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7 Jardin 11 OCTOBRE 2012 LIVRE Quand le jardinier se fait poète Consultant horticole et chroniqueur, le Fribourgeois Jean-Luc Pasquier vient de publier un livre qui réunit ses meilleurs textes parus dans «La Liberté». Rencontre avec un amoureux des plantes. «L angue de belle-mère, que- nouille de sorcière et autres fées du jardin». Sous ce titre romantique se cache un livre de jardinage plutôt inhabituel. Il rassemble soixante chroniques rédigées par l’horticulteur gruérien Jean-Luc Pasquier. Ses talents de conteur, son ton humoristique, par- fois coquin, allié à des informations très complètes ont fait la renommée de ses papiers qui paraissent chaque semaine, depuis cinq ans, dans le quotidien fri- bourgeois La Liberté. Horticulteur de profession, il est aussi consultant, chroniqueur dans plusieurs médias, notamment dans l’émission de la RTS Coquelicot & Canapé (lire Terre&Na- ture du 26.04.2012), chargé de cours dans des établissements horticoles, responsa- ble de la formation horticole supérieure et rédacteur d’Horticulture Romande, le magazine professionnel de JardinSuisse. De multiples casquettes qui lui laissent juste le temps de prendre la plume, dès 4 h 30 du matin, pour écrire ses chroni- ques. Vos chroniques, humoristiques et poétiques se distinguent des textes classiques sur le jardinage. Comment en êtes-vous arrivé là? Dès la première chronique, en 2007, je voulais proposer quelque chose d’origi- nal. En même temps, écrire n’allait pas de soi, il me fallait beaucoup de temps. Petit à petit, les introductions sont devenues ma marque de fabrique. Elles sont assez longues, racontent de petites histoires, parlent du couple, des belles-mères ou de l’amour. Mon livre, comme mes chroni- ques, n’a pas de visées encyclopédiques. Il y a tellement d’ouvrages consacrés au jardin qui font déjà cela à la perfection, qu’il me fallait trouver un autre créneau. En effet, «la grande Pénélope» qui adore se faire gratter n’est autre que la terre nourricière, le buis est un boute- en-train surnommé «Sacré Bouboule». Ne faites-vous pas un peu d’anthropo- morphisme, dans votre jardin? Oui, je le reconnais et j’assume le ton très personnel de mes chroniques. Quand je commence à écrire, j’ai déjà réfléchi aux caractères de la plante que je présente. Je cherche des correspondances avec le genre humain, que ce soit au niveau du nom, de la forme ou du comportement. Et il y en a immanquablement! Malgré ces introductions légères et romancées, le lecteur obtient toujours, en fin de compte, les renseignements qui lui sont nécessaires… Bien sûr, c’est indispensable! Les infor- mations horticoles essentielles s’y trou- vent toujours. Quand je parle d’une vi- vace ou d’un bulbe, je mentionne les va- riétés actuelles sous leur nom latin. Je suis rigoureux dans mon travail. Je m’as- sure aussi toujours qu’elles sont disponi- bles dans les jardineries romandes. Car j’ai découvert avec surprise et plaisir, au fil des années, l’impact de mes textes. Il n’est pas rare que les lecteurs fondent sur les garden-center à la suite d’une paru- tion, pour se procurer telle ou telle plante. Parmi les thèmes abordés on re- trouve les arbustes, les bulbeuses, les vivaces, et de nombreux savoir-faire. Par contre, seules la rhubarbe et les to- mates et un dossier «savoir-faire» re- présentent le potager. Ne trouvez-vous pas que la culture de légumes et de fruits connaît un regain d’intérêt? Oui, c’est vrai. Le potager fait son grand retour, depuis quelques années. Je crois que les gens en ont ras le bol des pro- duits standardisés, sans goût et pleins de pesticides. Cultiver ses propres légu- mes, parfois même en ville, permet aussi de mettre les mains dans la terre, de retrouver des valeurs plus authenti- ques. Toutefois, j’avoue que de par ma formation d’horticulteur-pépiniériste, les questions d’aménagement de jardin et de plantes me sont plus familières. J’en parle donc plus volontiers. Mais de- puis deux ans, je cultive un potager de- vant