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GYORGY M. VAJDA QUELQUES TRAITS DE L'ESTHI~TIQUE DU NI~O-CLASSICISME I1 nous est toujours difficile de trouver une d6nomination internationale valable pour les courants, les p6riodes et les 6poques de la litt6rature et de l'art. Ainsi, cc n'est peut-~tre que dans l'architecture que le mot n6o-classicisme rev& la m~me signification sur un plan international. Ici le style clas- sique 6tait nomm6 <~ classique~} parce qu'il s'inspirait de l'architecture antique, et il &air <~ n6o-classique ~ pare, que, ~t la suite des fouilles de Pomp6i et d'Herculanum commenc6es en 1748, il exprimait un nouvel essor du style classique. Ce nouvel essor, derni~re 6"tape de l'histoire du style classique, persista en Europe, au moins durant un si~cle, en Am6rique plus longtemps encore, et il resta ~tvrai dire, le seul style jusqu'~t la fin du XIX e fib.de et au d6but du XX ~ si~cle, c'est4t-dire jusqu'~t l'apparition de l'Art Nouveau, dont les principes et les caract6ristiques 6taient autonomes. (Darts la mesure o~t nous consid6rons que l'architecture ~n6o-Classique poss~de un style plus autonome que ies styles historisants qui apparaissent plus tard et dont le <~ p~h6 ~ essentiel est de ne pas prendre comme exemple l'architecture antique.) Mais, le style n6o-classique ne peut ~tre consid6r6, lui non plus, comme un style tout ~t fair homo- g~ne. A l'intkrieur du style n6o-classique, se trouvaient des <~sous-styles}~ ~t part comme p. ex. d~s le commencement du XIX e si~cle, le style empire d'origine fran~aise, et le << style Joseph II ~}}, qualifi6 du ~ style de natte }~ et provenant du style Louis XVI ~, dont le monument le plus imposant, en Hongrie, est ie bStiment de l'l~cole des Hautes I~tudes P~dago- giques (jadis Lycaeum),/t Eger.

Quelques traits de l'esthétique du néo-Classicisme

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G Y O R G Y M. V A J D A

QUELQUES TRAITS DE L'ESTHI~TIQUE

DU NI~O-CLASSICISME

I1 nous est toujours difficile de trouver une d6nomination internationale valable pour les courants, les p6riodes et les 6poques de la litt6rature et de l'art. Ainsi, cc n'est peut-~tre que dans l'architecture que le mot n6o-classicisme rev& la m~me signification sur un plan international. Ici le style clas- sique 6tait nomm6 <~ classique~} parce qu'il s'inspirait de l'architecture antique, et il &air <~ n6o-classique ~ pare, que, ~t la suite des fouilles de Pomp6i et d'Herculanum commenc6es en 1748, il exprimait un nouvel essor du style classique. Ce nouvel essor, derni~re 6"tape de l'histoire du style classique, persista en Europe, au moins durant un si~cle, en Am6rique plus longtemps encore, et il resta ~t vrai dire, le seul style jusqu'~t la fin du XIX e fib.de et au d6but du XX ~ si~cle, c'est4t-dire jusqu'~t l'apparition de l 'Art Nouveau, dont les principes et les caract6ristiques 6taient autonomes. (Darts la mesure o~t nous consid6rons que l'architecture ~n6o-Classique poss~de un style plus autonome que ies styles historisants qui apparaissent plus tard et dont le <~ p~h6 ~ essentiel est de ne pas prendre comme exemple l'architecture antique.) Mais, le style n6o-classique ne peut ~tre consid6r6, lui non plus, comme un style tout ~t fair homo- g~ne. A l'intkrieur du style n6o-classique, se trouvaient des <~sous-styles}~ ~t part comme p. ex. d~s le commencement du XIX e si~cle, le style empire d'origine fran~aise, et le << style Joseph II ~}}, qualifi6 du ~ style de natte }~ et provenant du

style Louis XVI ~, dont le monument le plus imposant, en Hongrie, est ie bStiment de l'l~cole des Hautes I~tudes P~dago- giques (jadis Lycaeum),/t Eger.

