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Qualité et compétence en médecine Qualité et compétence en médecine Un défi déontologique Introduction Actes du colloque Le colloque du 23 juin 2000 dont nous vous présentons les actes était organisé par le Conseil national de l’Ordre des médecins sur le thème suivant : « la qualité et la compétence en médecine : un défi déontologique ». Un défi d’importance car les objectifs de ce colloque étaient nombreux : d’une part proposer des éléments de base pour l’émergence d’une culture de la qualité des soins auprès des médecins et du monde de la santé dans l’intérêt des patients, mais aussi auprès des conseillers ordinaux qui seraient en charge de promouvoir cette démarche. D’autre part, il s’agissait de procéder à l’étude et à une ébauche de conception du cadre de réalisation et de mise en œuvre d’un système de gestion des compé- tences, tenant compte de nos particularismes et du contexte socio- médical français. Enfin, ce colloque permettait de consolider auprès de nos partenaires notre volonté de s’impliquer largement dans ce défi et de contribuer à des solutions opérationnelles. Afin de préparer ces débats, les organisateurs du colloque ont travaillé une demi-journée avec tous les intervenants afin de capita- liser encore plus en profondeur leurs expériences, qu’elles concer- nent d’autres secteurs que la santé ou qu’elles nous proviennent de pays ayant mis en place des structures et projets qui nous parais- saient exemplaires, sur le plan de la qualité et de la compétence. Ainsi au terme de ce colloque, nous espérons que chacun aura pu se familiariser avec l’univers de la compétence et de la qualité qui sont des thèmes-clés pour l’avenir du monde médical et de l’Ordre des médecins. 1

Qualité et compétence en médecine Un défi déontologique · Qualité et compétence en médecine Le phénomène « compétence », notions essentielles, écueils àéviter Pierre-Louis

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Qualité et compétence en médecine

Qualité et compétence en médecineUn défi déontologique

Introduction

Actes du colloque

Le colloque du 23 juin 2000 dont nous vous présentons lesactes était organisé par le Conseil national de l’Ordre des médecinssur le thème suivant : « la qualité et la compétence en médecine :un défi déontologique ». Un défi d’importance car les objectifs dece colloque étaient nombreux : d’une part proposer des élémentsde base pour l’émergence d’une culture de la qualité des soinsauprès des médecins et du monde de la santé dans l’intérêt despatients, mais aussi auprès des conseillers ordinaux qui seraient encharge de promouvoir cette démarche. D’autre part, il s’agissait deprocéder à l’étude et à une ébauche de conception du cadre deréalisation et de mise en œuvre d’un système de gestion des compé-tences, tenant compte de nos particularismes et du contexte socio-médical français. Enfin, ce colloque permettait de consolider auprèsde nos partenaires notre volonté de s’impliquer largement dans cedéfi et de contribuer à des solutions opérationnelles.

Afin de préparer ces débats, les organisateurs du colloque onttravaillé une demi-journée avec tous les intervenants afin de capita-liser encore plus en profondeur leurs expériences, qu’elles concer-nent d’autres secteurs que la santé ou qu’elles nous proviennentde pays ayant mis en place des structures et projets qui nous parais-saient exemplaires, sur le plan de la qualité et de la compétence.

Ainsi au terme de ce colloque, nous espérons que chacun aurapu se familiariser avec l’univers de la compétence et de la qualitéqui sont des thèmes-clés pour l’avenir du monde médical et del’Ordre des médecins.

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Qualité et compétence en médecine

Colloque du jeudi 22 juin 2000

Discours d’ouverture

Bernard GLORION

Je suis heureux d’accueillir M. Auquier, Secrétaire perpétuel del’Académie de Médecine et nos amis québécois, Mme Lescop etM. Jacques avec qui nous entretenons des relations chaleureuses.L’un et l’autre font partie du Collège des Médecins du Québec.Enfin, je remercie Mme Jolis, Directeur des ressources humainesde la Caisse d’Epargne du Languedoc-Roussillon et MM. Desprezet Jaubert. L’idée de ce colloque sur la compétence est issue del’équipe de direction du Conseil national que je remercie beau-coup.

La compétence est une grande innovation pour notre orga-nisme. Il est bon que nous puissions garantir la qualité des méde-cins tant sur le plan moral que sur celui de la compétence. Depuisles ordonnances de 1996, il semble que les médecins ont prisconscience de la nécessité d’évaluer leurs pratiques et d’approfondirla formation continue dans une optique d’efficacité. Un certainnombre d’associations telles que l’Unaformec et MG Form ontdéjà effectué des démarches considérables auprès des médecins pourévaluer leurs compétences. Il faut saluer cet effort. L’Ordre desMédecins se sent concerné par la question de la compétence enraison de sa mission. Un projet de loi sur la modernisation dusystème de santé est en cours de finalisation. Ce projet de loidevrait confier à l’Ordre la mission d’attester de la compétencedes médecins. Cependant, l’Ordre ne sera pas chargé de réaliser laformation proprement dite.

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Le phénomène « compétence »,notions essentielles, écueils à éviter

Pierre-Louis DESPREZ

Consultant en ressources humaines

Le phénomène de la compétence nécessite que l’on prenne unpeu de recul. J’ai donc choisi de revenir à quelques questions desens avant que d’autres intervenants ne se focalisent plus précisé-ment sur des notions plus pragmatiques.

D’abord, on peut se demander si le phénomène de la compé-tence n’est pas un phénomène marchand. Des consultants ou desauteurs vivent de ce concept. De grandes institutions sont engagéesdans des démarches identiques : l’école, la justice, et la santé. Lacompétence est-elle une mode, un phénomène dû à notre écono-mie libérale ? Est-elle un nouveau vocabulaire pour renvoyer à l’ap-prentissage ou à la professionnalisation ? Enfin, d’un point de vuesociologique, est-elle la traduction de quelques mouvements plusprofonds qui affectent notre société ? En tous cas, si beaucoup desociétés se sont engagées dans de telles démarches, c’est sûrementparce qu’elles y trouvent un intérêt. Le premier volet de maréflexion consistera à exposer les grandes caractéristiques de lanotion de compétence.

Définition de la compétence

La notion de compétence ne va pas de soi. Il est communémentadmis aujourd’hui que la compétence se mesure en actes et ensituation. Cette vision témoigne de la distinction très importantequi existe entre la compétence et la connaissance. Cette distinctiona été admise dans les dix dernières années, mais elle n’est pas encorevéritablement passée dans les esprits. Dans la presse ou certainsouvrages, on trouve encore le mot de connaissance pour parlerde compétence. Cette tournure d’esprit nous vient de certaines

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dispositions liées au système latin, qui placent la connaissance aupinacle, et en font le cœur du développement d’un métier. Il nes’agit pas de remettre en cause l’utilité de la connaissance, néan-moins, les travaux et expériences menés par les entreprises mon-trent bien qu’il faut en élargir le cadre. A cet égard, je citerai uneformule prononcée par un jeune entrepreneur : « quand j’embaucheun maçon, il est qualifié au pied du mur, mais il est compétent enhaut. » Cette phrase est une manière cocasse de nous rappeler quela compétence se juge a posteriori beaucoup plus qu’a priori. Celane signifie pas que l’on ne puisse pas parler de compétencesrequises pour un poste. Néanmoins, la compétence ne peut êtreséparée du résultat.

Si nous pensons que la compétence est une capacité de miseen œuvre en situation, pour autant, toutes les situations ne sevalent pas. Certaines situations sont plus critiques ou stratégiquesque d’autres. Le seuil de définition de ces situations se déplaceau cours des différentes époques. En effet, du fait d’évolutionstechnologiques ou de l’accumulation du savoir, les pratiques et lafaçon de les considérer changent. Certaines pratiques considéréescomme difficiles peuvent devenir banales. La compétence n’estdonc pas un acquis stable mais une construction continue.

Ensuite, il importe de bien distinguer l’ancienneté et l’expé-rience de la compétence. L’époque actuelle, où certains jeunescréent des offres dans les nouvelles technologies alors que leur expé-rimentation est faible, illustre bien cette idée.

La richesse des situations rencontrées est certainement un pointde réflexion sur lequel chacun doit s’interroger. Dans différentsmétiers, est-on confronté à des situations critiques ? Sur cette ques-tion, les avis sont partagés.

Par ailleurs, je citerai le principe de l’Américain Peter, qui ditque tout homme atteint un jour son seuil d’incompétence. L’acqui-sition de la compétence est-elle un phénomène cumulatif, ou bientouchons-nous tous un jour notre propre niveau d’incompétence ?En matière de connaissance, l’opinion communément reçueconsiste à dire qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre. Mais on peut

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réfléchir au fait qu’il existe probablement une courbe de la compé-tence, avec un seuil d’incompétence. Une réflexion sur la compé-tence ne peut pas se passer d’une interrogation sur l’incompétence.A partir de quel moment franchit-on le seuil de l’incompétence ?Cette question n’est pas facile à poser parce qu’elle revêt, en France,un certain tabou. Il est presque dangereux de parler d’incompé-tence dans certains milieux, parce que ne pas savoir, ne pas savoirfaire ou ne pas savoir se comporter est disqualifiant. La questionde sa propre incompétence n’est pas souvent posée chez nous, parceque nous avons survalorisé le savoir et l’information.

Pour aller plus avant dans ces réflexions, nous devons aborderla question de l’évaluation. Le couple compétence/mode d’évalua-tion est indissociable. Mais le risque de devenir compétent estmoins important que celui de se faire évaluer. Il semble que laquestion de l’évaluation est une question plus idéologique que cellede la compétence. Quand on dit qu’il faut évaluer l’école, l’idéeimmédiate sous-jacente est que le système ne fonctionne pas bien.Dans ce cas, l’évaluation a toujours un relent de jugement critiquenégatif. Pour une institution comme l’Ordre des médecins oucomme le Medef, qui a stimulé récemment la démarche compé-tence dans les entreprises, réfléchir sur les modes d’évaluation mesemble très important, pour ne pas effrayer les populations, et res-ter cadré dans un objectif de stimulation de la recherche indivi-duelle et collective de nouveaux savoirs et savoir-faire.

Certaines entreprises se sont demandé s’il était toujours perti-nent ou jusqu’à quel niveau il était utile d’expliciter les compé-tences. Un grand groupe agroalimentaire, notamment, préfèreparler de talent que de compétence. En effet, un observateur fiableutilisant des outils fiables est bien obligé de constater que, danscertaines situations, tout ne s’explicite pas. Il reste une part detacite, d’implicite dans la combinaison entre les connaissances, lessavoir-faire et les comportements en situation. Ecrire une procéduresur la combinaison des connaissances, savoir-faire et comporte-ments serait peut-être satisfaisant pour un esprit rationaliste, maissûrement peu efficace pour maîtriser les situations elles-mêmes. Ilest donc intéressant de se demander jusqu’où la notion de compé-

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tence peut servir de référence, et à partir de quand elle n’est pluspertinente. Il ne faudrait pas croire que la compétence puisse deve-nir l’outil qui permet de maîtriser toutes les situations. Il reste unelarge part d’implicite.

Enfin, on parle souvent de compétence individuelle. Mais ilfaut souligner que nos compétences ne peuvent pas se passer d’unefacette collective. L’une des réponses aux situations est de savoirmobiliser d’autres compétences, se mettre en lien avec d’autres,échanger avec ses pairs, pour pouvoir produire une réponse adaptéeà celle du client ou patient. A cet égard, il faut prendre garde aufait que la compétence peut devenir un facteur hiérarchisant desindividus. Si nous entrons dans cette voie, une dérive vers l’indivi-dualisme risque de se produire. Il n’y a de réflexion et de pratiqueà travers des outils que dans un certain humanisme.

Tels sont les premiers constats que je voulais faire. Mon proposconsistait à attirer votre attention sur le fait qu’il existe des écueilsdans la voie de la compétence. D’autres pays se sont engagés,depuis plus de dix ans, dans des systèmes qui valident l’acquisitionde la compétence. On peut produire des systèmes qui peuventtourner à vide. De même, au cours des dernières années, les entre-prises ont beaucoup développé les systèmes qualité pour le meilleuret pour le pire : pour le meilleur, lorsque les entreprises ont poséla qualité comme facteur de réussite de leur stratégie ; pour le pire,lorsque les entreprises ont produit des normes et du papier. Lerisque de la normalisation est très important. Michel Foucault amontré en quoi le pouvoir cherche toujours à circonscrire de façonextrêmement précise les comportements des individus.

Les questions à se poser avant de s’engagerdans une démarche de stimulation du développementde la compétence

Plusieurs questions fondamentales doivent être posées pourréussir la mise en œuvre d’une démarche de compétence.

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● Jusqu’où peut-on expliciter la compétence, mettre sur papier lecontenu même d’un savoir professionnel ?Autrement dit, quelle est la part qu’il est inutile de décrire ?

● Comment ne pas concevoir des systèmes clos, des référentielstrop fermés ?Cette deuxième question est en rapport avec le fait que lesmétiers changent vite. Quelle est la part laissée à la prospectivedans les descriptions faites ?

● Sous quelle forme expliciter la compétence ?Nous avons trop vu d’outils mal intégrés ou assimilés, qui par-taient de bonnes intentions. Or l’utilité de l’outil est la prioritédans la matière.

● Quel est l’objet de l’évaluation ?Evalue-t-on des attitudes en situation ou un contenu a priori ?Qui est dans le cabinet pour évaluer ? Qu’est-ce qu’un évaluateurprofessionnel ? Il n’y a pas de réponse théorique sur ces sujets.

● Qui évalue ?Le modèle scientifique de l’évaluation est celui où ce sont lespairs qui évaluent, à travers un débat contradictoire, où la contre-argumentation par principe est acceptée. Ensuite, il existe dansles entreprises de nombreux systèmes d’évaluation par le manage-ment et le rapport hiérarchique. Si l’évaluation n’est pas faite entoute morale, le risque est évident de tomber soit dans des juge-ments de valeur, soit dans des a priori.

● Qui garantit la qualité du système d’entretien des compé-tences ?Un système peut très bien se développer durant quelques annéespuis dériver, récupéré par des acteurs qui y verraient un enjeude pouvoir. Il y a forcément un enjeu de pouvoir à mettre enplace un système régissant 200 000 médecins. A travers unedémarche compétence sur ce public, un fantastique levier demobilisation dans un sens ou dans un autre peut se produire.En outre, les médecins peuvent être orientés selon des objectifsqui ne sont pas forcément les leurs.

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● Quelle est la place du destinataire final dans la démarche ?Le destinataire du référentiel de compétence est-il le formateur,l’université, le médecin, ou le patient final ?

● Quelle place à l’auto-évaluation ?Un système « adulte » est un système dans lequel chacun pren-drait en charge son auto-évaluation. Le code de déontologiecomprend une invitation formelle à se préoccuper de l’entretiende ses compétences tout au long de son exercice professionnel.Mais, la déontologie suffit-elle à motiver la personne ? On pour-rait se demander quel chemin l’Ordre pourrait trouver pourencourager l’auto-évaluation, tout en mettant en place un sys-tème d’évaluation.

Ces questions posées, il me semble important de prendre gardeaux écueils qui risquent de se faire jour.

Quelques écueils à éviter

Ces écueils sont les suivants.● La dérive bureaucratique

La dérive bureaucratique, avec l’élaboration de dispositifs lourds,rationalisants et déconnectés du besoin de l’utilisateur, est le pre-mier écueil possible dans une démarche compétence.

● L’emprise sur les individusIl existe des façons implicites de contrôler ou d’établir des normescoercitives. Heureusement, il existe des exemples d’autres institu-tions où l’emprise est extrêmement limitée.

● L’opposition entre le système de formation initiale et le systèmed’entretien et de développement de la compétenceComment travailler en continuité entre l’université et le systèmeauquel nous pourrions penser ? L’écueil serait de faire du retourà l’école une fin en soi. Le système d’entretien de la compétencene passe pas nécessairement par un système de formation conti-nue. Cela supposerait que la réponse à l’acquisition de la compé-tence passe nécessairement par la formation. Or, nous voyons

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que l’organisation du travail et les changements de contexte peu-vent être des situations qualifiantes.

● Négliger quelques acteurs essentielsLes démarches pertinentes que nous voyons se produire autourde nous semblent associer différents types d’acteurs : les destina-taires, les partenaires sociaux, les acteurs du monde économique,du système de santé et les pouvoirs publics. Il y a bien uneconcertation à mener, parce que la démarche englobe bien toutun ensemble de personnes.

● Enfin, le détournement du système par les utilisateurs eux-mêmesJ’ai plusieurs fois constaté que les esprits stratégiques peuvent lireles référentiels de façon à déterminer les situations critiques qu’ilsdoivent utiliser et sur lesquelles ils feront l’impasse. On peutaboutir à une forme de zapping, qui consisterait à trier entre leplus et le moins important.

Tous ces écueils montrent bien que derrière un système qualitéou compétence, la question du sens et le retour aux missions fonda-mentales d’un métier sont essentielles. La compétence n’est passeulement une question technique, qui consisterait à dire quel sys-tème de développement mettre en œuvre et comment le manager.C’est une question idéologique. Elle engage des acteurs dans desconflits d’intérêts. Notre travail est de faire converger les intérêtsentre les différents acteurs.

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La compétence au quotidien,les aspects pratiques dans la vie d’une entreprise

Nadine JOLIS

Responsable de Département des Ressources Humaines,Caisse d’épargne Languedoc Roussillon

Auteur de La compétence au cœur du succès de votre entreprise,Les Editions d’Organisation, 2000

Parler compétence en entreprise n’est pas nouveau. Le fait nou-veau, c’est la façon dont on aborde aujourd’hui ce sujet. En effet,il est désormais question d’introduire une démarche compétencequi remet profondément en question l’organisation du travail. Etce n’est pas le seul fait du hasard si le MEDEF accorde à cettenotion une attention soutenue depuis 1997.

Après avoir fait un état des lieux, le MEDEF a constaté queles entreprises françaises avaient pris quelques retards par rapportà d’autres pays dans la mise en œuvre du concept compétence.Celles-ci fonctionnent encore dans l’ensemble selon une organisa-tion du travail largement inspirée du modèle taylorien.

Dans ce type de fonctionnement, la caractéristique principaleest de fonder l’organisation du travail non pas sur la compétencedes individus, mais sur les tâches qui leur sont prescrites selon unehiérarchie pyramidale (celui qui pense est en haut, celui qui exécuteest en bas). Dans ce système, l’information circule de haut en bas,et fait l’objet d’un véritable jeu de pouvoirs fondé sur sa détentionet associé souvent à des phénomènes de rétention de l’information.

Précisément l’élément majeur qui caractérise le profond change-ment de notre environnement réside dans l’introduction d’un accèsrapide à l’information grâce aux nouvelles technologies. On estpropulsé dans un monde de transparence où chacun peut allerpuiser l’information de son choix. Dans ce nouvel univers que nousabordons, vouloir maîtriser le flux même de l’information devienttotalement illusoire. C’est une mutation fondamentale des nou-velles donnes de notre économie qui nous propulse sur un champ

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de préoccupations centré sur les aspects de qualité et de compé-tence.

Devoir faire preuve de qualité et de compétence est une véri-table révolution stratégique qui met en jeu la survie même desentreprises. Il en est de même pour la médecine où ces élémentsprennent l’aspect d’un réel défi déontologique.

I. Les nouvelles conditions du défi actuel

Entre les entreprises et la médecine, de nombreuses donnessont communes.

Pour les entreprises comme pour la médecine, la concurrenceest de plus en plus sévère.

La mondialisation a considérablement élargi les marchés etintroduit de nouvelles exigences de prestations. De nouvelles tech-nologies de plus en plus nombreuses et complexes sont à intégreret à maîtriser. Les clients sont de plus en plus imprévisibles etvolatiles. La notion de services devient centrale et les exigences desmarchés porteurs se traduisent de plus en plus selon des besoinsde nature immatérielle.

1. Les nouveaux enjeux

Du côté des entreprises, les enjeux économiques sont forts. Onparle du rapport qualité/prix, on s’affronte en termes de compétiti-vité et de rigueurs budgétaires.

En médecine on décèle de nombreux points communs. Unetendance lourde émerge autour de la question de sa légitimité.

Entreprises, tout comme médecine, doivent faire preuve de plusen plus d’efficacité, de garanties et de sécurité. Les produits, lesservices, les soins font l’objet de comparaisons menées à partir ducritère de qualité, voire sont soumis à des normes à respecter. Au-delà du client même, intervient la notion de collectif, de société àsatisfaire. Il faut faire preuve des meilleures performances, tant auniveau des marchés à gagner (ou à conserver) qu’au niveau de la

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typologie des services à proposer. La maîtrise de technologies deplus en plus sophistiquées constitue un véritable enjeu de pouvoirs.

Enfin, tant au niveau des entreprises que de la médecine, ilfaut être prospectif, anticiper, innover, créer, stimuler les dévelop-pements.

2. Les objectifs

Vouloir introduire une démarche compétence traduit unevolonté de répondre à certains objectifs. Les principaux objectifssouvent visés sont les suivants :

2.1. Pour l’entreprise

● Garantir la qualité du produit et du service● Mieux gérer les Ressources Humaines par la reconnaissance de

la compétences des individus, ou des compétences stratégiquescritiques

● Faciliter les mobilités professionnelles● Se donner les moyens du développement des compétences et de

leur actualisation● Evaluer et valider les compétences identifiées

Un acte professionnel qui ne serait réussi qu’une seule fois pour-rait être considéré comme un accident. Les actes professionnels doi-vent être reproduits pour que l’on reconnaisse la compétence etla valide.

● Introduire de la transparence et de la lisibilité par rapport auxexercices professionnels

● Maî triser la masse salarialeL’intérêt est de payer la compétence mise en œuvre et non plus

la tâche prescrite.

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2.2. Pour la médecine, les objectifs sont similaires

● Garantir la qualité des soins et prescriptions● Attester les compétences● Répondre aux évolutions des pratiques● Se donner les moyens de développement des compétences et de

leur actualisation● Evaluer et valider les compétences identifiées● Communiquer sur l’état des lieux des compétences● Maî triser les coû ts médicaux

II. La définition de la compétence

Nombreuses sont les définitions de la compétence. Parmi unpanel de propositions, nous pourrions citer :● « des ensembles stabilisés de savoirs » ;● « savoir mobiliser des connaissances et qualités pour faire face à

un problème » ;● « surtout pas les diplômes ! » (Hervé Serieyx) ;● « un ensemble de savoirs, savoir-faire, savoir-être » (Répertoire

Officiel des Métiers et Emplois, utilisé par l’ANPE) ;● « un savoir-agir reconnu » (Le Boterf)● « une disposition à agir » (Minvielle et Vacquin, sociologues d’en-

treprises)Pour le MEDEF, « la compétence professionnelle est une

combinaison de connaissances, de savoir-faire, d’expériences etcomportements s’exerçant dans un contexte précis. Elle se constatelors de sa mise en œuvre en situation professionnelle, à partir delaquelle elle est validable. C’est donc à l’entreprise de la repérer,de la valider et de la faire évoluer ».

Le fait que ce soit uniquement et exclusivement à l’entreprisede la valider a fait l’objet de vigoureuses polémiques. De même,la définition de M. Le Boterf, qui fait allusion à sa reconnaissance,pourrait prêter à discussion dans le sens où ce terme de « reconnu »introduit la subjectivité de l’appréciation d’un tiers. La définition

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de Minvielle et Vacquin présente l’avantage d’être plus facilementmise en pratique pour élaborer un référentiel identifiant les compé-tences en entreprise. Par ailleurs, elle peut s’articuler avec la miseen place d’une mesure des performances et des contributions sansy être confondue.

III. Le schéma d’organisation et de sollicitationdes compétences

C’est la combinaison des compétences ressources qui permetl’exercice professionnel. Ces compétences sont de types théoriques,opératoires, relationnels (argumenter, informer) et stratégiques.

� Les compétences théoriques

Elles sont les ensembles de savoirs acquis en milieu de forma-tion et d’information.

� Les pratiques

Les pratiques professionnelles confirmées sont la façon dont ondécline en actions les informations apprises.

L’association des compétences théoriques et pratiques consti-tuent les compétences ressources techniques.

� Les compétences relationnelles

Cette nature de compétences posaient quelques problèmes à cejour pour accepter de les reconnaître en tant que paramètres àprendre en compte dans le bon exercice professionnel. Considéréessouvent comme une ingérence dans la personnalité des salariés, cescritères étaient souvent contestés par les syndicats. Sur ce pointencore apparaît un changement de conception, notamment on sou-ligne l’impact fort de la façon dont on agit sur, réagit face à, ouanticipe des dysfonctionnements ou des événements. L’ensembledes acteurs acceptent à présent les conséquences de tel ou tel typede comportement lors de l’exercice professionnel, pour autant que

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l’on sache circonscrire l’investigation dans l’unique champ profes-sionnel. Par exemple, quels schémas de communication adopte-t-on pour accueillir un client ? Comment s’engage-t-on collective-ment dans l’équipe où l’on travaille ? Comment mutualise-t-onl’information ? Comment s’implique-t-on par rapport au dévelop-pement des compétences collectives ? Avec quelle aisance gérons-nous un imprévu ?

� Les compétences stratégiques

Comment chacun combine-t-il les compétences ressources pouraboutir à une réalisation concrète des actes professionnels ? Cettedernière compétence relève de la façon dont on organise, coor-donne, conjugue les informations et les savoirs, les recherches d’in-formations, comment on transmet, comment on apporte dessolutions nouvelles, comment on réagit, anticipe, et crée.

L’identification de ces principales compétences permet deconstruire un référentiel de compétences selon un classement typo-logique TRS (technique, relationnel, stratégique).

# TechniqueIl regroupe la connaissance des produits, des services, des tech-

niques, de la réglementation applicable, des outils, des procédures,de l’environnement, du risque professionnel, des règles de garantieset de contrôles.

# RelationnelIl regroupe les domaines de rédaction, communication, argu-

mentation, négociation, animation, management.

# StratégiqueLes domaines stratégiques relèvent de la gestion, organisation,

adaptation, saisies d’opportunités, transformation.

Ce classement typologique peut permettre de soutenir desréflexions et de faciliter des travaux de groupes constitués pourdécrire des métiers centrés sur des compétences, lorsqu’unedémarche compétence est entreprise dans une organisation.

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Discussion

Pr Bernard GLORION

Il est séduisant de voir que la médecine et l’entreprise ont beau-coup de points communs. La compétence semble être la solutionà notre besoin. D’ailleurs, une solution très intéressante que vousavez suggérée est celle de la disparition du diplôme. On pourraitsuggérer la professionnalisation de la médecine, c’est-à-dire que cene soit plus l’université qui délivre le diplôme mais la professionelle-même, à travers les certificats d’aptitude.

Dr Yves GERVAIS

Madame Jolis s’est prononcée à l’encontre de la définition dela compétence comme un « savoir-agir reconnu ». J’ai crucomprendre, à la lecture de M. Le Boterf, qu’il s’agit, plutôt qued’un « savoir agir reconnu », d’un « savoir agir validé », ce qui estun peu différent ; cette validation peut provenir d’une instance,mais aussi du consensus d’un groupe professionnel.

Pr Michel DETILLEUX

Madame Jolis a abondamment parlé de l’expérience des entre-prises. Le monde médical a la caractéristique de ne comprendreque des micro-entreprises, les cabinets d’un médecin, ou bien desétablissements hospitaliers, qui sont des entreprises très singulières.Le découpage, le cloisonnement qui les définit font de l’hôpital unétablissement qui n’a rien de comparable avec des entreprises àcaractère commercial qui auraient pourtant les mêmes effectifs.Disposez-vous d’une expérience sur la validité de la transpositiondes concepts que vous nous exposez à ces situations très particu-lières ?

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Nadine JOLIS

Effectivement, ce que je présente est totalement transposable.Si nous considérons la gestion de la micro-entreprise, on peutrechercher toutes les compétences-clés qui sont nécessaires pour lagérer en termes techniques, relationnels et stratégiques. En Europe,il existe deux grands modèles de gestion des compétences : lemodèle par business et le modèle par métier. Je vous ai exposé ledeuxième de ce modèle. Mais dans le premier modèle, on identifiedirectement les domaines de compétences, puis on y articule l’énu-mération des compétences. Quel que soit le modèle adopté, onpeut s’exprimer en TRS.

Dr Etienne DUSEHU

Le fait est que les médecins fonctionnent comme des entre-prises individuelles. Mais si l’on raisonne du point de vue dupatient qui cherche à être guéri, chacun d’entre eux est un élémentde la chaîne de sa prise en charge. L’objectif est bien de mettretoutes les ressources du système de santé au service du résultat,c’est-à-dire la guérison ou l’amélioration de la santé du patient. Laraison d’être de chacun des médecins, ou des unités de soins, nepeut se concevoir désormais qu’à l’aune de ce résultat final.

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Restitution des ateliers

Dr Pierre HAEHNEL

Le premier atelier était intitulé « qualité des soins et compé-tences des médecins ». En voici la restitution.

Dr Franç ois Xavier LEANDRI

Les deux grands chapitres mis en évidence lors de l’ateliernuméro 1 sont les suivants.

Une définition des concepts de qualité et de compétence

La compétence correspond à une nouvelle formulation del’obligation de moyens exigée par les patients. On peut se poser laquestion de la place de la connaissance dans la compétence, avec lessavoir-faire et les comportements. Les connaissances apparaissentnécessaires mais non suffisantes. Les évaluations devront s’adapterà ces différents types de compétence, la difficulté étant que lacompétence est multifactorielle. Du fait de la complexité de lanotion de compétence, nos collègues du Canada nous ont fait partde leur choix que les évaluations soient avant tout fondées sur desproblèmes d’exercice et de pratique.