la maison familiale. Et je partage cette activité avec mon épouse et mes deux fils, qui me font partager leurs dé- couvertes. Les livres de jardinage publiés par des auteurs romands sont plutôt rares, or ce secteur de l’édition est très proli- fique. Comment s’y retrouver parmi tous ces ouvrages? Pour des informations pratiques et préci- ses, je conseillerais des éditeurs de réfé- rence, comme Larousse (Truffaut) ou Terre vivante. Ces derniers disposent d’une véritable expertise dans le jardi- nage écologique. Chaque livre est le résul- tat d’expériences et de tests pratiques. Ensuite il y a la catégorie des beaux livres. Là, c’est en les feuilletant qu’on se prend à rêver. Les photographies y jouent un rôle capital. C’est pour cette raison aussi que mon frère, graphiste, qui s’est occupé de la mise en page du livre, a suggéré de consa- crer des pages entières aux illustrations. J’ai essayé d’associer les deux aspects en réalisant un livre à la fois informatif et beau! Les lecteurs ne manqueront sans doute pas de me dire si le pari est réussi. Propos recueillis par Marjorie Siegrist £ + D’INFOS «Langue de belle-mère, quenouille de sorcière et autres fées du jardin», Jean- Luc Pasquier, Editions La Sarine, Fribourg, 2012, 176 pages, 49 francs. Disponible en librairies. Commande du livre et horaires des séances de dédicace en Suisse romande sur le site de l’auteur: www.jlpasquier.ch © SANDRA CULAND EXTRAITS D’UNE CHRONIQUE Oh! les vilains otiorhynques! «En règle générale, la nature nous gâte et nous offre toute l’année de petits et grands plaisirs. […] Par contre, lorsque cette même nature a décidé d’en faire qu’à sa tête, cette chipie peut devenir carrément… pénible. Prenons l’exemple concret de l’otiorhynque: ce petit charançon, dont l’orthogra- phe n’intéresse que Bernard Pivot, devient une vraie plaie lorsque dame Nature vous l’envoie. Réflé- chissez un instant, vous avez certainement remarqué les feuilles d’un rhododendron ou d’un lilas rongées par une flemme d’insecte qui se promène sur le bord et prend une bouchée par-ci et une bouchée par-là. Contrairement aux chenilles, il ne finit même pas la feuille qu’il a commencée, on dirait qu’il mange «rien que pour embêter». Peut-être avez-vous eu la «chance» de trouver non loin de là un insecte ventru d’un centimètre de long à la carapace gris-noir dure comme du bois? Ça y est, vous voyez? Mais ce que vous voyez n’est que le prénom du problème: grattez le sol et vous allez comprendre. Les dégâts des larves Ce sont les larves de la taille d’un asticot qui sont voraces. Elles mangent d’abord systématiquement toutes les radicelles. Puis les racines plus coriaces, et quand il n’y en a plus, elles boulottent sans ronchonner le collet des plantes, leur coupant définitivement le cordon ombili- cal. On peut ainsi comparer ce comportement à celui d’enfants si bien élevés, qu’ils finiraient leur assiette en vitesse et se dépêcheraient de manger aussi l’assiette et les couverts pour vraiment faire bonne façon. […] Les populations d’insectes adultes sont composées en grande majorité de femelles aux mœurs noctambules (excusez-moi mesdames). […] Alors pour vous débarrasser des otiorhynques, sarclez régulièrement le matin. […] Dans les cas désespérés, il existe des solutions chimiques: granulés à épandre, insecticides à arroser contre les larves ou à pulvériser contre les charançons. Seulement voilà, ces produits détruisent beaucoup d’autres insectes utiles et rentreront tôt ou tard dans notre propre chaîne alimentaire. On peut finalement aussi se lever la nuit et admirer ces jolis découpages foliaires en live ou jouer avec un otiorhynque qui fera immédiatement le mort. Fourbe, en plus!» «La grande Pénélope n’est autre que notre bonne terre nourricière. Elle adore se faire gratter. Je vous invite donc à la biner régulièrement.» A la fois terrien et poète dans l’âme, le Gruérien Jean-Luc Pasquier ne cesse de s’enthousiasmer pour les beautés de la nature qui lui inspirent d’incroyables histoires. © JEAN-LUC PASQUIER

