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Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 5 I. — LES INDUSTRIELS SONT DANS L’OBLIGATION D’ANTICIPER DE MANIÈRE PRAGMATIQUE L’AVENIR ÉNERGÉTIQUE Chacun a sa propre approche des questions énergétiques: le consommateur final veut une énergie disponible et peu coûteuse, le citoyen veut des énergies accessibles au plus grand nombre, qui ne dégradent pas l’envi- ronnement et laissent une situation viable aux générations futures, et chaque individu, comme d’ailleurs chaque décideur poli- tique, compose au mieux entre ces deux positions… L’industriel, pour sa part, cherche à propo- ser des solutions énergétiques viables pour faire face à la demande énergétique: ces solutions doivent à la fois être économiques, respecter les contraintes environnementales présentes et anticiper au mieux les contraintes futures. Le plus souvent, il est amené à réaliser des investissements très lourds du type centrales électriques, raffine- ries ou réseaux qui ne se rentabiliseront qu’en plusieurs décennies. Il est préférable, lorsqu’on investit des milliards d’euros par an, d’anticiper les futures tensions et de ne pas trop se tromper sur les évolutions pos- sibles de la demande, ni sur la disponibilité et le coût des énergies primaires. QUELLES SOLUTIONS DES INDUSTRIELS PEUVENT-ILS APPORTER AUX PROBLÈMES ÉNERGÉTIQUES? (*) parYVES BAMBERGER Directeur EDF R&D,membre de l’Académie des Technologies et BERNARD ROGEAUX Conseiller de Synthèse à EDF R&D Nos modélisations montrent des tensions énergétiques liées au pétrole à un horizon qui ne devrait pas dépasser 2015-2020. Un recours massif au charbon apporterait une solution qui ne serait que provisoire, avec un pic fossiles possible dès 2040-2050. Ce recours au charbon pourrait aggraver considérablement le choc climatique en cours. Les acteurs industriels souhaitent proposer des solutions techniques pour construire un monde énergétique soutenable. Mais ces solutions ne se déploieront que difficilement: elles représentent un surcoût conséquent, que nous chiffrons à environ 2% du PIB, et surtout elles nécessitent un délai de 30 ans au moins pour être déployées massivement. De plus, elles devront être complétées dans nos pays par un nécessaire effacement de la demande, qui ne pourra être obtenu que par des efforts de sobriété. Ces solutions ne se développeront donc que dans le cadre de plans d’urgence acceptés par les populations. L’Europe, dont la position est la plus fragile, devrait agir très rapidement pour sécuriser son approvisionnement énergétique. La question du CO 2 elle, ne peut se régler qu’au niveau mondial et sera de plus en plus liée aux usages du charbon. Pour nous, la ressource la plus rare du monde énergétique, c’est le temps dont nous disposons pour assurer les nécessaires transitions. (*) Les propos contenus dans cet article n’engagent que leurs auteurs. Les auteurs tiennent à remercier F. AILLERET, M.ALLÈGRE, P. CASEAU, P.-N. GIRAUD, J.-M. MARTIN, H. PRÉVOT pour leurs remarques et leurs suggestions.

quelles solutions des industriels peuvent-ils apporter aux problèmes

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Revue de l’Énergie, n° 575, janvier-février 2007 5

I. — LES INDUSTRIELSSONT DANS L’OBLIGATION

D’ANTICIPERDE MANIÈRE PRAGMATIQUE

L’AVENIR ÉNERGÉTIQUE

Chacun a sa propre approche des questionsénergétiques : le consommateur final veutune énergie disponible et peu coûteuse, le

citoyen veut des énergies accessibles au plusgrand nombre, qui ne dégradent pas l’envi-ronnement et laissent une situation viableaux générations futures, et chaque individu,comme d’ailleurs chaque décideur poli-tique, compose au mieux entre ces deuxpositions…

L’industriel, pour sa part, cherche à propo-ser des solutions énergétiques viables pourfaire face à la demande énergétique: cessolutions doivent à la fois être économiques,respecter les contraintes environnementalesprésentes et anticiper au mieux lescontraintes futures. Le plus souvent, il estamené à réaliser des investissements trèslourds du type centrales électriques, raffine-ries ou réseaux qui ne se rentabiliserontqu’en plusieurs décennies. Il est préférable,lorsqu’on investit des milliards d’euros paran, d’anticiper les futures tensions et de nepas trop se tromper sur les évolutions pos-sibles de la demande, ni sur la disponibilitéet le coût des énergies primaires.

QUELLES SOLUTIONS DES INDUSTRIELSPEUVENT-ILS APPORTER

AUX PROBLÈMES ÉNERGÉTIQUES? (*)

parYVES BAMBERGERDirecteur EDF R&D, membre de l’Académie des Technologies

et BERNARD ROGEAUXConseiller de Synthèse à EDF R&D

Nos modélisations montrent des tensions énergétiques liées au pétrole à un horizon quine devrait pas dépasser 2015-2020. Un recours massif au charbon apporterait une

solution qui ne serait que provisoire, avec un pic fossiles possible dès 2040-2050. Cerecours au charbon pourrait aggraver considérablement le choc climatique en cours.

Les acteurs industriels souhaitent proposer des solutions techniques pour construire unmonde énergétique soutenable. Mais ces solutions ne se déploieront que difficilement :elles représentent un surcoût conséquent, que nous chiffrons à environ 2% du PIB, etsurtout elles nécessitent un délai de 30 ans au moins pour être déployées massivement.De plus, elles devront être complétées dans nos pays par un nécessaire effacement de lademande, qui ne pourra être obtenu que par des efforts de sobriété. Ces solutions ne sedévelopperont donc que dans le cadre de plans d’urgence acceptés par les populations.

L’Europe, dont la position est la plus fragile, devrait agir très rapidement pour sécuriserson approvisionnement énergétique. La question du CO2 elle, ne peut se régler qu’au

niveau mondial et sera de plus en plus liée aux usages du charbon. Pour nous, laressource la plus rare du monde énergétique, c’est le temps dont nous disposons pour

assurer les nécessaires transitions.

(*) Les propos contenus dans cet article n’engagent que leursauteurs.

Les auteurs tiennent à remercier F. AILLERET, M. ALLÈGRE,P. CASEAU, P.-N. GIRAUD, J.-M. MARTIN, H. PRÉVOT pour leursremarques et leurs suggestions.

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Les problèmes auxquelsnous sommes confrontésont des solutions techniques…

Les problèmes liés à l’avenir énergétiquesont maintenant bien connus du grandpublic : raréfaction annoncée des énergiesfossiles peu coûteuses, et en tout premierlieu du pétrole, et aussi réchauffement cli-matique lié aux émissions de CO2 et autresgaz à effet de serre. Il est maintenant mieuxconnu aussi que la raréfaction du pétrolepourrait augmenter – et non réduire – lesémissions de CO2 : pour fabriquer des car-burants liquides, la seule solution indus-triellement mature susceptible d’êtredéployée sur une grande échelle et rapide-ment dans le monde est la liquéfaction ducharbon, laquelle émet près de trois foisplus de CO2 que le pétrole pour un volumedonné de carburant liquide.

Toutefois, de nouvelles techniques en coursde développement proposent ou propose-ront des solutions pour les problèmes éner-gétiques auxquels nous sommes confrontés :

— il est techniquement possible de diviser pardeux les consommations énergétiques à serviceénergétique identique: par exemple isoler leslogements existants pour les amener auxstandards du neuf actuel, et les chauffer avec90 kWh par an et par m2 contre 180 aujour-d’hui en France, utiliser des voitures quiconsomment 3,5 litres/100 km contre unemoyenne du parc français à 7 litres/100 km,utiliser des appareils multimédias et un éclai-rage plus performant, etc. Il est même pos-sible de construire des logements neufs ayantdes consommations de chauffage presquenulles (<20 kWh/an.m3), voire des bâti-ments dits « passifs » avec photovoltaïqueintégré au bâti et stockage local qui ne néces-sitent quasiment aucun apport d’énergieexterne ;

— il est possible de produire de l’électricitéabondante sans CO2, par exemple à partird’énergies renouvelables dont le potentieltechnique est considérable (1). Dans le

futur, nous saurons aussi construire des sur-générateurs, et probablement des centralescharbon avec capture – stockage du CO2,susceptibles d’être déployés sur une grandeéchelle ;

— il sera enfin possible de se passer de pétroledans les transports : les véhicules peuvent uti-liser des biocarburants, si possible de 2ème

(ou 3ème?) génération (2), et/ou de l’électri-cité prélevée sur le réseau ou sur deséoliennes ou des panneaux photovoltaïquesdélocalisés, voire même demain de l’hydro-gène (3).