Les finalités

La demande très forte des patients et de la société est le moteurprincipal de la mise en place du système de compétence. Les méde-cins se focalisent souvent sur des risques ou sur l’impossibilité del’évaluation. Nous pensons qu’ils usent de faux arguments. Lesobstacles seront réels, du fait de la pluri-activité de l’exercice médi-cal. En conclusion, le code de déontologie donne tous les fonde-ments théoriques des principes d’évaluation et de la compétencedes médecins. Sa compréhension reste encore limitée pour certains,et certains redoutent une évaluation. L’un des objectifs de l’Ordre

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est d’expliciter toutes ces notions. Elles offriront des garanties auxpatients. Bien faites, avec une information appropriée, elles peuventconstituer la confiance entre les médecins et leurs patients.

Les quatre grandes questions abordées ont été la qualité dessoins pour les patients, la nécessité de susciter une auto-évaluation,les obstacles à franchir, et l’éducation des patients comme de nosconfrères à une lecture moderne du code de déontologie.

Dr Pierre HAEHNEL

Effectivement, il est important de noter que la résistance vien-dra des médecins qui ne verront pas toujours la nécessité d’uneévaluation. L’Ordre des médecins n’a pas pour mission d’évaluer.L’Ordre des médecins ne souhaite qu’attester des actes d’évaluationdes médecins, effectués par d’autres organismes. La communicationdevrait être parfaitement effectuée à la fois en direction des méde-cins et du public pour que la notion d’évaluation soit assimilée etqu’elle rentre dans les mœurs. C’est une question de changementde mentalité. Comme tout changement de mentalité, il est trèslong à se mettre en place.

Dr Louis-Jean CALLOC’H

A présent, voici la restitution que l’on peut faire de l’ateliernuméro 2 : « Modalités d’acquisition et d’entretien des compé-tences ». L’objectif était de dresser un plan de la carrière profession-nelle du médecin. Ce plan se déroule en trois temps : l’acquisitionde la connaissance, la confrontation et l’identification de besoinsde compétences autour de la validation, et la mise en action dudiagnostic.

Le premier temps, celui du bilan de l’acquisition, avait commeproblématique la question de savoir comment un médecin accèdeà la compétence professionnelle, après avoir reçu le diplôme. Pourl’essentiel, nous avons retenu que le bilan de l’acquisition initialepassait par un retour vers la mise en situation, une confrontation àla réalité du terrain, la résorption des effets d’une pratique médicale

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Qualité et compétence en médecine

solitaire et la réflexion pour pallier les défauts de communicationdes médecins vers les patients ou vers leur environnement.

Le temps de la confrontation nous a amené à la question sui-vante : comment le médecin est-il validé par le terrain et par sonenvironnement professionnel ? En réalité, la réussite professionnellen’est pas forcément synonyme d’une compétence. Mais la compé-tence passe par la reconnaissance constante et maintenue de laconfiance du patient et, le cas échéant, de l’employeur. La recon-naissance doit passer par les pairs. Enfin, dans cette reconnaissance,il convient de bien distinguer la validation des actes intellectuelsde celle des actes techniques.

Enfin, nous nous sommes demandé comment l’expérience dumédecin était accompagnée au cours de sa carrière. L’exercice serade plus en plus en équipe, occasionnant un échange constant etpermanent des compétences au sein des cabinets, mais aussi entreanciens et jeunes médecins en stages de parachèvement de leurscompétences. Ce maillage nouveau correspondrait à un retour autroisième cycle pour tous. Enfin, nous avons insisté sur le fait quele bilan de compétences doive être très personnalisé.

Dr Daniel GRUNWALD

D’emblée, on retient que le temps de formation en contactavec le terrain rejoint des préoccupations universitaires. Certainespropositions actuelles évoquent le fait que les jeunes médecins puis-sent être accompagnés dans un exercice réel et responsable. Enoutre, on pourrait ajouter que la confiance des pouvoirs publicsdans nos médecins est une dimension importante de la confiance.Enfin, l’accompagnement, ou le compagnonnage, est une idée toutà fait essentielle dans l’acquisition de la compétence.

Dr Etienne DUSEHU

Au sein de l’atelier 3 : « évaluation de la qualité de l’exerciceprofessionnel et des compétences », cinq questions ont été posées :par rapport à quoi évaluer ? Faut-il évaluer ? Qui peut évaluer ?

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Qualité et compétence en médecine

Comment évaluer ? Quelle reconnaissance donner à la compé-tence ?

Il a d’abord, été question de la double nature de l’étalonnage,qui correspond à un tronc commun de pratiques et à un classementhiérarchique par degré d’urgence des problèmes à traiter. Nousnous sommes accordés pour dire que l’efficacité du système médicaldépendait avant tout de la gestion des interfaces entre chacun desmaillons du système.

Ensuite, il est important de distinguer compétence et perfor-mance. Performer, c’est faire. La performance est une manière defaire, la compétence est une capacité à atteindre un résultat. Faut-il évaluer ? Oui. Mais non pour sanctionner. Ce qui compte estl’amélioration continue de la qualité du service rendu au patient.

Qui évalue ? Les patients, d’abord, évaluent. Mais ils ne sontpas les seuls. La qualité technique est du ressort de l’applicationpar les professionnels.

Comment évaluer ? Deux perspectives différentes peuvent êtreposées. Soit on cherche à repérer les déviants, soit on cherche àaméliorer la qualité de la pratique collective. Ce dernier est le pro-cessus le plus intéressant à mettre en œuvre. En effet, en le mettanten pratique, on repère secondairement les déviants. Si l’on se limiteau premier objectif, les déviants « intelligents » feront tout pouréviter de faire fonctionner le système.

Enfin, quelle reconnaissance donner à la compétence ? Tous lesmodèles que nous avons connus jusqu’à présent étaient sanction-nant. Pourtant, les modèles fondés sur la récompense semblentplus efficaces. L’auto-évaluation, à savoir un renvoi d’informationsur la pratique personnelle de chaque médecin, est déjà une récom-pense en soi. Elle permet à chacun de se comparer puis de détermi-ner quelles sont les carences personnelles à compenser. Pour allerau-delà, on peut trouver d’autres moyens d’évaluation. Les méde-cins craignent le « fliquage » et le fait que l’évaluation ne soit paseffectuée par des professionnels du métier. Enfin, le temps consacréà la formation ne doit pas compromettre l’entreprise et la situationfinancière du médecin.

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Qualité et compétence en médecine

Dr Pierre HAEHNEL

Nous pouvons laisser la parole à nos invités.

Bernard JAUBERT

Ce qui me frappe est le fait que, dans la profession médicale,le tabou de l’argent ne soit toujours pas évacué. Pourquoi ne pasparler de récompense financière à la compétence ? Pourquoi ne pasaussi considérer la réussite financière comme une réussite profes-sionnelle ? Dans le monde de l’entreprise, la perspective financièreest tout à fait explicite. Ici, le sujet de l’argent est présent, mais iln’est pas explicite.

De la même manière, la question des bonnes manières meparaît sous-jacente. On renvoie la question du savoir-être à unedérive et une perturbation de séducteurs, attirant plus des clientsque des patients. Qu’est-ce qu’une bonne manière ? Pour moi, c’estune façon d’associer le patient à sa guérison. Ces deux questionssont compliquées.

Dr Etienne DUSEHU

Je voudrais repréciser mon propos. La question que je soulevaisétait de savoir comment récompenser la reconnaissance de lacompétence autrement que par l’argent.

Dr Michel LEGMANN

Jusqu’à présent, la politique de compétence était celle d’unepolitique de sanction financière négative. Si l’on reprend aujour-d’hui la question à la fois sous l’angle de l’éthique et sous celui defaire adhérer les médecins à une politique de formation, il est cer-tain qu’un système de récompense devra être mis en place, et ce,sous forme de lettre clé promotionnelle. Cela n’est que par cebiais et par un biais de promotion positive que l’on peut recueillirl’adhésion des médecins.

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Qualité et compétence en médecine

Dr Jackie AHR

La notion de patient malheureusement est aujourd’hui révolue.Elle a été remplacée par celle de consommateur. Il est importantde le prendre en compte.

Dr Pierre HAEHNEL

Les opinions ne me semblent pas aussi tranchées à ce sujet.Certaines associations se comportent de manière consumériste.Mais ce n’est pas l’opinion générale.

Dr Yves GERVAIS

J’ai entendu dire lors de la réunion qu’il était impossible dedéfinir la compétence. En effet, le concept de compétence au sensle plus général du terme est extrêmement flou. Mais les travailleursen ressources humaines nous ont bien montré que l’on pouvaitparler de différentes compétences précises, et que, dans cette pers-pective, il était possible de les définir et de mobiliser des ressourcespour les obtenir. Donc, je crois qu’on ne peut en rester à ceconstat d’impuissance.

Ensuite, nous n’avons pas posé la question de ce que nousvoulions évaluer au juste. Au fond, quels sont ingrédients qui fontqu’une prestation est de qualité ? La réponse à cette question vade l’organisation du cabinet médical, à sa facilité d’accès, la tenuedu fichier, l’hygiène du cabinet, la maîtrise des procédures straté-giques, la relation avec le patient, etc. On peut décliner un certainnombre d’éléments constitutifs de la chaîne de la qualité. Je nepense pas qu’il faille rester dans une considération vague. Il fautrentrer dans le détail. Il faut donc trouver des solutions à partirdesquelles on peut construire des indicateurs et des éléments deréférence.

Dr Vladimir GUIHENEUF

Nous n’avons pas abordé la question du coût de la démarchecompétence. Je crains que ce système ne revienne plus cher queles économies qui en ressortiront. C’est une question à éclaircir.

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Qualité et compétence en médecine

Dr Daniel GRUNWALD

Je voulais répondre à M. Gervais. Il ne me semble pas que nousen soyons rester au constat que la compétence était difficile à défi-nir. Nous avons dit que de multiples facteurs se combinant pou-vaient correspondre au métier de médecin et définir la compétence.Nous avons retenu que chacun de ces facteurs serait à évaluer defaçon différente. En fait il faut partir des problèmes pratiques quise posent pour analyser la compétence. Pour en venir à la questiondes coûts, il est vrai que l’évaluation a un coût. Manifestement,nous devons cibler ce que nous désirons apprécier et optimiser lesystème. La question des finances est très importante. Beaucoupde pays ont abouti à des systèmes de sanctions, presque toujoursfinancières.

Dr Pierre HAEHNEL

Je m’adresse à nos amis canadiens pour leur demander combiencoûte, chez eux, l’évaluation, et ce qu’ils donnent aux médecinsqu’ils souhaitent gratifier.

Dr Joëlle LESCOP

Les activités de l’Ordre coûtent 12 millions de dollars cana-diens, et le tiers de cette somme est dévolue aux programmes d’éva-luation.

Dr Pierre HAEHNEL

On peut mettre ce chiffre en rapport avec les 4 millions defrancs suisses dépensés par les Suisses pour l’évaluation sur leur ter-ritoire.

Dr Joëlle LESCOP

Pour ce qui concerne la gratification, les médecins compétentsreçoivent une lettre de félicitation. Ceux qui reçoivent un profilde leur pratique la considère comme une gratification en elle-même. Le phénomène intéressant est que les médecins canadiensqui ont connu ce type d’évaluation redemandent leur profil.

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Qualité et compétence en médecine

Nadine JOLIS

J’ai ressenti une certaine crainte, dès lors que l’on parle d’identi-fier et d’évaluer. Je crois que c’est la première barrière à franchir.L’enjeu en est en effet la légitimité de la profession.

Dr André CHASSORT

Je tirerai un parallèle entre la médecine et l’informatique. Onpeut considérer que les médecins sont des gestionnaires de donnéesmédicales. Devant cette information, il existe des prédateurs :l’Etat, les patients, les assureurs. Si nous ne prenons pas en mainla gestion de notre compétence, d’autres personnes risquent de lefaire.

Bernard JAUBERT

Il existe un paradoxe à l’évaluation. On estime en effet que lepremier évaluateur pertinent est le regard des pairs. Mais en mêmetemps, une évaluation honnête suppose que l’on sorte de son précarré et que l’on accepte le regard des autres. Les autres en questionpeuvent être les patients, les pouvoirs publics, les médias. Sinon,on risque de sombrer dans le travers des intellectuels qui lisent lesmêmes livres et décident entre eux qu’ils sont des personnes culti-vées.

Dr Pierre HAEHNEL

Tout à fait.

Pierre Louis DESPREZ

Je reviendrai sur quelques éléments qui ont été évoqués. Il mesemble d’abord que tant la sanction que la récompense sont l’apa-nage d’un système infantilisant, avec le positionnement du Conseilnational comme distributeur. Le monde libéral nous a habitués auparadoxe que le monde de l’argent distribue de la gratuité, notam-ment avec Internet. Je pense qu’il faut réfléchir à d’autres types de

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Qualité et compétence en médecine

récompenses que l’argent. L’argent doit être considéré comme laconséquence directe de la compétence.

La deuxième remarque concerne le fait que quelqu’un a sug-géré, lors de l’atelier 1, de supprimer la page de réflexion sur lesobstacles. Au contraire, il me semble que le Conseil national rentredans une stratégie, et que prendre en compte les obstacles existantsest nécessaire afin de développer des scénarios. Identifier etconnaître les obstacles permet d’anticiper des ripostes possibles. Ladifficulté vient du fait que le Conseil national des Médecinsnavigue dans un univers politique, et qu’on lui demande de fairede la stratégie pour la première fois. Il y a un apprentissage à fairedans ce domaine.

Troisièmement, quelqu’un a dit que si l’Ordre ne s’engageaitpas dans le débat, d’autres le feraient. Je dirais que la place estpresque déjà prise. Certains grands malades s’expriment par exem-ple sur Internet. Il me semble que l’Ordre des médecins doivefédérer sa communauté scientifique. A travers ces débats, l’enjeuest de revenir à une identité de fédération, lié à votre statut decorps intermédiaire.

Dr Pierre HAEHNEL

L’évaluation est un sujet important pour notre institution. Ellepose un certain nombre de questions, d’autant plus que noussommes entrés dans un nouveau système par rapport aux années1970. Un syndicat médical nous avait demandé, il y a quelquesmois, de redéfinir la place du médecin dans la société française. Ilest temps de répondre à cette demande. Le MEDEF a inauguré ily a quelques mois une refondation sociale qui a pris les syndicatsau dépourvu, en remettant en cause la gestion paritariste desrisques. Nous sommes dans la même démarche stratégique au seindu Conseil, parce que nous représentons l’ensemble des médecins.Nous avons donc la mission de réfléchir à la stratégie de remiseen question de la place du médecin dans la société actuelle. Cettequestion sera l’enjeu du congrès de demain. Je vous remercie tousde votre présence aujourd’hui.

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Qualité et compétence en médecine

Colloque du vendredi 23 juin 2000

Qualité et compétences des médecins :une nouvelle approche dans l’intérêt des patients

Pr Bernard GLORION

Mesdames et Messieurs, nous ne sommes pas très loin del’époque où les médecins étaient jugés par leurs patients selon descritères personnels, intimes et subjectifs. La confiance absolue quepouvaient avoir les patients envers leurs médecins reste une condi-tion de la réussite de la médecine. Mais ces jugements subjectifsse référaient plus à un comportement qu’à une réelle compétencemédicale. Depuis longtemps, les titres affichés sur les plaques etordonnances conféraient aux médecins une compétence reconnuepar la société, les plaçaient dans une catégorie à part et leurs don-naient une notoriété particulière. Ces marques étaient acquises unefois pour toutes et consacraient les médecins à vie. Pourtant, lesgrandes entreprises avaient déjà depuis longtemps introduit lanotion de compétence reconnue et contrôlée périodiquement, dansle but d’assurer à leur production une qualité sans cesse renouvelée.Considérant la médecine comme une profession à part, et l’hommecomme une matière unique échappant à tout modèle, les médecinscherchaient à mieux connaître leurs résultats à partir de l’analysede leurs activités, les prévisions de dossiers, certains travaux scienti-fiques, mais en fait mesuraient encore leur propre compétence parla taille de leur clientèle.

Il est difficile de dater le début de l’ère de l’évaluation et de lacompétence. Mais il est certain que les relations avec les organismesde sécurité sociale et les assureurs ont marqué une étape dansl’émergence des concepts de compétence et de qualité. Au risquede soulever des contestations, il faut admettre qu’un raisonnementinhabituel est apparu, qui fait référence à la consommation, à l’usa-

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ger et à un organisme payeur qui devient acheteur de soins dequalité. Cette présentation provocante n’exclut pas la démarche dela compétence dont le contenu éthique est indiscutable. Touteaction visant à promouvoir la qualité et à accroître les compétencesest au service du malade. La recherche du bien, du bon, de l’utile,du juste, de la bienfaisance dans la solidarité est une démarcheéminemment éthique. Cet objectif recueille l’approbation de tousles médecins et il semble inutile de se référer à des argumentséconomiques. La seconde approche constitue une précaution juri-dique essentielle. Avec le progrès scientifique et technique, la pré-vention des risques devient de plus en plus difficile et la pression dujuge de plus en plus menaçante. La compétence est une conditionnécessaire pour prévenir les risques. La crainte du juge pourraitaboutir à l’abstention, ce qui serait catastrophique, ou au contraire,devenir l’aiguillon qui encourage la recherche de la compétence.

Les gestionnaires du risque sont, après le patient, demandeursde compétence. La relation entre un acte médical et la réalisationd’un risque est en grande partie reliée à la compétence du médecin.Bien pénétré de ce principe fondamental, il appartiendra à Mon-sieur Le Boterf de nous dire que la compétence obéit à des règlesrigoureuses, qui s’appliquent aussi à la médecine. L’éternel débatde la médecine comme art ou science ne doit pas être un prétextepour ne pas soumettre nos actes techniques à une rigueur absolue.Cette exigence, qui consacre le professionnalisme, n’élimine en rienle facteur personnel que l’on doit reconnaître à la relation entre lemalade et le médecin. Convaincu de l’association entre la compé-tence et l’exercice professionnel, il appartiendra à nos collègues etamis des pays voisins de nous persuader que, si les chemins quimènent à la compétence sont variés, le but en reste le même :assurer aux malades des soins éclairés, dévoués, consciencieux etconformes aux données acquises de la science. C’est autour de cetteexigence universelle que nous clôturerons cette présentation de lacompétence des médecins. Nous apprendrons comment nos col-lègues envisagent l’acquisition, l’entretien et l’évaluation de cettecompétence. Mais le plus dur restera encore à faire : convaincre lesmédecins que nous sommes tous concernés par la compétence.

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Qualité et compétence en médecine

La culture de la compétence s’inscrit en lettres d’or dans lesexigences déontologiques, et l’Ordre des médecins devra s’en portergarant devant la société. Cette démarche ne doit pas rester un vœupieux. Elle doit se concrétiser comme réalité tangible et mesurable.Notre autorité morale nous contraindra alors à accompagner ceuxqui ont fait la preuve de difficultés dans leur compétence, pour lesaider à retrouver une aptitude à exercer, selon des références quiseront constamment actualisées et garanties. Les médecins ne doi-vent pas se contenter de la gloire et d’une réputation assise auprèsde leurs patients. Il ne faut pas qu’ils excluent une évaluation plusprécise de leurs pratiques et une recherche inlassable de la compé-tence.

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Qualité et compétence en médecine

Introduction aux débats

Philippe LEFAIT

Journaliste, modérateur des débats

En tant que journaliste et observateur, je voudrais faire plu-sieurs remarques que m’ont inspirés les débats de préparation àce colloque auxquels j’ai pu assister. Elles concernent trois pointsparticuliers : la société, la compétence et le regard de l’autre.

Depuis les années 70 ou 80, les sociologues sont assez unanimespour dire que les détenteurs de statut ont un impératif de commu-nication. Parmi ces détenteurs de statut, on compte le père defamille, le chef d’entreprise, ou encore le médecin par rapport àson patient. Nous vivons dans une société de plus en plus exigeanteen termes de communication et de transparence. Tous ceux quiont un statut particulier sont donc tenus de communiquer, et au-delà, de témoigner de la compétence. C’est l’objet de ma deuxièmeremarque concerne la compétence. En tant que journaliste, je diraique la compétence est un terme extrêmement ambigu. On dit sou-vent : « quel incompétent ! », mais beaucoup plus rarement, « quelcompétent ! » On peut donc imaginer que l’idée de la compétenceest difficile à valider dans notre culture. Simplement, sachez quele mot « compétent » apparaît au XIIIe siècle, qu’il est d’originelatine, et qu’il signifie à l’origine : « qui tend vers un même but ».A partir de 1680, le terme prend sa dimension actuelle. L’idée dela compétence devient celle de la capacité par ses connaissances etpar son expérience. En conclusion des débats de préparation à cecolloque, j’ai retenu l’idée que la compétence était un savoir-faireen situation, avec le meilleur outil possible et dans l’intérêtcommun. Ma troisième remarque concerne le regard de l’autre.Accepter le regard de l’autre, que celui-ci provienne d’un gouverne-ment, d’une société ou d’un patient, correspond fondamentalementà la remise en cause d’un pouvoir, mais aussi au passage d’un statutde toute-puissance à un statut de réelle autorité, dans une sociétéconsidérée comme responsable. Mais en même temps, accepter ce

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regard suppose de l’organiser. Cela suppose également de privilégierdes critères scientifiques et humains plus tôt que des critères écono-miques ou comptables. En effet, j’ai entendu pendant la prépara-tion de cette table ronde la remarque que nous étions dans uncontexte pollué par des logiques budgétaires ou comptables, parrapport à l’évaluation de la compétence. Accepter le regard del’autre, c’est enfin éviter de laisser les autres faire, que ce soit l’Etat,la presse, ou bien l’un des organismes qui gère les deniers de lasanté publique. C’est surtout à cela que ce colloque nous conduiraà réfléchir.

Vous verrez à travers les exemples des pays étrangers que, finale-ment, l’évaluation en médecine est chose facile. Mais il est vraique c’est la culture anglo-saxonne qui a largement permis cet étatd’esprit. En France, il me semble que nous avons quelques dizainesd’années de retard par rapport à cette capacité à accepter que quel-qu’un regarde vos compétences. Les questions de savoir qui juge,comment et pourquoi sont également essentielles. J’en ai terminépour ces propos liminaires. Je voulais simplement dire qu’il nefallait pas que le dernier classement réalisé par l’OMS, qui placela France parmi les meilleurs pays du monde en termes de systèmede santé, ne lui donne une rente de situation. Enfin, je finirai parcette anecdote. En contactant nos invités canadiens, je me suisaperçu que le Collège des Médecins canadiens avait mis en place unstandard électronique d’accueil, offrant aux patients la possibiliténaturelle, de se plaindre, d’affirmer son regard sur la compétencedu médecin. C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui de s’entretenir,de cette façon d’améliorer la qualité pour tirer vers le haut le sys-tème de soins en France globalement.

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Qualité et compétence en médecine

Qualité des soins - Compétences des médecins.Les enjeux

Dr Daniel GRUNWALD

Représentant du Comité scientifique,Secrétaire général adjoint du Conseil National

de l’Ordre des Médecins

Durant une rencontre préparatoire à ce colloque, les membresdu Conseil National de l’Ordre des médecins ont appréhendé lesnotions de qualité des soins, et de compétence des médecins, et cequ’impliquaient dans la réalité ces concepts.

A l’évidence en effet, la complexité de l’exercice médical actuel,plus encore le besoin de sécurité et de garanties exprimées par lespatients, de même que l’impact économique des coûts de la santécréent un besoin de confirmation, de contrôle, de la qualité desprises en charge et de la compétence des médecins au travers d’éva-luations appropriés.

Nos réflexions peuvent se résumer en cinq points :Messages autant qu’interrogations que nous vous soumettons

au début de ce colloque.

Qu’est-ce que la compétence ?

En premier lieu de quoi parle-t-on quant-on évoque la compé-tence des médecins ? Nous avons retenu (fig. 1) que la compétencepouvait être définie par la conjonction de trois données utiliséesde façon successive et simultanée :

Les connaissances (indispensables), le savoir-faire dans la pra-tique, les aptitudes relationnelles et organisationnelles. Leurscombinaisons, en situation, définissent la compétence.

Cette approche est novatrice, constituant une rupture par rap-port aux conceptions anciennes, amenant à s’interroger sur le modede formation, et de validation des études, l’évaluation, enmatière médicale.

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Qualité et compétence en médecine

En raisonnant ainsi on ne réduit plus la compétence aux seulesconnaissances (stade du diplôme). Tout devient affaire de situationpratique : le médecin compétent résout des problèmes concrets encombinant ces trois volets en fonction des situations rencontrées.Est intégré le fait que les moyens évoluent : Ce qui était autrefoispratique indispensable peut devenir banale et moins utile ; exempleanecdotique du stéthoscope, mais ce raisonnement concerne ausside nombreuses techniques d’examens complémentaires diagnosticsvoir de thérapeutique.

Conséquence de ces approches : la gestion des compétences seconstruit en permanence, c’est une dynamique évolutive (fig. 2) etnon la reproduction de dogmes figés. L’on peut être compétentdans certaines situations et pas dans d’autres : invitation à seremettre perpétuellement en question, réfutant également toutesimplification binaire entre compétence et incompétence. Cesnotions caractérisent enfin le métier de médecin, reposant sur lescapacités personnelles des praticiens s’intégrant également dansl’approche d’une compétence collective au sein d’un système dedistribution des soins au bénéfice des patients.

Qui a intérêt à la confirmation des compétences des médecins ?

En premier lieu le patient bien sûr, consultant, client, voirconsommateur de soins exigeant de plus en plus des garanties pouraccorder sa confiance à son médecin.

Le médecin aussi a comme objectif de créer en permanence unclimat de confiance avec son patient, facteur déterminant de laqualité finale des soins qu’il dispense. Les démarches d’évaluationvont ainsi permettre de valoriser l’activité des praticiens. Elles pour-ront conduire si utile à un accompagnement du médecin par lacollectivité professionnelle pour adapter ou modifier des écartsrelevés, estimés non souhaitables ; l’éventualité de sanction n’étantpas à envisager qu’après échec de ces démarches ou en cas deconduites dangereuses pour les patients.

Les autres acteurs de la santé sont également concernés : lelégislateur définissant les modalités de l’offre de soins ; ainsi queles différents organismes participant à leur financement.

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Qualité et compétence en médecine

Quels sont les objectifs d’un système visant au maintienet au développement continu des compétences ?

Un premier niveau est celui de la mobilisation individuelle despraticiens : Auto-évaluation, permettant une auto-adaptation despratiques, étape nécessaire, bien que non suffisante.

Un deuxième niveau vise une qualité des pratiques fondée etreconnues, par une véritable démarche qualité pouvant être concré-tisé selon différentes formes possibles (fig. 3). L’Ordre des Méde-cins pourrait en être le garant, et non pas seulement le bras séculieren cas de faute caractérisée.

La gestion des compétences : un enjeu déontologique

La gestion des compétences des médecins, tel que nous l’envisa-geons, est en fait une invitation à revenir aux sources : Le code dedéontologie médicale est la matrice du système. Il suffit d’en faireune lecture en fonction des besoins de notre société et des patients,pour voir qu’il contient tous les éléments inclus dans les démarchesd’évaluation de qualité et de compétence en médecine.

Les difficultés

Il y aura des difficultés, voir des obstacles à de telles démarches(fig. 4). Ce n’est pas une raison pour ne pas les entreprendre,mais cela impose de définir une stratégie tenant compte des écueilspossibles, s’appuyant sur l’ensemble du corps médical et sur tousles organismes partageant sans aucune ambiguïté la même volontéde recherche de la qualité des soins au bénéfice des patients.L’Ordre des Médecins garant du respect de la déontologie par tousles praticiens est donc au premier chef concerné par les objectifsainsi poursuivis et les garanties déontologiques de leurs procédures.

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Qualité et compétence en médecine

Conférences

Gestion des risques en santéet enjeux de la compétence

François EWALD

Professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers

I. La notion de risque appliquée à la médecine

1. Tout risque est relatif

Une réflexion autour des risques et de la compétence invited’abord à souligner qu’il n’existe pas de risque en soi. Il n’existede risque que par rapport à certains projets, par rapport à unevolonté, ou par rapport à ce que l’on appelle en théorie du risque,une espérance. Il peut y avoir un risque pour le médecin, en fonc-tion de son projet, un risque pour le malade, en fonction de cequ’il attend, un risque pour le système de santé, en fonction deses objectifs. Mais il n’existe pas de risque purement objectif.

2. Les quatre objectivations du risque

En matière de santé, on peut distinguer quatre types de risques.Le premier est le risque de tomber malade. Ce risque relève de

la santé publique, qui gère les chances ou malchances pour unepopulation déterminée d’être affectée par une maladie.

Un deuxième risque a pris dans notre société une importanceconsidérable. Il consiste à ne pas être soigné ou à être bien soignéquand on est malade. Il s’agit du risque de l’accès aux soins. Cerisque est couvert dans nos pays par un système d’assurance mala-die obligatoire et, en principe, universel. En France, nous pensonsque toute personne doit avoir un accès aux soins. Deux exigences

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supplémentaires existent, qui définissent certaines dimensions durisque : l’accès aux soins doit être égal et d’égale qualité.

Le troisième risque lié à la santé consiste dans la perte durevenu lorsque l’on est malade. Cette dimension sociale du risquea été prépondérante jusqu’en 1958. Ce n’est qu’en 1958 que lapart du remboursement des soins prend le pas sur l’indemnité jour-nalière dans les comptes de la Sécurité sociale.

Le quatrième risque est que le patient soit plus malade du faitd’avoir été soigné. Il s’agit du risque iatrogène ou des accidentsmédicaux.

Un cinquième risque peut être ajouté à cette énumération. Ils’agit du risque, pour le médecin, d’être mis en cause sur le planjudiciaire pour avoir prodigué des soins.

