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Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, 158—163 RUBRIQUE PRATIQUE Quel soluté de remplissage au cours du choc septique ? Which fluid for septic shock resuscitation? Frédérique Schortgen Service de réanimation médicale, hôpital Albert-Chenevier-Henri-Mondor, 94000 Créteil, France Disponible sur Internet le 24 juillet 2010 MOTS CLÉS Sepsis ; Colloïdes ; Cristalloïdes ; Insuffisance rénale aiguë ; Remplissage vasculaire Résumé Les états septiques graves représentent la principale indication du remplissage vas- culaire en réanimation. La correction de l’hypovolémie vraie et relative est la première étape de la prise en charge, cependant le choix du soluté à utiliser reste débattu. Les colloïdes pour- raient normaliser plus rapidement les paramètres hémodynamiques mais l’impact de leur plus grande efficacité sur le pronostic des patients reste à démontrer. Les colloïdes sont associés à plus d’effets secondaires. Parmi ceux ci, l’insuffisance rénale aiguë est une complication met- tant en jeux le pronostic vital. Afin de prévenir ce risque, les colloïdes hyperoncotiques ne doivent pas être utilisés. La modulation de l’inflammation par certains solutés de remplissage est à ce jour insuffisamment documentée en pratique clinique pour être un critère de choix. L’utilisation exclusive des cristalloïdes n’est pas associée à une surmortalité, elle expose le patient à moins d’effets secondaires et à un coût moindre. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Colloids; Crystalloids; AKI; Fluid resuscitation; Sepsis Summary Sepsis represents the primary indication of fluid resuscitation in the ICU. The restoration of volume status is the first step of treatment, however the choice best fluid to use remains an issue. Colloids might restore more rapidly haemodynamic status, however, the impact of this better efficacy on patients’ outcome remains to be documented. Colloids are asso- ciated with more adverse effects than cristalloids. Among these, acute renal injury increases mortality rate. Hyperoncotic colloids must be abandoned in order to prevent the risk of acute Adresse e-mail : [email protected]. URL: http://www.reamondor.aphp.fr. 1279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2010.06.001

Quel soluté de remplissage au cours du choc septique ?

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UBRIQUE PRATIQUE

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Frédérique Schortgen

Service de réanimation médicale, hôpital Albert-Chenevier-Henri-Mondor,94000 Créteil, France

Disponible sur Internet le 24 juillet 2010

MOTS CLÉSSepsis ;Colloïdes ;Cristalloïdes ;Insuffisance rénaleaiguë ;Remplissagevasculaire

Résumé Les états septiques graves représentent la principale indication du remplissage vas-culaire en réanimation. La correction de l’hypovolémie vraie et relative est la première étapede la prise en charge, cependant le choix du soluté à utiliser reste débattu. Les colloïdes pour-raient normaliser plus rapidement les paramètres hémodynamiques mais l’impact de leur plusgrande efficacité sur le pronostic des patients reste à démontrer. Les colloïdes sont associés àplus d’effets secondaires. Parmi ceux ci, l’insuffisance rénale aiguë est une complication met-tant en jeux le pronostic vital. Afin de prévenir ce risque, les colloïdes hyperoncotiques nedoivent pas être utilisés. La modulation de l’inflammation par certains solutés de remplissageest à ce jour insuffisamment documentée en pratique clinique pour être un critère de choix.L’utilisation exclusive des cristalloïdes n’est pas associée à une surmortalité, elle expose lepatient à moins d’effets secondaires et à un coût moindre.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSColloids;

Summary Sepsis represents the primary indication of fluid resuscitation in the ICU. Therestoration of volume status is the first step of treatment, however the choice best fluid to

Crystalloids;AKI;Fluid resuscitation;Sepsis

use remains an issue. Colloids might restore more rapidly haemodynamic status, however, theimpact of this better efficacy on patients’ outcome remains to be documented. Colloids are asso-ciated with more adverse effects than cristalloids. Among these, acute renal injury increasesmortality rate. Hyperoncotic colloids must be abandoned in order to prevent the risk of acute

Adresse e-mail : [email protected]: http://www.reamondor.aphp.fr.