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En sculpture, quand nous parlons du style n6o-classique, nous pensons h Antonio Canova, h John Flaxman, h Bertel Alberto Thorwaldsen, en peinture, ce sont Jacques-Louis David et Jean-Auguste-Dominique Ingres qui nous viennent l'esprit. Ce dernier commengait sa carri6re ~ l'6cole de David, et, dans sa vieillesse, il exercait une influence sur Paul C6zanne. La peinture n6o-classique allemande est repr6sent6e de la mani6re la plus caract6ristique, en premier lieu par Anton Raphael Mengs qui joua un r61e d6cisif dans la fondation de tout ce courant, par Ang61ica Kauffmann, et ensuite par Johann Heinrich Wilhelm, le Tischbein de Goethe. Pendant ses ann6es italiennes Goethe se trouvait dans la compagnie des peintres n6o-classiques allemands. Dans le domaine des arts d6coratifs, les meubles style Louis XVI et empire appartiennent au n6o- classicisme, tout comme les vases de Wedgwood, ayant un caract~re commun: l'inspiration antique. Dans la musique, au contraire, la d6nomination n6o-classicisme ne s'applique pas un seul style, mais elle d6signe toujours - d a n s le cas de Felix Mendelssohn-Bartholdy, Igor Stravinsky, ou d'Arthur Honeg- ger par exemple - un retour ~t la musique classique, ~ Bach et

Mozart. Enfin, nous en arrivons h la litt6rature off l'6pith~te n6o-classique rev& de nouveau un sens diff6rent.

La critique anglo-saxonne d6signe par style n6o-classique ce que nous appelons, nous, classique. Je ne veux pas remonter trop loin dans le pass6, mais M. Ren6 WeUek, lui-m~me, dans son dernier volume d'6tudes (Discriminations, 1970) parle d'un (~ n6o-classicisme abstrait ~), contre lequel, dans la litt6rature moderne <( the emphasis on the particular was an overviolent reaction )> (p. 142.); il d6montre ensuite que le caract~re per- sonnel, autobiographique de la po6sie n'est pas l'invention du romantisme ou du Sturm und Drang allemand, mais qu'il est leur ant6rieur, il constate: ~ No doubt, the reaction against formal neoclassicism was then particularly vocal ~). (p. 246.) N6anmoins, c'est pr6cis6ment ce volume-l~t qui contient l'essai important de U. Wellek sur la notion du classicisme dans l'histoire litt6raire, essai dans lequd il n'&ablit aucune diff6rence

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entre classicisme et n6o-classicisme, bien qu'il nous fair seutir que cette diff6rence existe. (cf. p. 87.) C'est la critique italienne qui a introduit la signification de la notion du n6o-classicisme litt6raire, au sens oft nous voulons l'employer. L e livre d6cisif de Mario Praz, intitul6 Gusto neoclassico (1940) s'occupait, il est vrai, avant tout, de l'architecture e tdes arts figuratifs, mais il contenait aussi des rapports litt6raires, en abondance. C'est /t la suite de son travail que la recherche s 'est d6velopp6e dans cette di:ection, dont je ne mentionne qu'un des r6sultats: les essais importants de Walter Binni (Classicismo e neo-classicismo nella letteratura del Settecento, 1963) traitent nettement du n6oclassicisme comme d'un courant litt6raire, et ils 6num~rent, aupr~s d'auteurs moins importants, comme ses repr6sentants les plus notoires, Goethe, Andr6 Ch6nier, Foscolo, H61derlin, Keats. Dans la science litt6raire hongroise c'est essentiellement l'italianiste J6zsef Szauder qui a introduit ce terme et la d6no- mination &ait introduite tout d 'abord pour d6signer la po6sie classicisante inspir6e par la <~ Klassik ~> allemande: c'est pourquoi M. Szauder regarde Ferenc Kazinczy comme son repr6- sentant principal en Hongrie. (Une de ses 6tudes importantes sous ce rapport se trouve dans le~num6ro 3 - 4 du volume I de la revue Neohelicon.) Sous un rapport g6n6ral europ6en, mais plus sp6cialement sous le rapport centre-est-europ6en, J6zsef Szauder distingue encore, outre le n6o-classicisme, une variante du classicisme du XVIII ~ si~cle: le classicisme ~ 6clair6 >>, un classicisme <~ scolaire ~ et une autre variante cultiv6e par les pontes de la noblesse provinciale, le <<classicisme de manoir ~>. Toutes ces variantes sOntr en vigueur /t la fin du XVIII ~ et au d6but du XIX ~ si6cle. Donc h l'6poque qui nous int6resse.