Parmi ces différentes dimensions du risque, il existe des corréla-tions et des distinctions. La dimension de l’accès aux soins est encorrélation avec la dimension du risque iatrogène. En effet, pluson offre de soins, plus on augmente statistiquement le risque d’ac-cidents. Mais on sait aussi que la qualité des indicateurs de santéne varie pas nécessairement avec les indicateurs concernant lessoins. Le fait que l’OMS ait décerné à la France le premier prixen matière de qualité des soins ne signifie pas que la populationfrançaise ait la meilleure santé. Ces réflexions font apparaître quela notion de risque était tout à fait relative en matière de santé.Le rôle du médecin est de délivrer des soins. Il ne délivre pasnécessairement la santé, quoique beaucoup de médecins aient cetteambition. C’est d’ailleurs ce que rappelait l’arrêt Mercier. Lesmédecins n’ont pas à fournir la santé, mais des soins, dans uncertain état de la science. On sait aussi que la santé n’est pas néces-sairement liée à la maladie. Selon la définition de l’OMS, la santéest un état de bien-être, et non un état lié à l’absence de maladie.

3. La mesure du risque

La notion de risque ne renvoie pas spécialement à la notion dedommage. Elle renvoie avant tout à une notion d’espérance, etdans la médecine, d’espérance de guérison. Le malade accepte un

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Qualité et compétence en médecine

traitement parce qu’il veut être guéri. La notion propre du risqueest donc toujours liée à une espérance, mais à une espérance quia un prix. Pour obtenir quelque chose, il faut mettre en jeu autrechose. La décision joue au moment de savoir où l’on met la balanceentre ce que l’on espère et ce que l’on veut mettre en jeu. Lerisque, en lui-même, n’est jamais là. Il est toujours imaginé, virtuel,envisagé. Seulement, ce qui caractérise le risque est qu’on lui donneune valeur, qui confère au risque une dimension actuelle.

Il existe bien des manières de mesurer le risque. La premièreen est la mesure psychologique, par le sentiment. Chacun a sonévaluation des risques. Les économistes expriment le caractère per-sonnel de l’évaluation des risques par la notion d’aversion aurisque. Chacun a une aversion au risque particulière. Face à chaquetraitement, on peut trouver des malades ayant une aversion tout àfait particulière. De ce constat découle une question ayant trait àla compétence. Les malades doivent-ils tous être traités de la mêmemanière ? Faut-il tenir compte de leurs attentes ?

La deuxième forme de mesure du risque est la forme statistiqueet probabiliste. Cette forme est très utilisée dans une perspectiverationnelle, objective, épidémiologique. On combat la perceptiondu risque par l’idée de son objectivation à travers des mesures àpartir d’une collection de faits probabilisés. C’est aussi la manièredont l’assureur objective le risque.

Enfin, il existe une mesure proprement sociale du risque. Elleest par exemple exprimée à travers la manière dont un systèmejuridique sanctionne la réalisation d’un risque. On peut lier unepeine très importante à la réalisation d’un risque, qui objectivementn’est pas très élevée, parce que l’on considère que ce comportementest socialement inacceptable.

Les trois mesures, psychologique, statistique, et sociale durisque ne coïncident pas. Le médecin a tendance à se référer àl’évidence statistique objective. Il se désespère de la façon dont ledroit refuse de prendre en compte l’évidence statistique pour descondamnations judiciaires qui ne lui semblent pas correspondre àla réalité objective du risque.

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Qualité et compétence en médecine

II. Compétence et risque

La compétence pourrait-elle jouer le rôle d’étalon autourduquel les perceptions objectives, subjectives, et sociales pourraientse rejoindre ? Dans la relation médicale le malade est dans unesituation de demande, qui le conduit à accepter un risque en fonc-tion d’une espérance de guérison. Dans cette logique, c’est lemalade qui porte le risque, puisque c’est lui qui le choisit. Danscette analyse très simple le risque n’est pas transféré sur le médecin,sauf exception et faute de sa part. Mais cette analyse ne suffit pas.En effet, la demande du malade est totalement corrélée à une offre,offre du médecin, mais aussi offre du système de santé. C’est d’ail-leurs l’un des gros problèmes posé par le risque médical. Ce risqueest-il à imputer à l’offre ou à la demande ? Ce risque est-il lié aufait que tout le système de santé répète qu’il est capable de fairedes exploits à votre endroit ou au fait que l’assurance sociale boule-verse les frontières ? En effet, l’intérêt des soins va bien au-delà dela seule reconnaissance d’une souffrance. On a intérêt, dans beau-coup de situations, à aller voir un médecin. D’ailleurs, le systèmesolvabilise ce type de demandes.

A partir de ces remarques, on peut voir que les manières dontla médecine et le droit analysent le risque sont conflictuelles. Pourun médecin, il me semble qu’un risque se mesure toujours parrapport à un autre risque. Le médecin ne raisonne jamais dansl’hypothèse d’un risque zéro. Le médecin balance constammententre plusieurs risques. Ces risques ne sont pas nécessairementobjectifs. Ils sont liés à la perception du risque ou à ce quedemande le malade. La situation peut changer d’un type de traite-ment à un autre, d’un âge à un autre. Le fait de comparer lesrisques n’est jamais, sans doute, un acte purement médical. Onpeut considérer qu’un médecin est satisfait s’il a maximisé, dansun sens économique, l’espérance d’utilité du malade. L’objectifn’est pas nécessairement de guérir, de mettre le patient hors risque,mais de réduire relativement son risque. Le judiciaire raisonneselon un critère totalement distinct, qui est celui de la faute, parrapport à un référentiel abstrait.

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Qualité et compétence en médecine

Dans cette réflexion, que nous apporte la notion de compé-tence ? Indépendamment de la gestion des risques médicaux etjudiciaires, la notion de compétence introduit un troisième typede rationalité. La notion de compétence est fondamentalementrelative à une attente. Ce qui est en jeu dans le choix n’est pasl’objectivité mesurée d’un risque médical. Ce n’est pas non plus lafaute par rapport à un schéma abstrait. C’est l’adéquation à uneattente, et à ce que le client a demandé. La compétence est laréponse adéquate à une attente formulée. De ce point de vue, lacompétence n’est pas équivalente au risque zéro, même si l’on peutmesurer la compétence par des risques.

Qu’est-ce qui caractérise maintenant l’évolution judiciaire durisque dans la relation médicale ?

III. L’évolution judiciaire du risquedans la relation médicale

1. Les deux tendances récentes

Deux phénomènes caractérisent l’évolution judiciaire du risquedans la relation médicale.

Le premier est que le risque médical tend à devenir un risquede système et non plus un risque de médecin. C’est la grandeinnovation de l’arrêt Bianchi, qui a permis d’impliquer une respon-sabilité médicale indépendamment du médecin. Depuis l’arrêtBianchi, on a vu se multiplier des cas de responsabilité médicaleimpliquant d’autres acteurs que les médecins : les lieux de soins,les médicaments, l’Etat ou la Sécurité sociale. Je pense que votreréflexion sur la notion de compétence est très liée à cette situation.Le médecin n’est plus saisi par le droit comme le centre de l’actemédical, mais comme un élément d’un système plus global. Leproblème désormais est de savoir si ces différents intervenants sontou non solidaires vis-à-vis du droit. La grande innovation des arrêtsde 1999 est l’idée posée d’une solidarité entre le médecin et laclinique. C’est un fait important pour le médecin.

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Qualité et compétence en médecine

Le grand deuxième fait judiciaire est que le médecin n’est plusseulement responsable de ses actes, mais il est responsable de larelation avec ses malades. Jusqu’à récemment, le médecin était res-ponsable d’actes. Mais avec les arrêts de 1997 sur le devoir d’infor-mation, c’est le rapport qu’entretient le médecin avec son maladeque l’on vise. C’est la relation elle-même qui devient une sourcede responsabilité médicale et éthique.

2. La compétence et l’évolution du risque judiciaire

Quelle innovation la compétence est-elle susceptible d’intro-duire dans ces évolutions récentes ?

D’abord, il semble que la démarche compétence exprime lavolonté par les médecins de se réapproprier un processus qu’ils ontjusqu’alors subi. Les médecins sont de plus en plus des acteursd’un système. La volonté des médecins est de ne pas subir, maisd’agir, de gérer leurs propres transformations.

Deuxièmement, la démarche compétence est une démarche quin’a pas de sens dans l’absolu. C’est une démarche relative à unobjectif, à une attente toujours déterminée et qu’il convient demesurer. On ne peut pas développer une démarche compétencesans définir ce que telle population, tel groupe attend. La compé-tence est donc relative, dans l’espace et dans le temps. Il y a presqueautant de compétence qu’il y a de malades. La compétence est unenotion complètement contextualisée.

Par ailleurs, et c’est peut-être ce qui peut modifier le rapportdu médecin avec lui-même, la compétence n’a de sens que si elleest mesurée. La compétence décrit un ensemble de techniques àtravers lesquelles le médecin est susceptible d’avoir un nouveauregard sur lui-même. La compétence est d’abord un principe devisibilité, un rapport à soi. Lorsque l’on s’engage dans unedémarche compétence, on décide de se doter d’instruments d’ob-servation de ses propres pratiques.

Dans la visibilité qu’un médecin veut se donner à lui-même,quelle est la place que l’on donne au risque ? Peut-être ne peut-on pas répondre abstraitement à cette question. On dira sans doute

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Qualité et compétence en médecine

que pour une spécialité neuve, la part du risque doit être beaucoupplus faible que pour une technique médicale devenue courante.Le problème de l’utilisation du risque pour objectiver sa proprecompétence est un problème de pondération. La notion de risquen’est pas nécessairement liée à la compétence qui signifie le fait derépondre adéquatement à une demande. La difficulté du sujet estque l’on demande beaucoup plus au médecin que de répondre àla demande. On lui demande d’être responsable pour le malade.C’est en cela que la juridicisation de la relation médicale peutdevenir dangereuse. Tout le problème est de savoir si le médecindoit imposer un traitement au malade ou s’il répond à sa demande.La compétence médicale est sans doute entre les deux, dans lamanière de prendre en charge une demande, mais aussi d’aider unepersonne à affronter un risque objectif.

Par ailleurs, il me semble que la notion de compétence n’estpas individuelle. C’est une notion indissociable d’une organisation.Dans le monde de l’entreprise, la démarche compétence est bienune démarche qui implique toute l’entreprise. La question est desavoir quelle est l’entreprise en médecine susceptible de mettre enplace cette démarche. L’Ordre prend cette affaire en main. Maison peut se demander si la CNAM n’est pas aussi responsable. Quelest le titulaire, l’acteur de la compétence en médecine ? On peutdire que l’introduction de la notion de compétence en médecinesuppose que de nouvelles formes d’organisation de la médecinesous forme de réseau soient engagées.

Je ne pense pas que la notion de compétence affranchira lesmédecins du risque judiciaire. En revanche, l’Ordre des médecinspeut certainement obtenir que le risque soit collectivement assumé.Ce serait une très grande nouveauté en médecine. On pourraittransformer le risque en risque choisi. L’idée serait de fixer pourchaque activité, un degré d’acceptation du risque. Cette démarchepourrait conférer aux médecins une certaine protection vis-à-visdes tribunaux. Le risque sera pris individuellement, mais assumécollectivement.

En conclusion, la démarche compétence est une démarche deresponsabilité non pas subie mais assumée. Deuxièmement, l’ex-

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Qualité et compétence en médecine

pression de cette démarche est extrêmement importante pour vous,médecins, parce qu’il me semble que vous vous réappropriez votreautonomie, votre responsabilité, et votre identité, à un moment oùelles me semblent doublement menacées. Elles sont menacées d’unepart par une sorte d’utopie plus ou moins sourde, technocratique,administrative, et scientifique, qui, avec une domination de larationalité économique des choix médicaux, réduirait l’exercice dela médecine à ce qu’une procédure scientifique peut dire de telleou telle situation, et lierait la décision médicale à ces procédures.On peut penser que cette utopie est contenue dans les notions de« juste soin » ou de « panier de soins », qui peuvent réduire lemédecin à un administrateur de soins objectifs. D’autre part,l’identité du médecin me semble menacée par les débats sur ledossier médical. Il correspond au fait de savoir quelle est la placedu médecin dans la maladie du malade. Jusqu’à présent, le médecinavait la tutelle de la maladie. Si c’est le patient qui tient le dossiermédical, il ne restera pas seul. Il ira chercher sur Internet ou auprèsd’associations, le support de la décision qu’il recherche, et c’estcette décision qu’il imposera au médecin, celui-ci devenant le tech-nicien à qui l’on demande d’exécuter un acte. C’est peut-être parrapport à ces deux risques que résident les enjeux de la compétence.

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Qualité et compétence en médecine

Vers une nouvelle approche du professionalisme :assurer une relation de confiance

par la construction des compétences

Guy LE BOTERF

Docteur d’Etat en lettres et sciences humaines,Fondateur et directeur de LE BOTERF CONSEIL,

Auteur de « Construire les compétences individuelles et collectives »(éditions d’Organisation, 2000)

Je voudrais tout d’abord remercier le Conseil de l’ordre, et plusparticulièrement son Président le Professeur Bernard Glorion, dem’avoir invité à participer à vos travaux sur la « qualité et la compé-tence en médecine ».

Je ne suis pas médecin. Et bien qu’il me soit arrivé de travailleravec le secteur médical, je n’en suis absolument pas un spécialiste.Mon métier consiste à aider les entreprises et des organisations trèsdiverses, en France et à l’étranger, à monter et à améliorer desdispositifs de développement et d’évaluation des compétences pro-fessionnelles.

Ce que je vous propose donc dans cette communication est devous faire part des leçons que l’on peut tirer d’expériences de ges-tion et de développement des compétences qui ont été lancées etréalisées au cours de ces quinze dernières années.

Je n’oublie certes pas que la compétence médicale possède uncaractère très spécifique : elle ne peut être de la même nature quecelle d’un conducteur de machine automatisée ou d’un ingénieurdes ventes. Il n’en reste pas moins qu’il existe des comparaisonsintéressantes à faire entre les processus que des professionnels trèsdivers mettent en œuvre pour agir avec compétence, pourconstruire des réponses compétences à des problèmes qu’ils doiventrésoudre dans les contextes de travail qui sont les leurs.

Je vous invite donc à prendre connaissance de ces enseigne-ments de l’expérience en prenant le recul nécessaire et en vous

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Qualité et compétence en médecine

posant avec moi la question de savoir dans quelle mesure ils nepourraient pas alimenter la réflexion que vous avez entreprise surla compétence médicale.

Je vous propose d’organiser mon exposé autour de quatreleçons de l’expérience qui me semblent essentielles :

1) La première concerne la relation entre la confiance, les procédureset le professionnalisme.

Nous vivons dans une économie qui se caractérise par une exi-gence de plus en plus forte de « confiance », de recherche de la « fia-bilité » :

– Les procédures d’assurance qualité (le contrôle des conditionsen amont pour « garantir » la qualité au client, pour assurer qu’ilpeut « faire confiance »).

– Les procédures concernant la sécurité ou la sûreté dans lessystèmes à risques (centrales nucléaires, pilotage d’avion...).

Mais, avec le développement d’une économie de service quivise à offrir des services personnalisés, d’une part, et avec la crois-sance de la complexité des problèmes professionnels à résoudre,d’autre part, les procédures, même si elles sont utiles, ne suffisentplus à assurer la confiance. Un excès de procédures peut mêmes’avérer contre productif et entraîner de la non qualité. On ne peutpas créer des procédures pour toutes les situations de service quipeuvent se présenter et qui se caractérisent par leur « singularité »ni pour arbitrer dans toutes les situations de complexité.

Il faut pouvoir faire confiance aux compétences du profession-nel. La relation de confiance se fonde de plus en plus sur le profes-sionnalisme.

Que faut-il donc entendre actuellement par « professionnel » ?Je crois que l’on peut actuellement définir le professionnel

comme une personne à qui un commanditaire ou un bénéficiaire(client, patient...) peut faire confiance pour qu’il prenne l’initiativede fournir des réponses pertinentes à une situation problème carqui ne laissera rien échapper d’important concernant à la fois :

– la demande et les spécificités du destinataire (client, patient,usager, bénéficiaire...) ;

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Qualité et compétence en médecine

– la situation-problème particulière sur laquelle il doit interve-nir et qui peut être inédite ;

– les exigences, les « règles de l’art » (on pourrait dire des« données actuelles de la science » pour un médecin) et l’éthiquepropres au domaine professionnel ou au métier qui est le sien ;

– les ressources non seulement personnelles mais également deson réseau professionnel qui peuvent être activées et combinéespour construire une réponse pertinente.

C’est donc bien une relation de confiance qui est demandée auprofessionnel et qui le caractérise. Ce qui est attendu de lui, c’est :

– la mise en œuvre d’une relation de service : prise en compteet écoute des besoins d’un client, et non seulement mise en œuvrede savoir faire techniques. Un architecte qui concevrait une maisonen respectant les règles techniques et selon ses critères esthétiquesmais qui aboutirait à un bâtiment invivable pour ses habitantsparce que ne correspondant pas à leur mode de vie ne peut pasêtre considéré comme un professionnel. Il n’aura pas su prendreen compte et anticiper les besoins de ses clients ;

– la capacité d’initiative pour construire des réponses perti-nentes par rapport à des situations variées, complexes, imprévues :il sait aller au-delà des procédures. En médecine, il faut souventprendre des décisions dans l’incertitude et dans un univers de pro-babilités ;

– « l’intelligence des situations » : il ne laisse rien échapperd’important, il ne laisse rien au hasard, il saura prendre en compteles diverses dimensions techniques, économiques, qualité, sécurité,préservation de l’environnement ;

– la mobilisation d’un réseau professionnel de ressources. Pre-nons un exemple dans le secteur médical : un chirurgien qui setrouve placé devant un coma post opératoire inexpliqué et ne cor-respondant pas à un cas qu’il a déjà rencontré ne peut pas a prioriêtre taxé de non professionnalisme. En revanche, il ne saurait êtrereconnu comme un professionnel s’il ne consulte pas les banquesde données pertinentes qui permettraient peut être de trouver uncas similaire dans une autre partie du monde ;

– les exigences éthiques ou déontologiques.

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Qualité et compétence en médecine

Toutes ces caractéristiques posent la question des « compé-tences » du professionnel.

2) Deuxième leçon de l’expérience : Disposer d’un concept dyna-mique de la compétence et adapté aux exigences actuelles de l’organisa-tion du travail et de la complexité.

– Un concept dynamique : cela signifie disposer d’un conceptqui permette de répondre à la question : qu’est-ce qu’agir aveccompétence ?

Car si nous comprenons mieux le processus par lequel unepersonne agit avec compétence, construit des réponses compé-tentes, alors nous pouvons monter des dispositifs qui conforterontce processus, qui lèveront des obstacles à sa mise en œuvre.

– Un professionnel agit avec compétence s’il sait sélectionner,combiner et mobiliser des « ressources » pertinentes pour agirconformément à des exigences professionnelles et produire unrésultat escompté pour un destinataire (ex et schémas).

On peut dans les entreprises et les organisations utiliser un« curseur de la compétence ».

Ce schéma (voir tableau 1) indique que la définition de lacompétence varie selon le contexte de travail où elle s’insère.

Lorsque le curseur de la compétence se trouve proche des situa-tions à « prescription stricte », c’est-à-dire où les employés doiventse limiter à appliquer des instructions précises et à effectuer lestâches d’un travail fragmentaire, la compétence doit se définir entermes de « savoir-faire ». Elle se réduit à savoir exécuter des opéra-tions prescrites.

Si le curseur de la compétence est voisin du pôle marqué pardes prescriptions ouvertes, par l’exigence de savoir faire face à desévénements imprévus, par l’affrontement à la résolution de pro-blèmes complexes, alors la compétence se définira davantage entermes de « savoir agir ». Le professionnel devra alors savoir prendredes initiatives et des décisions, faire des choix, prendre des risquesou choisir entre des risques, innover au quotidien et prendre desresponsabilités. Dans une telle situation, pour être reconnu commeun professionnel compétent, il ne suffit plus d’être capable d’exécu-

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ter le prescrit mais d’aller au-delà du prescrit. Il va de soi que lacompétence médicale se définit par rapport au « savoir agir », mêmesi elle doit être en mesure d’intégrer plusieurs « savoir-faire ».

On peut définir la compétence d’un médecin comme un« savoir agir en situation ». Il s’agit bien de savoir gérer des situa-tions complexes et événementielles et de savoir prendre des initia-tives pertinentes dans le contexte de « situations cliniques ».

Je me suis risqué à traduire cette approche dans le cas du méde-cin généraliste. Les schémas des tableaux 2 et 3 montrent que lesactivités que le médecin doit être capable de réaliser (et qui nesont en rien exhaustive, bien entendu, dans mon exemple) doiventaboutir à un certain nombre de résultats. Pour réaliser ces activitésavec compétence, le médecin doit être capable de sélectionner,combiner et mobiliser un ensemble de « ressources » pertinentesqui peuvent être de deux sortes : des ressources individuelles(connaissances, savoir-faire, expérience, culture, qualités person-nelles...) et des réseaux de ressources qui lui sont extérieures(banques de données, réseaux de santé, collègues, spécialistes...). Cedouble équipement de ressources montre bien que la compétenceindividuelle et la compétence collective sont de plus en plus intime-ment liées. Un professionnel pourra de moins en moins êtrecompétent, agir avec compétence en étant isolé. La réponse compé-tente deviendra essentiellement une réponse de réseau, même sicelle-ci n’exclut pas la forte implication de la personnalité du pro-fessionnel.

Mais le simple libellé d’une activité n’est pas significatif de lacompétence. Il convient d’être plus précis. « Etre capable d’effec-tuer un diagnostic global de la situation » suppose de savoir le faireen prenant en compte un ensemble d’exigences telles que : « en »identifiant le degré de gravité de la maladie, « en » informant del’évolution possible de sa maladie, « en » s’informant sur les antécé-dents de consultation du patient, « en » consultant le dossier médi-cal du patient... Ces formulations « au gérondif » sont trèsimportantes et elles peuvent être traduites de façons variées et perti-nentes selon la personnalité du médecin.

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Qualité et compétence en médecine

On pourrait prendre ici une analogie musicale : de même qu’ily a plusieurs bonnes interprétations d’une même partition demusique, il y a plusieurs bonnes traductions d’une même compé-tence requise si celle-ci relève davantage du savoir agir que dusavoir-faire. Je ne pense pas qu’il faille concevoir la compétencemédicale en termes de normes. Les compétences requises doiventêtre des points de repères, descritères de références. Il n’y a pas qu’uneseule façon d’être un bon médecin généraliste, de la même façon qu’iln’y a pas qu’une seule bonne façon d’interpréter Schubert.

En conclusion, agir avec compétence, c’est savoir construire etmettre en œuvre une combinatoire de ressources qui permette degérer de façon pertinente une situation complexe, même si celle-ci est inédite.

Les diplômes sont des témoins de l’acquisition de ressources àun moment donné. Ils peuvent aussi attester de l’acquisition depremières compétences si les modalités de la formation entraînentà construire des combinatoires de ressources dans des domaines parti-culiers : c’est le cas de la formation par la simulation, par la pédagogiede résolution de problèmes, par l’alternance... Mais les compétencesse construisent surtout en situation professionnelle réelle.

3) Réunir les conditions de réussite d’une démarche de gestion et dedéveloppement des compétences. Parmi les principales, on peut noter :

– des référentiels de compétences qui vont à l’essentiel, quisont synthétiques. Ces référentiels doivent identifier les principalessituations qu’auront à gérer les professionnels. (pour les médecins,ce seront des « situations cliniques », comme : « assurer la prise encharge d’une pathologie lourde à domicile »).

L’expérience montre qu’il faut éviter les listes interminables desavoirs, savoir-faire, savoir être ;

– associer l’ensemble des acteurs concernés à l’élaboration desréférentiels ;

– considérer les référentiels comme des points de repères, des« références » à interpréter, à traduire et non comme des normesaboutissant à produire des comportements stéréotypés ;

– mettre en place un dispositif d’actualisation périodique desréférentiels ;

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Qualité et compétence en médecine

– concevoir un système de développement du professionna-lisme qui intègre des modalités variées de formation et qui entraîneà sélectionner, combiner et mobiliser des ressources variées ;

– adopter comme règle essentielle qu’il vaut mieux établirune cohérence forte entre des outils simples (référentiels, projetsindividualisés de professionnalisation, évaluation, formation, vali-dation...) que d’avoir une cohérence faible entre des outils sophis-tiqués ou compliqués.

4) Concevoir l’évaluation des compétences dans une perpective positived’analyse et de progrès des pratiques professionnelles.

Cela signifie en particulier :– utiliser les exigences professionnelles décrites dans les référen-

tiels comme des critères à interpréter. Il n’y a pas qu’une seulebonne façon d’écouter un patient. (analogie avec la partition musi-cale et ses interprétations) ;

– faire porter l’évaluation non pas sur la personne mais sur sespratiques médicales ;

– organiser des situations d’évaluation qui correspondent auxsituations professionnelles à gérer ;

– distinguer les trois niveaux ou « entrées » possibles pour l’éva-luation : les résultats, les pratiques professionnelles, les ressources ;

– veiller à la transparence des finalités et des règles d’évaluationnécessaires à l’établissement d’un climat de confiance ;

– combiner l’auto-évaluation et l’évaluation collégiale qui per-met de s’approcher d’une plus grande objectivité.

J’aimerais conclure en disant que la question qui se pose pourvous n’est pas « qu’est ce que la compétence » ? Elle me sembledavantage être « de quel concept de compétence avons nous besoinpour ce qui est de la compétence médicale ? » Dans cette perspec-tive, les quelques « leçons de l’expérience » que vous m’avez donnél’occasion de vous communiquer ne peuvent être que des sourcesde réflexion possible pour trouver votre propre réponse. J’espèrequ’elles pourront vous être utiles pour relever ce grand et passion-nant défi de la confiance qui est celui du professionnalisme.

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Qualité et compétence en médecine

Débat

Philippe LEFAIT

De votre point de vue, la population des 220 000 médecinsfrançais est-elle prête à s’approprier ce système ?

Guy LE BOTERF

Je ne connais pas suffisamment bien la population médicalepour répondre à cette question. Mais, de mon point de vue, l’unedes questions qui peut se poser est essentiellement culturelle, etporte non pas sur la compétence elle-même, mais sur son évalua-tion. Quelle définition de l’évaluation les médecins français peu-vent-ils accepter ? En outre, il me semble que la situation desmédecins préfigure de plus en plus celle que d’autres métiers, plusindustriels, rencontreront. Les médecins affrontent la complexité,arbitrent entre plusieurs risques, et font de plus en plus appel àd’autres acteurs faisant partie du même système. Le travail quevous entreprenez me semble donc très important, non seulementpour vous, mais aussi pour d’autres professions.

Philippe LEFAIT

Qu’est-ce que la latinité et quels sont les obstacles qu’elleinduit ?

Guy LE BOTERF

La latinité est une caractéristique culturelle. J’ai eu l’opportu-nité de travailler en Amérique latine, en Espagne, mais aussi enAmérique du Nord. Quand je compare les deux, j’observe la crispa-tion qui peut régner sur la notion d’évaluation dans les pays latins,parce qu’elle met en cause la personne. Mais je crois que cetteconception est à la fois un obstacle et un point positif. En effet,je crois de plus en plus qu’il ne faut pas évaluer la personnalitéelle-même mais la façon dont on a su mobiliser les ressources d’une

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Qualité et compétence en médecine

personnalité pour répondre à une exigence professionnelle. Beau-coup d’entreprises dans lesquelles je travaille sont confrontées auproblème que les dirigeants ont toujours recruté des gens sem-blables à eux. Avec l’ouverture des marchés à la concurrence, illeur devient important de recruter une variété de personnes.L’Oréal, par exemple, est un groupe où systématiquement, onrecrute des personnalités différentes, disposant de styles d’appren-tissage, de formations, et de modes de raisonnement différents.L’idée est donc de considérer la personnalité comme une ressource.Evaluons, non pas des personnes, mais des façons d’agir.

Pr Bernard GLORION

François Ewald a parlé d’appropriation par l’Ordre des méde-cins de nouvelles missions. Je souhaitais intervenir pour qu’il n’yait pas d’ambiguïté sur le rôle de l’Ordre. L’Ordre des médecinsa des missions qui lui sont confiées par le législateur. Il doit attesterde la qualité morale des médecins. Or, on ne peut pas imaginerd’attester de la qualité morale des médecins sans évoquer leurcompétence. Je pense d’ailleurs que dans le projet de loi de moder-nisation du système de soins, l’Ordre sera cité dans le chapitreconcernant la qualité des soins. Mais cette mission est très limitée.L’attestation signifie que l’inscription au tableau de l’Ordrecomporte des renseignements sur la compétence initiale dumédecin, et comportera bientôt les mêmes renseignements sur lacompétence entretenue. Mais toutes les actions de contrôle del’acquisition de la compétence ne relèvent pas de l’Ordre. L’Ordrea pour mission de constituer une interface entre la société et laprofession.

De la salle

Comment arrivez-vous à différencier l’analyse des pratiquesprofessionnelles de la personnalité d’un praticien ? En effet, si l’onn’est pas capable de séduire son patient avec ses compétences, aussibonnes soient-elles, on n’est pas un bon médecin.

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Qualité et compétence en médecine

Guy LE BOTERF

Je ne dis pas qu’il faut éliminer la question de la personnalitédans la construction de la compétence. Dans la construction d’uneréponse compétente, la personnalité intervient comme une res-source. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il n’y a pas une seule bonneréponse compétente à une situation. Selon les personnalités, oncrée des combinatoires différentes de ressources. Par exemple, pourun manager en entreprise, il n’y a pas qu’une seule façon de gérerune équipe en temps de crise. Selon la personnalité du manager, laméthode utilisée sera différente. Mais on peut reconnaître ensuite àun certain nombre de critères la bonne gestion de la crise. Lapersonnalité intervient de plus en plus dans la construction descompétences. Certains ergonomes du CNAM parlent de « prescrip-tion de la subjectivité ». Cela signifie que l’on demande aux per-sonnes de s’engager de plus en plus dans la construction deréponses compétentes. Cela n’empêche que l’on ne fait pas porterl’évaluation sur la personnalité mais sur la façon dont une personnea su mobiliser des ressources de sa personnalité dans une pratiqueprofessionnelle précise. On évalue la façon d’agir, la pratique pro-fessionnelle, la combinatoire singulière de ressources que la per-sonne a su créer. Plus on est dans une situation de services, plusles possibles sont variés. Prenons le cas d’une hôtesse d’accueil. Ily a plusieurs façons de produire un accueil personnalisé et chaleu-reux. Certaines entreprises ont essayé de codifier ces attitudes. Maisil n’est pas certain que cela fonctionne toujours, parce que lessituations rencontrées sont extrêmement diverses. Ensuite, onaboutit à mettre les gens dans des conflits psychologiques souventtrès importants, parce qu’on les oblige à avoir tel type de compor-tement, alors qu’il est possible de trouver un comportementbeaucoup plus juste en mobilisant ses ressources personnelles. Lapersonne compétente est celle qui sait mobiliser au maximum sesressources, et les ressources des autres. Donc, je relie très fortementla personnalité à la compétence, mais je fais porter l’évaluation surles façons d’agir.

