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J Radiol 2006;87:973-5 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2006 quid ? Quel est votre diagnostic ? N Creuze (1), S Lachkar (2), D Bertrand (1), M Étienne (2), C Savoye-Collet (1), F Caron (2) et JN Dacher (1) Observation Monsieur B. âgé de 66 ans est hospitalisé pour des lésions purpu- riques nécrotiques des membres inférieurs. Cette éruption sur- vient une semaine après une rhinite sans notion de fièvre. Il n’y a pas d’autre signe fonctionnel associé. Le patient n’a pas d’antécé- dent notable ni de traitement particulier. L’examen clinique ini- tial retrouve les lésions purpuriques des membres inférieurs, s’étendant progressivement jusqu’en région péri-ombilicale, as- sociées à des oedèmes non inflammatoires des quatre membres. Ce tableau clinique est associé à un syndrome inflammatoire bio- logique (CRP à 85 mg/l), sans protéinurie, sans hématurie, ni in- suffisance rénale. Les anticorps antinucléaires, le Latex-Waaler Rose, les anticorps anticytoplasmiques des polynucléaires et la re- cherche de cryoglobulinémie sont négatifs. Les sérologies des vi- rus VHB, VHC, et VIH sont négatives. Les hémocultures et l’ECBU sont stériles. La biopsie des lésions cutanées objective une vascularite leucocytoclasique et nécrosante, et des dépôts d’immunoglobulines A (IgA) dans la paroi des capillaires à l’im- munofluorescence directe. À J12, devant l’apparition de douleurs abdominales et d’un syndrome subocclusif, un scanner abdominal (TDM) est de- mandé. Une acquisition hélicoïdale sans puis après injection de produit de contraste aux phases artérielle et portale est réa- lisée. Les principales anomalies sont présentées sur l’iconogra- phie (fig. 1 et 2). Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ? (1) Département d’imagerie médicale, (2) Service de maladies infectieuses et tropicales, CHU Charles Nicolle, 1 rue de Germont, 76031 Rouen Cedex. Correspondance : JN Dacher E-mail : [email protected] Fig. 1 : TDM sans injection de produit de contraste. Fig. 1: Non enhanced CT. Fig. 2 : TDM à la phase artérielle. Fig. 2: Contrast enhanced CT, arterial phsae.

Quel est votre diagnostic ?

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J Radiol 2006;87:973-5© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2006

quid ?

Quel est votre diagnostic ?

N Creuze (1), S Lachkar (2), D Bertrand (1), M Étienne (2), C Savoye-Collet (1), F Caron (2) et JN Dacher (1)

Observation

Monsieur B. âgé de 66 ans est hospitalisé pour des lésions purpu-riques nécrotiques des membres inférieurs. Cette éruption sur-vient une semaine après une rhinite sans notion de fièvre. Il n’y apas d’autre signe fonctionnel associé. Le patient n’a pas d’antécé-dent notable ni de traitement particulier. L’examen clinique ini-tial retrouve les lésions purpuriques des membres inférieurs,s’étendant progressivement jusqu’en région péri-ombilicale, as-sociées à des oedèmes non inflammatoires des quatre membres.Ce tableau clinique est associé à un syndrome inflammatoire bio-logique (CRP à 85 mg/l), sans protéinurie, sans hématurie, ni in-suffisance rénale. Les anticorps antinucléaires, le Latex-WaalerRose, les anticorps anticytoplasmiques des polynucléaires et la re-

cherche de cryoglobulinémie sont négatifs. Les sérologies des vi-rus VHB, VHC, et VIH sont négatives. Les hémocultures etl’ECBU sont stériles. La biopsie des lésions cutanées objectiveune vascularite leucocytoclasique et nécrosante, et des dépôtsd’immunoglobulines A (IgA) dans la paroi des capillaires à l’im-munofluorescence directe.À J12, devant l’apparition de douleurs abdominales et d’unsyndrome subocclusif, un scanner abdominal (TDM) est de-mandé. Une acquisition hélicoïdale sans puis après injectionde produit de contraste aux phases artérielle et portale est réa-lisée. Les principales anomalies sont présentées sur l’iconogra-phie

(fig. 1 et 2)

.

Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ?

(1) Département d’imagerie médicale, (2) Service de maladies infectieuses et tropicales, CHU Charles Nicolle, 1 rue de Germont, 76031 Rouen Cedex.Correspondance : JN DacherE-mail : [email protected]

Fig. 1 : TDM sans injection de produit de contraste.

