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Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
1
Quels éléments faut-il pour créer
un canular médiatique ?
COSSON Isabelle, FAVILLIER Adrien, RAKOTONARIVO Cilla
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
2
Introduction :
L’information est un des flux constitutif du monde actuel. Elle détermine à travers son
interprétation par l’individu un avis, un point de vue sur le sujet qu'elles portent. Elle définit notre
vision du monde.
Les informations sont recueillies puis diffusées par les journalistes ou, plus généralement, par
les médias (journaux, télévision, magazines, radio, internet,…). L’information relayée par les médias a
un impact assez remarquable sur la population à l’heure actuelle. Cette information peut être fausse ou
biaisée, volontairement ou involontairement. Lorsque une information, une nouvelle, volontairement
fausse est introduite dans le monde de la communication dans le but d’abuser la population, on parle
de canular.
Devant la quantité d’information déversée en permanence par les différents médias, il est
difficile de toujours faire la part entre le plutôt vrai et le plutôt faux. Nous pensons que, dans un soucis
de prévention intellectuelle, il est important de comprendre le fonctionnement du monde de la
communication. Nous en avons tenté une approche, par le biais des canulars médiatiques, en nous
interrogeant sur les éléments nécessaires à la conception d’un canular médiatique.
Nous avons donc commencé par définir et analyser différents canulars médiatiques, pour leur
trouver des points communs. Nous avons alors émis l’hypothèse qu’une conjonction d’éléments
particuliers suffisait à la création d’un canular médiatique ; ce que nous avons d’emblée testé avec la
conception de notre propre canular.
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
3
Sommaire
Sommaire .......................................................................................................................................... 3
I. Définition et analyse du canular médiatique ................................................................................. 4
1. Définition .................................................................................................................................. 4
2. Exemples de canular ................................................................................................................. 5
3. Les traits communs ................................................................................................................... 9
II. Étude des médias ........................................................................................................................ 10
1. Analyse de la structure de l'information ................................................................................ 10
2. Les effets zététiques mis en jeu .............................................................................................. 14
III. La création d'un canular ............................................................................................................. 16
1. Mise en place du protocole .................................................................................................... 16
A. Nos postulats ...................................................................................................................... 16
B. Mode opératoire ................................................................................................................. 16
2. Résultats et analyse ................................................................................................................. 18
Conclusion ...................................................................................................................................... 19
Tables des figures ........................................................................................................................... 20
Bibliographie/Sitographie ............................................................................................................... 20
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I. Définition et analyse du canular médiatique
1. Définition
Il existe plusieurs définitions du terme canular, nous retiendrons les deux suivantes :
"Canular : nom masculin (de canuler) : Familier. Action, propos qui a pour but d'abuser de la
crédulité de quelqu'un ; mystification, fausse nouvelle, farce."1
" Un canular est une mystification perpétrée dans l'intention de tromper ou de faire réagir celui
qui en est la cible. Sa forme peut être une fausse nouvelle, une farce, une blague.”2
Les médias, abréviation de “médias de masse” se définissent comme :
“Procédé permettant la diffusion ou la communication d‟oeuvres, de documents ou de messages
sonores ou audiovisuels”3
“Les médias de masse que l‟on peut distinguer aujourd‟hui sont : la télévision […], la radio […],
certains canaux de distribution du cinéma […], la presse écrite (journaux et magazines), la bande
dessinée, les CD et DVD, l‟affichage, le web […].4
Nous retiendrons, comme définition de canular médiatique, la définition suivante :
" Une action ou une information, créée de toute pièce, dans l'intention de
tromper, d'abuser de la crédulité, voire, de désinformer une personne ou une masse de
personnes, et d'être diffusée par tous les moyens d'informations et de communications."
1 D'après le Larousse de la langue française. 2 D’après la page Wikipedia « Canular », au 06/10/2010 3 D’après le Larousse de la langue française 4 D’après la page wikipédia “Médias de masse”, au 12/10/2010
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2. Exemples de canular
On peut recenser plusieurs canulars ayant eu un impact médiatique important, c'est à dire ayant été
diffusé largement par les médias et à avoir laissé une trace historique.