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Qualité et compétence en médecine

De la salle

Je suis président de la conférence des doyens. M. Le Boterf amontré le caractère universel et adapté de ses concepts par rapport ànotre profession médicale. Je voudrais insister sur l’un des derniersmessages qu’il a émis à la fin de son exposé. L’Oréal, pour disposerde compétences globales, a associé des compétences de formationdifférente. A un moment où l’on veut réformer les études de méde-cine, et nous comptons sur le concours de tous les acteurs dusystème de santé pour le faire, nous devons être capables de mélan-ger les cultures des professionnels à l’intérieur de notre culturemédicale. Nous devons amener d’autres professionnels aussi à l’in-térieur de notre filière de médecine. M. Le Boterf a été lumineuxet je le remercie en ce sens.

De la salle

Je travaille dans une mutuelle d’assurance qui couvre près desdeux tiers des médecins libéraux français. L’assureur a été presqueabsent de l’ensemble des propos qui ont été tenus ce matin. Maisje voudrais signaler deux points importants.

D’abord, la profession médicale restera-t-elle assurable si lesdérives actuelles continuent ? On ne peut pas travailler sans assu-rance, mais le montant des sinistres et des condamnations judi-ciaires augmente dangereusement, du fait de l’incompétence decertains.

Ensuite, je voudrais dire que cette incompétence n’est pas diffi-cile à évaluer. Elle est même flagrante. Mais seul l’assureur médicalla connaît. Il sait que certains médecins sont des tueurs ou desaccidentaires sériels ! Mais l’assureur n’a pas le droit de faire étatde cette information, dans le système actuel. Il est donc placé dansune situation très problématique. Connaissant la sinistralité de sesassurés, il se trouve en quelques sortes complice de la mise endanger de la vie d’autrui, ce qui est contraire à ses dispositionséthiques. L’assureur n’a que deux moyens d’action : résilier l’assuréou augmenter le montant de sa cotisation. Ce problème déontolo-

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Qualité et compétence en médecine

gique est tout à fait alarmant. Il est nécessaire de trouver unesolution, à travers un système de reporting.

Nous sommes dans une société qui oblige tout professionnelde la santé ayant connaissance de sévices faits à enfant de saisir leprocureur de la République. En revanche, il n’y a aucune obliga-tion à saisir une autorité compétente quand on a connaissance,dans son exercice professionnel, de sévices graves causés à desadultes. Je voulais signaler cette incohérence.

De la salle

Je représente des associations d’usagers. Je voulais dire que lacompétence n’est pas l’objet d’une reconnaissance uniforme. Laplupart des médecins sont compétents en général et ont des pro-blèmes dans certains domaines. Pour les usagers, la reconnaissancede ses limites de la part d’un médecin, et le relais qu’il pourraitfaire vers certains de ces confrères, seraient des compétences trèsappréciées.

Guy LE BOTERF

Votre remarque souligne bien la relation très forte entre lacompétence individuelle et la compétence collective, qui est lacoopération entre les compétences individuelles.

Philippe LEFAIT

Un autre mot très important a été cité, qui est celui de réseau.

De la salle

Je voulais souligner la difficulté dans laquelle se trouvent lesmédecins, du fait qu’on leur présente leur profession comme unart, une vocation et non un commerce. Il faudrait peut-être queles médecins admettent que leur métier est un métier. Cette dispo-nibilité et implication qu’on leur demande dans leur métier estpeut-être la raison pour laquelle ils vivent mal l’évaluation.

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Qualité et compétence en médecine

Guy LE BOTERF

J’aurais une position plus nuancée que vous. Je crois que lamédecine est aussi un art. C’est un métier où il y a une grandepartie de non-exécution de procédures, où il faut trouver une solu-tion entre plusieurs risques et critères. C’est là qu’il est importantde ne pas avoir un dispositif d’évaluation qui conduise à comparerà un modèle unique, mais où l’on travaille beaucoup plus sur l’in-terprétation de la partition. C’est un métier de compromis entreplusieurs solutions.

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Qualité et compétence en médecine

La situation en France, enjeux et perspectives

Pr Yves MATILLON

Directeur de l’Agence nationale d’accréditationet d’évaluation en santé (ANAES)

Ayant pratiqué la médecine interne et la kinésithérapie, jeconserve de nombreuses questions sur ces notions de frontières decompétence, et de pratique de l’exercice, y compris sur la manièredont le contact avec le patient peut jouer un rôle dans la pratiqueprofessionnelle. Par ailleurs, j’ai le privilège de diriger une agencecréée dans les années 90, l’ANDEM, qui a été transformée en 1996en Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé,ANAES. L’un des mécanismes de base de cette structure est d’êtreà taille limitée, de favoriser l’échange avec les professionnels méde-cins, paramédicaux, et directeurs d’établissements.

Le sujet qui nous réunit est proche des notions de certification,d’accréditation, d’évaluation et de la qualité. Ces concepts peuventparaître banals. Nous sommes tous attachés à la qualité. Mais quelest le sens de la qualité ? Il est assez complexe de la formaliser.

Dans les publications professionnelles des mois de janvier à mai2000, 59 articles ont été consacrés aux sujets de qualité, de lacertification et de l’accréditation du corps médical. Parmi eux, 53faisaient une confusion entre les termes de « qualité », d’« évalua-tion » et de « compétence ». C’est tout à fait normal. Le débatactuel vise à donner du sens à ces mots et aux actions qui ont étéet/ou seront engagées dans ces domaines. De la clarté des objectifs,des actions et des conséquences de ces actions, dépendront la qua-lité de l’intégration de la compétence individuelle et de la compé-tence collective.

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Qualité et compétence en médecine

I. Historique de l’évaluation en médecine(la décennie 1990-1999)

L’ANDEM a permis l’échange entre les professionnels de lasanté pour structurer une démarche, qui a des limites, mais qui ale mérite d’exister.

D’abord, en 1990, nous avons souligné l’importance de la syn-thèse de l’information, devant la production considérable deconnaissances scientifiques et professionnelles. L’élaboration deréférences professionnelles était en 1990, un concept nouveau etune action mal maîtrisée par les professionnels qui se sont lancésdans cette démarche.

L’élaboration de recommandations pour la pratique cliniquen’est pas l’élaboration de normes de pratiques figées. Ce sont despropositions élaborées par les professionnels, permettant de situerl’état des connaissances, de mieux pratiquer la médecine et d’aiderle patient dans la prise de décision du traitement. Cette définitionest importante parce que le risque était omniprésent, en 1990,d’être critiqué dans la perspective d’élaborer des normes rigides.Mais la plupart des pays anglo-saxons ou européens partagentnotre objectif.

Deux types de méthodes ont été développées. La première, avecle public, prend la forme des conférences de consensus. Mais enFrance, le débat public n’a qu’une portée limitée. L’autre méthodeest l’élaboration de référentiels par des groupe de travail. L’objectifn’en est pas toujours facile à atteindre, compte tenu des intérêtsparticuliers en jeu.

Les démarches élaborées depuis dix ans en France ont conduità rediscuter des bases d’élaboration de ces référentiels de bonnepratique. Deux courants de pensée sont opposés. Le premieraffirme que l’on ne peut pratiquer en médecine que ce qui a étéprouvé scientifiquement, sur des bases statistiques indiscutables. Al’opposé, on trouve les partisans de la médecine en tant qu’art, surune base subjective, respectant le dialogue avec le malade. Ces deuxapproches ne sont incompatibles. Entre ces deux approches,l’option choisie très largement partagée par les sociétés savantes

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Qualité et compétence en médecine

participant à cette élaboration, est d’associer les bases scientifiquesexistantes quand elles existent et un accord professionnel dans lecas inverse. Le débat concerne principalement les bases scientifiquespubliées, sachant que certaines données ne sont pas publiées. Parailleurs, certaines publications sont contestées. On sait bien qu’àchaque fois qu’une étude aboutit à un résultat positif d’un médica-ment par rapport à un autre ou d’une stratégie par rapport à uneautre, ces résultats positifs sont facilement publiés. Lorsqu’un résul-tat est négatif, il est très rarement publié. Il y a donc indiscutable-ment un biais dans la structuration des connaissances de base enmédecine.

L’ANAES diffuse les référentiels produits par les sociétéssavantes sur Internet et les publie. Je dirai que nous nous engageonsdans un processus qui vise de plus en plus à responsabiliser lesacteurs professionnels pour qu’ils les élaborent le mieux possible etse les approprient.

Les professionnels de santé manquent de temps pour analyserles données de la production scientifique, manquent de filtresd’analyse. Les outils pédagogiques existent et doivent être maîtriséspour avoir une analyse critique de l’information proposée aux prati-ciens et professionnels de santé. Il y a donc un travail considérableà engager au plan de la formation des médecins.

Constat positif, les sociétés savantes et de nombreux groupesuniversitaires s’engagent dans cette démarche de formation à l’ap-prentissage critique de la lecture des données. Par les conférencesde consensus, une dizaine de thèmes sont traités chaque année. LaFrance est le premier pays producteur de recommandations de cettenature en Europe.

De quelle manière la diffusion de ces recommandationsinfluence-t-elle la pratique professionnelle ? Des études démon-trent-elles l’intérêt de la diffusion de ces recommandations et leurintégration dans les cursus de formation ? Quels sont les autresfacteurs qui influencent la pratique du professionnel dans sa pra-tique quotidienne, et dont le malade devrait bénéficier ?

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Qualité et compétence en médecine

II. Les facteurs influençant la pratique des professionnels

La question des facteurs influençant véritablement la pratiquedes médecins est complexe. Les critères à mesurer sont relativementnombreux, ce qui explique que les résultats de la plupart de cesétudes sont discutables.

Je rappellerai d’abord les résultats d’une étude ancienne, menéepar John Eisenberg, qui dirige actuellement l’agence fédérale améri-caine équivalente à l’ANAES. Il avait publié un ouvrage sur lesfacteurs de modification des pratiques médicales en 1985. Les élé-ments qu’il avait présentés à l’époque étaient :● La formation initiale et la formation continue

Très peu d’études montrent que la formation initiale est détermi-nante. Beaucoup plus d’études montrent l’utilité de la forma-tion continue.

● La diffusion de recommandation de pratiques cliniquesNous verrons que les résultats de cette démarche sont à nuancer.

● L’information des praticiens sur leurs pratiques professionnellesC’est un élément très important. Le fait d’observer dans le butd’améliorer et non de sanctionner a un impact indiscutable-ment positif.

● Les moyens incitatifs financiersLe moteur le plus puissant de changement des pratiques profes-sionnelles est l’argent. Beaucoup d’études sur ce sujet sontconduites dans les pays anglo-saxons.

● Les stratégies mixtes sont plus efficacesAucune bonne solution n’est prépondérante. Ce qui compte estl’ensemble formation continue, formation initiale, et moyenfinancier.

Quelques faits permettent de mettre ces résultats en perspective.Voici d’abord le fruit d’une étude réalisée par Pierre Durieux

à l’ANAES, il y a quelques mois.La première conférence de consensus organisée au Etats-Unis

concernait le traitement du cancer du sein en 1978. Sa conclusion

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Qualité et compétence en médecine

en était de limiter la pratique d’intervention chirurgicale d’ablationdu sein. Mai en fait, une étude réalisée ultérieurement a démontréqu’il y avait une décroissance naturelle de la pratique de la mastec-tomie depuis longtemps. La conférence de consensus n’avait doncprobablement pas servi à grand-chose, sinon à fédérer l’ensembledes chirurgiens pour limiter cette intervention. Cette étude montrebien la complexité qui existe dans les mesures. La formation médi-cale continue est-elle utile et fait-elle évoluer favorablement les pra-tiques professionnelles ?

En outre, une étude publiée en 1996 dans le JAMA et reprisepar Pierre Gallois dans son livre sur la formation médicale continuemontre que globalement, la formation médicale continue tradition-nelle modifie peu les pratiques. La formation médicale continueinteractive, en revanche, a un impact plus élevé.

Le fait d’informer le médecin dans une situation de prescriptioninfluence-t-il sa pratique ? Dix-huit études comparatives ont étéobservées. Toutes conduisent à un résultat positif. Globalement,on sait que cette stratégie fonctionne. C’est d’ailleurs celle qu’utilisel’industrie pharmaceutique le plus souvent.

L’influence des leaders d’opinion est très débattue et difficile àévaluer. Les « patrons » de CHU, leaders de spécialités, ont-ils uneinfluence sur les pratiques professionnelles ? Les études sont peunombreuses et difficiles à analyser. Il serait donc intéressant derenforcer l’étude de ce sujet.

Le personnel de santé dans les pays anglo-saxons pratiquent leclinical audit. Cette méthode est utilisée pour mesurer si la pratiqued’un médecin est conforme aux standards en vigueur que lespatients sont en droit d’attendre. Les dossiers sont-ils tenus correc-tement ? La méthode est relativement simple. En deux après-midide quatre heures, une dizaine de médecins peuvent être évalués parleurs pairs. Cette méthode a été testée sur des sujets différents. Lesétudes comparatives montrent que cette démarche conduit à unchangement, néanmoins limité dans le temps. En effet, les habi-tudes reviennent. Il est donc nécessaire de resensibiliser les méde-cins périodiquement à leur évaluation, pour qu’ils poursuivent leursefforts dans le temps.

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Qualité et compétence en médecine

La pratique professionnelle peut-elle être modifiée par les rap-pels lors de la prescription ? Le support informatisé lors de la pres-cription par des systèmes de rappel ou reminders, modifie-t-il lapratique des médecins ?

Quatorze études sur dix-neuf montrent que ces reminders men-tionnant le potentiel dangereux de certaines prescriptions sontutiles.

Au niveau international, la question de l’efficacité des méthodesd’évaluation et de formation professionnelle continue est trèsdébattue.

En conclusion, on peut dire que la littérature actuelle conclutà la nécessité de diffuser les manuels de bonne pratique, des publi-cations de bon niveau. L’information par des biais traditionnelspeut aussi avoir un impact. Il faut sûrement à l’avenir mieux préci-ser l’impact sur les pratiques professionnelles des leaders d’opinion,des actions que sont susceptibles de générer les malades, ainsi quel’influence produite par les supports grand public. Des études sontcertainement nécessaires. En amont de l’étude, il est nécessaire derenforcer le partenariat avec les usagers dans l’élaboration des réfé-rentiels. Nous avons pris l’option, avec le conseil d’administrationde l’agence, de développer systématiquement de petits documentsde synthèse de toutes les recommandations professionnelles quenous faisons, qui ont pour vocation d’expliquer aux usagers les stra-tégies.

Enfin, il faut retenir l’idée qu’il faut associer plusieurs méca-nismes pour améliorer les pratiques : formation interactive, auditpar les pairs, évaluation de pratiques professionnelles, efficacité devisites à domicile et des rappels au moment de la prescription. Caril n’existe pas de méthode parfaite transformant les attitudes !

III. L’évaluation des pratiques professionnelles

Un dispositif est prévu par la loi pour qu’en secteur libéral, lesmédecins développent sur la base du volontariat l’évaluation despratiques professionnelles.

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Qualité et compétence en médecine

La loi publiée en 1998 et le décret d’application de décembre1999, publié au Journal Officiel permet le développement, dansle champ de la pratique libérale, d’une évaluation de la pratiqueprofessionnelle. Cette démarche est basée sur le volontariat, portesur l’ensemble de la pratique professionnelle. Elle sera individuelleou collective, effectuée par des médecins, et placée sous la responsa-bilité des unions régionales de médecins libéraux.

Les trois missions de l’ANAES dans cette intervention sontles suivantes :● habiliter les médecins évaluateurs ;● former les médecins habilités sur les référentiels de bonne pra-

tique ;● fournir les outils nécessaires à l’évaluation.

L’ANAES a effectué un travail préparatoire de comparaison dusystème français avec ceux d’autres pays. En voici quelques conclu-sions. En Australie, la démarche d’évaluation est obligatoire, alorsqu’elle est facultative en France. La France a les deux orientationsd’évaluation individuelle et collective, l’Allemagne est plutôt dansune démarche collective, l’Australie et les Pays-Bas plutôt dans uneoptique individuelle. Le plus souvent dans les autres pays, l’évalua-tion se pratique au cabinet du médecin. L’évaluation françaiseporte sur les pratiques de soins. Enfin, les spécialistes et les généra-listes sont concernés en France.

L’ANAES publiera un document dans les mois à venir quivisera à repréciser pourquoi les pratiques sont évaluées, quels ensont les objectifs, les personnes concernées, les outils, et l’organisa-tion générale.

Pour conclure, l’évaluation des pratiques professionnelles nedoit pas être confondue avec la formation. Elle vise en effet àmesurer un écart entre la pratique de référence et la pratique réelle,pour améliorer cette dernière. La formation est un processus diffé-rent, qui se situe à différents moments de la vie professionnelle. Ilne faut pas confondre non plus l’évaluation avec l’accréditation.En France, il existe deux sens à l’accréditation. Par exemple, leCOFRAC, comité français d’accréditation, l’utilise pour signifier

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Qualité et compétence en médecine

la certification des processus organisationnels, qui touche le mondeindustriel et les laboratoires de biologie dans le monde de la santé.Le deuxième sens du mot accréditation pour le système de santéest celui de la loi, des ordonnances de 1996, qui précisent que lesétablissements de santé publics et privés vont devoir développerune démarche visant à s’assurer que les procédures en leur seingarantissent la sécurité et la qualité des soins. Au Québec l’accrédi-tation est traduite par l’agrément des établissements de santé.Enfin, la certification peut aussi signifier l’obtention d’un diplôme.

Je vous engage à consulter le site web de l’ANAES, parce qu’ila été décidé d’y diffuser le résultat de l’accréditation des établisse-ments de santé. A quand l’apparition sur un site Internet de lacertification des médecins ?

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Qualité et compétence en médecine

Discussion

Pr Bernard GLORION

Je répondrais à votre dernière question. Le fichier du Tableaude l’Ordre sera en ligne à compter du 1er juillet 2000.

De la salle

Je dirai à Yves Matillon que certaines incitations financièresexistent. C’est le cas de l’assureur mutualiste médical, qui a le choixentre l’instauration d’un système de bonus/malus a posteriori, etun système de diminution de charges aux praticiens qui s’engage-raient à une démarche qualité validée. Cette seconde option seraitd’ailleurs beaucoup plus intéressante.

De la salle

Je suis conseiller national, représentant pour les régions Guade-loupe, Guyane, Antilles. Vous avez parlé de référentiels de bonnepratique. A partir de quel environnement sont-ils établis ? En effet,il est évident que dans notre environnement, les référentiels éla-borés en France hexagonale posent parfois des problèmes dans nosrégions éloignées. Dans quelle mesure pourrons-nous valider et éla-borer nos propres référentiels ?

Pr Yves MATILLON

Effectivement, les référentiels ne s’appliquent pas partout.Nous avons beaucoup travaillé avec les anglo-saxons pour étu-

dier si leurs référentiels étaient transposables en France. Il s’estavéré par exemple que le nombre d’échographies proposées par lesaméricains dans le cas d’une grossesse normale est diffèrent dunombre proposées en Grande-Bretagne et en France. A l’évidence,le fond scientifique est le même dans tous ces pays. Seul le contextesocio-culturel est différent. Il faut donc bien adapter les référentielsaux pays et aux régions.

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Qualité et compétence en médecine

Mais l’impact le plus important de la démarche qualité n’estpas tant le contenu des référentiels que son effet pédagogique surla communauté des médecins. Il a été très long de pouvoir réunirautour d’une même table, des spécialistes avec des généralistes, defaire en sorte qu’un journaliste et une personne issue du mondeparamédical soit bien accueillie.

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Qualité et compétence en médecine

Compétence et qualitéde l’exercice professionnel

Approches comparées

Philippe LEFAIT

La question de la compétence des médecins est abordée dedifférentes manières selon les pays. Les médecins sont jugés, parfoisjaugés. C’est globalement l’économie d’un système de santé quiprogresse. Joëlle Lescop sera la première à venir présenter le systèmede son pays. Comment évalue-t-on la compétence au Québec ? Jevais trahir un secret. Alors que le Canada est très en avance, jevous ai demandé tout à l’heure comment vous jugeriez la situationfrançaise, et si elle vous semblait archaïque. Vous m’avez réponduqu’elle n’était pas archaïque, mais seulement pas suffisammentconcrète. Merci de nous décrire la situation dans votre pays.

Le cas du Québec

Dr Joëlle LESCOP

Secrétaire générale du Collège des Médecins du Québec

Au Canada et au Québec, le système de santé est en crise. Ilest en transition. Nous sommes en train de nous adapter aux exi-gences du XXIe siècle. Je crois que tous les pays devront passer parlà, du fait des contraintes financières, de l’avancement des techno-logies, du vieillissement de la population, et des attentes croissantesde la population par rapport au système de santé. Autant du côtédes professionnels de santé que de la population, un certain degréd’insatisfaction se fait sentir par rapport au système de santé. LeQuébec regroupe 7 millions d’habitants et 16 000 médecins, ce

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Qualité et compétence en médecine

qui n’a rien à voir avec la population de 200 000 médecins consta-tée en France. Cependant, il me semble que l’on peut apprendre deplus petit que soi, et c’est ce que j’espère vous apporter aujourd’hui.

I. Compétence et performance

Compétence et performance ne sont pas assimilables. Au Qué-bec, nous avons d’emblée opté pour une évaluation de la perfor-mance, parce que nous pensons qu’il y a une meilleure adéquationentre la qualité des services offerts et la performance des médecins.Par ailleurs, nous avons également pris le parti de ne pas évaluerla performance en général, mais de cibler les problèmes de perfor-mance les plus importants. Je vous présenterai le modèle canadiende monitoring et d’amélioration de la performance des médecins,en particulier son application québécoise. Au niveau des collègesdes médecins, une direction de l’amélioration de l’exercice a étécréée et des programmes de monitoring et d’intervention auprès desmédecins et des établissements ont été mis en place. Nous faisonstrès attention aux termes que nous employons. En effet, l’optiquede l’amélioration de l’exercice a été choisie pour montrer que nouscherchons à améliorer les services des médecins et non pas à identi-fier les médecins à problèmes.

Nous définissons la compétence très simplement comme « cequ’un médecin peut faire », c’est-à-dire sa capacité de mettre àprofit, dans une situation donnée, ses connaissances, ses savoir-faireet son jugement. La performance, c’est ce qu’il fait réellement. Lemédecin applique sa compétence à une situation clinique donnée,dans un contexte particulier.

Nous avons défini les dimensions de la performance. La perfor-mance comprend :

● la compétence● l’aptitude à utiliser des ressources

On peut en effet être très compétent et pour autant mal utiliserou surutiliser des ressources.

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Qualité et compétence en médecine

● l’attitude du médecinCette catégorie comprend l’empathie ou le respect du code dedéontologie.

● l’aptitude à exercerC’est ici la santé physique ou mentale du médecin qui est en jeu.L’alcoolisme, la toxicomanie, ou un stress important du médecinpeuvent le conduire à ne pas rendre les meilleurs services.

Tout programme de monitoring devrait s’attacher à regardertoutes ses dimensions de la performance.

Les principaux problèmes auxquels renvoie le déficit de perfor-mance du corps médical ont été répertoriés par les Ordres de méde-cins au Canada. Ces problèmes sont les suivants : prescriptioninappropriée ; communication déficiente ; absence de prise encharge du patient ; mauvaise utilisation de tests diagnostics, mau-vaise tenue de dossier ; examens cliniques déficients ; incapacité detravailler en équipe ; médecins non disponibles.

C’est le genre de problèmes qui sont spontanément soumis àl’attention de ceux qui s’intéressent aux problèmes de compétence.Pour les hôpitaux, l’un de nos collègues nous disait l’absence deprise en charge, la difficulté à travailler en équipe, et les examenscliniques déficients, sont les problèmes les plus importants auniveau de la performance des médecins. Le problème dépasse doncde loin le déficit en connaissances ou en compétence technique.

II. Le modèle canadien de monitoring

1. Vis-à-vis des médecins

Le modèle canadien élaboré par les ordres des dix provinces estun modèle à trois niveaux. Le niveau 1 vise à dépister tous lesmédecins et le défi des années à venir est de mettre en place desindicateurs de performance qui vont nous permettre de tous lesdépister. Ce dépistage permet à la fois d’avoir une idée de la pra-tique médicale effective, et d’identifier des médecins en difficulté,

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Qualité et compétence en médecine

auxquels s’adresse le niveau 2 du modèle, au travers d’interventions.Si les difficultés sont très importantes, on en arrive au niveau 3,où il s’agit de faire une évaluation approfondie des besoins dumédecin.

Quand ce modèle a été présenté aux diverses organisationsmédicales, facultés, collèges des médecins du Canada, on nous atout de suite mis en garde vis-à-vis du fait que le monitoring nesuffisait pas, et qu’il fallait prévoir des activités d’amélioration dela performance. C’est ainsi que nous avons développé le modèlecanadien à trois niveaux, où à chaque fois que l’on parle de surveil-lance, on parle d’amélioration :● Niveau 1 : dépistage de tous les médecins, mais rétroaction des

résultats à tous les médecins ;● Niveau 2 : évaluation des médecins en difficulté, et programme

d’éducation médicale continue ;● Niveau 3 : évaluation approfondie des besoins, et stade de perfec-

tionnement.Je voudrais préciser que le mandat de l’Ordre du Collège des

Médecins est plus étendu que celui de l’Ordre des Médecins fran-çais. Sa première mission est de contrôler l’exercice des médecinspour protéger le public.

Au niveau du collège des médecins, nous avons créé une direc-tion de l’amélioration de l’exercice. Cette direction regroupe l’an-cien service d’inspection professionnelle avec le service d’éducationmédicale continue. En fait, nous avons intégré les activités de sur-veillance de l’exercice à des activités d’intervention auprès desmédecins, qu’ils travaillent en cabinets ou en établissements, etnous avons développé et validé des indicateurs de performances àla fois applicables aux médecins et aux établissements. Voici desexemples d’indicateurs de performance qui ont été développés.

a. Niveau 1 : dépistage des médecinsNous nous sommes intéressés au traitement qui était fait de

l’angine stable. A travers les banques de données de la régie del’assurance maladie, nous avons eu accès au profil de prescriptionde près de 4 000 médecins.

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Qualité et compétence en médecine

Le résultat de cette étude a montré que 50 % des patientsatteints d’angine stable ont eu une prescription d’acide salicylique,54 % prennent un béta-bloquant, 23 % ont une prescription destatine, et 73 % ont des nitrates en courte action en pulvérisateur.Les médecins québécois respectent-ils les lignes directrices ? Leslignes directrices ont été élaborées par un groupe d’expert dans ledomaine, et ont été diffusées à médecins avec le slogan : « c’estsimple comme A,B,C,D. » (A pour Aspirine, B pour Béta-blo-quant, C pour Cholestérol, D pour Dérivé nitré). Ces lignes sontsimplifiées parce que l’on sait que les médecins n’ont pas le tempsde lire des lignes directrices de trente ou quarante pages. On leura aussi envoyé un petit cœur autocollant portant le slogan, qu’ilscollent sur le dossier du patient porteur de l’angine stable, de façonà ce qu’ils se le rappellent.

Une nouvelle analyse de prescription pour déterminer dansquelle mesure notre intervention a amené une amélioration de laprescription et donc du traitement des patients porteurs d’anginesstables sera faite dans un deuxième temps..

b. Niveau 2 : visites d’évaluation auprès des médecins

Un avis est envoyé avec un questionnaire et une visite est effec-tuée au cabinet du médecin. Pour les médecins généralistes, nousdisposons de standards pour les problèmes courants, mais lorsqu’ils’agit de médecins spécialistes, un expert de la discipline accom-pagne les équipes d’intervention.

Suite à cette visite, un rapport est écrit avec un projet de recom-mandation, présenté au Comité d’inspection professionnelle duCollège des médecins du Québec.

Qui étaient les médecins faisant l’objet de visites particulières ?Dans 41 % des cas, il s’agissait de demandes acheminées par, ladirection des enquêtes, qui reçoit les plaintes concernant les méde-cins. Dans ces cas, le médecin enquêteur n’a pas suffisammentd’éléments pour porter une plainte, mais certaines informations leportent à croire que la qualité d’exercice du médecin est déficiente.Il le signale à la direction de l’amélioration de l’exercice, pour

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Qualité et compétence en médecine

évaluer l’ensemble de la pratique du médecin. Ceci prend la voied’amélioration de son exercice, et non pas une voie disciplinaire.

L’année dernière, nous avons effectué 187 visites. Dans 180cas, le cabinet a été bien tenu. Les critères d’évaluation sont lessuivants : la tenue des dossiers, le suivi des activités de formationcontinue, la justesse du diagnostic, la pertinence des soins et letraitement. En gros, la pratique des médecins, lorsqu’ils sont éva-lués, est quand même relativement satisfaisante.