I1 est hors de doute que le n6o-classicisme est l 'un des courants artistiques et litt6raires les plus importants de cette 6poque. En d'autres termes: dans l'histoire du classicisme qui commence sinon par la Renaissance, au moins par le XVII e si~cle, c'est le n6o-classicisme, dont nous trait0ns ici, qui e n constitue la derni6re phase. De point de vue historique, cette phase coincide avec la p~riode de la R6volution Franqaise, bien qu'elle pr6c~de

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celle-ci et lui survive un peu: je pense ici ~t Winckelmann comme <~ point de d~part >~ et aux classicisants de l'6poque de la Restau- ration comme <( Ausklang ~>. Son origine n'est peut-~tre mSme pas ind6pendante de la r6volution qui drapait, elle-aussi, ses h6ros bourgeois de toges h l'antique. Ou iriversement: c 'est la r6volution qui a ins6r6 son propre style parmi les formes n6o- classiques. Mario Praz attire notre attention sur ce fait (pp. 9 7 - 9 8 de l'6dition anglaise de son ouvrage cit6) que personne ne trouvait plus actuelles et plus r6alisables les vies parall~les de Plutarque, populaires d6jh depuis des si~cles et la conception morale de ses t~ vies ~> que pr6cis6ment ne le faisaient les r6vo- lutionnaires. Plus tard, ce fut le costume antique, avec un peu plus d'ornements, qu'on portait non seulement en France, mais dans toute l 'Europe, h l'6poque de l 'Empire qui con- tinuait celle des r6volutionnaires.

Du point de rue sociologique, le n6o-classicisme s'av~re un courant de caract~re bourgeo.is. Cela ne veut pas dire qu'il n 'a 6t6 repr6sent6 que par des bourgeois, Alfieri, p. ex., &air un aristocrate, ou que tous les adeptes du n6o-classicisme aient 6t6 partisans de la r6volution bourgeoise fran~aise, bien que la r6volution ait jou6 un r61e important dans la vie sentimentale et dans l'6volution po6tique de presque chacun d'eux. Mais cela sous-entend que les n6o-classicisants - ind6pendamment de leur origine sociale - se sont ddivr6s du caract~re (~ eour- tisan ~ du classicisme, qu'ils ont puis6, dans les modbles an- tiques, des id6es r6publieaines, d6mocratiques. C'est Schiller qui a exprim6, sous une forme plastique, comment s'est effeetu6e cette liberation de la forme ~ f6odale , du classicisme ,(Die deutsche Muse, 1802) :

Kein Augustisch Alter bliihte, Keines Mediceers Giite L/ichelte der deutsche Kunst, Sic ward nicht gepflegt vom Ruhme, Sie enffaltete die Btume Nicht am Strahl tier Ftirstengunst.

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Von dem grfssten deutschen Sohne, Von des grossen Friedrichs Throne Ging sie schutzlos, ungeehrt, Riihmend darf's der Deutsche sagen, H6her darf das Herz ihm schlagen: Setbst erschuf er sich den Wert.

Dans l'histoire des arts et des lettres, le n6o-classicisme et surtout la seconde moiti6 de ce courant, est chronologique- ment parall~le au romantisme qui apparait d6jh darts la fitt6- rature vers les ann6es 1790. Du point de rue pMnomdnologique, c'est-~t-dire dans la couche du style, il p6n&re dans le roman- tisme, de plus, quant h ses m6thodes, il est quelquefois en contact avec lui. Sur les Horaces de David ou sur le portrait de Goethe peint par Tischbein, on trouve les accessoires du romantisme, et Ingres, bien qu'il ait hai Delacroix, n'&ait pas si 61oign6 de lui dans sa mani~re de peindre. H61derlin ou Schiller ou plus encore Keats et Alfieri sont parfois inter- changeables, pour le style, pour l'inspiration, pour la m&hode, avec les romantiques, mais leurs id6es et leur conception du monde sont toujours d6termin6es par les Lumi6res. Ce fait les lie au courant du n6o-classicisme, et en mSme temps, il les s6pare des romantiques. Et ce qui les distingue des romantiques en g6n6ral, c'est que leur podtique s'oriente d6cid6ment vers le mod61e antique, bien qu'ils cherchent ~t concilier les mod61es antiques et les exigences de la vie moderne. Cet effort, naturelle- ment, se constate avec le plus de nettet6, dans leurs romans, c'est-h-dire dans le genre qui ne pouvait se r6clamer d 'un module antique (voir Wilhelm Meister).