Au final, de nombreuses solutions tech-niques existeront donc, qui permettront deconstruire un monde énergétique viable,sans pétrole et sans émissions de CO2.

… mais ces solutionsont des problèmes!

Le premier problème, c’est que ces solutionsne sont pas aujourd’hui économiquementcompétitives et elles ne se développerontdonc pas spontanément par le seul jeu dumarché. Elles sont souvent souhaitées par lecitoyen soucieux du futur, mais en tant queconsommateur, il n’accepte que difficile-ment de financer les surcoûts qui leur sontassociés et il accepte encore moins de renon-cer, pour économiser l’énergie, à consom-mer des objets ou services dont le coûténergétique ne représente en moyenne que5% du coût total (4).

L’autre problème, encore plus importantmais souvent oublié, c’est que ces solutionsrequièrent le plus souvent un délai incompres-sible de 20 à 30 ans pour être déployées mas-sivement. Le système énergétique de 2020,c’était hier. Les décisions d’aujourd’hui nemodifieront de manière visible le systèmeénergétique qu’à partir de 2030, et la R&Dtravaille déjà sur celui de 2050. Les infra-structures qui conditionnent le systèmeénergétique ont en effet une durée de viesouvent supérieure à 40 ans, et ne se rem-placent que progressivement. Et même si

dans le cadre de plans d’urgence, la décisionétait prise par exemple d’isoler tous les bâti-ments en France pour réduire les besoins dechauffage (5) et d’installer sur toutes les toi-tures des panneaux solaires thermiques(pour l’eau chaude sanitaire) et photovol-taïques (pour l’électricité), nous nous trou-verions face à deux difficultés incontour-nables : financer les coûts des travaux (6),

(1) Une surface correspondant à un carré de 500 km de côtédans le désert du Sahara couverte de panneaux photovol-taïques produirait plus d’énergie que tout ce qui est consommédans le monde aujourd’hui.

(2) Les biocarburants de première génération sont produitsaujourd’hui par les procédés classiques de fermentation alcoo-lique ou estérification (rendement net inférieur à 1 tep/ha sousnos latitudes). La gazéification de la biomasse et la synthèseFischer Tropsch devraient permettre de meilleurs rendements(2 à 3 tep/ha) et correspondent à la prochaine 2ème généra-tion. Les rendements à l’hectare seraient encore augmentés(jusqu’à 4 ou 5 tep/ha?) si la chaleur et l’hydrogène néces-saires à la synthèse étaient apportés par une filière externe :cette 3ème génération est encore au stade de la recherche.

(3) Dont l’intérêt par rapport à l’électricité est une meilleurestockabilité, mais dont l’inconvénient est un coût d’utilisationinévitablement élevé du fait du faible rendement global du vec-teur hydrogène : pour le même nombre de kilomètres parcou-rus, il faudrait installer pour produire l’hydrogène au moinsdeux fois plus d’éoliennes ou de centrales nucléaires que cellesqui seraient nécessaires si l’électricité est injectée directementdans les batteries. Pour les trajets de courte distance, l’électrifi-cation directe des véhicules (voitures électriques, hybridesrechargeables, mais aussi vélos électriques) restera plus écono-mique, malgré le coût élevé des batteries.

(4) Le coût du pétrole dans un trajet automobile ou aériencourt courrier ne dépasse pas 10% du coût total.

(5) On construit actuellement 400000 logements par an enFrance, sur un parc de 30 millions de logements existants.L’enjeu de l’isolation du parc existant est nettement plus impor-tant pour la consommation énergétique en 2050 que lesnormes sur les nouveaux bâtiments.

(6) Isoler (quand c’est possible) par isolation thermique exté-rieure une maison particulière chauffée par fossiles et installerpar exemple 4 m2 de panneaux solaires thermiques pour l’eauchaude sanitaire et 10 m2 de panneaux photovoltaïques coû-terait en moyenne près de 30000 € HT fourni posé (sansaides). Cet investissement permet de diviser par 3 au mieux lesconsommations moyennes d’une famille de 4 personnes enFrance, et ne sera rentabilisé qu’en plus de 30 ans en moyenneau prix actuel des énergies ! Tous les consommateurs (oucontribuables?) accepteront-ils facilement de financer de telstravaux?

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mais surtout constituer le tissu industriel etartisanal capable de produire les compo-sants et de réaliser les travaux (7). Une telledécision n’aurait pas d’effet réellementvisible sur la consommation énergétiqueavant une quinzaine d’années au plus tôt.

Toutes les solutions que la R&D peut pro-poser aujourd’hui pour sortir des pro-chaines impasses énergétiques se heurtentau même problème: elles supposent dutemps, pour une part non compressible, etdes surcoûts qui seront d’autant plus impor-tants que l’on devra aller plus vite.

Il faudra donc à la fois du temps, une réellevolonté politique, et un cadre de cohérenceadapté pour conduire les nécessaires transi-tions.

D’autres problèmes commencent à appa-raître, qui ne sont pas négligeables : lemanque d’eau dans de nombreuses régionsdu monde, et la rareté croissante de certainsmatériaux. De ce fait, certaines « solutions »techniques ne pourront pas être déployéesmassivement dans le monde faute d’eau(par exemple centrales solaires thermodyna-miques dans les zones désertiques) ou dufait de la rareté de matériaux tels que l’in-dium, le gallium (nécessaires pour les pan-neaux photovoltaïques couches minces), leplatine (nécessaire pour les piles à combus-tible)…

Aurons-nous le tempsde développer les solutions?

Finalement, pour ceux qui cherchent àstructurer un monde énergétique soute-nable, le problème n’est pas qu’il n’y ait plusde pétrole dans 40 ou 50 ans: de toute évi-dence, il y aura encore du pétrole à la fin dusiècle.

Le problème n’est pas non plus le Peak Oilen tant que tel : il existe nous le savons dessolutions pour remplacer le pétrole, dont lademande pourra décliner sans problèmelorsque les solutions alternatives auront étédéveloppées.

Le problème essentiel est simplement de savoirsi nous aurons le temps de développer ces solu-tions alternatives avant que les tensions n’in-terviennent. Ces solutions ne commenceronten effet à être développées réellement quelorsque le citoyen aura réussi à persuader leconsommateur de financer les surcoûts associés,et donc les décideurs politiques de proposer lecadre de cohérence nécessaire. Notre connais-sance des inerties liées aux infrastructures quidéterminent à la fois la demande et le mode deproduction énergétique nous conduit à alerterclairement à la fois les citoyens, les décideurspolitiques… et aussi les consommateurs dedemain sur lesquels est reportée de fait la fac-ture : pour nous, la ressource la plus rare dansle monde énergétique, c’est le temps dontnous disposons pour assurer les nécessairestransitions, et construire un système énergé-tique consommant beaucoup moins de pétrole,d’énergies fossiles, de ressources rares (eau, …)et émettant moins de CO2.

II. — LES SOLUTIONSACTUELLEMENT ENVISAGÉESCONDUIRONT-ELLES À UNESITUATION SOUTENABLE ?

Les solutions aujourd’hui envisagées par lesdécideurs politiques associent le plus sou-vent efficacité énergétique et développe-ment volontariste d’énergies noncarbonées : énergies renouvelables (ENRdans la suite), capture – stockage du CO2,et parfois nucléaire. Ces politiques permet-tront-elles d’éviter les difficultés futures?

Pour répondre à cette question, EDF R&Da construit un modèle (« Mescalito ») quiévalue la soutenabilité physique des évolu-tions possibles du monde énergétique. Cemodèle rapproche des scénarios mondiauxde demande énergétique, et des politiquesd’offre réalistes. Il calcule les quantités phy-siques de chaque énergie primaire néces-saires année après année et les confronte auxraretés éventuelles. Le modèle gère alors les

éventuelles substitutions entre énergies etévalue les dates des possibles tensions, ainsique les émissions de CO2.