Suite à ces visites, des actions visant l’amélioration de la pra-tique sont entreprises si cela est nécessaire. Visite de contrôle, en luiexpliquant comment bien tenir son dossier, demande de rapportsparticuliers, références pour formation médicale continue, ren-contre avec le secrétaire du Comité d’inspection professionnellepour les médecins âgés qui tardent à prendre leur retraite, référenceà la direction des enquêtes pour qu’un processus disciplinaire puisseêtre éventuellement amorcé, recommandation de stages ou recom-mandation au Comité de direction du Collège.

c. Niveau 3 : entrevue orale structurée

Pour les médecins qui ont des problèmes importants, nousavons développé un outil spécifique, qui s’appelle l’entrevue oralestructurée, qui permet d’évaluer les médecins dans leurs pratiquesquotidiennes, quelles que soient leurs profils de pratique. Le buten est une prescription pédagogique personnalisée. Dans le cas demédecins spécialistes, l’entrevue orale structurée est remplacée parun stage d’évaluation dans un milieu universitaire. Les interven-tions peuvent en être des stages de perfectionnement, des lecturesdirigées, tutorats cliniques, ateliers sur la tenue de dossiers, courssur la phamarcothérapie. L’organisation des activités individuellesLors de stages de perfectionnement, l’individu est envoyé dans unlieu de stage avec de jeunes résidents et un précepteur, pendanttrois à six mois. On peut aussi proposer des lectures dirigées quandle déficit est relativement limité à un secteur d’activité, ou un tuto-rat clinique, une fois par semaine, où le médecin vient rencontrerun tuteur.

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Qualité et compétence en médecine

2. Vis-à-vis des établissements

Pour les établissements, le système est analogue.Des outils en développement vont nous permettre d’identifier

des établissements à problèmes, avec rétroaction à tous les établisse-ments au niveau 1, alors que nous procéderons à l’évaluation desétablissements.

a. Niveau 1 : renvoi de l’image comparative

Au niveau 1, nous évaluons la performance clinique des établis-sements. Nous utilisons toutes sortes d’indicateurs, administratifs,de qualité de soins, selon une pathologie ou une spécialité. Parexemple, en psychiatrie, en 1999, une cinquantaine d’établisse-ments ont été évalués. Plusieurs critères ont été vérifiés : le nom dumédecin de famille est-il identifié ? Les patients ont-ils un examenclinique avant 72 heures ? Est-on capable d’évaluer le pourcentagede réadmission de ces patients ? Quel est le pourcentage de sismo-thérapie pour le traitement de la dépression ? Des profils d’établis-sements en ressortent. On n’interprète pas ces résultats, mais onrenvoie à chaque hôpital l’ensemble des résultats en lui indiquantoù il se situe. En cas de exception d’un hôpital par rapport auxautres, on lui pose la question de sa singularité.

Pour le cancer du sein, les résultats de la dernière enquête réali-sée ont été surprenants. Cela amené tout de suite les pathologistesà se prendre en main, avec l’élaboration d’un programme de forma-tion pour l’ensemble des pathologistes, placé sur un Cdrom.

b. Niveau 2 : visites d’établissement

Ces enquêtes concernent 85 établissements en 1999-2000. Unefois la visite faite, des recommandations sont envoyées. Une évalua-tion est faite des activités du conseil des médecins de l’établisse-ment, qui est chargé de suivre la qualité de l’exercice dans sonétablissement, de faire fonctionner les comités de mortalité et demorbidité. L’évaluation de la qualité des soins concerne des dossiersparticuliers : par exemple, le traitement de l’infarctus en salle d’ur-

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Qualité et compétence en médecine

gence, le traitement des diabétiques, et enfin, la tenue des dossiersen centres hospitaliers.

Les recommandations d’amélioration de l’exercice sont faitespar le Comité d’inspection professionnelle et font l’objet d’un suivi,Il arrive qu’on organise des cours avec d’autres groupes, pourrépondre au besoin spécifique de formation. On peut aussi organi-ser des activités de formation pour l’évaluation de la qualité del’acte.

c. Niveau 3 : visites de contrôle avec expert

Le niveau 3 concerne les centres très préoccupants. En 1998,nous sommes retournés dix fois dans les centres hospitaliers desoins généraux. Les recommandations que nous faisons ne sontplus limitées au Conseil des médecins, mais au Conseil d’adminis-tration de l’établissement. En huit occasions, nous avons été jusqu’àla régie régionale de la région pour amener des correctifs dansces établissements. Il arrive que nous rencontrions directement laMinistre de la Santé.

En conclusion, l’approche utilisée au Collège des Médecins luipermet de réaliser sa mission, qui est de promouvoir une médecinede qualité pour protéger le public et contribuer à l’améliorationde la santé des québécois.

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Qualité et compétence en médecine

Débat

Philippe LEFAIT

Je trouve que vous avez une facilité à parler des problèmesd’alcoolisme et psychologiques des médecins. Cette fluidité du dis-cours ne se retrouve pas forcément dans d’autres pays. Commentles médecins québécois vivent-ils le contrôle ?

Joëlle LESCOP

Les médecins vivent ce contrôle comme une intrusion accep-table. Depuis les années 70, le Collège a été mandaté pour mettreen place des programmes de surveillance de l’exercice, après unscandale important dans un l’hôpital qui a fait la une des journauxpendant plusieurs semaines. Le gouvernement s’apprêtait à deman-der à un organisme extérieur de s’assurer de la qualité de la méde-cine dans les centres hospitaliers. A l’époque, le collège desMédecins a offert son aide et s’est engagé à mettre lui-même enplace ce mécanisme d’évaluation qu’on appelait l’inspection profes-sionnelle. Avant cela, le rôle unique du collège était de répondreà des plaintes de patients. Mais les patients ne sont pas les mieuxplacés pour juger de la qualité professionnelle des médecins. Depuistrois ans, la nouvelle approche d’amélioration de l’exercice est demieux en mieux perçue. Les pathologistes ont hâte que l’on metteen place d’autres études, parce qu’elles permettent d’agir sur leursmembres et de donner des services de meilleure qualité.

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Qualité et compétence en médecine

Le cas de la Suisse

Dr Eduard EICHER

Membre du Comité central de la Fédérationdes médecins suisses

I. L’histoire de l’assurance-qualité en Suisse

En Suisse, les médecins ont toujours été convaincus d’offrir àleurs patients et à l’Etat une médecine de qualité irréprochable,tout en étant conscients que de nombreux mécanismes du systèmede santé pouvaient être améliorés, que nos ressources abondantespouvaient être mieux exploitées, et que notre formation n’a pastoujours su intégrer les progrès les plus récents. Nous avons aussidû revoir notre mode de pensée lorsque l’assurance-qualité s’estintroduite au sein de nos industries et que nous avons appris l’in-troduction aux Etats-Unis et au Canada d’une assurance-qualitépour les soins médicaux.

La première publication dans le domaine de l’assurance-qualitéen Suisse est parue au milieu des années 70. Les premiers congrèsde l’Isqua ont eu lieu dans les années 80, sans que la Suisse n’yparticipe. Elle y a pris part en 1988. Le premier débat officiel surce sujet a débuté dans les années 90, avec la création du groupenational de travail pour l’assurance-qualité en 1993, qui réunit desreprésentants des prestataires de services, des assureurs et d’autresinstitutions. Le seul résultat concret de ce groupe a été l’introduc-tion d’une terminologie uniforme.

En 1994 est entrée en vigueur la nouvelle loi sur l’assurancemaladie. La nouvelle loi stipulait la mise sur pied de systèmes d’as-surance-qualité dans tous les domaines de la santé, en laissant auxassociations professionnelles la mission de prévoir des projets en cesens, et d’élaborer des accords avec les assureurs, au début de 1998.

En 1996, la FMH a élaboré un concept d’assurance-qualité,qui tient compte des principes éthiques et des propositions

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Qualité et compétence en médecine

concrètes quant au type d’assurance-qualité à mettre en place. Lapremière des exigences était d’éviter de démotiver les médecins parune bureaucratie excessive.

II. Les priorités définies par la FMHen matière d’assurance-qualité

La pièce majeure est la formation post-graduate des médecins,avec une meilleure qualité de structure.

En outre, un processus de recommandations pour la pratiqueclinique a été mis en place. Chaque société médicale devait entre-prendre la rédaction de cinq recueils de recommandations avantl’an 2000. Afin d’uniformiser cette démarche, nous avons élaboréune directive concernant les recommandations pour la pratiqueclinique (guideline for guidelines). Nous comptons ainsi rendre utili-sable par les médecins puis plus tard par les patients et éventuelle-ment par les assureurs, des recommandations fondées sur desdonnées probantes et faisant l’objet d’un large consensus.

Enfin, pour ne pas laisser entièrement le corps médical à lamerci des prestataires, nous avons l’intention d’instituer une forma-tion de la gestion de la qualité des soins médicaux, dispensée parnotre organisation professionnelle et sanctionnée par un certificat.

Par ailleurs, la FMH soutient toute activité visant à obtenir desinformations chiffrées à partir des données obligatoirementcommuniquées à l’office de la statistique.

Un nouveau projet prévoit la certification des centres de forma-tion post-graduate.

III. Assurer la compétence par l’éducation et la formation

La plupart des facultés suisses de médecine ont réformé leursétudes et introduit l’enseignement selon le concept d’apprentissagepar problème. La qualité de la formation peut être sensiblementaméliorée par ce moyen. La formation post-grade et son aboutisse-

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Qualité et compétence en médecine

ment, la délivrance d’un diplôme de spécialiste, sont soumisesdepuis peu à une nouvelle réglementation. Les sous-spécialités ontété supprimées.

Pour les domaines hautement spécialisés, nous avons défini desformations approfondies, des attestations de formations complé-mentaires, et des certificats d’aptitude technique qui impliquent desuivre un nombre défini d’heures de cours et un programme quali-tatif.

Par ailleurs, un groupe d’experts a pour mission de surveillerla qualité des examens.

Depuis cette année, la formation continue permanente est obli-gatoire. (50 heures par an de participation à des congrès et à descours, 30 heures d’études personnelles par média électronique). Lessociétés médicales sont responsables des programmes de formationcontinue et de leur évaluation quantitative.

IV. Assurer la compétence par le biais des tarifs

Une loi qui remonte à 1899 autorise jusqu’à présent n’importequel médecin à pratiquer n’importe quel type d’intervention,même dans une autre spécialité. Cet état de fait changera avecl’entrée en vigueur en Suisse d’un nouveau tarif de prestation.Selon ce nouveau tarif, la prestation d’un médecin ne sera payéeque si la qualité des infrastructures est établie, et que le médecina bénéficié d’une formation adéquate. D’autre part, le nouveautarif prévoit la conclusion de contrats de qualité.

V. Evaluer les compétences

Quels sont les procédés d’évaluation de la compétence ?Pour la formation universitaire, les certifications externes des

facultés de médecine sont réalisées par des experts neutres del’étranger. Etant donné que nous formons trop de médecins, il estpossible qu’une ou deux des facultés de médecine fermera. La

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Qualité et compétence en médecine

FMH est dorénavant responsable de l’évaluation des centres deformation post-graduate, ainsi que de la formation post-graduateproprement dite. La formation continue relève de la responsabilitédes syndicats régionaux et des sociétés médicales spécialisées.

VI. Les cercles de qualité

Les cercles de qualité sont nombreux en Suisse surtout dans lesdomaines de la médecine de premier recours. Plus de 50 % desprestataires de soins de base sont intégrés dans des cercles de qua-lité locaux.

Les cercles de qualité sont des groupes de huit à dix médecinsanimés par un agent spécialement formé. Il se forme pour étudierun problème médical spécifique d’ordre thérapeutique ou tech-nique. Bien souvent ces cercles de qualité faillissent à leur mission.Les dynamiques de groupes finissent par empêcher toute discus-sion. De même, un groupe auquel seul un petit nombre demembres prend une part active finit souvent par être paralysé parla lassitude de personnes actives vis-à-vis des éléments paresseux.Enfin, quelques-uns de ces cercles finissent par s’éteindre parce quel’animateur ne parvient pas à motiver les membres du groupe fautede leur faire entrevoir l’utilité potentielle de cette activité. Dansles réseaux de médecins où il existe une certaine pression et undevoir d’animer les cercles de qualité, ceux-ci fonctionnent souventtrès bien.

VII. Certification, accréditation, et sanction

En Suisse, il n’existe aucune obligation pour les hôpitaux departiciper à des processus de certification. La pression de la concur-rence pousse de nombreux établissements à choisir d’eux-même lavoie de la certification ou accréditation.

Il existe plusieurs organisations à vocation commerciale, quicertifie ce genre de système ou accrédite les hôpitaux selon un

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Qualité et compétence en médecine

système similaire à celui de la join commission aux Etats-Unis.L’obligation de certification n’existe que dans certains secteurs :chirurgie ambulatoire, radiologie, et examens cliniques.

Enfin, quelles sont les sanctions possibles au cas où une évalua-tion fait apparaître des insuffisances ?

Les médecins qui omettraient de satisfaire aux obligations de laformation continue permanente peuvent être exclus de leur sociétémédicale respective. En principe, les hôpitaux peuvent être sanc-tionnés par une non-certification.

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Qualité et compétence en médecine

Le cas des Etats-Unis

Dr James GOLDBERG

Directeur des Relations Internationales à l’ANAES

La déontologie médicale représente les valeurs essentielles surlesquelles reposent les fondements de notre société. Elle régit notrefaçon de vivre et de nous comporter. Dans l’application de la déon-tologie « compétence et qualité de l’exercice professionnel auxUSA », les Académies de Médecine et organisations professionnellesont défini quatre grands axes :

– un Conseil pour les Affaires Médicales qui est un forum dediscussion où sont évoqués les problèmes de formation médicale,

– un Comité de Liaison des Affaires Médicales qui a pourmission d’accréditer les formations diplômantes,

– un Conseil d’accréditation et Evaluation pour les pro-grammes de formation médicale (médecine générale et spécialisée),

– et finalement, un Conseil d’Accréditation et Evaluation pourla formation continue (cf. tableau en annexe).

La présentation suivante tend à présenter, de façon synthétique,l’historique de ces quatre pôles depuis le début du siècle et souligneles aspects qui rapprochent les USA et la France dans le développe-ment de l’évaluation des compétences et des qualités du corpsmédical.

Il est indispensable de respecter cette histoire pour mieuxcomprendre les opportunités futures en matière d’échanges et decollaboration entre ces deux pays. Il est, en outre, évident que lespratiques médicales nécessitent aussi une étroite collaboration avecl’ensemble des professionnels de santé, les patients et les citoyens.

Analyse du système américain en terme de compétence

L’American Medical Association a fait l’analyse de ce systèmequi connaît actuellement une crise déontologique.

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Qualité et compétence en médecine

Historique et analyse

Au début du siècle, en 1901, 26 000 étudiants préparent lediplôme de médecine. En 1910, Abraham Flexner, professeur àHarvard, décrit l’éducation médicale comme étant une variationallant des idéaux universitaires à des attitudes purement merce-naires. Flexner constate que les étudiants bénéficient de très peude pratique au niveau des laboratoires et de peu de contact avecles patients. En 1901, la qualification pour rentrer en médecineest celle de l’obtention d’un diplôme secondaire.

Cent ans d’évaluation du système

Historiquement, en 1901, il y avait 26 417 étudiants inscritsdans 157 écoles américaines préparant au diplôme de médecin. Lenombre total des facultés de médecine (professeurs à lecteurs) étaitde 5 958.

En 1999, le nombre des écoles de médecine était de 125. Lenombre total des étudiants en médecine à temps complet étaitde 96 733.

Voici les résultats d’un questionnaire envoyé auprès des Doyensdes écoles de médecine. Cent vingt-cinq écoles de médecine yont répondu.

En 1998, aux Etats-Unis, il y a beaucoup de médecins quienseignent : pour chaque étudiant, il y a 1,5 universitaires à tempscomplet. On ne peut pas dire que la formation manque de profes-seur.

Le nombre d’heures enseignées a diminué. Mais le temps del’externat reste égal ce qui marque l’indice de l’inquiétude des étu-diants au début de leur cursus universitaire, problème tout à faitdéontologique.

L’Académie de médecine a fait un postulat : l’augmentation dedoyens ayant un titre était liée à l’augmentation de leur revenudérivé de la pratique clinique. Ceci exprime bien la problématiquedu système de santé aux Etats-Unis. Encore la déontologie !

L’évaluation des compétences des étudiants comprend celui dela compétence médicale, ajouté d’un « objective structure clinical

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Qualité et compétence en médecine

exam », pour être sûr que chaque étudiant a effectivement lacompétence médicale clinique. Les médecins utilisent des tests decomportement. On évalue le comportement de chaque étudiantface à la pratique de la médecine et vis-à-vis des patients afin deproduire un esprit médical.

En effet, 63 des 125 facultés de médecine américaines incluentun ou plusieurs postes liés au comportement professionnel dansun examen intitulé « Objective Structured Clinical Examination(OSCE) ». Encore un autre point déontologique !

Les pas effectués pour changer l’éducation médicale à l’avenirdevraient être ancrés dans un cadre conceptuel et un ensemble derésultats attendus.

Des sociologues ont critiqué les formateurs en médecine pourleurs croyances communes à savoir que les cours peuvent servir de« Balles Magiques Intellectuelles ».

Nous devons nous souvenir que les valeurs sont absorbéescomme des Modèles de Rôles tout autant que l’enseignementdidactique.

Les sociologues ont critiqué les formateurs médicaux pour leurcroyance dans le fait que « les cours puissent servir comme uneballe magique intellectuelle ».

Seize mille (16 000) nouveaux diplômés sortent de ces écoleschaque année. Il n’y a pas de prévision systématique pour confir-mer que les répartitions adéquates par spécialité seront représentéesdans les prochaines années.

En outre, il n’y pas de moyen de production systématique pourdéterminer le nombre total de médecins pratiquants et par consé-quent, le nombre de stagiaires nécessaires pour les spécialités. Lenombre de résidents permanents a chuté et le nombre de médecinsdiplômés étrangers a augmenté de manière significative.

ConclusionsSuite à cette analyse, les recommandations de l’AMA concer-

nent les sept points suivants.● Le coût et le financement de la formation médicale : aux Etats-

Unis, le coût d’une année de formation est de 125 000 francspar an.

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Qualité et compétence en médecine

● Le changement des principes éthiques. La déontologie est ledeuxième problème à résoudre aux Etats-Unis.

● Les interconnexions entre les agences gouvernementales et la for-mation supérieure.Cet aspect représente un des grands défis des nouvelles réformesmédicales. La France a commencé à aborder ce problème avecles changements successifs démarrés en 1990, poursuivis en 1996avec les réformes Juppé et amplifiés dans les démarches actuelles.Beaucoup reste encore à faire pour assurer les interconnexionssont constructive et synergique.

● Le droit d’exercer au niveau de chaque Etat.Un spécialiste formé dans un Etat ne peut pas facilement exercerdans un autre Etat. Les examens et les contrôles sont en effet dif-férents.

● Les attentes de la société en ce qui concerne la compétence desmédecins. Ces attentes doivent être étudiées.

● La méthodologie pour évaluer les performances cliniques.L’Ordre, les Unions, les sociétés savantes doivent tous collaborerpour élaborer les référentiels de la performance clinique.

● La planification à long terme sur le plan national au niveau pré -médical, médical, résident et formation continue.

Il n’existe pas encore de cohésion entre tous les acteurs dansce schéma américain.

On peut citer le premier conseil émis à l’Ordre des médecinspar l’ancien Président d’un Collège de Médecine aux Etats-Unis,Kenneth Ludmerer, qui constate que « si les leaders médicaux ontle courage de faire part de leur problème de structure face à laformation médicale, et qu’ils acceptent de lutter pour les patientset le public, la société des patients et des professions médicalesseront alors bien récompensées de leurs efforts ».

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Qualité et compétence en médecine

ANNEXE

Council for Liaison Accreditation AccreditationMedical Affairs Committee on Council for Council for

Medical Affairs Graduate ContinuousMedical MedicalEducation Education

Forum Accréditer Accréditer Accréditerde discussion les formations les programmes les structuresdes problèmes diplômantes de formation de formationde formation médicale médicalemédicale spécialisée continueinitiale

Représentants : Représentants : Représentants ReprésentantsABMS/AMA/ AMA/AAMC/ ABMS/AMA/ ABMS/AMA/AHA/AAMC/ CACMS/ AHA/AAMC/ AHA/AAMC/CMSS Public/ CMSS/PH CMSS/FSMB

Etudiants/ Public/Fed./ Public/Fed.Federal RRC Council

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Qualité et compétence en médecine

Le cas du Royaume-Uni

Dr Brian KEIGHLEY

General Medical Council

Le travail accompli par le General Medical Council (GMC) enmatière d’évaluation de la compétence professionnelle des médecinsces dernières années a suivi deux axes : l’élaboration de procéduresde performances, dans les années 90, puis la validation profession-nelle, selon les critères ainsi définis.

Les missions du GMC sont : l’inscription des médecins, lecontrôle continu, et la qualité de la formation médicale universi-taire. Le GMC a également défini les règles de comportementattendues des médecins inscrits comme généralistes. Les sanctionsprises à l’égard des confrères qui transgressent ce code de conduitevont de la mise sous condition à la suspension de l’inscription àl’Ordre. Depuis notre création en 1858, nous pouvons agir surl’inscription des médecins qui commettent ce que nous appelonsune faute professionnelle.

Ce mécanisme nous permet de fixer des conditions à l’inscrip-tion d’un médecin et des limites à sa pratique. Il peut permettrepar exemple de ne pas autoriser le médecin à exercer seul. Un telmécanisme va dans le sens de la protection du patient.

Les maladies auxquelles nous sommes principalementconfrontés sont liées à la dépendance, soit à l’alcool, soit à ladrogue. Les procédures de santé autorisent le médecin à continuerà exercer, tout en assurant une meilleure protection des patients.

Il y a environ dix ans de cela, nous avons réalisé que les troisgroupes que nous servons, le public, le gouvernement et la profes-sion elle-même, ne se berçaient plus d’illusions à notre égard. Eneffet, plusieurs médecins convoqués pour répondre de transgres-sions échappaient à des poursuites pour fautes professionnellesgraves. Ces fautes exigent en général des preuves du même ordreque dans les affaires criminelles. Plusieurs incidents mineurs, prisdans leur ensemble, dessinaient un schéma de comportement très

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Qualité et compétence en médecine

insatisfaisant. Le GMC jugeait que ces médecins fautifs faisaientdu tort à la réputation de la profession et mettaient peut-être lespatients en danger. Néanmoins, la législation ne lui donnait pas lepouvoir d’agir.

Un sentiment de frustration est né, qui a permis la mise enplace de nos procédures de performance. Désormais, nous pouvonssoumettre le médecin à une évaluation de sa pratique. Une fois ladécision de cette évaluation mise en place, nous avons élaboré desdispositions pour assurer l’équité et l’efficacité du processus. Laparticipation d’acteurs n’appartenant pas à la profession nous asemblé essentielle, pour des raisons de transparence et de responsa-bilité. Le GMC compte ainsi 25 membres qui ne sont pas desmédecins.

A la suite de la mise en place de ce système d’évaluation, nousavons lancé un appel à candidatures en direction des médecins etdes personnes extérieures à la profession. A notre grand plaisir, cetappel a été suivi de 8 000 candidatures. Une autre procédure desélection a été élaborée pour désigner les responsables d’évaluation,censés encadrer des équipes de trois personnes.

Il nous a semblé important de mener l’évaluation sur le lieude travail du médecin, afin de connaître son environnement profes-sionnel, étudier ses dossiers médicaux et interroger ses collègues etses patients. Cet aspect est très important dans la mesure où nousavons réalisé qu’il pouvait exister une différence très nette entre lescompétences du médecin et ses performances.

L’évaluation des performances fait l’objet d’un processus quasi-ment judiciaire, avec des règles à respecter. Un médecin devantêtre le sujet d’une procédure d’évaluation peut faire appel devantle comité d’appel des évaluations. Si l’appel du médecin est reçufavorablement, l’affaire est classée. Si le comité persiste à estimerune telle évaluation nécessaire, le médecin ne dispose plus d’aucunrecours. S’il refuse de se soumettre à l’évaluation, le médecin estconvoqué devant le comité des performances professionnelles, quipeut le radier pour refus de respecter la règle. Ce dernier comitéest également chargé de vérifier le maintien de l’inscription dumédecin si l’évaluation conclut qu’une amélioration est impossible.

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Qualité et compétence en médecine

Ce nouveau système, mis en place après de nombreuses consul-tations, semble bien fonctionner. A ce jour, 80 cas ont été traitéset doivent passer devant le comité. Cet outil est beaucoup plussophistiqué qu’une simple procédure de conduite. Les inconvé-nients de cet outil résident dans l’impossibilité légale de prendreen compte les faits antérieurs au 7 juillet 1997 et dans le coûtélevé des évaluations, qui est environ de 15 000 livres sterling.

La seconde initiative à laquelle nous travaillons, la revalidationprofessionnelle, appartient au nouveau système d’évaluation desperformances. Certains médecins rencontrent sans aucun doute desdifficultés sans pour autant avoir été signalés au GMC. En outre,le public place une très grande confiance dans le fait que les méde-cins sont inscrits à l’Ordre. Les médecins s’inscrivent à cet Ordreà un stade très précoce de leur carrière. Personne ne vérifie si cesmédecins entretiennent leurs compétences et se tiennent au courantdes progrès de la médecine. Une telle inscription signifie seulementque le GMC ne dispose d’aucune information négative relativeau médecin.

Il y a quelques années, notre Président a proposé que cet étatde fait change, grâce à la mise en place de la revalidation profession-nelle. L’inscription à l’Ordre peut donc redevenir, avec un tel sys-tème, une référence positive. Ce travail ne doit pas être un doublondu travail sur l’assurance-qualité mené par le Ministère de la Santé.

Nous avons demandé aux médecins d’établir le profil de leurpratique locale. Cette opération doit s’effectuer avec l’aide d’unregard externe, de façon à éviter les divergences entre les différentesrégions du Royaume-Uni. Les propositions préconisées envisagentque les médecins constituent un dossier où ils décriront quelle estleur pratique médicale et quelles sont leurs performances dans lesdomaines décrits à l’intérieur du manuel de la profession. Ce dos-sier contiendra en outre la liste des facteurs s’opposant à une bonnepratique, ainsi l’absence de contrat social ou le manque de moyensfinanciers. Ce dossier sera un document dynamique, assujetti à uneévaluation annuelle. Tous les cinq ans, un processus synthétiqueaboutira normalement à une réévaluation formalisée par le GMC.

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Qualité et compétence en médecine

Si l’évaluation annuelle révèle des lacunes, des mesures collec-tives pourront être mises en place. Le refus de validation pour unmédecin ne sera pas assorti d’une interdiction d’exercer immédiate.Ce refus constitue simplement la preuve que des problèmes existentet permet l’envoi du dossier aux procédures d’évaluation sus-mentionnées.

Les deux dispositifs que je viens de décrire vont dans le sensdes objectifs fondamentaux du GMC. Le premier de ces objectifsest de mieux protéger les patients des médecins dont les perfor-mances laissent à désirer. Le second de ces objectifs est de bâtirun système de contrôle simple, équitable et efficace pour la grandemajorité des médecins britanniques dont les performances et laconscience professionnelle n’ont jamais failli.

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Qualité et compétence en médecine

L’acquisition et l’entretien des compétences

Table ronde

Ont participé à cette table ronde :Dr Philippe BONET, Président de l’Union nationale des Associationsde Formation Médicale Continue (Unaformec)Dr Louis-Jean CALLOC’H, Conseiller nationalPr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL, Président de l’Agence nationale d’ac-créditation et d’évaluation en santé (ANAES)Dr André JACQUES, Directeur de l’évaluation de la pratique profession-nelle au Collège des médecins du QuébecBernard JAUBERT, Consultant en ressources humainesDr Bertrand LUKACS, Coordinateur du Comité de terminologie à l’As-sociation française d’urologiePr Jacques ROLAND, Doyen de la faculté de médecine de Nancy, Prési-dent de la Conférence des DoyensMichelle VEDRINE, Présidente de la Commission de la Sécurité desconsommateursLa table ronde a été animée par Philippe LEFAIT

Dr Louis-Jean CALLOC’H

Je vais vous rendre compte d’un travail élaboré hier dans unatelier qui avait pour thème l’acquisition et l’entretien des compé-tences. Trois questions ont été traitées au cours de cet atelier. Cesquestions tentaient de suivre chronologiquement la carrière d’unmédecin, en se penchant sur le temps de l’acquisition, le temps dela validation par la confrontation à la pratique quotidienne et enfinle temps de l’accompagnement.

Comment un médecin, à partir d’un savoir acquis à l’université,accède-t-il à la compétence professionnelle ? Il est nécessaire quela réalite du terrain soit présent dans l’enseignement initial pra-tique, de façon à ce que le décalage soit moins grand dans le futur

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Qualité et compétence en médecine

entre formation initiale et exercice professionnel. Il s’agit d’ap-prendre à communiquer, entre médecins mais aussi entre médecinset patients, de manière à traiter les hommes au-delà des cas cli-niques.

L’interrogation inhérente à la deuxième partie de la vie profes-sionnelle vise à se demander comment la compétence du médecinest reconnue par le terrain, les patients et par l’environnementprofessionnel du médecin. La notion de réussite doit être dépassée,par une approche multicritères. La réussite, loin d’être simplementmédico-sociale, est aussi intellectuelle. L’évaluation est d’abord uneautoévaluation, sur un mode participatif et non normatif. Cettecompétence croise le regard des pairs et de la population.

La dernière interrogation relative à la vie professionnelleconsiste à se demander comment accompagner l’expérience dumédecin au cours de sa carrière. Il faut savoir privilégier les bilansindividuels et volontaires de compétences et sortir de l’isolementprofessionnel de chaque thérapeute. L’avenir de l’exercice médicalréside dans les filières, les réseaux et le travail en équipe. Il faut sedemander comment organiser ce partage des moyens et des savoirsdans le but de promouvoir l’idée d’une compétence collective.

Nous avons tiré de ces réflexions la conclusion que la thésauri-sation progressive des compétences représentait l’opportunité pourl’Ordre des médecins qui en est dépositaire, d’imaginer un nouveaudiscours et une nouvelle communication.

