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Cours du GOLF 2007 6S131 © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Quelle vérité au patient et à sa famille ? J.-M. Bréchot Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Avi- cenne, AP-HP, Faculté de Médecine Paris XII. Correspondance : : J.-M. Bréchot Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Avi- cenne, AP-HP, Faculté de Médecine Paris XIII, 93009 Bobigny cedex, France. [email protected] Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S131-6S136 Doi : 10.1019/200720141 Résumé Faut-il dire la vérité au malade atteint d’un cancer et/ou à ses proches ? Partant d’une expérience personnelle, l’auteur replace cette question dans le contexte culturel de notre société occidentale où la mort est tabou, rappelle les obligations légales d’informer, s’interroge sur la représentation du cancer dans notre société, et développe deux situations cruciales : l’annonce du diagnostic de cancer et l’annonce du pronostic grave. Il s’interroge sur ce que signifie « dire la vérité ». Il aborde la demande d’information des proches et la façon d’y répondre au mieux. L’auteur conclut que plutôt que de dire ou ne pas dire la vérité, l’essentiel est d’établir une relation « vraie » avec le patient et ses proches. Mots-clés : Vérité • Information • Cancer • Pronostic • Proche. Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S131-6S136

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Page 1: Quelle vérité au patient et à sa famille ?

Cours du GOLF 2007

6S131© 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Quelle vérité au patient et à sa famille ?

J.-M. Bréchot

Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Avi-cenne, AP-HP, Faculté de Médecine Paris XII.

Correspondance : : J.-M. BréchotService d’Oncologie Médicale, Hôpital Avi-cenne, AP-HP, Faculté de Médecine Paris XIII,93009 Bobigny cedex, [email protected]

Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S131-6S136Doi : 10.1019/200720141

Résumé

Faut-il dire la vérité au malade atteint d’un cancer et/ou à ses proches ?Partant d’une expérience personnelle, l’auteur replace cette questiondans le contexte culturel de notre société occidentale où la mort esttabou, rappelle les obligations légales d’informer, s’interroge sur lareprésentation du cancer dans notre société, et développe deuxsituations cruciales : l’annonce du diagnostic de cancer et l’annoncedu pronostic grave. Il s’interroge sur ce que signifie « dire la vérité ».Il aborde la demande d’information des proches et la façon d’yrépondre au mieux. L’auteur conclut que plutôt que de dire ou ne pasdire la vérité, l’essentiel est d’établir une relation « vraie » avec lepatient et ses proches.

Mots-clés : Vérité • Information • Cancer • Pronostic • Proche.

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Elle, retournant auprès de son mari après cette annonce :« On m’a dit que c’était grave, mais qu’on allait bien te soigner.Il ne me demande rien de plus. »

La vérité lui a été dite à elle (mais était-ce la vérité ?) etcachée à lui.

Cet article ne donne pas de recommandations fondées surles preuves, n’apporte aucune « recette ». Il n’est que le fruitd’une réflexion du soignant que je suis, avec mes propreslimites [2] ; il souligne la difficulté, mais aussi la richesse et lecaractère chaque fois unique de la relation qui se crée entre lesoignant et le malade et sa famille.

Le contexte culturel

De très nombreux ouvrages sont consacrés à la mort et aumourant, et donc à la vérité « à dire ou à ne pas dire ». Uneanalyse remarquable est faite par C. Geets, qui souligne d’em-blée « les ambiguïtés de notre rapport, individuel et collectif, àla mort, et l’ambivalence de notre relation à celui qui meurt »[3]. Il oppose les inconditionnels de la vérité, qui pensent ainsifavoriser la collaboration du malade, et les « amis du mensonge »qui pensent que pour la majorité des malades, la vérité compro-mettra leur équilibre et volera leurs derniers instants de vie [3].Sur un plan éthique, le droit à la vérité suppose qu’elle apporteun surcroît de liberté et de maîtrise, alors que le mensongedépossède l’homme de lui-même [3]. Mais le « droit de lavérité » n’a de sens que s’il inclut « le droit de ne pas savoir »[3]. Or, dans notre civilisation occidentale, « la mort est unsujet tabou... L’agonisant est un intrus, une charge... L’hommemoderne naît et meurt à l’hôpital [4]. Et cette question estcriante d’actualité : Dans la mesure où, dans notre société, lesgens ont fui leur mort pendant toute leur vie, pourquoi cesse-raient-ils de le faire une fois la menace proche ? » [3]

Les textes de loi

Le patient a droit à l’information et ce droit a été légiférépar la loi hospitalière de 1991, puis celle du 4 mars 2002 :« Toute personne a le droit d’être informée de son état desanté... Cette information incombe à tout professionnel desanté... Cette information est délivrée au cours d’un entretienindividuel... », mais également « La volonté d’une personned’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronos-tic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à unrisque de transmission ».