Nous testons ci-après la soutenabilité d’unscénario caractérisé par un effort mondialen matière d’efficacité énergétique, uneoffre fondée sur un développement volonta-riste des énergies non carbonées, avec desENR, du nucléaire et du charbon avec cap-ture et stockage du CO2. Le scénario anti-cipe aussi les tensions pétrolières en favori-sant la pénétration des biocarburants, dugaz naturel véhicule, et l’électrificationvolontariste des transports.

Un tel scénario pourrait être qualifié de« tendanciel vertueux » dans le sens où il necomporte pas de rupture majeure, maisdéveloppe les politiques énergétiquesactuellement discutées susceptibles de retar-der les tensions (8). Jusqu’où un tel scénarioest-il soutenable?

L’hypothèse d’une demandeen croissance modérée...

Les hypothèses de demande retenues dans lescénario que nous testons sont résuméesdans le schéma 1: les besoins OCDE et CIS(ex-URSS) plafonnent rapidement sous l’ef-fet de politiques volontaristes de Maîtrise dela Demande d’Énergie (MDE dans la suite),en ligne avec les scénarios alternatifs déve-loppés par l’AIE [WEO 2004 et 2006].

(7) Rénover 500000 logements/an mobiliserait la totalité de lafilière bâtiment française (neuf compris, source: CSTB).Combien de temps faudrait-il pour constituer une filière artisa-nale 2 à 3 fois plus importante, et formée pour réaliser des tra-vaux spécialisés sur 1,2 million de logements/an? Il faudraitensuite 25 ans pour intervenir sur quelque 30 millions de loge-ments en France…

(8) Les énergies renouvelables (ENR) et l’efficacité énergétique(MDE) sont généralement considérées comme « vertueuses ».Nous laissons à l’appréciation de chacun le caractère vertueuxdu nucléaire, et aussi celui du charbon avec capture-stockagedu CO2.

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L’électricité spécifique (éclairage, machinestournantes,...) et les transports se dévelop-pent légèrement, les besoins de chaleurdiminuent. Au total, les besoins d’énergiene progressent que de 0,4 % par an enmoyenne sur la période.

Les besoins des PED augmentent plus net-tement, tirés notamment par une démogra-phie en croissance de 0,6 % par an (le scé-nario testé s’appuie sur les hypothèses bassesde l’ONU), et par une croissance desbesoins par individu proche de 1,1 % paran en moyenne. Au total, la croissance de lademande d’énergie finale est, dans notrehypothèse, de 1,7 % par an pour les PED,pour une tendance depuis 35 ans de 3,2 %par an (et une prévision AIE de 2,4 % d’icià 2030).

En début de période, les PED ne représen-tent qu’une faible part des consommationsmondiales. Ils représentent par contre unepart clairement majoritaire en fin depériode, malgré les hypothèses très pru-dentes retenues quant à leur développe-ment.

Le scénario que nous testons présente doncdes besoins d’énergie finale dans la four-chette basse par rapport aux autres scénarioscouramment évoqués dans la littérature,comme le résume le tableau 1.

... et l’hypothèse d’une offre fondéesur le développement volontaristedes énergies non carbonées

Notre scénario précise également les poli-tiques énergétiques et leurs conséquences

ENCADRÉ 1 - Le modèle « Mescalito »

La particularité de Mescalito est d’intégrer lescontraintes de raretés pour les énergies fossiles et fis-siles, et donc de simuler des formes plausibles pourles courbes d’exploitation de chaque énergie (pétrole,mais aussi gaz, charbon) en fonction de la demandeannuelle, et d’hypothèses sur les réserves ultimes, surles taux de déplétion observés sur les gisementsactuels, et sur les dates auxquelles pourraient êtreexploités les gisements futurs.

L’ensemble de ces paramètres permet de tracer pourchaque énergie des courbes qui à long terme finissentpar arriver à un maximum, puis décroissent. Les tauxmoyens de décroissance après le pic traduisent à lafois :

– la maturité estimée de la prospection géologique: trou-vera-t-on dans le futur beaucoup de nouveaux gise-ments?

– l’intensité de l’effort économique: pour l’exploitationdes énergies primaires, les gisements seront-ils en casde besoin exploités tous simultanément au maxi-mum de leurs capacités? Ceci supposerait une réellevolonté politique des pays détenteurs de ressources,et aussi la réalisation rapide d’infrastructures souventlourdes, par exemple voies ferrées pour évacuer lecharbon de mines isolées en Sibérie…

– le taux moyen de déplétion des gisements arrivés àmaturité, qui dépend à la fois de la nature du gise-ment (le taux est par exemple beaucoup plus rapidepour le gaz que pour le pétrole ou le charbon), et desprogrès technologiques envisagés permettant de pro-longer la durée de vie des gisements grâce auxméthodes susceptibles de permettre un meilleur tauxde récupération.

La forme de ces courbes de décroissance dépend doncde paramètres susceptibles de variations notables : parexemple la production de charbon pourrait finir parse stabiliser sur un plateau relativement plat, une nou-velle mine étant ouverte lorsqu’une ancienne est épui-sée, ou au contraire culminer très haut, tous les gise-ments potentiels étant mis en exploitation simultané-ment dans le monde, pour ensuite redescendre beau-coup plus rapidement une fois passé le pic. Il est doncnécessaire de tester différentes valeurs de ces paramètrespour encadrer les possibles.

Lorsqu’une contrainte se manifeste sur le pétrole oule gaz, le modèle Mescalito prévoit un basculementsur le charbon. Les énergies fossiles sont en effet lar-gement interchangeables pour la production de cha-leur, d’électricité et même de carburant liquide (viales procédés industriellement matures Gas to Liquidet Coal to Liquid). Des itérations permettentd’ailleurs de construire des scénarios où les politiquesd’offre sont affinées pour retarder les tensions: parexemple pénétration accrue du gaz naturel vers lesvéhicules, électrification accélérée des transports pourfreiner la demande de carburants liquides et donc ladate du Peak Oil, etc.

Chaque scénario énergétique, qui est donc décrit à lafois par des hypothèses portant sur la demande et lastructure de l’offre, est confronté avec les disponibili-tés des différentes énergies, ce qui permet de tester sasoutenabilité physique (disponibilités des énergies pri-maires) et aussi environnementale (émissions de CO2).

Le modèle Mescalito, développé par EDF R&D en2005, fonctionne exclusivement sur des grandeursphysiques. Il donne une évaluation des besoins d’éner-

gie année par année au niveau mondial, à partir descénarios d’entrée qui simulent à la fois une demandeet une structure de l’offre.

TABLEAU 1 - Besoins énergétiquespour différents scénarios

Énergie finale (Gtep) 2010 2030 2050Scénario testé 8,1 10,1 11,5AIE 2006 référence 8,3 11,7AIE 2006 alternatif 7,9 10,5WETO 2007 référence 8,3 11,1 14,3WETO 2007 contraintes 8,3 10,2 11,8

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sur les besoins de chaque énergie primaire.Les indicateurs sont décrits sur une longuepériode (jusqu’à 2100), même si la périodeétudiée se limite essentiellement à 2010-2050.

Les principales caractéristiques de notre scé-nario, destiné donc à la fois à répondre auxprochaines raretés fossiles et à limiter lesémissions de CO2 sontles suivantes :

— électrification progressive du transport :l’électricité représente 1 % des besoins éner-gétiques transport en 2004, le scénario testéprévoit 4 % en 2030, 15 % en 2050;

— développement volontariste des ENR, à lafois pour la production de chaleur (horsbiomasse traditionnelle, 1,2 Gtep en 2050,pour 0,35 en 2004), de biocarburants(200 Mtep en 2050, pour 10 en 2004), etaussi pour la production électrique(13000 TWh en 2050, pour 2900 TWh,en quasi-totalité hydraulique, en 2004) ;

— développement volontariste du nucléaire,avec 2,3 % de croissance moyenne sur lapériode, pour arriver à un peu plus de1000 GW et près de 8000 TWh (9) en2050 pour 2 650 TWh en 2004.