En voici quelques uns :
- Orson Welles et son interprétation radiophonique de la Guerre des Mondes de H.
G.Wells, en 1938 :
Document 1 : issu de Mediamorphose, chapitre Le Canular Médiatique, p.50, par André Gatolin.
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6
- Les Yes Men et Bhopal, sur la BBC en 2004
Document 2 : issu de Mediamorphose, chapitre Le Canular Médiatique, p.51, par André Gatolin.
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7
- Le Monoxyde de dihydrogène : Le DHMO, ou le DiHydrogen MonOxyde, en français le Monoxyde de Dihydrogène (H2O), est une
substance qui a soulevé la polémique en 1997. Il s’agit d’un canular récurrent, rendu populaire par un
étudiant, Nathan Zohner, qui a fait tourner une pétition pour interdire cette substance, à travers le
groupe “Alerte environnement”.
Document 3 : Les dangers du DHMO. Version Française.5
A ceux-ci on peut ajouter les effets suivant :
cause la mort en cas de surconsommation,
génère sous sa forme solide des accidents
dû au déséquilibres, produit tellement
puissant que son passage de la forme
liquide à la forme solide peut fendre la
pierre, etc.
Ce canular fait ressortir l’influence du
jargon scientifique sur la crédulité du
public.
Document 4 : Pétition online pour interdire le DHMO
6
5 www.dhmo.org 6 http://www.petitiononline.com/bandhmo
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8
- L'Affaire "Bintou/Le Point" :
Document 5 & 6 : Couverture de Le Point et l'article au cœur de l'Affaire Bintou/Le Point.
L'Affaire Bintou/Le
Point est très récente,
elle date du 1er octobre
2010, et fait suite à
l'article parut dans Le
Point : Ce qu'on n'ose
pas dire. L’article
s’appelle : “Un mari,
trois épouses”, pages 57
et 58. L'article en
question porte sur la
condition des femmes
subissant la polygamie
en France. En voici un
extrait :
Document 7, 8 et 9 : Extrait de : Le Point, n°1895, page 58.
Bintou est une femme dont le mari
est polygame et qui à 8 enfants, lors d'une interview en personne, retranscrit dans l'article, elle
témoigne de sa condition. Mais il se trouve que cette fameuse Bintou n'est autre qu'un certain Abdel,
qui, au téléphone, a piégé le journaliste. Ce dernier a été victime d'un canular, qui a démontré plusieurs
faits dont la fabrication de substances connexe au sujet comme l'interview et la description de la
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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personne, et, plus généralement, de l'information. On peut retrouver le témoignage d'Abdel sur le site
internet suivant :
Arrêt sur Image, 'Polygamie : le Point en flagrant délit de bidonnage La "femme du polygame" s'appelait Abdel !'
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3410
3. Les traits communs
On peut remarquer que les canulars médiatiques possèdent plusieurs points communs :
- L'information à la base du canular est fabriquée de "A à Z" : l'information est fabriquée,
conditionnée pour qu'elle soit facilement retenue et assimilée par les cibles visées, c'est à dire, que tout
le monde peut y croire, dans la mesure où il n'a pas une connaissance approfondie du domaine sur
lequel porte le canular.
- Tous les canulars reposent sur un/des fait(s) et/ou une/des donnée(s) dont la provenance est
reconnue par la public comme fiable. Par exemple, le canular des Yes Men repose sur la catastrophe de
Bhopal. De même, le canular du DHMO repose sur des données pseudo-scientifiques et un jargon
scientifique vulgarisé. Ces faits et/ou données donne de la crédibilité au canular. On peut rapprocher
cette remarque de l'effet zététique de la "Blouse Blanche".
- Tous les canulars sont simples, ou sont rendus simples. Plus une information est complexe,
c’est-à dire nécessitant des connaissances précises et un jargon précis, plus elle cible un public
restreint. L'objectif du canular est de faire qu'une majorité de la population s'intéresse à l'information à
la base du canular. C'est pourquoi toute information de base est généralisée, simplifiée au maximum ;
elle est rendue “assimilable”. De plus, la simplification de l'information peut améliorer la
vraisemblance du canular.
