche de la psychologie du développement est d'expliquer comment les connaissances scientifiques se sont développées et se sont maintenues chez l'être humain. Il faut documenter les processus génétiques (au sens de genèse) qui sous-tendent la construction biologique des connaissances. Dans un sens, l'enfant peut être vu comme un chercheur qui tente de comprendre la nature des choses qui l'entourent. Il construit des théories et expérimente avec les objets dans son environnement.

Ainsi, Piaget au cours de la première partie de sa carrière essaie de tracer les racines développementales du savoir de l'enfant. Il discute d'une façon explicite les changements développementaux de la nature de la compréhension de l'enfant. L'enfant est vu comme agent autonome construisant activement ses représentations du monde par geste, dans la pensée et dans le langage. L'enfant réinvente la culture et les connaissances scientifiques. Piaget -- La période initiale : Description du développement cognitif 1923 Le langage et la pensée chez l'enfant 1924 Le jugement et le raisonnement chez l'enfant 1926 La représentation du monde chez l'enfant 1932 Le jugement moral chez l'enfant 1936 La naissance de l'intelligence chez l'enfant 1946 La formation symbolique chez l'enfant

73

Page 74: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

30

Très au fait des méthodes statistiques les plus avancées, mais aussi des théories psychanalytiques de Freud, Adler et Jung, il part pour Paris dans le laboratoire d'Alfred Binet pour une année pendant laquelle il étudie les problèmes du développement de l'intelligence. C'est là qu'il construit sa première théorie du développement cognitif.

Après la publication de quatre articles scientifiques sur l'analyse des erreurs commises par les enfants face aux tests d'intelligence, Piaget est invité à occuper un poste de chef des travaux à l'Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève. Son objectif est d'étudier et d’expliquer le développement des connaissances chez l'enfant. Ses études, et celles de ses collègues portent sur une analyse détaillée des processus cognitifs dans les situations expérimentales en laboratoire. Par contre, dans ses recherches, il fait abstraction du rôle des expériences socio-affectives, il n'étudie ni les émotions ni l'intentionnalité chez l'enfant dans les contextes sociaux spécifiques. La cognition, bien qu’étudiée à partir de situations quotidiennes d’observations de ses trois enfants, est décontextualisée du vécu quotidien de l'enfant, dans le sens où les interactions entre Piaget et ses enfants ne sont pas prises en compte. Ainsi, pour Piaget, la notion de l'adaptation cognitive équivaut à la compréhension abstraite -- la connaissance libérée de ses contraintes socio-affectives. Par cette centration sur la cognition décontextualisée des processus socio-affectifs, Piaget apporte un contrepoids important à l'école psychanalytique freudienne en vogue à cette époque (1930-1950). Piaget critique les principes provenant de l'école de l'associationnisme. Cette perspective postule que toute connaissance prend son origine dans l'expérience primaire, véhiculée par les sensations. Dans cette vision, on considère la construction de l'intelligence comme une sorte de photocopie des expériences de l'enfant (des représentations du monde qui l'entoure). Sur le plan cognitif comme sur le plan biologique, Piaget pense que le fonctionnement repose sur deux grands principes ou invariants : l'adaptation et l'organisation. L'organisme possède une organisation propre et vit dans un milieu avec lequel il interagit pour s'adapter. Son adaptation à l'environnement dépend de son organisation interne, mais aussi des caractéristiques du milieu. L'activité intellectuelle étant un prolongement des activités plus primitives de l'organisme que sont ses réflexes et actions sensori-motrices. Piaget -- La deuxième période : Études transversales du développement 1959 Traité de logique. 1960 Apprentissage et connaissance. 1960 Théories du comportement et opérations. 1969 Les mécanismes de la perception. 1966 L'apprentissage des structures logiques 1966 Six études psychologiques 1970 Biologie et connaissance. Pendant la deuxième partie de sa carrière, Piaget devient particulièrement concerné par l'organisation des processus cognitifs logiques ou formels chez les enfants et adolescents. Les études réalisées pendant cette seconde période sont davantage des analyses effectuées sur un grand nombre d'enfants utilisant la méthode transversale. Les sujets sont sélectionnés en fonction de leur âge, et passent une seule fois au laboratoire.

74

Page 75: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

31

2.2.1 Les quatre Facteurs du développement selon Piaget : Selon Piaget le premier facteur à considérer pour le développement est la croissance organique et spécialement la maturation du système nerveux. La maturation est cependant une condition nécessaire de l’apparition de certains comportements mais insuffisante pour expliquer le développement et surtout les changements au cours de celui-ci. Un deuxième facteur fondamental se rapporte au rôle de l’exercice et de l’expérience acquise dans l’action effectuée sur les objets. Ce facteur est capital mais ne peut à lui seul rendre compte des changements dans la mesure où l’expérience n’agit jamais directement mais est toujours dépendante du système cognitif du sujet. Le troisième facteur est lié aux interactions sociales et aux transmissions sociales. Bien que fondamental, ce facteur est pour Piaget subordonné à l’assimilation active de l’enfant c’est-à-dire qu’il obéit aux mêmes contraintes que le facteur d’expérience. Pour Piaget, ces « trois facteurs disparates ne font pas une évolution dirigée. Etant donné le rôle actif du sujet et des coordinations générales de l’action dans la connaissance il faut chercher le mécanisme interne à tout constructivisme » (Piaget et Inhelder, 1966). Selon Piaget ce quatrième facteur est le processus d’équilibration. Ce processus comme tout processus n’est jamais directement observable. Ces quatre facteurs pris en compte et définis par Piaget montrent comment il se distingue des behavioristes et innéistes pour proposer sa contribution originale et surtout complète du développement de l’enfant. C’est surtout le quatrième facteur l’équilibration qui permet de rendre compte du développement cognitif et des changements. Piaget distingue la fonction des actes intellectuels et leur organisation ou structure. Du point de vue fonctionnel, il considère les actes intellectuels comme la forme la plus accomplie des moyens d’adaptation biologique. Les deux mécanismes permettant cette adaptation étant l’assimilation et l’accommodation. Du point de vue de la structure, il soutient que les modes d’organisation successifs de l’intelligence sont des systèmes dynamiques en équilibre dynamique et qui fondent les normes logicomathématiques. 1. Maturation Croissance organique et maturation du système nerveux (condition nécessaire mais insuffisante pour expliquer le développement cognitif) 2. Rôle de l’exercice et facteur capital, le sujet agit pour construire ses de l’expérience connaissances 3. Interactions sociales facteur important mais subordonné à l’assimilation active et transmissions sociales de l’enfant 4. le processus d’ équilibration Processus principal explicatif des changements au cours du développement.

Autorégulation active c’est-à-dire que l’enfant régit lui-même son développement par assimilation et accommodation

Figure 2. Facteurs de développement selon Piaget

75

Page 76: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

32

2.2.2 Comment Piaget s’y prend-il pour construire sa théorie ? En 1925, 1927 et 1931, trois enfants naissent dans la famille de Piaget. Aidé de son épouse, Piaget entreprend l'observation du développement de ses enfants au cours des quatre premières années de leur vie. Cette démarche lui permet de comprendre et de décrire le lien entre les actions sensori-motrices et les opérations intellectuelles avant l'apparition du langage. Piaget utilise l'activité de l'enfant sur des objets comme source d'informations sur le développement immédiat de sa pensée. A partir de ces observations, Piaget développe sa "méthode clinique" ou « méthode d’exploration critique » qui consiste à converser librement avec l’enfant à propos de thèmes dirigés et à suivre ses réponses par des demandes de justifications et de contre suggestions. Les thèmes proposés à l’enfant sont par exemple : la conservation de la matière (une boule de pâte à modeler à laquelle on fait subir des transformations a-t-elle toujours la même quantité de matière…), la conservation du nombre, la conservation des liquides… L'analyse de ce raisonnement permet de dégager la structure de la pensée de l'enfant. Cette méthode ne peut être assimilée ni à l’entretien clinique au sens strict, ni à l’observation. Même si le principe général de cette méthode clinique piagétienne repose sur la démarche adoptée en médecine psychiatrique ou en psychopathologie, dans le sens où il s’établit un dialogue entre le psychologue et l’enfant, elle s’en détache par son objet d’étude. La méthode proposée par Piaget se distingue de celle des tests dans la mesure où les conditions ne sont pas standardisées et dans la mesure où Piaget ne vise pas une analyse quantitative de l’intelligence mais un suivi pas à pas du raisonnement de l’enfant. L’objectif qu’il se donne est l’étude des mécanismes généraux du développement et non celles d’individus en particulier. Enfin il est difficile de parler d’observation au sens strict du terme puisque l’expérimentateur intervient dans le déroulement des épreuves en posant des questions à l’enfant en fonction des réponses qu’il apporte, lui demandant des justifications et lui proposant des contre suggestions, des contre arguments pour voir comment l’enfant réagit et jusqu’où va son raisonnement. L’important va bien au-delà de la récolte d’une bonne ou mauvaise réponse : ce qui importe c’est avant tout de faciliter la verbalisation de la démarche logique ou intuitive de l’enfant. De plus il est important de souligner que pour Piaget le langage et la pensée ont une relation bien définie : le langage n’est pas source de la logique et même au contraire le langage est structuré par la pensée. En effet, il cerne la pensée de l’enfant sur la base d’un questionnement verbal dans la mesure où le langage est le reflet de la pensée ou de l’intelligence. C’est donc sur la base de l’analyse du discours de l’enfant qu’il évalue le niveau qualitatif des structures intellectuelles enfantines. Le développement du langage suit le développement de la pensée : le langage est d’abord égocentrique reflet de la pensée égocentrique puis devient un langage social quand la pensée elle-même s’est socialisée par le mécanisme de décentration. En effet, au stade des opérations concrètes, l’enfant est capable de se décentrer c’est-à-dire de voir le monde depuis un autre point de vue que le sien propre.

76

Page 77: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

33

Pensée Pensée sociale égocentrique Langage Langage social égocentrique Figure 3 : Développement langage et pensée chez Piaget 2.2.3 Les stades de développement de l’intelligence selon Piaget Grâce à cette méthode, Piaget va donc proposer des stades de développement de l’intelligence pour montrer que l’intelligence part de l’action à l’opération. En effet, c’est par ses actions sensori-motrices que le jeune enfant construit une certaine forme de rapport au monde physique puis celles-ci se coordonnant vont donner naissance à des structures plus complexes, réversibles, moins rigides que sont les opérations. L’objectif ici est de présenter brièvement les stades piagétiens et les principales acquisitions pour chacun (les détails sur ces stades seront développés en deuxième année en UE 8).

Pendant sa carrière, à plusieurs reprises, Piaget propose différents modèles pour caractériser les changements dans la complexité des processus cognitifs au cours du développement. Sa position concernant les stades de développement est révisée en 1970, pour en arriver à une formulation générale en trois stades principaux : le stade sensori-moteur (de la naissance à 2 ans), le stade de préparation et de mise en place des opérations concrètes (de 2 à 11-12 ans) et le stade des opérations formelles (11/12 à 16 ans). Selon Piaget, la progression dans le développement des fonctions cognitives passe de façon nécessaire et invariante d'un stade à l'autre. Cependant, étant donné la diversité du développement parmi les individus, tout effort pour associer un niveau d'âge fixe aux transitions entre ces stades demeure inutile.

Le stade sensori-moteur : L'intelligence sensori-motrice est une intelligence de l'action et de la perception. L'enfant n'a pas encore de représentations mentales, de sorte que sa pensée porte sur ce qui se passe autour de lui ici et maintenant. La source de connaissances nouvelles correspond à l'observation des objets ainsi qu'à l'effet de l'action de l'enfant sur les objets. Par exemple entre 8 et 12 mois l'enfant arrive à chercher un objet qu'il a vu disparaître derrière un écran. Cette performance nous permet de constater que l'enfant a développé la permanence d'objet. Ce développement cognitif est la pierre angulaire pour toute représentation mentale subséquente. Le stade de préparation et de mise en place des opérations concrètes : Les activités impliquant la représentation (imitation différée, jeux symboliques, dessin, image mentale, langage) commencent pour certaines, à la fin du stade précédent, et se développent lors de la période de préparation aux opérations concrètes L'intelligence pendant la période des opérations concrètes implique la capacité d'abstraire l'information concernant l'action sur des objets. La conservation des différentes caractéristiques sert d'illustration classique à ce mode de pensée. Au début, l'enfant peut se représenter une action ou la reproduire dans un jeu ou une imitation différée, mais il reste dépendant de ses perceptions; il ne possède pas la flexibilité pour opérer mentalement des transformations. C’est la première

77

Page 78: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

34

période de ce stade durant laquelle la pensée de l’enfant est intuitive. A la fin de cette période, il est capable de représenter mentalement les aspects de ces transformations, de les coordonner, de les combiner et de les inverser. Sa pensée devient logique concrète. Il est capable d’imaginer la transformation inverse sur un objet concret. L’intelligence pratique devient intelligence conceptuelle. Le stade des opérations formelles : pendant la période des opérations formelles, l'adolescent développe les abstractions logicomathématiques qui permettent des opérations mentales portées sur les hypothèses donnant lieu à des théories. L'enfant n'est plus confiné à l'expérience concrète de l'objet et de l'action physique, il peut raisonner de façon abstraite. Tableau 2. Les stades piagétiens Stade Principales acquisitions Sensorimoteur (0-2 ans)

Réflexes puis schèmes sensori-moteurs Permanence de l’objet (premier principe de conservation)

Représentation (18-24 mois) De préparation et de mise en place des Opérations concrètes (2-11/12 ans)

(2 ans- 7/8 ans) Pensée symbolique (jeux symboliques) Pensée intuitive

(vers 7/8 ans- 11/12 ans) Pensée opératoire concrète (classification, conservation, sériation)

Opératoire formel (11/12 16 ans)

Pensée hypothético-déductive

Les stades du système piagétien sont des stades du développement de l’intelligence, ce sont des stades généraux, ils expliquent l’ensemble des conduites. La conception de stade qui se dégage chez Piaget est la suivante : « les stades ou niveaux de développement constituent des paliers successifs de l’équilibration ». Chaque stade a sa forme d’équilibre spécifique qui présente uns structure d’ensemble groupant les actions ou opérations. Chaque stade représente donc une forme d’équilibre sur laquelle le stade suivant va se construire. Les différentes structures d’ensemble successivement apparues au cours du développement ne sont pas innées mais sont construites progressivement. Elles sont le résultat d’une genèse. C’est l’activité assimilatrice accommodatrice qui met l’enfant en relation avec le milieu et l’intelligence se définit par ce rapport sujet-objet. Ce n’est pas la conscience qui est au point de départ de la vie psychique mais l’activité. « C’est de l’action que procède la pensée ». 2.2.4 Conclusion et perspectives ouvertes par Piaget

La théorie piagétienne a été principalement critiquée sur l’aspect universel du développement et des étapes de développement qu’elle propose et sur le fait que le rôle de l’autre dans le développement de l’enfant est totalement négligé. Cependant elle a permis des applications dans le champ de l’éducation comme de développer l’activité des élèves (les travaux pratiques, par exemple) plutôt que de les laisser passifs face aux connaissances à acquérir. C’est une théorie générale du développement, une des seules d’une telle ampleur. Aujourd’hui, les modèles théoriques proposés sont beaucoup plus locaux c’est-à-dire n’envisagent qu’un seul domaine de connaissance (modèles sur le domaine de la catégorisation, de la construction du nombre…).

78

Page 79: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

35

Ces trente dernières années, la théorie et les expériences de Piaget sont devenues

très populaires. L'exploitation de ses méthodes par des chercheurs dans le monde entier a donné lieu à un nouveau courant de pensée, fondé sur la théorie de l'épistémologie génétique. Mais la plupart des chercheurs néo-piagétiens se démarquent par un intérêt explicite pour les processus de traitement d'information et/ou pour le rôle important accordé aux interactions avec autrui dans la construction de l’intelligence. L'apprentissage est conçu comme une tâche, un problème à résoudre, où les stratégies de résolution du problème sont identifiées en terme de but de l'activité. Juan Pascual Leone et Robbie Case sont parmi les chercheurs qui tentent d'interpréter les idées de Piaget dans le cadre d'un modèle cybernétique. Selon cette perspective, les changements cognitifs au cours du développement sont associés avec la transformation de l'espace de représentation de l'enfant -- la mémoire disponible pour réaliser des fonctions exécutives et symboliques. John Flavell, qui a traduit les livres de Piaget pour les chercheurs anglo-saxons, travaille sur le concept de l'abstraction réfléchissante comme processus de distanciation qui prépare les transitions entre les stades cognitifs. De plus, Flavell lance la recherche américaine sur le développement de la décentration socio-cognitive en réalisant des études sur la capacité de l'enfant à attribuer des états mentaux à autrui, ce que l’on nomme théorie de l’esprit. En Europe, les travaux d’Anne-Nelly Perret-Clermont, Wilhem Doise et Gabriel Mugny explorent le contexte social du développement cognitif des enfants. Perret-Clermont met en évidence l'importance des interactions sociales et notamment celles de type conflits sociocognitifs entre enfants camarades dans l'acquisition des opérations concrètes telles que la conservation de volumes. Doise poursuit la notion de la représentation sociale élaborée par le psychologue social Moscovici dans le développement des processus cognitifs des enfants.

La conception piagétienne des stades permet de considérer le développement comme continu avec des changements qualitatifs (nous avons vu que les structures d’ensemble caractérisant chaque stade sont de nature différente au cours du développement, structure réflexe, structure préopératoire, opératoire concrète et structure opératoire formelle). Le développement y est vu comme continu puisque l’enfant passe de stade en stade grâce à ses actions sur le monde. Le développement chez Piaget est étudié en référence à une norme qu’est la pensée adulte, logique hypothético-déductive. Celle-ci est la borne supérieure, la finalité du développement. 3. Convergences entre Piaget et Freud concernant le développement humain Les différences entre Freud et Piaget sont évidemment importantes. Elles ne répondent en effet pas aux mêmes questions. La question centrale pour Piaget est comment la connaissance scientifique se construit-elle ? Alors que pour Freud, c’est plutôt quelle est l’origine des troubles névrotiques rencontrés chez l’adulte ? Leurs propositions ne prennent pas en compte non plus les mêmes phénomènes : Freud considère la façon dont l’organisation libidinale s’organise en pulsions partielles puis en pulsion sexuelle mature alors que Piaget étudie la façon dont l’enfant élabore des modèles qui rendent le réel intelligible en prenant appui sur ses actions (Deleau, 1999, p.29). Ils diffèrent également quant à la méthodologie utilisée : en effet, nous avons vu que Piaget a construit

79

Page 80: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

36

des situations originales pour suivre le raisonnement de l’enfant sur le réel alors que Freud a procédé à une reconstruction des stades du développement libidinal à partir des discours adultes recueillis dans les cures analytiques. Cependant, les deux auteurs ont proposé des stades de développement et leur approche respective comporte des analogies instructives. - Freud et Piaget étudient respectivement la genèse de l’affectivité et de l’intelligence. Tous deux ont mis au point de départ de la vie psychique une même activité enfantine : la succion ou plutôt le suçotement. Le premier y voit le prototype de la conduite affective, l’ébauche de l’activité libidinale, de ses fixations et de sa recherche de plaisir. Le second y voit, lui, le prototype de la conduite intellectuelle, l’ébauche de l’activité reproductive, généralisatrice de la connaissance qui annonce le jugement et l’implication logique. (Tran Thong, 1992, p.133). Les rapports sujet-objet restent au cours des stades analysés par Piaget toujours des rapports de connaissance tandis que chez Freud les mêmes rapports sont envisagés par Freud sous l’angle du désir, l’objet étant assimilé chez l’un à l’objet physique (aux choses) et chez l’autre, aux personnes. Il en résulte qu’une même activité chez l’enfant peut présenter une pluralité de significations (elle peut revêtir une signification affective et une signification cognitive par exemple). - La notion de stade chez Freud comme chez Piaget renvoie à des modes généraux d’organisation de l’appareil psychique : opératoire chez Piaget et libidinal chez Freud. Ces modes d’organisation sont censés régir l’ensemble des conduites. Chez Freud, l’énergie libidinale se lie à des objets par la médiation d’une zone érogène et organise l’appareil psychique et les relations avec l’environnement. Chez Piaget, l’intelligence est la forme d’organisation ou structure de la conduite tandis que l’affectivité est l’énergétique. La forme des relations sociales ou sujet-objet est toutefois régie par le stade opératoire. C’est bien la structure de la pensée qui donne forme aux types d’activités que l’enfant déploie sur le monde. - Ces deux théories cherchent dans l’étude de l’enfance un modèle explicatif de l’organisation mentale adulte. A ce titre, elles valorisent les processus d’accroissement et d’intégration qui se manifestent au cours de l’enfance (Deleau, 1999, p. 30). - L’accent est mis dans ces deux théories sur les changements qualitatifs de l’organisation psychique : l’organisation psychique de l’enfant diffère considérablement de celle de l’adulte. (Ceci s’oppose aux conceptions béhavioristes et innéistes qui ne voient que des différences de degré et non de nature entre enfant et adulte puisque l’accent est au contraire mis sur les changements quantitatifs). - elles posent comme principe que le développement est normé, c’est-à-dire qu’il comporte un point d’achèvement qui marque le terme des transformations qualitatives: chez Piaget, c’est l’organisation des opérations formelles ; chez Freud, c’est la pulsion sexuelle mature. L’existence de cette norme organise chacune des périodes successives et leur ordre de succession lui-même. - enfin, il semble qu’il y ait une identité de vue entre Freud et Piaget concernant les facteurs de développement. Le développement pour ces deux auteurs est régi par des facteurs endogènes, c’est-à-dire dont le principe organisateur (l’équilibration chez Piaget ; la pulsion sexuelle chez Freud) réside dans l’individu. Ce qui a conduit au terme

80

Page 81: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

37

de conceptions orthogénétiques du développement tel que Michel Deleau (1999) l’a proposé et dont on s’est largement inspiré pour cette comparaison. Par opposition aux conceptions orthogénétiques, il y a des conceptions épigénétiques issues donc d’une réflexion sur le rôle du milieu et particulièrement du milieu social et culturel sur le développement de l’enfant pour rendre compte du développement de la conduite de l’enfant. C’est l’objet du chapitre suivant avec l’approche proposée par Wallon qui utilise également la notion de stade mais dans une acception différente que celle proposée par Freud et Piaget que nous venons de voir alors que les deux autres approches (celle de Vygotski et celle de Bruner) ne l’utilisent pas.

81

Page 82: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

38

Chapitre 3. Le psychisme humain est social : vers une psychologie du développement socio-historique et culturelle

Dans ce chapitre nous poursuivons les approches épigénétiques du développement, issues d’une réflexion sur le rôle du milieu social dans l’organisation des dispositifs de régulation de la conduite. Trois approches feront l’objet du présent chapitre : celle de Wallon (1879-1962), celle de Lev Vygotski (1896-1934) et celle de Jérôme Bruner (1915-). Ces perspectives envisagent l’homme à l’intersection de deux grands ensembles de déterminants biologiques et sociaux et l’analyse psychologique proposée repose sur l’articulation de ces deux plans. De plus, tout comme Wallon ces perspectives historico-culturelles et culturelles n’assignent pas un terme au développement à l’âge adulte comme le font Piaget et Freud. 1. La théorie wallonienne : une théorie épigénétique avec des stades de développement 1. 1 Wallon : sa vie, son oeuvre Henri Wallon (1879-1962) né en 1879 est issu d’une famille de la bourgeoisie intellectuelle française. Il rentre à l’école normale supérieure en 1899 et devient agrégé de philosophie en 1902. Il s’engage alors dans des études de médecine et devient neurologue en 1908. Il a d’abord travaillé dans le domaine de la psychopathologie. Très vite, Wallon s’oriente vers la psychologie de l’enfant. C’est l’étude du développement de l’enfant qui permet de remonter aux origines de la conscience et de déterminer les conditions réelles de son apparition et de son évolution. La thèse de Wallon L’enfant turbulent à cet égard apporte des contributions importantes. Wallon y procède à une analyse selon la méthode de comparaison pathologique et à une interprétation du point de vue neurologique d’un recueil de 214 enfants anormaux. Il est arrivé à identifier et décrire les quatre premiers stades de développement psychomoteur chez l’enfant (stades impulsif, émotif, sensori-moteur et projectif) qui mettent en évidence les origines et les premiers niveaux successifs de l’évolution de la conscience. De 1937 à 1949, il enseigne au Collège de France où il occupe la chaire de Psychologie et Education de l’enfant. Parallèlement à ses activités d’enseignement et de recherche, Wallon a une vie politique engagée. Pendant la seconde guerre mondiale, il participe à la résistance, se rallie à l’idéologie marxiste et devient membre du parti communiste. Son enseignement au Collège de France est suspendu de 1941 à 1944 par le gouvernement de Vichy. En 1946, il devient secrétaire général à l’Education nationale et co-signe avec Langevin un projet de réforme de l’enseignement, le Plan Langevin-Wallon qui n’a jamais été réellement appliqué. Principales publications d’Henri Wallon 1925 : L’enfant turbulent (sa thèse d’Etat) 1930 : Principes de psychologie appliquée 1934 : Les origines du caractère chez l’enfant 1938 : La vie mentale de l’enfant à la vieillesse (sous la dir. de Wallon) 1939 : La psychologie de l’enfant de la naissance à 7 ans 1941 : L’évolution psychologique de l’enfant 1942 : De l’acte à la pensée 1945 : Les origines de la pensée chez l’enfant

82

Page 83: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

39

En 1948 il crée la revue française de psychologie Enfance qu’il dirige jusqu’à la fin de sa vie. (1962) et qui existe toujours. 1956 : Les étapes de la personnalité L’originalité de la contribution wallonienne repose sur la description qu’il donne du stade émotionnel qui se forme vers 6 mois et qui constitue le passage de l’organique au psychique. L’émotion, qui succède à l’impulsivité motrice, est le premier échange expressif de l’enfant avec l’entourage humain, antérieur aux échanges avec le monde des objets qui ne débutent que plus tard (aux stades sensorimoteurs et projectifs). L’expression émotionnelle constitue en quelque sorte un premier langage (un pré-langage), véritable outil de communication avec l’entourage, avant le langage véritable. Deux racines sont présentes au fondement même de la théorie wallonienne : l’idéologie marxiste caractérisée par le matérialisme dialectique et la théorie évolutionniste de Darwin. Concernant son ancrage dans le matérialisme dialectique2

Il retient de l’œuvre de Darwin essentiellement son approche de l’évolution en termes d’adaptation et d’importance primordiale du milieu, le milieu n’étant pas pour Wallon seulement biologique ou physique mais social et culturel dans lequel se développe l’enfant. Cependant, il se détache du darwinisme pour définir les relations entre êtres vivants comme étant des relations de solidarité, altruistes et non compétitives comme le soulignait Darwin- ce qui marque à nouveau son rapprochement avec le marxisme.

. On retrouve cette conception dans la manière dont Wallon prend en compte les conditions matérielles d’existence de l’homme dans l’étude du développement.

Sa théorie du développement renvoie à une définition de l’homme comme un être non pas seulement biologique mais également un être social. Le nouveau né pour Wallon est déjà un être social. Contrairement à Piaget, pour qui le social est la finalité du développement, pour Wallon le social en termes de besoin d’autrui est présent dès la naissance. Le bébé humain est en effet caractérisé par son impéritie c’est-à-dire son incapacité à subvenir seul à ses besoins vitaux, il a besoin de son entourage pour survivre. Le milieu humain apparaît donc comme le premier milieu dans lequel l’enfant se développe, auquel il doit s’adapter (contrairement à Piaget pour qui le milieu est physique). Le milieu humain sert de relais à l’immaturité biologique du bébé (Laval, 2002, p.36). 1.2 Les facteurs de développement pour Wallon Pour Wallon l’enfant est un participant actif à son développement (en cela il est proche de Piaget, les deux ont mis l’accent sur l’activité de l’enfant dans son développement). Wallon attribue aux facteurs sociaux un rôle fondamental dans le développement de l’enfant. Cependant, il n’en néglige pas pour autant les facteurs biologiques. Il parle d’interdépendance entre le biologique et le social. C’est cette interdépendance qui caractérise la théorie de Wallon. Les facteurs internes sont à l’origine de la maturation nerveuse : celle-ci suit un ordre strict chez tous les individus et peut expliquer la succession régulière des étapes de développement. Les facteurs sociaux sont relatifs aux influences de l’environnement humain sur le développement psychique de l’individu, c’est-à-dire, plus précisément aux interactions dans lesquelles l’enfant se construit. Ainsi pour Wallon, la maturation détermine les étapes du développement mais c’est le milieu social qui rend possible l’apparition d’une activité chez l’enfant. Facteurs sociaux et facteurs biologiques contribuent à la construction de la personnalité. Zazzo (cf. article d’ Abecassis, 1993) pour résumer la théorie de Wallon dit « le social a capté le physiologique pour en 2. Marxisme : position philosophique qui vise l’étude des phénomènes en considérant leurs conditions d’existence ; la dialectique quant à elle consiste à appréhender les phénomènes à travers leurs relations

83

Page 84: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

40

faire du psychologique ». Ceci renvoie bien à cette interdépendance des processus biologiques et sociaux pour que la vie psychique s’éveille ! Wallon va faire de l’étude de l’enfant « la voie royale de la détermination et de la systématisation de ce qu’est et fait l’action humaine dans la variété de ses fonctions face au monde des êtres et des choses. et à cette identification du biologique aux émergences successives de l’activité prise dans son déroulement face au réel il a conféré un autre intérêt fondamental : c’est de faire de l’action le lieu d’une gestion représentative où s’ancre le social » (Netchine-Grynberg et Netchine,1999, p.91). Ainsi Wallon parvient-il à l’articulation de l’individuel et du social. 1.3 L’approche globale de la personnalité de l’enfant chez Wallon On parle chez Wallon non pas de la construction de l’affectivité ou de l’intelligence mais de la construction de la personnalité englobant les dimensions sociales, intellectuelles et affectives de l’être humain. Ainsi son approche est plus générale, plus globale que celle de Piaget ou de Freud- qui n’abordent qu’un aspect du développement (l’intelligence ou l’affectivité). Il va donc étudier comment le petit enfant construit d’abord son affectivité au travers de ses mouvements qui lui permettent d’agir sur le milieu et de ses échanges émotionnels avec l’entourage puis la connaissance vient plus tard. Elle est liée à l’apparition du langage, instrument puissant de construction des connaissances pour Wallon. Pour expliquer le développement, Wallon ne s’attache ni à l’une ni à l’autre de ses dimensions (actes moteurs, émotions, cognition ou intelligence) il tente de les saisir dans les relations qu’elles tissent au cours du développement. Pour Wallon le développement n’est pas quelque chose de continu, il est discontinu c’est-à-dire il ne se réduit pas à une simple accumulation de progrès qui s’effectuerait de façon linéaire mais il présente des oscillations, des stagnations, des possibles retours en arrière…Il parle de prédominance fonctionnelle à chaque étape du développement entre ces différentes dimensions fonctionnelles que sont l’acte moteur, l’émotion et la connaissance. Par exemple, l’acte moteur domine à la naissance sous forme d’impulsion motrice, les activités de connaissance comme la représentation par exemple ne dominent que plus tard au cours de l’évolution psychique de l’enfant. La prédominance d’une dimension n’exclut pas que d’autres dimensions puissent co-exister selon le moment ou la situation. Il évoque également la loi d’alternance pour rendre compte du fait que deux orientations des conduites sont possibles au cours du développement : elle peut être centrifuge ou centripète. L’orientation centrifuge est orientée vers l’extérieur, le monde physique alors que l’orientation centripète est tournée vers l’édification du sujet lui-même. 1.4 Comment Wallon s’y prend-il ? La méthodologie wallonienne pour l’étude du développement C’est dans De l’acte à la pensée, avec le sous-titre « essai de psychologie comparée » que Wallon précise l’important passage au cours du développement de l’intelligence pratique qu’il appelle intelligence des situations à l’intelligence discursive. Pour étudier ce passage, il a recours à la méthode génétique (on dirait aujourd’hui développementale) et comparative sous toutes ses formes : comparaisons de l’enfant avec l’adulte, avec l’animal, avec le primitif et avec le malade. Wallon procède d’abord à un examen des sources de comparaison. Il montre les ressemblances entre enfant et animal concernant l’intelligence pratique et les différences radicales qui les séparent. Des contradictions similaires existent entre l’enfant et l’adulte, l’enfant et le primitif. Elles reviennent à la

84

Page 85: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

41

contradiction entre intelligence des situations et intelligence qui opère sur des représentations et des symboles. C’est donc la représentation qui les sépare. Dans les Origines de la pensée chez l’enfant il interroge des enfants âgés de 5 à 9 ans pour saisir le fonctionnement de leur pensée, c’est-à-dire voir comment l’enfant opère en présence d’une difficulté, de quel mécanisme mental, il dispose…Pour Wallon entre l’adulte et l’enfant il n’y a pas de différence de contenu. L’enfant adopte d’emblée le langage et les modes de pensée du milieu adulte au sein duquel il évolue. Si sa pensée diffère c’est que des moyens intellectuels lui font encore défaut. L’analyse du comportement intellectuel et verbal a permis à Wallon de montrer que la structure élémentaire de la pensée de l’enfant est le couple, la pensée par couple (nuit-jour ; pluie-vent, etc.). Dans ces entretiens, Wallon montre que « la pensée de l’enfant est perpétuellement faite de thèmes interrompus, de thèmes simplement accolés et quelquefois contradictoires, d’assemblages où les mêmes thèmes sont alternativement assimilés et opposés. Ces enchaînements incoordonnés vont sans cesse du piétinement sur place à la digression (Wallon, 1945). Exemple ce dialogue avec un enfant de 6 ans : « qu’est-ce que la pluie ? – la pluie c’est du vent. – Alors, la pluie et le vent c’est pareil ? – non. Qu’est-ce que c’est la pluie ? – la pluie c’est quand il fait du tonnerre. – le vent, qu’est-ce que c’est ? - C’est de la pluie. Alors c’est la même chose ? – non, c’est pas pareil. Qu’est-ce qui n’est pas pareil ? - c’est le vent. Qu’est-ce que le vent ?- c’est du ciel ». (ibid., p. 45). 1.5 Les stades de développement chez Wallon La notion de stade chez Wallon est considérablement différente de celle que l’on a définie chez Piaget et chez Freud. Le système de stade de Wallon n’a pas la netteté et la précision que nous avons vues chez Piaget. Mais son système est aussi cohérent et élaboré. Le système wallonien des stades comporte après le stade intra-utérin, six stades : le stade de l’impulsivité motrice, le stade émotionnel, le stade sensori-moteur et projectif, stade du personnalisme, stade catégoriel et le stade de la puberté et de l’adolescence. A travers ces stades, le développement de l’enfant apparaît comme discontinu, ponctué de contradictions et de conflits résultant de la maturation et des conditions du milieu et entraînant des changements qualitatifs dans son comportement total. Dans ces changements Wallon distingue des stades ou des étapes : « Les phases dit-il répondent à l’alternance qui s‘observe entre les moments où l’énergie se dépense et ceux où elle est mise en réserve et se restaure ». Les stades ne se succèdent donc pas chez Wallon d’une façon tranchée avec des limites nettes comme chez Piaget. Chaque stade apparaît comme un moment de l’évolution mentale et un type de comportement. Il est caractérisé par une activité prépondérante qui sera remplacée par une autre au stade suivant. Stade d’impulsivité motrice (0- 6 mois) : c’est le stade succédant au stade fœtal caractérisé par une totale dépendance biologique. Wallon parle d’impulsivité motrice pour qualifier les simples décharges musculaires du bébé (cris, pleurs, spasmes, crispations…). Ces gestes impulsifs manquent de but externe (ils ne sont pas motivés). Deux facteurs sont liés à l’évolution de ces crises motrices en actes coordonnés : d’une part, la maturation successive des systèmes de sensibilité intéro, proprio et extéroceptives et d’autre part l’action de l’entourage humain. Le mouvement résulte de l’activité musculaire et progressivement le tonus musculaire va mieux se répartir pour amener le bébé à une plus grande sensibilité posturale, auditive et olfactive (entre 2 et 3 mois). Les agitations

85

Page 86: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

42

motrices du bébé vont toujours être interprétées par l’entourage comme des signes d’appel… S’établit ainsi entre l’enfant et l’entourage, un circuit d’échanges mutuels qui modèlent leurs réactions. Ce sont donc ces interventions d’autrui qui vont faire passer l’enfant du stade d’impulsivité motrice au stade émotionnel suivant. Stade émotionnel (2-3 mois à 1 an) : ce stade chevauche avec le premier et a son apogée vers 6 mois. Il est caractérisé par la prépondérance des expressions émotionnelles qui constituent le mode dominant de relations de l’enfant avec son entourage. Wallon parle de symbiose affective tant l’enfant de cette période est en osmose avec l’entourage. Pour Wallon, l’émotion est un langage primitif, elle devient vraiment à ce stade un moyen d’expression. Elle devient intentionnelle. La source de l’émotion est le tonus. L’émotion devient moyen d’expression uniquement parce que l’entourage la transforme, d’un acte musculaire, simple décharge elle devient expressive parce que l’autre y accorde une importance, lui donne du sens. Le stade émotionnel implique donc la vie sociale. Stade sensori-moteur et projectif (1 an- 3 ans) : le passage du stade émotionnel au stade sensori-moteur et projectif est celui de l’activité tonique automatique et affective à l’activité relationnelle qui met l’enfant en contact avec le monde extérieur des objets. Cette forme d’activité sensori-motrice, tournée vers les objets (les identifier, les prendre, les reconnaître), aboutit à l’intelligence des situations ou intelligence pratique. Elle passe aussi par l’imitation, le simulacre et le langage et conduit à la représentation. Stade du personnalisme (3 ans- 6 ans) : ce stade débute avec la crise d’opposition de l’enfant, une attitude de refus le caractérise à cette période. Après la phase d’opposition l’enfant devient moins revendicatif. C’est toujours néanmoins dans la relation à l’autre qu’il va poursuivre la construction de sa personne. A cette période de défense et de revendication, en succède donc une autre où le moi tend à se faire valoir et à recueillir des compliments. On l’appelle « période de grâce ». L’enfant se veut séduisant aux yeux d’autrui. C’est en s’opposant pour Wallon que l’enfant s’autonomise. Vers 4 ans, l’enfant cherche à se faire aimer, admirer, pour pouvoir s’aimer et s’admirer en retour. Vers 5 ans, l’autre est pris comme modèle à supplanter, de façon à s’approprier ses mérites ses avantages. Et ainsi de suite, l’autre ne cesse jamais de jouer un rôle dans la construction de la personne. Mais l’autre est pour Wallon bien plus qu’un soutien affectif, partenaire de jeu, adversaire, faire-valoir ou modèle, il fait partie de l’individu. Stade catégoriel (6-11 ans) : c’est un stade à prédominance intellectuelle. Le signe qui inaugure l’entrée dans ce stade est l’apparition chez l’enfant entre 6 et 7 ans d’un pouvoir nouveau que Wallon appelle le pouvoir d’autodiscipline mentale désigné le plus souvent sous le terme d’attention (il arrive à poursuivre plus longtemps une même activité, il est moins dépendant du présent et du concret). Progressivement à cette période, une série de différenciations s’établit, notamment entre l’objectif et le subjectif qui permettra à l’enfant vers 9-10 ans d’établir des catégories. Intellectuelles. Le stade de la puberté et de l’adolescence : comme dans la crise de 3 ans, les exigences de la personnalité passe, à nouveau, au premier plan… ce stade inaugure donc un changement de phase : à la prépondérance des actions tournées vers le monde extérieur succède ici celle des besoins du moi et des soucis de la personne. La crise pubertaire et la conscience de soi vont ponctuer cette étape.