À noter au passage que les émissions deCO2 liées au secteur électrique passent enmoyenne de 0,59 tCO2/MWh en début depériode à 0,22 tCO2/MWh en 2050, en fai-sant l’hypothèse, certes optimiste, d’un parccharbon composé à 80 % de centrales aveccapture stockage de CO2 en 2050 (10), et20% seulement pour les centrales gaz, beau-coup moins émettrices de CO2.

Les émissions de CO2 liées au parc élec-trique diminueraient ainsi de 10,2 GtCO2 à8,6 GtCO2, et ceci malgré l’augmentationimportante de la production qui passe de17400 TWh à 38400 TWh en 2050. Lesémissions totales, avant transferts entreénergies liées aux éventuelles raretés, se sta-biliseraient dès 2020 autour de 31 GtCO2

(contre 26 en 2004), pour décroître à29 GtCO2 en 2050.

Au final, des conclusionsrassurantes?

Au total, les émissions de CO2 semblentstabilisées sur une trajectoire correspondantà 500ppm, les besoins de pétrole cessent decroître et les besoins théoriques cumulésd’énergies primaires entre 2005 et 2050,avant donc les éventuelles corrections et substi-tutions dues aux raretés, sont dans notre scé-nario de référence les suivants :

– 195 Gtep pour le pétrole,– 146 Gtep pour le gaz– 147 Gtep pour le charbon.

(9) Un tel développement serait compatible avec des res-sources dites « conventionnelles » d’uranium estimées à 15 Mtpar l’AIEA (cf. « Red Book 2006 »), pour des générateurs fonc-tionnant 60 ans et qui seront en grande majorité construitsavec les technologies actuelles. Un développement plus ambi-tieux du nucléaire, pour ne pas poser de sérieux problèmes decombustible, nécessiterait une accélération de la mise au pointindustrielle des réacteurs Génération 4 pour qu’ils soient dis-ponibles avant 2040.

(10) Ce qui suppose une décision rapide de ne construire dansle monde que des centrales charbon « capture ready », desti-nées à être complétées dès que possible par un dispositif decapture/stockage du CO2.

SCHÉMA 1 - Scénario testé :hypothèse d’évolution des besoins (énergie finale)

SCHÉMA 2 - Scénario testé : besoins totaux d’énergies primaires

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Ces besoins d’énergies fossiles apparaissent,rappelons-le, comme une hypothèse basse,car ils supposent à la fois une croissancemodérée de la demande et un développe-ment volontariste des ENR et du nucléaire.Ces besoins cumulés ne représentent,comme le montre le tableau 2, qu’une pro-portion modérée des énergies fossiles quenous devrions pouvoir exploiter à des coûtsraisonnables dans un proche avenir (11).

À première vue, dans ce scénario, lesréserves de pétrole telles qu’évaluées aujour-d’hui sont certes consommées à 70 % en2050, mais « d’ici là, on aura bien trouvéautre chose ». Et il sera toujours possible defabriquer des carburants liquides synthé-tiques (coal to liquid, CTL dans la suite) enliquéfiant une partie des considérablesréserves de charbon. Pourquoi s’inquiéter,alors qu’en 2050 nous n’aurons consomméque 39 % des réserves fossiles… les réservesse renouvelant d’ailleurs au fil des ans,comme l’histoire nous l’a toujours montré?

Malheureusement, ce raisonnement sim-pliste et rassurant est totalement erroné etne résiste pas longtemps à l’analyse, commenous allons le voir.

III. — UN SCÉNARIO«TENDANCIEL-VERTUEUX »

N’EST EN FAIT PAS SOUTENABLETRÈS LONGTEMPS

Le problème n’est pas de savoir si les besoinscumulés d’ici à 2050 sont inférieurs auxréserves…

Le problème est de savoir si les quantitésrequises année après année (notammentpétrole et gaz) seront fournies à temps à partirdes gisements connus et à découvrir.

Et si les quantités requises ne peuvent êtrefournies à temps, le problème sera de savoirsi pourront être développées à temps lessolutions énergétiques de rechange: procé-dés plus efficaces, pétrole synthétique à par-tir de charbon, substitution du pétrole pard’autres énergies… ou s’il faudra effacer unepartie de la demande?

Pour un volume donné de réserves minièresou pétrolières, l’horizon des tensions varierabeaucoup en fonction de la forme plausiblede la courbe d’exploitation, qui est elle-même la somme des profils d’exploitationde chaque gisement connu et à découvrir, et

en particulier des non-conventionnels, qui nepourront se développer quetrès progressivement, pourdes raisons d’infrastructurestrès lourdes à mettre enplace (12).

Il est difficile d’estimer laforme de la courbe, mais lespossibles peuvent être enca-drés par des hypothèses deréserves ultimes et de taux

de décroissance plus ou moins rapide. Lestaux dépendent principalement de l’obser-vation des taux de décroissance des gise-ments arrivés à maturité, et surtout deshorizons de temps auxquels seront mis enexploitation de nouveaux gisements,conventionnels ou non conventionnels. Ceshorizons de temps dépendent decontraintes techniques, et aussi de lavolonté politique, aujourd’hui très peu évi-dente au Moyen-Orient et en Russie, desdétenteurs de ressources fossiles de lesexploiter rapidement…

L’analyse des taux de déplétion des gise-ments actuels, des nouveaux projets encours de développement, des potentiels desnon-conventionnels et des progrès tech-niques dans l’exploitation des gisementspourrait suggérer par exemple des taux dedécroissance moyens de l’ordre de 2 % pourle pétrole, et de 3 % pour le gaz (13).

Le cas du charbon est plus difficile, en rai-son du grand nombre de gisements poten-tiels, de l’incertitude sur l’évaluation desréserves en cas de forte hausse des prix desénergies, et aussi en raison du probablesouci de limiter l’utilisation du charbon tantque la capture – stockage du CO2 ne serapas opérationnelle. Nous testons une hypo-thèse assez prudente de réserves à 700 Gtep

(11) Les hypothèses que nous retenons pour l’estimation desréserves sont supérieures aux hypothèses du BGR(‘‘Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe’’, basé àHanovre) que nous rappelons dans le tableau 2. Nous suppo-sons en effet qu’une partie des ressources passera à termedans les réserves du fait du progrès technique, de nouvellesdécouvertes et de la hausse prévisible du prix des énergies. LeBGR est aujourd’hui le seul organisme spécialisé qui publie desestimations périodiques sur les réserves et ressources mon-diales d’énergies fossiles.

(12) Cf. par ex les sables bitumineux d’Athabasca, dont les pro-jections les plus extrêmes n’atteignent pas 10 Mb/j, soit 3,6 Gbpar an en 2025, alors que les réserves exploitables sont esti-mées couramment à plus de 200 Gb!

(13) Ces taux sont largement discutables, et ne font pas l’ob-jet d’un consensus parmi les spécialistes : il est donc nécessairede tester des variantes pour ce paramètre.

TABLEAU 2 - Estimation des réserves fossiles, et pourcentage utilisé d’ici à 2050 dans notre scénario

Gtep Rappel hyp. BGR 2004 Hypothèse testée Besoins ➛ 2050 % utilisé de 2005 à 2050Pétrole 226 280 195 70 %Gaz 141 280 146 52 %Charbon 477 700 147 21 %Total 844 1260 488 39 %

SCHÉMA 3 - Quel profil réaliste pour l’exploitation des réservespétrolières (et minières) ?

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(soit un ratio Réserves/Production R/P de250 ans par rapport à 2004) avec un taux dedécroissance de 1% après le pic. Nous tes-tons aussi des variantes qui vont jusqu’à1400 Gtep, et un taux de décroissance de2% après le pic.

Au final, quels horizonsde tensions plausibles?

Lorsque nous intégrons les contraintes derareté, le scénario que nous testons montrefinalement le profil présenté sur le schéma 4(énergies primaires).

Le pétrole culmine autour de 2020 (pourdes réserves restantes de 2 Tb/ 280 Gtep), et

la croissance importante du charbon nepeut se poursuivre au-delà de 2050. Maisc’est dès avant 2040 que la demande éner-gétique mondiale ne peut plus être satisfaiteavec les technologies aujourd’hui opération-nelles.

Même au prix d’un effort particulier enmatière de R&D, il n’est pas certain que dessolutions nouvelles de remplacement puis-sent être déployées massivement dès 2040 :les surgénérateurs ne pourront démarrer queprogressivement en utilisant les stocks dis-ponibles de Pu ou de l’uranium très enrichi,la fusion nucléaire ne sera certainement pasopérationnelle avant 2080, et les hydrates deméthane restent une solution très aléatoire.