Le Plan Cancer a fait de l’annonce une étape majeuredans la prise en charge d’un patient [5]. Un dispositifd’annonce a été élaboré (mesure 40 du Plan Cancer), articuléen 4 temps : un temps médical avec l’annonce du diagnosticpuis l’annonce de la proposition thérapeutique, un tempsd’accompagnement soignant, l’accès à des équipes impliquées

Which truth for patients and their familyJ.-M. Bréchot

Summary

Must the truth always be told to a cancer patient and/or his relatives?Taking a personal experience as the basis for discussion, the authorexamines this question in the context of Western cultural normswhere death is taboo. The legal obligations to inform patients and therepresentation of cancer are discussed. Two key situations are con-sidered: the delivery of a diagnosis of cancer and the announcementof a bad prognosis. What does it really mean “to tell the truth”? A beststrategy for giving information to relatives is developed. The author’sconclusion is that it seems more important to establish a “true” rela-tionship with the cancer patient and his relatives than telling or nottelling the whole truth.

Key-words: Truth, Communication, Cancer, Prognosis, Caregivers.

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[email protected]

Introduction

Après le décès d’un patient atteint de cancer, son épousem’a contacté pour me proposer d’écrire avec elle un livre témoi-gnant de son vécu en tant que proche d’une part, avec ses inter-rogations, ses souffrances, et du mien en tant que médecind’autre part, dans cet accompagnement. C’était une premièrepour moi, et cette « confrontation » médecin-proche me sem-blait difficile. Je connaissais l’écoute de Martine Ruszniewski,pour avoir participé avec elle à des groupes de parole, et admi-rais le chemin qu’elle permettait de faire à chacun. Elle aaccepté de participer à cette expérience. C’est ainsi que le livre« Autour du malade - la famille, le médecin, le psychologue »a vu le jour [1]. Le livre débute par le chapitre « Face à lavérité » :

Un médecin du service : « Il en a pour 3 mois. En toutcas, il ne passera pas Noël. »

Elle : « À partir de cette minute, je savais quelque choseque lui ne savait pas. Nous étions désormais séparés. Par lemensonge. Il a vécu 5 ans et 10 mois. J’ai vécu un deuil anti-cipé pendant presque 6 ans. La mort ne nous a pas pris parsurprise, elle nous a taraudés des années durant. »

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dans les soins de support telles que assistantes sociales,psychologues, équipes de soins de la douleur, un temps d’arti-culation avec le médecin de ville référent et les éventuelsréseaux de soins à domicile [5].

Il existe aussi des textes concernant le « droit à l’informa-tion de la famille », tel le décret de 1995 : « Lorsqu’un méde-cin juge qu’il doit taire à son malade une vérité alarmante, illui est recommandé de confier ses inquiétudes à un membrede la famille en raison des dispositions à prendre par l’entou-rage et pour amorcer le processus de deuil. L’informationdonnée doit concerner la mort prochaine, pas nécessairementsa cause exacte qui reste couverte par le secret médical ». La loidu 4 mars 2002 précise néanmoins : « En cas de diagnostic oude pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que lafamille, les proches de la personne malade ou la personne deconfiance reçoivent les informations nécessaires destinées à leurpermettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposi-tion de sa part ». En effet, le malade est l’interlocuteur privilé-gié qui reçoit l’information et doit désigner une personne deconfiance de son entourage à qui l’information le concernantpourra être donnée. On est loin de la relation « paternaliste »où le médecin-père tout puissant protège et décide pour sonpatient-enfant et n’informe que ses proches de la gravité de lasituation [6].

Le cancer

Cette maladie a une place singulière dans l’imaginaireindividuel et collectif mais la représentation de cette maladieest très différente pour les soignants et pour les patients et leurentourage.