86

Page 87: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

43

Tableau n°3. Les stades du développement de la personne de Wallon Orientation centrifuge (tournée vers le milieu extérieur, le monde physique, le monde des objets…)

Orientation centripète (tournée vers soi, vers la construction de l’affectivité, le rapport à autrui, vers l’édification du sujet…)

Stade de l’impulsivité motrice (0-6 mois) Stade émotionnel (3 mois- 1 an)

Stade sensori-moteur et projectif (1 – 3 ans)

Stade du personnalisme (3-6 ans)

Stade catégoriel (6- 11 ans)

Stade de la puberté et de l’adolescence (à partir de 11 ans)

1.6 Conclusion et perspectives à partir de l’œuvre wallonienne

Ainsi, pour wallon, la résultante du développement social est la construction de la personne. Ce processus d'adaptation sociale est vu comme discontinu et cyclique. Le développement social implique l'intégration fonctionnelle des différents aspects de la personnalité. L'intégration de la personne se réalise à partir d'une dialectique continue. Un conflit entre l'affect et l'intelligence fournit une alternance fonctionnelle aux étapes de la vie. Les changements au centre de ces conflits démarquent les stades du développement psychosocial. Les idées de Wallon ont peu marqué la recherche contemporaine en psychologie du développement car ses travaux restent encore méconnus. Deux de ses élèves, René Zazzo et Philippe Malrieu, ont dirigé des laboratoires de recherche où une quatrième génération de chercheurs walloniens poursuit des études sur le développement social des enfants. Zazzo a dirigé le Laboratoire de psychobiologie de l'enfant (fondé par Wallon en 1928). Les chercheurs de ce laboratoire se spécialisent dans la recherche sur les processus synchrones d'apprentissage social et de communication par imitation (par exemple, Jacqueline Nadel qui n’appartient plus actuellement à ce laboratoire). René Zazzo a prolongé le travail de Wallon sur la construction du soi chez le jeune enfant notamment en étudiants les enfants jumeaux. Philippe Malrieu a fondé le Laboratoire de la personnalisation et changements sociaux de Toulouse. Il a conduit de nombreuses recherches notamment sur le développement du langage (par exemple sur l’expression de la temporalité avant 4 ans chez l’enfant), sur la construction de l’imaginaire…Plus récemment, il a accordé une place importante aux récits dans la construction de la personne et notamment aux récits autobiographiques, on peut y voir là un rapprochement avec la théorie de Jérôme Bruner qui montre l’importance des récits, des narrations,

87

Page 88: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

44

véritables outils de construction de sens. Le centre de recherches toulousain fondé par Malrieu est spécialisé dans les problèmes de socialisation et de communication interpersonnelle (pour une revue sur l’histoire de la psychologie à l’université de Toulouse, se référer à l’ouvrage 50 ans de Psychologie à Toulouse coordonné par G. Vaysse, directeur de l’UFR de Psychologie de l’Université de Toulouse Le Mirail, et publié à l’occasion de la remise du doctorat honoris Causa à Jérôme Bruner en Juin 2005). Wallon et Vygotski ne se sont semble-t-il pas connus. Et pourtant tous deux partagent un certain nombre de références théoriques communes (celles de leur époque, entre autres Pierre Janet, Karl et Charlotte Bülher, la Gestalt avec Koffka et Kölher, Baldwin) et ont tous deux été en désaccord avec Piaget. Ces deux auteurs ont proposé une psychologie de l’enfant qui n’est « ni isolé du monde des êtres et des choses, ni disséqué en fonctions disjointes » (Netchine-Grynberg et Netchine, 1999, p. 93). Leurs démarches ne sont pas exactement les mêmes mais leur contribution partage la même visée épistémologique : ils s’appuient les deux sur une perspective socio-historique pour analyser le développement humain. Voyons donc maintenant comment Vygotski rend-il compte du développement humain. 2. La psychologie historico-culturelle de Lev Vygotski (1896-1934) Lev Sémionovitch Vygotski est né en 1896 (la même année que Piaget) en Biélorussie à Orcha. Il va parvenir à faire des études malgré les sévères discriminations dont les juifs sont victimes dans la Russie tsariste. A 16 ans, il est admis à l’Université de droit de Moscou ( la philosophie et l’histoire lui sont inaccessibles car elles conduisent à un emploi de professeur et un juif ne peut avoir d’emploi officiel). Simultanément il fréquente une université non officielle où il étudie l’histoire, la philosophie, la psychologie et la littérature. Il est passionné par la critique littéraire, le théâtre et la poésie. Son mémoire de fin d’études porte sur « la tragédie de Hamlet ». Il parvient à enseigner en 1917 la psychologie et la logique, la littérature, après la révolution d’octobre qui met fin aux discriminations antisémites. En 1919, il contracte la tuberculose et sait donc que ses jours sont comptés et qu’il mourra jeune. Son objectif avec deux autres membres de l’école russe, A. Léontiev et A. Luria est de reformuler la psychologie sur des bases marxistes en se souciant des problèmes de pédagogie (analphabétisme, surdité, retard mental), et de fonder une théorie historico-culturelle du psychisme. Pensée et langage l’ouvrage majeur de Vygotski ne fut traduit qu’en 1952 en anglais et qu’en 1985 en français. Ce n’est donc qu’assez récemment que Vygotski a été accessible au public français. Pour autant sa contribution bien que courte (il est mort à 38 ans, en 1934) mais incroyablement dense sur le plan théorique retient aujourd’hui beaucoup d’attention et son œuvre devient aujourd’hui aussi utilisée que celle de Piaget. L’objectif de Vygotski est d’étudier les fonctions psychiques supérieures (volonté, mémoire, attention, formation des concepts, pensée verbale, lire un texte, résoudre différents problèmes, ressentir une émotion à l’écoute d’un poème ou d’une composition musicale ou devant un tableau), ce qui impose la prise en compte de leur ancrage historique et culturel : le développement de ces fonctions résulte de l’évolution historique et culturelle de la société. Il montre en quelque sorte que psychologie génétique et psychologie de l’éducation se confondent nécessairement ou comme le dit Bronckart (1985, p. 19) « que l’école est le lieu même de la psychologie, parce que c’est le lieu des apprentissages et de la genèse des fonctions psychiques». Dans une vision piagétienne,

88

Page 89: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

45

nous avons vu que le développement est conçu comme un facteur largement indépendant de l’apprentissage et de l’éducation et il est la base de ces deux facteurs de l’ontogenèse. Dans la conception behavioriste, au contraire, nous avons vu que l’accent est mis sur l’apprentissage expliquant toute acquisition provenant du milieu. Le concept de zone proximale de développement proposé par Vygotski, peu avant sa mort, contient une nouvelle définition des rapports entre apprentissage/éducation et développement. « Les processus de développement ne coïncident pas avec ceux de l’apprentissage mais suivent ces derniers en donnant naissance … à la zone proximale de développement » (Vygotski, 1985, p. 114). Celle-ci est définie comme la différence entre le niveau de résolution de problème sous la direction et avec l’aide de membres plus experts (l’adulte ou tout pair plus compétent) et celui atteint seul. Le développement pour Vygotski suit l’apprentissage. Principales publications de Vygotski :

1925 : Psychologie de l’art (sa thèse), publiée en français en 2005 (Editions La Dispute, Paris)

1925 : La conscience comme problème de la psychologie du comportement (article), publié en français en 2003 dans Conscience, inconscient, émotions (Editions La Dispute, Paris)

1926 : Psychologie pédagogique (1926) Signification historique de la crise en psychologie (1926), publié en français en 1999 (Éditions Delachaux et Niestlé, Lausanne)

1930 : Psychisme, conscience, inconscient (article), publié en français en 2003 dans Conscience, inconscient, émotions (Editions La Dispute, Paris)

1930 : Ape, Primitive Man and Child en collaboration avec Luria (1930)

1930-1931 : Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

1933 : La théorie des émotions de Spinoza et de Descartes à la lumière de la psycho-neurologie contemporaine (article)

Étude des émotions, publié en français en 1998 sous le titre Théorie des émotions (Éditions L’Harmattan, Paris)

Défectologie et déficience mentale (1994) (Editions Delachaux et Niestlé)

1935 : Apprentissage et développement à l’âge préscolaire

1934 : Pensée et langage (synthèse, 1934), publié en français en 1985 (Éditions Sociales, Paris) et en 1997, Éditions La Dispute, Paris, suivi par le Commentaire sur les remarques critiques de Vygotski par Jean Piaget

Un moment important dans la théorie historico-culturelle de Vygotski est celui où il replace le devenir de l’enfant dans le tout de cette réalité transformée – et toujours en cours de transformations- que constitue une société humaine. Certes, les deux formes de développement (la phylogenèse et l’ontogenèse) ne peuvent être confondues mais on ne

89

Page 90: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

46

peut penser le développement de l’enfant indépendamment de l’histoire des sociétés humaines. Dans Ape, Primitive Man and Child, écrit 1930 en collaboration avec Luria, Vygotski décrit trois lignes de développement : -une ligne biologique ou phylogénétique (histoire naturelle) -une ligne socio-historique (histoire des sociétés) -une ligne ontogénétique (au sein de laquelle on trouve deux lignes de développement : une biologique et une, culturelle). C’est de façon dialectique en termes de continuités-ruptures qu’il faut comprendre le passage de l’histoire naturelle à l’histoire des sociétés humaines (Brossard, 2005). Il y a continuité parce que l’évolution biologique prépare la voie à l’apparition des sociétés humaines et qu’il y a des traits communs aux espèces les plus avancées et aux hommes (utilisation d’instruments, formes rudimentaires de communication et d’organisation sociale…). Le développement socio-historique obéit désormais à ses propres lois et en modifie en retour nos organes biologiques. « Le comportement de l’adulte civilisé de notre époque est le résultat de deux processus différents du développement psychologique. D’une part le processus d’évolution biologique, qui a conduit à l’apparition de l’homo sapiens ; d’autre part, le processus de développement historique à travers lequel l’homme primitif s’est transformé en être culturel » (Vygotski, 1931/1992 cité par Deleau, 1999b, p. 103, in Clot (Ed.) Avec Vygotski). Dans la phylogenèse ces deux processus sont des lignes de développement indépendantes. Le développement ontogénétique, lui, contrairement au développement phylogénétique comporte ces deux lignes de développement biologique et culturel qui sont extrêmement liées, imbriquées alors qu’elles sont relativement autonomes au niveau phylogénétique. Ainsi, ce qui va intéresser Vygotski c’est précisément l’étude de la transformation des conduites élémentaires (naturelles) en conduites culturelles du fait de l’appropriation des outils culturels. Regardons de plus près comment Vygotski arrive à formuler une telle position en parcourant trois thèses centrales dans son œuvre : - la médiatisation sociale des rapports individu – monde réel. - les fonctions psychiques supérieures (ou le fonctionnement cognitif) proviennent de rapports sociaux dont elles sont l’intériorisation, on peut parler d’origine sociale du fonctionnement mental. - les rapports entre apprentissage et développement 2.1 Le concept de médiatisation ou médiation : outils et signes En psychologie, le plus souvent, on considère l’activité du sujet autour de deux pôles : d’un côté, le sujet avec toutes ses capacités cognitives lui permettant d’enregistrer et de traiter des informations et, de l’autre, le milieu physique et éventuellement social source d’informations et objet d’actions. Dans ce cadre, le développement des capacités d’un individu est nécessairement compris comme découlant de l’interaction entre ces deux pôles. On a vu plusieurs approches possibles selon que l’accent est mis sur la réalité extérieure qui forme le sujet (behaviorisme) ou plutôt l’individu qui agit sur la réalité extérieure pour en extraire de l’information en fonction des schèmes déjà construits (Piaget). Mais, le processus de développement doit être décrit comme un processus d’adaptation de l’individu à la réalité, pour survivre, obtenir satisfaction, pour faire fonctionner ses schèmes… Vygotski montre qu’il est difficile d’expliquer, à travers une telle approche, les changements qualitatifs importants survenant par exemple dans la mémoire qui devient volontaire à un certain niveau, dans la perception qui devient contrôlée à un certain moment, etc. Toutes ces fonctions psychiques supérieures ont la particularité

90

Page 91: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

47

d’être conscientes c’est-à-dire de faire l’objet d’un contrôle systématique durant leur exécution (Schneuwly, 1987). Pour ce faire, il convient d’étudier selon Vygotski qui s’appuie sur les propositions de Marx et Engels, la spécificité du comportement humain par le fait que l’homme crée en coopération avec d’autres ses moyens de subsistance en utilisant des moyens pour agir sur la nature : les outils. L’action de l’homme sur la nature n’est jamais directe, jamais immédiate mais médiatisée par des objets spécifiques socialement élaborés, fruits d’expériences des générations passées et par lesquels se transmettent et s’étendent les expériences possibles. Les outils ou instruments techniques se trouvent entre l’homme et la nature, ils déterminent son comportement, le guident…Ce qui permet à Vygotski de distinguer entre le but et les moyens dont dispose l’homme pour l’atteindre. L’activité n’est plus conçue comme se déroulant entre deux pôles mais trois : l’homme- outils- réalité extérieure (ou nature). Un outil médiatise une activité lui donne une certaine forme. Mais ce même outil représente cette activité, la matérialise. L’activité psychique pour Vygotski est aussi médiatisée, elle l’est par des signes c’est-à-dire des outils non plus externes mais des outils psychologiques que sont les systèmes de signes. Le signe est défini par Vygotski comme tout stimulus artificiel créé par l’homme comme moyen de contrôle de comportement, le sien ou celui de l’autre. Ainsi : « Les instruments psychologiques sont des élaborations artificielles , ils sont sociaux par nature et non pas organiques ou individuels ; ils sont destinés au contrôle des processus de comportement propre ou de celui des autres tout comme la technique est destinée au contrôle des processus de la nature. Voici quelques exemples d’instruments psychologiques et de leurs systèmes complexes : le langage, les diverses formes de comptage et de calcul, les moyens mnémotechniques, les symboles algébriques, les œuvres d’art, les schémas, les diagrammes, les cartes, les plans tous les signes possibles… ». La différence fondamentale entre les outils et les signes est que les premiers agissent sur la nature tandis que les seconds agissent sur les autres personnes ou sur soi-même. Le système de signe privilégié central pour le contrôle de son propre comportement ou celui des autres est le langage. Figure 4 : La médiation du fonctionnement mental On reprend souvent l’exemple classique du nœud fait au mouchoir pour se rappeler on dirait maintenant plus souvent de la croix marquée dans le creux de la main pour se souvenir ou l’utilisation du post-it pour se rappeler afin d’illustrer cette notion de médiation des fonctions psychiques supérieures. « Si l’on réfléchit sur le fait que, en faisant un nœud à son mouchoir pour se rappeler, l’homme construit en substance un processus de mémoire à l’extérieur, force un objet extérieur à lui rappeler une tâche à accomplir ou mieux extériorise un de ses processus intérieurs pour le transformer en une activité extérieure,… on se rend compte que l’essence même de la mémoire humaine réside dans la capacité de l’homme à mémoriser activement par la médiation des signes » (Vygotski,

Enfant Monde extérieur

Outils et signes

Adulte

91

Page 92: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

48

1974, in Schneuwly, 1987). On retrouve le rapport entre trois termes : l’individu qui doit se rappeler de quelque chose dans une certaine situation, les faits à mémoriser, et le signe qui permet d’organiser différemment le processus de mémorisation. On pourra penser aussi à d’autres systèmes sociaux qui permettent d’élargir la mémoire comme les systèmes d’écrit, de comptage… On pourra aussi penser au petit enfant qui pour dénombrer une collection d’objets utilise ses doigts pour compter, les doigts dans ce contexte fonctionnent comme outil psychologique. Le processus de développement n’est donc plus vu comme une adaptation à une réalité mais comme un processus d’appropriation d’expériences sociales préexistantes déposées sous de multiples formes dans des systèmes d’outils, d’objets produits et signes. Il apparaît non plus comme soumis à des lois biologiques de maturation mais à des lois sociales qui changent en fonction des périodes historiques et des sociétés. 2.2 Une loi du développement : de l’interpsychique à l’intrapsychique

Le signe est toujours d’abord extérieur et préexiste à l’individu qui va l’utiliser et l’intégrer dans son propre fonctionnement. Vygotski insiste beaucoup sur cette origine sociale et extérieure des signes et de leur fonctionnement. L’exemple qu’il donne pour illustrer ce passage de l’interpsychique à l’intrapsychique est celui du geste d’indication ou de pointage ou « pointing ». Ce geste n’est au début qu’un essai pour atteindre un objet quelconque. La main est tendue vers un objet que l’enfant aimerait saisir, mais qui est hors de portée. Les personnes de son entourage vont lui donner une signification « l’essai sans succès de l’enfant engendre une réaction non pas de l’objet qu’il veut mais d’une autre personne. La première signification du mouvement est donc établie par d’autres (Vygotski, 1978). Avec le temps, l’enfant établit une relation entre son mouvement et le comportement de l’autre et va l’interpréter comme voulant dire « montrer ». Le mouvement change de fonction : il devient un geste au sens vrai du terme (c’est-à-dire intentionnel). On notera ici la proximité avec l’explication wallonienne du passage des décharges tonico-posturales aux émotions qui passe par l’autre. Il donne aussi l’exemple de la signification du mot. Celle-ci est d’abord utilisée par l’adulte comme moyen de communiquer avec l’enfant, plus tard le mot prendra une signification pour l’enfant. Ainsi, pour Vygotski, toute fonction apparaît deux fois au cours du développement : d’abord, au niveau social, ensuite au niveau individuel ; d’abord entre les personnes (au niveau interpsychologique) ensuite à l’intérieur de l’enfant (au niveau intrapsychologique). Cela s’applique à toutes les fonctions psychiques supérieures. Celles–ci ont leur origine dans les relations entre les individus. De plus, Vygotski insiste sur le fait que le passage de l’extérieur à l’intérieur transforme fondamentalement le processus, sa structure et son fonctionnement. Par exemple, Vygotski prend l’exemple du langage intérieur. Le langage est utilisé pour agir sur les autres mais aussi pour agir sur soi-même. Pour Vygotski, le langage est d’abord social puis il devient égocentrique (il reprend l’expression à Piaget : il s’agit du langage produit par l’enfant en situation problème qu’il adresse à lui-même) qui pour Piaget reflète l’égocentrisme de la pensée enfantine alors que, pour Vygotski, il représente un début d’intériorisation du langage social. Ce langage se transforme dans sa structure (il est plus abrégé que le langage social, il ne prend pas en compte les autres) et dans sa fonction il sert à réguler ses propres actions lors de résolution de problème. Le langage devient ainsi par différenciation fonctionnelle et transformation structurelle un instrument privilégié pour le contrôle du comportement dans la résolution de problème.

92

Page 93: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

49

Langage Langage langage Social égocentrique intérieur ou pensée Figure 5 : Rapports langage et pensée chez Vygotski 2.3. Les rapports entre apprentissage et développement

Pour Vygotski, « ce n’est pas la nature mais la société qui doit être considérée comme principal facteur déterminant du comportement humain ». La construction des capacités humaines est vue comme un mouvement partant de l’extérieur vers l’intérieur, plus précisément menant de l’interpsychique vers l’intrapsychique. Pour Vygotski poser le problème de la genèse des capacités signifie obligatoirement poser le problème des situations sociales d’apprentissage et plus généralement des rapports entre apprentissage-enseignement et développement. Il en découle comme le remarque Schneuwly (1987) que les lieux de la psychologie sont les lieux de l’éducation. Les relations qui existent donc entre apprentissage et développement constituent un thème central dans sa théorie. Contrairement à Piaget qui considère que l’apprentissage suit le développement ou encore aux béhavioristes qui réduisent le développement à l’apprentissage, Vygotski invoque une troisième position qui est que l’apprentissage est une condition préalable au développement. Pour Vygotski l’apprentissage commence très tôt bien avant l’apprentissage scolaire. En effet, « tout apprentissage de l’enfant à l’école a une préhistoire. L’enfant commence par exemple à étudier l’arithmétique à l’école mais bien avant d’entrer à l’école, il a déjà acquis une certaine expérience concernant les quantités ». De plus, il ajoute que le parcours de l’apprentissage scolaire chez l’enfant n’est pas nécessairement la continuation du développement préscolaire dans tous les domaines. C’est dans cette perspective qu’il propose le concept de « zone proximale de développement ». Celle-ci implique de déterminer deux niveaux : celui que l’enfant atteint avec l’aide d’un autre plus expert (adulte ou pair plus compétent) ou qu’il peut donc potentiellement atteindre seul ensuite et celui qu’il atteint seul actuellement. Il distingue donc deux niveaux qui déterminent la relation entre le développement et les possibilités d’apprentissage. Ce qui caractérise l’apprentissage pour Vygotski c’est l’existence d’une zone proximale de développement. C’est elle qui contribue à la mise en œuvre chez l’enfant des processus développementaux qui une fois qu’ils seront effectifs dans un premier temps dans la relation sociale adulte-enfant par exemple seront ensuite appropriés par l’enfant qui pourra réussir seul.

Le développement consiste en transformations d’activités élémentaires en activités psychiques supérieures grâce à l’utilisation d’outils culturels, Vygotski pense les rapports entre biologique et culturel de façon dialectique c’est-à-dire en termes de transformations. Mais le développement ne se réduit pas à une transformation de chacune des fonctions prises isolément. Ce qui est essentiel pour Vygotski c’est qu’il existe entre ces fonctions des relations qui, elles-mêmes, vont se transformer. La manière dont s’entrelacent fonction communicative et fonction intellectuelle du langage au cours du développement par exemple va intéresser vivement Vygotski. Le fait qu’il existe des relations entre les fonctions le conduit à parler en terme de système psychique. Et le fait que ces rapports se transforment l’amène à parler du développement comme d’une succession de réorganisations (d’après Brossard, 2005, p. 97). Lorsqu’il parle d’apprentissage, Vygotski parle d’apprentissage d’activités complexes culturelles. Complexes dans la mesure où elles sollicitent plusieurs fonctions à la fois. L’enfant va se trouver face à des outils

93

Page 94: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

50

élaborés qu’il va devoir s’approprier. Cette appropriation se réalise toujours dans le cadre d’activités sociales d’apprentissage c’est-à-dire dans la collaboration avec autrui. 2.4 Comment Vygotski s’y prend-il pour rendre compte du développement de l’enfant ? Il utilise l’observation d’enfants en situation de résolution de problème (en ce sens, il est proche de Piaget). Par exemple, il reprend une expérience utilisée par Köhler avec les singes qu’il propose à de jeunes enfants. Les enfants sont placés dans une situation problème dans laquelle le but recherché (atteindre du chocolat placé sur une étagère trop haute) ne peut être atteint directement, l’objet convoité étant placé trop haut. L’enfant a à sa disposition des moyens pour parvenir au but (ici des tabourets et une baguette). Avec des collaborateurs, Vygotski observe que à partir d’un certain âge, environ 3 ans, l’enfant en même temps qu’il agit sur la situation utilise le langage et ses propos sont de nature variée : tantôt il se parle à lui-même, tantôt ses propos sont de nature affective, tantôt il s’adresse à l’expérimentateur, tantôt il effectue un début d’analyse de la situation à l’aide du langage… bref il s’agit d’un phénomène complexe : il y a un ensemble de fonctions enchevêtrées. Dans cet ensemble le psychologue doit chercher à dégager la tendance centrale. Il met en place un travail de comparaison avec les résultats de cette même expérience conduite avec les singes par Köhler et Bülher concernant l’intelligence pratique non verbale. Il semble que dans un premier temps enfant et animal résolvent la tâche par essais et erreurs, par un principe qui est extérieur, par les résultats obtenus à chaque étape. Ensuite l’enfant parle et en particulier se parle. En demandant à l’expérimentateur une aide, en sollicitant un conseil, il commence à se donner à lui-même un principe pour résoudre la situation… Cela va lui permettre de pouvoir se représenter la situation. Par exemple il utilisera les mots « trop haut », « trop loin » pour analyser la situation puis il se donnera à lui-même une consigne (je vais monter sur le tabouret …). Le langage d’abord utilisé pour communiquer avec l’autre a ensuite une autre fonction planificatrice et représentative. 2.5 Conclusion et perspectives à propos de l’approche vygotskienne La conception socio-historique du développement de Vygotski est maintenant devenue une référence pour les études contemporaines sur les processus cognitifs. Aux États-Unis, Valsiner et Wertch poursuivent les recherches sur la zone proximale de développement et les contraintes socioculturelles (on parle aux Etats-Unis de psychologie socioculturelle pour désigner la psychologie d’inspiration vygotskienne), sur l'élaboration des activités des jeunes enfants. Grâce à sa théorie, Rogoff a ouvert un champ de recherche sur la coordination des interactions en contextes d'apprentissage expert-novice. Ces études montrent le rôle important du soutien social pour l'acquisition des compétences par l'enfant. Jérôme Bruner également a construit la psychologie culturelle en partant des travaux de Vygotski. Beaucoup de travaux s’inspirant du travail de Vygotski sont donc accessibles en langue anglaise. En langue française, actuellement, la notion d’instrument psychologique a notamment été retravaillée et donne lieu à diverses approches originales sur le rôle des outils psychologiques dans le fonctionnement psychique (voir par exemples : Rabardel, Bronckart, Schneuwly, Moro et Rodriguez). Les ouvrages Outils et signes : perspectives actuelles de la théorie de Vygotski de Moro, Schneuwly & Brossard (Eds)(1997) et Avec Vygotski de Clot (ed.) (1999) donnent un très bon aperçu des approches vygotskiennes

94

Page 95: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

51

contemporaines. La théorie de Vygotski est cependant encore mal connue parce que difficilement accessible. Des traductions de ses textes restent encore à faire (en 2005 est sortie la traduction d’un texte inédit de Vygotski publié in Brossard 2005, et sa thèse Psychologie de l’art devrait paraître en français durant l’été 2005). De nombreux travaux en didactique des disciplines s’inspirent également des notions vygotskiennes et permettent de penser les relations apprentissage et développement, de préciser les dimensions sémiotiques de l’activité d’enseignement –apprentissage. 3. Synthèse et comparaisons Vygotski, Wallon et Piaget

La théorie de Vygotski est très novatrice pour l’époque et a l’avantage de proposer une théorie du développement « située » dans un contexte historique et culturel. On ne peut étudier le fonctionnement humain sans son ancrage historique et culturel. Elle met l’accent sur l’origine sociale du développement mental et sur le processus d’appropriation des connaissances par l’enfant. Elle pointe aussi un troisième élément fondamental pour comprendre le développement : les outils ou instruments psychologiques que sont les systèmes de signes. Ainsi, l’enfant n’agit jamais directement sur lui-même ou sur les autres mais toujours par l’intermédiaire de systèmes de signes. Ces instruments psychologiques non seulement sont des entités culturelles historiquement élaborées mais ce sont aussi des entités sociales c’est-à-dire que l’enfant se les approprie d’abord dans des contextes sociaux avant de devenir sa propriété. Ces différents thèmes et thèses vygotskiennes en font une théorie totalement différente de celle proposée par Piaget. Voyons maintenant les points de convergence et de divergence entre ces deux théories ainsi que les rapprochements avec Wallon. Ces deux approches développementales ont la particularité d’être interactionnistes : en effet, Piaget postule l’existence de relations enfant-milieu physique pour qu’il y ait développement on pourrait presque parler d’un interactionnisme physique alors que pour la théorie de Vygotski est à l’origine de l’interactionnisme social pour lequel l’enfant interagit d’emblée avec les autres. En ce sens les théories de Vygotski et Wallon sont proches. Elles postulent toutes deux que les connaissances se construisent et que l’enfant est acteur de son développement. De plus, Wallon comme Vygotski, proposent une psychologie de l’individu qui est ancré dans le monde social et culturel. L’un et l’autre critiquent l’incapacité de l’ « ancienne psychologie » à rendre compte du caractère hiérarchiquement organisé des conduites humaines, de la pluralité de leur mode de détermination, de leur complémentarité mais aussi de leurs conflits. Ils sont en ce sens proches de la théorie de la Gestalt, mais lui reprochent cependant de ne pouvoir rendre compte du développement, du passage d’une structure à une autre plus complexe donc de la naissance d’une nouvelle structure (Rochex, 1999). Vygotski comme Wallon sont confrontés à un même problème : définir ce que sont les « unités de base » des conduites et du psychisme humains. Pour ces deux auteurs, le social n’est pas ce qui vient au sujet préalablement constitué mais ce dans et par quoi il se constitue. Ainsi, alors que pour Piaget les facteurs exogènes n’ont qu’un rôle secondaire le primat étant donné aux facteurs internes, pour Vygotski comme pour Wallon ce sont les facteurs exogènes qui contribuent à la constitution même de l’appareil psychique et le développement est compris comme la résultante de l’interaction entre facteurs biologiques et facteurs de l’environnement. La prise en compte de la spécificité du milieu dans lequel l’enfant évolue est primordiale. Le milieu social fournit un cadre organisateur : il fournit à la fois un

95

Page 96: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

52

partenaire assurant la survie de l’enfant, lui permettant d’aller au-delà de ses capacités actuelles et également un univers peuplé d’objets, de systèmes de signes qu’il aura à s’approprier. C’est donc une épigenèse sociale et interactionnelle qui est proposée par Wallon et Vygotski. Les déterminants biologiques généraux qui opèrent pendant l’enfance n’ont plus le même impact ultérieurement et les facteurs sociaux sont prééminents dans la transformation des activités mentales lors du processus général du développement socio-historique (les contraintes biologiques retrouvent cependant un poids avec le vieillissement). Alors que Piaget voit dans l’enfant un être biologique qui socialise ses comportements naturels, Vygotski tout comme Wallon l’envisage comme un être social qui somatise ses acquis culturels (Sève, 2008). Les distinctions fondamentales entre les théories épigénétiques et orthogénétiques concernent la dimension continue et universelle du développement du côté de Piaget comme de Freud alors que le développement est vu comme contextuellement situé et pas forcément linéaire dans les perspectives walloniennes et vygotskiennes. Le développement mental ne s’effectue pas exclusivement grâce à des processus endogènes mais l’appropriation par l’enfant des instruments psychologiques et symboliques repose sur les interactions sociales. C’est dans des contextes sociaux de communication avec l’adulte, médiateur de la culture, que le petit d’homme développe ses fonctions psychiques supérieures. 4. La perspective culturelle de Jérôme Bruner 4.1 Jérôme Bruner : voyage au cœur du « faire sens » humain

La théorie que développe Jérôme Bruner est une théorie qui s’inscrit dans le prolongement du travail de Lev Vygotski. Jerôme Bruner, né en 1915 à New York, est un psychologue américain, actuellement professeur de psychologie à l’école de droit (School of Law) de New York. Il a fait une thèse en psychologie sociale à l’Université de Harvard sur la propagande pendant la guerre puis va s’intéresser à la construction sociale de la perception chez les enfants de différents milieux socio-économiques et va ensuite conduire à la première révolution en psychologie : la révolution cognitive pour lutter contre le behaviorisme très fortement représenté aux Etats-Unis. C’est-à-dire qu’il contribuera à l’ouverture de la « boîte noire » pour mieux comprendre les processus de traitement de l’information, comment le sujet traite de l’information qu’il reçoit, ce qu’il en fait… Puis, progressivement les psychologues ne se centrent plus qu’exclusivement sur le traitement de l’information comparant même l’homme à un ordinateur. Dans ce contexte-là, Bruner va mener une deuxième révolution qu’est la révolution culturelle qui est depuis quelques années en train de se produire ! La révolution culturelle dont il est à l’initiative met au centre de ses préoccupations, non plus le traitement de l’information, mais les significations et leur élaboration par les individus : comment l’individu donne-t-il du sens au monde qui l’entoure ? Bruner va donc s’intéresser au processus du « making sense ». Il développe alors une approche de la cognition plus interprétative et moins centrée sur la computation (sciences cognitives). Il reprend à Vygotski l’idée que le développement s’articule d’une part, sur les dimensions biologiques et d’autre part, sur les dimensions historiques et culturelles. Pour lui « la culture donne forme à l’esprit ». Il essaie de répondre aux questions suivantes : comment organisons-nous notre expérience du monde ? Comment donnons-nous forme au monde ? Comment arrive-t-on à le

96

Page 97: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

53

comprendre, l’expliquer… ? Pour Bruner, c’est l’instrument ou l’outil psychologique extraordinaire qu’est le récit qui nous permet de construire et de donner du sens au monde dans lequel nous vivons.

Il prolonge par là la conception vygotskienne selon laquelle le langage est un outil psychologique par excellence en analysant les récits qui permettent de créer et de négocier des significations avec les autres et avec soi-même. C’est donc l’aspect médiation des activités mentales par des outils culturels tels que le récit qui fait que Bruner prolonge la théorie de Vygotski mais également pour tous les travaux qu’il a conduits sur l’acquisition du langage. Les principales publications de Jérôme Bruner 1983 :Le développement de l'enfant : savoir faire, savoir dire. 1987 : Comment les enfants apprennent à parler ? 1991 : Car la culture donne forme à l'esprit, (1991). (traduction de Acts of meaning, 1991) 1996 : L'éducation, entrée dans la culture. 2000: Minding the law, en collaboration avec Anthony Amsterdam 2001 : Culture et modes de pensée, l’esprit humain dans ses œuvres Traduction d’Actual minds, Possible worlds, (1987) 2003 : Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?

