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santé publique | actualités 5 5 OptionBio | Lundi 21 avril 2008 | n° 399 Quelles sont les tendances chez les jeunes en matière de produits psychoactifs en France ? © Bsip/Mendil Les épidémiologistes et les responsables de la veille sanitaire ont dessiné ces dernières années les nouvelles tendances quant à la consommation de produits psychoactifs chez les adolescents et les jeunes adultes. Elles laissent apparaître notamment, à la faveur sans doute des campagnes de sensibilisation, une diminution significative du tabac et un recul de la consommation régulière d’alcool. S ur le front des substances illicites, les enquêtes épidé- miologiques européennes et françaises permettent d’observer une certaine stagnation du canna- bis et une progression de la cocaïne, liée à la très forte diminution du prix de ce produit au cours des derniè- res années. L’analyse publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdoma- daire paraît confirmer l’ensemble de ces tendances. Cependant, le phénomène du “binge drinking” (alcoolisation massive rapide) tend à prendre partout de l’ampleur, tant et si bien que le doc- teur William Löwenstein, spécialiste des addictions, invitait le 25 mars sur l’antenne de RTL à parler « d’over- dose d’alcool » plutôt que de coma éthylique, afin de frapper plus dura- blement les esprits et de renforcer l’alerte. L’alcool le produit le plus expérimenté Stéphane Legleye, de l’Observatoire français des drogues et des toxi- comanies (OFDT) 1 et ses confrères de l’Inserm, du CNRS et de l’INPES ont compilé les résultats de « deux enquêtes scolaires » menées auprès de collégiens de 11, 13 et 15 ans, « une enquête auprès des adoles- cents de 17 ans et une autre menée en population générale » chez des adultes âgés de 18 à 25 ans. L’ana- lyse de ces différentes études permet tout d’abord de confirmer que c’est l’alcool qui est le produit le plus sou- vent expérimenté entre 12 et 17 ans. Dès 12 ans, l’expérimentation de l’al- cool concerne 70,4 % des garçons et 62,5 % des filles, tandis que le canna- bis a été très rarement goûté à la sor- tie de l’enfance (1,4 % par les filles et 3,6 % par les garçons). Entre 12 et 16 ans, la différence entre les sexes en ce qui concerne l’expérimentation dimi- nue très nettement au cours du temps en ce qui concerne l’alcool, s’inverse pour le tabac (les filles à l’âge de 16 ans sont plus nombreuses à avoir déjà fumé que les garçons), mais se creuse face au cannabis. Cependant, à 17 ans, les auteurs observent que « la consommation de cannabis est [...] moins masculine que celle d’alcool ou que l’ivresse alcoolique qui peut s’ensuivre ». Cette analyse des diffé- rents niveaux d’expérimentation avant 18 ans indique enfin que « 12,3 % des jeunes de 17 ans disent avoir consommé au moins une fois » un produit illicite autre que le cannabis. Pour la première ivresse, on attend 15 ans ! L’étude de Stéphane Legleye et de ses confrères permet également d’observer l’évolution depuis 2000. Si l’âge moyen de la première cigarette est plus précoce en 2005 qu’en 2000 (13,4 ans contre 13,7 ans), il apparaît que « la baisse du tabagisme quoti- dien est constante depuis la fin des années 1990 ». En outre, illustrant ce qu’ont évoqué ces derniers mois de nombreux reportages télévisés sur le binge drinking (qui a été également l’objet d’un rapport alarmant de l’Académie de médecine en octo- bre), les auteurs relèvent que « la fréquence des ivresses alcooliques a connu une hausse très nette entre 2003 et 2005 ». Cependant, ceux qui s’inquiètent de la progression des ivresses chez les très jeunes obser- veront avec soulagement que « l’âge moyen à la première ivresse » n’a pas varié entre 2000 et 2005 et reste de 15,1 ans. À l’instar de ce qui était signalé en novembre 2007 par le rap- port de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), il apparaît par ailleurs qu’en ce qui concerne le cannabis « la tendance est plutôt à la stagnation », bien que l’expérimentation se fasse un peu plus tôt (15,3 ans contre 15,1 ans aujourd’hui). La cocaïne progresse Mais, parallèlement à tous ces indica- teurs encourageants, la forte progres- sion de la cocaïne est de nouveau à déplorer, après les premières alertes de l’OFDT. À 17 ans, 3,5 % des jeunes Français ont déjà essayé la cocaïne en 2005, contre 0,9 % en 2000. En outre, cette expérimentation se pour- suit entre 18 et 25 ans : les premiers usages sont plus fréquents dans cette tranche d’âge qu’à 17 ans, « souli- gnant que son expérimentation est inachevée à la fin de l’adolescence » relèvent les auteurs. Chez ces jeunes adultes, on observe par ailleurs entre 2000 et 2005 « une nette baisse des niveaux de consom- mation de tabac et d’alcool » et « une tendance à l’augmentation des usages réguliers » de cannabis, ce qui semble montrer que les messages concernant l’usage à risque de ce produit restent peu entendus. En guise de conclusion, les auteurs invitent à se pencher sur les différents profils de consomma- teurs en fonction des parcours sociaux et scolaires. | AURÉLIE HAROCHE © www.jim.fr Note 1. Lire aussi les articles pages 14-5 et 18-9.