279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.pratan.2010.06.001

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renal failure. The inflammatory modulation described with several fluids cannot be an argumentof choice because of insufficient clinical evidence on outcomes. Outcome is not worse whencrystalloids are used exclusively but the risk of adverse events and the cost are reduced.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Introduction

Le remplissage vasculaire est le premier traitement entre-pris afin de corriger les désordres hémodynamiques liés àun état septique grave. En effet, il existe une hypovolé-mie relative très souvent associée à une déshydratation(fièvre, pertes digestive, diminution des apports hydriques,troisième secteur, etc.) qu’il convient de corriger au plusvite. Toutes les recommandations actuelles s’accordent àdire qu’une expansion volémique à la phase aiguë d’unétat septique sévère doit être systématiquement entrepriseavant même la réalisation d’une étude approfondie de l’étathémodynamique du patient.

La prescription d’un soluté de remplissage pour le main-tien ou l’augmentation de la volémie est très fréquente dansles services de réanimation mais également aux urgences,au bloc opératoire et dans beaucoup de services médicauxou chirurgicaux. Bien qu’aucune donnée précise ne soit dis-ponible, le nombre des patients qui ont recu un soluté deremplissage est probablement considérable. En réanima-tion, environ 20 % des patients ont besoin d’un remplissagevasculaire pour le traitement d’un état de choc, la premièreindication étant un état septique grave [1]. Malgré la fré-quence de ce traitement, les études observationnelles ourandomisées incluant un large nombre de patients afin decomparer l’efficacité de différents solutés sont rares.

La controverse sur le choix du soluté de remplissages’est enrichie au fil des ans. Si la classique oppositioncolloïdes—cristalloïdes n’est plus la seule question non réso-lue, elle reste sans doute la principale débattue. Deux autresproblématiques sont apparues plus récemment incluant undébat opposant les différents colloïdes, y compris au seind’une même classe, ainsi qu’un débat sur les différentessolutions de cristalloïdes. Ces trois controverses sont parti-culièrement vives quand il s’agit de la prise en charge despatients septiques car des effets délétères de certains col-loïdes, les hydroxyéthylamidons (HEA), ont été décrits danscette population.

Quelles sont les pratiques ?

Les colloïdes occupent une place prépondérante pour leremplissage vasculaire. Ils sont utilisés en première inten-sion par la majorité des réanimateurs européens, canadienset australiens.

Dans une enquête de pratique européenne

réalisée en 2001, 70 % des réanimateurs

déclaraient utiliser des colloïdes en premièreintention pour la réanimation d’un patient en

état de choc septique, principalement unhydroxyéthylamidon [2].

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Les principales raisons du choix d’un colloïde sont laapidité d’action, la durée prolongée de l’effet ainsi qu’unoindre risque d’œdème pulmonaire [2].

ouvoir d’expansion des solutés deemplissage

’efficacité d’un soluté de remplissage est classiquementvaluée par sa capacité à augmenter le volume plasmatiqueour un volume perfusé donné. L’action des cristalloïdesépend de leur concentration en NaCl, celle des colloïdes deeur pouvoir oncotique in vivo. Pour un même volume per-usé, une solution saline concentré à 7,5 % aura un pouvoir’expansion huit à dix fois supérieur à celui d’une solutiononcentrée à 0,9 %. Pour les colloïdes, une augmentation duolume plasmatique supérieure au volume perfusé indiqueue la solution de colloïde perfusée est hyperoncotique parapport au plasma. L’albumine est le principal déterminante la pression oncotique plasmatique. Son poids molécu-aire (PM) est d’environ 60 kDa. Il s’agit d’un colloïde monoispersé, c’est-à-dire que toutes les molécules d’albuminent le même poids moléculaire. Le pouvoir oncotique de’albumine dépend donc de la concentration des molécules.ontrairement à l’albumine, les HEA et les gélatines sont desolloïdes polydispersés. Leur pouvoir oncotique dépend prin-ipalement du nombre de molécules oncotiquement activesn vivo, schématiquement du nombre de molécules ayantn PM supérieur à 60 kDa. Les gélatines ont un poids molé-ulaire moyen aux alentours de 35 kDa et contiennent desolécules entre 50 et 50 000 Da qui sont rapidement filtréesar le rein. Les gélatines sont donc des colloïdes hypo-ncotiques. Les HEA ont un poids moléculaire plus élevé,ls sont dégradés par l’amylase plasmatique. Leur pouvoirncotique peut donc être différent in vitro et in vivo duait d’une augmentation du nombre des molécules oncoti-uement actives après hydrolyse des molécules ayant unM élevé. Prenons l’exemple d’un HEA ayant PM de 130 kDat un degré de substitution de 0,4 : 130 kDa correspond àn PM médian en solution in vitro et 0,4 à la proportion’atomes de carbone comportant un radical hydroxyle. Duait de la polydispersion, la distribution des PM en solutionst large avec des petites molécules (PM < 60 kDa) qui serontapidement éliminées par le rein et la présence de grossesolécules (PM > 200 kDa) qui seront rapidement hydroly-