Certains vont tenter de trouver une cause : on a un can-cer parce que... Souvent, le cancer est le support du péché etla culpabilité est multiforme. Le tabac est bien sûr le grandpourvoyeur du cancer du poumon. « Je lui disais bien de nepas fumer autant, mais il ne m’écoutait pas » (un proche). Lemalade a un cancer, et en plus, c’est de sa faute... Le cancer estsurtout un symbole fort de mort. « Pour l’homme contempo-rain, il est plus et autre chose qu’une maladie, fût-elle grave. Ilest l’objectivation d’un mal absolu » [3]. Il « ronge » de l’inté-rieur, comme un « crabe » ; il « condamne » à plus ou moinsbrève échéance ; il « se généralise » ; il risque « d’emporter » lemalade. Il apporte souffrances et déchéance physique.

L’annonce du diagnostic de cancer

L’annonce d’un cancer est un bouleversement dans lavie du patient et de son entourage. Ce temps d’annonce consti-tue le plus souvent la première étape de la relation de soin etconditionne souvent la qualité de la prise en charge ultérieure.« L’annonce s’inscrit dans l’instant, puis dans la continuité

d’une rencontre » [7]. Il ne peut y avoir de consultationd’annonce réussie. Mais « l’annonce s’élabore, se constitue dansun échange respectueux, pudique, soucieux avant tout del’intérêt véritable des personnes concernées » [7]. Annoncer uncancer, c’est nommer la maladie avec le mot qui conviendra lemieux. Même si le terme « cancer » ou « cellules cancéreuses »est prononcé lors de cette annonce, le patient proposera sou-vent de lui-même une autre terminologie au fil de la consulta-tion, atténuant ce mot pour lui imprononçable. L’annonces’inscrit le plus souvent dans un projet thérapeutique précisqu’il convient d’expliquer avec des mots accessibles. Les élé-ments pratiques doivent être exposés clairement. Mais il fautsouligner d’emblée que ce traitement sera adapté pas à pas à lamanière dont le malade réagira au traitement (efficacité) et àla manière dont il supportera le traitement (tolérance). Cetteattitude permet d’introduire l’aléa : en effet, l’évolution va êtresemée d’embûches que ni le médecin, ni le malade ne connais-sent mais qui vont immanquablement survenir. Il est impor-tant que le malade perçoive d’emblée que ce n’est pas lui mentirque de ne pas lui tracer tout le chemin qu’il aura à parcourir. Ilfaut lui expliquer que cette adaptation sera fonction de bilansrépétés et sera le fruit de discussions collégiales. Là, on intro-duit des éléments rationnels rassurants, des repères dans letemps et un savoir-faire de toute une équipe.

Tous ces éléments d’information devront être répétés plu-sieurs fois, pour modifier petit à petit la représentation que sefait le malade du cancer et lui faire intégrer cette réalité. C’estpourquoi il est essentiel d’avoir une traçabilité de l’informationdonnée et des termes employés, pour que cette informationdonnée puisse être reprise de façon convergente par tous lesmembres de l’équipe soignante. L’état de sidération qui suit l’an-nonce d’une maladie grave compromet souvent l’intégrationd’emblée de la majorité des informations données et c’est la répé-tition qui permettra petit à petit une meilleure compréhension.

L’annonce est avant tout le temps initial pour instaurerune relation de confiance basée sur l’écoute du patient, de sesattentes, de ses angoisses. Mais, « lorsqu’un médecin s’apprêteà annoncer à son patient la gravité de son état, il ne peut jamaispréjuger des réactions que cette nouvelle suscitera, car il n’a quesa propre perception de la personnalité du patient... » [2].

L’annonce du pronostic grave

L’information concernant le pronostic « relève là aussid’une exigence de dignité et de respect » [7]. L’intimité, le« secret de l’autre », ses raisons de vivre, son humanité ne doi-vent pas être annihilées par un verdict fatal donné sans ména-gement. Mais « aider quelqu’un à s’approprier une vérité quicompromet sa vision d’avenir... est conciliable avec le respectdu secret quand cette démarche témoigne d’un investissementpersonnel conférant à l’information la signification d’uneparole donnée » [7].