- Le jeu sur "l'effet impact" : les canulars usent beaucoup de l'effet impact. On cherche à
choquer, à mobiliser l'intérêt du public. Pour cela les concepteurs des canulars vont arranger leur
information pour leur donner une signification simple et choquante. Par exemple, l'utilisation de
l'explosion de l'usine chimique à Bhopal. Dans la conscience collective, cela rappelle les 3500 morts
directes et les 20 000 morts indirectes et la responsabilité de l'entreprise gérant le site. Les Yes Men
l’utilise pour sensibiliser et mobiliser l'intérêt de la population à l'information qu'ils délivrent.
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II. Étude des médias
1. Analyse de la structure de l'information
L'information est la base même du canular, c'est de sa structure dont va dépendre majoritairement
le succès ou l'échec du canular et de sa transmission. Pour cela, plaçons-nous dans la peau d'un
journaliste.
Le fait brut est à la base de l'information. Le choix de l’évènement et son traitement est la conséquence
de plusieures variables.
La première variable est le public visé par le média, ce dernier changeant en fonction de
l'importance du média. En effet, on peut distinguer trois types de média s'alliant avec les trois types
d'informations associées :
- Les "macro-médias", des médias à grandes échelle : nationaux, internationaux, qui traitent des
informations générales.
Document 10 & 11 : Le Monde et Le point deux
journaux d'envergure nationale, voire internationale.
- Les "méso-médias", des médias régionaux, interrégionaux, qui traitent d'informations
régionales.
Document 12 : Le Dauphiné Libéré, un journal d'envergure
interrégional.
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- Les "micro-médias", les médias d'échelle locale, qui
traitent d'informations qui n'intéresseront que les
personnes vivant près du fait de base.
Document 13 : GREnews, un journal grenoblois.
Le type d’information délivrée dans le média est en corrélation avec la taille du journal. Un
média local parlera avant tout des évènements locaux.
Le type d’information est également en lien avec l’objectif, la spécialisation du média : ces
objectifs sont le plus souvent idéologiques (croyances, opinions, convictions,…), et mercantiles.
Chaque média étant un compromis entre les deux : il faut en effet vendre, donc faire du scoop, de
l’évènementiel ; ce qui n’empêche absolument pas les journalistes d’avoir un bord politique, des
convictions, etc.
La deuxième variable traite du choix de l’information par le journaliste. Les médias de
masse font partie intégrante du monde de la communication. On s’apercevra que tous les journaux
papiers, les journaux télévisés, les informations radiophoniques traitent la plupart du temps du même
sujet, en même temps, et d’une façon sensiblement identique. «Le système de la presse ne vit pas dans
“la pensée unique” mais dans un monde unique, où tous s’accordent à trouver tel évènement digne
d’intérêt et tel autre négligeable.»7 Florence Aubenas poursuit en disant : «Dans ses périples, le
journaliste va ainsi chercher et trouver ce qui l’intéresse, ce qu’il considère, lui, comme fondamental.
Son obcession principale va être de trouver l’élément ou la somme d’éléments qui explique le tout, qui
représente la situation. […] Les journalistes s’efforcent bien d’informer objectivement, mais ils le font
sur ce qu’ils croient subjectivement être important.»8 Les journalistes, dans les sociétés développées,
ne sont pas sous pression et ne sont pas victimes censure, et se révolteraient de l’être. Cependant, ils
tendent à reproduire l’idéologie dominante en vigueur dans le pays, en occultant certains évènements
et en faisant ressortir d’autres. C’est un poids extrêmement important dans le choix de l’information
par le journaliste, et une demande à laquelle chaque individu est capable de répondre. C’est-à dire que
quiconque aura besoin de se faire de la publicité (association, manifestation culturelle, entreprise,…)
saura de quelle manière attirer les journalistes et comment leur parler pour faire passer le message
stéréotypé qu’ils veulent entendre. «Dans les sociétés démocratiques, la ligne [à suivre] est comme
l’air qu’on respire, elle est sous-entendue, elle est sous-tendue, elle donne du coup l’impression qu’il y
a un débat très vigoureux. C’est très efficace et ça marche beaucoup mieux que dans les systèmes
totalitaires.»9 Les médias reproduisent cette ligne à suivre, l’idéologie dominante, de manière
inconsciente, et choisissent leurs informations en fonction.10
La troisième variable concerne les centres d’intérêt du public visé. L’information doit être
en lien avec les mœurs, l'histoire ou l'actualité de la région en question ; personne à Paris ne
7 AUBENAS (F), BENASAYAG (M), La fabrication de l‟information ; les journalistes et l‟idéologie de la
communication, page 14 8 Idem, page 37 9 CHOMSKY (N), dans une interview donnée par Daniel Mermet et Olivier Azam ; reportage « Chomsky et
compagnie » avec Chomsky, Baillargeon et Bricmont ; 2008 10 CHOMSKY (N), La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie., 1988. Chomsky
développe par ailleurs dans ce livre cinq filtres de son « modèle de propagande » : les caractéristiques économiques des
médias (taille, actionnariat, orientation lucrative), la régulation par la publicité, les « contre-feux » et les moyens de pression,
la nature des sources d’information (experts désignés par l’Etat) et l’idéologie dominante.