ées par l’amylase plasmatique du fait du faible degrée substitution de 0,4. Cette hydrolyse rapide a commeffet d’augmenter le nombre des molécules oncotiquementctives et donc le pouvoir oncotique de la solution. C’est

our cette raison que :malgré la baisse du PM médian des HEA les plus récents,leur pouvoir d’expansion reste préservé, voire supérieur àcelui des plus anciens ayant un degré de substitution plusélevé et donc difficilement hydrolysables ;
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tous les HEA, y compris l’HEA 130/0,4 sont des colloïdeshyperoncotiques in vivo avec un pouvoir d’expansionsupérieur au volume perfusé et le même effet sur la pres-sion oncotique plasmatique [3,4].

L’effet sur la pression oncotique des colloïdes dépendgalement de la pression oncotique plasmatique de base,elle-ci est d’environ 25 mmHg chez un sujet sain, mais peuttre plus basse chez un patient en défaillance multiviscé-ale, particulièrement lorsqu’il existe un syndrome de fuiteapillaire.

Les données concernant l’augmentation du volumelasmatique observée après perfusion d’un soluté de rem-lissage proviennent d’études animales ou effectuées chezes volontaires sains car il est impossible d’effectuer deelles mesures chez des patients instables. Ces étudesetrouvent généralement que le pouvoir d’expansion desolloïdes est largement supérieur à celui des cristalloïdessotoniques. Cependant, si l’on compare les volumes de col-oïdes et de cristalloïdes nécessaires à la réanimation desatients inclus dans les études randomisées récentes, ononstate une différence qui est moindre avec un volume deristalloïde 1,4 fois plus élevé que le volume de colloïdes,compris chez les patients septiques [5—7]. Au cours des

tats septiques, l’efficacité des solutés de remplissage peuttre diminuée par l’augmentation de la perméabilité endo-héliale vasculaire avec une extravasation plus rapide verse secteur extravasculaire. Les volumes de cristalloïdes ete colloïdes à administrer sont donc en général supérieursu cours de la réanimation d’un choc d’origine septiquesomparés aux autres chocs.

bjectifs du remplissage vasculaire au courses états septiques graves

’objectif habituel d’une expansion volémique est la cor-ection d’une hypotension. Si le patient est capable’augmenter son débit cardiaque en réponse à une aug-entation de la précharge, alors le remplissage vasculaire

st susceptible d’améliorer la pression de perfusion tissu-aire. L’augmentation du débit cardiaque obtenue chez desatients ayant des critères prédictifs de réponse au remplis-age est informative sur l’efficacité des différents solutéstilisés en pratique clinique. Les études évaluant la réponseu remplissage incluent majoritairement des patients deéanimation traités pour un sepsis. Une augmentation signi-cative du débit cardiaque a été décrite avec différentsolutés (7 ml/kg d’une gélatines [8], 6 ou 10 ml/kg d’un HEA9,10], 500 ml de sérum salé isotonique [11]), y compris avecn faible volume de cristalloïde isotonique de 250 ml [12].ans les études utilisant un cristalloïde isotonique, le pour-entage de patients répondeurs au remplissage n’était paslus faible que dans celle utilisant un colloïde, suggérant,à encore, une efficacité identique.

D’autres mécanismes d’augmentation du débit cardiaqueprès expansion volémique ont été décrits comme la baissee la post-charge par diminution de la viscosité sanguine ou

’effet inotrope positif de certains solutés.

La restauration d’une volémie efficace est un pré-equis à l’augmentation des débits sanguins régionaux,ais n’est bien évidemment pas constamment suffisante.