Quand le jardinier se fait poète

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7Jardin11 OCTOBRE 2012

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Quand le jardinier se fait poèteConsultant horticoleet chroniqueur, leFribourgeois Jean-LucPasquier vient de publierun livre qui réunit sesmeilleurs textes parusdans «La Liberté».Rencontre avec unamoureux des plantes.

«Langue de belle-mère, que-nouille de sorcière et autresfées du jardin». Sous ce titre

romantique se cache un livre de jardinageplutôt inhabituel. Il rassemble soixantechroniques rédigées par l’horticulteurgruérien Jean-Luc Pasquier. Ses talentsde conteur, son ton humoristique, par-fois coquin, allié à des informations trèscomplètes ont fait la renommée de sespapiers qui paraissent chaque semaine,depuis cinq ans, dans le quotidien fri-bourgeois La Liberté.Horticulteur de profession, il est aussiconsultant, chroniqueur dans plusieursmédias, notamment dans l’émission de laRTS Coquelicot & Canapé (lire Terre&Na-ture du 26.04.2012), chargé de cours dansdes établissements horticoles, responsa-ble de la formation horticole supérieureet rédacteur d’Horticulture Romande, lemagazine professionnel de JardinSuisse.De multiples casquettes qui lui laissentjuste le temps de prendre la plume, dès4 h 30 du matin, pour écrire ses chroni-ques.➤ Vos chroniques, humoristiques etpoétiques se distinguent des textesclassiques sur le jardinage. Commenten êtes-vous arrivé là?Dès la première chronique, en 2007, jevoulais proposer quelque chose d’origi-nal. En même temps, écrire n’allait pas desoi, il me fallait beaucoup de temps. Petità petit, les introductions sont devenuesma marque de fabrique. Elles sont assezlongues, racontent de petites histoires,parlent du couple, des belles-mères ou del’amour. Mon livre, comme mes chroni-ques, n’a pas de visées encyclopédiques.Il y a tellement d’ouvrages consacrés aujardin qui font déjà cela à la perfection,qu’il me fallait trouver un autre créneau.➤ En effet, «la grande Pénélope» quiadore se faire gratter n’est autre que laterre nourricière, le buis est un boute-en-trainsurnommé«SacréBouboule».Ne faites-vous pas un peu d’anthropo-morphisme, dans votre jardin?Oui, je le reconnais et j’assume le ton trèspersonnel de mes chroniques. Quand jecommence à écrire, j’ai déjà réfléchi auxcaractères de la plante que je présente. Jecherche des correspondances avec legenre humain, que ce soit au niveau dunom,de la formeouducomportement.Etil y en a immanquablement!➤ Malgré ces introductions légères etromancées, le lecteur obtient toujours,en fin de compte, les renseignementsqui lui sont nécessaires…Bien sûr, c’est indispensable! Les infor-mations horticoles essentielles s’y trou-vent toujours. Quand je parle d’une vi-vace ou d’un bulbe, je mentionne les va-riétés actuelles sous leur nom latin. Jesuis rigoureux dans mon travail. Je m’as-sure aussi toujours qu’elles sont disponi-

bles dans les jardineries romandes. Carj’ai découvert avec surprise et plaisir, aufil des années, l’impact de mes textes. Iln’est pas rare que les lecteurs fondent surles garden-center à la suite d’une paru-tion,pourseprocurertelleoutelleplante.➤ Parmi les thèmes abordés on re-trouve les arbustes, les bulbeuses, lesvivaces, et de nombreux savoir-faire.Par contre, seules la rhubarbe et les to-mates et un dossier «savoir-faire» re-

présentent le potager. Ne trouvez-vouspas que la culture de légumes et defruits connaît un regain d’intérêt?Oui, c’est vrai. Le potager fait son grandretour, depuis quelques années. Je croisque les gens en ont ras le bol des pro-duits standardisés, sans goût et pleinsde pesticides. Cultiver ses propres légu-mes, parfois même en ville, permetaussi de mettre les mains dans la terre,de retrouver des valeurs plus authenti-