Fig. 1: Non enhanced CT.

Fig. 2 : TDM à la phase artérielle.

Fig. 2: Contrast enhanced CT, arterial phsae.

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Quel est votre diagnostic ?

N Creuze et al.

Diagnostic

Purpura rhumatoïde avec atteinte digestive.

Commentaires

À l’étage abdomino-pelvien, il existe un épanchement liquidiendans les différents récessus péritonéaux associé à un épaississe-ment pathologique spontanément hyperdense, symétrique etsegmentaire de la paroi jéjunale avec intervalle de zone saine en-tre les zones pathologiques

(fig. 1)

. Il n’y a pas de syndrome oc-clusif. Après injection

(fig. 2)

, la paroi se rehausse avec un aspecten cible, l’ensemble faisant évoquer un hématome intramural dugrêle

(fig. 3)

. L’artère et la veine mésentériques supérieures sontperméables. On retrouve au contact des lésions une infiltrationde la graisse mésentérique associée à une dilatation des vaisseauxmésentériques.L’association d’un purpura nécrotique des membres inférieurs àdépôts d’IgA sans point d’appel infectieux, et d’un hématome dugrêle au TDM comme décrit ci-dessus évoque le diagnostic depurpura rhumatoïde avec atteinte digestive. L’évolution clinique(abdominale et cutanée) a été favorable sous traitement sympto-matique.

Discussion

Le purpura rhumatoïde ou purpura de Henoch-Schönlein estune vascularite d’hypersensibilité touchant les petits vaisseaux dela peau, du tube digestif, des articulations et des reins (1). Son in-

cidence annuelle chez l’enfant est d’environ 1 pour 10 000 (2). Lepurpura rhumatoïde est une cause classique de douleur abdomi-nale aiguë chez le grand enfant et l’adolescent (3). La maladie estcent fois moins fréquente chez l’adulte, et survient alors enmoyenne à 43 ans (4). Une prédominance masculine est décritechez l’adulte et chez l’enfant. Une atteinte digestive est présentedans 50 à 75 % des cas dont le symptôme dominant est une dou-leur abdominale à type de colique qui évolue par crises de quel-ques heures ou quelques jours. Ces douleurs sont en rapport avecl’inflammation vasculaire du tube digestif et la formation d’unpurpura muqueux parfois nécrotique ou ulcéré. Des complica-tions plus graves ont été rapportées : invagination intestinaleaiguë dans 5 % des cas, perforation intestinale et pancréatiteaiguë à court terme, sténose duodénale ou encore entéropathieexsudative à long terme. Les manifestations pulmonaires (hé-moptysie), cardiaques (myocardite), cérébrales (hémorragie), etoculaires (épisclérite, uvéite) sont rares. L’anatomopathologie(rénale ou cutanée) révèle une vascularite leucocytoclasique (se-mis de poussière nucléaire secondaire à la fragmentation desnoyaux leucocytaires), responsable au niveau digestif de l’atteintepariétale à type d’œdème et d’hémorragie de la muqueuse et de lasous muqueuse. Selon l’American College of Rheumatology laprésence d’au moins deux des critères suivants a une sensibilité etune spécificité diagnostiques de 90 % (5) : un âge inférieur ouégal à 20 ans lors de la survenue de la maladie, un purpura infiltré,un syndrome abdominal douloureux, l’existence de granulocytesdans les parois des capillaires à la biopsie cutanée.Devant une suspicion de localisation digestive, l’imagerie (écho-graphie et TDM) apporte des éléments diagnostiques, précisel’étendue de l’atteinte et élimine les urgences chirurgicales.L’échographie va chercher une dilatation de segments intesti-naux, une diminution de la mobilité des anses et surtout un épais-sissement de la paroi digestive segmentaire et circonférentiel. Un

Fig. 3 : Hématome du grêle avec signe de la cible, et épanchement intrapéritonéal.a Reconstructions 2D obliques.b Phase portale. Dilatation vasculaire et infiltration de la graisse mésentérique.