Jérôme Bruner a également proposé un programme d’enseignement visant à

introduire les sciences humaines dès l’école primaire intitulé Man :A Course Of Study (appelé MACOS) au milieu des années 60. Ce programme fort intéressant avait comme objectif de répondre à des questions fondamentales telles que qu’est-ce que la spécificité humaine (ou que sont les spécificités humaines) ? Comment sommes-nous devenus humains ? Cette création à la fois sur le plan des contenus (des films d’anthropologie sociale ont servi à ce programme notamment sur la population inuit) et de l’implémentation d’un tel programme dans les écoles a engagé un certain nombre de jeunes chercheurs à l’époque notamment Howard Gardner (reconnu aujourd’hui pour avoir mis en évidence l’idée d’intelligences multiples). Ce programme a été attaqué par les conservateurs aux Etats-Unis et a fait l’objet de critiques si fortes qu’il a été abandonné. Ceci montre que le psychologue qu’est Jérôme Bruner a construit des principes théoriques qu’il a essayés ensuite de mettre en pratique dans le champ de l’éducation.

4.2 Interactions sociales et développement

Il a développé une approche des acquisitions prélangagières et a montré comment

celles-ci permettent au langage oral de se développer. En effet, les fonctions communicatives du langage sont présentes avant que l’enfant n’utilise le langage oral. Il a notamment montré que le petit enfant a des intentions communicatives avant de savoir parler. Il y a donc pour Bruner une continuité fonctionnelle entre la période pré-linguistique et la période linguistique. C’est notamment dans le cadre des relations sociales en particulier avec l’adulte que l’enfant apprend l’usage du langage. Ces interactions sociales s’organisent comme des routines interactives dans lesquelles le petit enfant prend de plus en plus d’autonomie. Pour Bruner, c’est au sein des routines sociales, de régularités dans les échanges quotidiens qu’il appelle formats d’actions conjointes (la mère et son enfant font ensemble, conjointement une activité) ou scénarios que le bébé se construit comme un être résolument actif dans son développement.

97

Page 98: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

54

Bruner décrit deux types d’interactions sociales spécifiques : les formats ou routines interactives, que nous venons de voir, et qui caractérisent le format d’échanges entre le bébé et les parents durant la période pré-linguistique et les relations de tutelle, elles, caractéristiques de la période linguistique. Dans ces deux situations on voit apparaître un processus qu’est le processus d’étayage qui désigne les formes d’intervention de l’adulte ayant pour objectif de guider, de soutenir, l’enfant dans la tâche qu’ils sont en train de résoudre ensemble.

Le format d’actions conjointes est défini comme la structure de base d’un échange donné. Il peut s’agir par exemple de certaines situations quotidiennes et routinières de soin comme le bain, le coucher ou les repas mais aussi des jeux interactifs comme le jeu du « coucou le voilà » ! Ces formats d’interaction correspondent à des épisodes d’actions conjointes standardisées c’est-à-dire qui présentent des régularités dans leur déroulement. Ces épisodes ont pour caractéristique essentielle la répétition. Ce format a pour fonction principale de socialiser les actions et intentions communicatives de l’enfant. Il permet aussi à l’enfant de construire le lexique et également d’apprendre les règles qui régissent les échanges langagiers. Il apprend par exemple le « chacun son tour » dans les jeux et les routines, qui préfigurent la prise de parole alternée ou la prise de tour de parole dans le discours par la suite.

Les relations de tutelle sont étroitement liées à la notion de zone proximale de Vygotski. Elles impliquent des relations asymétriques dans lesquelles le partenaire le plus compétent prend en charge d’amener l’autre à résoudre la tâche. Bruner a décrit les six fonctions du tutorat ou d’étayage (en anglais « scaffolding ») en situation de co-résolution de problème. Il y a l’enrôlement dans la tâche c’est-à-dire que l’adulte éveille intérêt de l’enfant pour la tâche, il réduit aussi le degré de liberté c’est-à-dire qu’il simplifie la tâche, il maintient l’attention de l’enfant vers le but à atteindre. Il contrôle la frustration de l’enfant, il lui indique les caractéristiques pertinentes de la tâche et enfin il fournit des démonstrations efficaces. Dans le cadre de cette relation, l’objectif de l’adulte est d’amener l’enfant à progresser. L’originalité de Bruner aura été en quelque sorte de valider empiriquement le concept de zone proximale proposé par Vygotski en précisant les conduites de l’expert vis-à-vis de l’apprenant et de donner forme à la thèse vygotskienne qui place le langage comme un puissant outil de construction de la pensée, notamment en proposant le récit comme un instrument culturel puissant de construction de significations.

4.3 Le récit : instrument culturel fondamental

Bruner en développant le courant de psychologie culturelle et en se centrant sur les processus d’attribution de sens au réel par les individus (enfants et adultes) en vient à montrer que le récit, les narrations sont les outils grâce auxquels nous construisons du sens, nous tentons d’expliquer ce qui arrive…ce sont des instruments de construction mais aussi de négociations des significations qu’ils permettent d’élaborer. Le récit est composé d’une séquence unique d’événements et d’opérations mentales, de scènes qui mettent en action un personnage principal. L’interprétation du récit consiste à en comprendre l’intrigue générale. Les éléments du récit peuvent être aussi réels qu’imaginaires. Une des propriétés fondamentales du récit est qu’il permet d’établir des liens entre l’ordinaire et l’inattendu. C’est donc en étudiant les récits que Jérôme Bruner parvient à mieux comprendre ce qu’il appelle la psychologie populaire c’est-à-dire comment les personnes construisent des explications, comprennent et élaborent le monde dans lequel elles vivent. C’est en négociant et renégociant les significations partagées lors de l’interprétation des récits que la culture se construit. « la raison pour laquelle le récit est

98

Page 99: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

55

un véhicule de la psychologie populaire commence à apparaître clairement. Il traite en effet (presque depuis les premiers mots du jeune enfant) de la substance de l’action et de l’intentionnalité humaines. Il constitue un médiateur entre le monde canonique de la culture et le monde plus idiosyncrasique des croyances, des désirs et des espoirs. » (d’après Bruner, 1991) Il va donc s’intéresser aux récits chez le jeune enfant : à quoi cela lui sert-il ? Comment les récits se construisent-ils ? Il a travaillé avec un groupe de chercheurs (psychologues, linguistes et psychanalystes) à partir des observations d’une petite fille, Emily, entre 18 mois et 3 ans. Ils ont enregistré les productions de langage égocentrique ou soliloque (c’est donc le langage qu’elle s’adresse à elle-même) qu’elle produisait notamment le soir après le coucher. Une analyse des fonctions de ses récits produits par la jeune enfant a été proposée et montre que les soliloques de la petite fille sont très élaborés parfois plus que le langage qu’elle utilise dans l’interaction et cette production de langage lui permet de revisiter les éléments, événements de la journée et de réfléchir donc à ce qui vient de se passer.

4.4 Comment Bruner procède-t-il pour construire sa théorie du développement ?

J. Bruner a utilisé tout un ensemble de méthodes utilisées en psychologie : de

l’expérimentation au recueil de données en milieu naturel. Il a conduit beaucoup d’observations d’enfants interagissant avec leur mère dans son laboratoire de psychologie, la consigne étant de jouer à leur jeu préféré ce qui lui a permis de mieux comprendre les processus d’étayage. C’est ainsi qu’il a pu préciser les conduites de l’adulte qui guide l’enfant pour réussir une tâche. Il a réellement étudié les sujets en train d’interagir et de construire des significations ensemble. Il a permis ensuite à d’autres d’étendre les relations de tutelle dans tout un tas de domaines notamment entre enfants et entre enseignant et enfants dans le cadre scolaire. Il a également (comme nous l’avons souligné précédemment) étudié les soliloques d’une petite fille en conduisant des observations longitudinales au sein de recherches interdisciplinaires.

4.5 Conclusion et perspectives ouvertes par Jérôme Bruner

Jérôme Bruner a traversé les étapes de la psychologie en construction (des années 40 à aujourd’hui) et il a proposé différentes recherches avec des niveaux différents d’analyse. Avec sa thèse en 1941 il a abordé les processus psycho-sociaux de la propagande, ensuite il se tourne vers l’étude des processus cognitifs et est à l’origine de la création du centre d’études cognitives (Center of Cognitive studies) et élabore avec quelques autres « la révolution cognitive » contre le behaviorisme, en 1960 il s’intéresse aux problèmes d’apprentissage et d’éducation (Macos et ses ouvrages The Process of Education (1960) et Towards a Theory of Instruction (1966) puis dans les années 70-80, il devient enseignant à l’université d’Oxford et consacre beaucoup de ses travaux de l’époque sur le rôle des interactions sociales dans le développement du langage et de la communication par les jeunes enfants pour ensuite amorcer la deuxième révolution qui est toujours à l’œuvre, la révolution culturelle. Il s’intéresse alors à la façon dont l’individu s’approprie la culture notamment en construisant des récits. Ses travaux plus actuels sur la manière dont les faits juridiques se construisent l’amènent à entreprendre comme il l’a toujours fait des recherches interdisciplinaires notamment avec des juristes et spécialistes du droit. Il est parvenu à apporter, grâce à la psychologie, une manière de penser les faits

99

Page 100: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

56

humains, les œuvres3

humaines notamment les textes de loi et la jurisprudence.

Beaucoup de travaux en psychologie du développement (sur l’acquisition du langage et des moyens de communication notamment un courant appelé pragmatique développementale (voir travaux de Bernicot, Deleau, Laval et Guidetti par exemple), des travaux en didactique des sciences (voir Weil-Barais notamment sur le rôle des activités de tutorat et d’étayage dans les apprentissages scolaires, 2004) mais plus généralement en psychologie s’appuient sur l’œuvre brunerienne. On retrouve également les auteurs anglosaxons cités dans les perspectives vygotskiennes comme étant des chercheurs qui s’inscrivent dans le prolongement des travaux de Bruner. 5. Conclusion : comment la psychologie historico-culturelle et culturelle transforme l’étude du développement humain ?

Nous venons de voir que le développement humain tel qu’il est étudié par H. Wallon, L. Vygotski puis J. Bruner est un processus rendu possible par l’appropriation de médiations culturelles. L’accent est mis sur la transmission sociale, les fonctions de médiations et de tutelle assurées par l’adulte et les médiations sémiotiques ou systèmes de signes. Pour Vygotski comme pour Bruner le développement procède de l’interpsychique à l’intrapsychique. On est ici dans la dynamique opposée à celle proposée par Piaget qui part de l’intraindividuel (développement) pour aller vers l’interindividuel (apprentissage). L’interactionnisme social qui regroupe les travaux de Vygotski, Bruner ceux de Perret-Clermont Doise et Mugny, entre autres, met l’accent sur les processus sociocognitifs à l’œuvre dans la construction des connaissances. Le développement n’est donc plus appréhendé comme une succession de stades ordonnée, immuable et universelle mais bien comme un processus qui se déroule dans un contexte socio-historique donné qui le façonne, lui donne forme. Ce sont donc les interactions sociales, les contextes communicatifs qu’il importe d’étudier pour mieux saisir comment les enfants et les adultes interprètent, donnent du sens à leur environnement.

Les travaux essaient aujourd’hui de mettre en lumière * les processus cognitifs et sociocognitifs à l’œuvre quand l’enfant est face à un

problème à résoudre, lorsqu’il essaie de comprendre un phénomène, lorsqu’il apprend à lire, à écrire, à compter …

* les conditions psychosociales nécessaires pour qu’il parvienne à réaliser l’objectif fixé à savoir éclairer les contextes propices à l’apprentissage, à la compréhension…

* les différences entre les grands singes et les enfants en période prélinguistique et linguistique…

3 Le terme d’œuvre renvoie au concept utilisé par Ignace Meyerson,un des premiers psychologues à avoir abordé la question des œuvres humaines et à avoir construit et développé la psychologie historique- qui étudie l’homme par ce qu’il fabrique, construit, institue pour édifier le monde humain qui est son milieu naturel. Voir l’ouvrage de F. Parot (1996) Pour une psychologie historique. Ecrits en hommage à I. Meyerson, dans lequel Bruner a publié un chapitre sur la psychologie culturelle- proche de la perspective de Meyerson.

100

Page 101: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

57

Quelques éléments de conclusion générale sur le cours Il est difficile de proposer un cours d’introduction exhaustif pour présenter l’histoire de la psychologie du développement. Cet enseignement ne prétend nullement à l’exhaustivité mais a choisi de ne présenter que certains aspects et certaines approches du développement humain en essayant de répondre pour chacune d’elles à deux questions majeures : 1) Faut-il concevoir le développement comme un processus continu de changements ou bien comme un processus qui engendre des transformations produisant de fortes discontinuités dans l’organisation du comportement de l’enfant ? 2) Le développement est-il guidé par des facteurs internes c’est-à-dire par un programme génétique ou bien est-il influencé par des facteurs externes tels que l’environnement social et physique dans lequel évolue le petit enfant ? Chercher à répondre à ces deux questions entraîne un voyage sur des chemins sinueux où se croisent et s’entrecroisent des visions plutôt continues du développement (Piaget, Freud) et d’autres discontinues (Wallon, Vygotski, Bruner), voyage au cœur de débats, de contradictions voire de tensions toujours plus ou moins actuelles dans le champ de la psychologie du développement. En effet, les soubassements théoriques et épistémologiques de chacune de ses approches étant fort différents, la conception de la connaissance, de l’individu et du développement, qui est proposée par chacune d’entre elles, s’en trouve grandement transformée. Ainsi, le sujet piagétien est dit sujet épistémique, sorte de sujet idéal envisagé comme un sujet solitaire construisant des connaissances en agissant sur le monde et les processus de fonctionnement de ce sujet agissant sur le monde physique sont au cœur de la théorie de l’intelligence proposée par Piaget. Le développement y est vu comme continu, chaque stade devenant partie intégrante du suivant et qui, en même temps, le dépasse, permet au sujet d’avoir une meilleure adaptation au monde extérieur. Aucun retour en arrière n’étant envisagé. Au contraire, le sujet est d’emblée envisagé comme un sujet social dès la naissance par Wallon, Vygotski ou Bruner. Ce qui conduit ces auteurs à prendre en compte les milieux c’est-à-dire les contextes sociaux, culturels et historiques dans lesquels l’enfant est d’emblée inséré pour expliquer le développement. L’objet étudié est donc ici le même – le développement humain- mais le niveau d’analyse retenu lui ne l’est pas. C’est un peu comme si on regardait le monde avec différentes paires de lunette, nous n’y verrions alors pas les mêmes choses en fonction des verres portés…Ceci témoigne donc de la complexité du fonctionnement humain et de la difficulté de saisir cette complexité. La seconde question portait sur l’importance des facteurs de développement. Les approches proposant une cause unique (qu’elle soit exclusivement biologique (perspectives innéistes) ou exclusivement environnementale (perspectives behavioristes) sont rejetées pour rendre compte du développement dans la mesure où l’on sait maintenant que c’est dans l’interaction du biologique et du social, des rythmes biologiques et des rythmes sociaux que se construit le sujet pensant. Ainsi, les théories freudiennes et piagétiennes admettent cette interaction mais donnent une priorité aux facteurs internes pour rendre compte du développement de la libido pour l’un et de l’intelligence pour l’autre- ce qui permet à Deleau (1999) de les classer dans les approches orthogénétiques et qui nous a conduit à nommer le deuxième chapitre de ce cours les racines biologiques de l’humain. Les approches privilégiant une interaction des facteurs biologiques et sociaux (dont le poids respectif de chacun évolue au cours du développement de la personne) sont ensuite développées pour mieux comprendre comment celles-ci apportent une autre

101

Page 102: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

58

manière de concevoir le développement, discontinue, pleine de contradictions, de retours en arrière possible, non linéaire... L’importance de l’autre dans le développement de l’enfant est ainsi soulignée et vue, non pas comme une variable qui aurait une simple influence positive et/ou négative sur le développement, mais comme fondamentale, constitutive du développement du petit d’homme. D’ailleurs, la plupart des perspectives de recherche qui s’appuie sur ces théories fondatrices de la psychologie du développement et qui les prolonge cherche à montrer cette importance du social dans la construction du sujet (voir les théories néo-freudiennes, néo-piagétiennes et celles qui s’inscrivent dans le prolongement des perspectives socio-historiques et culturelles du développement). Nous concluons avec cette proposition de Bruner «Si la psychologie est appelée à aller plus loin dans la compréhension de la nature et de la condition humaines, elle doit apprendre à comprendre le jeu subtil des relations entre biologie et culture. La culture est probablement la dernière astuce évolutionniste de la biologie. Elle rend libre l’Homo Sapiens de construire un monde symbolique assez souple pour aller à la rencontre des besoins locaux et pour s’adapter aux innombrables circonstances écologiques. J’ai essayé (J. Bruner donc) de montrer à quel point la capacité de l’homme à l’intersubjectivité est essentielle dans son adaptation culturelle. […] bien que le monde de la culture ait atteint une autonomie qui lui est propre, il reste contraint par des limites biologiques et par des prédispositions biologiquement déterminées. Aussi le problème dans l’étude de l’homme est de saisir non seulement les principes relevant de la causalité biologique et de son évolution mais de les comprendre à la lumière des processus interprétatifs mis en jeu dans la construction de la signification ». (Bruner, 1996, p.226)

102

Page 103: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

59

Références bibliographiques

Abecasssis, J. (1993). De Henri Wallon à Jérôme Bruner : continuité ou discontinuité ? Enfance, 45, 1, 207-226.

Ariès, P. (1960). L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Paris : Plon.

Bautier, E. & Rochex, J.-Y. (1999). Henri Wallon. L’enfant et ses milieux. Paris : Hachette Education.

Bideaud, J., Houdé, O. & Pédinielli J.L. (1992). L'homme en développement. Paris : PUF.

Brossard, M. (2005) Vygotski : lectures et perspectives de recherche en éducation. Lille : Septentrion Presses Universitaires.

Bruner, J. (1991)…Car la culture donne forme à l’esprit. Paris : EsHel.

Bruner, J. (1996). L’éducation, entrée dans la culture. Paris : Retz.

Clot, Y. (1999). Avec Vygotski. Paris : La dispute.

Deleau, M. (Ed.) (1999). Psychologie du développement. Paris : Bréal.

Deleau, M. (1999b). Vygotski, Wallon et les débats actuels sur la théorie de la pensée. In Y. Clot (Ed.) Avec Vygotski. Paris : La Dispute.

Doron, R & Parot, F. (1991/1998). Dictionnaire de psychologie. Paris :PUF.

Ghiglione, R. & Richard, J.F. (Eds.) (1992). Cours de psychologie : 1 origines et bases. Paris : Dunod.

Ghiglione, R. & Richard, J.F. (Eds.) (1994). Cours de psychologie : 2 bases, méthodes et épistémologie. Paris : Dunod.

Guidetti, M., Lallemand, S. & Morel, MF (2000). Enfances d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui. Paris : A. Colin (1°éd. 1997).

Guidetti, M. (2002). Les étapes du développement psychologique. Paris : Armand Colin.

Laval, V. (2002). Psychologie du développement. Modèles et méthodes. Paris : Armand Colin.

Moro, C. Schneuwly, B. & Brossard, M. (1997). Outils et signes. Berne: Peter Lang.

Netchine-Grynberg, G. et Netcghine, S. (1999). Vygotski, Wallon et les « mondes communs ». in Y. Clot (Ed.) Avec Vygotski (pp.81-100). Paris : La Dispute.

Nicolas, S. (2002). Histoire de la psychologie française. Paris : In Press Editions.

103

Page 104: Py0001x - Sed

PY0001X - UE1 Chapitre développement Cours magistral

60

Ottavi, D. (2001). De Darwin à Piaget. Pour une histoire de la psychologie de l’enfant. Paris : CNRS Editions.

Parot, F. (1996). Pour une psychologie historique. Ecrits en hommage à Ignace Meyerson. Paris : PUf.

Piaget, J. (1976). Le comportement, moteur de l’évolution. Paris : Gallimard.

Pewzner, E. & Braunstein, J.F. (1999). Histoire de la Psychologie. Paris : Armand Colin.

Reuchlin, M. (1996). Histoire de la psychologie. Paris : PUF.

Rochex, J.-Y. (1999). Vygotski et Wallon : pour une pensée dialectique des rapports entre pensée et affects. In Y. Clot (Ed.) Avec Vygotski (pp. 119-136). Paris : La dispute.

Schneuwly, B. Les capacités humaines sont des constructions sociales. Essai sur la théorie de Vygotski. European Journal of Psychology of Education, 1, 5-17.

Sève, L. (2008). Penser avec Marx aujourd'hui. II, « L'homme » ?, Paris : La Dispute.

Tourrette, C. & Guidetti, M. (2002). Introduction à la psychologie du développement : Du bébé à l'adolescent. Paris : Armand Colin.

Tran-Thong (1992). Stade et concept de stade de développement de l’enfant dans la psychologie contemporaine. Paris :Librairie philosophique J. Vrin.

Troadec, B. & Martinot, C. (2003). Le développement cognitif. Cf. en particulier, les chapitres 1, 2 3 et 4. Paris : BelinSup.

Vauclair, J. (2004). Développement du jeune enfant. Motricité, perception cognition. En particulier, Chapitre 1 : Les grandes questions et les courants de pensée en psychologie du développement (pp.13-23). Paris : BelinSup.

Vergnaud, G. (2000). Lev Vygotski, pédagogue et penseur de notre temps. Paris : Hachette Education.

Vygotski, L. (1933/1985). Pensée et langage. Paris : Editions Sociales.

Vygotski, L. (1978). Mind in society. The development of higher psychological process. Cambridge, London: Harvard University Press.

104

Page 105: Py0001x - Sed

1

UNIVERSITE DE TOULOUSE LE MIRAIL

U.F.R. de PSYCHOLOGIE

UE001 : 1ERE ANNEE – LICENCE DE PSYCHOLOGIE

INTRODUCTION A LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

Plan du cours assuré par

:

- Violette Hajjar - Marie-Pierre Cazals-Ferré - Denis Hilton

La reproduction de ce document est rigoureusement interdite en application de l'article L 335-2 du code de la propriété intellectuelle

105

Page 106: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

106

Page 107: Py0001x - Sed

3

Remarques préalablesCe document constitue un instrument de travail permettant aux étudiants inscrits

en 1ère année de Licence de Psychologie d'approfondir les enseignements dispensés dans le cadre des cours magistraux et des travaux dirigés de Psychologie Sociale.

.

• Le cours est organisé en trois parties : - La première partie, assurée par V. Hajjar, sera consacrée à une rétrospective historique

- La deuxième partie de ce cours, assurée par M.P. Cazals-Ferré, sera centrée sur l'étude des

de la Psychologie Sociale. On se propose d’examiner comment cette discipline scientifique et d’application s’est constituée en prise à la fois avec des débats théoriques et avec des problèmes sociaux, économiques et politiques. On montrera que cette "science critique de l’opposition entre l’individuel et le social" se caractérise par la diversité de ses théories et de ses méthodes mais aussi par la spécificité du "regard psychosocial".

relations intergroupes

- Enfin, la troisième partie du cours sera assurée par D. Hilton et concernera les

. On soulignera le rôle qu'elles jouent dans la construction de l’identité personnelle et sociale, ainsi que leurs effets dans l’émergence des stéréotypes et des préjugés comme mode de connaissance et de jugement d’autrui.

relations interpersonnelles.

• Les séances de travaux dirigés visent à illustrer et à préciser les notions et les thèmes abordés en C.M.

Seront décrites les différentes formes que peuvent prendre ces relations interpersonnelles (attraction, altruisme, hostilité...) et on examinera quelques-uns de leurs déterminants et de leurs effets.

Pour les étudiants du S.E.D., il est vivement conseillé de participer aux séances de regroupement organisées à leur intention. Afin de faciliter le travail des étudiants, on a pris soin d’indiquer (sous chaque paragraphe ou sous-partie) des références bibliographiques à consulter. Pour certains points, plusieurs ouvrages sont conseillés. Ils sont équivalents et n’ont pour but que de faciliter l’accès au plus grand nombre aux informations. Est également jointe au plan du cours une bibliographie récapitulative qui comprend les ouvrages, chapitres d’ouvrages ou articles dont la lecture est : - indispensable pour ceux qui ne peuvent pas assister au cours ; - conseillée pour approfondir telle ou telle partie du cours. Pour l’examen, les étudiants doivent être capables de repérer les variables indépendantes et dépendantes dans une expérience qui leur serait décrite.

107

Page 108: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

108

Page 109: Py0001x - Sed

5

PREMIERE PARTIE Violette Hajjar

Histoire, objets et méthodes de la Psychologie Sociale.

La Psychologie Sociale a une double visée : d’être une discipline scientifique et d’être une discipline d’application

. Cette double visée s’enracine dans son histoire puisqu’elle s’est constituée en prise avec des débats théoriques et en réponse à des problèmes sociaux, économiques et politiques.

Trois périodes, d’amplitude et d’importance différentes, peuvent être distinguées: • 1 - Fin du 19ème siècle jusqu’aux années 1930. • 2 - Les années 1935-1970. • 3 - Début des années 1970 à nos jours. Pour chacune des trois périodes, on retiendra quelques-uns des auteurs et/ou des thèmes qui ont le plus marqué l’histoire de la Psychologie Sociale.

- Vallerand, R.J. (1994). Une introduction à la psychologie sociale contemporaine, Les fondements de la Psychologie Sociale, R.J. Vallerand (Ed.), Montréal : Gaëtan-Morin Éditeur, pp. 3-52.

Lire un des ouvrages ou chapitres d'ouvrages suivants :

- Drozda-Senkowska, E. (1996). Psychologie Sociale générale et expérimentale, Introduction à la psychologie sociale, Cl. Tapia (Ed.), Les Editions d’Organisations, pp. 25-89.

- Drozda-Senkowska, E. (2006). Psychologie sociale expérimentale. Armand Colin - Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale, Paris :

Dunod, voir en particulier le 1er chapitre : La Psychologie Sociale : Approche et théories, pp. 1-22.

- Maisonneuve, J. (1993, 7ème édition). Introduction à la Psychosociologie, (édition originale, 1973), Paris : PUF, Coll. Le Psychologue.

- Maisonneuve, J. (1951). La Psychologie Sociale, Que sais-je , n°458, Paris : PUF. - Moscovici, S. (1984). Psychologie sociale, Paris : PUF. - Stoetzel, J. (1963). La Psychologie Sociale, Paris : Flammarion. - Reuchlin, M. (1957). Histoire de la Psychologie, Que sais-je?, n° 732, Paris : PUF. - Reuchlin, M. (1969). Les méthodes en Psychologie, Que sais-je?, n° 1359, Paris : PUF.

1 - FIN DU 19EME SIECLE JUSQU’AUX ANNEES 1930

1.1 - Les précurseurs de la Psychologie Sociale.

• En France- Gustave Le Bon (1841-1931). Publie en 1894 “ Lois psychologiques de l’évolution des peuples ” et en 1895 “ La psychologie des foules ”. Ses travaux mettent l’accent sur le phénomène de contagion mentale.

:

- Gabriel Tarde (1843-1904). Publie en 1890 “ Les lois de l’imitation ” et en 1898 “Études de Psychologie Sociale“. Cet auteur invoque le processus d’imitation pour expliquer les comportements des individus en groupe. • Aux Etats-Unis :

109

Page 110: Py0001x - Sed

6

- Edward Ross (1866-1951). Publie en 1908 “ Social Psychology”. S’inspire des textes de G. Le Bon et G. Tarde. Considère la suggestion et l’imitation comme ressorts de la vie sociale entraînant l’uniformité. - Mc Dougall (1871-1938). Publie en 1908 “ Introduction to social psychology ”. Propose une interprétation naturaliste de la vie sociale fondée sur les notions de pulsions et d’instincts.

1.2 - Les recherches sur les attitudes.

• Premières recherches sur les attitudes réalisées par W.I. Thomas et F. Znaniecki, en 1918, sur les émigrés polonais. Ces recherches s’inscrivent dans le courant de l’interactionnisme symbolique qui souligne la nécessité de prendre en compte la réalité subjective dans l’explication des conduites. • Elles constituent une tentative pour surmonter les difficultés et les limites des réductionnismes psychologique et sociologique dont restent tributaires les travaux des précurseurs de la Psychologie Sociale. • Notion d’attitude : définie comme “ la manière dont une personne se situe par rapport à des objets de valeur ” (Stoetzel, 1963, p. 167). • Importance de cette notion aux plans théorique et méthodologique : - permet de rompre avec le schéma behavioriste (S-R) puisqu’elle amène à considérer que le lien entre le stimulus et la réponse dépend de l’état de l’organisme : S-O-R. - intérêt des psychologues sociaux pour la mesure des attitudes : construction des échelles de mesure des attitudes. Trois techniques (parmi d’autres) sont encore utilisées dans les recherches actuelles en Psychologie Sociale : les échelles de THURSTONE, celles de LIKERT et celles de GUTTMAN.

- Lafrenaye, Y. (1994). Les attitudes et le changement des attitudes, Les fondements de la

Psychologie Sociale, R.J. Vallerand (Ed.), Montréal : Gaëtan Morin Editeur, pp. 327-405.

Se reporter aux ouvrages et chapitres d'ouvrages :

- Maisonneuve, J. (1993). Introduction à la Psychosociologie, Paris : PUF, Coll. Le Psychologue, ch.6, pp. 108-130.

- Alexandre, V. (1996). Les attitudes : définitions et domaine, Des attitudes aux attributions,, J.C. Deschamps et J.L. Beauvois (Eds.), Grenoble : PUG, pp. 23-40.

- Debaty, P. (1967). La mesure des attitudes, Paris : PUF, Coll. Le Psychologue. - Matalon, B. (1996). Les échelles d’attitudes, Des attitudes aux attributions, J.C.

Deschamps et J.L. Beauvois (Eds.), Grenoble : PUG., pp. 41-53. • Cette question de la mesure des attitudes sera centrale dans l’approche socio-affective des groupes que Levy Moreno définit en 1934 par le terme : Sociométrie. • Les cours de Psychologie Sociale en 3ème Année de Licence sont consacrés aux différentes approches du groupe dont l'approche socio-affective. Ceux qui souhaitent satisfaire leur curiosité peuvent consulter l’ouvrage de J.C. Abric (1996) - Psychologie de la communication, A. Colin, pp. 123-126.

110

Page 111: Py0001x - Sed

7

2 - LES ANNEES 1935-1970

• La Psychologie Sociale va se constituer comme discipline scientifique indépendante. • Période marquée par la seconde guerre mondiale : de nombreux théoriciens européens, en particulier allemands, vont se réfugier aux USA pour échapper au fascisme hitlérien. Parmi ces théoriciens, Kurt Lewin considéré comme le fondateur de la Psychologie Sociale. • Développement des recherches (en laboratoire et sur le terrain) qui vont se référer à la démarche expérimentale et s'intéresser aux groupes restreints. • En 1956, création de la 1ère chaire de Psychologie Sociale à Paris qui permet à Jean Stoetzel (sociologue) de développer les enseignements de Psychologie Sociale qu’il assurait depuis 1947 à l’Université de Bordeaux dans le cadre des programmes de sociologie. • En 1964, création d’un Laboratoire de Psychologie Sociale à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales (E.P.H.E.S.S.) dont la direction est assurée par Serge Moscovici. • En 1966, la 2ème chaire de Psychologie Sociale en France est confiée à Jean Maisonneuve (Université de Nanterre) • Principaux thèmes ou axes de recherches- les changements d’attitudes.

:

- les influences sociales. - les phénomènes de groupe : le leadership dans les groupes ; la dynamique des groupes; les processus de communication. - rôles et fonctions des groupes dans la socialisation. - la perception sociale : de la formation des impressions à la représentation sociale.

2.1 - Les changements d’attitudes

• Peut-on changer les attitudes ? Cette question se situe dans le prolongement des recherches sur les attitudes et leur mesure. Elle revêt aussi un intérêt socio-économique en raison des problèmes de productivité dans les entreprises et des problèmes de pénurie alimentaire liés au contexte de la guerre. • Deux séries de travaux portent sur ce thème : - ceux d’Elton Mayo, réalisés entre 1923 et 1925 à Philadelphie puis entre 1927 et 1932 à Hawthorne. Les études d’E.Mayo débouchent sur 2 résultats importants. D’une part, la performance du groupe augmente alors même que celui-ci est placé dans des conditions objectives où sa performance aurait dû baisser. C’est ce qu’on a appelé l’effet Hawthorne. Cet effet est expliqué par la motivation sociale. D’autre part, on observe que cette motivation est satisfaite dans une organisation qui n’est pas prévue par l’entreprise : - ceux de Kurt Lewin, menés en 1943, sur le changement des habitudes alimentaires. Il montre qu’ ”il est plus facile de modifier les habitudes d’un groupe que celles d’un individu pris isolément ”.

c’est la structure informelle constituée par les groupes affinitaires.

111

Page 112: Py0001x - Sed

8

La théorie de Lewin

Pour Lewin un niveau de conduite dans un groupe (ex : niveau de production dans une équipe de travail, taux de conduites racistes dans un quartier, niveau de consommation de lait dans une ville…) résulte d’un champ de force opposées :

- celles qui exercent une pression pour le changement - celles qui résistent au changement

Ces forces sont en équilibre quasi-stationnaire : si rien ne change dans le groupe,

cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de forces dirigées vers le changement, mais que ces forces sont contrebalancées par des forces allant dans une direction opposée. En revanche, il y aura changement lorsque les pressions allant dans le sens du changement sont plus importantes que celles les contrebalançant. Dans un groupe, les normes sont à l’origine des forces résistantes au changement, forces qui reposent sur le désir des membres du groupe de ne pas s’écarter des normes. Si un individu s’écarte trop des normes, il est mis en marge et risque d’être exclu du groupe. Par exemple, dans une équipe de travail, l’une des forces les plus puissantes est le désir de ne rester ni trop en dessous, ni trop au dessus du travail fourni par le reste du groupe.

Pour Lewin, le changement d’un individu est plus difficile que le changement d’un groupe. Pour obtenir un changement de conduite sociale il faut obtenir une diminution de la valeur attribuée à la norme. Si le groupe change de norme, l’individu appartenant au groupe assimilera cette nouvelle norme pour ne pas s’écarter du groupe.

Le processus de changement comprend alors 3 étapes : 1- la décristallisation des normes: abaisser le seuil de résistance ; 2- le déplacement vers d’autres possibilités, vers une nouvelle norme : passage

d’un niveau A à un niveau B ; 3- la cristallisation ou recristallisation

d’une nouvelle norme : renforcement du nouvel état d’équilibre atteint (niveau B).

Le changement des habitudes alimentaires1

En 1943, les Etats-Unis doivent faire face à une crise économique liée à la seconde guerre mondiale. Cette crise se traduit notamment par une pénurie de viande et donc par une augmentation des prix. Le gouvernement cherche donc une solution pour permettre à tous de consommer de la viande. Une des solutions consiste à inciter les gens à consommer abats de bœuf (cœur, rognons, ...). C’est dans ce cadre que Lewin va être sollicité par le Ministère U.S. de l'agriculture afin de monter une campagne de communication pour changer les habitudes alimentaires des américains et les amener à consommer ces bas morceaux… Pour cela, Lewin va tester 2 méthodes (VI inter manipulée à 2 modalités) :

- Soit les participants assistent à une conférence portant sur les mérites nutritifs des abats et sur les moyens culinaires permettant d’améliorer leur présentation. (=Information unilatérale, pas de discussion, position passive des participants).

- Soit les participants participent à une discussion active (= Discussion active, implication dans le groupe)

1 Le texte de Lewin reprenant cette expérience sera mis sur le site du SED prochainement

112

Page 113: Py0001x - Sed

9

VD

= changement des habitudes alimentaires, opérationnalisé par le fait de cuisiner ou pas des abats à sa famille au cours de la semaine suivante.