ques. Toutefois, j’avoue que de par maformation d’horticulteur-pépiniériste,les questions d’aménagement de jardinet de plantes me sont plus familières.J’en parle donc plus volontiers. Mais de-puis deux ans, je cultive un potager de-vant la maison familiale. Et je partagecette activité avec mon épouse et mesdeux fils, qui me font partager leurs dé-couvertes.➤ Les livres de jardinage publiés pardes auteurs romands sont plutôt rares,or ce secteur de l’édition est très proli-fique. Comment s’y retrouver parmitous ces ouvrages?Pour des informations pratiques et préci-ses, je conseillerais des éditeurs de réfé-rence, comme Larousse (Truffaut) ouTerre vivante. Ces derniers disposentd’une véritable expertise dans le jardi-nageécologique.Chaquelivreest lerésul-tat d’expériences et de tests pratiques.Ensuite il y a la catégorie des beaux livres.Là, c’est en les feuilletant qu’on se prend àrêver. Les photographies y jouent un rôlecapital. C’est pour cette raison aussi quemonfrère,graphiste,quis’estoccupédelamise en page du livre, a suggéré de consa-crer des pages entières aux illustrations.J’ai essayé d’associer les deux aspects enréalisant un livre à la fois informatif etbeau! Les lecteurs ne manqueront sansdoute pas de me dire si le pari est réussi.

Propos recueillispar Marjorie Siegrist £

+ D’INFOS «Langue de belle-mère, quenouillede sorcière et autres fées du jardin», Jean-Luc Pasquier, Editions La Sarine, Fribourg,2012, 176 pages, 49 francs. Disponible enlibrairies. Commande du livre et horaires desséances de dédicace en Suisse romande sur lesite de l’auteur: www.jlpasquier.ch

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Oh! les vilains otiorhynques!«En règle générale, la nature nous gâte et nous offre toute l’année de petits et grands plaisirs. […]Par contre, lorsque cette même nature a décidé d’en faire qu’à sa tête, cette chipie peut devenircarrément… pénible. Prenons l’exemple concret de l’otiorhynque: ce petit charançon, dont l’orthogra-phe n’intéresse que Bernard Pivot, devient une vraie plaie lorsque dame Nature vous l’envoie. Réflé-chissez un instant, vous avez certainement remarqué les feuilles d’un rhododendron ou d’un lilasrongées par une flemme d’insecte qui se promène sur le bord et prend une bouchée par-ci et unebouchée par-là. Contrairement aux chenilles, il ne finit même pas la feuille qu’il a commencée, ondirait qu’il mange «rien que pour embêter». Peut-être avez-vous eu la «chance» de trouver non loinde là un insecte ventru d’un centimètre de long à la carapace gris-noir dure comme du bois? Ça yest, vous voyez? Mais ce que vous voyez n’est que le prénom du problème: grattez le sol et vousallez comprendre.Les dégâts des larvesCe sont les larves de la taille d’un asticot qui sont voraces. Elles mangent d’abord systématiquement toutes les radicelles. Puis les racinesplus coriaces, et quand il n’y en a plus, elles boulottent sans ronchonner le collet des plantes, leur coupant définitivement le cordon ombili-cal. On peut ainsi comparer ce comportement à celui d’enfants si bien élevés, qu’ils finiraient leur assiette en vitesse et se dépêcheraient demanger aussi l’assiette et les couverts pour vraiment faire bonne façon. […]Les populations d’insectes adultes sont composées en grande majorité de femelles aux mœurs noctambules (excusez-moi mesdames). […]Alors pour vous débarrasser des otiorhynques, sarclez régulièrement le matin. […]Dans les cas désespérés, il existe des solutions chimiques: granulés à épandre, insecticides à arroser contre les larves ou à pulvériser contreles charançons. Seulement voilà, ces produits détruisent beaucoup d’autres insectes utiles et rentreront tôt ou tard dans notre proprechaîne alimentaire. On peut finalement aussi se lever la nuit et admirer ces jolis découpages foliaires en live ou jouer avec un otiorhynquequi fera immédiatement le mort. Fourbe, en plus!»

«La grande Pénélope n’estautre que notre bonneterre nourricière. Elleadore se faire gratter.

Je vous invite donc à labiner régulièrement.»

A la fois terrien et poète dans l’âme,le Gruérien Jean-Luc Pasquier ne cesse des’enthousiasmer pour les beautés de la naturequi lui inspirent d’incroyables histoires.

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