’amélioration de la microcirculation par modulation de

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F. Schortgen

’activation endothéliale est une cible potentielle pour lehoix du soluté de remplissage. En plus de leur fonctionur l’expansion volémique, les colloïdes ont des proprié-és anti-inflammatoires décrites dans de nombreux modèlesnimaux. Il faut rappeler cependant que la restauration dea microcirculation dépend étroitement de la qualité dea correction des désordres « macrocirculatoires » et doitonc être interprétée en fonction. Les études cliniquesont beaucoup plus rares, particulièrement au cours destats septiques sévères, alors que c’est dans cette situa-ion qu’une meilleure restauration de la microcirculationourrait avoir un rôle pronostique majeur. Une meilleureestauration de la microcirculation a été rapportée avec lesEA et l’albumine, mais de facon inconstante et ne sembleas associée à une meilleur survie [5,6,13,14].

Le principal risque du remplissage vasculaire au cours duepsis est l’apparition ou la majoration d’un œdème pul-onaire. En présence d’un trouble de la perméabilité de

’endothélium vasculaire pulmonaire, toute augmentatione la pression hydrostatique intracapillaire augmentera laltration liquidienne vers l’interstitium, même si la pressioneste basse. L’évolution de la fonction pulmonaire pour-ait être influencée par le type de soluté de remplissagetilisé. Contrairement à ce que l’on observe au niveau duein, une pression oncotique élevée dans le capillaire pulmo-aire serait bénéfique en diminuant la filtration liquidienneers l’interstitium. La perméabilité endothéliale pulmonairest cependant très augmentée au cours des états septiquesvec une extravasation facilité des macromolécules qui neeuvent plus exercer leur rôle de frein à la filtration. Peu’études ont spécifiquement évalué l’impact du soluté deemplissage sur la fonction pulmonaire au cours du sep-is. Une étude physiologique récente effectuée chez desatients présentant un sepsis et au cours de la chirurgieardiaque retrouvent une évolution identique de l’eau pul-onaire extravasculaire et des paramètres d’oxygénation

vec l’utilisation de colloïdes ou de cristalloïdes [15]. Dans’étude VISEP comparant cristalloïdes et colloïdes au coursu sepsis sévère, la durée de ventilation n’était pas raccour-ie, mais au contraire semblait prolongée chez les patientsecevant le colloïde [5]. Le risque d’œdème pulmonaire estrobablement beaucoup plus lié à la gestion des volumese remplissage administrés qu’au type de soluté utilisé. Lalace des cristalloïdes hypertoniques permettant une expan-ion volémique efficace pour un moindre volume et ayantes propriétés anti-inflammatoires pulmonaires mériterait’être étudiée dans un contexte de sepsis avec lésions pul-onaires aiguës [16].

olloïdes ou cristalloïde : quel impact sur leronostic des patients ?

’argument principal pour préférer l’utilisation des colloïdescelle des cristalloïdes serait une correction plus rapide

es désordres hémodynamique. Cet objectif est particu-ièrement important au cours des états septiques sévères.

omme dans toute prise en charge médicale, les moyensis en œuvre pour l’obtention d’un objectif thérapeutiqueoivent faire l’objet d’une évaluation des bénéfices et desisques. Par ailleurs, l’objectif à atteindre doit prendren compte la globalité de la pathologie et bien évidem-
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ment le pronostic vital du patient. Cette évaluation estsouvent difficile en réanimation et l’exemple du choix dusoluté de remplissage illustre bien ces difficultés. En effet,un bénéfice hémodynamique à court terme a été retrouvédans plusieurs études physiologiques avec l’utilisation descolloïdes. Dans deux études comparatives à large échelle,l’utilisation d’un colloïde au cours du sepsis permettaitde normaliser plus rapidement les paramètres hémodyna-miques [5,17]. Malgré cet effet bénéfique, la survie despatients n’était pas meilleure et l’incidence des effetssecondaires plus élevée avec les colloïdes.