Reste l’hypothèse de la gazéification ducharbon in situ, qui permettrait d’utiliser lesgisements non accessibles par les méthodesclassiques, ou un déploiement encore plussoutenu des ENR à un rythme qui mobili-serait une part importante des ressourceséconomiques et énergétiques (14).

Les émissions de CO2 dépendent de l’utili-sation éventuelle de nouvelles énergies car-bonées après 2040 (gazéification du char-bon avec ou sans séquestration, hydrates deméthane, … ?). Les trajectoires permet-traient d’envisager une stabilisation autourde 520 ppm dans le meilleur des cas… maisplus de 800 ppm si les ressources carbonéesétaient utilisées pour combler le déficit.

Les besoins de carburants liquides, qui ali-mentent l’économie avec une forte inertiedue aux infrastructures et aux équipementsexistants, sont la variable déterminante. Ilsprovoquent en effet, dès que la productionde pétrole commence à décliner, des besoinsconsidérables sur les autres énergies, jusqu’àarriver à des impasses en l’état actuel desconnaissances.

Lorsque le pétrole commencera à décliner,et il s’agit de remplacer un déficit annuel de2 Mb/j, il faudra liquéfier annuellementquelque 350 millions de tonnes supplémen-taires de charbon de qualité courante(6000Kcal/ Kg), ou mettre en service40GW de nouvelles centrales électriques enbase si l’on décide d’électrifier le parc auto-mobile, ou encore 130 GW de nouvelleséoliennes. Ces besoins augmenterontchaque année, en proportion du déficitpétrolier. Notre scénario qui suppose pour-tant une demande modérée et une électrifi-cation volontariste des transports nécessiteainsi dès 2030 la liquéfaction de près de

(14) Si une région anticipe un déficit énergétique de 5% pourl’année N+2, et décide de le combler en construisant deséoliennes, il lui faudra l’année N+1 consacrer 5% de saconsommation énergétique à la seule fabrication des éoliennes.Ce pourcentage monterait à 20% avec des panneaux photo-voltaïques (ensoleillement moyen en Europe).

SCHÉMA 4

Évolution des consommations énergétiques mondiales (scénario testé)

Émissions de CO2 (scénario testé)

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2 milliards de tonnes de charbon… à unhorizon où la capture – stockage du CO2 nesera certainement pas généralisée. Est-ceréaliste et souhaitable?

Nous supposons également, ce qui n’est pasla moindre difficulté des prochaines décen-nies, que seront financées et réalisées àtemps toutes les infrastructures nécessaires àces transitions: mines de charbon, usines defabrication de carburants synthétiquesnotamment CTL (15), nouveaux moyensde production électriques très capitalis-tiques (16) et aussi réseaux.

Nous supposons enfin que les tensions neseront pas accélérées par des problèmes géo-politiques au Moyen-Orient et en Russie...et aussi qu’une future crise économiquemondiale ne ralentira pas la croissance de lademande énergétique à moins de 1,3% paran... ce qui différerait l’horizon des tensionsd’une dizaine d’années.

Notre scénario « tendanciel – vertueux »risque donc de n’être pas suffisant pourmener une politique soutenable : d’abordparce qu’un recours massif au charbonapparaît nécessaire dès 2020, à un horizonoù la capture – stockage du CO2 ne sera pasencore opérationnelle, et aussi parce que dès2040 le monde est confronté à de grandesdifficultés pour satisfaire la demande éner-gétique, avec une offre énergétique mon-diale qui ne pourrait plus suivre la crois-sance de la demande, voire même qui pour-rait décroitre.

IV. — DE COMBIEN DE TEMPSDISPOSONS-NOUS POUR

ORGANISER LES TRANSITIONS?

Quelles sont les marges d’incertitudes, decombien de temps disposerons-nous pourorganiser les nécessaires transitions vers unmonde énergétique soutenable? Pourrons-nous développer à temps des politiques d’ef-ficacité énergétique renforcées, une crois-

sance plus rapide des ENR ou du nucléaire,ou devrons-nous réduire notre consomma-tion? Comment sera répartie la probablepénurie énergétique entre les générations etentre les différentes régions du monde?

Quelles marges d’incertitudes?

Pour une demande et un profil d’offre don-nés, la forme générale de la courbe nechange pas beaucoup en fonction des para-mètres inclus dans le modèle. Les horizonsdes tensions peuvent toutefois varier sensi-blement.

— Une exploitation très intensive des res-sources pétrolières et minières dans lesannées qui viennent décalerait dans notremodèle le Peak Oil de près de 10 ans(2030), et le pic fossiles de plus de 20 ans(2060). Ceci est toutefois peu réaliste pourle pétrole car cela supposerait de mettre enexploitation très rapide les réserves duMoyen-Orient et les pétroles non conven-tionnels. La conséquence, sans parler desémissions de CO2, serait un épuisementprématuré de toutes les réserves fossiles,avec des taux de décroissance très élevés(2 % pour le charbon, 3 % pour le pétrole)après le pic qui rendraient les transitionsultérieures encore plus difficiles pour la pro-chaine génération.

— Des hypothèses basses (1,5 Tb) et haute(2,5 Tb) concernant les réserves pétrolièresrestant à produire conduisent, avec nos scé-narios de demande, à des dates théoriquesde Peak Oil autour de 2010, ou 2030, et desdates de pic fossiles en 2030, ou 2050. Maisdans la réalité, un pic pétrolier marqué serabeaucoup moins probable qu’un « plateauen tôle ondulée », accompagné de soubre-sauts économiques, qui pourrait donc inter-venir dès 2010 ou 2015.

— Une hypothèse très haute de réserves decharbon à 1400 Gtep, ce qui représente500 années de consommation 2004, nedéplacerait le pic fossiles que de 30 ans, soit2070. La consommation de charbon

annuelle atteindrait alors 16 milliards detonnes (pour 3,6 actuellement). Ceci sup-poserait naturellement la généralisation dela capture-stockage du CO2.

Au final, même avec une demande énergé-tique en faible croissance, nous évaluonsl’horizon des tensions sur le pétrole entre2010 et 2020. L’horizon 2030 n’est pasimpossible, mais supposerait un effondre-ment de la demande, ou que soient réuniesdes conditions d’exploitation très impro-bables. La seule solution industriellementopérationnelle à cet horizon est un recoursmassif au charbon. Avec nos hypothèses trèsmodérées de croissance de la demande éner-gétique, c’est aux environs de 2040 que seproduit le pic fossiles si l’on dispose de700Gtep de charbon, ou 2070 si l’on pou-vait disposer de 1400 Gtep… ce qui toute-fois est loin d’être garanti ! Il faudra ensuitetrouver le moyen de compenser un probabledéclin énergétique global, avec des solutionsencore à trouver.

Et avec une croissancede la demande plus soutenue?

La plupart des scénarios de la littérature pré-voient une hausse plus forte de la demandeénergétique qui pourrait atteindre de l’ordrede 17 Gtep en 2030 et 22 Gtep en 2050(énergie primaire).

Ces scénarios ne voient en général pas decontraintes majeures sur les ressources fos-siles : ils s’appuient sur des estimations

(15) Liquéfier 2 milliards de tonnes de charbon pour produire14 mb/j en 2030 suppose un investissement pour les seulesusines CTL de l’ordre de 1000 G$, hors mines et stockage duCO2.

(16) Les moyens de production électriques non carbonés sonttrès capitalistiques : notre scénario suppose des investissementsde l’ordre de 8 000 G$ pour les ENR, 2 000 G$ pour lenucléaire,1500 G$ pour les centrales charbon et 500 G$ pourle gaz d’ici à 2050, soit 12 000 G$ d’ici à 2050… à rappro-cher du total de 4 500 G$ estimés par l’AIE d’ici à 2030, avecdes moyens plus classiques (gaz, charbon).