Résultats : dans la première condition expérimentale, 3 % des ménagères acceptent de cuisiner des abats contre 32 % dans la seconde condition. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que la discussion de groupe a favorisé le processus de changement évoqué précédemment. On peut néanmoins évoquer d’autres facteurs explicatifs. Le degré d’implication : l’exposé est passif, tandis que la discussion est active. La prise de décision : exprimer publiquement sa décision est très engageant (effet de cristallisation). La situation groupale ou individuelle : le fait d’être en situation groupale permet de changer la norme du groupe, alors qu’en situation individuelle c’est impossible, et donc de renverser une des forces primordiales de résistance au changement. Attentes : dans la « condition groupe » les participantes savaient qu’il y aurait un contrôle ultérieur sur leur consommation d’abats, mais non dans la « condition exposé ». Ce facteur aurait tout à fait pu être évité. La personnalité du meneur : est souvent un facteur difficile à contrôler → importance de constituer des designs expérimentaux les plus rigoureux possibles. Ces deux derniers facteurs soulignent les problèmes posés par cette expérience. Si l’on obtient une différence entre les deux groupes, on ne peut pas conclure sur le rôle spécifique joué par chacun de ces facteurs. Pour bien identifier le facteur responsable de cet écart de résultats entre les deux groupes. Il aurait fallu faire varier un seul facteur et essayer de maintenir les autres constants. Ainsi, pour contrôler le deuxième facteur (effet de l’engagement public) on aurait pu demander aux sujets d’exprimer sur papier leur décision de consommer. Si en revanche, on voulait s’intéresser aux effets de cette variable alors on pourrait proposer deux conditions expérimentales : un groupe qui prendrait sa décision en public VS. Un groupe qui prendrait sa décision en privé. Autrement dit, une même variable peut tour à tour prendre le statut de variable parasite ou de VI selon les hypothèses et l’intérêt du chercheur. Rappel : Variable indépendante : = Facteur, source, variable explicative ou variable exogène. C’est une variable qui est choisie par le chercheur comme étant la source, la cause possible de la modification de comportements, d’états mentaux ou de processus. On distingue les variables indépendantes repérées (qui pré-existent à la recherche) et les variables manipulées (que le chercheur créé pour les besoins de la recherche). Variable dépendante : = Mesure, variable à expliquer ou endogène. Ce sont Les mesures susceptibles de dépendre d’un changement de valeur des autres variables du modèle. Les variables dépendantes décrivent les conduites d’un individu. La variable dépendante dépend des modalités de la variable indépendante.

113

Page 114: Py0001x - Sed

10

De nombreux ouvrages de Psychologie Sociale présentent ces travaux.

Voir en particulier - Aebischer, V. et Oberlé, D. (1990). Le groupe en Psychologie Sociale, Paris : Dunod,

ch. 1, pp. 25-32.

:

- Abric, J.C. (1996). Psychologie de la communication, Paris : A. Colin, ch. 4, pp. 67-88. - Amado, G., Guittet, A. (1975). La dynamique des communications dans les groupes,

Paris : A. Colin, ch. 6., pp. 77-89. - Cerclé, A., & Somat, A. (2005). Psychologie sociale. Cours et exercices. Dunod - Maisonneuve, J. (1966). Psychosociologie des affinités, Paris : PUF. - Newcomb, T.M., Turner, R.H., Converse, P.E. (1970). Manuel de Psychologie Sociale,

Paris : PUF, ch.4, pp. 103-140. Pour expliquer les changements d’attitudes, trois modèles théoriques seront proposés : - le modèle de la communication persuasive (Hovland, Janis et Kelley, 1953). Ce modèle est présenté en 2ème année de Licence (PY0012 – Psychologie Sociale). - le modèle de l’équilibre cognitif de Heider (1946). - le modèle de la dissonance cognitive de Festinger (1957). Voir Lafrenaye, Y. (1994). Les attitudes et le changement des attitudes, Les fondements de la Psychologie Sociale, R.J. Vallerand (Ed.), pp. 368 à 382 où ces modèles sont décrits.

2.2 - Les influences sociales

• Aux recherches sur les changements d’attitudes peuvent être rattachées celles qui s’intéressent à l’influence sociale. Rappelons simplement ici que toute influence suppose une modification des comportements, des attitudes, des opinions des individus ou des groupes influencés. Ce thème est examiné dans le module PY0012 (Licence 2ème A. – Psychologie Sociale). Ont été plus particulièrement étudiées : - la normalisation (expérience de Shérif sur “ l’effet autocinétique ”) ; - la conformité (expérience de Asch) ; - l'innovation (Moscovici et al.).

- Paicheler, G. et Moscovici, S. (1984). Suivisme et conversion, in Psychologie Sociale, S. Moscovici (Ed.), Paris : PUF, pp. 140-144.

A consulter :

- Paicheler, G. (1985). Psychologie des influences sociales, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

- Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale, Paris : Dunod, pp. 57-92.

2.3 - Les phénomènes de groupe

• A souligner : l’apport essentiel de Kurt Lewin et de sa

Pour K. Lewin, le comportement est fonction de la Personnalité et de l’Environnement : C=f (P,E). Ainsi, le comportement d’un individu ou d’un groupe est

théorie du champ psychologique.

114

Page 115: Py0001x - Sed

11

déterminé par les éléments constituant son environnement psychologique et social. Et Lewin définit le groupe comme un ensemble de personnes interdépendantes. • Cette théorie va orienter aussi bien les travaux sur le leadership dans les groupes que ceux portant sur la dynamique des groupes : - en 1939, Lewin, Lippitt et White mettent en évidence 3 styles de commandements : le leadership autoritaire, le leadership démocratique et le leadership laisser-faire

- en 1944, Lewin fonde un centre de recherches en Dynamique des groupes (Research Center for Group Dynamics) au M.I.T. qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1947.

. Ces auteurs “ ne montrent pas que tel ou tel type de commandement est a priori meilleur qu’un autre mais que chaque type de leadership produit un climat social particulier et un certain type de performance ” (Abric, op.cit., p. 80).

• Un autre thème central de la psychologie sociale est celui des communications. Les modèles appliqués à l’étude des processus de communication (du modèle technique au modèles psychosociaux) feront l’objet d’une présentation détaillée en 2ème année de Licence dans le cadre de l’U.E. de Psychologie Sociale. • Vont également se développer de nombreuses études sur les structures de communication dans les groupes, les modes de fonctionnement des groupes et leurs effets sur la satisfaction et la performance de leurs membres.

- Anzieu, D. et Martin, J.Y. (1986). La dynamique des groupes restreints, (édition originale, 1968), Paris : PUF.

A consulter :

- Abric, J.C. (1996), Psychologie de la communication, Paris : A. Colin, ch. 8, pp. 151-171.

- Lewin, K. (1959). Psychologie dynamique, trad., Paris : PUF. - Lévy, A. (1968). Psychologie Sociale, Textes fondamentaux anglais et américains,

Paris : Dunod, Tome 2, pp. 498-519.

2.4 - Rôles et fonctions des groupes dans la socialisation

.

• L’intérêt accordé à l’analyse des processus de groupe va permettre aux psychologues sociaux de montrer que la socialisation n’est pas réductible à des mécanismes d’adaptation, de soumission de l’individu aux normes sociales. A l’encontre des conceptions qui prévalent en sociologie (Durkheim) où l’accent est mis exclusivement sur les fonctions intégratives voire même coercitives que les groupes exercent sur les individus au cours de leur socialisation, on soulignera l’importance des groupes comme lieux de différenciation et comme lieux de changements individuels et sociaux. • Ce thème est actuellement traité dans les cours de Psychologie Sociale en Master 1.

115

Page 116: Py0001x - Sed

12

On peut se reporter aux ouvrages ou chapitres d’ouvrages suivants - Malrieu, P. et S. (1973). La socialisation, in Traité de Psychologie de l’Enfant, H.

Gratiot-Alphandéry et R. Zazzo (Eds.), Paris : PUF, Tome 5, pp. 163-191.

:

- Aebischer, V. et Oberlé, D. (1990). Le groupe en Psychologie Sociale, Paris : Dunod, pp. 39-139.

- Leyens, J.P. (1979). Psychologie Sociale, Bruxelles : Mardaga. - Fischer, G.N. (1991). Les processus du social, Paris : Dunod. - Malrieu, P., Baubion-Broye, A., Hajjar, V. (1991). Le rôle des œuvres dans la

socialisation de l’enfant et de l’adolescent, in La socialisation de l’enfance à l’adolescence, H. Malewska-Peyre et P. Tap (Eds.), Paris : PUF, pp. 163-191. (voir aussi les autres chapitres de cet ouvrage).

2.5 - La perception sociale : de la formation des impressions à la représentation sociale

.

• L’étude des perceptions sociales vise à répondre aux questions suivantes : comment construisons-nous le réel ? Quelle image nous faisons-nous d’autrui ? Comment expliquons-nous les événements en imputant leur apparition à des causes particulières ?

• Plusieurs approches ont été proposées parmi lesquelles on peut retenir : - Les théories implicites de la personnalité

-

. Selon cette approche, les sujets organisent leur perception d’autrui en simplifiant les informations dont ils disposent pour les rendre compatibles avec leurs attentes, leurs motivations et leurs objectifs personnels. Il s’agit d’une connaissance schématisée, d’une représentation mentale sommaire dont la fonction est de maîtriser la réalité par une réduction de sa complexité et des différences qui la composent.

L’approche de la formation des impressions

. Celle-ci met l’accent sur le fait que l’individu cherche à organiser sa perception à l’intérieur d’un ensemble cohérent qui lui confère une signification. cf. expérience de Asch (1946)

Salomon Asch (1946), un psychologue gestaltiste, fut l’un des premiers à mener des recherches sur la formation d’impression. A l’époque, la plupart des chercheurs étudiaient l’exactitude d’une impression (Brauer, 1997). Asch s'est plutôt demandé si, à partir des diverses informations dont on dispose à propos d'autrui, on est capable de s'en former une impression cohérente. Asch a ainsi pu montrer que:

- Tous les individus se forment facilement une impression sur une personne fictive : il suffit de connaître quelques traits de personnalité pour se former une impression sur quelqu’un.

- Tous les traits de personnalité n’ont pas le même statut. En effet, certains traits

sont centraux : ces traits vont déterminer l’impression que l’on a d’une personne. La présence de certains traits centraux va impliquer la présence d’autres traits (= traits périphériques). Autrement dit, les traits périphériques n’ont pas le même poids dans la formation d’impression, ils s’organisent en fonction des traits centraux.

- L’ordre de prise de connaissance des différents traits de personnalité a une incidence sur la manière de percevoir l’individu (=effet de primauté).

116

Page 117: Py0001x - Sed

13

Asch a réalisé une expérience dans laquelle il donne à des participants une liste de traits décrivant un individu fictif. En fait, les participants sont répartis aléatoirement en 2 groupes. Chaque groupe reçoit la liste contenant les mêmes traits, mais dans un ordre différent (VI manipulée) : - Ordre 1 -

: intelligent, travailleur, impulsif, critique, entêté, envieux. Ordre 2

D'un point de vue strictement rationnel, les deux groupes de participants ont reçu la même information, et donc devraient se former la même impression de la personne cible. La seule différence créée par cet inversement de l'ordre est que, dans l’Ordre 1, les traits positifs sont présentés en premier alors que, dans l’Ordre 2, ce sont les traits négatifs qui apparaissent en premier.

: envieux, entêté, critique, impulsif, travailleur, intelligent.

On demande aux participants de (VD) : - Décrire l'individu cible en quelques phrases. - D’effectuer une tâche d'inférence de traits : à partir d'un questionnaire composé

d'une liste de traits de personnalité, les participants doivent dire si oui ou non la personne cible possède chacun des traits.

Les participants de la condition "ordre 1" (où ce sont les traits positifs qui apparaissent en premier) se sont formés une impression plus favorable de la cible que les participants de la condition ordre 2 (où ce sont les traits négatifs qui étaient présentés en premier). Selon Asch, cette différence traduit l'effet de primauté : ce sont les premiers traits qui orientent l'impression. Deux explications peuvent rendre compte de l'effet de primauté : 1/ Une fois que l'individu pense qu'il s’est formé une impression exacte de la cible, il tend à accorder moins d'attention à l'information qui vient par la suite. Conformément à cette idée, il a été montré que le temps passé à lire des items décrivant une personne diminue de façon significative au fur et à mesure des items : on passe plus de temps sur les premiers traits que sur les derniers (Belmore, 1987). Certains facteurs peuvent moduler cet effet : - Lorsque l’on amène les gens à focaliser leur attention sur les derniers mots, l’effet de primauté est réduit (Anderson & Shanteau, 1974) - Lorsque les participants sont motivés et ont le temps de se former une impression de la cible, l'effet de primauté diminue. - La tendance à vouloir réduire l'incertitude augmente l'enjeu des premières impressions. - Les différences individuelles dans la tendance à vouloir réduire l'incertitude : les individus qui ont un faible besoin de réduction de l'incertitude vont hésiter à se former rapidement une impression ferme de quelqu'un. En revanche, ceux qui ont un fort besoin de réduction de l'incertitude, sont impatients et impulsifs, et se forment rapidement une impression au sujet de quelqu'un, impression qui a tendance à être définitive. 2/ Hypothèse du changement de signification : une fois que les gens se sont formés une impression, toute information inconsistante est interprétée en fonction de l'impression déjà formée. Ainsi, un même trait va être interprété différemment selon l'impression qui est déjà formée. Ex : si l’on présente une personne comme étant bienveillante et qu’on la décrit comme calme, le trait calme sera interprété en accord avec la description de la personne :

117

Page 118: Py0001x - Sed

14

gentille et sereine. A l’inverse, pour une personne présentée comme cruelle, le terme calme sera interprété dans le sens froid et calculateur - Les théories de l’attribution

. Elles s’intéressent à l’explication donnée par les sujets des causes de leurs comportements ou de ceux d’autrui. L’attribution est le processus par lequel “ l’homme appréhende la réalité et peut la prédire et la maîtriser ” (Heider, 1958). L’attribution est la recherche par un individu des causes d’un événement (par ex. réussite ou échec à un examen) ; c’est ce qui permet de concevoir l’environnement comme stable et cohérent ; elle fournit une description économique de ce qui arrive ; elle détermine nos attentes et nos réactions. Ce thème des attributions va connaître d’importants développements à partir de la fin des années 1960.

- Deschamps, J.C., Clémence A. (1990). L’attribution. Causalité et explication au quotidien, Textes De Base en Psychologie, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

Textes à consulter :

- Dubois, N. (1987). La Psychologie du contrôle. Les croyances internes et externes, Grenoble : PUG.

- Deschamps, J.C. (1996). Les théories de l’attribution, in Des attitudes aux attributions, J.C. Deschamps, J.L. Beauvois (Eds.), Grenoble : PUG. • La représentation sociale

- En rupture avec les modèles behavioristes qui ont dominé les études de la perception sociale, les recherches sur la représentation sociale, initiées par S. Moscovici à partir de 1961, vont mettre l’accent sur l’analyse des processus individuels, interindividuels, intergroupes et idéologiques qui interviennent dans cette “ activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification ” (Abric, 1988).

comme forme de connaissance socialement élaborée et partagée.

- Ces recherches, comme le souligne Denise Jodelet (dans son ouvrage Les représentations sociales, PUF, 1989), ont “ un caractère à la fois fondamental et appliqué et font appel à des méthodologies variées : expérimentation en laboratoire, et de terrain ; enquêtes par entretiens, questionnaires, techniques d’association de mots ; observation participante ; analyse documentaire et de discours, etc. ”. Elles portent sur des domaines et des objets divers : représentations de "la psychanalyse, son image et son public” (titre de l’ouvrage de Moscovici, 1961) ; représentations des nouvelles technologies ; représentations du chômage ; représentations du SIDA, etc. pour ne citer que quelques exemples. A travers l’étude de R.S. (structures, contenus, processus et fonctions des R.S.), la psychologie sociale se propose d’analyser et d’expliquer des phénomènes qui sont simultanément psychologiques et sociaux (S. Moscovici, 1984, p. 13). • La notion de représentation sociale, comme celle d’attribution causale, sera au centre de nombreuses recherches en Psychologie Sociale au cours des années 70-96. Les cours de Psychologie Sociale en 2ème Année de Licence présentent les principaux travaux consacrés à l'étude des représentations sociales.

- Moscovici, S. (1961). La psychanalyse, son image et son public, Paris : PUF. - Doise, W., Palmonari, A. (1986). L'étude des représentations sociales, Neuchâtel :

Delachaux et Niestlé.

118

Page 119: Py0001x - Sed

15

- Jodelet, D. (1984). Représentation Sociale : phénomène, concept et théorie, in Psychologie sociale, S. Moscovici (Ed.), Paris : PUF, pp. 357-378.

- Jodelet, D. (1989). Folies et représentations sociales, Paris : PUF.

3 - DE 1970 A NOS JOURS

Ce qui caractérise cette 3ème période, c’est la diversité des thèmes étudiés, le pluralisme des orientations théoriques et méthodologiques des recherches en Psychologie Sociale. 3.1 - Diversité des thèmes étudiés

.

Elle est sans doute liée à la double visée scientifique et d’application de cette discipline. • La Psychologie Sociale s’intéresse à tous les domaines de la vie des individus et aux problèmes auxquels ceux-ci sont confrontés tout au long de leur existence. A titre d’exemples, les problèmes de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, ceux relatifs aux conséquences psychologiques et sociales du chômage, ceux posés par la montée du racisme et de l’exclusion sociale, de même que l'apparition de nouvelles formes d'emploi et d'organisation du travail (travail précaire, utilisation des nouvelles technologies, développement des emplois de proximité et des emplois jeunes, réduction du temps de travail...), ou encore les problèmes posés par le vieillissement, la maladie, constituent autant de champs d’études pour les psychologues sociaux. • Ces thèmes, évidemment, ne sont pas exclusifs de ceux déjà mentionnés auparavant et qui trouvent des prolongements dans les recherches actuelles. Tel est le cas, en particulier, des travaux sur : - les processus de prise de décision dans les groupes (et leur application dans le domaine du management) ; - les “ minorités actives ” où Moscovici (1979) montre que l’influence sociale n’a pas nécessairement pour effet la conformité ; qu’elle peut produire innovation et changement social ; - les attributions causales et les représentations sociales qui font l’objet de multiples débats théoriques et méthodologiques ; - les processus de socialisation et de personnalisation. A l’analyse de ces processus sont consacrées les recherches menées au sein du Laboratoire “ Psychologie du Développement et Processus de Socialisation ” de l’Université de Toulouse Le Mirail. Dans ces études, l’accent est mis sur les caractères pluriel et conflictuel de la socialisation et sur la conception d’un sujet actif dans le déroulement de celle-ci. Ainsi on considère que la socialisation ne consiste pas seulement dans des processus d’acculturation des conduites individuelles. Elle n’est pas le produit mécanique d’une succession d’apprentissages effectués par le sujet dans ses milieux de vie. La socialisation possède un versant de personnalisation La personnalisation consiste en un ensemble de processus par lesquels le sujet tente, en relation de coopération et d’affinités ou de différenciation et d’opposition avec d’autres, de restructurer ses conduites, d’élaborer de nouvelles stratégies en fonction des

.

119

Page 120: Py0001x - Sed

16

significations et des valeurs qu’il accorde à ses multiples engagements personnels et sociaux. • Cette problématique de la socialisation / personnalisation oriente les recherches réalisées par les équipes (Psychologie sociale, du travail et des organisations; Psychologie du jeune enfant; Psychologie sociale du développement de l’enfant et de l’adolescent) qui composent le Laboratoire “ Psychologie du Développement et Processus de Socialisation”. Dans l'ouvrage : "Evénements de vie, transitions et construction de la personne", sous la direction de A. Baubion-Broye (1998), les auteurs étudient et illustrent, à partir de situations différentes (chômage, mobilités sociales et professionnelles, formation, entrée au travail, innovation technique, création), les multiples façons dont la personne répond, en même temps qu'elle participe, à ses propres transformations et à celles de ses milieux de vie.

On peut consulter les publications suivantes - Baubion-Broye, A., Malrieu, P., Tap, P. (1987). L’interstructuration du sujet et des

institutions, Bulletin de Psychologie, 379, 435-447.

:

- Baubion-Broye, A. (1998). Evénements de vie, transitions et construction de la personne, Edition Erès.

- Les actes du Colloque “ Fonctions des projets dans les restructurations personnelles et sociales ”; Toulouse, Editions Universitaires du Sud, 1992.

- ”Faire face au chômage ”, revue L'Orientation Scolaire et Professionnelle, 22, 4, 1993.

3.2 - Pluralisme des théories et des méthodes.

• De nombreuses recherches en Psychologie Sociale mettent l’accent sur tel ou tel processus (par ex. les comparaisons sociales, la dissonance cognitive, les attributions causales, l’apprentissage social, etc.) sans véritablement avoir une visée intégrative. Comme le souligne J.P. Leyens (1979), “ cet émiettement théorique persiste encore aujourd’hui... et certains auteurs défendrons sans doute les vues de Festinger selon lesquelles ces “ mini-théories ” seraient mieux à même de faire avancer le statut scientifique de la discipline que de vastes synthèses ”. Et cet auteur ajoute : “ je ne partage pas cette opinion et j’ai au contraire l’impression que les psychologues sociaux se sont montrés de remarquables méthodologues - probablement les meilleurs en Sciences Humaines - ils se sont révélés, en revanche, de piètres théoriciens trop enclins à se satisfaire de quelques énoncés plus ou moins précis ” (p. 173). • Ce constat ne doit pas entraîner à sous-estimer l’importance des résultats que les recherches ont permis d’établir et les possibilités d’application qu’offre la psychologie sociale. Certes il n’existe pas une théorie générale qui unifie l’ensemble des connaissances déjà acquises. Cependant, on peut considérer qu’à travers le pluralisme de ses orientations théoriques et méthodologiques, la Psychologie Sociale témoigne d’une vitalité qui est garante de ses capacités à surmonter ses divisions et ses lacunes.

3.3 - Spécificité du regard psychosocial.

• A la différence de la psychologie et de la sociologie qui utilisent une grille de lecture binaire (en psychologie : sujet - objet ; en sociologie : groupe ou classe sociale - objet), “ le regard psychosocial se traduit par une lecture ternaire des faits et des

120

Page 121: Py0001x - Sed

17

relations. Sa particularité est de substituer à la relation à deux termes du sujet et de l'objet, héritée de la philosophie classique, une relation à trois termes : Sujet individuel - Sujet social - Objet ” (Moscovici, 1984, p. 9). "Le caractère original et même subversif de ce regard est de mettre en question la séparation de l’individuel et du collectif, de contester le partage entre psychique et social dans les domaines essentiels de la vie humaine" (Moscovici, 1984, p.13). • Ni psychologie pour les sociologues, ni sociologie pour les psychologues, la Psychologie Sociale est “ une science critique de l’opposition entre l’individuel et le social ”. Elle étudie les interactions sociales : entre l’individu et les groupes, à l’intérieur de groupes donnés et entre eux. Elle analyse et explique des phénomènes qui sont simultanément psychologiques et sociaux. L’ambition de la Psychologie Sociale est de rendre compte des significations que les sujets donnent à leurs conduites. Dans l’ouvrage : "Dynamiques Sociales et Changements Personnels", sous la direction de P. Malrieu, Editions du CNRS, 1989, les auteurs examinent “ la psychologie qu’utilise un certain nombre de sociologues et la sociologie qu’utilisent quelques psychologues pour faire fonctionner leurs théories ”. La lecture de cet ouvrage permettra de mieux saisir les exigences d’une approche psychosociale. • Les thèmes traités dans les deux parties suivantes de ce cours fournissent des illustrations de cette approche psychosociale. Ils examinent respectivement : - les processus de catégorisation sociale en jeu dans les relations intergroupes et leurs effets sur la construction de préjugés et stéréotypes sociaux (2ème partie du cours); - les différentes formes que peuvent prendre les relations interpersonnelles ; quelques uns des déterminants et des effets de ces relations à autrui (3ème partie du cours).

121

Page 122: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

122

Page 123: Py0001x - Sed

19

DEUXIEME PARTIE Marie-Pierre Cazals-Ferré

L'étude des relations intergroupes à travers le processus de catégorisation sociale. Le cas particulier des stéréotypes et préjugés.

L'aperçu historique, présenté dans la première partie de ce cours, vous montre que la psychologie sociale qui constitue pourtant une discipline récente en comparaison d’autres disciplines, donne lieu à des recherches et à des applications dans les domaines les plus divers de l’activité humaine et sociale. Ses fondements essentiels prennent substance autour de l’analyse des relations interindividuelles. En effet, que ce soit à travers l’étude des processus d’influence, de la structuration des rôles, statuts, normes et valeurs ou encore des processus de communication, la psychologie sociale s’applique à étudier, comme le mentionne Fischer (1987), “ les phénomènes sociaux définis par la nature toujours problématique des relations qui se jouent entre individus et société ”. Pour donner un aperçu de la façon dont les psychosociologues tentent de comprendre comment se génèrent et se régissent les rapports entre individus et groupes et les rapports des groupes entre eux, nous choisissons, dans cette partie de cours, de nous centrer sur un processus qui est souvent au cœur des recherches en psychologie sociale : celui de catégorisation sociale. Dans le cadre particulier des stéréotypes et préjugés, il sera plus aisé de comprendre comment ce processus structure et oriente les conduites des individus à l’intérieur des groupes et des groupes entre eux. Dans cette perspective, nous aborderons successivement les trois points suivants: • 1 - Définitions et fonctions de la catégorisation sociale. • 2- Définitions, caractéristiques et fonctions des stéréotypes et préjugés. • 3 - Présentation de quelques travaux sur les stéréotypes et les préjugés.

123

Page 124: Py0001x - Sed

20

- Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale, Paris : Dunod.

Lire un des ouvrages ou chapitres d’ouvrages suivants :

- Cazals-Ferré, M.P. et Rossi, P. (1998). Eléments de Psychologie Sociale, Collection Synthèse, Armand Colin, chapitre 3 (dossiers 10 et11, et à titre complétif dossier 9).

- Azzi, A.E et Klein, O. (1998). Psychologie sociale et relations intergroupes, Collection “ Les topos ”, Dunod, chapitre 1.

- Maisonneuve, J. (1993). Introduction à la Psychosociologie, Paris : PUF, Coll. Le Psychologue, chap. VII, pp. 131-151.

- Gergen, K.J., Gergen M., Jutras, S. (1981). Psychologie Sociale, Vigot, chap. 5, pp. 141-182.

- Leyens, J.P., Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale, Bruxelles : Mardaga, en particulier les chapitres 1, 2 et 3, pp. 21-104.

- Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la cognition sociale, Grenoble : PUG, coll. “ vies sociales ”.

- Fisher, G.N. (1997). La psychologie Sociale, Collection “ Points Essais ”, Seuil. - Moscovici, S. (1984). Psychologie Sociale, Paris : PUF, pp.449-467. - Tajfel, H. (1972). La catégorisation sociale, in S. Moscovici (Ed.), Introduction à la

Psychologie Sociale, (vol.1), Paris : Larousse.

1 - LA CATEGORISATION SOCIALE

1.1 - Préambule

Afin de saisir comment se génèrent et s’organisent les relations aussi bien intra-groupe (à l’intérieur d’un groupe social/culturel particulier) qu’inter-groupes (relations de deux ou plus groupes entre eux), le psychologue social tente de comprendre comment procède l’individu pour construire le réel, pour élaborer ses images d’autrui et pour appréhender les situations et événements dans lesquels il est, ou non, engagé. Le champ de la cognition sociale s’intéresse à ces différents aspects à travers l’étude des représentations sociales. Se représenter quelque chose, revient à évoquer mentalement un objet, une personne, une idée, une situation en l’absence même de cet objet, personne, idée, situation. Lorsqu’on évoque mentalement des être humains (individu, groupes ethniques, groupes sociaux), on parle alors de représentations sociales. Ces représentations que nous nous faisons d’autrui, des groupes sociaux influencent les comportements inter-groupes. Si nous nous centrons préférentiellement sur l’analyse du processus de catégorisation c’est parce qu’il constitue une des modalités d’expression de notre système perceptif, nous permettant ainsi de rendre compte des mécanismes d’élaboration cognitive et sociale du réel. Le processus de catégorisation sociale peut, en effet, aider à comprendre comment s’organisent nos représentations sociales.

124

Page 125: Py0001x - Sed

21

1.2 - Définitions de la catégorisation sociale

Voir en particulier- Leyens, J.P., Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale,

Bruxelles : Mardaga, pp. 78-105.

:

- Cazals-Ferré, M.P. et Rossi, P. (1998). Eléments de Psychologie Sociale, Collection Synthèse, Armand Colin, pp. 50-53.

- Azzi, A.E et Klein, O. (1998). Psychologie sociale et relations intergroupes, Collection “ Les topos ”, Dunod, pp. 13-16.

- Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la cognition sociale, Grenoble : PUG, coll. “ vies sociales ”, pp. 27-52.

- Marc, E., Picard, D. (1989). L’interaction sociale, Paris : PUF, coll. Le Psychologue, pp. 210-214.

- Tajfel, H. (1972). La catégorisation sociale, in S. Moscovici (Ed.) Introduction à la Psychologie Sociale, (vol.1), Paris : Larousse.

Et pour de plus amples informations :

- Monteil, J.M. (1988). Comparaison sociale, stratégies individuelles et médiations socio-cognitives. Un effet de différenciation comportementale dans le champ scolaire, European Journal of Psychology of Education, 3, 3-19. La catégorisation sociale, comme les stéréotypes et les préjugés ont surtout été étudiés à partir de la théorie de l’identité sociale (T.I.S.) développée par Henri Tajfel (1972). L’idée centrale de cette théorie est que les individus se définissent dans les termes de leur appartenance à des groupes sociaux et que l’auto-perception (image et sentiment de soi) définie par le groupe produit des effets psychologiquement distincts dans le comportement social. Cette théorie met l'accent sur certains processus psychologiques fondamentaux qui sont à l’œuvre dans le travail de stéréotypisation et de préjugement, en particulier celui de catégorisation sociale et, son corollaire, celui de comparaison sociale. • La catégorisation sociale, Tajfel (1972), se réfère à des "processus psychologiques qui tendent à ordonner l’environnement en termes de catégories : groupes de personnes, d’objets, d’événements...en tant qu’ils sont soit semblables, soit équivalents les uns aux autres pour l’action, les intentions ou les attitudes d’un individu", [tiré de Marc, E. et Picard, D. (1989), p. 212]. • Plus récemment pour Aazi et Klein (1998, p. 13), catégoriser consiste à regrouper des objets, des personnes, des situations, des idées dans différentes classes sur la base d’un jugement de cohérence. 1.3 - Fonctions de la catégorisation sociale

(voir Marc, E. et Picard, D. ; 1989, p. 213).

1°- Fonction de structuration de l’environnement: la catégorisation permet à l’individu, en classant les données du monde environnant, d’organiser l’environnement en vue des buts qu’il poursuit, de donner un sens au monde qui l’entoure. Nous ne nous contentons pas de classer les objets, individus... dans des “ tiroirs catégoriels ”, nous établissons en plus une relation explicative entre les divers attributs de ces objets, individus... La catégorisation nous permet donc de donner sens à l’environnement et de

125

Page 126: Py0001x - Sed

22

nous y adapter (sur ce dernier point, pour des précisions, voir Aazi et Klein ; 1998, p.13-14). 2° - Fonction identitaire

Cette deuxième fonction a été mise en évidence dans diverses études, comme celles citées ci-après.

: donner un sens et établir une organisation relativement stable du monde qui nous entoure, nous permet aussi de nous définir nous-mêmes, de nous situer en termes d’appartenance catégorielle (par exemple appartenir à la catégorie des étudiants-salariés en psychologie). Ces appartenances nous conduisent à opérer des choix d’actions, d’affiliations énoncés en termes de rejets ou d’attrait, voire de discrimination.

—“ La situation sociale minimale ” : il s’agit d’une série de travaux qui ont essayé de déterminer les conditions minimales dans lesquelles une discrimination entre endogroupes (groupes d’appartenance) et exogroupes (groupes de non appartenance) se produit : Rabbie (1966), Rabbie et Horwitz (1971), Rabbie et wilkens, (1971). Il en ressort que le simple fait de partager le même sort, indépendamment de la façon dont il a été infligé, suffit à susciter un biais de favoritisme en faveur de son groupe d’appartenance. Etudes décrites dans Leyens, J.P., Yzerbyt, V. et Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale, Mardaga, pp.79-80 et dans Yzerbyt, V. et Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la cognition sociale, PUG, coll. “ vies sociales ” pp. 28-30. — A la suite de ces travaux pionniers, Rabbie, Tajfel, Billig, Bundy et Flament (1971), mettent en oeuvre une situation expérimentale connue sous le nom de “ groupes minimaux” ou du “ paradigme du groupe minimal”. Ce paradigme a été repris dans divers pays, sur des populations différentes et selon des opérationnalisations variées et les chercheurs arrivent toujours aux mêmes conclusions : le simple fait de placer les sujets dans des catégories différentes suffit à entraîner des jugements biaisés (systématiquement favorables à l’endogroupe). Se référer ici à Leyens, J.P., Yzerbyt, V. et Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale, Mardaga, p.81 à 84 et à Yzerbyt, V. et Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la cognition sociale, PUG, coll. “ vies sociales ” pp. 30-40.

• C’est par le recours à la T.I.S, que Tajfel va pouvoir rendre compte du fait que les endogroupes reçoivent des jugements plus favorables que les exogroupes. Tajfel et Turner (Tajfel et Turner, 1979 ; Tajfel, 1981) remarquent, sur la base de tous ces travaux, que les individus aiment être associés à des catégories positives. Selon eux, si les individus qui sont placés dans un groupe, quel qu’il soit, considèrent systématiquement que ce groupe est le meilleur, c’est parce que chaque personne est motivée à établir et à maintenir une image de soi positive. Ainsi, favoriser son groupe, est la meilleure façon d’y parvenir. La différenciation (groupe d’appartenance / groupe de non appartenance), aiderait donc les individus à établir une évaluation de soi (ou auto-évaluation) positive. Tajfel et Turner (1979) vont plus loin dans leur analyse et proposent une explication à partir de la théorie de la comparaison sociale élaborée par Festinger (1954).

126

Page 127: Py0001x - Sed

23

1.4 - Identité et comparaison sociale

• Pour Festinger (1954), nous ne sommes pas toujours sûrs de nos opinions, ni de nos actions et, dans ce cas, nous avons tendance à rechercher auprès des autres l’exactitude de nos opinions et l’adéquation de nos comportements. L’incertitude, le doute, orientent ainsi nos comportements vers les autres afin d’obtenir, à travers la comparaison de nos attitudes, une harmonisation de nos conduites. Nous nous engageons pour cela dans un processus de comparaison sociale chaque fois que nous éprouvons le besoin d’évaluer nos conduites et de les ajuster aux normes ambiantes.

• Dans cet ordre d’idée, Tajfel et Turner (1979) soulignent que quand les individus s’engagent dans la comparaison sociale, c’est qu’ils sont gouvernés par un besoin de maintenir leur "estime de soi". Codol (1981), pour sa part, ajoute que “ cette comparaison à des catégories socialement significatives pour les sujets participe à l’édification du sentiment d’identité par le jeu de l’assimilation et de la différenciation à l’autre ". On peut se référer à Codol, J.P. (1981). Une approche cognitive du sentiment d’identité, Social Science Information, n°20, pp.111-136.

Voir Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale, Dunod, pp. 58-59.

• Des exemples précis des effets de ce processus de comparaison sociale sur le bien-être psychologique des sujets, sont fournis dans: Cazals, M.P. (1995). Transformation des activités individuelles et évolutions de la vulnérabilité psychologique de jeunes en situations précaires. Thèse de Doctorat, sous la direction d’Alain Baubion-Broye, Université de Toulouse-le-Mirail, Toulouse II, p.61 à 69, p.90 à 93... Il est montré, dans cette recherche, que le but des comparaisons peut être double : il peut s’agir, en premier lieu, pour une personne, de vérifier la cohérence de ses opinions dans une situation particulière (transition psychosociale: chômage, maladie, naissance...) et/ou, en second lieu, si la situation s’avère trop perturbatrice et donc menace l’identité de la personne, les comparaisons peuvent lui permettre de se revaloriser en se comparant à des personnes dans la même situation qu’elle.

2 - STEREOTYPES ET PREJUGES

Les processus de catégorisation et de comparaison sociales sont pleinement à l’œuvre dans le travail de stéréotypisation et de préjugement. Dans cette visée, Fisher (1997) souligne que la catégorisation sociale est un processus cognitif à la base des stéréotypes et préjugés.

127

Page 128: Py0001x - Sed

24

2.1 - Les stéréotypes

- Maisonneuve, J. (1993). Introduction à la Psychosociologie, Paris : PUF, pp. 135-143. A consulter

- Leyens, J.P., Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale, Bruxelles : Mardaga, en particulier les chapitres 1 et 2, pp. 21-74.

- Cazals-Ferré, M.P. et Rossi, P. (1998). Eléments de Psychologie Sociale, Collection Synthèse, Armand Colin, pp. 54-57.