L’insuffisance rénale est un des effets secondaires décritsavec l’utilisation des colloïdes. Il s’agit d’un point trèsimportant car toutes les études montrent un impact trèsnégatif de la dysfonction rénale sur la survie des patientsde réanimation. La préservation de la fonction rénale doitdonc être un objectif prioritaire de la prise en charge despatients septiques. L’effet des colloïdes sur la fonctionrénale peut être expliqué par leur action sur la pressiononcotique avec, d’une part, une baisse de la pression de fil-tration glomérulaire, particulièrement lorsqu’il existe unebaisse de la pression hydrostatique rénale (loi de Starling)et, d’autre part, des lésions tubulaires histologiques de type« néphrose osmotique » [18,19]. Des lésions inflammatoiresrénales ont également été décrites avec les HEA [4]. LesHEA de première (hexastarch : 200 kDa/0,6) et de deuxième(pentastarch 200 kDa/0,5) génération sont les colloïdes lesplus étudiés pour leur effet sur la fonction rénale, mais cerisque pourrait être commun à tous les colloïdes hyperon-cotiques [1]. Une première étude prospective randomiséeréalisée chez des patients réanimés pour un sepsis graveretrouvait une incidence deux fois plus élevée d’insuffisancerénale aiguë avec l’utilisation de l’HEA 200 kDa/0,6 comparéà une gélatine [20]. L’hypothèse d’une toxicité rénale decet HEA liée à sa longue demi-vie (du fait de son degré desubstitution élevé) avait été suggérée. Une deuxième étudemenée en Allemagne a donc été développée avec un HEAayant un degré de substitution plus faible de 0,5 toujourschez des patients en sepsis sévère [5]. Le même effet délé-tère sur la fonction rénale a été retrouvé comparé à uncristalloïde isotonique.

Plusieurs études randomisées ne retrouvent pas d’effetdélétère des HEA sur la fonction rénale. Ces études ont étéréalisées dans d’autres situations cliniques que les étatsseptiques sévères, chez des patients ayant une pressionde perfusion rénale préservée et certaines utilisent desHEA de troisième génération. L’interprétation de ces essaisdoit cependant prendre en compte la faible proportion depatients développant une insuffisance rénale aiguë avec unepuissance statistique insuffisante.

Le rôle du volume de colloïde administré sur le risqued’insuffisance rénale reste une question débattue. Unvolume important de colloïdes artificiels pourrait entraî-ner une accumulation intravasculaire et tissulaire d’unesubstance nephrotoxique et/ou générant une inflammationrénale, mais également une pression oncotique plasmatiqueplus élevée. L’étude VISEP suggère fortement un effet dosedes HEA sur l’incidence de l’insuffisance rénale aiguë et

la mortalité [5]. Dans une étude de cohorte prospectiveincluant des patients en état de choc, nous avons égale-ment retrouvé une association entre le volume de colloïdesartificiels hyperoncotiques administré et l’apparition d’une

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nsuffisance rénale [1]. Cette association n’existait pas avece volume des solutés hypo-oncotiques. Une des spécificitése la réanimation des états septiques sévères est la néces-ité de volumes importants de solutés de remplissage à lahase aiguë mais également plus tardive lors d’infectionscquises en réanimation. Les volumes d’HEA administrésoivent tenir compte des limites indiquées par les fabri-ants. Le volume cumulé doit donc être calculé ce qui n’estas toujours simple lorsque le patient présente plusieurspisodes de sepsis ou qu’il nécessite une prise en chargeu bloc opératoire. Ces situations peuvent aboutir à desolumes cumulés d’HEA de plus de 10 l pouvant entraînerne insuffisance rénale chronique terminale [21,22].

Le patient cirrhotique représente un cas particulier poure choix du soluté de remplissage. L’utilisation de l’albumineyperoncotique est très largement répandue dans cette indi-ation. L’étude de Sort et al. montre, en effet, un bénéficeénal de l’albumine à 20 % chez des patients traités pourne infection spontanée du liquide d’ascite [23]. Le groupeémoin ne recevait aucune expansion volémique alors qu’ilst clairement admis que l’infection d’ascite engendre uneypovolémie. Les résultats de cette unique étude sont doncemis en question et l’albumine n’est éventuellement jus-ifiée que chez les patients avec un créatinine supérieur à8 �mol/L et une bilirubine supérieure à 68 �mol/L [24].ucune donnée n’est disponible chez les patients cirrho-iques admis en réanimation avec un choc septique.

our une solution cristalloïde équilibrée ?