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hautes de réserves de charbon. Des réservesfossiles de l’ordre de 2000 Gtep (dont 250de pétrole, 250 de gaz, 1500 de charbon)devraient ainsi nous assurer 100 années detranquillité à 20 Gtep par an (17), sachantque les énergies fossiles sont interchan-geables dès que le prix du baril dépasse50 $…

On l’aura compris, ce raisonnement hâtifoublie deux « détails » :

– le rendement du charbon est mauvais,surtout avec capture et stockage du CO2. Ilfaut en effet 2,5 Gtep de charbon pour rem-placer 1 Gtep de pétrole dans la fabricationde carburants liquides, et 1,7 Gtep de char-bon pour remplacer 1 Gtep de gaz dans laproduction d’électricité. Donc les 20 Gtepcomposées de 7 Gtep pétrole, 5 Gtep de gazet 8 Gtep de charbon sont équivalentes àl’ensemble constitué de 2 Gtep de pétrole,2Gtep de gaz et… un peu plus de 25 Gtepde charbon!

– si le taux moyen de décroissance après lepic charbon est de 2,5%, hypothèse homo-gène avec une exploitation très intensive, lepic interviendra lorsque le ratio R/P sera de40 ans, donc lorsqu’il ne restera que…1000 Gtep de charbon si sa consommationdevait se stabiliser à 25 Gtep.

Les 100 années de tranquillité annoncées seterminent finalement autour de 2050

comme le montre le schéma 5 qui reproduitun exemple de ce type de scénario fondé surla poursuite de la croissance tendancielle.Une exploitation plus intensive du charbonpermet de repousser le pic fossiles vers2065, mais avec une décroissance plus mar-quée ensuite. Nous partons donc avec70ans de pétrole, 122 ans de gaz et plus de500 ans de charbon… pour manquerd’énergie au bout de 50 ans seulement !

Les lois de la physique et des exponentiellessont décidément impitoyables…

Une approche robuste, car fondéesur des grandeurs physiques

L’intérêt d’une approche fondée sur lesgrandeurs physiques est qu’elle est particu-lièrement robuste, puisqu’elle ne fait appelni aux prix, ni aux coefficients d’élasticité dela demande et de l’offre aux prix. Ces der-niers sont en effet difficiles à évaluer surtoutpour un avenir qui n’a pas de raisons de res-sembler au passé : l’économétrie sur le passéest de peu de secours dans la prospective àlong terme dans des contextes radicalementdifférents. L’approche physique permetd’identifier et de quantifier les contraintesque les mécanismes de marché auront àgérer.

La question essentielle est de savoir si lesmécanismes de marché pourront seuls et à

temps anticiper les tensions, ou si des poli-tiques publiques vigoureuses doivent inter-venir pour corriger la « myopie » des mar-chés.

L’anticipation des tensionsdéterminera les émissions de CO2 :échapperons-nousau « syndrome Katrina »?

Lors du cyclone Katrina à la NouvelleOrléans, toutes les mesures de protection del’environnement ont été suspendues pourrelancer l’activité économique de la région.Lorsque le monde sera confronté à unepénurie non anticipée de carburantsliquides à horizon 2015-2020, il est possibleque certains pays suspendent leurs efforts delimitation du CO2 pour produire des car-burants de synthèse à partir de charbon oude pétroles non conventionnels, à un hori-zon où la séquestration du CO2 ne sera pasopérationnelle. Il est à craindre en effet quedans un contexte de crise économiquemondiale, les impératifs de court terme neprennent le pas sur la viabilité à long terme.Plusieurs études prévoient déjà la fabrica-tion de carburants de synthèse à hauteur de5 Mb/j en 2030 aux USA, et autant enChine… ce qui nécessiterait l’exploitationsupplémentaire d’environ un milliard etdemi de tonnes de charbon par an, etdécouragerait tous les efforts mondiauxpour contenir les émissions de CO2.

Les grands pays charbonniers ont-ils encorele temps et la volonté de réduire fortementleurs besoins de carburants liquides dans letransport à horizon 2020, seul moyen delimiter un recours massif aux carburantsliquides de synthèse à partir de charbon? Encas de difficultés non anticipées, pourront-ils faire autrement que développer les solu-

(17) Cf.par exemple les montants de 6 Gtep de pétrole,4Gtepde gaz et 6 Gtep de charbon retenus à l’horizon 2050 par lescénario de référence WETO-H2,http://ec.europa.eu/research/energy/pdf/weto_final_report.pdf

SCHÉMA 5 - Variante supposant des réserves fossiles très hautes

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tions les moins coûteuses à court terme, lesplus rapides à mettre en œuvre… mais aussiles plus polluantes?

V. — VERS UN MONDEÉNERGÉTIQUE RÉGI

PAR DES PLANS D’URGENCE?

Nos simulations montrent donc que lasituation énergétique mondiale est porteusede risques considérables, même si sont déve-loppées dans les prochaines années les poli-tiques énergétiques tendanciellement ver-tueuses actuellement préconisées.

Ces politiques ne permettront pas d’anticiper àtemps les tensions. La plupart des pays déten-teurs de ressources fossiles, et aussi la plu-part des acteurs industriels du secteur éner-gétique ont d’ailleurs tout intérêt à mainte-nir ces tensions qui augmentent les prix etles profits, comme l’a montré l’histoirerécente du secteur pétrolier.

Lorsque les tensions mondiales se concréti-seront, chaque région du monde sera dansl’obligation d’élaborer des plans d’urgence,en s’appuyant sur ses ressources propres :l’Amérique du Nord utilisera son charbonet ses pétroles non conventionnels, l’Asieson charbon qui sera toutefois rapidementinsuffisant pour des besoins énergétiques enforte croissance. L’Amérique du Sud etl’Afrique pourront s’appuyer sur leurs res-sources renouvelables (biomasse, hydrau-lique, solaire) et sur leurs énergies fossiles.La Russie – CIS et le Moyen-Orient seronten position de force car durablement excé-dentaires en énergie fossile. Par contre,l’Europe qui ne dispose ni de réserves fossiles etfissiles (18), ni de l’espace nécessaire à un déve-loppement massif des ENR, sera dans unesituation particulièrement fragile.

La question n’est donc plus de savoir sil’Europe peut encore éviter la coûteusereconfiguration de son système énergétique,la question est plutôt de savoir à quel

moment elle sera faite : soit elle commencedès maintenant, dans un contexte encorerelativement stable et pacifié et alors quenous disposons encore de l’accès à des éner-gies abondantes et bon marché, soit elle sefera dans l’urgence alors que le pétrole auracommencé à décliner et que le mondeconnaîtra de graves tensions économiqueset militaires.

Un exemple de plan d’urgencepour l’Europe

Les plans d’urgence développés actuelle-ment aux USA et en Chine, sont surtoutcentrés sur la sécurité des approvisionne-ments, notamment grâce à une meilleureautonomie énergétique. D’autres, particu-lièrement en France, sont plutôt centrés surles émissions de CO2.

Ces deux logiques n’ont pas de raison deconverger, sauf pour les situations comme laFrance, dépourvue en réserves fossiles. Nousproposons ci-après un exemple de pland’urgence adapté à l’Europe, destiné à la foisà sécuriser l’approvisionnement énergétiqueet à limiter les émissions de CO2.

Un tel plan serait transposable dans lemonde pour aller vers une situation énergé-tique soutenable, avec quelques variantes(19). Il permettrait de réduire très notable-ment les tensions sur les énergies, et aussi lesémissions de CO2. (Voir encadré 2 pagesuivante).

Au total, le coût d’un tel plan d’urgenceserait de l’ordre de 35 à 40 G€ annuel pourle périmètre France. Ceci représente envi-ron 2 % du PIB actuel, soit l’ordre de gran-deur de notre facture pétrolière actuelle, ouencore la moitié des coûts énergétiques enFrance.

Au bout de 25 ans, ce plan nous permet deréduire de 65 % nos importations d’éner-gies fossiles (en conservant la part difficile-ment compressible de 14 Mtep réservée à lapétrochimie), et de 57 % nos émissions deCO2. À terme (50 ans?), il est possible de

construire un secteur énergétique pratique-ment indépendant des énergies fossiles etnon émetteur de CO2.

Un tel plan, créateur d’environ400000 emplois liés à l’énergie d’après nosestimations, devrait pouvoir être géré sansgrande difficulté pour nos économies. Lesconséquences sur le pouvoir d’achat sontpar contre incertaines (20).

Vers une nouvelle coopérationinternationale?