- Azzi, A.E et Klein, O. (1998). Psychologie sociale et relations intergroupes, Collection “ Les topos ”, Dunod, pp. 11-37.

- Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale, Paris : Dunod, pp.105-112.

- Gergen, K.J., Gergen M. et Jutras, S. (1981). Psychologie Sociale, Vigot, pp. 164-169. - Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la cognition sociale, Grenoble : PUG, coll. “ vies sociales ”, voir le chap.3, pp. 101-138.

2.1.1 - Définitions du stéréotype (vous pouvez également vous reporter ici, aux définitions fournies en psy 102).

• Mot créé au 18ème siècle : vient du grec stereos (solide) et tùpos (caractère) : désignait "un bloc obtenu par le moulage d’une page entière d’un ouvrage composée en caractères mobiles et pouvant servir à plusieurs tirages". • Lippman (1922) a introduit le concept de stéréotype dans les sciences sociales en parlant “ d’images dans nos têtes ” et le définit comme “ des catégories descriptives simplifiées par lesquelles nous cherchons à situer autrui ou des groupes d’individus ”. • Pour Leyens, Yzerbyt et Schadron (1996) : "ce sont des croyances partagées au sujet des caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais aussi souvent, des comportements d’un groupe de personnes". 2.1.2 - Le principe d’accentuation Les stéréotypes sont des généralisations basées sur l’appartenance à une catégorie, c'est-à-dire des croyances reposant sur l’inférence que tous les membres d’une catégorie donnée (endogroupe) partagent les mêmes propriétés. Ce processus repose sur ce qui est appelé le principe d’accentuation (Razran, 1953 ; Tajfel et Wilkes, 1963). C’est-à-dire que nous avons tendance à exagérer les similarités entre les membres d’une même catégorie et à accentuer les différences entre membres de catégories distinctes. Selon ce principe nous percevons autrui dans sa globalité (un étudiant, un immigré, un fonctionnaire...) plutôt que dans sa particularité.

2.1.3 - Les courants de recherche sur les stéréotypes • La psychologie cognitive envisage le stéréotype soit comme une représentation prototypique (l’espagnol prototypique serait brun, parlerait fort, ferait la sieste, consommerait des litres d’huile d’olive...), soit comme des représentations par exemplaires (nous avons une certaine représentation de l’étudiant en Droit, de sorte que si nous croisons une personne qui ressemble à cette représentation nous la catégoriserons comme étant un étudiant en Droit), soit comme un réseau par

128

Page 129: Py0001x - Sed

25

“ nœuds ” liant des traits ou des comportements (croiser un jeune homme au crâne rasé et en treillis militaire, peut activer le nœud “ skinhead ” qui à son tour active le nœud “ violence, racisme... ”). • La psychologie sociale

montre que le stéréotype ne fournit pas uniquement une description de la réalité mais, qu’en outre, il sert aussi à expliquer cette réalité (notamment le comportement des membres d’un groupe). Ils constituent des théories “ naïves ” qui nous permettent d’expliquer comment et pourquoi certaines caractéristiques vont ensemble. Par ailleurs, les travaux les plus récents en psychologie sociale, soulignent que certains processus ne doivent pas être négligés lorsque l’on étudie les stéréotypes. Par exemple la motivation : l’utilisation des stéréotypes dépend fortement du contexte et des objectifs poursuivis (Neuberg et Fiske, 1987).

2.1.4 - Caractéristiques du stéréotype Maisonneuve (1993, voir p.137-138) en distingue six : - l’uniformité : le stéréotype est uniforme dans un groupe déterminé ; - la simplicité : les images qu’il véhicule sont pauvres ; - la prégnance : on relève des degrés d’adhésion au stéréotype d’un individu à l’autre

au sein d’un même groupe (il est donc plus ou moins prégnant) ; - la tonalité affective : le stéréotype n’est jamais neutre, il reflète soit de la faveur, soit

de la défaveur ; - la durabilité : le stéréotype a tendance à se perpétuer et à se transmettre dans un

groupe donné ; - le contenu. : le stéréotype à propose d’une personne ou d’un groupe de personnes,

s’exprime sous la forme de traits relatifs au domaine physique (laid, beau, fort…) et/ou moral (intelligent, dévoué, cruel…).

2.1.5 - Fonctions des stéréotypes On peut dégager 2 grandes fonctions principales :

• Une fonction socio-cognitive:

les stéréotypes se réfèrent à des processus très généraux de pensée qui par la simplification, la schématisation et la généralisation nous permettent de “ mettre de l’ordre ” dans le réel, de répondre à la diversité et à l’instabilité de ce réel. Outre cet aspect purement "logico-pragmatique ”, les stéréotypes nous fournissent une explication du réel.

Une fonction socio-affective et identitaire

Vous pouvez consulter ici, Maisonneuve, J. (1993, p. 140-141) et Fischer, G.N. (1987, p.110-112).

: pour les membres d’un groupe, attribuer une signification affective (favorable / défavorable) en direction d’un autre groupe, leur permet d’assurer, de maintenir une certaine cohésion et protection dans l’endogroupe et, en même temps, de différencier les groupes de non appartenance (exogroupes). La comparaison sociale leur permet de suivre les lignes de stratification sociale et les zones d’affiliation de tels ou tels individus. Ainsi, le stéréotype oriente les conduites intra et inter-groupes en même-temps qu’il les justifie.

129

Page 130: Py0001x - Sed

26

2.1.6 - Stéréotypes et biais attributifs Le stéréotype reflète la structure cognitive d’une collectivité à l’égard d’une autre. Par la simplification du réel, il permet d'opérer une anticipation sélective et complétive. En ce sens, il peut aboutir à des distorsions, des biais tels que la surgénéralisation, les biais négatifs dans le souvenir, la corrélation illusoire, les jugements polarisés (à ce sujet consulter - Gergen, K.J., Gergen M. et Jutras, S. (1981). Psychologie Sociale, Vigot, p.166 à 171.

2.1.7 - Distinction entre stéréotype et préjugés Dans le sens commun, les stéréotypes sont fréquemment assimilés ou confondus avec la notion de préjugés. Ils ont en commun, en effet, de regrouper les membres d’un exogroupe au sein d’une même entité sur la base de certains rapports de similitudes. Cependant, même s’ils s’inscrivent tous deux dans le droit fil des mécanismes de catégorisation sociale, ces deux processus revêtent en réalité des différences quant à leur genèse et leur fonctionnement. • Selon Maisonneuve (1993, p.138), le préjugé présente un caractère d’évaluation plus ample que le stéréotype. Il englobe en général une pluralité de stéréotypes plus ou moins cohérents. Les stéréotypes constituent un mécanisme important dans le maintien du préjugé. • Le stéréotype est donc une image collective mentale, en rapport avec nos croyances, qui supporte un préjugé. • En ce qui concerne la genèse des stéréotypes, Fischer (1987) rappelle qu’elle est directement déterminée par les modalités des relations intergroupes. L’apparition des préjugés serait, elle, plutôt liée à des facteurs d’apprentissage social [voir Fischer (1987), pp. 105-107].

2.2 - Les préjugés

- Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale, Paris : Dunod, pp.104-109.

A consulter

- Gergen, K.J., Gergen M., Jutras, S. (1981). Psychologie Sociale, Vigot, pp.142-182. - Moscovici, S. (1984). Psychologie Sociale, Paris : PUF, pp.449-461.

2.2.1 - Définitions du préjugé • Un certain nombre de définitions du préjugé énoncées en psychologie sociale, donnent à penser que dès que l’on préjuge, nous émettons une évaluation négative sur autrui ou une situation. A titre d’exemple voici la définition de Gergen, Gergen & Jutras (1981): "c’est une prédisposition à réagir défavorablement à une personne sur la base de son appartenance à une classe ou à une catégorie". • En fait, nous pouvons très bien avoir des préjugés positifs. La définition suivante paraît donc plus appropriée : un préjugé est une idée préconçue, basée sur des images fabriquées par le sens commun (c’est-à-dire les stéréotypes). Les préjugés comportent

130

Page 131: Py0001x - Sed

27

non seulement des actes de jugement mais ils soutiennent aussi des attitudes et des comportements (voir 3.2 : l’effet Pygmalion). • Ce qui peut être problématique, que le préjugé soit négatif ou positif, c’est la façon dont le mécanisme de préjugement se génère puisque préjuger c’est juger avant de connaître. Ce qui peut aboutir à des erreurs de jugement sur autrui.

2.2.2 - Caractéristiques du préjugé

• Gergen, Gergen et Jutras (1981, p.143), distinguent 3 composantes dans les préjugés : une composante cognitive, une composante affective et une composante comportementale. Arrêtons-nous sur cette dernière composante pour souligner que sur le plan comportemental le préjugé peut déboucher sur des actes discriminatoires (on peut faire allusion au massacre des juifs, communistes, gitans, franc-maçons, homosexuels, orchestré par l’Allemagne Nazie il y a un peu plus de 50 ans). La discrimination désigne, en effet, le comportement dirigé contre les individus visés par le préjugé. Selon Allport (1954) la discrimination intergroupe renvoie à “ tout comportement qui dénie à des individus ou à des groupes l’égalité de traitement qu’ils souhaiteraient ”. Un des phénomènes connu en la matière est celui du “ bouc émissaire ” : c'est le fait de désigner un responsable extérieur, même innocent, à la vindicte d’un groupe. Nommer le malheur, lui prêter visage, donne l’illusion de pouvoir le maîtriser. Cela réconforte le moi individuel et le moi collectif. Cependant on ne peut établir un lien systématique entre le préjugé et la discrimination. Exprimer des préjugés négatifs envers un groupe X ou Y n’implique pas nécessairement un comportement hostile envers chaque membre de ce groupe de la part de la personne qui formule ces préjugés. Dans la réalité sociale, les rapports entre les opinions et les comportements sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît. L’étude de Lapiere menée dans les années 1930, semble en témoigner [étude décrite dans Gergen, Gergen et Jutras (1981)]. 2.2.3 - Fonction des préjugés Maisonneuve (1993) décrypte dans les préjugés, essentiellement une fonction de différenciation sociale produisant, au final, une discrimination.

3 - STEREOTYPES ET PREJUGES : COMPTE RENDU D’EXPERIENCES.

3.1 -

Les recherches sur les stéréotypes

• Les premiers travaux sur les stéréotypes, dans les années 1930, jusqu’aux années 1970, s’attachaient essentiellement à mettre en place des inventaires de stéréotypes. Les sujets devaient déterminer des traits ou attributs qu’ils estimaient comme caractéristiques de différents groupes sociaux. Les traits sélectionnés par un nombre significatif de sujets étaient alors considérés comme stéréotypiques. Une des première mesure est la liste des traits de personnalité de Katz et Braly (1933).

131

Page 132: Py0001x - Sed

28

• Dans les années 1980, on trouve des recherches qui tentent de montrer que la pensée stéréotypique procède par “ sous-types ”. Pour Rosenberg (1988), lorsqu’on étudie les stéréotypes, il ne faut pas en rester à des attributs trop généraux, il faut se pencher sur des catégories plus restreintes : des sous-types. Brewell, Dull et Lui (1981), montrent, par exemple, que la catégorie des personne âgées peut renvoyer à des sous-catégories (les “ vieux hommes d’état ”, les “ papis et mamies... ”). • Enfin, les études récentes tentent de mettre en liaison stéréotypes et certains processus intrapsychiques tels que l’évaluation, l’attention ou la motivation voir à ce sujet les travaux de Neuberg et Fiske, 1987, in Yzerbyt, V. et Schadron, G. (1996), p.125).

3.2 -

Les recherches sur les préjugés

• La personnalité autoritaire

: renvoie à la célèbre étude, très controversée, réalisée par Adorno et ses associés, entre les années 1930 et 1950, dans laquelle ils essaient d’analyser les traits de personnalité des individus ayant des préjugés contre les groupes minoritaires. Voir : - Moscovici, S. (1984). Psychologie Sociale, pp.453-472 et/ou Leyens, J.P., Yzerbyt, V. et Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale, Ed. Mardaga, pp.52- 56.

• L’effet Pygmalion

Un des principaux effets de l’expérience est que ces enfants se sont améliorés non pas parce qu’ils étaient plus intelligents que leurs pairs au départ, mais parce que les enseignants s’attendaient à ce qu’ils réussissent mieux (un compte rendu détaillé est donné dans Gergen, Gergen et Jutras, 1981, pp.149-152).

: on appelle effet Pygmalion le fait de créer chez les autres ce que l’on attend d’eux. Nous faisons référence ici à l’expérience de Rosenthal et Jacobson (1968) au cours de laquelle ces chercheurs ont crée des attentes positives (prédiction d’une bonne réussite scolaire), chez des instituteurs de l’école primaire, à l’égard de certains élèves de leur classe. En réalité ces élèves étaient choisis, par Rosenthal et Jacobson, tout à fait au hasard.

• Les effets sur l’estime de soi : il arrive que les individus fortement sujets à discrimination en viennent à se percevoir comme étant des personnes sans valeur, inférieures aux autres. De nombreuses études témoignent de ces effets. Parmi elles, voir Clark et Clark (1947) et Doyle et al. (1992), in Gergen, Gergen et Jutras (1981), pp.145-148.

132

Page 133: Py0001x - Sed

29

• Ces expériences sont rapportées dans les ouvrages suivants :

Pour les stéréotypes- Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la

cognition sociale, Grenoble : PUG, coll. “ vies sociales ”.

:

- Azzi, A.E et Klein, O. (1998). Psychologie sociale et relations intergroupes, Collection “ Les topos ”, Dunod, chapitre 1

• Pour les préjugés- Gergen, K.J., Gergen M., Jutras, S. (1981). Psychologie Sociale, Vigot, pp.142-182.

:

- Moscovici, S. (1984). Psychologie Sociale, Paris : PUF, pp.449-461. - Leyens, J.P., Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale,

Bruxelles : Mardaga, p.52-65.

- Memmi, A. (1982). Le racisme, Paris : Gallimard, coll. Idées. Pour des lectures annexes

- Rosenthal, R., Jacobson, L. (1971). Pygmalion à l’école. Tournai: Casterman. - Bourhis, L., Leyens, J.P. (éd.) (1994). Stéréotypes, discrimination et relations

intergroupes, Bruxelles, Mardaga.

CONCLUSION

Dans cette deuxième partie du cours, en nous référant au processus de catégorisation sociale, nous avons présenté une des perspectives par laquelle il est possible de décrire et d'expliquer certains mécanismes psychosociaux lorsqu'on s'intéresse aux relations intergroupes. Cette approche n'est, bien entendu, pas exhaustive puisqu'il existe d'autres approches des relations intergroupes (par les attitudes, la socialisation, les phénomènes d'influence, les phénomènes de communication...). Vous retrouverez l’abord de ces différents thèmes de la psychologie sociale tout au long de votre cursus universitaire. La 3ème partie du cours aborde un autre aspect des relations entre les individus : les relations interpersonnelles.

133

Page 134: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

134

Page 135: Py0001x - Sed

31

TROISIEME PARTIE Denis Hilton

Les relations interpersonnelles : attraction – altruisme – hostilité

Marie-Pierre Cazals a centré ses propos sur l’étude des relations intergroupes. Au cours des trois séances que je vais animer, j’aborderai l’étude des relations interindividuelles. Nous allons étudier les causes de l’attraction et de l’hostilité entre les individus ainsi que les raisons pour lesquelles les gens s’entraident.

Mes interventions se découperont en trois parties: • 1 - Les causes de l’attraction interpersonnelle, et de la formation, maintenance

et rupture des relations interpersonnelles • 2 - Les causes du comportement “ prosocial ” - pourquoi nous aidons les

autres • 3 - Les causes de l'hostilité et de l’agression, et les moyens de les réduire

Lire un des ouvrages ou chapitres d’ouvrages suivants- Maisonneuve, J. et Lamy, L. (1993). Psycho-sociologie de l’amitié. Paris: Presses

Universitaires de France.

:

- Maisonneuve, J. (1995). L'amitié trente ans après. In G. Mugny, D. Oberlé, & J.L. Beauvois (Eds.), Relations humaines, groupes et influence sociale. Grenoble : PUG, 65-68.

- Myers, D.G. et Lamarche, L. (1992). Psychologie sociale. Montréal: McGraw-Hill. (Chapitres 10, 11 et12).

- Vallérand, R.J. (Dir, 1994). Les fondements de la psychologie sociale. Montréal (Chapitres 8, 9 et 10).

1-ATTRACTION INTERPERSONNELLE ET FORMATION, MAINTENANCE ET RUPTURE DES RELATIONS INTERPERSONNELLES

1.1-

Le principe de gratification

Le principe de gratification joue un rôle central dans l’attraction - nous aimons ceux qui nous procurent des gratifications. Ceci est l’expression d’un principe d’économie : minimiser les coûts et maximiser les récompenses. Il exprime l’avis de La Rochefoucauld (1665), qui considérait que “L’amitié est un système d’échange d’avantages personnels et de faveurs susceptibles de profiter à l’estime de soi”. L’échange des gratifications peut donc se coordonner selon la règle de l’équité (Hatfield, Walster et Berscheid, 1978) : ce que vous et votre ami retirez de la relation doit être proportionnel à ce que chacun de vous y avez investi. Si deux personnes obtiennent les mêmes résultats, leurs contributions devraient alors être égales; autrement on risque de percevoir la relation comme étant injuste. La question se pose : est-ce qu’un schéma rationnel et calculateur suffit pour expliquer nos relations affectives?

135

Page 136: Py0001x - Sed

32

1.2 –

La sympathie : qui aime qui ?

Les chercheurs ont mis en valeur quelques facteurs qui prédisent l’amitié entre deux individus. Dans une étude sur la formation des relations dans les résidences pour étudiants à la Massachusetts Institute of Technology, Festinger, Schachter et Back (1950) ont découvert que la proximité engendre la sympathie. D’autres chercheurs ont montré que la proximité est importante dans la mesure où elle permet des interactions (Insko and Wilson, 1977). De plus, même l’anticipation d’une interaction peut rendre une autre personne plus attrayante (Darley et Berscheid, 1976). En fait, nous sommes attirés par les choses qui nous sont familières. Du fait de la simple exposition aux stimuli, nous arrivons à les aimer. Zajonc (1968 ; 1970) constate que les étudiants de l’Université de Michigan préfèrent les mots “ non-sens ” qu’ils ont vus à ceux qu’ils n’ont pas vus. Ce phénomène se produit même si les personnes ne sont pas conscientes d’avoir vu les stimuli (Moreland et Zajonc, 1977). La ressemblance prédit aussi la formation des relations. Newcomb (1961) a montré qu’après 13 semaines de vie commune dans une pension, les étudiants qui avaient le plus de points en commun au début étaient ceux qui étaient les plus susceptibles d’avoir développé des amitiés profondes. La peur incite les gens à s’affilier aux autres (Schachter, 1959).

1.3 –

La beauté physique

D’après une étude de Berscheid et al. (1971), il apparaît que la beauté d’une jeune femme prédit bien la fréquence de ses rendez-vous amoureux dans les universités nord-américaines et que celle d’un jeune homme la prédit presque aussi bien. En plus, il y a une tendance à s’assortir; plusieurs recherches ont montré une forte correspondance entre la beauté des époux et des amoureux. Dans les cas ou “ la belle ” sort avec “ la bête ”, la “ bête ” dispose souvent de qualités compensatrices, comme le fait d’être riche, intelligent, puissant et prestigieux. Le stéréotype de la beauté varie chez les hommes et les femmes. On a tendance à juger une femme plus séduisante lorsqu’elle a des traits immatures comme des grands yeux (Cunningham, 1986), alors qu’on a tendance à trouver les hommes plus beaux lorsque leur visage - et leur comportement - évoque la maturité et la domination (Sadalla et al., 1987).

Il y a un effet de halo associé à la beauté. Par exemple, des femmes ayant subi une intervention de chirurgie esthétique sont considérées après comme plus belles - mais aussi plus tendres, sensibles, chaleureuses et expressives sexuellement (Kalick, 1977). Celles ayant subi un traitement orthodontique apparaissent comme plus intelligentes, mieux adaptées…, même lorsque leur bouche est fermée (Korabik, 1981).

1.4 –

L’amour

Sternberg (1988) considère l’amour comme un triangle, dont les trois côtés sont la passion, l’intimité et l’engagement. Les recherches montrent que les hommes tombent plus facilement amoureux, sont plus lents à cesser d’aimer et ont moins tendance à initier une rupture (Dion et Dion, 1985; Peplau et Gordon, 1985). Snyder et Simpson (1985) rapportent que les personnes qui ont une autosurveillance (self-monitoring)

136

Page 137: Py0001x - Sed

33

élevée sont celles qui sont les plus disposées à mettre fin à une relation au profit d’un nouveau partenaire et donc fréquentent plus de gens sur de courtes périodes.

La théorie de l’émotion à double facteur (Schachter et Singer, 1962) a été utilisée pour expliquer pourquoi les gens tombent amoureux. Selon cette théorie, tomber amoureux relève souvent d’une mauvaise attribution de l’excitation provoquée par un autre facteur, objet de notre affection. Dutton et Aron (1974) ont ainsi montré que des jeunes hommes qui se sont entretenus avec une jeune femme dans une situation stimulante lui téléphonaient davantage ultérieurement que des jeunes hommes interviewés dans une situation moins stimulante.

1.5 –

La maintenance et la rupture des relations

Dans une étude menée auprès de jeunes couples, Hill, Rubin and Peplau (1976) trouvaient que les couples avaient une meilleure chance de survivre deux ans si les partenaires se disaient “amoureux” au début et si les femmes considéraient que leur partenaire leur plaisaient. Par contre, Hill et al. trouvaient qu’il n’y avait aucune relation entre le fait de cohabiter ensemble ou d’avoir des relations sexuelles et la durée d’une relation (cf. Cramer, 1998).

Rusbult (1980) montre que la satisfaction d’une relation se prédit par ses coûts et récompenses. Par contre, l’engagement se prédit par la satisfaction, mais aussi par l’investissement déjà effectif dans la relation et l’existence d’alternatives.

2- ALTRUISME ET AIDE

2.1 -

Pourquoi nous entraidons-nous?

Selon la théorie de l’échange social, les gens donnent pour recevoir. Nous sommes donc plus disposés à aider une personne qui nous intéresse ou dont nous désirons l’approbation (Krebs, 1970; Unger, 1979). Krebs (1975) a trouvé que les étudiants de l’université d’Harvard qui étaient les plus bouleversés par la détresse d’un autre (d’après leurs compte rendus et leurs réactions physiologiques) étaient aussi ceux qui s’empressaient le plus auprès de la personne. L’altruisme augmente aussi le sentiment de valeur personnelle (Piliavin, Evans et Callero, 1982). La sociobiologie soutient que nous aidons ceux dont la prospérité profite à la survie de nos gènes. Par exemple, des jumeaux génétiquement identiques s’apportent beaucoup plus de réconfort mutuel que des jumeaux non-identiques (Segal, 1984). En plus, nous éprouvons plus de sympathie pour les gens en détresse qui nous ressemblent (Krebs, 1975). Les normes sociales peuvent jouer. Gouldner (1960) soutient qu’il y a un code moral universel constitué de la norme de réciprocité. Nous devons donc des faveurs à ceux qui nous ont aidés dans le passé. La réciprocité fonctionne le mieux dans les petits groupes où les “tricheurs” seront méprisés par les autres membres du groupe (Steblay, 1987). Il y a aussi la norme de responsabilité sociale qui nous pousse à aider les gens qui sont faibles et dépendants et qui ne peuvent pas nous rendre service. Le respect de

137

Page 138: Py0001x - Sed

34

cette norme est plus prononcé chez les gens engagés sur le plan spirituel (Gallup, 1984), qui sont plus disposés à déclarer qu’il travaillent auprès des pauvres, des handicapés ou des personnes âgées.

2.2 –

Quand apportons-nous notre aide ?

• Latané et Darley (1970) ont remarqué que nous sommes moins disposés à

intervenir lorsqu’il y a beaucoup d’autres spectateurs présents. Latané et Darley soutiennent que du fait de la présence des autres, il est moins probable que nous remarquions l’incident, que nous interprétions l’incident comme une urgence, et que nous assumions la responsabilité d’intervenir. Ce dernier point s’explique par la diffusion de la responsabilité en présence des autres.

Facteurs situationnels

La présence d’un modèle peut augmenter les chances que les gens interviennent en cas de besoin. Bryan et Test (1967) ont remarqué que les automobilistes avaient plus tendance à s’arrêter pour aider une automobiliste en panne s’ils avaient vu une autre personne aidant une femme à changer un pneu 400 mètres avant.

Les gens pressés ont moins tendance de s’arrêter pour aider quelqu’un en détresse, même s’ils viennent de lire la parabole du bon Samaritain (Darley et Batson, 1973). • Les gens qui ont un sentiment de culpabilité ont plus tendance à aider une personne à laquelle il viennent de mentir (McMillen et Austin, 1971).

Facteurs internes

L’humeur influence l’aide. En général, l’humeur négative augmente l’aide chez les adultes mais la diminue chez les enfants (Myers et Lamarche, 1992). Les adultes de bonne humeur ont plus tendance à aider les autres (Isen, Clark et Schwartz, 1976).

L’orientation sur soi ou autrui peut jouer. Face à une situation de détresse, les gens dont l’attention a été portée sur leurs propres réactions plutôt que sur les réactions de la personne souffrante (d’un cancer) avaient moins tendance à apporter de l’aide à une passante immédiatement après (Thompson, Cowan et Rosenhan, 1980). • Les chercheurs ont eu du mal à trouver des indices de personnalité qui prédisent la disposition à aider les autres (Myers et Lamarche, 1992). Cependant, les gens varient systématiquement dans leur tendance à donner de l’aide, ces différences sont stables dans le temps, et peuvent être remarquées par des pairs (Hampson, 1984; Rushton et al. 1981).

Facteurs de personnalité

Les gens dont l’empathie et l’efficacité personnelle sont marquées sont fort probablement des gens serviables (Batson, 1987; Tice et Baumeister, 1985).

Les gens dont “ l’autosurveillance ” est plus forte, étant très à l’affût des attentes des gens, seront plus serviables s’ils croient que l’aide est socialement récompensée (White et Gerstein, 1987).

Les hommes ont plus tendance à apporter de l’aide dans des situations potentiellement dangereuses ou lorsque des étrangers ont besoin d’aide (comme dans le cas d’une crevaison ou une chute dans le métro) alors que les femmes ont plus tendance à apporter le l’aide dans des situations moins dangereuses (comme, par exemple, se porter volontaire pour une expérience ou consacrer du temps aux enfants retardés).

138

Page 139: Py0001x - Sed

35

Enfin, les étudiants très engagés sur le plan religieux consacrent davantage d’heures de bénévolat que les étudiants moins engagés (Beaman, 1973).

2.3- La psychologie sociale de l’altruisme

Le fait que nous ayons tendance à aider ceux qui nous ressemblent et qui sont attrayants implique que ceux qui ont le plus besoin de soutien (les gens sans ressources) ont le moins de chances de se faire aider par ceux qui sont le mieux placés pour le faire – (ceux avec disposant de ressources).

En portant ces connaissances à l’attention des gens, le psychologue social donne aux gens la chance de changer leur comportement. Voici l’une des raisons pour laquelle la psychologie sociale n’est pas comme les sciences naturelles, et peut avoir une vocation morale.

3 –

L’AGRESSIVITE

Les chercheurs différencient deux types d’agressivité: l’agressivité hostile qui est issue de la colère et vise à blesser et l’agressivité instrumentale qui vise aussi à blesser, mais seulement en tant que moyen orienté vers une autre fin (Feshbach, 1970).

Les psychologues sociaux se sont intéressés à trois idées fondamentales en ce

qui concerne la cause de l’agressivité: (1) il y a une pulsion agressive innée, (2) l’agression est la réaction naturelle à la frustration, (3) le comportement agressif est acquis, comme tous les autres comportements.

3.1 –

L’agressivité est-elle innée ?

Vu la très forte variation entre les pays du monde dans leur taux d’homicides, il serait trop facile de dire que l’agressivité ne dépend que des instincts. Cependant, on peut mettre en lumière les bases biologiques de l’agression.

L’agressivité peut avoir une base dans l’hérédité. Lagerspetz (1979) a élevé 26 générations de souris albinos, en accouplant les plus agressives de chaque génération entre elles, et ainsi les moins agressives. A la fin de l’expérience elle avait obtenu une espèce de souris féroces et une autre de souris placides.

Le tempérament d’une personne observée au cours de la petite enfance a tendance à durer (Larsen et Diener, 1987). La réactivité particulière de nos tempéraments est partiellement innée et influencée par la réactivité de notre système nerveux sympathique (Kagan, 1988).

L’agressivité est influencée par des facteurs biochimiques. On estime que le tiers

des 523 000 (!) détenus aux Etats-Unis avaient trop bu d’alcool avant de commettre des viols, des cambriolages et des voies de fait (Desmond, 1987). Une injection de testostérone (l’hormone sexuelle mâle) peut influencer l’agressivité (Moyer, 1983) et les détenus des deux sexes reconnus coupables de crimes violents sans provocation avaient tendance à avoir des taux de testostérone plus élevés que les détenus emprisonnés pour des crimes non-violents (Dabbs et al., 1988).

3.2 – L’agressivité est-elle une réaction à la frustration ?

139

Page 140: Py0001x - Sed

36

Cette hypothèse repose sur l’idée selon laquelle l’agressivité est la réaction à la

frustration (Dollard et al., 1939). L’objet de l’agression peut ne pas être la source de la frustration, ce qui donne lieu au phénomène de déplacement de l’agressivité vers une autre cible illustré par l’histoire de l’homme humilié par son patron et qui réprimande son épouse, laquelle crie après son fils qui donne un coup de pied au chien qui mord le facteur.

Berkowitz (1989) affirme que la frustration ne mène à l’agression que sous certaines conditions. Il pense que l’événement déplaisant éveille un sentiment primitif de peur qui pourrait éveiller soit une réaction de fuite-évitement ou de combat-agression. Ces réactions peuvent susciter des processus cognitifs plus complexes comme les attributions causales, l’identification des sentiments et la maîtrise des sentiments et comportements. Ces processus cognitifs peuvent intervenir avant le déclenchement d’un acte d’agression.

La privation peut entraîner la frustration et donc l’agression. Même si les noirs aux Etats-Unis deviennent de plus et plus riches, leur frustration reste grande si l’écart entre leurs aspirations et leurs réalisations ne change pas (Myers et Lamarche, 1992). Ce phénomène s’explique par le processus de comparaison sociale (Festinger, 1954).

3.3 –

Est-ce que l’agressivité est un comportement acquis ?

• L’agressivité récompensée aura tendance à être répétée (Patterson et al. 1967).

Les techniques de modification comportementale de l’agressivité sont recommandées pour éliminer les comportements agressifs (Pervin, 1988).

Apprentissage par récompenses

• Les travaux de Bandura et al. (1961) montrent l’influence d’un modèle sur

l’agression. Les enfants qui ont vu un adulte s’attaquer à une poupée avec un maillet ont plus tendance à s’emparer du maillet et à s’attaquer à la poupée à leur tour.

Apprentissage par l’observation

•Dodge (1980) a montré que les garçons agressifs avaient plus tendance à

attribuer des événements ambigus des intentions hostiles. Cependant il est possible d’envisager un programme de “ reformation attributionelle ” qui permet aux jeunes agressifs de réinterpréter les actions des autres et de devenir moins agressifs.

Attributions et agression

140

Page 141: Py0001x - Sed

37

3.4 –

Facteurs influençant l’agressivité

La douleur déclenche l’agressivité chez les animaux; Les rats qui ont subi des électrochocs s’attaquent entre eux (Azrin et al. 1966).

La chaleur est corrélée avec la violence aux Etats-Unis. Les émeutes survenues dans 79 villes américaines entre 1967 et 1971 éclatèrent davantage durant les journées chaudes que durant les journées froides (Carlsmith et Aronson, 1979).

Le bruit peut prédisposer les individus à l’agressivité. Il a été montré dans une étude que les personnes ayant entendu un bruit continu sont davantage disposées à donner plus d’électrochocs à des compères que les personnes qui ont entendu le bruit normal du laboratoire (Geen et O’Neal, 1969).

La désindividuation dans une foule peut prédisposer les gens à l’agression. Mullen (1986) a montré que plus grande est la foule pendant un lynchage, plus grande est l’atrocité commise sur la victime.

3.5-

Stimulation de l’agressivité

• Belson (1978) a étudié 1565 garçons londoniens et a trouvé que les garçons qui

regardaient les émissions violentes (sous forme réaliste plutôt qu’en dessins animés) admirent avoir eu des gestes deux fois plus violents aux cours des six mois précédents (par exemple “j’ai brisé le téléphone d’une cabine téléphonique”). Belson a éliminé vingt deux “troisièmes facteurs” (comme la grandeur de la famille) pouvant intervenir comme variables explicatives de cette corrélation émissions violentes -gestes violents.

Télévision et violence

Geen et Tomas (1986) soutiennent que la télévision peut influencer l’agressivité à travers trois mécanismes. Le premier est la stimulation : ce n’est pas le contenu violent en tant que tel qui provoque la violence sociale, mais la stimulation produite par l’action excitante. Le deuxième mécanisme renvoie à la désinhibition : le fait de voir les autres poser un geste antisocial peut diminuer la retenue de l’individu. Le troisième mécanisme est l’imitation (apprentissage social).

CONCLUSION

Dans cette ultime partie du cours, nous venons d’aborder les relations interpersonnelles sous l’angle des déterminants du comportement d’aide. Il faut cependant préciser que les travaux qui se centrent sur ce thème d’étude, s’intéressent également aux conséquences psychologiques d’un tel comportement sur l’aidant et sur l’aidé. A travers l’analyse des déterminants et des effets du comportement d’aide, le psychologue social peut contribuer à la transformation et à l’amélioration des relations entre les personnes. Ce qui amène à être particulièrement attentif à la dimension éthique de l’intervention psychosociale.

141

Page 142: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

142

Page 143: Py0001x - Sed

39

BIBLIOGRAPHIE

Aazi, A.E., Klein, O. (1998). Psychologie sociale et relations intergroupes. Collection “ Les topos ”, Dunod.

Abric, J.C. (1996), Psychologie de la communication. Paris : A. Colin.

Actes du Colloque “ Fonctions des projets dans les restructurations personnelles et sociales ”. Toulouse, Éditions Universitaires du Sud, 1992.

Aebischer, V., Oberlé, D. (1990). Le groupe en Psychologie Sociale. Paris : Dunod.

Alexandre, V. (1996). Les attitudes : définitions et domaine, Des attitudes aux attributions,, J.C. Deschamps et J.L. Beauvois (Eds.), PUG, 23-40.

Amado, G., Guittet, A. (1975). La dynamique des communications dans les groupes. Paris: A. Colin.

Anzieu, D., Martin, J.Y. (1986, 8ème édition). La dynamique des groupes restreints.. Paris: PUF (Edition originale, 1968).

Baubion-Broye, A. (1998). Evénements de vie, transitions et construction de la personne, Edition Erès.

Baubion-Broye, A., Malrieu, P., Tap, P. (1987). L’interstructuration du sujet et des institutions, Bulletin de Psychologie, 379, 435-447.

Cazals-Ferré, M.P., Rossi, P. (1998). Eléments de Psychologie Sociale. Collection Synthèse, Armand Colin.

Codol, J.P. (1981). Une approche cognitive du sentiment d’identité, Social Science Information, 20, 111-136.

Debaty, P. (1967). La mesure des attitudes. PUF, Coll. Le Psychologue.

Deschamps, J.C. (1996). les théories de l’attribution, in Des attitudes aux attributions, J.C. Deschamps, J.L. Beauvois (Eds.), Grenoble :PUG.

Deschamps, J.C., Clémence A. (1990). L’attribution. Causalité et explication au quotidien. Textes De Base en Psychologie, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

Drozda-Senkowska, E. (1996). Psychologie Sociale générale et expérimentale, Introduction à la psychologie sociale, Cl. Tapia (Ed.), Les Editions d’Organisations, 25-89.

Drozda-Senkowska, E. (1998). Psychologie sociale expérimentale, Collection Cursus Psychologie, Armand Colin.

Dubois, N. (1987). La Psychologie du contrôle. Les croyances internes et externes. Grenoble : PUG.

Fischer, G.N. (1987). Les concepts fondamentaux de la Psychologie Sociale. Paris : Dunod.

Fischer, G.N. (1991). Les processus du social. Paris : Dunod.