epuis quelques années, une littérature abondante a étéubliée sur l’acidose métabolique secondaire à la perfu-ion des solutés de remplissage. L’excès d’apport de chloreontenu dans le sérum physiologique peut induire unecidose dite « hyperchlorémique » [25]. Une acidose post-pératoire a été décrite chez des patients avec un pHréopératoire normal et recevant plusieurs litres de sérumhysiologique sur quelques heures. La perfusion d’un volumemportant de colloïdes dissouts dans du sérum physiologiqueeut avoir la même conséquence sur l’apport de chlore et laaisse du pH. Chez les patients remplis pour un état de choc,uel que soit le soluté utilisé, le remplissage vasculaire per-et la correction des désordres hémodynamiques et donc

ne correction de l’acidose métabolique, le plus souventactique. Même s’il a été montré dans des modèles animauxe sepsis que l’acidose hyperchlorémique était associée àne altération de la pression artérielle et de la survie, sesonséquences pour la pratique clinique ne sont pas précisé-ent connues [26].Le développement actuel des solutés de remplissage

end à remplacer le chlore par un anion fort métaboli-able tel que le lactate et plus récemment l’acétate dont’avantage potentiel est d’éviter de majorer une acidoseactique et de ne pas apporter du potassium. Le lactatet l’acétate sont transformés en bicarbonate, principale-ent au niveau hépatique. Des solutions de cristalloïdes oue colloïdes dites « balancées » ou « équilibrées » à base de

rincipale cause d’acidose métabolique au cours du chocst l’acidose lactique, dont la correction dépend de la res-auration de l’état hémodynamique et non de « l’équilibre »e la solution perfusée. La perfusion de Ringer acétate

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our la réanimation d’un patient en état de choc est large-ent contestable car non évaluée. L’utilisation de l’acétate

omme solution tampon pour la pratique de l’épurationxtrarénale a été abandonnée de facon consensuelle depuise nombreuses années en hémodialyse chronique et surtoutans les services de réanimation du fait de ses proprié-és inotropes négatives et vasodilatatrices à l’origine d’unenstabilité hémodynamique chez les patients les plus graves.n l’absence de donnée comparative, il est difficile deoncevoir que du Ringer acétate en perfusion intraveineuseirecte pourrait avoir un effet bénéfique dans la prise enharge d’une défaillance circulatoire aiguë.

ecommandations actuelles

es données actuelles de la littérature ne permettent pase conclure à la supériorité d’un soluté de remplissage sure pronostic des patients, quelle qu’en soit l’indication.n l’absence de différence, le coût des produits utilisés,lus important pour les colloïdes, est régulièrement misn avant comme critère de choix [27,28]. L’albumine neoit pas être utilisée comme soluté de première intention.a place en réanimation reste à définir car ses proprié-és sur la modulation de l’inflammation pourraient êtrentéressantes au cours des états septiques. Aucun travail’expert ou conférence de consensus récente ne recom-ande l’utilisation des colloïdes en première intention.

a plupart indiquent que les colloïdes ou les cristalloïdeseuvent être utilisés indifféremment. Plusieurs consensusu travaux d’expert sur la réanimation du sepsis recom-andent l’utilisation des cristalloïdes en première intention

29—31]. Deux méta-analyses portant spécifiquement sur leisque des HEA concluent à une surincidence d’insuffisancesénales aiguës, mais également à une surmortalité chezes patients traités pour un sepsis [32,33]. Des opinions’experts publiées récemment indiquent que l’utilisationes colloïdes hyperoncotiques doit être abandonnée en rai-on de leur risque rénal [34]. Paradoxalement, ces mêmesxperts recommandent l’utilisation de l’HEA 130 kDa/0,4 à% qui, du faite de sa dégradation intravasculaire rapide, a

e même effet sur la pression oncotique plasmatique que lesEA de première et deuxième génération avec les mêmes

ésions de néphrose osmotique [3,4].

onclusion

près plus de 50 ans de recherche clinique et expérimen-ale, la place des colloïdes reste toujours à déterminer.’utilisation exclusive des cristalloïdes n’est pas associée

une surmortalité des patients de réanimation, avec’avantage d’une moindre exposition aux effets secondairest un coût moindre. Dans l’attente d’études à large échelleermettant de conclure à l’absence de risque des HEA deernière génération et à une bonne tolérance hémody-amique des solutions à base d’acétate, ces produits neevraient pas être utilisés en dehors d’essais cliniques.

onflit d’intérêt

ucun.[

F. Schortgen

nnexe A. Matériel complémentaire

e matériel complémentaire accompagnant la versionn ligne de cet article est disponible sur doi:10.1016/.pratan.2010.06.001.

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