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Quoi qu’il en soit, quelle que soit la gravité de la situa-tion, il persiste toujours un coefficient d’incertitude, et ceci estencore plus net à l’heure actuelle où la réponse parfois specta-culaire et de longue durée à une biothérapie ciblée donnée« en dernière chance » vient bouleverser tous les pronostics.À l’inverse, une situation que semblait « contrôlée » peut bas-culer beaucoup plus vite, et bouleverser l’évolution prévisible.Dans tous les cas, quelle que soit la gravité de la situation, lemalade est demandeur d’espoir. Quand il pose la question« dites-moi la vérité, docteur », « la vérité s’avère être celle del’espoir contre toute attente » [3]. Il n’espère entendre qu’uneréponse : « Vous allez guérir ». Il ne peut pas vivre sans projets,sans avenir, sans lendemain. Il veut croire à un miracle possible,guette l’avènement d’une nouvelle thérapeutique, cherche lebienfait d’une médecine parallèle... Sans croire à un miracle, ilveut pouvoir penser être encore là demain, ou après-demain.Si le médecin ne peut lui promettre la guérison, il doit parcontre de le soutenir dans ses projets, l’épauler dans sa vie, leconsidérer comme vivant jusqu’à son dernier souffle. Décalerun cycle de chimiothérapie pour lui permettre d’assister aumariage d’un de ses enfants est facile, mais il faut aussi lerassurer en lui expliquant que ce retard n’est pas préjudiciableà sa maladie.

Il est d’ailleurs tout à fait remarquable qu’au fil de l’évo-lution de la maladie, le patient ne pose pas les mêmes ques-tions et lorsqu’il approche de la mort, il ne demande plus s’il vaguérir...

Dire la vérité

Mais dire la vérité, n’est-ce pas surtout dire ? Ou mêmeseulement dire ? Ou écouter ? Nicole Pélicier parle d’« épreuvede l’écoute » [8], P. Astoul souligne que l’essentiel est l’amélio-ration de la communication et surtout l’écoute du malade [9].Dire signifie la parole, l’échange, la communication, la relationd’être humain à être humain. « Vivre une annonce, c’est êtreen mesure de reconnaître la personne dans son humanité et savérité... » [7]. Dire la vérité, c’est s’engager à rester aux côtés decelui qui est malade et qui va mourir, à l’accompagner quoiqu’il arrive, à lui apporter espoir (pas forcément de guérir maisd’être considéré jusqu’au bout comme un vivant) et réconfort :la parole pour humaniser la mort. « Dites-moi la vérité » : celapeut signifier « Ne me laissez pas seul face à cette angoisseinsurmontable, aidez-moi ». Dire la vérité, c’est surtout « êtreen vérité », avoir su créer une relation vraie (et c’est là qu’appa-raît la vérité) avec le malade et ses proches, sans faux-fuyants,sans évitement, sans mensonges... [6]. C’est se mettre en situa-tion d’écoute, et même savoir écouter le silence de l’autre : « cléde voûte du désarroi, le silence est toujours l’expression d’undit » [6]. C’est laisser de l’espace à l’autre. Ainsi s’établit « unevérité pas à pas, tenant compte des mécanismes de défense dusoignant et du soigné » [6].

Quant à la mort prochaine, faut-il dire la vérité, à savoirque le patient va mourir de ce cancer, et quand ? Entrel’annonce du diagnostic de cancer et la perception de l’issuefatale inéluctable s’élabore lentement l’approche de « la vérité ».Le maintien d’un dialogue franc au fil du temps peut permettreun jour le moment de vérité où le malade est prêt à parler de samort, avec un nouveau lot de questions et d’angoisses [10].

La vérité : mais quelle vérité ?