143

Page 144: Py0001x - Sed

40

Gergen, K.J., Gergen M., Jutras, S. (1981). Psychologie Sociale. Vigot, chap. 5, 141-182.

Jodelet, D. (1984). Représentation Sociale : phénomène, concept et théorie, in Psychologie sociale, S. Moscovici (Ed.), Paris : PUF, 357-378.

Jodelet, D. (1989). Folies et représentations sociales. Paris : PUF.

Lafrenaye, Y. (1994). Les attitudes et le changement des attitudes, Les fondements de la Psychologie Sociale, R.J. Vallerand (Ed.), Montréal : Gaëtan Morin Editeur.

Lévy, A. (1968). Psychologie Sociale, Textes fondamentaux anglais et américains. Paris : Dunod, Tome 2, 498-519.

Lewin, K. (1959). Psychologie dynamique, trad., Paris : PUF.

Leyens, J.P. (1979). Psychologie Sociale. Bruxelles : Mardaga.

Leyens, J.P., Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Stéréotypes et cognition sociale. Bruxelles : Mardaga.

Maisonneuve, J. (1951). La Psychologie Sociale. Que Sais-Je, n°458, PUF.

Maisonneuve, J. (1966). Psychosociologie des affinités. Paris : PUF.

Maisonneuve, J. (1976). La sociométrie et l'étude des relations préférentielles. In P. Fraisse, J; Piaget (Eds.). Traité de psychologie expérimentale, tome 3. Paris : PUF, 217-270.

Maisonneuve, J. (1993, 7ème édition). Introduction à la psychosociologie. Paris: PUF (Edition originale, 1973).

Maisonneuve, J. (1995). L'amitié trente ans après. In G. Mugny, D. Oberlé, & J.L. Beauvois (Eds.), Relations humaines, groupes et influence sociale. Grenoble : PUG, 65-68.

Maisonneuve, J. et Lamy, L. (1993). Psycho-sociologie de l'amiti�. Paris: Presses Universitaires de France.

Malrieu, P., Baubion-Broye, A., Hajjar, V. (1991). Le rôle des œuvres dans la socialisation de l’enfant et de l’adolescent, in La socialisation de l’enfance à l’adolescence, H. Malewska-Peyre, P. Tap (Eds.), Paris : PUF.

Malrieu, P., Malrieu, S. (1973). La socialisation, in Traité de Psychologie de l’Enfant, H. Gratiot-Alphandéry et R. Zazzo (Eds.), Paris :PUF, Tome 5, 163-191.

Marc, E., Picard, D. (1989). L’interaction sociale. Paris : PUF.

Matalon, B. (1996). Les échelles d’attitudes, in Des attitudes aux attributions, J.C. Deschamps, J.L. Beauvois (Eds.), Grenoble : PUG.

Memmi, A. (1982). Le racisme. Paris : Gallimard, coll. Idées.

Monteil, J.M. (1988). Comparaison sociale, stratégies individuelles et médiations socio-cognitives. Un effet de différenciation comportementale dans le champ scolaire, European Journal of Psychology of Education, 3, 3-19.

Moreno, J.L. (1970). Fondements de la sociométrie. Paris : PUF. (Edition originale,

144

Page 145: Py0001x - Sed

41

1954).

Moscovici, S. (1961). La psychanalyse, son image et son public. Paris : PUF.

Moscovici, S. (1973). Introduction à la psychologie sociale. Tomes 1 & 2. Paris: Larousse.

Moscovici, S. (1984). Psychologie Sociale. Paris : PUF.

Mugny, G., Oberlé, D., Beauvois, J.L. (1995) (Eds.), Relations humaines, groupes et influence sociale. Grenoble : PUG.

Myers, D.G. et Lamarche, L. (1992). Psychologie sociale. Montréal: McGraw-Hill. (Chapitres 10,11 et12).

Newcomb, T.M., Turner, R.H., Converse, P.E. (1970). Manuel de Psychologie Sociale. Paris : PUF, ch.4, 103-140.

Paicheler, G. (1985). Psychologie des influences sociales. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

Paicheler, G., Moscovici, S. (1984). Suivisme et conversion, in Psychologie Sociale, S. Moscovici (Ed.), Paris : PUF.

Parrot, F, Richelle, M. (1992). Introduction à la psychologie: histoire et méthodes. Paris : PUF.

Pahlavan, F. (2002). Les conduites agressives. Paris: Armand Colin.

Reuchlin, M. (1957). Histoire de la Psychologie, Que sais-je ?, n° 732, Paris : PUF.

Reuchlin, M. (1969). Les méthodes en Psychologie, Que sais-je ?, n° 1359, Paris : PUF.

Rosenthal, R., Jacobson, L. (1971). Pygmalion à l’école. Tournai: Casterman.

Stoetzel, J. (1963). La Psychologie Sociale. Paris : Flammarion.

Tajfel, H. (1972). La catégorisation sociale, in S. Moscovici (Ed.) Introduction à la Psychologie Sociale (vol.1), Paris : Larousse.

Vallerand, R.J. (1994). Une introduction à la psychologie sociale contemporaine, Les fondements de la Psychologie Sociale, R.J. Vallerand (Ed.), Montréal : Gaëtan Morin Éditeur, 3-52.

Yzerbyt, V., Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui, Une introduction à la cognition sociale. Grenoble : PUG, coll. “ vies sociales ”.

145

Page 146: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

146

Page 147: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail

SED 2012/2013

PY 0001X

secteur

« Psychologie Cognitive »

C. Navarro

147

Page 148: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

148

Page 149: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

3/33

Sommaire

INTRODUCTION - DEFINITION ET CONCEPTION DE BASE DE LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE ........ 5 CHAPITRE 1 - LE BEHAVIORISME : DE L’APPRENTISSAGE ANIMAL (THORNDIKE, PAVLOV) A L’APPRENTISSAGE HUMAIN (WATSON, SKINNER) ........................................................................................... 7

1.1. L’APPRENTISSAGE ANIMAL PAR ESSAIS ET ERREURS : LES TRAVAUX DE THORNDIKE .............................................. 7 1.2. LE CONDITIONNEMENT CLASSIQUE: LES TRAVAUX DE PAVLOV. .............................................................................. 9 1.3. LE BEHAVIORISME EXTREME: L’EDUCATION VUE PAR WATSON. ............................................................................ 10 1.4. LE CONDITIONNEMENT OPERANT DE SKINNER ET SON UTILITE POUR LA FORMATION. ........................................... 11

CHAPITRE 2 - L’INFLUENCE DU STRUCTURALISME COGNITIF EUROPEEN : “GESTALT”, “SCHEMA” ET “SCHEME” ........................................................................................................................................ 13

2.1. LA THEORIE DE LA FORME (GESTALT THEORIE): DE WERTHEIMER A KOEHLER .................................................... 13 2.2. LA NOTION DE “SCHEMA”: LES TRAVAUX DE BARTLETT (1886 - 1969). ................................................................ 15 2.3. LE CONSTRUCTIVISME COGNITIF DE JEAN PIAGET (1896 - 1980). .......................................................................... 17

CHAPITRE 3 - EMERGENCE ET ESSOR DU COGNITIVISME AUX USA: LES “ETATS MENTAUX” COMME OBJET D’ETUDE CHEZ L’ANIMAL ET CHEZ L’HOMME ................................................................ 19

3.1. L’ETUDE DE LA COGNITION ANIMALE: LES TRAVAUX DE TOLMAN. ........................................................................ 19 3.2. LES “STRATEGIES” DANS LA COGNITION HUMAINE : LES TRAVAUX DE BRUNER. ................................................... 21 3.3. MEMOIRE ET STRATEGIES MNESIQUES : LES TRAVAUX DE GEORGE A. MILLER. .................................................... 23

CHAPITRE 4 - L’APPORT DES SCIENCES CONNEXES A LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE : VERS LES SCIENCES COGNITIVES ............................................................................................................................................ 25

4.1. CLAUDE SHANNON ET LA THEORIE MATHEMATIQUE DE LA COMMUNICATION. .................................................... 26 4.2. LA CYBERNETIQUE OU L’INFORMATION AUTO-CONTROLEE: NORBERT WIENER .................................................... 28 4.3. LES DEBUTS DE L’ORDINATEUR ET DE L’I.A.: DE TURING A VON NEUMANN. ........................................................ 29 4.4. LE MODELE DU “TRAITEMENT DE L’INFORMATION” DE HERBERT SIMON (1916 - 2001) ....................................... 32 4.5. LA LINGUISTIQUE: DE LA STRUCTURE SYNTAXIQUE DE CHOMSKY A LA SEMANTIQUE. .......................................... 33

OUVRAGES PRINCIPAUX CONSULTÉS POUR ELABORER CE POLYCOPIE ............................................ 33

149

Page 150: Py0001x - Sed

 

 

 

 

 

 

Connectez-vous sur l’ENT … La plateforme pédagogique IRIS est à votre disposition.

Vous y trouverez : les cours auxquels vous êtes inscrits des ressources en lignes des activités complémentaires des forums de travail et d’échanges

Il est important de vous connecter régulièrement

sur le site du SED pour vous tenir informé des actualités

http://sed.univ-tlse2.fr/ sed  

 

150

Page 151: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

5/33

INTRODUCTION - Définition et conception de base de la Psychologie Cognitive

La psychologie cognitive est définie comme l'étude de la cognition, ou pour reprendre une définition de Launay (2004), comme « l’étude des processus mentaux impliqués dans l'acquisition et l'utilisation des connaissances humaines ». Cette définition souligne la place essentielle qu'occupe la Psychologie Cognitive à l'intérieur de la psychologie scientifique. En effet, même si l’on sait aujourd'hui qu'il existe une cognition animale, une caractéristique fondamentale de l'espèce humaine est sa capacité à penser, à construire et à manipuler des entités mentales (comme construire une image mentale, effectuer un raisonnement dans sa tête) et à partager les produits de cette pensée, que ce soit de façon interindividuelle dans un petit groupe ou collective à travers la culture. En outre, ces cognitions sont à l'oeuvre dans un grand nombre d'activités humaines

. En reprenant Weill-Barais (1993), on dira que le psychologue cognitiviste s'intéresse à la façon dont l'être humain perçoit le monde, dont il communique, dont il conserve des souvenirs et des connaissances, dont il décide, dont il raisonne, dont il résout des problèmes.

Nous sommes loin d'avoir une connaissance complète de la pensée humaine et de son fonctionnement, mais au cours du XXème siècle, de grands progrès ont été accomplis. Ces progrès sont dus notamment à l'adoption d'un même schéma d'analyse et d'un même cadre conceptuel pour analyser les cognitions à l'œuvre: c'est celui du traitement de l'information. Dans ce modèle, les processus cognitifs sont vus comme une succession d'étapes de traitement de l'information. Les individus reçoivent en entrée des informations de l'environnement ; ces informations sont perçues et encodées ; elles font ensuite l'objet de différentes transformations à l'intérieur du système cognitif. Ces transformations, qui peuvent être plus ou moins complexes dans leur traitement, consistent à la fois en opérations de « calculs » (raisonnement), mais aussi en la construction de représentations. Ceci aboutit à une « prise de décision » (consciente ou automatique) opérée par le sujet, prise de décision amenant une dernière étape en « sortie » du système : les actions qui en découlent (exécution), que ces actions soient agies ou simplement pensées, et qui produisent tel résultat ou telle performance. Cet ensemble d’étapes est contrôlé par le sujet humain en fonction de ses buts et s’appuie sur les connaissances en mémoire (à long terme) dont il dispose. Enfin, une régulation peut s’opérer en retour

(rétroaction) pour améliorer le fonctionnement global.

Voici un exemple d’un tel schéma de STI (Système de Traitement d’Information), repris et adapté d’un schéma initial de George (1985).

151

Page 152: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

6/33

Cette façon de concevoir la cognition humaine a plusieurs impacts fondamentaux : A. Contrairement à la philosophie classique ou même aux premiers travaux de psychologie

du début du XXème siècle, la pensée humaine n'est pas conçue comme une collection ou un assemblage de fonctions mentales, mais comme un ensemble coordonné de différents processus mentaux qui interagissent entre eux

. Ce à quoi s'intéresse la psychologie cognitive, c'est à la dynamique du fonctionnement cognitif entre le moment où l'on capte des données (par exemple visuelles) dans notre environnement et le moment où l’on produit une réponse (une action).

B. Ce schéma d'analyse n'est pas spécifique à l'étude de la cognition de l'adulte, sain d'esprit, étudié individuellement, même si de nombreux travaux de psychologie cognitive traitent de cet aspect. Ce schéma sert aussi à analyser le fait que nos connaissances se développent (développement cognitif), le fait que les interactions sociales sont aussi un échange de cognitions (cognitions sociales), le fait que certaines pathologies mentales se manifestent par des détériorations cognitives (psychopathologie cognitive). Dit autrement, la psychologie cognitive est transversale à toute la psychologie

.

C. Contrairement à la philosophie de la connaissance, la psychologie cognitive ne s'intéresse pas prioritairement à la manière idéale dont l'esprit humain pourrait ou devrait fonctionner (c'est le rôle de la logique), mais elle étudie la manière dont l'esprit humain fonctionne réellement dans la vie de tous les jours

. La cognition que l'on étudie n'est pas une pure opération de l'esprit, c’est celle d'individus singuliers aux prises avec un environnement souvent incertain et qui agissent sur cet environnement. Si la psychologie cognitive a parfois recours à la méthode expérimentale en situation de laboratoire pour tester de nouvelles hypothèses relatives au fonctionnement mental, elle cherche toujours à les valider sur le terrain et à en vérifier leur généralisation (validation « écologique »).

D. Parce qu'elle se centre sur les activités mentales de l’individu, inobservables directement, la psychologie cognitive est une psychologie de la subjectivité. En effet, les comportements ne sont pas mécaniquement déterminés par l'environnement, ils sont médiés par un système psychologique interne. L’individu est conçu comme un système organisé, qui initie ses propres conduites. Cette centration sur le sujet n'exclut pas une approche générale de la cognition. Au delà de la variété interindividuelle, la psychologie cognitive recherche des mécanismes généraux communs à tous. Par exemple, les contenus de la mémoire de deux individus sont différents car ils ont une histoire différente ; il reste que les mécanismes

par lesquels ils ont stocké des informations et par lesquels ils peuvent les retrouver sont identiques.

E. Du point de vue de ses méthodes, la psychologie cognitive peut donc mettre en œuvre une méthode clinique aussi bien qu’expérimentale, selon la question posée (la pensée de l’individu particulier qu’on étudie ? ou les mécanismes de pensée de l’espèce humaine ?). Participant à la psychologie scientifique et donc à l’élaboration de la preuve, elle conserve les exigences de positivité à travers l’usage de la méthode expérimentale et des méthodes quantitatives (comme les statistiques). En cela, elle ne se différencie pas d’autres sciences, comme la médecine (rappelons que le médecin Claude Bernard avait défini en son temps la nature et l’usage de la méthode expérimentale en médecine). Mais en tant que psychologue, on ne peut pas se contenter d’établir des lois liant simplement un Stimulus à une Réponse comme l’ont proposé les Behavioristes (cf. Chapitre 1). C’est la liaison « mentale

» entre un Stimulus et une Réponse qui nous intéresse.

Pourtant, si ce propos semble actuellement évident – un psychologue s’intéresse aux états mentaux (pensée) et à leur organisation inobservable directement -, ces propos n’avaient pas cours au sein de certains courants dominants du début du XXème siècle (le Behaviorisme), et contre lesquels lutta la psychologie cognitive. C’est pourquoi il est nécessaire de revenir précisément sur ce courant pour mieux comprendre l’émergence et l’évolution de la Psychologie Cognitive au cours du XXème siècle. C’est l’objet du prochain chapitre.

152

Page 153: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

7/33

Chapitre 1 - Le Behaviorisme : de l’apprentissage animal (Thorndike, Pavlov) à l’apprentissage humain (Watson, Skinner)

Traditionnellement, on écrit que le « behaviorisme » fut fondé en 1913 par J. B. Watson, psychologue américain, lorsque parut dans le journal scientifique Psychological Review un article devenu célèbre et intitulé « La psychologie telle que le behavioriste la voit ». En anticipant quelque peu sur la suite de ce chapitre, il nous suffira de reproduire in extenso les premières phrases de ce paragraphe pour que le lecteur se fasse déjà une idée précise de ce courant de pensée qui allait dominer pendant des dizaines d’années la recherche américaine dans le domaine du comportement animal et humain. « La psychologie telle que le behavioriste la voit est une branche purement objective des sciences naturelles. Son but théorique est la prédiction et le contrôle du comportement. L’introspection ne fait pas partie de ses méthodes essentielles, et la valeur de ses données ne dépend pas de la façon dont elles se prêtent à une interprétation en termes de conscience. Le behavioriste, dans ses efforts pour accéder à un schéma unitaire de réponse animale, ne reconnaît pas de ligne séparant l’homme de l’animal »1

Tout est dit en quelques mots: l’objectif (la prédiction et le contrôle), les fondements psychologiques (l’étude des comportements; pas d’interprétation subjective), la méthode (l’objectivation; pas d’introspection), la population étudiée (l’animal et l’humain sont équivalents). Pour résumer, on dira que le Behavioriste se suffit d’une analyse en termes de « Stimulus Réponse », les états mentaux (intermédiaires) étant jugés, selon les auteurs de référence, au mieux superflus au pire inexistants.

Les idées essentielles de Watson seront présentées plus loin, en particulier dans ses retombées pour l’éducation. Mais il en va souvent ainsi dans le développement des sciences : leur formalisation théorique se fait souvent après leur mise en oeuvre. Il existe donc tout un pan de travaux préalables, portant essentiellement sur le comportement animal, qui ont permis au Behaviorisme de s’affirmer et de prendre peu à peu une position fortement dominatrice. C’est pourquoi on trouvera en premier lieu présentés les travaux de Thorndike (aux USA) et de Pavlov (en Russie) qui seront intégrés dans la conceptualisation de Watson.

1.1. L’apprentissage animal par essais et erreurs : les travaux de Thorndike

Edward Lee THORNDIKE

(1874 - 1949)

Edward Lee Thorndike a été formé par William James aux Etats-Unis. Curieusement, alors que James est considéré comme le pionnier de la psychologie américaine intéressé par les phénomènes de la conscience humaine, Thorndike va consacrer l’essentiel de ses recherches - y compris sous la direction de son maître - à l’étude méticuleuse des comportements observables des animaux, sans se préoccuper de savoir ce qui sous-tend leurs actes. Il va utiliser la méthode expérimentale et inventer des dispositifs permettant d’étudier l’organisation des actions. Dès ses premiers écrits (1898), il considère que l’intelligence animale traduit un apprentissage élémentaire fonctionnant par simples associations.

Prenons un exemple classique à partir de ce qu’on a l’habitude d’appeler les « boîtes à

problèmes ». Il s’agit de cages, mises au point par Thorndike, dans lesquelles on enferme un animal affamé. En dehors de la cage, on dispose de la nourriture. Pour obtenir la nourriture,

1 Le lecteur intéressé par les principes du behaviorisme trouvera l’intégralité de l’article traduit et reproduit en annexe de l’ouvrage de Paicheler (1992).

153

Page 154: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

8/33

l’animal doit découvrir comment déclencher le mécanisme qui ouvrira la porte de la cage. Thorndike cherchait comment se construisait l’apprentissage. Il faisait donc effectuer des essais successifs

Au premier essai, l’animal tourne un moment dans la cage, avant, par hasard, de déclencher le mécanisme d’ouverture de la porte. Au fil des essais, on constate que l’animal met de moins en moins de temps pour trouver la solution, commettant de moins en moins d’erreurs. A la fin, il ne mettra plus que quelques secondes pour sortir. On a créé un apprentissage de type « essais-erreurs ». Mais le plus intéressant est que Thorndike s’aperçoit que la baisse du temps nécessaire pour réussir n’est pas linéaire. En représentant sous forme graphique la série des essais (de l’essai 1 à l’essai N), on obtient une

à l’animal et, pour chaque essai, notait simplement le temps nécessaire à l’ouverture de la porte.

courbe d’apprentissage

très particulière: le gain de temps est très rapide dans les 3 à 4 premiers essais (forte pente de la courbe) et devient quasi nul à partir du cinquième essai (phase de plateau de la courbe). Cette courbe d’apprentissage est devenue très habituelle et se retrouve régulièrement, y compris chez l’homme, dans les apprentissages élémentaires: on n’acquiert pas des habiletés de façon linéaire mais suivant celle découverte par Thorndike.

Voici reproduit un dispositif utilisé

par Thorndike

On y a représenté une « boîte à problème » munie d’un mécanisme à pédale permettant d’ouvrir la porte. On y voit enfermé un chat et en dehors de la cage, deux souris symbolisent la nourriture. Avant de lire la suite, essayez de réfléchir à ce qu’un expérimentaliste peut étudier grâce à un tel dispositif…

Pour rendre compte de ce phénomène, Thorndike va formuler deux lois

• la “

qui expliquent le gain de temps constaté :

loi de l’exercice

• la “

”, qui exprime simplement l’idée d’auto-renforcement puisqu’il est dit que “plus une réponse apparaît, plus grande est sa tendance à sa répétition”;

loi de l’effet”, qui complète la première loi en disant que “plus une réponse a des conséquences positives, plus grand est son renforcement”. C’est cette dernière loi qui va engendrer toute une réflexion dans le monde behavioriste car, pour la première fois, un chercheur explique comment s’établit et se renforce mécaniquement le lien “Stimulus -> Réponse” : par renforcement positif

de la réponse (ou, dit autrement, par conditionnement à base de récompense).

Cette conception est tout à fait dans la lignée de ce que développera plus tard Skinner. Mais le concept de “conditionnement” était par ailleurs, et indépendant des travaux américains de l’époque, étudié par un chercheur russe passé à la postérité: Pavlov.

154

Page 155: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

9/33

1.2. Le conditionnement classique: les travaux de Pavlov.

Ivan Petrovich PAVLOV

(1849 - 1936)

Il est des avancées scientifiques qui sont dues à des résultats imprévus: c’est le cas de Pavlov pour la découverte de ce qui est resté attaché à son nom sous l’appellation courante de « réflexe conditionné ». Mais sait-on que Pavlov, médecin formé à Saint Petersbourg, obtint en 1904 le Prix Nobel de Physiologie et de Médecine pour ses travaux consacrés aux fonctions digestives (découverte de l’innervation du pancréas, par exemple) ? C’est en menant ce type de travaux sur l’animal que l’imprévu se produit: comment se fait-il que le phénomène de salivation se déclenche chez un chien avant même de manger, quelques instants avant la présentation de la nourriture ?

Pavlov ne prête tout d’abord qu’une vague attention à ce constat avant de réaliser que

c’était le bruit des pas

du garçon venu nourrir l’animal qui déclenchait prématurément la salivation. Il existe donc des “conditions” précises permettant l’apparition de ce comportement, sans pour autant supposer une volonté ou une conscience de la part de l’animal : celui-ci a été “conditionné” de façon artificielle (le bruit des pas) et a associé cette “condition” à l’obtention de la nourriture.

Pavlov et ses élèves entreprennent alors une série d’expériences qui resteront célèbres, suivant un protocole en trois temps: • dans un premier temps, on vérifie qu’un chien normalement constitué salive correctement en mangeant et que, par ailleurs, soumis à un stimulus sans aucune signification particulière (une sonnerie, par ex) il n’a pas de réaction particulière sauf une éventuelle surprise au début. On dira que la nourriture constitue le Stimulus Inconditionné (SI), la salivation la Réponse Inconditionnée (RI), et la sonnerie • dans un deuxième temps, on dresse le chien de la façon suivante: on fait entendre la sonnerie, puis on présente au chien la nourriture (il la mange en salivant). En répétant cette séquence SN SI RI un certain nombre de fois, on va créer chez l’animal une association mécanique (régularité dans l’ordre des évènements).

le Stimulus Neutre (SN).

• dans un dernier temps, on vérifie que l’association est ancrée chez le chien: dès qu’il entend la sonnerie (SN), il commence à saliver (RI) alors que la nourriture ne lui est pas encore présentée (SI). Le Stimulus Neutre est devenu un déclencheur artificiel

de la salivation et on le dénomme Stimulus Conditionné (SC). La salivation provoquée sous cette condition est appelée Réponse Conditionnée (RC) ou couramment « Réflexe Conditionné ». On a créé un “raccourci” du type SC RC. Toutefois, si l’on ne présente pas de temps en temps à l’animal la séquence complète SC (SI) RC, alors la salivation à vide va disparaître peu à peu. On a provoqué une “extinction de la réponse conditionnée”.

Ce type de conditionnement est appelé « simple », « classique » ou « répondant ». A la différence de ce qu’on verra dans la conception de Skinner et de ce que nous venons de voir avec Thorndike, l’animal n’a pas d’action particulière à effectuer pour obtenir la récompense, il reste passif

Notons enfin que Pavlov, à partir de ce principe de conditionnement, a étudié la “névrose expérimentale”. Sous certaines conditions, il est possible de perturber fortement un animal. Par exemple, on le conditionne à saliver à l’apparition de la forme géométrique A qui est récompensée par de la nourriture et pas à la forme géométrique B. Ensuite, au fil des essais, on transforme peu à peu une forme jusqu’à ce que les deux formes se ressemblent. Mis dans l’incertitude (saliver ou

. Ainsi, on n’apprend pas à l’animal à “faire le beau” ou à se rouler au sol comme on peut le voir dans les attractions de cirque, dans lesquelles le dressage est actif. Dans les expériences pavloviennes, seul un mécanisme associatif physiologique simple est évoqué (Pavlov tentera d’ailleurs d’élaborer une explication “moderne” du conditionnement en évoquant les raccourcis qui se forment dans les réseaux de neurones).

155

Page 156: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

10/33

ne pas saliver ? that is the question), l’animal devient progressivement agité, anxieux. On peut faire l’analogie avec des situations que l’humain peut vivre, ressenties comme désagréables, mais auxquelles on ne peut échapper quel que soit le comportement A ou B que nous choisissons. Car le conditionnement fonctionne tout aussi bien chez l’humain : il peut être auto-généré (par exemple, peur panique de prendre sa voiture depuis qu’on a eu un accident grave) ou construit artificiellement par autrui – pour le meilleur ou pour le pire, comme nous allons le voir dans la conception de Watson.

1.3. Le behaviorisme extrême: l’éducation vue par Watson.

John Broadus WATSON

(1878 - 1958)

On attribue à Watson la paternité du mouvement behavioriste. Cette paternité est jugée parfois abusive dans la mesure où d’autres écrits existaient déjà sur la question de l’étude rigoureuse des seuls comportements manifestes (par exemple en France, chez Henri Piéron). Mais il est vrai qu’on peut dire que Watson fut le « penseur de la bande », le porte-parole du behaviorisme qui explicita ses fondements et son rôle social. Il commença à effectuer des travaux sur les animaux (les rats, entre autres) avant de considérer l’application du behaviorisme à l’humain (étude des jeunes enfants).

Si l’on a qualifié le behaviorisme de Watson d’extrême, c’est à la fois du point de vue de sa

conception théorique et quant à l’application qu’il en proposait pour l’éducation. • Du point de vue théorique, nous renvoyons l’étudiant au début du chapitre consacré au

behaviorisme pour y relire l’extrait de l’article publié par Watson en 1913 et qui explicite très clairement sa position. Notons en complément que le rejet de toute conscience ou pensée allait jusqu’à lui faire dire que les langages articulés ou intérieurs ne sont que mouvements des muscles de la bouche, de la langue, du larynx. Il en était de même pour les émotions: la peur, par exemple, n’est qu’un mot qui désigne à la fois un ensemble de mouvements (la fuite) et les réactions hormonales associées. Enfin, les habiletés étaient conçues comme de simples associations entre stimulus et réponse, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à une réflexion particulière du sujet en cours d’apprentissage.

On comprendra que l’oeuvre de Pavlov qu’il découvrit vers 1916 lui parut une avancée considérable, car le chercheur russe fournissait la démonstration concrète de ce que Watson formulait en concepts. Si le conditionnement est la clef de l’apprentissage chez l’animal par associations Stimulus-Réponse, il n’est pas interdit de le généraliser au sujet humain puisque la tradition behavioriste n’admet aucune coupure entre l’animal et l’homme. • Du point de vue social, Watson considérait que le behaviorisme - intégrant l’idée de conditionnement de Pavlov - avait un rôle important à jouer dans l’éducation des enfants. En son sens, cette proposition était socialement équitable comme on peut le constater dans un de ses textes en 1925: « Donnez-moi une douzaine d’enfants sains, bien constitués, et l’espèce de monde qu’il me faut pour les élever, et je m’engage, en les prenant au hasard, à les former de manière à en faire un spécialiste de mon choix, médecin, commerçant, juriste et même mendiant ou voleur, indépendamment de leurs talents, penchants, tendances, aptitudes, ainsi que de la profession et de la race de leurs ancêtres ».

Malheureusement, le passage à la pratique laisse dubitatif. Il mena en réalité très peu d’expériences sur la question de l’éducation, et celles qu’on connaît sont peu glorieuses pour son auteur. Ainsi, il parvint expérimentalement à inculquer la phobie du rat blanc à un tout jeune enfant de 11 mois dénommé Albert en le conditionnant de la même manière que le faisait Pavlov avec les chiens (Albert n’était pas conditionné à saliver, non !, mais tout simplement à avoir peur d’un rat blanc et à pleurer). Toujours désireux de respecter ses principes, il éleva “à la dure” ses propres enfants en évitant tout ce qui pouvait détourner ceux-ci d’un apprentissage performant (l’affection

156

Page 157: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

11/33

ou le plaisir étant perçus comme des facteurs perturbant l’efficacité du conditionnement). Dans l’ouvrage de Paicheler (1992), on trouve reproduits des extraits d’un livre écrit par le fils cadet de Watson dans lequel il relate sa triste enfance sous l’autorité d’un couple de behavioristes. A la lecture de ce passage, on ne peut qu’être attristé par la rigidité des méthodes pédagogiques adoptées sous couvert de considérations dites scientifiques. Watson lui-même publia en 1929 un texte décrivant les caractéristiques idéales de l’éducation dans un monde behavioriste. Le conditionnement appliqué à l’humain peut fournir ainsi de déplorables résultats. Mais sous un autre regard, il a pu fournir des pistes plus positives pour l’éducation ou la formation. Nous allons voir cette évolution avec Skinner.

1.4. Le conditionnement opérant de Skinner et son utilité pour la formation.

Burrhus Frederic SKINNER

(1904 - 1990)

A comparer les travaux de Pavlov et de Thorndike, on constate que ce dernier a une conception plus active de l’animal lors du conditionnement: le chat apprend par essais et erreurs, mais c’est le résultat positif de son action qui est au centre du conditionnement. La “bonne réponse“ (déclencher le mécanisme d’ouverture de la porte) est gratifiée par une récompense

C’est une conception semblable que développe Skinner dans ses propres travaux, entrepris sur les animaux, dans lesquels il s’inspire des “boîtes à problème” de Thorndike en en modifiant le principe comme l’illustre plus loin le dessin concernant l’apprentissage du pigeon.

(obtenir la nourriture). C’est ce qu’exprime, comme nous l’avons vu, la loi de l’effet.

On dit du conditionnement étudié par Skinner qu’il est « opérant » ou « instrumental ». Ces

qualificatifs illustrent bien l’idée que l’action même de l’animal (la plupart du temps effectuée à l’aide d’un dispositif) est le moyen d’obtenir un résultat, ce résultat devenant renforçateur (réussite = récompense) ou inhibiteur (échec = aucune récompense). Comme le signalent Mariné et Escribe (2010), l’impact théorique de cette conception pour le behaviorisme fut important car force était de reconnaître que « le comportement est déterminé non seulement par des stimuli antécédents, mais aussi par les événements conséquents

qu'ils procurent ». En tant que behavioriste, Skinner (et encore moins Watson !) ne voulut pas admettre qu’un animal puisse imaginer des évènements futurs liés à la mise en oeuvre ou pas d’une action, aussi se contenta-t-il d’une interprétation à la Thorndike (la “loi de l’effet” suffit).

Expérience classique de Skinner

:

Le dessin reproduit, en coupe, une cage dans laquelle est enfermé un pigeon affamé. Un dispositif de distribution de nourriture s’active automatiquement dès que l’animal effectue la “bonne action” (ici, appuyer avec le bec sur un bouton-poussoir appelé “clé”). L’animal découvre le principe au fur et à mesure des essais. On peut faire apprendre à l’animal des séquences plus élaborées, comme appuyer trois fois sur la clé pour obtenir la nourriture.

Généralisant ses travaux au comportement humain, Skinner chercha à concrétiser l’idée de

conditionnement instrumental dans la mise au point de systèmes d’apprentissage de

157

Page 158: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

12/33

connaissances simples. Il suffit de concevoir la formation comme un lieu où l’on renforce les bonnes réponses. D’après la loi de l’effet, l’apprenant retiendra rapidement les connaissances utiles. C’est ainsi que Skinner conçut les premiers dispositifs d’enseignement programmé

Toutefois, deux réserves de taille sont à faire: en premier lieu, seul le renforcement de la bonne réponse est important pour Skinner ce qui lui a fait ignorer le rôle (utile) de la mauvaise réponse en cours d’apprentissage - celle-ci est considérée simplement comme un comportement non souhaité qu’il s’agit de faire disparaître; en second lieu, l’ordre d’acquisition des connaissances est préétabli et ne permet pas à l’apprenant, comme sur les logiciels pédagogiques actuels, de choisir ses propres réponses et d’être plus libre de naviguer d’une information à une autre.

permettant à tout un chacun d’effectuer son propre apprentissage par renforcement. Pour cela, il a développé une véritable analyse pédagogique en explicitant les principes à suivre : définir les objectifs à atteindre; découper la matière à enseigner en unités logiques; ordonner les questions des plus faciles vers les plus difficiles; les présenter successivement; renforcer les bonnes réponses; vérifier l’acquisition chez l’apprenant. L’enseignement programmé skinnérien a eu un fort développement pendant de longues années, car il confirmait le rôle social (éducatif) d’un behaviorisme appliqué à bon escient. Il est l’ancêtre des actuels EAO (Enseignement Assisté par Ordinateur).

Notons enfin que certaines thérapies comportementales actuelles s’inspirent également des propositions skinneriennes. Dans ce cadre, le thérapeute vise à “déconditionner” un comportement inadapté à une situation particulière, en associant cette situation à un renforcement efficace pour le sujet (une “récompense” ou une “gêne” selon le protocole choisi). La question des raisons du problème ressenti n’est pas traitée, pas plus que les états mentaux (pensée, émotion) qui, eux, sont pris en compte dans les thérapies dites “cognitives”. Mais nous nous éloignons là progressivement des préoccupations initiales du behaviorisme pour entrer dans le cadre plus général et plus actuel de la Psychologie Cognitive. 158

Page 159: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

13/33

Chapitre 2 - L’influence du structuralisme cognitif européen : “Gestalt“, “Schéma” et “Schème”

Alors que la psychologie américaine allait être dominée pendant de longues années par le mouvement behavioriste, l’Europe allait voir émerger trois courants de pensée importants traitant de la nature de l’intelligence. Si les théoriciens de la Gestalt tout comme Jean Piaget sont célèbres pour s’être particulièrement posé des questions structurales (comment c’est fait ?), l’anglais moins connu Frédéric Charles Bartlett s’est préoccupé du fonctionnement au quotidien de nos outils mentaux (comment ça marche ?). Ces trois courants se différencient également sur un continuum inné / acquis comme nous allons le voir.

2.1. La Théorie de la Forme (Gestalt théorie): de Wertheimer à Koehler

Max WERTHEIMER

(1880 - 1943)

Wolfgang KOEHLER

(1887 - 1967) Les idées essentielles des théoriciens de la Gestalt sont celles de “champ” et de “forme”. Le concept de “champ” a été proposé dans les années 10 comme une contre-hypothèse au courant de pensée associationniste qui expliquait la formation de comportements élémentaires, mais aussi complexes, par l’association mécanique d’éléments isolés. Ainsi, le behaviorisme pur et dur est strictement associationniste. L’idée des Gestaltistes est qu’il existe des ensembles organisés (des totalités

) qui ont leur existence propre irréductible aux éléments qui composent ces ensembles. Ainsi, on prend classiquement l’image d’une mélodie de musique : chaque note est l’élément isolé, mais l’harmonie naît d’un ensemble irréductible que constitue la mélodie (la totalité organisée); si je change la mélodie d’un ton, toutes les notes sont modifiées, mais je suis à même de reconnaître la mélodie (la transformation a suivi une règle qui rend possible sa reconnaissance).