Fig. 3: Small bowel hematoma (target sign) and peritoneal fluid.a 2D Reformatting in the oblique plane.b Portal phase. Vascular dilatation and swollen mesenteric fat.

a b

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aspect hypoéchogène de la sous muqueuse et une perte de la stra-tification normale évoquent un œdème sous muqueux plus oumoins associé à une hémorragie intramurale (6). Cet oedème estsecondaire à une extravasation du plasma et des éléments figurésdu sang, à la différence des hématomes observés dans les vascula-rites oblitérantes par endartérite (de type lupus). Le principaldiagnostic différentiel à évoquer devant cet aspect échographi-que est l’ischémie digestive (veineuse ou artérielle au stade sub-aigu). La TDM objective des signes digestifs directs : sur la phasesans injection, un épaississement pariétal hyperdense supérieur à3 mm (4) en rapport avec un hématome spontané (en l’absence detraitement anticoagulant). Il n’existe pas d’élargissement ni d’hy-perdensité des gros troncs veineux (retrouvés en cas de throm-bus) (7). Sur la phase portale, on visualise l’œdème pariétal avecun aspect en cible (aspécifique) de la paroi digestive et on vérifiela bonne perméabilité de la veine mésentérique. Parmi les signesindirects, la dilatation des vaisseaux mésentériques, la présenced’adénopathies et un épanchement intra péritonéal sont fré-quemment retrouvés (8). Des ulcérations de la paroi et des dilata-tions de la lumière digestive peuvent s’observer (4). L’atteinte estsouvent plurisegmentaire avec intervalles de zone saine, évoca-trice de vascularite, pouvant toucher tout le tube digestif post-gastrique avec une localisation iléale plutôt que jéjunale ouduodénale. Les reconstructions de type MPR sont alors d’unegrande utilité (7). Les atteintes coliques sont exceptionnelles (8).Le scanner permet surtout d’éliminer les perforations, les infarc-tus rénaux et spléniques (8) et d’écarter les principaux diagnosticsdifférentiels notamment chirurgicaux (occlusion) (4) ou les hé-matomes spontanés caractérisés par des images en empreinte depouce (7). Enfin il évalue dans certains cas l’efficacité du traite-ment (9).Si l’évolution chez l’enfant est le plus souvent favorable avec gué-rison rapide dans un délai moyen de quatre semaines, le purpurarhumatoïde de l’adulte peut évoluer sur un mode chronique parpoussées successives (2, 10). Le pronostic vital peut être mis en jeuà court terme à l’occasion d’une complication digestive grave ouà long terme du fait de la néphropathie (5, 10). La sévérité dessymptômes rénaux initiaux semble être l’élément pronostique es-sentiel (11), l’insuffisance rénale étant plus fréquente chez l’adul-te (26 %) que chez l’enfant (2 %) (2, 10).Chez l’adulte, le traitement repose sur une prise en charge symp-tomatique, les atteintes digestives régressant dans la majorité descas de façon spontanée. Le recours à la corticothérapie lors demanifestations digestives non chirurgicales reste controversé (9).Il est actuellement admis que les formes avec atteinte rénaleconfirmée par l’histologie relèvent d’une corticothérapie débutéeprécocement (1, 2) et ce en l’absence d’étude permettant de leconfirmer.

Notre cas est particulier du fait de l’âge de survenue. Deux pointsdans la prise en charge peuvent se discuter. Une échographieaurait pu être réalisée en première intention et aurait peut êtrepermis de faire le diagnostic sans irradier le patient. Cependant,devant un tableau d’abdomen aigu, en particulier occlusif, le re-cours au scanner en semi urgence reste l’examen de référencedans la plupart des établissements (12). L’injection de produit decontraste peut aussi être critiquée, le pronostic de la maladieétant souvent lié à l’atteinte rénale, et ce d’autant que la spiralenon injectée permet souvent d’apporter suffisamment de rensei-gnements pour le diagnostic positif. L’injection après vérificationde la fonction rénale permet cependant d’apprécier le rehausse-ment des parois digestives et de confirmer la bonne perméabilitédes gros troncs vasculaires.

Références

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abdominales non traumatiques de l’enfant. J Radiol 2005;86:223-33.4. Nota ME, Gökemeijer JD, van der Laan JG. Clinical usefulness of

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8. Jeong YK, Ha HK, Yoon CH, et al. Gastrointestinal involvementin Henoch-Schonlein syndrome: CT findings. AJR Am J Roentge-nol 1997;168:965-8.

9. Mahamedi H, André M, Privat C, et al. Apport de la tomodensito-métrie abdominopelvienne dans le purpura rhumatoïde de l’adulte.Rev Med Int 2001;22:132-40.

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