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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s'intéresserait aux cheptels de brebis foudroyé dans la Chartreuse, puisque aucun parisien ne porte
d’intérêt à l'information délivrée. Au contraire l'information intéressera les bergers de Chartreuse, ainsi
que toutes les personnes proches du fait. Si les faits sont locaux, seules les personnes proches de cette
localisation peuvent s'intéresser à un fait qualifié comme divers. Les faits "majeur" impliquant la mort
de plusieurs personnes sont des exceptions à cette règle, car, par leur nature choquante et
"inhabituelle", elles vont intéresser le public.
Cette "règle de l'information localisée" tient également compte de la culture et du patrimoine
historique du public visé. Par exemple, les loups dans les Alpes sont honnis depuis longtemps par les
autochtones puisqu’ils sont assimilés à des pertes dans les élevages. Aujourd'hui, le loup fait parti du
folklore alpin. Un fait concernant les loups attirera le public alpin qui se sentira concerné par la
menace.
La quatrième variable concerne le traitement de l’information.
Un fait seul ne peut pas être à la base d'une information. S'il est exceptionnel, le public visé peut
remettre en doute sa valeur, sa véracité. C'est pourquoi le fait est presque toujours accompagné d'un
témoignage et/ou de données provenant d'une source considérée comme fiable.
- Le témoignage soutient le fait, généralement simple, compréhensible ; il résume très
vaguement le fait. On peut noter que le témoignage n'est jamais pris dans sa totalité. Cette pratique
peut mener à des dérives comme la reconstruction d'un discours lui faisant dire autre chose que son
sens initial (volontairement ou non). De plus, le témoin est désigné de façon simple, il est catégorisé ;
de façon à ce que le public s'attende au discours du témoin. Pour reprendre l'exemple des moutons
foudroyés en Chartreuse, le témoignage sera celui de l'agriculteur victime, on peut alors s'attendre à un
discours portant sur la disparition de son fond de commerce et de son capital, ainsi que sur les
difficultés financières auxquels il va devoir faire face.
- Les données scientifiques sont un appui majeur pour crédibiliser un fait. Les statistiques ou
autres données mathématiques et scientifiques, ne sont pas toujours abordables et compréhensibles ; et
ne sont jamais suffisament simples pour être expliquées dans le peu de temps/de place qui leur sont
imparties. Ces données sont donc la plupart du temps généralisée et simplifiées à l’extrême. Les
chiffres ainsi simplifiés donnent une tendance qui permet au lecteur d'adopter un point de vue sur le sujet concerné, et généralement le point de vue du concepteur de l'information. Deux journaux, dont le
point de vue diverge, peuvent présenter le même fait, potentiellement la même information, mais avec
deux conclusions différentes selon l'interprétation des données scientifiques. Par exemple, lors
d'élections : l'information, les élections et leur déroulement, sera développé par tous les journaux, mais
les tendances en conclusion de chacun des articles dépendra du point de vue et de l'interprétation
adopté par le journal. Les données scientifiques sont modulable, modifiable, interprétable, on peut leur
faire dire ce que l'on veut. On pourrait relier ce besoin de données scientifiques à l'effet blouse
blanche.