Ce genre de plan d’urgence est assez facile àdéployer en Europe. Il serait par contrebeaucoup plus coûteux dans les pays moinsindustrialisés où les infrastructures élec-triques restent à construire. Ces pays reste-ront longtemps dépendants des vecteursénergétiques pétroliers faciles à transporteret à utiliser.

(18) En cas de redémarrage rapide du nucléaire, la question seposera pour les grands acteurs de sécuriser leur approvision-nement en uranium, dont les principales réserves sont aujour-d’hui en Australie (24 %), Kazakhstan et autre CIS (23 %) etCanada-USA (16 %). L’Inde pourrait s’appuyer sur ses res-sources de thorium.

(19) Les variantes concerneront notamment la part denucléaire, d’ENR ou de charbon selon les régions du monde. Ilest intéressant de comparer ce plan d’urgence avec d’autresexercices récents. On pourra notamment consulter le livred’Henri PRÉVOT, «Trop de pétrole ! Energie fossile et réchauf-fement climatique » (Seuil, 2007), le groupe de travailDGEMP sur le « Facteur 4 » (http://www.industrie.gouv.fr/energie/prospect/facteur4-rapport.pdf), le scénarioNégawatt(http://www.negawatt.org/telechargement/Scenario%20nW2006%20Synthese%20v1.0.2.pdf), et pourles USA l’un des crashs program préparé pour le DOE parR. HIRSCH et R. BEZDEK (http://www.netl.doe.gov/energya-nalyses/pubs/Economic%20Impacts%20of%20U.S.%20Liquid%20Fuel%20Mitigation%20Options.pdf). Ce dernier ignoreles contraintes CO2. Les autres diffèrent notamment dans lesefforts de sobriété, le potentiel de la biomasse et la proportionrenouvelables/ nucléaire pour produire l’électricité. La part del’électricité augmente dans tous les scénarios qui limitent lesémissions de CO2 pour remplacer les vecteurs polluants quesont les carburants et les combustibles liquides ou gazeux.

(20) L’essentiel des emplois créés ne fait que remplacer lesénergies fossiles presque gratuites aujourd’hui par des activitéset investissements locaux : il ne crée pas de richesse supplé-mentaire autre qu’énergétique.

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Le surcoût de ce plan est chiffré sur le périmètre fran-çais par rapport à un baril à 60 $, avec un taux d’ac-tualisation de 4 %, représentatif de politiquespubliques.

1. Transports

• Développer la R&D sur les batteries et le stockage d’éner-gie pour mettre au point des modes de transport alternatifsnon consommateurs de carburants liquides : une moitiédes transports de proximité (correspondant à 10 mil-lions de tonnes de carburants) pourrait ainsi basculervers l’électricité (avec seulement 30 TWh) avec des tech-nologies pratiquement disponibles : véhicules élec-triques, véhicules hybrides rechargeables sur le réseauélectrique. Des efforts importants de R&D sont déjàfaits sur l’hydrogène: pourra-t-il apporter une solution?

• Développer la R&D pour la production de biocarbu-rants de 2ème, puis 3ème génération: il devrait être pos-sible de fabriquer à terme en France entre 15 et 20 mil-lions de tonnes de biocarburants à partir de 5 millionsd’hectares boisés. Ceci nécessiterait l’ajout d’atomesd’hydrogène et de chaleur externe, à hauteur de 50 à100 TWh. Ces biocarburants liquides seraient prati-quement suffisants pour couvrir les besoins de trans-ports routiers de longue distance en France (1), les-quels supposent un stockage d’énergie important dansle véhicule difficilement réalisable par les batteries.

• Encourager financièrement les transports peu consom-mateurs de pétrole : pour rendre compétitifs les trans-ports électriques, il faudrait aujourd’hui surtaxer lelitre d’essence (2) pour l’amener à environ 2,5 € (et àterme 2 € avec les progrès envisagés sur les batteries).L’hydrogène serait durablement plus coûteux (2,5 à3,5 €, même si les progrès espérés se réalisent sur lespiles à combustibles et la production d’hydrogène).Les biocarburants taxés ne devraient pas dépasser1,5€, mais leur production en Europe sera limitée. Autotal, le coût du basculement de 30Mtep de carbu-rants pétroliers (sur un total de 43Mtep en France)vers 30 TWh électriques et 20 Mtep de biocarburantscoûterait environ 28G€/an (3), par rapport à un barilà 60 $. Les 13Mtep restantes pourront à terme êtreéconomisées par sobriété (vélos, transports en com-mun, …) ou efficacité énergétique (moteurs plus éco-nomes).

2. Bâtiments

• Isoler les bâtiments : l’objectif, certes très ambitieux,d’isoler la grande majorité du parc existant, et notam-ment les bâtiments publics, en 40 ans permettrait d’éco-nomiser 65 % des besoins de chauffage, soit 29Mtepsur un total actuel de 44 Mtep. Ceci supposerait de ren-forcer la filière artisanale (d’où création d’emplois) et dedépenser de l’ordre de 15 G€ par an (hypothèse basse),avec un surcoût moyen de 5 G€/an.

• Développer les ENR intégrées au bâti. Les plus utilesseront les ENR permettant le chauffage saisonnier, dif-ficile à satisfaire sans énergies fossiles : ceci suppose undéveloppement volontariste des pompes à chaleur,avec un coût annuel de 1,5G€ pour 100000 pompesà chaleur par an, et un surcoût actualisé de 0,7 G€/an.Équiper la moitié des logements en solaire thermique(4 m2 de panneaux par logement) d’ici à 2030 coûte-rait environ 1 G€ par an, avec un surcoût de0,8G€/an. Le photovoltaïque représente encore un

surcoût notable par rapport au nucléaire, mais en sebasant sur les projections de 2025, le surcoût annuelne serait que de 4G€ (4) pour couvrir 20 % desbesoins électriques domestiques et tertiaires, soit25 TWh.

• Optimiser la gestion énergétique des bâtiments : les nou-velles technologies permettront d’optimiser la manièredont l’énergie sera consommée, stockée, produite loca-lement et échangée avec le réseau. Ceci permettra delimiter les surcoûts liés à l’intermittence des ENR, et àla difficulté d’assurer le chauffage saisonnier sans éner-gies fossiles.

3. Industrie

• Développer les ENR ou l’électricité pour usages chaleur :à terme, les énergies fossiles utilisées pour la produc-tion de chaleur devront être remplacées par des ENRou de l’électricité non issue de fossiles. Les procédésperformants tels que le chauffage par induction per-mettent souvent de limiter le surcoût de ce remplace-ment, qui reste toutefois difficile à chiffrer : quel coûtd’accès pour la biomasse, quel coût pour le remplace-ment des équipements industriels ? Nous retenons uneestimation provisoire de 1G€ annuel.

4. Électricité

• Mettre au point et généraliser les procédés peu consom-mateurs d’électricité : ceci permettrait de stabiliser àfaible coût la demande d’électricité spécifique, malgréla hausse tendancielle des besoins qui est de l’ordre de1,5 % par an en Europe.

• Produire de l’électricité sans CO2: le procédé le moinscoûteux en Europe est aujourd’hui le nucléaire.Remplacer 10 TWh de nucléaire par de l’éolien (ou duphotovoltaïque) représente un surcoût annuel, basésur la comparaison des coûts moyens de productiond’un MWh, de l’ordre de 0,2G€ (ou 1,6 G€ pour lephotovoltaïque avec les projections de coûts 2025). Lecoût est en fait nettement supérieur, car il faut gérerl’intermittence en incluant des stockages d’électricité,par exemple hydrauliques lorsque c’est possible, ouavec des batteries type Sodium-Soufre dont le coûtd’usage est aujourd’hui de 80 €/MWh (5). Le rem-placement du nucléaire par des ENR est donc pos-sible, avec un surcoût théorique de l’ordre de 25 G€

si l’on se réfère aux coûts prévisibles des 20 années àvenir (6). Ce surcoût considérable n’est pas intégré auchiffrage du plan d’urgence.

• Développer la R&D sur le stockage pour mieux gérerle rôle croissant de l’électricité, pour intégrer les pro-ductions intermittentes et adapter en conséquence leréseau électrique. Il faudra ensuite développer desréseaux intelligents capables d’optimiser la productionen intégrant les différentes formes de stockage et leseffacements de la demande à différentes échelles (quar-tier, région, pays, …).