Il n’y a pas une vérité, la vérité. D’ailleurs s’agit-il de véritéou d’information ? Chacun se forge sa propre vérité qu’il arrive àaccepter. L’exemple suivant aide à la compréhension de ce fait :

Le docteur : « Les résultats du bilan ne sont pas bons.Vous avez un cancer du poumon. »

Le malade, très calme : « Je le savais, docteur. »Le docteur, impressionné par son calme : « Et comment le

saviez-vous ? »Le malade : « Je suis allé voir récemment une cartoman-

cienne. Elle m’a dit que j’aurai un cancer du poumon. J’aibeaucoup fumé, vous savez. »

Le docteur, dans un dialogue où règne la confiance réci-proque : « Et... la suite ? Que vous a-t-elle dit ? »

Le malade : « Oh, je ne mourrai pas de ce cancer. Jemourrai d’un accident d’avion. Aussi, j’ai pris des assurancesqui couvrent mes proches en cas d’accident. Tout est prévu. »

Je l’ai laissé avec SA vérité. « En observant cette nécessairepériode d’adaptation, le médecin respecte le temps du maladeet continuera alors pied à pied, pour se maintenir au plus prèsde la vérité sans jamais violenter celle du patient, car la demandese situe davantage dans l’attente d’une relation dans la véritéque dans l’attente d’une vérité médicale... » [2]. Il est mortquelques mois plus tard du cancer du poumon...

Les mécanismes de défense successifs du patient ont étébien décrits par Kübler-Ross : déni, révolte, marchandage,dépression, enfin acceptation. Le choc provoqué par l’annonced’une maladie grave va entraîner chez lui, après une phase pos-sible de déni total ou de sidération psychologique, la construc-tion de SA vérité qu’il importe de préserver puisque l’équilibrepsychique du patient en dépend. Et c’est à partir de cette véritéque le patient cheminera peu à peu. « Les mécanismes dedéfense du malade vont s’avérer d’autant plus difficiles à appré-hender et à cerner qu’ils se révèleront confus et fluctuants,imprévisibles et déconcertants, rarement en harmonie avecl’idée préconçue » [2].

Dire la vérité aux proches

Les textes imposent à l’heure actuelle la désignation parle malade d’une « personne de confiance » (famille, proche,personne de confiance : ces termes sont-ils synonymes ?).

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L’information à cette personne ne doit avoir lieu qu’avecl’accord du patient et si possible en sa présence.

Il semble essentiel qu’il y ait convergence entre ce qui estdit au patient et ce qui est dit au proche. Ainsi, une situationtelle que celle décrite en introduction serait évitée. Mais patientet proches veulent-ils entendre la même chose ? Une enquêtecanadienne et australienne regroupant 72 participants a tentéd’évaluer cette demande : les deux points forts sont unedemande d’évaluation du pronostic et une demande d’espoir[11]. Concernant le pronostic, la demande des patients est trèsambivalente : « ils veulent qu’on leur dise mais ne veulent passavoir ». Plus la maladie avance, plus les questions du patientconcerneront les détails de sa vie au quotidien et la prise encharge des symptômes [11]. À l’inverse, la maladie évoluant,les proches poseront des questions sur les complications poten-tielles avant la mort, la façon de mourir, ce qu’ils devront faireaprès la mort [11, 12]. Mais la question majeure est sur ladurée de la phase terminale, pour gérer ce temps, avoir l’im-pression d’avoir prise sur la mort.

Mais si la demande d’informations du proche est grande,il faut aussi le ménager. Sa souffrance est différente mais trèsintense. Le proche n’est pas un partenaire du médecin, maisun souffrant : « un second patient en puissance ». Une demandede soutien psychologique est exprimée par 20 % des proches,pourcentage identique à celui des patients. La reconnaissancede cette demande a ouvert la voie à un nouveau domaine, laproximologie : le proche souffrant, mais aussi partenaire desoins, acteur de soins... Plusieurs sites ont été mis à la disposi-tion des proches pour les aider, comme le site de l’INCa (placeet difficultés dans la durée des proches de patients atteints decancer) [5], le site Novartis Pharma (comprendre la maladie,le rôle d’aidant, obtenir de l’aide) [13]. « La prise en charge desproches fait partie du traitement même du patient » [5]. Maisles médecins ont aussi leurs limites et ne peuvent peut-être pas« entendre tout le monde ». On peut même aller plus loin :une relation triangulaire patient-proche-médecin peut-elle réel-lement exister ou est-ce une utopie ? Le rôle de l’équipe soi-gnante est ici majeur, pouvant aider à la communication entreles personnes, pouvant aider dans l’accompagnement desproches. Un espace « proches » peut être créé pour mieuxaccueillir les familles, des groupes de soutien s’organisent, desaides matérielles et financières se mettent en place. Une étuderécente de l’Institut National du Cancer portant sur « la tempo-ralité et l’usure des proches », souligne la difficile nécessité pourle proche d’accepter la perte de l’être aimé et d’une vie au jourle jour et son besoin de reconnaissance de sa souffrance parl’équipe soignante.