Le n6o-classicisme n'est pas le seul courant de l'6poque off il se situe. Et cela, comme nous l 'avons vu, ni ~t son stade post6- rieur, ni h son d6but. Simultan6ment, ou tin peu plus t6t, on trouve clans la litt6rature le sentimentatisme, l'ossianisme, la litt6rature gothique, le gessn6risme, le Sturm und Drang, que nous nous sommes efforc6s de d6finir, dans l 'une de nos 6tudes ant6rieures, d'une manibre synth&ique, sous la d6nomination ,( 6motionalisme ~). Darts ces courants et ces mouvements qui,

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pris h part, ont une mineure sphere d'attraction, on peut relever diff6rentes variantes de l'6motionalisme.

N6anmoins leur interd6pendance a 6t6 remarqu6e d6j~t par d'autres et bien plus t6t. C'est ce qui constitue le noyau de la conception du Pr6romantisme de Van Tieghem. Mais ce serait avoir une vue fausse que de situer les n6o-classiques dans un Pr6romantisme ainsi congu, comme Van Tieghem le faisait. C'est pr~cis~ment pourquoi Walter Binni s6pare le n6o-classicisme et le Pr6romantisme. La notion du sublime constitue pour les pr6- romantiques, comme Binni l'6crit, avee des images de type ossianique: une nuit orageuse, des catastrophes naturelles, des horreurs fun6bres. Pour les n6o-classiques, au contraire, c'est l 'Appollon de Belved6re qui incarne le sublime, ~ cui la tensione e il movimento sono sublimati in calma superiore ~r, dont la qualit6 Sublime se trouve dans son calme. Binni voit, lui aussi, dans son Pr6romantisme un mouvement europ6en. La con- ception qu'il en donne n'est pas identique avec la conception pr6c6dente du Pr6romantisme. Cependant, h mon avis, il est plus justifi6 de d6tacher du romantisme ce groupe de ph6no- m~nes par sa d6nomination elle-m~me, et de le consid6rer, au si~cle des Lumi~res, comme un courant ~t part: le courant 6motionaliste, ce qu'il 6tait r6ellement.

D'autre part, on pourrait d6montrer la valeur de l'6motiona- lisme pour route l'Europe m6me ~t l'aide de ses courants partiels, comme p.ex. le Sturm und Drang qui est ~ le plus 6motionnel ~, et dont les parall6les europ6ens ont 6t6 reconnus aussi, par Roy Pascal (The German Strum und Drang, 1953). Qu!il nous soit permis de le citer lui-m~me: ~ If in Locke, Hume, Voltaire, Diderot and the EncyclopOdie, Richardson, Lillo and Fielding, the intellectual challenge to traditional thought and values became explicit (et voil~t les pendants et pr6d6cesseurs des Stfirmer und Dr~inger qui suivent), in Young, Gray, the War- tons, Sterne, in Percy we see a grouping after a new type of feeling. Rousseau summed up in its most provocative form the problematic of the new man, at loggerheads with his times, capable of new raptures and tortured by new, obscure desires ~.

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(XV.) Johann Joachim Winckelmann, exprimait 6galement des sentiments in6dits et jusque-lh inconnus, h la vue des statues antiques, dans les descriptions empreintes d'6motion de son ~euvre principale, Geschichte der Kunst des Altertums. Ce livre ne pr6c6dait que de quelques ann6es ~ l'explosion ~) du Sturm und Drang, ce qui montre, h lui seul, les alternances de l'6motionalisme et du n6o-classicisme.