Un délai incompressible de 25 à 30 ans est nécessairepour que ce plan d’urgence soit déployé et porte effetde manière significative. Les 10 premières années, lesinflexions sont très faibles, comme le montre leschéma 6 : il est donc nécessaire d’agir très vite pouramortir les tensions qui interviendront certainementavant 2020.

ENCADRÉ 2 - Un plan d’urgence énergétique

SCHÉMA 6 - Exemple d’évolutionvers un mix énergétique mieux sécurisé (énergie finale, France)

(1) Aujourd’hui de l’ordre de 20 millions de tep.Des motorisationsplus sobres et un transfert vers le rail peuvent diminuer cesbesoins à l’avenir. Reste le trafic aérien, dont la croissance futuren’est pas une fatalité.

(2) Ou instaurer des péages urbains différenciés, comme àLondres : ce surcoût de 1 € à 1,5 € litre d’essence ne dépassepas au kilomètre le surcoût moyen du péage autoroutier enFrance.

(3) Avec un coût total annuel (batteries + centrales électriques +infrastructure de recharge) de 25 G€ pour le transport élec-trique,et un coût de production de biocarburants estimé à 23 G€

pour 20 Mtep, qui remplaceront 20 G€ de carburants pétroliers.

(4) Hypothèse d’un coût PV de 200 €MWh ensoleillementmoyen France, à comparer avec un nucléaire à 50 €MWh. Lescoûts de réseau sont inchangés, car le PV suppose un accèsréseau ou des stockages locaux.

(5) Stocker le tiers de production éolienne renchérirait son coûtdu MWh de 40 %. Ceci inclut les pertes stockage-déstockage(soit 5 €MWh) et le coût des batteries (soit 23 €MWh). Les sur-coûts réseaux ne sont pas comptés. Le coût passerait alors de70 € pour un MWh éolien aléatoire à 98 € pour un MWhgaranti, capable de mieux suivre la courbe de charge.

(6) Pour des besoins estimés à 500 TWh, avec un éolien inter-mittent à 60 €MWh, un photovoltaïque intermittent à200 €MWh,un nucléaire à 45 €MWh et 80 TWh hydrauliques.On suppose dans cette hypothèse extrême 350 TWh issus d’éo-lien (soit 56 000 éoliennes de 2,5 MW fonctionnant2500 heures par an), 70 TWh issus de photovoltaïque (soit800 millions de m2 en France), et le tiers de la production inter-mittente stockée par des stockages type batteries à coût cible50 €MWh.

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L’Europe à elle seule ne peut pas résoudre lesproblèmes énergétiques mondiaux (21),mais seulement tenter de sécuriser sonpropre approvisionnement énergétique.Seul un plan d’urgence à l’échelle planétairepermettrait la transition vers un mix éner-gétique soutenable.

C’est donc au niveau mondial que lecitoyen doit imposer des plans d’urgence auconsommateur. Les seules règles actuelles del’OMC laissant les acteurs économiquesgérer la concurrence dans un marché mon-dial au bénéfice des consommateurs d’au-jourd’hui ne conduiront certainement pas àune situation viable. Par contre, les risquesde la situation présente peuvent faciliterl’émergence d’une prise de conscience col-lective et d’une nouvelle coopération inter-nationale dans le cadre d’une gouvernancemondiale renouvelée de ces questions (22),seule alternative réelle aux conflits armés.

Les points-clés de cette coopération interna-tionale seront de notre point de vue les sui-vants :

— développer le plus vite possible dans lesrégions OCDE les plans d’urgence tels quedécrits ci-dessus, et promouvoir par l’éduca-tion et par des politiques adaptées des atti-tudes de sobriété. Ceci permettra d’éviter lesgaspillages inconsidérés des ressources éner-gétiques et les partager de manière plus équi-table avec les pays les moins développés ;

— adapter les règles de l’OMC pour favori-ser le développement de ces pays en leurpermettant de structurer progressivementun mix énergétique soutenable, à partir devecteurs propres (électricité, biocarburants)avec des procédés de conversion peu émet-teurs de CO2 (ENR, nucléaire, charbonavec capture-stockage du CO2).

Cette nouvelle coopération internationalenous permettrait d’aller vers une situationénergétique soutenable, dont le financementreste à chiffrer. L’AIE évaluait en 2003 lesbesoins d’investissements énergétiques mon-diaux à hauteur de 16 000 G$ pour les trenteprochaines années, soit un peu plus de

500 G$ par an. La généralisation dans lemonde de plans d’urgence visant à remplacerles énergies fossiles pétrole gaz, et à décarbo-ner le charbon dans les régions qui en utilise-ront de grandes quantités, pourrait entraînerun surcoût annuel de l’ordre de 1000 G$.

Au total, il s’agit donc d’utiliser un peu plusde 2 % du PIB mondial pour structurer unesituation énergétique viable, ce qui n’est pasnégligeable.

Le récent rapport Stern chiffre entre 5% et20% du PIB mondial le coût possible duseul changement climatique si les mesuresne sont pas prises à temps. Il faut y ajouterle coût des prochains conflits autour dupétrole, et surtout les possibles effondre-ments économiques dans nombre de pays, ycompris en Europe, si des plans de coopéra-tions internationales ne sont pas déclenchésà temps. Différer les décisions a donc uncoût considérable.

VI. — CONCLUSION: UNE PRISEDE CONSCIENCE DIFFICILE,

MAIS NÉCESSAIRE ET URGENTE

Pour nous, la ressource la plus rare dumonde énergétique, c’est le temps dontnous disposons pour assurer les nécessairestransitions vers une meilleure efficacitéénergétique, et vers un nouveau systèmeénergétique où seront développés les usagesfinals de l’électricité, y compris dans lestransports, via les ENR et le nucléaire.

Nous avons vu que ces transitions coûteusesne seront toutefois mises en place que dansle cadre de plans d’urgence qui supposentdes efforts conséquents (2 % du PIB envi-ron). Une réelle sobriété énergétique seranécessaire dans les pays les plus consomma-teurs pour arriver à boucler le bilan. Cesplans d’urgence ne porteront leurs premierseffets visibles qu’au bout de 15 ans, et il fau-dra 30 à 50 ans pour les développer pleine-ment et reconfigurer l’ensemble du mondeénergétique.

Si les décisions sont prises rapidement, nousavons une chance de réussir à structurer uneréelle coopération mondiale et d’éviter queles tensions énergétiques qui se profilentautour de 2015-2020 ne dégénèrent enconflits mondiaux et autres effondrementséconomiques, pour un coût qui dépasseratrès largement 2 % du PIB. Nous avonsaussi une chance de préserver la viabilité dela planète en contrôlant nos émissions deCO2 et en évitant d’aggraver le changementclimatique qui se dessine.

Mais ces décisions sont impossibles àprendre tant que les choix politiques ne res-teront conditionnés que par le seul souci dupouvoir d’achat à court terme. Jusqu’àquand le consommateur d’aujourd’hui dic-tera-t-il sa loi au citoyen, au politique… etau consommateur de demain?

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L’ensemble de ces analyses est assez facile àcomprendre intellectuellement, mais beau-coup plus difficile à croire et à réellementintégrer dans nos schémas de pensées.

Pour construire le nouveau monde énergé-tique, il reste à dénouer deux difficultés, quine seront pas les plus faciles. L’une concernele consommateur: « il n’est pas contraire à laraison de préférer la destruction du mondeentier à une égratignure de mon doigt »(23). L’autre concerne le citoyen: « tout leproblème vient de ce que nous ne croyonspas ce que nous savons » (24) �

(21) Si par exemple l’Europe décidait de ne plus brûler ungramme d’énergie fossile à l’horizon 2030, mais si dans lemême temps les autres continents suivent le scénario tendan-ciel prévu par l’AIE… nous nous retrouverions simplementdans la situation du scénario « tendanciel vertueux » que nousavons testé !

(22) Du type de celle proposée à Paris en février 2007.

(23) David HUME (1711-1776) « Traité de la naturehumaine » livre II, partie III, chap. 3.

(24) Jean-Pierre DUPUY, « Pour un catastrophisme éclairé »,ed. du Seuil 2002.