Quelles sont les tendances chez les jeunes en matière de produits psychoactifs en France ?

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55OptionBio | Lundi 21 avril 2008 | n° 399

Quelles sont les tendances chez les jeunes en matière de produits psychoactifs en France ?

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Les épidémiologistes et les responsables de la veille sanitaire ont dessiné ces dernières années les nouvelles tendances quant à la consommation de produits psychoactifs chez les adolescents et les jeunes adultes. Elles laissent apparaître notamment, à la faveur sans doute des campagnes de sensibilisation, une diminution significative du tabac et un recul de la consommation régulière d’alcool.

Sur le front des substances illicites, les enquêtes épidé-miologiques européennes et

françaises permettent d’observer une certaine stagnation du canna-bis et une progression de la cocaïne, liée à la très forte diminution du prix de ce produit au cours des derniè-res années. L’analyse publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdoma-daire paraît confirmer l’ensemble de ces tendances.Cependant, le phénomène du “binge drinking” (alcoolisation massive rapide) tend à prendre partout de l’ampleur, tant et si bien que le doc-teur William Löwenstein, spécialiste des addictions, invitait le 25 mars sur l’antenne de RTL à parler « d’over-dose d’alcool » plutôt que de coma éthylique, afin de frapper plus dura-blement les esprits et de renforcer l’alerte.

L’alcool le produit le plus expérimentéStéphane Legleye, de l’Observatoire français des drogues et des toxi-comanies (OFDT)1 et ses confrères de l’Inserm, du CNRS et de l’INPES ont compilé les résultats de « deux enquêtes scolaires » menées auprès de collégiens de 11, 13 et 15 ans, « une enquête auprès des adoles-cents de 17 ans et une autre menée en population générale » chez des adultes âgés de 18 à 25 ans. L’ana-lyse de ces différentes études permet tout d’abord de confirmer que c’est l’alcool qui est le produit le plus sou-vent expérimenté entre 12 et 17 ans. Dès 12 ans, l’expérimentation de l’al-cool concerne 70,4 % des garçons et 62,5 % des filles, tandis que le canna-bis a été très rarement goûté à la sor-tie de l’enfance (1,4 % par les filles et 3,6 % par les garçons). Entre 12 et 16

ans, la différence entre les sexes en ce qui concerne l’expérimentation dimi-nue très nettement au cours du temps en ce qui concerne l’alcool, s’inverse pour le tabac (les filles à l’âge de 16 ans sont plus nombreuses à avoir déjà fumé que les garçons), mais se creuse face au cannabis. Cependant, à 17 ans, les auteurs observent que « la consommation de cannabis est [...] moins masculine que celle d’alcool ou que l’ivresse alcoolique qui peut s’ensuivre ». Cette analyse des diffé-rents niveaux d’expérimentation avant 18 ans indique enfin que « 12,3 % des jeunes de 17 ans disent avoir consommé au moins une fois » un produit illicite autre que le cannabis.

Pour la première ivresse, on attend 15 ans !L’étude de Stéphane Legleye et de ses confrères permet également d’observer l’évolution depuis 2000. Si l’âge moyen de la première cigarette est plus précoce en 2005 qu’en 2000 (13,4 ans contre 13,7 ans), il apparaît que « la baisse du tabagisme quoti-dien est constante depuis la fin des années 1990 ». En outre, illustrant ce qu’ont évoqué ces derniers mois de nombreux reportages télévisés sur le binge drinking (qui a été également l’objet d’un rapport alarmant de l’Académie de médecine en octo-bre), les auteurs relèvent que « la fréquence des ivresses alcooliques a connu une hausse très nette entre 2003 et 2005 ». Cependant, ceux qui s’inquiètent de la progression des ivresses chez les très jeunes obser-veront avec soulagement que « l’âge moyen à la première ivresse » n’a pas varié entre 2000 et 2005 et reste

de 15,1 ans. À l’instar de ce qui était signalé en novembre 2007 par le rap-port de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), il apparaît par ailleurs qu’en ce qui concerne le cannabis « la tendance est plutôt à la stagnation », bien que l’expérimentation se fasse un peu plus tôt (15,3 ans contre 15,1 ans aujourd’hui).

La cocaïne progresseMais, parallèlement à tous ces indica-teurs encourageants, la forte progres-sion de la cocaïne est de nouveau à déplorer, après les premières alertes de l’OFDT. À 17 ans, 3,5 % des jeunes Français ont déjà essayé la cocaïne en 2005, contre 0,9 % en 2000. En outre, cette expérimentation se pour-suit entre 18 et 25 ans : les premiers usages sont plus fréquents dans cette tranche d’âge qu’à 17 ans, « souli-gnant que son expérimentation est inachevée à la fin de l’adolescence » relèvent les auteurs. Chez ces jeunes adultes, on observe par ailleurs entre 2000 et 2005 « une nette baisse des niveaux de consom-mation de tabac et d’alcool » et « une tendance à l’augmentation des usages réguliers » de cannabis, ce qui semble montrer que les messages concernant l’usage à risque de ce produit restent peu entendus. En guise de conclusion, les auteurs invitent à se pencher sur les différents profils de consomma-teurs en fonction des parcours sociaux et scolaires. |

AURÉLIE HAROCHE

© www.jim.fr

Note1. Lire aussi les articles pages 14-5 et 18-9.