Michèle VEDRINE

Je suis présidente d’une commission intermédiaire entre lesmédecins et les consommateurs. Cette commission donne des avisaux ministres chargés de la consommation. Dans cette commission,des drames nous sont rapportés par les consommateurs et non parles médecins. Ces drames sont des accidents de la vie domestiquequi concentrent 8 000 morts et 800 000 blessés par an, hors acci-dents de la circulation. De tels problèmes pourraient être abordésau cours de la formation initiale et de la formation continue desmédecins, au travers de la prévention. Des produits sont dangereux,

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Qualité et compétence en médecine

et en particulier de nouveaux produits, parmi lesquels on peuttrouver des produits médicaux ou paramédicaux, ainsi le laser per-mettant l’épilation ou le soleil, naturel ou non. Les infections noso-comiales ressortent de la même logique. Nous devons donner unavis concernant ces infections aux ministères dans les jours à venir.De plus en plus, les personnes atteintes d’affections nosocomialeseffectuent des recours.

La commission de la sécurité du consommateur se place dupoint de vue du consommateur. Elle tente de faire en sorte quele malade atteint d’une affection nosocomiale prenne sa part deresponsabilité dans la lutte contre ces affections. L’hygiène dans lecadre des hôpitaux joue également un grand rôle. Il faut faire ensorte que la personne atteinte d’une affection nosocomiale ne seretourne pas systématiquement contre le médecin pour obtenir uneindemnisation. Ceci passe, en partie, par une bonne informationdes malades. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous prenonsconnaissance de l’émergence de nouvelles technologies, que lesmédecins ne connaissent pas. Par exemple, les ophtalmologues neconnaissent pas les lésions dues aux lasers utilisés pour pointer desinformations sur des tableaux.

Il est nécessaire de mettre en place une formation initiale surla prévention des risques inhérents aux produits et une formationcontinue sur les conséquences de l’utilisation de ces produits. Ilconvient de faire remonter l’information relative aux produits dan-gereux. Ceci permettra d’éviter que des produits ou des actes dan-gereux continuent à exister.

C’est dans ce cadre que nous nous sommes rapprochés du Pro-fesseur Portos, qui se dit inquiet de l’absence de formation desmédecins dans des domaines proches de l’industrie. Aujourd’hui,les consommateurs font de nombreux recours auprès des indus-triels. Demain, ils adopteront cette démarche envers les médecins.

Bernard JAUBERT

Le fait d’être extérieur à la profession médicale est presque unavantage. J’ai l’impression, même si ce propos va sembler provoca-teur, qu’il faut s’excuser de ne pas être médecin. La profession a

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Qualité et compétence en médecine

très peur d’être confrontée à elle-même, sur le thème de l’incompé-tence.

Dans le monde de l’entreprise, qui est le mien, la question dela compétence est posée depuis longtemps. Les jeunes sortent del’école munis d’un droit à exercer un métier. Le diplôme ne consti-tue en effet qu’un droit potentiel. Lorsque l’on recrute une per-sonne de 45 ans, il s’est passé beaucoup de temps et d’événementsentre le diplôme acquis et les compétences réelles. Le diplôme estancien. Ceci explique que la question de l’évaluation soit poséedans les entreprises depuis longtemps. L’exemple canadien est trèsimportant. Les Canadiens ont en effet décidé de traiter à la foisde la compétence et de la performance.

Dans l’atelier de travail auquel nous avons assisté hier, troistemps forts du cycle de vie avaient été choisis : l’acquisition, laprofessionnalisation ou confrontation au terrain, la transmission etpeut-être la remise en cause. Dans l’entreprise, nous avons apprisà rythmer ces trois temps. Mon métier consiste à organiser dansl’entreprise ce que l’on appelle les 360 degrés. Il s’agit d’interrogerles collaborateurs d’un cadre et de leur demander ce qu’ils pensentde leur management. Cette démarche aurait été impensable il y adix ans de cela. Un véritable audit est réalisé, puisque les clientsou les fournisseurs sont également interrogés.

Deux significations de cet audit peuvent être soulignées. Uneorigine anglo-saxonne de l’audit définit l’audit comme unedémarche de contrôle et de vérification. Une origine latine de l’au-dit consiste simplement à « accorder audience ». Beaucoup demédecins praticiens, isolés dans leur pratique, ont besoin d’êtreaudités. Un tel audit peut les aider à se regarder soi-même. Or iln’est pas possible de se regarder soi-même si l’on n’est pasconfronté à un miroir ou à un feed-back. Cette profession doit sedemander si elle est prête à la confrontation.

Philippe LEFAIT

Que pensez-vous de la sanction positive ou négative qui seraitassortie à l’évaluation de la compétence ?

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Qualité et compétence en médecine

Bernard JAUBERT

Le fait d’être confronté est considéré en soi comme une sanc-tion positive par la plupart des personnes qui l’expérimentent. Leretour sur soi, la capacité à progresser en se regardant soi-mêmesont perçus comme une sanction positive, sans nécessaire incita-tion financière.

Certaines cultures considèrent que la seule forme de reconnais-sance officielle est l’argent, ainsi la culture américaine.

Pr Jacques ROLAND

Dans cet appel à la compétence, les Facultés de médecine sontamenées à répondre à plusieurs défis passionnants et complexes, etqui les mettent en constant décalage temporel. Nous devrions par-tir en effet d’une définition, la compétence que devrait détenir lejeune médecin qui sort actuellement des études. Mais en fait, ilfaut que nous donnions les éléments qui permettent aux étudiantsactuels d’être compétents dix à quinze ans plus tard compte tenude la longueur des études ! Cela veut dire que notre système doitêtre plus souple, perpétuellement remis en cause, et qu’il tende àdonner plus des aptitudes que des connaissances. Le défi de l’ex-haustivité ne peut plus être relevé, devant des masses croissantesde connaissances, leur labilité, leur caducité. Internet a de plusdonné des possibilités immédiates d’accéder à des banques de don-nées, utilisées par les médecins, certes, mais aussi par les maladeset leurs associations.

Acquisition et maintien d’une compétence sont naturellementliés. C’est dire que les études de médecine doivent être en harmoniecomplète avec la formation continue. Nous invitons donc le mondeprofessionnel à réfléchir avec nous à la conception, aux objectifsdes études. C’est un axe de travail majeur. Il est à suivre avec lesUnions professionnelles des médecins, les sociétés savantes, ettoutes les organisations qui jouent un rôle dans la Santé.

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Qualité et compétence en médecine

Philippe LEFAIT

Comment est-il possible d’ouvrir ce lieu clos qu’est l’univer-sité ?

Pr Jacques ROLAND

Il existe plusieurs moyens d’engager cette ouverture. Certains,démagogiques, font appel à la confusion des rôles ; il faut en faitque chacun soit conscient de ses responsabilités.

Notre rôle à nous n’est pas de fixer les objectifs de la forma-tion : c’est à la société civile et professionnelle de nous les fixer.Pour le moment, ce n’est pas encore le cas.

Il faut aussi que l’enseignement soit ouvert sur le monde profes-sionnel, et cela nous l’avons réussi, les enseignants de médecinepratiquent le métier qu’ils enseignent, les étudiants passent lamajeure partie de leur temps en stages dans les hôpitaux, les méde-cins généralistes libéraux apportent massivement leurs concours auxstages et à la formation théorique.

Philippe LEFAIT

Comment faire, au niveau de l’université, pour casser leslogiques de mandarinat ? Comment faire en sorte que le médecin,quel que soit son niveau hiérarchique, soit avant tout un hommeresponsable dans une société citoyenne ?

Pr Jacques ROLAND

Je n’apprécie pas le terme de mandarinat que vous employez.Il permet de nous gratifier d’un conservatisme particulier, alors quecelui-ci est présent partout. Nous sommes nous mêmes victimes dece conservatisme quand nous voulons provoquer les changementsspécialement dans nos pédagogies. Hors ces pédagogies, basées surl’enseignement en petits groupes devraient faire accéder les étu-diants aux qualités que vous évoquez...

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Qualité et compétence en médecine

Philippe LEFAIT

Peut-on imaginer qu’à terme, le diplôme sera remplacé par unprocessus de validation permanente ?

Pr Jacques ROLAND

Ne pas donner de diplôme en fin de formation ne paraît guèreconcevable. Mais doit-il nécessairement servir de permis pour lavie ? Ce débat de la re-certification ne sera en tout cas pas éludépar l’Université...

Philippe LEFAIT

Monsieur Bonet, quel est l’état de votre réflexion sur l’acquisi-tion de compétences en médecine ?

Dr Philippe BONET

De façon prémonitoire et pionnière, ma structure a commencéà réfléchir à ces questions il y a cinq ans. Plutôt que de partir dedonnées qu’il faut adapter à la réalité, nous avons décidé de nousdemander comment l’entretien des compétences et l’acquisition denouvelles compétences pouvaient se trouver en adéquation avec laréalité du cabinet. Nous avons avant tout travaillé pour des méde-cins généralistes dont les exercices et les réseaux sont fort différentsles uns des autres.

Notre première démarche a consisté à dire que cette initiativene serait bien reçue par les professionnels que si elle était personna-lisée. Nous mettons au point différents outils permettant au méde-cin de faire le point sur la réalité de sa pratique, sur la réalité deson mode de fonctionnement personnel et communicationnel etsur les domaines médicaux auxquels il est confronté dans la pra-tique. La formation continue doit répondre au mieux aux besoinsd’un médecin donné, tout en prenant en compte des priorités desanté publique. Nous espérons influencer des programmes de for-mation continue grâce à nos indicateurs. Une formation continuequi se respecte doit répondre à des besoins réels. D’autres orga-nismes doivent nous aider en ce sens.

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Qualité et compétence en médecine

Philippe LEFAIT

Vous prononcez-vous pour une segmentation fine de la forma-tion continue ?

Dr Philippe BONET

La personnalisation est nécessaire. Le schéma législatif actuelest bancal. Nous voulons apporter une alternative ou une complé-mentarité à l’évaluation des pratiques en cabinet. L’auto-évaluationparticipative s’impose. Le médecin qui sait se poser les bonnesquestions est plus compétent. L’une de nos ambitions est égale-ment de dire que les citoyens français dépensent beaucoup d’argentpour des recommandations pratiques. Ces recommandations sontpeu lues et pratiquement pas appliquées. Un problème d’incompré-hension se pose entre les auteurs de ces recommandations et lespraticiens de terrain. Une étape supplémentaire doit être accom-plie.

Philippe LEFAIT

Qui peut être à l’origine de cette étape ? Un modérateur ouun arbitre peuvent-ils jouer ce rôle ?

Dr Philippe BONET

Notre choix se porte sur les associations de FMC. Depuis 5 ans,nous sommes ballottés entre différents textes et différentes inten-tions des pouvoirs publics. Les petites associations locales conti-nuent à faire de la formation continue. Notre pari est d’amenerces associations à s’approprier les recommandations, à les traduireconcrètement et à travailler avec les associations de familles depatients.

Philippe LEFAIT

Qui ne lit pas ces recommandations ?

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Qualité et compétence en médecine

Dr Philippe BONET

Je suis un grand lecteur, mais sous leur forme actuelle, ellesn’incitent pas à les lire.

Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL

Nous avons tout intérêt à voir apparaître des membres de lasociété civile au sein de nos instances. Des mots qui vont se déve-lopper dans les années à venir, comme : « évaluation », « épidémio-logie clinique », « rendre compte » doivent être appris dès le plusjeune âge. Deux facettes coexistent dans la médecine. La premièrene doit pas être sous-estimée : il faut toujours davantage de science.La science évolue, le savoir et utilisation doit donc évoluer aumême rythme.

La deuxième facette réside dans le fait qu’un médecin doitdétenir un certain charisme relationnel. Il doit être naturel maisaussi appris par l’apport de connaissances venant des sciencessociales. En effet, soigner signifie guérir, mais aussi prédire et préve-nir. Dans ces conditions, le charisme des médecins doit êtrereconnu. Même si nous rendons plus de service que l’on ne le dit,nous avons été élevés sur le modèle « je le pansai, Dieu le guérit »,développé par Ambroise Paré dès le XVIe siècle. Nous étions isolés,empiriques, persuadés que la maladie était une punition. Le « pan-sai » a été transformé par le progrès scientifique. Le progrès médicalvit avec deux mentalités différentes, la pensée scientifique et lapensée mythique. Le doute permanent de la profession médicaleréside dans le fait que le savoir scientifique ne suffit pas toujours.La pensée mythique a suffi pendant des siècles à calmer l’angoissede la mort, en apportant des solutions dirigées par des croyances.

La pensée scientifique permet de répondre à certaines des solli-citations qui sont posées. La pensée mythique peut se révéler plusadroite à gérer l’angoisse de la mort et de la maladie grave.

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Qualité et compétence en médecine

Dr Bertrand LUKACS

Nous pensons que l’Association française d’urologie a une triplemission : assurer la formation, participer à l’évaluation de la qualitédes pratiques et au développement coordonné de la recherche enurologie. L’AFU a été créée en 1896 par Félix Guillon. En 1985,elle a connu un changement de structure. Depuis cette date eneffet, le Conseil d’Administration est élu démocratiquement parl’ensemble des membres, et ce, quel que soit leur mode d’exercice.L’AFU est donc une société savante très légitime.

Pour la formation initiale des urologues, l’AFU travaille enétroite collaboration avec le Collège français des urologues. Ce Col-lège est une association loi 1901 qui fonctionne comme un comitéde l’AFU. C’est le Collège d’urologie qui organise l’enseignementinitial. Cet enseignement est théorique et national. Il est ouvert àtous les chefs et les internes se destinant à l’urologie. Il est modu-laire, dynamique et interactif. Il associe des universitaires et desurologues de terrain. Ce programme d’enseignement s’inscrit dansun programme d’accréditation des services et des programmes for-mateurs. Une telle démarche s’insère dans un cadre européen, àtravers « l’European Board of Urology ». Des liens très étroits ontégalement été tissés avec l’association d’urologie du Québec. Notrerevue scientifique est d’ailleurs une revue franco-québécoise.

Pour la FMC, l’AFU coordonne un certain nombre de pro-gramme, par le comité de FMC en collaboration avec les différentscomités scientifiques.

Pour la FMC, nous avons deux objectifs principaux : les uro-logues, bien sur, mais aussi les médecins généralistes : certains desdomaines qui nous intéressent se trouvent en interface forte avecle domaine des médecins généralistes, comme les troubles miction-nels chez l’homme, le cancer de la prostate ou l’incontinence etl’AFU conçoit des « KIT » de FMC pour permettre aux urologuesd’animer des EPU avec les médecins généralistes.

Pour la FMC, nous pensons que les nouvelles technologiesd’internet ont un rôle clé à jouer en tant que facilitateur, pourmieux échanger, communiquer et nous former. Internet, par le

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Qualité et compétence en médecine

biais de notre site Urofrance nous a donné l’opportunité de per-mettre à chaque urologue de trouver l’information scientifiquedont il a besoin, quand il en a besoin, de développer une interacti-vité entre collègues et de casser une pyramide uniquement centréesur l’université.

Evaluation de la qualité des pratiques :

Si l’on veut améliorer la pratique quotidienne de la médecine,il faut d’abord apprendre à bien décrire sa pratique. Ceci permetensuite de pouvoir comparer sa propre pratique à celle de ses pairset à des références de bonne pratique. C’est par ce cercle qu’ilsemble possible d’améliorer de façon itérative la qualité de la pra-tique.

Depuis 10 ans, l’AFU est structurée par des comités scienti-fiques. Un comité transversal, le Comité de terminologie et dessystèmes d’information, a pour rôle de définir et de mettre en placedes outils permettant une bonne description de notre pratique etla mise en œuvre d’une démarche qualité.

Nous avons commencé par construire un thésaurus permettantde bien décrire la pratique. Nous jugions en effet que la classifica-tion internationale des maladies était insuffisante. Nous avons crééun enrichissement de cette CIM 10, qui a été validé par le pôled’expertise et de recherche national en nomenclature de santé(PERNNS).

Après la mise en place de ce thésaurus, nous avons élaboré desguides de codage pour expliquer comment bien coder. Le cursusuniversitaire de la médecine ne contient pas un seul cours relatifaux descriptions de pratiques : il existe des règles, il faut lesconnaître et les comprendre pour coder de façon fiable, reproduc-tible et comparable. Puis régulièrement, nous organisons des réu-nions provinciales pour présenter ces guides, expliquer les règles.Ces réunions associent les urologues hospitaliers et privés ainsi queles responsables des départements d’information des établissementspublics et privés. Enfin, un « SOS codage » se trouve sur notre siteInternet et répond à toutes les questions.

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Qualité et compétence en médecine

Parallèlement à cet apprentissage, les comités scientifiques, encoopération avec l’ANAES, définissent des recommandations debonne pratique. A partir de ces recommandations, nous choisissonsquelques informations « marqueuses » qui vont être inclues dansnotre système d’information, dans le but de vérifier si ces recom-mandations sont suivies ou non.

Cette démarche ne peut être mise en œuvre sans l’appui d’unsystème d’information approprié. Pour nous, urologues, la mise enplace du PMSI dans les établissement privés et public est considérécomme un progrès même s’il présente encore de fortes lacunes.Autour de toute l’infrastructure mise en place dans les établisse-ment pour le PMSI, nous avons développé un système d’informa-tion complémentaire : BASAFU. BASAFU est plus riche que lePMSI : il couvre les hospitalisations mais aussi les consultationsexternes, ce qui est très important pour nous, et intègre des infor-mations permettant de juger de la qualité des pratiques.

Une telle démarche s’appuie sur le volontariat et doit permettreà chaque urologue y participant d’avoir, en retour, des informa-tions qui lui sont parlantes et utiles. Nous avons créé un DIMAFU permettant, à partir de ces données, de construire des profilsde pratiques, permettant à chacun de comparer sa pratique aveccelle de ses paires et aux références. Grâce à ce système, chacunpeut prendre conscience de ses limites et de ses retards et avoiraccès à une formation médicale continue centrée sur ces problèmes.

Toute cette démarche a pour but d’inciter, de façon positive,au développement de l’autoévaluation. Ce dispositif est importantpour l’AFU. Les associations telle que l’AFU doivent pouvoir sefaire une idée du champ de leur pratique. Ce dispositif doit égale-ment servir aux comités scientifiques pour leur permettre de savoirsi leurs recommandations sont suivies.

Le rôle de l’AFU comme force de proposition sur l’évolutiondu métier d’urologue peut de cette manière être renforcé et sonexpertise peut être reconnue à un niveau national.

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Qualité et compétence en médecine

Philippe LEFAIT

Vous considérez-vous comme des précurseurs ?

Dr Bertrand LUKACS

Nous pensons que cette démarche fait partie de notre métier.

Philippe LEFAIT

Combien y a-t-il de volontaires dans ce dispositif ?

Dr Bertrand LUKACS

Il y a deux ans, nous avons réalisé une enquête pour étudierla faisabilité de notre projet au niveau des résumés envoyés defaçon volontaire à l’AFU. Nous partions de l’idée de recevoir envi-ron 1 000 résumés. En réalité, nous en avons reçu 90 000. Nousavons, sur la base du volontariat, constitué la plus grosse base dedonnées d’informations européenne. Nous sommes environ 1 200urologues en France, et l’AFU en regroupe les trois quarts.

Philippe LEFAIT

Quelles sont vos autres sources d’information ?

Dr Bertrand LUKACS

Il me faut rendre hommage ici au Professeur Buzelin, deNantes, qui a réalisé un travail considérable de sélection, dans lesdocuments français et internationaux, de tous les articles à qualitéscientifique. Le Professeur Buzelin a en outre créé un système d’in-dexation pour faciliter l’accès à cette sélection.

Urofrance est le premier média lié à l’urologie lu en France. Iln’est pas lu seulement en France : la moitié des consultations sontextra-territoriales et viennent du Canada, de l’Afrique ou encoredu Vietnam. Nous relevons 4 à 5 000 connexions par mois.

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Qualité et compétence en médecine

Dr André JACQUES

Quel est le rôle d’un ordre professionnel dans le maintien dela compétence ? En tant qu’ordre professionnel, l’on doit pouvoirs’assurer que le produit qui sort de la faculté est compétent. Lamême question s’était probablement posée au Collège des médecinsdu Québec, fondé en 1847. Le Collège des médecins québécoisintervient en effet pour vérifier que le produit médecin est debonne qualité. Les médecins doivent subir un examen de médecinegénérale et un examen de spécialité, et ce pour s’assurer qu’ilrépond bien aux besoins de la population.

L’examen terminal, qui doit donner le permis d’exercer, est unexamen qui dure trois jours et où sont vérifiées les connaissances,les aptitudes et les habilités. De ce fait, si le médecin n’a pas d’apti-tudes en matières de communication, il n’obtient pas son permisd’exercer. En effet, les aptitudes relationnelles s’apprennent : onpeut apprendre à parler, à écouter et à réagir. Cela s’enseigne dansles écoles de médecine. Lorsque le médecin arrive sur le terrain, ildoit savoir comment réagir.

L’acquisition des compétences fait donc partie du rôle d’unordre professionnel. Pour ce qui concerne le maintien des compé-tences, notre modèle québécois a pu vous être expliqué plus haut.Notre modèle consiste à améliorer les médecins avant qu’ils netombent entre les mains d’avocats. Cette action ne se fait pas seule-ment au niveau de l’ordre professionnel : des partenariats sont créésavec les universités, les syndicats et avec un organisme qui existedepuis 25 ans, le Conseil de l’Education médicale continue duQuébec, qui organise des formations spécialisées à partir desbesoins déterminés par l’ordre des médecins. Je précise au passageêtre opposé à la formation continue obligatoire. A mon sens, cesystème n’est pas utile et ne fait qu’ajouter des lourdeurs adminis-tratives au système actuel.

Philippe LEFAIT

Comment se passe une évaluation au Québec ?

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Qualité et compétence en médecine

Dr André JACQUES

Le médecin est avisé quelques mois à l’avance du fait qu’il vaêtre évalué. En général, l’annonce de cette visite amène un certainchangement. Un inspecteur enquêteur, rémunéré par les membresde l’Ordre des médecins, se déplace jusqu’au cabinet du médecinet vérifie certaines informations au vu de critères de performancedont nous disposons déjà sur le médecin en question. Une autreméthode consiste à vérifier sur place, dans une cinquantaine dedossiers, l’application de la norme scientifique reconnue. L’inspec-teur enquêteur est un expert de processus et de contenus. L’évalua-tion à laquelle il parvient est soumise à un comité de pairs quidoivent trouver la meilleure solution dans l’optique de corriger oud’aider ce médecin.

Philippe LEFAIT

Pourquoi vous prononcez-vous contre la formation continueobligatoire ?

Dr André JACQUES

Le mot « obligatoire » me gêne. La formation continue obliga-toire n’est qu’un processus bureaucratique qui n’a rien à voir avecla compétence.

Pr Bernard GLORION

Monsieur Luckas a dit des choses fondamentales. La créationdes collèges professionnels représente une innovation en France.Désormais, toutes les spécialités chirurgicales possèdent leur proprecollège. Les urologues disposent d’une technique d’évaluation. Latotalité de la profession est concernée par cette évaluation, qui estune évaluation par métier. Je souhaite que cette innovation soitpris en compte par les pouvoirs publics.

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Qualité et compétence en médecine

De la salle

Il est important que la profession puisse mettre en place sonpropre système d’évaluation. Le savoir médical est un élémentindispensable. L’adéquation avec le patient ou avec le public aégalement une certaine importance. Qu’en est-il lorsque l’on sortdu fonctionnement médical propre et que l’on s’adresse à des pro-blématiques particulières ? Dans ce cadre, le travail en partenariatnécessite de s’associer avec des personnes qui ne sont pas médecins.Comment, dès lors, permettre une inscription dans une démarcheinteractive ? Peut-on faire appel aux organismes de formationcontinue que vous représentez ? La formation intramédicale est unevaleur sûre : il faut la développer. Néanmoins, nous devons noussituer au-delà de cette démarche, dans le rapport avec autrui.

Dr Philippe BONET

Nous travaillons depuis plusieurs années déjà avec des patientsou des associations de patients. Le problème qui se pose à moi,en tant que responsable national d’un ensemble d’associations deformation continue, est d’identifier les bons interlocuteurs, entermes de structures représentant les patients.

Mon ambition est d’anticiper et de permettre à notre sociétéd’évoluer au mieux. Nous ne pouvons nous contenter d’expé-riences ponctuelles.

Nous souhaitons développer notre présence sur tous les pointsdu territoire et mettre en place des réseaux de soins coordonnés.Le développement des complémentarités des différents intervenantsconstitue un apprentissage extraordinaire. A l’Unaformec, noussommes très conscients du fait que cette dimension est inévitable.Nous la souhaitons. Peut-être ne le faisons-nous pas suffisam-ment savoir.

Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL

La question de l’évolution de la pratique médicale est en jeu.Nous avons besoin d’apprendre aux plus jeunes d’entre nous quece métier est un métier de transversalité et non de disciplines cloi-

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Qualité et compétence en médecine

sonnées. Nous devons savoir travailler en réseau. Un certainnombre de pathologies ne peuvent se traiter qu’en réseau. De sur-croît, ce n’est pas parce que la transversalité est en place que leconcept d’évaluation ne doit pas être la base de cette transversalité.

Michèle VEDRINE

Internet devrait faire évoluer notre profession radicalement. Lespatients ont par ce biais la possibilité de mieux connaître leurspathologies et les opérations auxquelles ils sont exposés. S’ils esti-ment ensuite que leur médecin leur donne des indications tropvagues, ils peuvent changer de médecin. Ils pourront même porterplainte de façon plus argumentée.

Une autre évolution de la médecine est liée à la société. Atitre d’exemple, le problème de l’anorexie mentale était jusqu’alorsconsidéré comme un problème exclusivement médical. Il devientsocial par le fait qu’un grand magazine féminin a pris la décisionde ne plus publier de photographies de top-modèles trop maigres.Ce type d’interaction est souhaitable.

Nous devons comparer la démarche des médecins à ladémarche industrielle. Les industriels ont des textes ainsi qu’unedirective générale de sécurité qui leur ordonne de réaliser des tests-types. Dans certains cas, les industriels ont pu se regrouper pourmettre au point des normes auxquelles ils acceptent de se confor-mer. Cela leur donne des garanties. Ces normes relèvent d’uncomportement volontaire. Elles donnent des garanties au consom-mateur.

Les industriels de la montagne par exemple étaient convaincusdu peu de dangerosité de la pratique du ski. De nombreux acci-dents de ski se produisent chaque année, dont beaucoup touchentla tête. Lorsque la commission de la sécurité des consommateursa voulu préparer une campagne de prévention des accidents à latête chez les enfants en recommandant le port du casque, la plupartdes professionnels de la montagne ont indiqué que le ski n’étaitpas une activité dangereuse. Il a fallu mettre en commun l’en-semble des informations. Une démarche générale des professionnels

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Qualité et compétence en médecine

a montré que ce domaine pouvait évoluer. L’année dernièrepresque, tous les enfants ont porté des casques. Très peu d’acci-dents graves sont survenus. C’est un progrès de prévention incon-testable.

Nous tentons de mettre en place la même démarche pour lespiscines. Le LNE (Laboratoire National d’Essai) nous a aidés dansce cadre à étudier les comportements de l’enfant face à une piscineet face à la barrière d’une piscine. Cela nous a permis de constaterqu’un enfant de deux ans était capable de faire beaucoup de choses,mais pas de la même manière qu’un adulte et que des techniquesspécifiques devaient être mises en place pour sa sécurité basées surla maturité psychomotrice d’un enfant.

La démarche volontaire d’un fabricant est positive et n’entraînepas de sanctions. Cette démarche pourrait être utilisée dans lemilieu médical pour développer la prévention.

Dr Bertrand LUKACS

L’impact de la technologie Internet est très important. Il boule-verse les relations entre le citoyen et le milieu médical. Aux Etats-Unis, le secteur qui a été le plus bouleversé par l’arrivée d’Internetest précisément le monde de la santé. Nous ne devons pas craindrece bouleversement en France, mais nous y préparer.

De la salle

Attendez-vous quelque chose du législateur en matière decontrôle de la qualité ?

Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL

Les ordonnances de 1996 ont constitué un moment très fortpour le législateur. Il a cru résoudre les problèmes de maîtrisecomptable de la médecine et a en fait permis, le développementd’une culture nouvelle, celle de l’évaluation des structures, des pra-tiques des praticiens à la maîtrise culturelle en mettant en placel’évaluation. Je demande au législateur une impulsion forte à ce

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Qualité et compétence en médecine

mouvement qui se passe dans le monde de la santé. Il doit pour-suivre dans cette direction, faciliter les actions qui rendent les pro-fessionnels participants à ce nouveau mouvement culturel.

Dr Bertrand LUKACS

Nous ne pensons pas que des directives seulement normativesauront un impact. Nous devons mettre en place des incitationsfortes pour développer des démarches telles que la nôtre. Nousdemandons simplement des moyens. Tout ce que fait l’AFU, àtitre d’exemple, est réglé sur fonds propres. Nous n’avons aucuneligne budgétaire fléchée. Si nous faisions appel à l’industrie phar-maceutique, cela serait considéré comme un scandale. Il n’existepas de structure adaptée pour ceux qui souhaitent développer desdémarches de qualité.

De la salle

Je suis gynécologue. Il y a trois ans de cela, avec trois autresgynécologues, nous avons mis en place une formation médicalecontinue pour les généralistes. Cela fonctionnait très bien. Aujour-d’hui, de nombreuses petites associations de formation continuevoient leur nombre de participants diminuer régulièrement. Aprèsavoir suivi des formations par crainte de sanctions, les médecinsont abandonné ces formations.