Tout ce qui pr6c~de doit attirer notre attention sur le fait que si l 'on veut 6tablir l'histoire de la pens6e esth6tique dans la derni6re p6riode des Lumi~res, il convient de faire une dis- tinction entre les idles qui appartiennent ~t l'esth~tique du courant 6motionnel et entre celles qui ne sont caract6ristiques que du n6o-dassicisme. Dans ce qui suit, nous tenterons d'en 6num6rer quelques-unes.

a) Winckelmann a trouv~ la beaut6 parfaite dans l'obser- vation des statues antiques. Tous les manuels d'histoire de l'Art ~crivent que les tableaux de David ont &6 inspires par les statues antiques, et que cette inspiration a 6t6 transmise par Winckelmann. De David, elle a pass~ ~t son 6cole, au jeune Ingres et h tout le mouvement de la peinture n6o-classique. C'est en se basant sur l'observation des statues grecques que Winckelmann a congu le principe m6thodique le plus caract6- ristique du n6o-classicisme, une repr6sentation des figures qui exprime une noble simplicit6 et une tranquille grandeur: edle Einfalt und stiUe Gr6sse. C'6tait d6j~t en 1755 qu'il a 6nonc6 ce principe, dans son premier ouvrage imposant (Gedanken fiber die Nachahmung der griechischen Werke in der Malerei und Bildhauerkunst), et cela h propos de l'analyse du groupe de statues de Laocoon. Bien que l'analyse de Winckelmann fut contest6e par Lessing, surtout quant ~t son contenu moral, le principe lui-m~me restera pour toujours l 'un des principes m6tho- diques les plus importants du n6o-classicisme. La beaut6 in- carn6e par les statues grecques n'inspirait pas seulement l'art figuratif n6o-classique, mais aussi la litt6rature, en premier lieu le drame et le genre 6pique qui travaillaient avec des figures. L'Iphig6nie, l 'Egmont e t l e Tasse de Goethe se meuvent tous

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suivant le principe de cette noble simplicit6 et de cette tranquille grandeur, avec la dignit6 d'une statue. Les figures principales des drames n6o-classiques de Schiller ont, aussi, bien des traits plastiques. La morne dignit6 de Wallenstein dans l'atmosph6re d'une guerre sanglante, le calme plein de simplicit6 et de grandeur de Wilhelm Tell, peuvent se ramener toujours au principe de Winckelmann. Dans les h6ros fervents d'Alfieri, on retrouve 6galement la grandeur sublime des statues classiques, et dans le dernier grand fragment de po6sie de Foscolo, Le Grazie, le calme doux des statues grecques. Apropos de Goethe, c'est un chercheur allemand longtemps oubli6 (Carl Steinweg: Goethes Seelendramen und ihre franz6sischen Voriagen) qui a apergu, d6j~t en 1912, le caract~re de statue des h~ros drama- tiques, seulement il n 'a pas pens6 ~t la source de cette caract6- ristique, ~t Winckelmann. Walter Binni, au contraire, dans l'ouvrage important que nous venons de mentionner, voit dans tout le courant 6motionaliste une tendance vers la musique, puisque c'est la musique qui est la plus apte ~ exprimer 1'~ in- effabile ~), tandis qu'il d~signe l'art figuratif eomme module du n~o-classicisme: le n6o-classicisme ~ adegua la sua poesia alia linearith, al disegno ~. (p. 90.) Ici il me vient h l'esprit une sc~ne du voyage d'Italie de Goethe, o~, ~ Bologne, devant l'image de Sainte-Agathe de Raffaello, il se promet de ne mettre aucun propos dans la bouche d'Iphig6nie que la sainte de cette peinture admirable ne pourrait prononcer (le 19 octobre 1786). L'inspi- ration venant des beaux arts, l'affinit~ avee la beaut6 visible peuvent ~tre remarqu6es m~me dans la m6thode int~rieure des oeuvres litt6raires n6o-classiques.

b) Le n6o-classicisme ne va pas seulement de pair avec l'6mo- tionalisme, mais la plupart des po&es n6o-classiques ont eu leur p6riode 6motionaliste, ont donn6 des oeuvres 6motiona- listes. Goethe a 6crit ~ Le jeune Werther ~), Schiller ~ Les Brigands ~),. Foscolo son ~ Jacopo Ortis ~). Le ~ Faust ~) de Goethe, lui-m~me, qui, comme la Com6die de Dante, domine les cadres des courants litt6raires, et ne peut &re compris que comme la somme de toute une 6poque, a 6t6 congu dans le