Il importe également de souligner l’importance du main-tien ou d’un rétablissement du dialogue entre le patient et sesproches. Il existe bien souvent barrage de « non-dits » visant àprotéger l’autre. Ils doivent apprendre à parler de leurs peurs,parler de l’endroit où le patient souhaiterait mourir (maison,hôpital, dans son pays d’origine...), parler de l’après. Quant aux

soignants, médecins et non médecins, ils peuvent bénéficier deformations en psycho-oncologie, telle que celle proposée parles laboratoires Sanofi Aventis, l’EPAC (Ensemble ParlonsAutrement du Cancer).

Et aux enfants, que dire ? Comment dire ? Un enfant,même très jeune, perçoit l’angoisse, voire la détresse de sesparents. Il est essentiel de lui expliquer la situation, le silencelaissant la place à un imaginaire désastreux où l’enfant se senten plus coupable, puisqu’on ne lui dit rien. Parfois, le maladelui-même trouvera les mots pour le dire.

Conclusion

Il n’émane de ces pages aucune recette à la question« Faut-il dire la vérité au patient et à sa famille ? ». Le scénarioorganisé par le Plan Cancer pour l’annonce du diagnostic asensibilisé les soignants et le rôle de toute l’équipe. Il ne doitpas transformer cet instant de rencontre chaque fois uniqueentre un malade et un médecin en une rencontre stéréotypéeoù la liste des mots prononcés doit être cochée.

Un point important est de rester humble, car on ne faitqu’accompagner, marcher à côté, et le malade fait de toutefaçon seul le chemin qui le conduit bien souvent à mourir.

Mais, puisqu’il faut conclure, la règle d’or est pour moid’instaurer et de maintenir une relation de confiance avec lemalade et ses proches tout au long de la maladie et donc demériter jour après jour cette confiance. On est loin de dire oune pas dire la vérité.

RemerciementsL’auteur remercie Martine Ruszniewski, psychologue

psychanalyste, et Sylvie Vernois, Surveillante de Soins enOncologie Médicale à l’Hôpital Avicenne, pour leur relecturecritique, constructive et amicale.

Références

1 Joseph-Jeanneney B, Bréchot JM, Ruszniewski M : Autour du malade- la famille, le médecin, le psychologue. Paris : Éd. Odile Jacob ; 2002.

2 Ruszniewski M : Face à la maladie grave. Patients, familles soignants.Paris : Dunod ; 1999.

3 Geets C : Vérité et mensonge dans la relation au malade. Ds Hôpital etrespect des personnes. Revue d’éthique et théologie morale, supplément(Cerf ) 1993 ; 184 : S56-77.

4 Thomas L-V : La mort. Que sais-je, Presses Universitaires de France,1988.

5 Plan Cancer : www.e-cancer .fr6 Ruszniewski M : Faut-il dire la vérité au malade ? Rev Mal Respir 2004 ;

21 : 19-22.7 Hirsch E : L’instant de l’annonce. In: Information et cancer, premier

atelier de réflexion éthique et cancer, Espace éthique collection, 2004,pp. 13-15, AP-HP. www.espace-ethique.com

8 Pelicier N : L’annonce du diagnostic de cancer. Rev Prat 2006 ; 56 :1997-2003.

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9 Astoul P : À l’écoute du malade. Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 10S27-30.10 Wenrich MJ, Curtis R, Shannon SE, Carline JD, Ambrozy DM, Ram-

sey PG : Communicating with dying patients within the spectrum ofmedical care from terminal diagnosis of death. Arch Intern Med 2001 ;161 : 868-74.

11 Kirk P, Kirk I, Kristjanson LJ : What do patients receiving palliative care

for cancer and their families want to be told? A Canadian and Austra-lian qualitative study. BMJ 2004 ; 328 : 1343-7.

12 Clayton JM, Butow PN, Tattersall MHN : The needs of terminally illcancer patients versus those of caregivers for information regarding pro-gnosis and end-of-life issues. Cancer 2005 ; 103 : 1957-64.

13 www.proximologie.com