Pr Bernard GLORION

Je précise, suite à l’intervention de mon collègue québécois,que nous avons changé d’optique en matière de formation continueobligatoire. Chacun s’est vite aperçu que l’idée de quota d’heurene servait à rien. Actuellement, dans le projet de loi qui se prépare,il est simplement question de l’évaluation des pratiques. La forma-tion continue doit être obligatoire sous cet aspect. Les médecinsdoivent pouvoir attester du fait qu’ils ont été l’objet d’une évalua-tion.

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Qualité et compétence en médecine

Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL

Dans la langue latine, le mot « obligatoire » peut avoir plusieursacceptions. On peut s’obliger à être volontaire. Si nous réussissonsla formation initiale des médecins, ils en feront une obligation.Le monde médical doit apprendre l’audit clinique et le regard del’extérieur. Le fait de rendre cette notion obligatoire va contre laculture.

Dr André JACQUES

Nous n’évaluons pas les pratiques professionnelles de tous lesmédecins. Cela n’est pas nécessaire. On estime entre 2 % et 3 % letaux des médecins québécois en difficulté, concernés par le niveau 3du système. Si on rendait obligatoire un système de formationcontinue ou d’évaluation des pratiques professionnelles, ce seraitun système très important, pour aider finalement une minoritéde médecins.

Michèle VEDRINE

A propos de l’évaluation faite par les patients, un certainnombre de démarches existent, par exemple sur la cataracte. Il estévident que les patients actuellement observent la façon dont onopère la cataracte ou la vésicule biliaire. Sur Internet ou ailleurs, ilsapprennent qu’il existe plusieurs façons d’opérer. Ils exigent donc lamoins chère, la moins douloureuse, la plus efficace, la plus rapide,et choisissent leur praticien en fonction de ce critère. Je crois qu’ily aura une forte poussée des consommateurs. Ce comportement iratrès vite. Il faut y prendre garde si les médecins et les responsablesd’établissements médicaux de veulent pas dans quelques années êtredépassés par leurs clients consommateurs.

De la salle

Je voudrais intervenir au sujet de l’intervention du législateurdans l’évaluation. Dans un seul exposé ce matin, il a été fait men-tion du coût de l’évaluation. La question de savoir qui paiera et

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Qualité et compétence en médecine

comment, est fondamentale. En France, c’est probablement lesUnions régionales des médecins qui paieront. Mais leur budget est-il suffisant et le législateur a peut-être, là, un rôle à jouer.

Deuxièmement, Madame Védrine, je crois que l’avenir est àInternet. Mais Internet est un média de riches et d’intellectuels. Jetravaille dans une banlieue pauvre, où les gens n’ont pas accès àInternet. La qualité de l’information qu’on leur apporte est celledes médecins et pas celle d’Internet.

Michèle VEDRINE

A la Commission de la sécurité des consommateurs, 95 % deslettres que nous recevons proviennent d’analphabètes, quand ellesne sont pas écrites par des écrivains publics. Je crois que dans cedomaine, j’en sais pas mal.

Dr Bertrand LUKACS

Je dirai que ceci est un faux débat. Sur le site d’Urofrance,nous avons des demandes d’avis d’urologues nigériens, vietnamiens,de Patagonie. Leur environnement est isolé. Ils ont un ordinateur.Mais je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il s’agit d’une « médecinede riches ».

Philippe LEFAIT

Au Québec, qui paye pour l’évaluation de la compétence desmédecins ?

Dr André JACQUES

Au Québec, l’évaluation professionnelle est payée par lesmembres du Collège des Médecins, à travers leur cotisation. Laqualité a un prix, mais de grandes études ont montré que la non-qualité coûte encore plus cher. D’autre part, je n’aimerais pas, per-sonnellement, que ce soit le gouvernement qui paye pour l’évalua-tion des pratiques professionnelles, puisque celui qui paye a le

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Qualité et compétence en médecine

pouvoir aussi de décider et de contrôler. J’aime donc mieux quece soit mon ordre professionnel, ou mieux encore une associationprofessionnelle qui s’occupe de cela.

Philipe LEFAIT

En France, a-t-on une réflexion dans cette direction ?

Pr Bernard GLORION

L’Ordre est régi par les textes officiels. Si l’on confie à l’Ordrela responsabilité de procéder aux évaluations dans les mêmes moda-lités qu’au Québec, le financement de l’évaluation sera nécessaire-ment issu des cotisations.

Dr Louis-Jean CALLOC’H

Je clôturerai cette table ronde par ces réflexions.L’émergence de l’expression d’un patient, qui est un consom-

mateur informé. Cette information motive au niveau de la compé-tence et aussi au niveau de la micro et macro-économie ouéconomie de santé.

Les mots d’évaluation ont été plusieurs fois cités, mais c’estaussi, au niveau de l’université, un partenariat nouveau, un définouveau à relever, l’entrée dans le champ de l’université de nou-veaux professionnels, ou de formation médicale continue plusouverte. Se fait jour l’obligation d’une nouvelle pédagogie avec lerecours à des collèges, associations locales de formation continue.Des études restent à faire sur le rôle d’Internet qui informe toutle monde, en bien comme en mal. Alors que l’on irait vers unenormalisation globalisante avec Internet, il faut revenir au bilanindividuel qui permettrait des relations plus incitatives que sanc-tionnantes (à l’image de nos amis canadiens). Nous sommes tousdes professionnels et l’émergence d’une compétence ouverte versdes savoirs nouveaux de prévention, permettrait une redéfinitionde l’épidémiologie en santé. L’Ordre est tout à fait habilité à entre-prendre ce genre de démarche.

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Qualité et compétence en médecine

Enfin, je me permets de penser que les troisièmes cycles pour-raient être l’espace d’un partenariat futur de compagnonnage,« donnant-donnant », entre les anciens expérimentés et les jeunesen stages. Et pour reprendre les propos de nos collègues canadiens,rien ne doit être incitatif, mais participatif.

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Qualité et compétence en médecine

La mesure de la qualité de l’exercice professionnelet l’évaluation des compétences

Table ronde

Ont participé à cette table ronde :Eric AVRIL, Secrétaire général de l’association Force Ouvrière desConsommateurs AFOCDr Etienne DUSEHU, Conseiller nationalDr Pierre FENDER, Caisse nationale d’Assurance MaladieDr Yves GERVAIS, MG FORMNadine JOLIS, Directeur des ressources humaines de la Caissed’Epargne Languedoc RoussillonPr Alain LEDUC, Doyen de la faculté de médecine de LariboisièreSaint-LouisPr Yves MATILLON, Directeur de l’ANAESDr Jean-Michel THURIN, Président de la Fédération des Sociétés natio-nales de spécialités médicalesLa table ronde a été animée par Philippe LEFAIT

Dr Etienne DUSEHU

Au terme des réunions préparatoires à ce colloque, le Conseilnational propose une lecture en six points de la méthode d’évalua-tion des compétences.● L’étalonnage

Pour mesurer, nous aurons besoin de références. L’objet de l’éva-luation sera sélectionné soit selon le tronc commun des pratiquestransversales du groupe de médecins que l’on souhaite évaluer,soit selon le degré d’urgence des problèmes à traiter. Une problé-matique adjacente déterminante est celle des interfaces, car lamédecine aujourd’hui est souvent une pratique de groupe. Mêmele médecin généraliste dans son cabinet a recours au laboratoire,à la radiologie, aux spécialistes, et aux services sociaux. Et l’effica-

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Qualité et compétence en médecine

cité de ce système ne réside pas uniquement sur l’efficacité dechaque acteur, mais sur le degré de cohérence entre ces acteurs.

● Le champ d’observationQuand on parle d’évaluation en termes de performance, on neparle pas de résultat, mais de savoir-faire du professionnel surl’ensemble du processus. Ce que demande un patient, c’est l’effi-cacité de la globalité du système de santé. L’observation doitdonc se placer du point de vue du patient.

● Faut-il évaluer ?Unanimement, nous répondons qu’il faut évaluer. Les raisonsen sont la qualité, mais aussi le soutien, l’accompagnement duprofessionnel, parce que tout le monde tire un bénéfice à l’amé-lioration globale du système. En outre, l’évaluation permet auxpatients de gagner en confiance vis-à-vis du système de santé.

● Qui évalue ?Deux types d’évaluation sont possibles : l’évaluation interne, quicomprend l’évaluation par les confrères et l’auto-évaluation, etl’évaluation externe, effectuée par les tiers et notamment patients.Cette dernière est importante, mais il faut savoir que les patientsne sont pas toujours les meilleurs juges des prestations de leursmédecins.Dans le système d’évaluation interne, deux composantes sontanalysées : le processus et le contenu. Il ne doit pas y avoir desanctionnant et de sanctionné dans ce système, chacun à tour derôle doit participer au fonctionnement du processus, être évalua-teur et évalué.L’auto-évaluation est un domaine essentiel. Son utilité opération-nelle est indiscutable. Spontanément, le médecin semble ne pasavoir le temps, du fait de sa charge de travail, souvent difficileà planifier. Pourtant, l’auto-portait de pratique, ou l’envoi d’unelettre indiquant que le médecin sera l’objet d’une évaluationconstituent des incitatifs à faire cette auto-évaluation.

● Comment, avec quel outil ?L’objectif n’est pas de repérer les déviants, mais d’améliorer lapratique collective. Elle n’empêche pas de repérer les médecins

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Qualité et compétence en médecine

en difficulté ; elle permet la prise en charge de la performancepar les professionnels.Les outils sont nombreux. L’évaluation sur le site d’exercicesemble être le plus efficace, d’après l’expérience.

● Quelle reconnaissance ?La reconnaissance financière est un élément déterminant. Maison sait que les médecins fonctionnent aussi sur les valeurs. Onpeut imaginer de nouveaux modes de récompenses, fondés surla reconnaissance.

Philippe LEFAIT

Eric Avril, vous êtes le destinataire des processus d’évaluationdes médecins.

Eric AVRIL

Les réformes actuelles sont effectuées au nom du consomma-teur ou du patient, sans tellement le consulter. Nous avons de plusen plus de plaintes et de réclamations, concernant non seulementla qualité mais la sécurité. On nous demande d’être le guide debonnes adresses pour des opérations. Je vous confirme que laconfiance vis-à-vis des autorités de régulation n’est pas la pratique.D’où le nomadisme, la résistance à la carte Vitale, et des judiciarisa-tions de plus en plus fréquentes. On a quitté un monde assezstructuré, pour un monde où l’Etat n’est plus l’arbitre, avec unecrise sanitaire qui laisse des traces importantes dans l’opinionpublique : l’amiante, l’hormone de croissance, le sang.

Les consommateurs et les patients sont à la recherche de l’infor-mation pour devenir des partenaires, coacteurs de leur santé. Lors-que nous analysons les dossiers, nous découvrons que si le patientavait eu l’information dès le départ, il ne se serait jamais engagé.L’obligation générale de sécurité. Les directives ont des impacts surle droit national, et nous sommes dans une nouvelle approche oùil faudra prouver que vous avez agi en bon professionnel.

Les consommateurs préfèrent l’engagement des médecins à laconstitution de chartes. L’engagement est une démarche volontaire,

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Qualité et compétence en médecine

et nous avons obtenu que le législateur puisse modifier l’état del’instrumentation légale. En 1978, les premières grandes lois deconsommation ont précisé que l’on pouvait certifier les produitsindustriels. Nous avons dû attendre 1995 pour avoir la mutationsur les services qui représentent 70 % du produit intérieur brut. Aprésent, le décret du 30 mars 1995 dit que l’on peut certifier lesservices, par la définition d’un cahier des charges impliquant tousles acteurs. Le contrôleur n’est pas l’Etat, mais une entreprisespécialisée que l’on appelle certificateur. Ce n’est pas une auto-proclamation.

Lorsque nous avons commencé à discuter avec la profession dudéménagement à l’AFNOR pour mettre en place la premièrenorme sur le déménagement, cela a pris quatre ans. La premièrenorme est passée et les entreprises sont les premières demandeuses.

Dans le monde médical, le médecin est le premier portail d’uneingénierie de métier. Le consommateur demande d’avoir toutel’information. Nous sommes d’accord pour continuer dans cettedémarche entreprise, de transparence des honoraires.

Philippe LEFAIT

Nous comprenons que la demande est loin d’être satisfaite.

Pr Alain LEDUC

Je m’exprimerais en tant que chef d’un service de chirurgie ausein d’une structure hospitalière d’assistance publique. Il est normalque le consommateur soit parfaitement informé. Donc des per-sonnes vont se charger de lui donner des informations. Pour l’ins-tant, les structures chargées de donner des informations sur laqualité des services de chirurgie ou de médecine à l’intérieur deshôpitaux et des cliniques sont très mal identifiées. On sait tousque l’article Science et Avenir par deux journalistes. Fait une choseà la fois louable et condamnable. Se sont servi d’un instrumentpurement quantitatif : le MSI, pour en faire un instrument dejugement qualitatif et un classement. Ceci ne doit plus être repro-duit. Cet outil n’avait jamais été conçu pour la qualité.

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Qualité et compétence en médecine

Le consommateur a le droit d’être informé. Qui va l’informer ?Si on multiplie les structures chargées d’informer, presse, orga-nismes privés, ANAES, nous risquons de générer du désordre etl’évaluation sera très mal partie.

Philippe LEFAIT

Comment avez-vous le temps et l’organisation pour être àl’écoute du patient ?

Pr Alain LEDUC

Je crois qu’il n’y a pas besoin de passer des décrets pour quel’information soit transmise aux patients. Il suffit que les chefs deservice et leurs assistants donnent l’exemple de l’information. Ilfaut que dans les conseils de service, nous faisions passer ce messageet que l’information soit la même donnée par le médecin et lesinfirmières. C’est une question de culture interne. Je crois qu’aucundécret ne pourra greffer cet état d’esprit dans un hôpital.

Cet état d’esprit se transmet très bien. Les promotions dejeunes chirurgiens et de médecins qui arrivent maintenant à matu-rité ont déjà compris qu’il fallait informer les consommateurs ettenir compte de leurs désirs légitimes. Il est vrai que lorsque jedébutais, j’ai vu beaucoup de chefs de service couper court auxquestions des patients.

Philippe LEFAIT

Donner de l’information est un sens de l’information. Ecouterest un autre sens. Comment vous donnez-vous les moyens d’écou-ter les patients ?

Pr Alain LEDUC

Tout dépend de l’activité de consultation. Il faut savoir ciblerles patients qui ont besoin d’écoute et passer vite sur ceux qui n’enauraient pas besoin. Le comportement psychologique des patientsfait que celui qui n’a aucun problème de santé va vous retenir,

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Qualité et compétence en médecine

tandis que l’autre, bloqué par l’angoisse, ne va pas vous poser dequestion. Là, je pense que c’est l’expérience qui doit jouer. Maisla culture de l’information est à présent reconnue par tous et jecrois que c’est un travail très artisanal.

Philippe LEFAIT

A l’ANAES, comment entend-on les propos d’Eric Avril ?

Pr Yves MATILLON

L’ANAES les entend très bien. Concrètement, dans les repré-sentants de l’ANAES, il y a des représentants de consommateurs.Je fais la différence entre le moment où ils sont arrivés et la périodeoù ils étaient absents. Monsieur Guiraud-Chaumeil tout à l’heurea dit que nous souhaiterions que les consommateurs soient plusofficiellement associés aux instances.

En pratique, on a commencé à les associer à l’élaboration deréférentiels. On voudrait renforcer ces liens. Le problème est d’ail-leurs de savoir qui les représente. Nous essayons d’être le plusouverts possibles à cette écoute, parce que nous en tirons toujoursun bénéfice, de la même manière que l’on tire toujours bénéficed’échanger avec l’autre en général sur des problèmes complexes. Leconsommateur et la compétence : on préfère solliciter la personnequi est bien formée, qui suit une formation continue, évalue sespratiques et a le sens de ses limites.

J’en viens aux rôles des acteurs. C’est un métier particulier qued’évaluer des pratiques. Beaucoup de gens sont investis dans laformation commerciale continue. Il y a donc des instances quifont fonctionner le système. Ces résultats positifs de l’informationdoivent être partagés pour redonner confiance aux personnes quiveulent se faire soigner.

La compétence : certains acteurs ont une légitimité. Les ordresprofessionnels ont une responsabilité et l’université a une responsa-bilité. Que ces acteurs renforcent la qualité des mécanismes misen œuvre et qu’ils le fassent savoir. De ce partage naîtra une dyna-mique sur la manière de gérer ces compétences.

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Qualité et compétence en médecine

Chaque institution a des responsabilités. Qu’elle les assumeavec une interface claire. Et je pense que l’on pourra être optimistepour l’avenir.

Philippe LEFAIT

Selon vous, y a-t-il une limite à l’intervention du consomma-teur/patient dans le système d’évaluation des compétences ? Apriori, le consommateur a peu accès à des questions d’ordre scienti-fique, et plus à des questions d’ordre relationnel.

Pr Yves MATILLON

Il faudrait au moins qu’il soit écouté sur les problèmes relation-nels.

Philippe LEFAIT

Merci de votre franchise.

Dr Jean-Michel THURIN

Le problème est que nous mettons au même niveau des ques-tions d’ordre totalement différent. Il me semble que nous confon-dons ce qui est un moyen avec un but. La formation du patientest un fait. Le patient est devenu acteur et demandeur d’informa-tion, tant sur la formation du médecin que sur son état. Tout cetéchange d’informations fait partie intégrante des soins. Ce n’estpas l’information en soi qui compte, mais la mise en place d’unpartenariat avec le patient, que l’on appelle une alliance thérapeu-tique. C’est ainsi que l’on obtient une meilleure qualité des soinset de meilleurs résultats.

De même, sur le plan institutionnel, les Sociétés nationales deSpécialités médicales ont acquis le fait qu’il fallait apprendre à tra-vailler avec les patients, avec une certaine inquiétude vis-à-vis dela transparence de l’information. Mais il est acquis que les méde-cins doivent expliquer ce qu’ils font, et ce fait aura des implicationsimportantes, y compris scientifiques.

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Qualité et compétence en médecine

Troisièmement, je voudrais revenir sur l’usage qui est fait parles patients d’Internet. Très souvent, les patients posent des ques-tions de base. Leur comportement est, pour nous, un enseigne-ment. Internet nous invite à exploiter les possibilités nouvellesd’interface avec les patients. Les Sociétés nationales conduisent uneréflexion à ce sujet, pour mettre en place un site commun, maisaussi initier une démarche qualité au niveau des sites. Notre étatd’esprit est celui de l’innovation, et absolument pas celui de ladéfense, qui serait la meilleure façon de tarir complètement la vita-lité de la médecine.

Philippe LEFAIT

Peut-on imaginer que des sociétés de service, des associationsde consommateurs, ou des laboratoires pharmaceutiques, mettenten chantier des processus de simplification du savoir médical dispo-nible sur Internet, avec le risque d’y simplifier le savoir à outrance,ou d’induire des types de thérapies par intérêt économique ?

Dr Jean-Michel THURIN

Vous soulevez une question très juste. On sait par exemplequ’aux Etats-Unis, certaines entrées dans des filières de soins sontcomplètement contrôlées par les sociétés d’assurance, elles-mêmescontrôlées par les laboratoires.

Les Sociétés nationales tentent actuellement d’instaurer un sys-tème de règles qui éliminent ces dérives, et répondent aux besoinsde la population. Je prendrais l’exemple de l’urgence en psychiatrie.Beaucoup de familles se trouvent totalement dépourvues devant ceproblème. Nous pourrions leur fournir les adresses dont elles ontbesoin sur Internet.

Philippe LEFAIT

On peut imaginer que plus les médecins seront simples, plusils éviteront les interférences et parasitages.

130

Qualité et compétence en médecine

Dr Yves GERVAIS

Dans l’état de mes réflexions jusqu’à aujourd’hui, il est vraique je n’avais pas beaucoup intégré la question des attentes desconsommateurs. La question des réponses à donner aux consom-mateurs est à lier avec l’état du système de soins et la mise enœuvre de la démarche qualité.

L’état du système de soins renvoie aux décideurs institutionnels.Il serait vain de raisonner sur des objectifs de progrès et de qualitésans prendre en compte le contexte tel qu’il est. Or ce systèmeprésente quelques lacunes. D’abord, il serait urgent de mieux défi-nir les rôles à l’intérieur du système de soins entre les différentsmétiers. Le problème est de savoir qui fait quoi. Ensuite, l’état desrelations entre les acteurs individuels et institutionnels : on observeun degré important de cloisonnement, un déficit en termes decirculation de l’information et de coordination. Tout ceci permetde mettre l’accent sur un déficit de compétence collective, dans lesens où M. Le Boterf l’a exposé ce matin.

Deuxièmement, la réponse aux attentes des consommateursrenvoie à la mise en œuvre d’une démarche qualité. Dans cedomaine, je pense que la communauté médicale a besoin d’avoirles idées claires. Je pointerai quelques mots et idées sur lesquellesil me semble y avoir souvent des confusions.

D’abord, nous sommes dans un milieu où l’on confond volon-tiers connaissance et compétence. Les exposés qui ont été faitsmontrent que la compétence dépasse le simple chapitre de laconnaissance, même si la connaissance en est une ressource impor-tante.

Ensuite, on confond fréquemment information et formation.La formation médicale continue est fréquemment définie, ycompris dans certains textes officiels comme une mise à jour desconnaissances. Il faut savoir ce que cela veut dire. Est-ce simple-ment s’enquérir des éléments nouveaux de la science ou est-ce inté-grer dans des pratiques à travers un processus pédagogique, deséléments de connaissances s’agglomérant avec un ensemble d’autrescompétences qui permettront de produire un service de qualité ?

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Qualité et compétence en médecine

Je crois qu’il est très important de préciser ces termes parce que jecrois qu’il y a un fond culturel qui confond le niveau du savoiret des soins, le second étant un savoir-agir au sens le plus largedu terme.

Passées ces quelques mises au point, qu’est-ce qui nous permet-trait de mettre en œuvre une démarche qualité et comment lefaire ? Il est nécessaire d’avancer avec une méthode. Il nous appar-tient, et je parle de la communauté professionnelle en général, maispeut-être discipline par discipline, de mettre sur pied une stratégiedéfinie, qui soit réaliste, positive, et patiente. En effet, tout celademandera du temps.

Il faut prendre en compte un certain nombre d’ingrédients quifavorisent la constitution de la compétence et son entretien. Sesingrédients en sont d’abord la formation. Et nous sommes dansun pays qui n’a pas encore finalisé sa formation initiale, ni unepartie de sa formation continue en fonction de la réalité de sesdifférents métiers. C’est en fonction des métiers que l’on pourradonner un sens plus affirmé et cohérent à nos actions en matièrede formation.

Il faut aussi penser à un cadre d’exercice qui favorise pour lesprofessionnels, la prise de recul, et la confrontation avec les pairs.Nous avons besoin de méthodes, concepts, standards de pratiques,comme ceux qui nous ont été présentés aujourd’hui. Pour notrepart, nous avons élaboré un référentiel de la profession de médecingénéraliste, si cela en intéresse certains. En allant plus loin, il fau-drait compléter cette démarche en allant vers des référentiels deservice. Dans cet ordre d’idée, il était déjà question lors de la tableronde précédente, de bilan de compétences. MG Form a déjà tra-vaillé dans ce sens-là, en élaborant un projet d’auto-évaluationaccompagnée et personnalisée. Je le cite parce que cela nous apermis de tester l’accueil des médecins vis-à-vis de ces démarches,sous forme d’enquête. Parmi les enseignements que nous en avonsretirés, au-delà d’une certaine réticence bien compréhensible dansl’état actuel des discours sur la compétence, l’évaluation et la qua-lité, faisant écho au phantasme de contrôle précité, qui ne relève

132

Qualité et compétence en médecine

d’ailleurs pas toujours du phantasme, 70 % des médecins seraientprêts à s’engager dans de telles démarches, sous certaines condi-tions. Notamment, l’encadrement devrait être assuré par des pairs.

Quels seraient les acteurs qui permettraient de s’engager versla construction d’un tel système ? L’Ordre des médecins ne faitqu’attester. Sur le terrain, on peut penser qu’un certain nombred’associations locales, groupes de pairs, groupes de qualité, pour-raient travailler dans ce sens, même si l’on peut les pousser à unecertaine mise en place, et les doter d’outils. On peut penser qu’uncollège par discipline médicale pourrait être responsable d’un cer-tain nombre de démarches dans sa branche.

Je terminerai par une question. Faut-il, dans la stratégie quej’évoque et qui nous reste à construire, commencer par l’incitationou par le contrôle ? Ma position est qu’il serait utopique aujour-d’hui de commencer par le contrôle. En effet, la démarche reste àpromouvoir. Elle en est au stade de l’expérimentation. Par ailleurs,l’incitation serait une preuve de pédagogie par rapport à un milieuprofessionnel particulièrement susceptible, de façon à contournerles résistances au changement.

Philippe LEFAIT

Dr Pierre Fender, quelle est votre position sur l’évaluation ?

Dr Pierre FENDER

Je dirais que la qualité est difficile à mesurer. Quelqu’un n’estpas de qualité ou de non qualité. En revanche, on peut mesurerdes points de qualité, et ce, sur différentes actions particulières.

Il est facile de dire qu’un système est le meilleur du monde.Mais cette représentation est toujours fausse. En effet, si on s’inté-resse à la qualité, on s’intéresse obligatoirement à des parties dela pratique.

Deuxièmement, il faut des référentiels opérationnels. Et je pré-cise bien cela à l’ANAES. Des référentiels indiquant des marchesà suivre trop diverses selon les conditions n’aideront ni le médecinni l’auditeur.

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Qualité et compétence en médecine

Sur des parties précises, et à partir de référentiels pertinents,nous pouvons mesurer la qualité. Par exemple, nous ne dirons pas« la pratique des anatomo-pathologistes est de bonne qualité », maisnous pourrons dire « 85 % des comptes rendus anatomo-patholo-giques indiquent la taille de la tumeur en cas de cancer du sein,pour ce professionnel, cet établissement, cette profession à telledate ».

Après avoir mesuré la distance entre la pratique réelle et unréférentiel, le problème qui se pose est de qualifier le niveau tolé-rable. C’est là-dessus que nous devons discuter. Pour partir d’unexemple réel, quand on dit que « 16 % des malades hypertendusdéprimés sont traités par un antihypertenseur central déconseilléen cas de dépression nerveuse », je dis aussi que pour 84 % desmalades, les médecins ont choisi d’autres classes thérapeutiques.On pourrait qualifier cette situation de bonne, mais ne devrions-nous pas fixer le référentiel de cette pratique à 0 % ?

Qui peut évaluer ? La CNAM est tout à fait favorable à uneauto-évaluation. Mais nous sommes favorables aux évaluationexternes et nous revendiquons pour nous, le droit à une évalua-tion externe.

Sur quelle population doit porter cette évaluation externe dela CNAMTS ? Il est certain que celle-ci ne peut pas porter sur tousles professionnels. Elle concerne des professionnels ciblés. Certainsprofessionnels travaillent plus ou moins bien. Il reste à fixer desseuils tolérables. Le zéro n’existe pas mais c’est un objectif impé-rieux en cas de dangerosité.

La CNAM n’a pas à définir ce qui doit rentrer dans le champde l’évaluation collective. Elle a proposé que ce soient la pratique,la participation à la formation continue, l’organisation du cabinet.C’est aux professionnels de le faire. En revanche, et nous seronsplus exigeants sur ce point, la CNAM exige qu’il y ait une recon-naissance de la compétence et de la performance.

134

Qualité et compétence en médecine

Philippe LEFAIT

Nadine Jolis, que retenez-vous de ce colloque et quels sont lesoutils de votre secteur que vous suggérez pour le monde médical ?

Nadine JOLIS

J’ai entendu un mot fort prononcé par M. Avril. Le maladeveut devenir co-acteur de la santé. Qui dit co-acteur implique, mesemble-t-il, une co-responsabilité. Or, jusqu’à présent, le médecinétait responsable vis-à-vis de son patient et des projets de santé deson patient. Cette interpellation doit être dans les esprits. J’aientendu également l’importance mise sur la compétence collective,qui renvoie également à une responsabilité collective.

Du monde de l’entreprise, je retiendrai pour votre cas la notiond’employabilité. En entreprise, s’engager dans une démarchecompétence, c’est introduire une coresponsabilité dans l’employabi-lité des salariés. On accepte l’idée que désormais, on essaie d’éviterles plans sociaux dans les entreprises. Lorsque quelqu’un n’est plusadapté à l’évolution du monde du travail, on licenciait massive-ment. Introduire une démarche compétence, c’est donc introduireune coresponsabilité dans la construction du professionnalisme. Ladémarche qualité est donc un service rendu aux employés.

De la salle

Je suis présidente du Conseil de l’Ordre de l’Aube et pédopsy-chiatre. Vous avez raison de parler de co-responsabilité. Par exem-ple, l’adolescence est un sujet qui réunit des sociologues, deséducateurs, des familles, et des médecins. Je pense qu’il faudraittrouver un modèle de formation continue réunissant tous cesacteurs.

Pr Bernard GLORION

Il serait bon de revenir à des événements qui nous ont tousfrappés, au sujet de la responsabilité et du patient. Les articles 35et 36 du Code de déontologie sont très précis à ce sujet. D’abord,

135

Qualité et compétence en médecine

ils précisent l’information obligatoire, avec tous ces caractères. Maisensuite, ils font allusion au consentement du patient. En ce sens,ce dernier prend une responsabilité. Certes, un patient n’aura pasla responsabilité civile en cas de procès, mais l’état d’esprit consis-tant à considérer que le malade est autonome est essentiel. C’estd’ailleurs une conception relativement nouvelle.

Eric AVRIL

Je ne suis pas d’accord pour parler de co-responsabilité du faitde la co-action, et il me semble que l’employabilité est un argu-ment d’employeur pour justifier un licenciement.