Quelles sont les règles permettant de transformer une structure (forme, organisation, …) en une autre (le “champ” immédiat devient un “champ” mieux organisé) ? C’est dans le domaine de la perception que des chercheurs comme Wertheimer déterminèrent ces règles ou ces lois

, qu’on appelle classiquement “lois de la bonne forme” ou “lois d’organisation”. Elles permettent, lorsque nous observons une scène, de déterminer instantanément des informations fondamentales telles que distinguer l’objet du fond ou lui attribuer une allure. Ainsi, nous utilisons des indices de “Symétrie”, de “Proximité”, de “Similitude”, de “Continuité” (ou encore de “Clôture”) dans les premières fractions de seconde où notre regard se pose sur la scène à inspecter, et ce sont ces lois qui nous rendent l’environnement harmonieux et compréhensible.

159

Page 160: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

14/33

En voici deux exemples …

Loi de Symétrie Loi de Continuité

Cet exemple est extrait de l’ouvrage de P. Guillaume paru en 1937. La psychologie de la forme. Paris: Flammarion.

Dans l’exemple de la Symétrie, on perçoit spontanément soit une croix rayée horizontalement sur un fond rayé verticalement, soit le contraire. En fixant la figure, on peut passer d’une perception à une autre instantanément (alternance Fond / Forme), mais il est impossible de les voir en même temps. Leur organisation répond à une “bonne forme”, simple, harmonieuse, équilibrée Dans l’exemple de la

, du fait du caractère symétrique des informations présentées. Continuité

Il est important de signaler que la mise en oeuvre des lois de la Gestalt n’est pas, pour les théoriciens de ce courant, due à une activité volontaire ou apprise par les sujets. Voici quelles critiques en faisait Piaget en 1967: « les lois d’organisation sont conçues comme

, Guillaume signale le cas d’un sujet atteint d’une pathologie du système nerveux central en le comparant à un sujet normal. Alors que nous percevons spontanément une signature raturée, le malade ne peut lire le mot car à chaque intersection il ne sait pas où prolonger son regard. Nous traitons l’information visuelle comme deux “champs” distincts, organisés selon leur logique interne (la Signature + la Rature) alors que le sujet malade en est incapable: la Continuité de la signature n’existe pas pour lui.

indépendantes du développement et par conséquent communes à tous les niveaux (…). Le propre de la Gestalt est de réunir en un tout fonction et structure, sous le nom d’organisation, et de considérer les lois de celles-ci comme invariables (…) La seule différence [entre la Gestalt et l’empirisme classique] est que la doctrine nouvelle remplace les associations par des totalités structurées. Mais, dans les deux cas, l’activité opératoire est dissoute dans le sensible, au profit de la passivité

Les théoriciens de la Gestalt ont généralisé leur propos à toute

des mécanismes automatiques. »

activité intellectuelle, chez l’homme ou l’animal. Ainsi, Koehler a beaucoup étudié le comportement de singes devant résoudre un problème. Il constate que la solution n’émerge pas instantanément la première fois car le singe n’a pas pris en compte les données du problème. Lorsqu’elles sont intégrées dans un “champ”, alors le singe installe un nouveau comportement qui réussit du premier coup. Ainsi, on pourra le voir empiler des caisses en guise d’escabeau afin d’atteindre une banane pendue au plafond, alors que jamais auparavant il n’a manipulé ces caisses en tant que “objets empilables”. Dans ce cas, la “bonne forme” correspond à la solution du problème qui apparaît soudainement comme évidente (“l’insight” ou le déclic), car ses caractéristiques sont “meilleures”, c’est-à-dire plus simples, plus harmonieuses, … Le passage d’une totalité organisée à une autre (d’un champ à un autre) est appelé ici “restructuration Il arrive que certaines données du problème présentent une force telle (une “

” du problème. prégnance”)

qu’elles gênent la restructuration des données du problème en provoquant un blocage du sujet (une “fixité fonctionnelle”). C’est ce qui se passe souvent dans les apprentissages scolaires en mathématiques, géométrie, physique, où l’élève a fait un grand pas en avant s’il réussit à voir autrement le problème posé

.

160

Page 161: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

15/33

Prenons un exemple (ne regardez pas tout de suite la solution)…

Soit un cercle de centre O dans lequel on a tracé deux perpendiculaires passant par O. On positionne 3 points P, Q, R pour former la figure rectangulaire OPQR. Est-il possible de connaître la longueur du segment PR sans effectuer de calculs particuliers ? Réponse: Il faut “voir” PR comme la diagonale du rectangle OPQR. Les diagonales d’un rectangle étant égales, on a PR = OQ. Or, OQ est égale au rayon par construction. Donc PR égale le rayon du cercle, et ce quelle que soit la forme du rectangle OPQR.

De nombreux problèmes ont ainsi été étudiés par les théoriciens de la Gestalt, dont

certains en situation plus naturelle. Ils ont cherché à montrer l’instantanéité du déclic (de l’insight) lorsque les données du problème sont restructurées pour aller vers la solution. Pour eux, les essais et erreurs précédant la découverte ne jouent aucun rôle particulier, et ce point de vue leur sera reproché par la suite (en complément du reproche d’innéité des bonnes formes). Ces deux critiques sont liées, car procéder à l’analyse de ses erreurs suppose que le sujet soit actif et construise progressivement des compétences. Le rôle de l’expérience

était ainsi négligé dans l’émergence de l’Insight, alors que cet aspect est au coeur de la problématique développée par Frédéric Charles Bartlett.

2.2. La notion de “schéma”: les travaux de Bartlett (1886 - 1969).

Sir Frédéric Charles Bartlett a effectué toute sa carrière universitaire en Angleterre. Ses premiers travaux connus (“Remembering”, 1932) portent sur la mémoire, mais à la différence d’Ebbinghaus dont il connaissait les travaux, son projet est beaucoup plus “cognitif” au sens actuel du terme : la prise en compte du contenu signifiant des informations que traite un individu dans sa vie de tous les jours. Si Ebbinghaus au XIXème siècle a cherché à “neutraliser” le plus possible le rôle du sens en étudiant des syllabes sans signification, Bartlett remet cette dimension au coeur du problème en la considérant non pas comme une variable qui serait “parasite”, mais au contraire comme le support essentiel de notre mémoire.

La signification attribuée aux objets de l’environnement et aux mots qui sont dits provient d’une construction éducative, du milieu culturel dans lequel chacun évolue. Sur ce point, nous verrons plus loin à travers les travaux de Jérome Bruner que les préoccupations du fonctionnalisme américain sont tout à fait proches de cette conception du sujet humain. Parmi les méthodes choisies par Bartlett, on cite souvent l’usage du “récit d’histoires” que fait un sujet A (d’une certaine culture) à un sujet B (d’une autre culture) qui devait rappeler ce récit à des intervalles de temps variables. Dans le constat de Bartlett, il y a bien des pertes d’informations avec le temps (à la « Ebbinghaus », pourrait-on dire), mais l’essentiel réside dans la transformation

que fait subir le sujet B à l’histoire. Cette méthode est équivalente à celle utilisée classiquement en Psychologie Sociale dans « le test de la rumeur » - situation dans laquelle on met en évidence un processus de distorsion et de simplification de l’information initiale.

161

Page 162: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

16/33

[A ce sujet, Gardner (1985) signale l’hommage que Bartlett avait rendu à Norbert Wiener pour certaines de ses idées sur ce phénomène. On verra plus loin que les Sciences Cognitives se sont, entre autres, développées autour de travaux sur la Théorie de la Communication, travaux dans lesquels apparaît Wiener. On voit poindre ici cette évolution scientifique dans laquelle des chercheurs de domaines différents, intéressés par la cognition humaine, ont des préoccupations semblables et échangeables] Pour en revenir à Bartlett, une de ses expériences visant à étudier le rôle de la culture était de faire écouter à des sujets occidentaux des contes traditionnels indiens. Manquant de repères, l’histoire que les sujets occidentaux répétaient plus tard était transformée en fonction de leur propre culture, en simplifiant, en modifiant, voire en ignorant des informations contenues dans l’histoire originale. Réitéré à plusieurs reprises, le rappel finissait par être stable en informations, mais très schématique

« [La mémoire] n’est donc presque jamais vraiment exacte, même lorsqu’il s’agit des cas les plus élémentaires de récapitulation machinale, et ce n’est pas du tout important qu’elle soit exacte. Cette attitude est réellement un effet de la capacité que possède notre organisme à mobiliser ses propres “schematas” et est directement liée à la conscience. »

(notion de schema chez Bartlett). La mémoire n’est donc pas une simple chambre d’enregistrement, elle trie les informations en fonction de nos connaissances antérieurement constituées. Voici ce que disait Bartlett dans son ouvrage de 1932 à propos de la mémoire:

A des fins de généralisation sur le fonctionnement de la mémoire, Bartlett et d’autres chercheurs de son école de pensée firent des expériences avec du matériel visuel

Plus tard, Bartlett s’est intéressé au

(et non plus uniquement verbal). Par exemple, on montre à un groupe de sujets une série de formes volontairement ambiguës, chacune assortie d’une dénomination (fournie verbalement par l’expérimentateur); un autre groupe voit la même série de formes, chacune assortie d’une autre dénomination. On constate que le dessin reproduit plus tard par les sujets est plus proche de la dénomination qu’ils ont entendue que de l’allure réelle de la forme. Ils ont “schématisé” la forme perçue en fonction de ce que la dénomination évoquait dans leurs connaissances antérieures.

raisonnement humain

, en soumettant des sujets à de petits problèmes. Dans ce cas également, il a pu montrer que notre façon d’aborder la situation problème dépendait non seulement de la nature de celle-ci, mais aussi de nos orientations préalablement constituées dans notre éducation (scolaire, par exemple). Ainsi, le blocage ressenti parfois lorsqu’on n’arrive pas à voir la solution, interprété par les gestaltistes comme une preuve de “fixité fonctionnelle”, était analysé par Bartlett sous l’angle de l’activation inappropriée de connaissances ou de procédures acquises par ailleurs. Ces deux interprétations sont d’ailleurs, si l’on excepte le cadre théorique de référence, tout à fait proches.

En résumé, si Bartlett aborda les connaissances et le raisonnement humain sous l’angle de “schémas” acquis par la culture, par l’éducation, dans la vie de tous les jours, il s’intéressa davantage aux variations de leur contenu et à leur usage (aspect fonctionnel) qu’à la question de l’architecture et de la construction de tels outils cognitifs chez l’humain (aspect structural). La notion de “schème” développé par Jean Piaget visait à répondre à cette question.

162

Page 163: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

17/33

2.3. Le constructivisme cognitif de Jean Piaget (1896 - 1980).

Jean Piaget, chercheur suisse francophone, est probablement le psychologue le plus connu du grand public avec Sigmund Freud. Ce sont à la fois sa conception des « stades de développement » de l’enfant et les retombées pratiques pour l’éducation des enfants qui lui ont apporté cette médiatisation, alors que sur le plan scientifique c’est sa conception de la construction des outils de connaissance chez l’espèce humaine

C’est pourquoi on peut dire que Piaget ne fut pas en réalité un psychologue de l’enfant, le comportement des enfants n’étant pour lui qu’un moyen d’étude incontournable et pratique. Mais sa théorie eut des retombées pédagogiques utiles.

qui est à retenir, car tel était son projet.

Piaget a montré très tôt sa curiosité intellectuelle puisqu’il publia son premier texte scientifique à 16 ans à propos de … mollusques gastéropodes de certains lacs suisses ! Rien n’indique encore le travail du futur Piaget, et pourtant on y trouve des questions clef: comment classer des variations produites par la nature ? Quel rapport y a-t-il entre des variations génétiques et des variations “conjoncturelles” dues aux caractéristiques de l’environnement immédiat ? Intrigué par ces questions d’évolution, Piaget s’aventura dans le domaine de la biologie pour y chercher des réponses possibles. A l’âge de 18 ans, il utilisait déjà dans ses textes les termes de “stabilité” et “équilibre Dès 1918 (date de sa thèse en sciences naturelles), Piaget cherche à intégrer l’ensemble des dimensions allant du biologique au psychologique. Ayant exploré la première dimension, il se tourne en Suisse vers le psychologue Claparède et en France vers le psychologue Simon (le collaborateur de Binet). En 1921 (il a 25 ans) paraît son premier texte traitant du développement de formes de connaissances chez l’enfant. Piaget ne fait pas que participer aux recherches du laboratoire de Simon, il se distingue de l’approche de Binet en développant une “

” qu’on retrouvera, reformulés, dans toute son oeuvre.

méthode clinique” : questions ou problèmes posés aux enfants donnent lieu à des discussions approfondies (entre observateur et enfant) des solutions proposées, des points négligés, des arguments et des contre-arguments, etc… Frappé par l’originalité des textes de Piaget, Claparède lui offre un poste à Genève. Il y déployera toute son intelligence de chercheur du fait d’un contexte approprié et fera sa carrière (et sa vie) en Suisse. Comme Piaget l’a écrit, il fit un détour par l’enfant pour mieux appréhender les questions liées à l’évolution et à l’adaptation, mais ce détour dura toute sa vie.2

Nous avons insisté sur le tout jeune Piaget pour bien montrer la filiation qu’il faisait entre biologie et psychologie. Mais au troisième millénaire, quels sont les points essentiels à retenir de l’oeuvre de Piaget ? Quelles en sont les limites ?

• Filiation biologie et psychologie: il y a un continuum dû à l’évolution des espèces, car les processus de fond sont les mêmes. Les régulations et adaptations

effectuées par le dispositif biologique sont pareillement réalisées par le dispositif sensori-moteur ou le dispositif mental, même si le support traité change. La LOI générale est la même, celle de la recherche d’un équilibre (équilibration) entre un mécanisme d’assimilation et un mécanisme d’accommodation.

Equilibration et double mécanisme d’assimilation et d’accommodation: face à une situation problème particulière, nous pouvons soit ignorer la situation et ne pas agir en conséquence, soit assimiler les données de la situation à des acquisitions antérieures (dans ce cas, il n’y a pas de réel problème), soit nous accommoder

2 Parmi les écrits innombrables de Piaget, signalons au moins à l’étudiant intéressé le Que Sais-Je (n° 369) écrit en collaboration avec Inhelder en 1966 (La psychologie de l’enfant) et réédité régulièrement depuis.

au réel (c’est-à-dire modifier nos acquisitions antérieures de telle sorte qu’elles prennent en compte le degré de nouveauté rencontré). Pour Piaget, la preuve des capacités adaptatives d’un organisme se trouve dans l’équilibre qui s’établit entre assimilation et accommodation. Mais qu’est-ce qui s’assimile ou s’accommode ? Les schèmes.

163

Page 164: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

18/33

• Schèmes (de l’action à la pensée): l’analyse approfondie du comportement des bébés a permis à Piaget de postuler qu’à partir de schèmes réflexes (c’est-à-dire de comportements de base préétablis) va se créer une diversification de tels schèmes par accommodation, d’abord sous un registre purement agi (sensori-moteur), puis sous une forme représentative (la pensée), enfin sous une forme opératoire (le raisonnement). On reconnait là l’évolution de l’enfant par stades bien connue du grand public3

. La notion de Schème est importante dans la problématique piagétienne. Partant de l’action, Piaget dit que le « schème est la structure ou l’organisation des actions, telles qu’elles se transfèrent ou se généralisent lors de la répétition de cette action dans des circonstances semblables ou analogues ». Un même schème peut donc évoluer de sorte qu’on retrouve son équivalent (fonctionnel) dans l’action, dans la pensée ou dans le raisonnement. C’est ainsi que Piaget a pu dire qu’un schème sensori-moteur est un concept en action, ou qu’un schème opératoire est une action en pensée. Le tableau ci-dessous illustre cette filiation :

Niveau… sensori-moteur opératoire concret opératoire formel Schème d’ordre

bébé tire le tapis, saisit la boite, l’ouvre, prend l’objet.

l’enfant range des crayons par couleur et

par taille.

l’enfant construit des séries mathématiques.

Schème de réunion

bébé entasse des plots devant lui.

l’enfant assemble des objets en les classant.

l’enfant classe des énoncés (père + mère = parents).

Pour en terminer avec ce concept fondamental, notons qu’il se différencie A LA FOIS de la notion de Gestalt et de la notion de Schéma que nous avons présentées plus haut. La Gestalt a un caractère trop innéiste pour plaire à Piaget qui défend une théorie constructiviste

Piaget a testé ses idées lors d’expériences originales sur les bébés, les enfants et les adolescents pendant près de 60 ans. Ses “

et c’est ce que nous avons vu avec sa critique de ce courant de pensée. A l’autre bout du continuum, l’idée d’une simple accumulation d’expériences (telle que formulée dans l’idée de Bartlett, par exemple) ne convient pas non plus à Piaget, car on perd de vue un sujet actif qui utilise des outils de connaissance évoluant avec l’âge et dont l’ordre d’apparition chez l’humain semble établi.

épreuves piagétiennes” sont toujours utilisées, y compris à l’école dans le repérage d’éventuels retards intellectuels chez l’enfant. Sa conception a donné lieu à des réflexions pédagogiques quant à la façon d’apprendre aux enfants. Ainsi, une pédagogie par l’action semble toute indiquée. De même, l’apprentissage de la pensée doit suivre un ordre si l’on veut respecter l’évolution naturelle de l’enfant. Enfin, chose peu connue de l’oeuvre de Piaget, les sollicitations sociales sont importantes pour faciliter et stabiliser les acquisitions: le professeur d’école, les autres élèves, la famille apportent à l’enfant des points de vue variés, éloignés du sien, favorisant le mécanisme d’accommodation

qui est à la base d’un équilibre à un niveau supérieur.

On a reproché à Piaget de traiter uniquement du sujet “logique” au détriment d’autres aspects tels que la motivation, l’affectivité, la socialité. Si ce dernier point est une fausse critique (comme nous venons de l’expliquer), il est vrai que son projet a toujours été de mettre à jour le mécanisme de construction des outils de connaissance de l’espèce humaine. A ce titre, l’affectivité ou la motivation ont, pour Piaget, un rôle de “carburant” pour faire marcher la mécanique de l’intelligence. Pour rester sur cette image automobile, on peut dire qu’effectivement c’est la structure du moteur et ses règles de fonctionnement qui intéressaient vraiment Piaget. Que le moteur roule au gas-oil ou au super …

3 Nous ne développerons pas ici la notion de “stade”. L’étudiant trouvera toute information utile sur ce point dans le cours du secteur de « Psychologie du Développement » dans cette même U.E.

164

Page 165: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

19/33

Chapitre 3 - Emergence et essor du cognitivisme aux USA: les “états mentaux” comme objet d’étude chez l’animal et chez l’homme

Dans la perspective qui se développait en Europe, il est clair qu’une étape importante était franchie: oui, il existe des faits psychologiques sous-jacents (non observables directement) qui structurent, de façon interne, les comportements

Si l’on généralise ce propos, on peut dire que l’idée d’états mentaux internes, parfois non conscients, qui déterminent nos comportements, appartient aussi à des chercheurs comme Sigmund Freud sous une autre orientation théorique (la psychanalyse). Par exemple, on peut dire que sa conception de la structure du sujet humain en différents systèmes articulés que sont le Ca, le Moi et le Sur-Moi, structure déterminant les processus donnant lieu à des comportements observables (normaux ou perturbés), est à considérer comme une des toutes premières modélisations élaborées des “

manifestes. Cette structure ou organisation vise à traiter, réguler et contrôler les informations qui transitent dans “la boîte noire” même si, pour les gestaltistes, elle reste relativement mécanique, non consciente.

états mentaux

Avant de traiter des structures cognitives chez l’homme, nous allons voir tout d’abord comment on a pu les mettre en évidence chez l’animal.

”. A ce titre, il est, à l’égal des Gestaltistes ou de Piaget, un pionnier du « cognitivisme structuraliste ». Le terme « cognitivisme » est pris ici sous son appellation la plus globale.

3.1. L’étude de la cognition animale: les travaux de Tolman.

Edward Chace TOLMAN

(1886 - 1959)

C’est en raisonnant en termes de “structures” mentales à la manière des Gestaltistes dont il connaissait les travaux que Tolman va attaquer le behaviorisme dominant en l’abordant sur son propre terrain: celui de l’étude expérimentale du comportement animal. Pour lui, l’apprentissage ne se fait pas de manière associative entre un Stimulus et une Réponse, mais par l’émergence de nouvelles structures constituées par la (ré)organisation des informations dont dispose l’animal. Cet apprentissage va permettre à l’animal d’acquérir une forme de représentation de la situation, en lui attribuant une signification par rapport à ses besoins.

Voici une expérience de l’époque (Maier, fin des années 20) qui pose la question de la

cognition animale (voir schéma ci-dessous). On apprend à un rat à reconnaître les trajets D E1 et D E2 pour aller boire (ils sont équivalents) ainsi que les trajets directs D N et E1 N pour aller manger. On n’apprend JAMAIS la séquence composite D E1 N.

A la fin de l’apprentissage, on s’assure que les trajets menant à E1 ou E2 sont équivalents pour un rat assoiffé. Pour cela, on constate que, sur un grand nombre d’essais, le rat a choisi de façon égale d’aller en E1 ou en E2. A présent, nous barrons le chemin direct D N (ceci est représenté sur le schéma de gauche par une croix en pointillé) et nous déposons sur la case D le même rat affamé. On constate alors qu’il choisit d’aller en E1 plutôt qu’en E2, même si ce n’est pas systématique.

165

Page 166: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

20/33

Il s’agit effectivement de la seule solution “logique” puisque la case E2 mène à une impasse et qu’elle ne permet pas d’atteindre la case N. Mais le rat a-t-il pensé ? S’est-il représenté mentalement la séquence complète D E1 N qu’il n’avait jamais effectuée comme la “bonne réponse” pour contourner le blocage D N ? Hull, un contradicteur behavioriste à Maier, affirmait qu’il ne s’agissait que de simples associations mécaniques (non mentales, donc) dues à la répétition nécessaire dans le cadre de cet apprentissage: E1 est simultanément connue comme “bonne réponse” à la soif (D E1) et bon point de départ si l’on a faim (E1 N). En outre, le rat a un comportement exploratoire naturel extrêmement développé (c’est pourquoi rats et souris sont utilisés dans de telles expériences) et il ne lui a sans doute pas fallu longtemps pour associer la case E2 à une impasse (aller en E2 = boire + pas d’autres chemins que le retour

).

Face à ces difficultés d’interprétation, et afin d’apporter une réponse claire, Tolman mit au point des expériences restées célèbres. Nous en rapportons une ici parmi les plus classiques qui montre l’existence d’une “anticipation référentielle” chez le rat. Nous reprenons ci-dessous (en caractères italiques) la description du psychologue Pierre Greco4

:

« Quinze rats ont servi de sujets. Au cours de l’apprentissage préliminaire, on constate d’abord, en laissant tous les itinéraires disponibles, que les rats ont vite fait d’adopter le trajet 1, le plus direct et le plus court [pour atteindre la nourriture disposée à l’arrivée]. On barre ensuite ce parcours en A. Les sujets vont jusqu’à l’obstacle, reviennent en arrière jusqu’au carrefour x et prennent l’itinéraire 2 jusqu’au but [préférence établie au bout de quelques essais]. Enfin, on leur fait apprendre 3 en barrant simultanément 1 (en A) et 2 (en C). (…). On passe alors à la situation-test en supprimant les obstacles et en mettant cette fois un obstacle en B. Placés au point de départ, les rats suivent d’abord l’itinéraire 1, se heurtent en B, reviennent en x - et 14 d’entre (sur 15) choisissent alors aussitôt le trajet 3, qui est le bon, et non le trajet 2, qui était pourtant “préféré” à 3 dans l’entraînement préliminaire.

Tout se passe comme si, au cours de cet entraînement, les Rats avaient appris que les itinéraires 1 et 2 ont une partie commune, et comme s’ils “comprenaient” immédiatement, au cours de la situation-test, que B barre cette partie commune, et qu’il est donc inutile d’essayer l’itinéraire 2. On voit en quoi l’on peut parler de raisonnement ou anticipation inférentielle (l’obstruction de 1 par B, sur la partie commune à 1 et 2, “implique” l’obstruction de 2) et d’insight. » Tolman estimait que le rat était orienté vers un but (la réduction d’un besoin) et qu’il attribuait progressivement une signification à la situation à laquelle il était confronté. Notez bien toutefois que cette expérience fut critiquée par d’autres chercheurs, qui ne retrouvèrent pas les mêmes résultats en modifiant légèrement le protocole expérimental. Néanmoins, le nombre de travaux allant dans le sens de l’existence de “structures” intellectuelles chez l’animal s’accrut et s’affina. Elle permit de montrer, par exemple, que dans le domaine spatial le rat se crée effectivement une “carte cognitive” lui permettant d’effectuer en milieu naturel des “conduites de détour” parfois étonnantes, semblables sur certains points à ce que réalise l’humain qui apprend progressivement à se déplacer dans une ville. Cette représentation mentale « interne » joue le rôle de « Variable Intermédiaire

4 Greco, P. (1963). Apprentissage et structures intellectuelles. In P. Fraisse et J. Piaget (Eds.), Traité de Psychologie Expérimentale - volume 7. Paris: PUF.

» entre le Stimulus et la Réponse.

166

Page 167: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

21/33

Si l’on considère qu’en parallèle les travaux des gestaltistes (connus outre Atlantique) analysaient de plus en plus les activités de résolution de problèmes chez les animaux et montraient l’intérêt des “conduites de détour” comme preuve d’intelligence (cf. chapitre précédent), on comprend que le courant du Behaviorisme vit ses bases s’effriter largement avant de connaître peu à peu un abandon généralisé de ses conceptions. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, s’il n’est plus question en psychologie de faire référence à une telle conception, la plus grande prudence s’impose parfois dans l’utilisation que l’on peut faire d’analogies issues de sciences connexes (par exemple, l’analogie Homme-Ordinateur). Revenons aux années 30 puis 40. Si l’on peut établir que l’animal a des “états mentaux” scientifiquement étudiables, alors il est encore plus évident de faire de même avec l’humain qui possède, en outre, le langage pour les exprimer. Les travaux portant sur la cognition humaine avaient déjà montré leur intérêt à travers l’oeuvre de pionniers tels qu’Ebbinghaus ou Binet. Mais mesurer la performance de ces “outils mentaux” que sont la mémoire ou l’intelligence ne préjugeaient en rien de la façon dont ces outils étaient utilisés par un sujet actif (conscient), dans un certain contexte signifiant pour lui, en fonction de ses caractéristiques et de ses besoins. Cette approche fonctionnelle (appelée “fonctionnalisme”) sera représentée aux Etats-Unis par le psychologue Jérome Bruner.

3.2. Les “stratégies” dans la cognition humaine : les travaux de Bruner.

Jérome BRUNER (1915 - )

Ici, lors de sa venue à Toulouse en 2004

On considère souvent Jérome Bruner comme l’un des fondateurs de la psychologie cognitive aux Etats-Unis. Dans son esprit, « les premiers psychologues cognitivistes avaient pour but de découvrir et de comprendre les significations que l’être humain élabore sur sa propre existence et sur le monde qui l’environne. »5 On retrouve là les préoccupations de l’anglais Bartlett sur le comportement humain et de l’américain Tolman sur le comportement animal. Célèbre pour ses travaux sur la pensée de l’enfant et sur l’importance de la culture dans l’acquisition de nos connaissances (les deux étant liées dans les questions de l’éducation), Bruner a commencé ses travaux dans les années 40 en menant des expériences sur l’activité perceptive.

Une des ses premières contributions majeures est un article de 1947 (en collaboration avec Goodman) dans lequel il montre que l’estimation visuelle de la taille d’une pièce de monnaie varie selon l’importance de la valeur de la pièce de monnaie et … selon le milieu social des enfants ! Ainsi, si tous surestiment les pièces, ce sont les enfants de milieu défavorisé qui commettent les erreurs de surestimation les plus importantes. Piaget, dans ses travaux sur l’activité perceptive, montrera plus tard que la perception n’est pas un simple décalque de la réalité mais une construction progressive au cours de l’évolution de l’enfant. Bruner ajoute que les déterminants socioculturels sont facteurs essentiels de construction de la réalité (même sur des tâches élémentaires de jugement perceptif). Actuellement, l’ensemble des psychologues considère que les facteurs étudiés par Bruner sont impliqués directement dans les conduites humaines. Pour rendre compte de façon plus complète de l’activité “pensante”, Bruner tentera de la formuler en termes de “stratégies” que développe un sujet pour atteindre des objectifs dans une situation particulière en fonction de valeurs préalablement établies (cf. à nouveau la ressemblance avec la conception de Bartlett). Cette conception datant des années 50 est évoquée dans la littérature sous l’appellation “Modèle de la Catégorisation” ou “Théorie de l’hypothèse”.

Voici une représentation schématique de cette conception.

5 Revue mensuelle « Sciences Humaines », 1996, n° 67, p. 13 [Entretien avec Jérome Bruner]

167

Page 168: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

22/33

Modèle de Bruner (années 50) liant Valeurs, Hypothèses et Stratégies

Valeurs sociales

et culturelles Valeurs affectives

(traits de personnalité) Valeurs cognitives

(attitudes, connaissances)

Elaboration d’hypothèses (fonction du contexte)

Mise en oeuvre de stratégies

Dans cette conception, le sujet va choisir, utiliser et modifier ses “stratégies” de réponse en fonction des informations que lui fournit la situation problème. Par exemple, s’il choisit une stratégie par essais et erreurs, il mobilisera peu ses connaissances mais devra accepter de consacrer beaucoup de temps pour tenter de trouver la solution (qu’il risque au demeurant de ne jamais atteindre). Inversement, s’il mobilise toutes ses capacités à réfléchir aux moyens possibles avant d’agir, le “coût” mental sera élevé du fait de la nécessité de calculs préalables et de planification, mais le gain en temps ou en nombre d’actions sera appréciable et la solution atteignable. C’est le système de valeurs du sujet qui détermine le choix et la modification éventuelle de ses stratégies, dans le contexte dans lequel il agit. Un exemple permettra de mieux comprendre l’importance des hypothèses préalables, elles-mêmes dépendantes du système de valeurs du sujet. Considérez l’image ci-après.

En y jetant un coup d’oeil furtif, on ne voit que tâches noires dispersées de façon non aléatoire sur un fond grisâtre. A mieux y regarder, la solution “saute aux yeux” (l’insight des Gestaltistes) car les zones sombres s’organisent en ensembles signifiants. Il s’agit de la photographie surexposée d’un chien dalmatien reniflant le sol près d’un arbre. Instantanément, on passe d’une hypothèse perceptive faiblement organisée à une autre fortement structurée, sous l’influence du contexte (ça représente forcément quelque chose) et de nos connaissances antérieures (types de chiens; jeux d’ombre; …).

Les idées essentielles de Bruner furent publiées en 1956 dans un livre intitulé A study of thinking et considéré depuis comme marquant le début de la période forte du cognitivisme, qui ne

168

Page 169: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

23/33

tardera pas à fusionner avec d’autres champs de recherche sous l’appellation Sciences Cognitives. Mais, déçu par certaines orientations trop “mécanistes” de ce courant, Bruner s’en éloignera pour se consacrer aux questions de l’éducation de l’enfant et aux effets de la culture sur l’acquisition des connaissances.

3.3. Mémoire, attention et stratégies mnésiques : les travaux de Miller et Broadbent.

L’année même (1956) où Bruner publiait son célèbre ouvrage que nous venons d’évoquer, Georges Miller fit paraître un article dans le journal scientifique Psychological Review qui relatait ses travaux sur les capacités de la mémoire humaine

Au XIXème siècle, les travaux précurseurs d’Ebbinghaus avaient déjà montré ce phénomène, mais Miller apportait, outre une démarche expérimentale irréprochable, un complément qu’avait éliminé son prédécesseur:

. Il montrait qu’un individu normalement constitué ne pouvait pas garder en tête l’ensemble des informations qui lui parvenaient car la capacité humaine (de ce qu’on appelle communément « Mémoire à Court Terme » ou en abrégé MCT) est limitée en taille et en durée.

le contenu ou la signification de ces informations

Quant à

et, en conséquence, l’usage possible de stratégies mnésiques prenant en compte cette dimension.

la taille de cette MCT, Miller a montré qu’au delà d’une quantité estimée à sept informations distinctes (plus ou moins deux, du fait de la variabilité humaine), des erreurs se produisaient dans le rappel demandé au sujet. Ajoutons que la MCT a une durée de vie limitée: les informations en cours sont maintenues quelques minutes, à moins qu’un processus d’ancrage en Mémoire à Long Terme (MLT) soit volontairement effectué. Prenons comme exemple le numéro de téléphone d’un restaurant que quelqu’un vous a donné oralement et que vous répétez à voix haute avant de l’inscrire sur une feuille de papier. Une fois inscrit, et s’il ne présente pas d’utilité particulière pour vous, il est fort probable que vous l’aurez effacé de votre mémoire quelques instants plus tard. La MCT travaille dans le provisoire de l’action en cours

.

La MCT paraît donc très limitée. En réalité, elle est plus efficace que ce que sa seule limite quantitative laisse penser, car d’autres processus viennent la « soutenir ». Deux sont fréquemment évoqués dans la littérature, l’un lié à l’orientation de l’attention (Broadbent), l’autre à l’élaboration de stratégies mnésiques

(Miller).

En ce qui concerne le premier processus, Broadbent (1958)6 a montré l’importance de l’attention dans le traitement de l’information ; il a élaboré un modèle dans lequel un « filtre sélectif » ne laisse passer que quelques informations (à forte probabilité d’utilité) qui sont ensuite traitées et utilisées. Il y a donc bien une perte (une limite) à l’entrée, mais cette perte est fonctionnelle ; cela signifie qu’il y a focalisation de l’attention

sur certaines propriétés des stimuli au détriment d’autres stimuli, ce qui soulage la « charge mentale » de traitement du sujet humain.

De son côté, l’apport de Miller n’est pas seulement quantitatif (7±2), mais aussi - et surtout - qualitatif. En effet, qu’est-ce qu’une information en MCT ? S’il s’agit d’une unité mnésique autonome, dont le contenu ne peut pas être mis en relation avec d’autres unités mnésiques, alors la MCT est effectivement très limitée ! Mais dans la très grande majorité des cas, une information en MCT équivaut non pas à une unité élémentaire mais à un ensemble d’informations ayant un rapport (lexical, sémantique) entre elles. Cet ensemble, ce “bloc“, est appelé souvent “Chunk

” selon l’expression de Miller toujours en usage y compris dans la littérature francophone.

Prenons une illustration gracieusement offerte par mon collègue Christian Escribe …

6 Broadbent, D.E. (1958). Perception and Communication. London: Pergamon Press.

169

Page 170: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

24/33

Ce téléski ne peut contenir qu’un volume de 7 skieurs amenés par unité et à la queue leu leu, d’où encombrement au départ (rappel : la MCT est limitée en taille et son traitement est séquentiel). L’abîme de l’oubli représente bien sûr la volatilité des informations en MCT (durée très courte). Mais il existe des télésièges de 4 places voire plus qui embarquent plusieurs unités à la fois

. Ce regroupement est analogue à un “chunk”.

Ainsi, si 7 syllabes sans signification d’Ebbinghaus saturent la MCT du fait de l’absence possible de relation entre ces syllabes (7 syllabes = 7 chunks), elles peuvent constituer moins de chunks (voire un seul) si elles sont associables. Comment sont-elles associables ? en fonction de leur contenu, le sujet peut repérer des régularités, des consonances, des significations particulières, etc…

Nous entrons là dans les stratégies mnésiques

Miller a beaucoup insisté sur cette

évoquées dans le titre, et qui parfois donnent lieu à des prouesses extraordinaires de certains sujets particulièrement habiles. Plus simplement, si l’on reprend l’exemple du téléphone, il est probable que vous allez le répéter en associant les chiffres par deux (chunk = par dizaine) et non pas un par un (chunk = par unité). Vous utilisez votre capacité de comptage pour diminuer par deux votre charge mnésique. Pour un numéro de téléphone actuel à dix chiffres, vous avez donc besoin de stocker provisoirement 5 chunks au lieu de 10. Vous pouvez également vous représenter ces chiffres en dizaines comme des numéros de départements français.

capacité de reconstruction

des informations à mémoriser, y compris sur le plan langagier: « Ce type de recodage linguistique que l’on effectue me paraît l’élément vital des processus de la pensée » disait-il dans l’article déjà cité.