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courant du Sturm und Drang. L'<< enchainement )> entre l'6mo- tionalisme, le romantisme et le n6o-classicisme est constant. C'est pourquoi Fun des 616ments permanents du n6o-classicisme est, n6cessairement, le << refr~nement )), la r6pression des passions, et cela est plut6t/ t souligner que le principe m6thodique de la << mesure )>, qui caract6rise le classicisme en g6n6ral. Qu'il me soit permis de faire allusion ici/t un essai spirituel du philosophe Ernst Bloch, dans lequet, en caract6risant la p6riode n6o- classique de Schiller, figur6e par une statue solennelle de marbre blanc, il constatait qu'/t cette 6poque aussi une passion sans rivage jaillissait encore quelque fois en lui, et /t ces mo- ments le marbre froid s'est 6chauff6 et a rougi. Ces << contu- sions >) peuvent ~tre remarqu6es encore dans Le Grazie d'Ugo Foscolo, ce sont elles qui 6r le path6tique int6rieur de Ch6nier et qui donnent une tension romantique aux figures et aux paroles sublimes de H61derlin. La << mesure refr6n6e )> est Fun des traits qui s6pare la m6thode artistique du porte n6o- classique de celle de l'6motionaliste et du romantique.

c) Nous pouvons consid6rer /t juste titre comme << ligne de faite de partage des eaux )~ th6orique du n6o-classicisme et du romantisme, la dissertation de Schiller, achev6e en 1795, sur la po~sie naive et sentimentale. Avec ralliance d'id6es du nail et du sentimental, Schiller a d6fini, darts son essence, la diff6rence de ta m6thode cr6atrice du classicisme et du romantisme. Le po6te nail, c'est-/~-dire classicisant, imite la nature r6elle; le porte sentimental, au contraire, imite l'id~e qu'il s'est form6 de la r6alit6. Tandis que dans la po6sie naive-classique il n'y a que deux 616merits qui figurent: la nature et l'o~uvre, que le porte cr6e en imitant la nature, dans la po6sie sentimentale-roman- tique, un troisibme 616merit s'interpose, l'id6e, l'id6al. Les mani~res de sentir, Empfindungsweisen du pobte sentimental: la satire, l'616gie et l'idylle se forment d'aprbs la relation qui existe entre la nature, c'est-/t-dire la r6alit6, et entre l'id6al po6tique. Mais n'entrons pas dans l'analyse de cette question. Du point de vue historique, Fun des r6sultats essentiels de cette importante dissertation est que Schiller a justifi6, de la position

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esth6tique du n6o-classicisme, la justesse de !a m6thode poe- tique du romantisme.

Mais cela non pas sans r6serve. Les r6serves se rnanifestent quand Schiller, en analysant les trois mani6res de sentir fonda- mentales, met en comparaison l'id6al po6tique e t l a r6alit6. S'il a critiqu6 les romantiques, p. ex. Friedrich Schlegel ou Ludwig Tieck, c'est qu'ils se sont 61oign6s, ~t son avis, de la nature et qu'ils n 'ont pas donn6 ~ leur id6es de la nature une forme dis- ciplin6e. En bref, partant de sa base esth6tique n6o-classique, Schiller n'a donn6 libre voie qu'h telle variante du romantisme dont l'id6al reste li6 ~t la nature r6elle, ce qui signifie, en d'autres termes, qu'il a fair valoir le principe du ,,refr6nement", de la ~ mesure ~, m~me ~t l'int6rieur de la m6thode sentimentale- romantique. N6o-classicisme et romantisme ne pouvaient com- muniquer que sous cette restriction.

Je voudrais terminer cette chronique sur une allusion ~t la signification humaine de la ~ rnesure ~), signification donn6e par l'art classique antique et moderne. Ce n'est qu 'h l'int6rieur du (~ refr~nement ~r, de la ~ mesure ~) que l'art classique et le roman- tisme pouvaient avoir un point commun, et c'est la raison pour laquelle tous deux ne pouvaient ~tre compris que dans une notion sup6rieure, dans celle de l'humanit6. L'esth6tique classi- que et n6o-classique a fix6 un but supreme h tousles arts: celui d'exprimer l'humanit6 la plus compl6te. Et il est concevable qu'elle ait ainsi d&ermin6, pour tous les temps, le devoir de toute po6sie.