Fondamentalement, il existe un déséquilibre de savoir entre lepatient et son médecin. Le consommateur le sait. Il ne revendiquepas une relation égale ; il demande qu’on lui donne des élémentspour prendre sa décision. La santé est certes un marché, mais enaucun cas analogue à autres marchés de biens et de services. Leconsommateur demande à être éclairé pour ne pas faire d’erreur.La co-responsabilité juridiquement, est tout à fait autre chose.Quand les entreprises agroalimentaires arguent du fait que le risquezéro n’existe pas, et qu’il y a une co-responsabilité avec les famillesdans le cas de décès avec la listériose, on atteint un summum deperversité. Nous savons que la notion de co-responsabilité provientde cabinets de communication de gestion de crise, qui utilisentcette dilution de responsabilité.

Dr Yves GERVAIS

Je crois qu’il y a un faux débat dans cette question. J’assistairécemment à un colloque sur le thème du nouveau patient et l’arri-vée en masse de l’information médicale dans le grand public. Aussiaverti que soit le patient, il n’y aurait de confusion que si cela lemenait à se considérer lui-même comme médecin. Or cette posi-tion est intenable. La notion de co-action est pertinente, si l’onprécise que patient et médecin ne sont pas acteurs de la mêmechose. Le patient est acteur de sa santé, le médecin est acteur dusoin.

136

Qualité et compétence en médecine

En revanche, l’information du patient peut introduire un chan-gement dans la relation médecin/patient, qui peut amener le méde-cin à considérer le patient comme un sujet à part entière.

Pr Michel DETILLEUX

J’entends des propos contradictoires dans ce colloque, notam-ment à propos de la population cible de l’évaluation. Certains ontdit qu’il n’était pas question de l’appliquer à tous. D’autres visentà obtenir de cette profession que tous ces membres fassent la preuvede leur performance, à travers une évaluation.

Ensuite, on dit que l’évaluation doit être volontaire. Mais celane marche que si incitations, notamment financières. La majoritédes médecins chercheront donc à se faire évaluer pour avoir larécompense qui lui est attachée.

On a montré que le système devait être un accompagnement etnon sanctionnant. Mais on répète qu’il ne doit pas être obligatoire.

Au total, à qui cela sert-il ? Ne sommes-nous pas trop pru-dents ? Alors que Jean-Louis Porto rappelait ce matin que destueurs en série existaient, et que des médecins mettaient de façonrégulière en danger la vie d’autrui, allons-nous rester muets ? N’al-lons-nous pas déférer ces personnes à l’Ordre, les conduire devantle Juge ? Le discours est un parfois un peu émollient, comme sinous avions peur de prendre nos responsabilités. L’évaluation estun outil solide, qui va loin, qui peut faire mal. N’ayons pas peurde nous en servir.

Dr Jean-Michel THURIN

Nous devrions nous poser la question de l’évaluation par rap-port à des objets précis. Par exemple, face aux tentatives de suicidechez les adolescents, le ministre de la Santé a réagi à un étudemontrant que ce taux était très fort. Il téléphone à l’ANAES pourque des recommandations soient effectuées dans les 48 heures.Celles-ci sont faites. Mais ensuite, il n’est pas envisagé d’étudiercomment elles sont appliquées, si elles sont applicables et quellescompétences sont nécessaires pour les appliquer. Des conférences

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Qualité et compétence en médecine

de consensus ont montré au bout de dix ans que ces diffusions derecommandations ne servaient à rien. Il faut donc plutôt raisonnersous forme de responsabilité collective par rapport à un problèmequi nous concerne tous.

Dr Pierre FENDER

Je voulais rassurer M. Detilleux. Je ne crois pas qu’il y aitcontradiction, mais plutôt débat. Lorsque je dis que l’évaluationque nous ferons à la CNAMTS concerne des populations et desmédecins ciblés, j’amorce un débat. L’auto-évaluation doit êtreenrichie par une démarche plus ciblée. Ce colloque n’est pas uneconclusion ; il débouchera sur d’autres débats.

De la salle

Je voudrais revenir sur la notion de co-responsabilité pour direque la relation patient/médecin consiste avant tout dans un parte-nariat, et montrer combien le patient lui-même pouvait éduquerson médecin avec des connaissances qu’il avait pu trouver sur Inter-net ou ailleurs.

De la salle

Depuis tout à l’heure, j’entends parler de consommateur. Siles malades deviennent des consommateurs, j’ai bien peur que lesmédecins ne deviennent des distributeurs de soins. C’est déplo-rable, et mais cette tendance se fait jour. Dans ces conditions,comment reconnaître la compétence autrement que par des arran-gements financiers ? Le problème récent des reversements d’hono-raires a abouti à ce que les jeunes ne veulent plus prendre leurgarde, et se réservent à leur clientèle. Cette recherche de compé-tence et formation continue est indispensable, mais j’ai peur quel’évolution des mœurs de nos jeunes confrères ne rende cette situa-tion bien difficile.

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Qualité et compétence en médecine

Pr Yves MATILLON

Ce constat doit être un moteur pour lutter contre les dérives,à nos niveaux de responsabilité respectifs. Nous aurions un effortcollectif à faire pour l’intégration dans notre formation initialed’une approche différente. Nous sommes dans un modèle cultureljudéo-chrétien. Nous devons méditer sur les vecteurs pédagogiquespromus par les anglo-saxons. Leur expérience constitue une piste deprogrès considérable, notamment sur l’association des compétencesautres que dans l’apprentissage médical.

Dr Yves GERVAIS

Un courant fort dans notre société tend à une marchandisationde tout. C’est le constat que vous tirer. On peut le déplorer parcequ’on ne peut pas considérer que le problème de la santé se résumeà un problème d’argent. Les comportements de ce type du côtédes patients aboutissent soit à déconsidérer la profession médicale,soit à des négociations et pertes de temps qui énervent les méde-cins.

De la salle

Je suis président du Conseil de la Gironde. L’article 460 ducode de la santé publique permet à un conseil de saisir devantune commission d’experts un médecin qui présenterait des troublesnotamment psychologiques et rendant dangereux l’exercice de lamédecine.

De la salle

Je ne peux pas accepter que l’on parle de tueurs en série decette façon. Nous sommes 245 000 médecins. J’aurais plutôt aiméqu’on nous dise quel est le pourcentage du corps médical qui auraitdes pratiques dangereuses.

Ensuite, une formation médicale continue obligatoire condui-rait-elle à diminuer les pourcentages de déviants de notre profes-sion ?

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Qualité et compétence en médecine

Enfin, je reconnais que l’information du malade est importante,mais si l’on veut que la relation médecin/malade perdure, il fautque chacun reste à sa place. En effet, certains patients viennentauprès de moi avec leur diagnostic, et font pression sur moi pourobtenir un traitement particulier. Ils tirent notamment leurs infor-mations de revues de vulgarisation, où apparaissent des informa-tions médicales non contrôlées, et parfois fausses.

Dr Etienne DUSEHU

Je reprendrai le cri initial d’Eric Avril en citant cette expres-sion : « Consommateur, que de crimes ont été commis en tonnom ! » Une attente importante des consommateurs en termesd’information se fait jour, mais l’information ne remplacera jamaisla connaissance acquise par le médecin tout au long de sa forma-tion. L’information doit être délivrée et la qualité de l’informationdélivrée se mesure à l’aune de la satisfaction des patients. Commele rappelle Yves Matillon, on tire toujours bénéfice à échanger avecles autres sur des problèmes complexes. Le débat sur la compétencecollective est donc au cœur de la problématique dans la réponseaux attentes des patients. C’est le cadre d’exercice de la médecinequi semble en cause, parce que ce cadre ne favorise pas le reculnécessaire aux médecins sur leur profession. Ce cadre d’exercicedoit donc être revu, mais en gardant à l’esprit que la non-qualitéconcerne plutôt 5 % de chacun d’entre nous que 5 % des méde-cins. Le défi que nous avons à relever consiste à transformer lanature de la relation des professionnels de la santé entre eux etavec les patients.

L’évolution concertée de la profession passe par la nécessité dese frotter un peu plus à la société dont les professionnels sont restéstrop longtemps écartés. En effet, jusqu’en des temps encore récents,la société était heureuse que la gestion des exclus et des maladessoit assurée dans un milieu à part, ne perturbant le cours de savie. C’est peut-être dans la réintroduction de la médecine dans lasociété civile que se trouve le défi auquel nous devons faire face.

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Philippe LEFAIT

Merci de votre synthèse. Je voudrais vous citer Schopenhauer,philosophe pré-existentialiste du siècle dernier et qui peut-être faceau défi avait cette formule : « Vous n’avez aucune chance, maissaisissez-la. »

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Qualité et compétence en médecine

Répondre au défi de la compétenceet de la qualité :

Quel positionnementpour les institutions ordinales ?

Dr Pierre HAEHNEL

Secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des médecins

Je voudrais vous livrer le fruit de la réflexion collective desconseillers nationaux depuis trois ans sur la question de l’assu-rance-qualité.

Le principe d’une démarche qualité est en parfaite cohérenceavec les principes éthiques et moraux qui régissent l’exercice de lamédecine. Cependant, la qualité de l’exercice médical se trouveaujourd’hui très fortement remis en cause, du fait de l’évolutiondes sciences et des techniques. La démarche qualité est en vigueuraujourd’hui dans tous les secteurs économiques et sociaux, etnotamment dans le secteur hospitalier depuis la mise en place del’ANAES. Il convient aujourd’hui d’encourager les médecins à s’en-gager à leur tour dans une telle démarche, en leur proposant uneméthode et des outils efficaces.

Afin d’éviter qu’une démarche d’assurance-qualité ne se réfèreà des critères d’inspiration économique ou comptable, qui en limi-teraient forcément la portée, notre institution s’institue en forcede proposition. Une pression de la part des acheteurs de soins sefait incontestablement sentir. Elle correspond à une volonté derationalisation du système de soins et vise, dans une approchequantitative, à objectiver le bon soin. Il convient alors de mettreen évidence trois aspects fondamentaux de ce que l’on peut appelerle produit médical : la compétence du praticien, la référence aucontexte, et la spécificité de la relation client/fournisseur.

Dans la recherche de la qualité, il faut privilégier les processuset non les résultats. Comme concourant à cet objectif, il faut citerla mise en place des conférences de consensus, la création de

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Qualité et compétence en médecine

l’ANAES, la Formation Médicale Continue, l’informatisation desétablissements et la mise en place du PMSI, l’informatisation desmédecins libéraux, la réforme des études médicales, l’évaluation dela pratique des médecins libéraux par l’ANAES et les unions régio-nales de médecins libéraux, ainsi que l’émergence des prises encharge de réseaux thématiques ou non. Un maillon essentielmanque à cet arsenal de mesures. Il s’agit de la compétence desressources humaines, dans l’intérêt des patients. L’appropriation dusystème par les professionnels eux-mêmes est au cœur de ladémarche et de la réussite d’une telle approche.

Face à cet objectif, quels problèmes se posent ?La plupart du temps, une entreprise s’engage dans une

démarche qualité dans le seul souci d’assurer sa survie financière,par la satisfaction du client. Le mécanisme d’assurance-qualité sedéveloppe donc naturellement dans un secteur commercial ouindustriel selon un phénomène de capillarité. Dans la chaîne deproduction, chaque client exige de son fournisseur l’assurance desengagements qu’il a pris lui-même. L’analogie avec le système desoins est sans doute facile, à défaut d’être pertinente. Le patientest pris en charge par une chaîne d’acteurs, tant privés que publics.L’exigence de la qualité nécessite de replacer le patient au cœur dela dynamique de soins et passe par une révolution des méthodesde gestion de problèmes de santé.

Par ailleurs, dans un système qui se veut toujours plus transpa-rent, le praticien qui se prétend omnivalent doit pouvoir le prou-ver. Rendre des comptes devient un axe essentiel de l’exerciceprofessionnel et de reconnaissance.

Les évolutions actuelles consacrent l’idée selon laquelle la for-mation initiale n’est pas une garantie définitive de la compétence.Quelle définition de la compétence donner afin que les partenairessociaux puissent élaborer de nouvelles règles sociales ? Commentidentifier les compétences détenues par un individu ? Commentencourager les individus à gérer le développement de leur proprecompétence sous l’influence de la pensée libérale enjoignant à cha-cun de se prendre en charge ?

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Qualité et compétence en médecine

La notion de compétence contient une dimension politiquepuisqu’elle débouche forcément sur une modification des structuresde formation, des rôles et des contenus pédagogiques. De plus, ellemodifie les équilibres économiques et le partage des pouvoirs entreacteurs. Il est donc indispensable d’en assurer la déontologie.

La mise en commun des compétences dans une logique deréseau représente donc un enjeu actuel dans le secteur marchanddans lequel les médecins généralistes sont les opérationnels et lesspécialistes les fonctionnels experts.

Nos systèmes de sélection évaluent des connaissances et nonpas des compétences. La compétence est l’une des conséquencesde la logique libérale dominante. Elle ne peut pas ne pas être reliéeà la valeur économique, qu’il s’agisse d’équivalent salarial ou desprix. On risque donc de toucher aux grands équilibres de la nation.D’où l’implication des personnalités politiques, qui ont intérêt ànégocier avec les partenaires sociaux, pour maîtriser le système.Aucun secteur n’échappera à cette logique des compétences.

La compétence revêt de multiples aspects. Son évaluation n’estdonc possible qu’en situation multiple, en gardant à l’esprit de nepas mélanger l’essentiel et l’accessoire. Parallèlement à cettedémarche d’observation en situation, il est important de déterminerdes compétences stratégiques à acquérir. C’est le rôle du référentielde compétence. L’évaluation est donc un processus et non pas lareproduction d’une sanction académique. De même que l’on parlede formation continue, on devrait parler d’évaluation continue.

Les plusieurs niveaux de réflexion sur les principes de ladémarche qualité ont besoin d’être traités conjointement, en inter-action les uns avec les autres, donc dans une logique de gestionde projet.

Aujourd’hui, l’offre de soin se trouve manifestement inadaptéeà une demande, qui est d’ailleurs mal identifiée. Elle reste inférieureaux besoins estimés de façon subjective par ceux qui la reçoivent.Cet état de fait conduit à une rivalité entre le secteur public etprivé de santé. L’évaluation des résultats est quasiment impossibleà ce jour étant donné qu’il n’existe pas d’indicateur dont la validitésoit partagée par tous.

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Qualité et compétence en médecine

Face à la complexité du système de soins, le patient se trouvede plus en plus demandeur d’information. Le développement d’In-ternet, auquel le Conseil national est particulièrement vigilant,accélère ce processus de transformation des fondements de la rela-tion médecin/patient. Le patient informé génère des comporte-ments médicaux parfaitement analysés en termes de conséquenceéconomique.

Au terme de cette analyse, il faut reprendre le positionnementdu Conseil national de l’Ordre. Quelles sont les propositions quiseront soumises au Conseil national et aux Conseils départemen-taux la semaine prochaine ? Elles sont centrées sur trois objectifs :garantir le système et la qualité des soins ; maintenir la compétencedes médecins ; accompagner et promouvoir les pratiques normaleset non plus seulement sanctionner les pratiques fautives. Pour cefaire, le Conseil national de l’Ordre se donne quatre axes d’actions.

● Attester de la compétence du médecinL’Ordre atteste la qualité des moyens mis à disposition des méde-cins pour maintenir leur niveau de compétence, et que les méde-cins sont dans une démarche d’entretien de leur compétence.

● InciterL’Ordre incite les médecins à recourir aux moyens leur permet-tant de maintenir leur niveau de compétence ; à utiliser un dos-sier médical ; à communiquer entre médecins ; à gérer leursdossiers sur informatique.

● PromouvoirL’Ordre assure la promotion auprès des patients des médecinsqui maintiennent leur compétence à niveau, de la qualité dessoins et de la culture de la qualité.

● CorrigerL’Ordre assure la correction des dérives possibles du système dequalité, et l’absence de l’entretien de la compétence.

La qualité représente donc une opportunité de modernisationpour l’Ordre dans sa globalité et confère à l’Ordre un rôle d’ensem-blier, puisqu’il sera amené à nouer des liens avec d’autres acteurs :

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Qualité et compétence en médecine

universités, organismes de FMC, ANAES, URML, autres acteursinstitutionnels, patients et grand public. Il jouera le rôle d’interfaceque les médecins et le public souhaitaient lui voir reconnaître dèssa création. Enfin, la qualité est l’occasion de revoir la place dumédecin dans la société.

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Qualité et compétence en médecine

L’Ordre des médecins comme coordinateurde la démarche compétence

Pr Bernard GLORION

Président du Conseil national de l’Ordre des médecins

Madame la Ministre, je vous remercie d’avoir accepté de clorece colloque et je voudrais vous dire l’importance que nous atta-chons à votre présence au terme d’une journée de réflexion consa-crée à la qualité des soins et à la compétence.

Cette préoccupation est partagée par les pouvoirs publics puis-qu’elle est inscrite dans votre projet de loi sur la modernisation dusystème de soins. Vous n’ignorez pas non plus que ce sujet est aucœur des préoccupations de l’Ordre des médecins. Je me permetsd’insister une fois de plus sur la fait que nos missions ont pourfinalité d’assurer la qualité des soins et la protection des patients.C’est d’ailleurs dans cet esprit que vous avez accepté de faire figurerdans votre projet de loi une nouvelle mission clairement exprimée,celle de garantir la compétence des médecins. Votre présence vientconfirmer cette volonté commune.

Mais la tâche est rude, et les expériences étrangères nous fontprendre conscience du chemin qui nous reste à parcourir. Je vou-drais évoquer quatre points qui me semblent avoir dominé nosdébats.

Faire un état des lieuxEn France, actuellement, on dispose de l’évaluation des pra-

tiques des médecins libéraux (décret de 1999), et de la formationmédicale continue. Il est bien entendu qu’elle persistera. Les expé-riences étrangères sont riches en enseignement. Nous avons duretard, mais nous profiterons de leur expérience.

DéfinirDeuxièmement, il est important de nous mettre d’accord sur

les définitions des termes de performance, compétence, évaluation,accréditation. Tout le monde s’accorde à dire que l’application de

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Qualité et compétence en médecine

ces concepts dans notre domaine d’activité devra être souple, adap-tée à la personnalité du médecin, du patient, et de l’environne-ment. Néanmoins, des éléments de fond nous permettent dedéfinir un concept de compétence, associant des connaissances, unsavoir-faire, des expériences relationnelles, dans une situationd’agir.

Acquérir la compétenceIl est urgent que par la voie législative, nous puissions parvenir

à une nouvelle formation des médecins, en fonction des besoinsde la population, des progrès de la science. La formation médicalecontinue mérite d’être repensée à la lumière de la définition de lacompétence et doit privilégier la notion d’interaction.

Mesure et contrôle de la compétenceMesurer la qualité et évaluer la compétence est certainement le

point le plus délicat. Il contient un jugement et les conséquencesde ce jugement. Désir de l’accompagner le médecin dans unerecherche de qualité et de compétence. Des dispositions sanction-nantes ont été évoquées, instituées dans le but d’assurer la sécuritédes malades, et ne devant intervenir que lorsque la démarcheconfraternelle d’accompagnement s’est avérée inefficace.

Nous sommes tous conscients, Madame la Ministre, que lamise en place d’un dispositif d’évaluation de contrôle de la compé-tence doit être assumé par la Profession. C’est à la fois sa mission,la justification de son indépendance et le sens de sa responsabilité.C’est aussi son honneur. C’est la raison pour laquelle l’Ordre, parma voix, et à l’image de ce qui se fait chez nos voisins et amis ici-présents, vous demande d’en assumer la coordination. Une telletâche doit être assumée collectivement et la participation de l’uni-versité, des collèges de spécialistes, des sociétés savantes et des asso-ciations doit contribuer à constituer un véritable observatoire dela qualité et de la compétence médicale. L’Ordre a ainsi voulu fairepreuve, à travers ce colloque, de sa volonté et justifier le premierrang mondial de la France dans le domaine de la santé.

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Qualité et compétence en médecine

Clôture

Qualité et compétence en médecine

Dominique GILLOT

Secrétaire d’Etat à la Santé

Monsieur le président,Mesdames, messieurs,

Je tiens tout d’abord à vous remercier Monsieur le présidentdu conseil national de l’ordre des médecins de m’avoir conviée àcette rencontre et de me donner ainsi l’occasion d’intervenir sur lethème de la compétence et de la qualité en médecine.

Ces deux mots, compétence et qualité, s’entrecroisent nécessai-rement quand il s’agit de caractériser la pratique médicale.

Compétence du médecin, qualité des soins, sans doute ? Maisje suis tentée d’ajouter aussitôt, compétence dans les soins, c’est-à-dire sécurité dans les soins et évidemment qualité du médecin,de sa relation avec son patient, de sa manière de faire et d’être.

Nous réduisons trop rapidement la compétence au seul savoir,à la somme des connaissances, à l’instruction : bien entendu, c’estun moment essentiel dans la formation du médecin j’y reviendrais.

Mais il me semble que la notion de compétence va plus loinque ce moment d’acquisition initiale et qu’il est du devoir de tousde veiller à ce que la compétence ne soit pas un acquis sur lequelon peut se reposer mais qu’il s’agit d’une exigence permanente,d’une aptitude à développer et à entretenir un véritable devoir-être.

La qualité ne saurait se limiter aux seuls soins, comme sil’homme qui les dispense avait disparu, comme si ce n’était pasd’abord lui qui est et qui fait la qualité et qui en est le vecteur.

Je sais les médecins très attachés à ces valeurs humaines etmême humanistes, je partage totalement leur orientation : être un« homme de qualité » ; derrière cette expression se dessine le

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Qualité et compétence en médecine

modèle d’un médecin à l’écoute du malade, celui qui loin de sedéfaire de ses responsabilités et de son jugement sur la techniquesait la maîtriser, la mettre à contribution et l’enrichir de son expé-rience humaine.

Vouloir une médecine de qualité, vous me permettrez de ledire en ouverture de mes propos, c’est vouloir des médecins dequalité ; nous travaillons tous dans ce but.

Ces deux principes, compétence et qualité, soulèvent la ques-tion de leur mesure ou plus exactement de leur évaluation.Comment évaluer des compétences quand celles-ci ne se réduisentplus au simple bagage scolaire ou universitaire, mais qu’il s’agitd’estimer des professionnels à travers des pratiques certes spéciali-sées, quotidiennes adaptées à la personnalité et aux besoins deleurs patients ?

Comment évaluer, c’est-à-dire d’une certaine manière quanti-fier la qualité alors que par définition la qualité nous renvoie auxlimites de toute évaluation ?

Et pourtant, peut-on pour autant échapper à cette nécessité ?Je ne le crois pas !Quelle qu’en soit la difficulté, l’évaluation est indispensable.

Elle ne peut cependant, à mon sens, que se concevoir dans unesprit de partenariat ou chacun tient sa place et joue le rôle quilui est propre.

Evaluer les compétences d’un médecin, évaluer la qualité dessoins qu’il dispense : à qui revient cette tâche ?

Quel rôle doit jouer l’Etat dans ce processus ?Telles sont les questions que j’aimerai aborder ici avec vous en

clôture de cette journée que le Conseil de l’Ordre a eu la richeidée d’organiser.

Comme vous le savez, le gouvernement prépare un projet deloi sur la modernisation du système de santé. Nous aurons l’occa-sion de rediscuter avec vous de ce projet d’ici quelques semaines.

Un des trois chapitres, de ce texte, autrement dit une partimportante du projet porte justement sur la qualité des soins il esten effet apparu prioritaire d’associer, et cela n’est bien entendu pas

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Qualité et compétence en médecine

anodin, à un chapitre sur les droits des malades, un autre chapitresur la qualité des soins.

Ce projet comprend des dispositions importantes sur l’encadre-ment de certaines pratiques, je pense notamment à la chirurgieesthétique et surtout tout un chapitre sur la formation médicalecontinue dont la réorganisation – l’organisation devrais-je dire –est, je sais, très attendue.

En effet, la compétence professionnelle d’un médecin relève :

a) D’abord des connaissances qu’il acquiertpar la formation initiale

C’est pourquoi la réforme des études médicales est sans aucundoute une sorte de socle sans lequel rien de solide ne peut se faire.

Vous le savez cette réforme est en marche. Les maquettes du2e cycle sont en cours de révision sur la base d’une large concerta-tion avec les professionnels et à travers les instances pédagogiques.

La réforme du 3e cycle, très attendue je le sais, devait êtreportée par la loi de modernisation sociale qui a malheureusementété décalée en raison de problème d’agenda parlementaire.

Mais ce n’est que partie remise, et je ferais passer ce texte dèsque cela sera possible en utilisant pour cela le premier vecteurlégislatif. Ce texte est en effet le complément indispensable duprécédent et porte à travers la réforme de l’internat – qui devientla règle pour tout médecin qu’il soit spécialiste ou généraliste – unobjectif clair d’amélioration de la formation des médecins généra-listes.

Enfin, la concertation pour la réforme du premier cycle vadébuter dans les toutes prochaines semaines en liaison étroite avecles collaborateurs de Jack Lang.

b) Mais la compétence du médecin relève ausside la formation continue

Vous le savez le dispositif prévu par les ordonnances de 1996n’a pas fonctionné.

La partie strictement conventionnelle de la formation ayant ététraitée dans le cadre de la CMU, il nous restait à traiter de la

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Qualité et compétence en médecine

formation dite parfois scientifique par opposition à la formationconventionnelle plus centrée sur les problématiques profession-nelles.

Nous avons rebâti un dispositif qui, me semble-t-il est à la foispragmatique et ambitieux, Ce texte, je le répète, sera un élémentfort du projet de loi de modernisation du système de santé.

Après la réflexion que nous avons porté en commun, notam-ment avec le conseil de l’ordre des médecins, mais aussi avec lesprofessionnels, sur la manière de débloquer la formation médicalecontinue, le projet de texte vous sera communiqué très prochaine-ment de façon à ce que la concertation puisse être lancée et quenous aboutissions rapidement à un texte dont je souhaite qu’ilrassemble le plus largement possible. Il est, chacun en est conscient,temps de passer à l’action.

Je peux cependant d’ores et déjà vous en tracer la philosophie :L’obligation de formation, déjà prévue par le dispositif de 96,

est maintenue et étendue à l’ensemble des médecins qu’ils soientlibéraux, hospitaliers ou salariés non hospitaliers. En fait toutmédecin tenu de s’inscrire au conseil de l’Ordre sera concerné. Ilm’est en effet apparu important de ne pas introduire de différenceentre les praticiens, en fonction de la nature de leur pratique. Celacorrespond, me semble-t-il à une réalité qu’il faut défendre : l’uni-cité de la médecine au-delà de la diversité des pratiques.

Le dispositif sera essentiellement confié aux professionnels :conseil de l’ordre, médecins, associations de formation, universités ;l’Etat restant dans son rôle qui consiste à définir un cadre légal etréglementaire et à créer les moyens permettant à un tel dispositifd’exister.

C’est aussi un dispositif qui a été conçu pour être le plus prag-matique possible, afin d’éviter toute complexité excessive. Ainsi lavalidation de l’obligation sera-t-elle possible selon différentesmodalités que nous voulons souples et qui seront dans les mainsdes différents conseils qui seront créés pour cela au niveau régional.

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c) Cette compétence professionnelle, si elle relève de laformation, appelle également une évaluation et notammentune évaluation des pratiques

Le décret sur l’évaluation dus pratiques a été publié et doitmaintenant être mise en œuvre sur l’ensemble du territoire ce quiest loin d’être le cas aujourd’hui. Cette évaluation, conçue sur unebase volontaire, est un pas important. A vous maintenant, les pro-fessionnels, de rendre la chose effective. L’ANAES est là pour vousy aider.

d) L’encadrement de pratiques présentant des risques particuliersest également un élément important du dispositif permettant d’as-surer une qualité des soins adaptée à des contextes particuliers.

C’est ainsi qu’il est prévu de préciser et d’encadrer la formation,ainsi d’ailleurs que les normes touchant à l’environnement tech-nique, pour certaines pratiques dont on sait qu’elles ne sont passans risque pour le patient en raison notamment du haut niveaude technicité qu’elles requièrent. Il est important que le patientsache, quand il a recours à ce type d’acte – l’implantation d’undéfibrillateur par exemple – que cet acte est réalisé par un profes-sionnel particulièrement qualifié dans ce domaine et dans les condi-tions d’environnement humain et technique nécessaires qui serontdéfinies avec les professionnels eux-mêmes.

Conclusion

Au terme de ce bref exposé, il me paraît important de dire quel’évaluation des compétences et de la qualité en médecine libéraledoit devenir une dimension habituelle du paysage médical, nonpas banale, mais normale. Il faut dépasser la dimension inquisito-riale que ce projet peut encore avoir dans l’esprit de certains pourdevenir une règle constante, une référence commune, une véritableculture partagée.

Je n’ignore pas les réticences qui peuvent se manifester de lapart de certains médecins qui voient, à tort je le pense, dans cetteprocédure un assujettissement aux normes.

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Je crois, tout au contraire, que ces procédures d’évaluation descompétences et de la qualité sont de nature à améliorer la valeurde nos politiques et à renforcer la confiance des malades à votreégard, au bénéfice de tout le système de santé en général.

La loi de modernisation du système de santé à laquelle noustravaillons, Martine Aubry et moi-même, depuis déjà de nombreuxmois, vise essentiellement à améliorer cette confiance réciproquedes médecins et des malades.

Vous ne l’ignorez pas, nos sociétés connaissent actuellementdes attitudes paradoxales dans le domaine de la santé : les maladesveulent être de plus en plus respectés en tant que personne ; maisil leur arrive de traduire cette volonté à travers des procéduresjuridiques parfois excessives à l’égard des médecins qui témoignentd’un manque de confiance.

Affirmer leur statut d’usager du système de santé, leur per-mettre de participer davantage à l’élaboration et à la gestion de lapolitique de santé, c’est, j’en suis persuadée, l’un des moyens deconsolider la confiance des malades.

Les médecins, par leur volonté d’accroître leurs compétences etla qualité de leurs pratiques, par leur engagement dans l’évaluationcourante de celles-ci, sont les premiers artisans de cette confiance.

Je tiens à leur dire, par votre intermédiaire, que nous les accom-pagnerons dans cette démarche et qu’ils peuvent compter sur nouspour réussir cette ambition.

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