Nous nous permettrons de remarquer ici la relation importante suggérée entre MLT et MCT, à la fois dans le modèle de Broadbent et dans celui de Miller, dans la mesure où la richesse des informations contenues dans le « réservoir limité » de la MCT est fortement liée aux informations stockées en MLT qui sont activables (évocables) dans le contexte de l’action en cours. Ceci transparait au demeurant dans la notion même de « Chunk » puisque cette stratégie suppose nécessairement d’activer des connaissances en MLT afin de gérer plus aisément le flux informationnel en MCT. Le concept de « Mémoire de Travail

» a été créé pour rendre compte de cette nouvelle façon de décrire le fonctionnement de la mémoire mettant en relation instantanée MCT et MLT. Mais ce terme est toutefois souvent pris - abusivement pour les puristes - comme un simple synonyme de MCT au sens traditionnel du terme (maintien bref d’informations dans un réservoir à capacité limitée).

Pour l’histoire, notons qu’au début des années 60 Miller créa avec Bruner, dont nous avons parlé précédemment, le premier Centre d’Etudes Cognitives à Harvard. Il réunissait des chercheurs d’horizons différents intéressés par la cognition humaine sous tous ses aspects (y compris la motivation, la créativité). Si l’on ajoute qu’en parallèle les débuts de l’informatique amenaient des ingénieurs novateurs à se demander comment simuler l’intelligence humaine sur une machine, on a réuni là l’essentiel des ingrédients qui ont permis le développement des « Sciences Cognitives » à partir des années 60.

170

Page 171: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

25/33

Chapitre 4 - L’apport des sciences connexes à la Psychologie Cognitive : vers les Sciences Cognitives

C'est un mouvement général de différentes disciplines intéressées par la cognition humaine qui amena progressivement des contacts et des recherches interdisciplinaires dans les années 50 avant de voir s’amplifier dans les années 60 et 70 ce qu’actuellement on appelle les « Sciences Cognitives ». Par « Sciences Cognitives » (au pluriel), il faut certes entendre pluralité de disciplines originellement distinctes (par exemple, psychologie cognitive et informatique), mais en contrepartie un point focal partagé sur un objet qui serait de l’ordre de la connaissance et de l’application : connaissance de l’esprit humain sous tous ses aspects (neuronal, psychologique, social), application par sa simulation à travers un dispositif technique particulier. Tous les chercheurs participant à ce courant ne visent pas à couvrir l’intégralité de cette définition, mais c’est de leurs échanges, études communes, critiques, etc …, que le cap ainsi défini se précise.

Pour plus d’informations sur les Sciences Cognitives (histoire et actualité), nous pouvons renvoyer l’étudiant au gros ouvrage très complet et agréable à lire de Gardner (1985) ou, avec un regard de philosophe, au petit fascicule de Ganascia (1996)7

.

On peut schématiser ainsi les relations historiques, au sein des Sciences Cognitives, entre la Psychologie Cognitive et les sciences connexes.

Nous verrons dans les pages suivantes l’importance de ces disciplines pour la psychologie cognitive et l’apport décisif de certains pionniers visionnaires.

7 Ouvrage spécialisé non cité dans la bibliographie … Ganascia, J.-G. (1996). Les sciences cognitives. Paris: Flammarion (collection Dominos).

171

Page 172: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

26/33

4.1. Claude Shannon et la Théorie Mathématique de la Communication.

Claude SHANNON

(1916 - 2001)

Mathématicien américain, Claude Shannon publia dès 1938 un article dans lequel il propose une analyse “symbolique” des systèmes électriques de communication. Celle-ci est conçue comme un système binaire

En généralisant son propos, on peut dire que Shannon estimait possible d’écrire de la sorte

(Oui/Non) permettant qu’un influx se transmette ou pas. On peut sur cette base obtenir des machines relativement sophistiquées, mais dans lesquelles chaque opération fonctionne sur ce principe élémentaire. Pour Shannon, de telles machines étaient susceptibles d’effectuer des calculs logiques, car ceux-ci sont aisément décomposables en opérations élémentaires binaires.

une suite logique d’instructions à une machine, conçue pour exécuter ces instructions. On voit apparaître l’idée de principe des “programmes informatiques” tels qu’ils se développèrent plus tard.

Nous verrons que de son côté l’anglais Turing exprimait des idées semblables. En quoi ces idées ont-elles un rapport avec la cognition humaine ?

Tout d’abord, on montrera quelques années plus tard que la transmission des informations qu’effectue notre cerveau est, à la base, réglée de cette façon. En 1943, Warren Mc Culloch et Walter Pitts publièrent un article scientifique relatant leurs travaux sur le fonctionnement des cellules nerveuses. Ils décrivirent le fonctionnement du neurone en termes binaires (excitation / non excitation) et appliquèrent un tel modèle à un niveau plus complexe d’ensembles de neurones (des “réseaux de neurones

Par ailleurs, on savait que les capacités de traitement instantané de l’information étaient limitées chez l’homme. Nous l’avons vu avec le précurseur Ebbinghaus lorsqu’en travaillant sur le phénomène de l’oubli il découvrit bien avant Miller “l’empan” de la Mémoire à Court Terme (environ 7 informations en MCT). Si la MCT est limitée, n’est-ce pas une question de

”). L’analogie machine [informatique] et humain [information] prenait corps.

saturation du canal

dans le traitement des informations ? En effet, celles-ci doivent être traduites en mode binaire (codage) avant d’être transmises de façon séquentielle (bit après bit, pour prendre un terme informatique inventé en 1949 par John Tukey). Là aussi, l’analogie entre le fonctionnement humain et celui de la machine devenait possible.

A partir de cette double réflexion (la communication se transmet séquentiellement en mode binaire / le canal de traitement est limité), Shannon poursuivit ses travaux en s’associant avec Warren Weaver. En 1949, tous deux publièrent un ouvrage devenu un classique (The mathematical theory of communication) dans lequel ils proposèrent un modèle général d’un système de communication

, qu’il soit humain ou non. Ce modèle inspira pour longtemps les psychologues cognitivistes et sociaux intéressés par l’étude des communications. Nous le représentons ci-après.

172

Page 173: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

27/33

Modèle proposé par Shannon et Weaver (1949) pour rendre compte des principes fondamentaux d’un système de communication

La structure linéaire et le contenu de ce schéma sont facilement compréhensibles. La seule précision qu’il nous faut apporter est relative au concept de “Bruit” qu’il ne faut pas prendre dans son sens commun. De façon générale (homme ou machine), il s’agit de “parasitage” du message par ajout de données non contenues dans l’information initiale, ce qui peut altérer plus ou moins fortement la reconstitution de l’information

par le destinataire. Le phénomène des “rumeurs” étudié par les psychologues peut être analysé sous cet angle (la question étant: quel est le bruit ? sa nature, son origine ?).

La notion d’information eut un écho important en psychologie cognitive, en particulier dans des situations de résolution de problèmes sous incertitude. Dans ce cas de figure en effet, on considère que l’information la plus grande est celle qui réduit le plus l’incertitude

. En se référant au modèle binaire de Shannon, une unité d’information est ce qui permet de diminuer par deux les choix possibles (par exemple: tourner à gauche ou à droite si les deux choix sont équivalents; répondre Oui ou Non à une question dont on ignore totalement la réponse). Notez bien qu’ici l’information n’est PLUS relative à son contenu, mais quel que soit le contenu à la PROCÉDURE permettant la réduction de l’incertitude (stratégie de résolution de problème).

Dans les années 40 et 50, Shannon participa aux réflexions d’un groupe de mathématiciens, ingénieurs, psychologues, etc… dont l’objet touchait à des préoccupations proches. Connues sous le nom de « Conférences Macy », il s’agissait de réflexions sur le fonctionnement cognitif de l’humain et de son applicabilité, et ces réunions sont souvent présentées comme préparant l’acte fondateur des Sciences Cognitives que l’on situe généralement en 1956. Leur centre d’intérêt s’exprimait à l’époque sous l’appellation « Cybernétique », comme nous allons le voir ci-après.

173

Page 174: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

28/33

4.2. La cybernétique ou l’information autocontrôlée: Norbert Wiener

Norbert WIENER

(1894 - 1964)

L’année même où parut l’article de Mc Culloch et Pitts que nous avons évoqué précédemment (1943), Norbert Wiener exprima dans un texte écrit avec Rosenblueth et Bigelow une approche originale de la théorie de l’information appliquée à … l’amélioration de la défense anti-aérienne ! Rappelons que nous étions alors en pleine deuxième Guerre Mondiale. Il s’agissait de résoudre un problème essentiel, à savoir l’ajustement permanent que doit effectuer un projectile (missile) pour atteindre une cible qui est en mouvement. Il est effectivement crucial de “Diriger” (une trajectoire) pour reprendre l’étymologie du mot CybernétiqueBien que le propos semble fort éloigné de l’étude du fonctionnement humain, c’est pourtant ce dernier qui inspira Wiener dans sa conception de la cybernétique.

.

Dans son ouvrage très détaillé relatant les fameuses « Conférences Macy » marquant le début des Sciences Cognitives, Dupuy (1994)8 signale que Wiener connaissait bien les travaux sur l’homéostasie de l’organisme humain [Maintien à un niveau constant, par les organismes vivants, des caractéristiques internes (températures, concentrations des substances, etc.) - Définition du Petit Larousse Illustré 2004]. Ne pouvait-on pas emprunter l’idée que l’organisme est capable de s’autoréguler

C’est ce à quoi est consacré l’article cité. On y trouve exprimé le modèle de base de la cybernétique à travers les concepts fondamentaux de but (en anglais: purpose) et de boucle de rétroaction (en anglais: feedback qui est devenu le terme consacré même en français). Ainsi, un missile tiré pour détruire une cible possède un objectif invariant (la cible) qui est mouvante (contraintes du problème), ce qui suppose un

face à des variations détectées, afin de maintenir constante (et efficace) sa performance ?

mécanisme de régulation

Pour prendre un autre exemple concret, on cite traditionnellement le fonctionnement du thermostat qui permet de réguler la température d’une pièce d’habitation. Lorsque le dispositif détecte un écart significatif de la température ambiante par rapport à la température souhaitée, il déclenche une variation du débit du chauffage. Lorsque l’écart est minime, il maintient le fonctionnement en cours.

par ajustement permanent. Cet ajustement se fait par la réduction de l’écart constaté entre la position/direction de la cible et la position/direction du missile, ceci en temps réel jusqu’à l’atteinte de la cible.

Les notions de régulation et de feedback eurent un impact majeur chez les psychologues intéressés par les théories de l’information, car elles permettaient de passer à une théorie de la communication

Dans d’autres secteurs de la Psychologie - et nous dirons volontiers dans l’ensemble de la Psychologie -,

. En effet, on peut considérer que le modèle de Shannon tel qu’il est schématisé précédemment est incomplet dans la mesure où aucun mécanisme d’ajustement n’est évoqué. Or, dans la communication humaine entre deux individus, la question n’est pas seulement de transmettre des informations de A vers B à l’aide d’un canal particulier, mais (surtout) d’utiliser des informations provenant des effets produits sur l’interlocuteur pour réguler le cours de l’échange. Ce feedback nécessaire permet alors de parler réellement de communication, car il traduit la nature sociale de l’homme à travers l’idée d’ajustements mutuels permanents.

l’idée de régulation est désormais acquise du fait du caractère actif qu’elle donne à l’homme

8 Ouvrage spécialisé non cité dans la bibliographie …

. C’est ainsi que Piaget a utilisé la même conception dans son modèle de l’équilibration, ou que dans le domaine de la psychologie du travail on trouve immanquablement des boucles de rétroaction dans chaque schéma traitant de l’activité de l’homme au travail (les propositions les plus connues étant celles de Faverge ou de Leplat).

Dupuy, J.-P. (1994). Aux origines des sciences cognitives. Paris: La Découverte.

174

Page 175: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

29/33

Mais la cybernétique de Wiener supposait-elle vraiment une activité (du dispositif ou de l’humain) visant une certaine finalité

Toutefois, si l’on donne au feedback tout son sens, il est désormais admis qu’il définit chez l’homme non pas un mécanisme associatif et passif, mais au contraire

? Y a-t-il réellement un pilote dans l’avion ? A vrai dire, on peut imaginer un « behavioriste cybernéticien » qui se contenterait de décrire les stimuli traités et les réponses apportées progressivement sans évoquer le moindre processus interne. Le chauffage n’a pas une finalité qui serait d’augmenter la température, il traite de façon binaire une information qui lui parvient en feedback (la température mesurée est: correcte / trop faible), ce qui déclenche un mécanisme le cas échéant. On trouve d’ailleurs les prémisses d’un feedback élémentaire dans la conception behavioriste de Thorndike (et de Skinner), même si le renforcement se fait uniquement par obtention d’une récompense à l’action correcte (feedback seulement positif).

une forme délibérée de contrôle de l’activité

Un exemple concret d’application du TOTE est fourni dans l’ouvrage de Mariné et Escribe (2010) à propos du jeu de pétanque. Notre exemple du thermostat de chauffage en est un autre possible. En règle générale,

, celle-ci pouvant éventuellement devenir automatisée. C’est ainsi qu’en 1960 les psychologues Miller, Galanter et Pribram [le Miller déjà évoqué] adaptèrent le modèle de Wiener au comportement humain afin d’élaborer une construction théorique permettant de rejeter définitivement tout behaviorisme, en intégrant l’idée de régulation ou d’ajustement. Le mécanisme complet est appelé TOTE (Test-Operate-Test-Exit) et intègre les phases de Test (comparaison des écarts), Operate (action ajustée), Exit (atteinte de l’objectif). L’action évoquée peut être bien entendu purement mentale, comme lorsque le sujet résout un problème dans sa tête.

toute situation supposant un ajustement permanent

afin d’atteindre l’état souhaité est parfaitement représentable sous forme de TOTE.

La cybernétique n’apparaît plus actuellement comme un champ de recherche spécifique. Elle ne fut pas rejetée sur le fond, bien au contraire, mais les notions qu’elle mit en avant connurent un tel succès qu’elles furent reprises dans des courants de pensée plus ambitieux et plus modernes (tels que l’Intelligence Artificielle). C’est ce succès qui la fit se diluer dans d’autres disciplines et perdre progressivement son identité. Sans doute la rançon de la gloire.

4.3. Les débuts de l’ordinateur et de l’I.A.: de Turing à Von Neumann.

Alan Turing (1912 – 1954)

John Von Neumann (1903 – 1957)

• Alan Turing est anglais et s’est intéressé très jeune aux mathématiques (étude à

Cambridge). Après un séjour aux USA à Princeton comme assistant de Von Neumann, il revient en Angleterre où la guerre mondiale 39-45 l’amène à utiliser ses connaissances dans le cadre du service de décodage des messages radios des sous-marins allemands. Il rencontrera pendant la guerre Claude Shannon sur ces questions, du fait de l’intérêt que pouvait présenter la Théorie de l’Information. Dès la fin de la guerre, il réfléchit à un “cerveau artificiel”, c’est-à-dire à une machine capable de procéder à un certain nombre d’opérations complexes. Ceci l’amènera à concevoir les

175

Page 176: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

30/33

premiers prototypes d’ordinateur

En 1950, Turing affirme qu’une machine suffisamment bien programmée pourrait fournir des réponses tellement semblables à celle d’un humain que quelqu’un à distance ne saurait pas s’il a affaire à un comportement naturel ou artificiel. Cette proposition, toujours actuelle, est connue sous le nom de “test de Turing”. Elle annonce

, concrétisation de sa machine (appelée depuis “machine de Turing”) dont les principes théoriques de fonctionnement avaient été formulés dès 1936. On voit ici le rapprochement avec les idées exprimées en 1938 par Shannon quant à la conception de ce type de machines.

l’arrivée de l’Intelligence Artificielle (I.A.) dont on situe généralement le début en 1956, après sa mort survenue précocement par suicide.9

L’analogie que fait Turing entre l’homme et l’ordinateur est profonde. Ainsi, il trace une équivalence entre états mentaux humains (pensées élémentaires) et états de la machine (lorsque celle-ci a effectué un ensemble d’opérations, son “état” a changé, ce qui rend possible la mise en oeuvre d’autres opérations). De même, les règles (programmes) au sein de la machine correspondent aux procédures (succession d’actions planifiées) mises en oeuvre par l’humain. C’est cette métaphore de l’ordinateur qui, selon les chercheurs, va les faire soit emplir d’admiration devant le défi que représente la simulation de l’homme, soit protester devant la réduction des états mentaux humains à de simples états symboliques (mathématiquement exprimables) liés entre eux par des programmes (règles). La majeure partie des psychologues cognitivistes actuels restent perplexes devant la valeur de cette analogie qui ne prend en compte que quelques éléments suffisamment élémentaires pour être facilement programmables.

A l’époque, le choc d’une telle approche fut grand. Mais elle apparut dans un contexte où les esprits étaient préparés à ce type d’évolution (liens avec Shannon, Von Neumann) et où des progrès théoriques et techniques se développaient dans les mathématiques appliquées à la conception d’outils. Nous allons le voir en complément avec les travaux de John Von Neumann.

• John Von Neumann est considéré comme l’un des plus grands mathématiciens du XXème siècle et un pionnier de la conception des ordinateurs. Né en Hongrie, il commence à exercer comme universitaire en Allemagne à la fin des années 20. En 1930, il part aux USA (Université de Princeton) où il s’établit définitivement. Dans le cadre de ses travaux importants sur l’hydrodynamique et l’interaction des ondes de choc - la conception de la bombe atomique était en préparation -, il participa à la mise au point d’une machine capable d’effectuer un nombre gigantesque de calculs (pour l’époque !). Si l’ENIAC (le premier ordinateur, plutôt la première grosse calculette) est la création de Eckert et Mauchly, la modification de cette machine grâce à l’enregistrement en mémoire de réels programmes (l’EDVAC) est de son fait en 1945. On peut dire que Von Neumann réussit à concrétiser la machine théorique de Turing Après la guerre, il participa davantage à des activités de conseiller. Nommé membre du Commissariat Américain à l’Energie Atomique en 1955, il ne put prolonger ses activités du fait d’un cancer des os qui allait l’emporter deux ans plus tard. Il continua à écrire jusqu’au bout, et c’est dans le cadre de la préparation de séries de conférences (Conférences Silliman) qu’il traça le bilan de ses réflexions. Celui-ci parut sous forme d’ouvrage en 1958, après sa mort.

.

10

Au cours de la deuxième guerre mondiale, sa rencontre avec Oskar Morgenstern le fit réfléchir à la modélisation (mathématique) de la prise de décision humaine en économie. Il publia avec lui en 1944 un ouvrage intitulé Théorie des jeux et comportement économique qui est resté célèbre car il pose les bases de

l’analyse stratégique de la prise de décision

. Les ouvrages de Psychologie traitant des « Décisions » présentent des informations sur ce type d’approche. Nous ne développerons pas davantage cet aspect ici dans la mesure où il n’est pas représentatif de l’oeuvre de Von Neumann, même si cette approche est fondamentale ! Mais il en est ainsi des génies qui parfois ne font que jeter un coup d’oeil tout en révolutionnant la vision des choses.

Dans son ouvrage posthume, on trouve explicité les similitudes qu’il établit entre l’homme et la machine. En premier lieu, le fonctionnement des neurones 9 Pour plus d’informations sur la vie et l’oeuvre de Turing, nous renvoyons à l’excellent ouvrage de Andrew Hodges (1983; ed. française 1988), Alan Turing ou l’énigme de l’intelligence. Paris: Payot.

est un argument de poids. Nous

10 Ouvrage traduit tardivement en français en 1996: L’ordinateur et le cerveau. Paris: Flammarion.

176

Page 177: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

31/33

avons vu plus haut que le principe binaire de la transmission de l’influx était connu depuis 1943. Les principes de fonctionnement informatique que défendait Von Neumann étaient du même ordre, mais notons qu’il exprimait à cette époque des propositions bien plus modernes que la seule réponse Oui/Non d’un neurone isolé. Nous reprenons un passage très explicite sur ce point : « S’il y a de nombreuses synapses sur une seule cellule nerveuse, la règle de comportement la plus simple que cette dernière aura à suivre consistera à répondre seulement dans les cas où elle reçoit un certain nombre minimal d’impulsions nerveuses (ou plus). Cependant, on peut avec quelque raison supposer que les choses sont, en réalité, encore plus complexes que cela. Il se peut que certaines combinaisons d’impulsions nerveuses stimulent un neurone donné non pas seulement en vertu de leur nombre mais également en vertu des relations spatiales qu’elles entretiennent avec les synapses vers lesquelles elles se propagent. Autrement dit, on peut envisager des situations où il y a, par exemple, des centaines de synapses sur une seule cellule nerveuse, et où les combinaisons de stimulations produites sur celles qui entrent en action (…) se caractérisent non pas seulement par leur nombre, mais également par le fait qu’elles couvrent certaines régions spéciales sur ce neurone (…), par les relations spatiales de ces régions entre elles, et par des relations quantitatives et géométriques encore plus complexes qui pourraient être pertinentes. » En prolongeant la pensée de Von Neumann, on peut dire qu’il a anticipé la réflexion des chercheurs en neurologie / neuropsychologie dans l’idée d’un codage QUALITATIF des informations transitant dans le cerveau. Telle configuration neuronale

L’analogie établie par Von Neumann porte également sur

, de par sa disposition spatiale et le type de liens établis - et non pas seulement par le nombre de neurones impliquées - peut définir ou équivaloir à une forme de pensée ou de souvenir chez l’homme, y compris dans sa force (composante émotionnelle). On voit là encore le regard novateur de Von Neumann.

la capacité de stockage de la Mémoire

Concernant le “langage” neuronal, Von Neumann resta très prudent quant à sa traduction en termes mathématiques stricts (calculs). Il pensait plutôt que ce langage n’était pas tant basé sur la perfection du calcul que sur une forme de

. Nous avons déjà évoqué la limitation de la MCT (Mémoire à Court Terme) mais il s’agit ici de l’équivalent de la MLT (Mémoire à Long Terme) dont la capacité de stockage est gigantesque (sauf accident, toute information que vous avez stockée persiste quelque part dans votre cerveau). Si l’on excepte la FAÇON de coder et de stocker l’information, il est intéressant de noter que, à l’instar de l’humain, l’ordinateur dispose d’une MLT (sa mémoire morte, celle qu’on associe au disque dur de l’ordinateur; la mémoire vive serait, par analogie, la MCT de l’ordinateur).

distribution statistique des informations, dont certaines pouvaient être floues voire manquantes. Le rôle du cerveau est alors de reconstituer le tout en un ensemble cohérent, c’est-à-dire signifiant. Ceci nous rapproche bien du projet général des sciences cognitives visant à simuler de façon réaliste

le fonctionnement humain.

Durant l’été 1956, moins d’un an avant la mort de Von Neumann, un groupe de chercheurs en mathématiques et logique se réunit au collège Dartmouth à Hanover dans le New Hampshire (USA) avec comme projet de créer les bases concrètes de la réalisation de programmes informatiques simulant l’intelligence humaine. Grâce aux ordinateurs conçus sur la base des idées de Turing et de Von Neumann, une étape supplémentaire sera franchie : la programmation de tâches intellectuelles complexes.

177

Page 178: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

32/33

4.4. Le modèle du “Traitement de l’Information” de Herbert Simon (1916 - 2001)

Parmi les personnes s’étant réunies à Dartmouth en 1956, l’une d’entre elles est souvent citée par les psychologues cognitivistes. Herbert A. Simon, alors âgé de 40 ans, était déjà reconnu pour ses travaux commencés dans les années 40 sur … le comportement humain dans les organisations et en économie ! Michel Crozier (sociologue des organisations français) le considère comme « le père des sciences de la décision » grâce à l’importance de son concept de “rationalité limitée”. Il obtint d’ailleurs le Prix Nobel de Sciences Economiques en 1978. Simon a défendu l’idée d’un sujet « non logicien » dans les prises de décision socio-économiques. Du fait du caractère limité des capacités humaines à traiter des informations, toute décision possède sa rationalité en quelque sorte subjective, c’est-à-dire non optimale d’un point de vue formel.

Les choix faits visent à être satisfaisants et non pas parfaits. Cette conception est à mettre en rapport avec celle de Von Neumann et Morgenstern signalée précédemment quant à la théorie des jeux et le comportement économique. Non seulement le champ social évoqué est le même, mais on voit également formulée l’idée que devant l’incertitude ou la complexité, la décision humaine ne ressemble pas à celle issue d’un calcul mathématique. Pour y faire face, l’homme développe des stratégies

Dès le début des années 50, et suite à sa rencontre en 1952 avec un mathématicien nommé Newell, Simon tenta d’appliquer ses idées dans la conception de machines capables de mettre en oeuvre des stratégies de résolution de problèmes, en particulier dans le jeu d’échecs. Mais le problème était d’une telle ampleur qu’ils y renoncèrent provisoirement et, à des fins de démonstration, utilisèrent un nouveau langage de programmation conçu par Shaw (l’ancêtre du langage LISP) qui permit la démonstration de

particulières et évolutives (sur ce point, Bruner exprime la même idée de “stratégie”).

théorèmes de logique symbolique

En 1957, Newell, Shaw et Simon réussissent à mettre au point

lors de l’été 1956 à Dartmouth. Pour la première fois, une machine “raisonnait”. On voit toutefois l’écart qui a d’emblée existé entre les ambitions initiales (simuler la pensée humaine) et le résultat concret (démontrer un théorème).

le premier programme de jeu d’échecs. Désireux de proposer une machine intelligente “généraliste”, ils conçurent alors le GPS (General Problem Solver) capable d’utiliser comme l’humain des heuristiques11 pour faire face à des situations variées (la machine était testée essentiellement sur des jeux de logique ou des “casse-tête”). L’originalité de la démarche, présentée en détail dans l’ouvrage devenu célèbre de Newell et Simon en 197212, était double: en premier lieu, le programme avait été conçu à la suite d’observations très minutieuses de la façon dont les sujets humains procédaient pour effectuer ces tâches; en second lieu, les auteurs ont retenu et programmé une procédure générale consistant à évaluer, à partir des moyens disponibles, le but final et les sous-buts possibles pour atteindre la solution. A chaque “pas”, on applique une règle (opérateur) permettant de progresser. On compare

Les mots soulignés ci-dessus quant à la conception du GPS montrent bien en quoi Simon modélise l’humain comme un

l’état obtenu avec l’état souhaité (le but final), et cette évaluation fournit la base pour effectuer le pas suivant. Ceci est répété jusqu’à la solution. Nous remarquerons au passage l’analogie avec les propositions “cybernétiques” de Wiener (le feedback pour évaluer et corriger l’action en cours).

Système de Traitement de l’Information

11 Terme proposé en 1945 par le mathématicien Polya dans son ouvrage How to solve it ?

(STI), modèle qui en se complexifiant est toujours en usage chez les psychologues cognitivistes actuels. Il est important toutefois de bien comprendre qu’il ne s’agit pas pour Simon d’un sujet “logicien”, mais d’un humain tout venant, qui peut se tromper dans sa façon de faire, tout en cherchant à avancer vers le but.

12 Ouvrage spécialisé non cité dans la bibliographie … Newell, A. & Simon, H. (1972). Human problem solving. Englewood Cliffs, N.J. (USA): Prentice-Hall.

178

Page 179: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

33/33

Certes la machine, bien programmée, devient infaillible, mais elle utilise comme l’humain des heuristiques qui lui permettent de limiter le champ des possibles à examiner

Enfin, notons que Simon ne s’est jamais vraiment posé la question de l’équivalence (ou pas) entre homme et machine du point de vue de l’architecture, car ce n’était pas son objectif. Voici ce qu’il disait en 1964 avec Newell et Shaw: « Notre théorie est une théorie des processus d’information impliqués dans la résolution de problèmes, elle n’est pas une théorie des mécanismes neuronaux ou électroniques du traitement de l’information ». La différence est de taille avec, par exemple, les préoccupations de Von Neumann. Peu importe la structure (le Hard en informatique), ce qui compte c’est le processus (le Soft, en informatique).

(contrairement à une démarche qui serait algorithmique).

4.5. La linguistique: de la structure syntaxique de Chomsky à la sémantique.

Noam CHOMSKY 1928 -

La thèse du linguiste américain Noam Chomsky (soutenue en 1955) visait à construire une théorie générale du langage. Imposante et complexe, révolutionnant les idées reçues, elle fut publiée en 1957 sous le titre Syntactic structures alors que Chomsky avait 29 ans. Dans le contexte de l’époque, elle ajoutait une formalisation linguistique

Chomsky partit du constat que l’humain possède une grande facilité à comprendre et émettre des messages comportant de l’ambiguïté (par rapport aux machines, en particulier).

aux tentatives de formalisation logique des chercheurs de l’IA (courant que connaissait Chomsky pour avoir rencontré plusieurs des protagonistes du séminaire de Dartmouth en 1956). Elle répondait également de façon explicite à sa préoccupation de combattre le Behaviorisme.

Cette ambiguïté, pour Chomsky, est levée par nos capacités à générer et former des propositions verbales correctes du point de vue linguistique. Le sens est mêlé à cette capacité linguistique qui génère nos énoncés (d’où l’expression de grammaire générative

Il s’agit de deux phrases à même contenu de non-sens, mais à syntaxe différente :

pour définir souvent la théorie de Chomsky). Prenons un exemple d’énoncé verbal pour comprendre la force de notre capacité linguistique (exemple de Chomsky, repris dans l’ouvrage de Gardner 1985).

« Les idées vertes et incolores dorment furieusement » VERSUS « Dorment vertes les idées incolores furieusement » La première phrase est aussi dépourvue de sens que la seconde. Mais spontanément, le “sens” ressort mieux dans la première phrase du fait d’une organisation syntaxique cohérente et simple

A la lumière de cet exemple, on comprendra l’idée essentielle de Chomsky: l’humain a intériorisé un ensemble de

. On y trouve, dans l’ordre, un NOM suivi de deux QUALIFICATIFS à ce nom, le tout formant le SUJET du VERBE qui suit, et enfin - en guise de clôture de la phrase - un ADVERBE jouant le rôle de QUALIFICATIF du verbe. La reconnaissance instantanée de cet ordonnancement est, pour Chomsky, ce qui va permettre de reconnaître le sens (ou le non-sens) de l’énoncé et va fournir une impression poétique à la lecture de la première phrase.

règles linguistiques lui permettant, grâce à leur combinaison harmonieuse, de produire et de comprendre un ensemble quasi-infini d’énoncés. Le sens émerge de leurs propriétés et ces règles sont universelles. On peut formuler leurs caractéristiques, leurs liens et leurs emboîtements “logiques” comme s’il s’agissait de programmer un système artificiel capable de générer des énoncés. Sous cette approche, tout organisme (humain ou artificiel) doit exhiber une compétence dans la transformation spontanée d’énoncés complexes en énoncés simples. Par exemple, la phrase « Le poisson est mangé par le chat », forme passive possible, est spontanément (mentalement) transformée en l’énoncé de la forme active « Le chat mange le poisson ». C’est pourquoi on dit aussi que la théorie de Chomsky est celle d’une grammaire transformationnelle

.

179

Page 180: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

34/33

La théorie de Chomsky révolutionna la linguistique des années 50 car elle fournissait un outil de modélisation très formel, indépendant d’une analyse du langage en termes d’outil de communication ou de transmission d’informations. Mais par là même, cette théorie fut très controversée car elle faisait la part belle à des structures universelles données, voire innées, et délaissait ce qui semble actuellement l’essentiel de l’humain communiquant: le traitement du sens comme acte premier, le rôle d’informations contextuelles

Prenons un contre-exemple à celui de Chomsky pour montrer les limites de sa théorie et la nécessité de connaissances sémantiques / contextuelles pour traiter un énoncé verbal.

pour traiter de ce sens. Comme le souligne Gardner (1985), Chomsky rêvait d’une syntaxe pure et d’une forme idéale du langage.

Soit la phrase: « Je mange une salade d’avocats » On aura du mal à trouver une phrase aussi simple du point de vue de sa structure syntaxique. Elle contient toutefois une ambiguïté qui est spontanément résolue grâce à deux “outils”: d’une part, nous avons en tête un dictionnaire qui précise le sens des mots (apprentissage du vocabulaire) et nous avertit que deux significations au mot “avocat” sont possibles; d’autre part, l’énoncé décrit une scène qu’on utilisera comme le contexte au mot “avocat” et qui nous permet de ranger ce mot dans la catégorie « nourriture » et non pas « profession ». Nous avons des “schémas” de pensée constitués progressivement dans la vie sociale au quotidien : on ne mange pas des humains d’une certaine profession. On a également comme aide contextuelle la suite “salade de…” qui crée une attente

Ainsi décortiquée, notre phrase devient dépourvue d’ambiguïtés, et l’on conçoit actuellement des

concernant de la nourriture, attente déjà déclenchée par le verbe “manger”. On pourrait même pu former la phrase « l’avocat mange une salade d’avocats » sans perturber davantage la reconnaissance du sens car l’acte de manger n’est possible que pour un être vivant.

systèmes artificiels

Actuellement, si beaucoup de linguistes reconnaissent l’oeuvre de Chomsky et les réflexions qu’il a inspirées en linguistique tout comme en I.A., bien peu se revendiquent de ses idées de fond jugées trop “radicales” quant à l’approche du langage.

disposant de telles connaissances sémantiques / contextuelles leur permettant de résoudre ce genre de difficultés. Ceci n’était pas possible à l’époque, car on imagine facilement le nombre et le type d’informations qu’il faut entrer en machine pour obtenir un tel résultat. C’est pourquoi ces systèmes sont, aujourd’hui encore, le plus souvent efficaces dans des univers langagiers restreints, tel que le langage utilisé dans un milieu professionnel précis (ce qu’on appelle, en ergonomie du dialogue, le “langage opératif”).

Aujourd'hui, Noam Chomsky est surtout connu dans le monde pour incarner un intellectuel ayant des prises de positions protestataires en politique internationale.

--- : ---

En guise de conclusion à « L’Histoire de la Psychologie Cognitive », nous nous

contenterons de signaler aux étudiants que cet historique se termine dans les années 1960/70 et ne clôt donc pas l’histoire de la « Psychologie Cognitive ». Ses relations avec les neurosciences, par exemple, sont apparues plus récemment. Certains de mes collègues spécialistes de ce domaine développeront cet aspect dans votre cursus.

180

Page 181: Py0001x - Sed

Université Toulouse-le Mirail PY 0001X secteur « Psychologie Cognitive » SED 2012/2013 C. Navarro

35/33

OUVRAGES PRINCIPAUX CONSULTÉS

pour élaborer ce polycopié

Fraisse, P. (1963a). L’évolution de la psychologie expérimentale. In P. Fraisse & J. Piaget (Eds), Traité de Psychologie Expérimentale

Fraisse, P. (1963b). La méthode expérimentale. In P. Fraisse & J. Piaget (Eds),

- volume 1. Paris: P.U.F.

Traité de Psychologie Expérimentale

Gardner, H. (1985, édition française 1993).

- volume 1. Paris: P.U.F.

Histoire de la révolution cognitive: la nouvelle science de l’esprit

George, C. (1985). L’apprentissage. In J. Mathieu & R. Thomas (Eds.),

. Paris: Payot.

Manuel de Psychologie

Launay, M. (2004).

(pp. 205-221). Paris : Vigot.

Psychologie cognitive

Mariné, C. & Escribe, C. (2010).

. Paris : Hachette.

Histoire de la psychologie générale: du behaviorisme au cognitivisme

Paicheler, G. (1992).

. Paris: In Press. (2ème édition actualisée).

L’invention de la psychologie moderne

Parot, F. & Richelle, M. (1992).

. Paris: l’Harmattan.

Introduction à la psychologie: histoire et méthodes

Reuchlin, M. (1972).

. Paris: PUF.

Histoire de la Psychologie

Reuchlin, M. (1977).

. Paris: PUF (Que sais-je ? n°732).

Psychologie

Richard, J.-F. (1992). De la psychologie générale à la psychologie cognitive. In R. Ghiglione & J.-F. Richard (Eds),

. Paris: P.U.F.

Cours de Psychologie

Roulin, J.-L. (1998).

- volume 1. Paris: Dunod.

Psychologie cognitive

Weill-Barais, A. (1993).

. Rosny: Bréal

L’homme cognitif

. Paris: PUF.

P.S. à l’intention des étudiantsSi vous ne pouvez lire qu’un ouvrage, nous vous conseillons celui de mes collègues Claudette Mariné et Christian Escribe dont j’ai repris l’ordre de présentation de l’histoire de la psychologie cognitive.

181