La cinquième variable concerne la réception de l’information. Le sens commun, ou la
perception normalisée, est un des facteurs-clefs de la réussite d'une information auprès du public. Le
sens commun est défini par Florence Aubenas et Miguel Benasayag, dans “La fabrication de
l'information : Les journalistes et l'idéologie de la communication” :
«Tout esprit un peu critique se méfiera toujours de ce que les autres pensent ou de ce qu'il pense
lui-même. Il sait que, demain, il peut changer d'avis. Dans la nature, les opinions n'existent pas en soi,
comme les orangs-outangs ou les bananes. Un point de vue est une chose. Un orang-outang, une autre.
Si quelqu'un a un point de vue critique sur un orang-outang, il est toujours possible d'en contester le
bien-fondé. En revanche, s'il vomit chaque fois qu'il en voit un, nous sommes sur cette terre solide du
vécu. Nous avons toujours tendance à croire que les pensées sont “construites”, mais que la perception
existerait en soi. Le vécu aura toujours cette saveur de vrai et nous restons convaincus que ce que nous
ressentons ne nous trompe pas. Voilà justement où nous nous méprenons.
Nous vivons au centre d'un univers où la culture s'est faite chair de notre chair et orchestre une
batterie d'automatismes, d'arc-réflexes en vertu desquels l'écœurement, l'émotion ou l'étonnement se
déclenchent en nous lors- qu'ils sont programmés pour l'être. Chaque époque et chaque société
façonnent ainsi ses perceptions normalisées qui s'incarnent en chacun de ses habitants. Si nous sentons
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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une énorme décharge d'adrénaline devant un geste de violence contre un prisonnier, ce n'est pas parce
que nous sommes supérieurs à ceux qui payaient cher pour assister aux exécutions capitales. Les
réactions physiologiques ont changé, construites par l'évolution des idées, des luttes, des droits. La
perception normalisée fabrique ce véritable sixième sens dans lequel nous vivons tous, et depuis
toujours, le sens commun.»
«Dans un sens comme dans l'autre, nous connaissons tous ces “mécanismes communicants” qui
nous permettent de savoir ce qu'un article va contenir, en voyant son titre, la photo qui l'illustre et le
journal qui le publie. Même s'il s'en plaint, le lecteur est pourtant généralement le premier à renâcler
devant une information qui ne serait pas “formatée”. Et la presse se condamnerait à l'auto-
marginalisation si elle renonçait à la forme communicationnelle.»11
La dernière variable traite de la possible critique des médias par le public. L'information
doit rester vraisemblable. Elle doit rester dans le domaine de l'explicable, du probable. L'imaginaire ne
doit pas être dépassé. C'est dans ce point là que prend toute l'importance du témoignage et des données
scientifiques, avec toutes les données fournies autour du fait, le public doit vivre l'information, le vécu
ne fera plus douter sur la véracité de l'information, mais, celle-ci doit restée critiquable, contestable.
La possibilité de critiquer une information efface l'effet "prémâché", attenue l'impression de prise de
position, justifie le caractère objectif des médias.
11D'après La Fabrication de l'information : Les journalistes et l'idéologie de la communication de F.Aubenas et
M.Benasayag.
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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2. Les effets zététiques mis en jeu
Les médias jouent beaucoup sur différents effets zététiques afin de rendre leur article plus
attrayant, de modeler l'article de façon à acquérir de facto le point de vue que veut entendre le public,
voire de fabriquer l'opinion publique.
- La multiacception : l'effet paillasson et sa variante Vieux paillasson sont :
“Une acception est une nuance sémantique d'un mot, suivant ses conditions d'emploi ou
d'interprétation. Nous parlons de multiacception lorsqu‟un terme présente plusieurs interprétations
possibles, et d‟équivoque lorsque deux ou plusieurs sens d‟un terme se chevauchent, et que rien dans
le contexte ne permet d‟indiquer quelle acception est utilisée dans le contexte en question. En ce sens,
l‟équivoque, du au recouvrement des divers sens, est une conséquence possible de la multiacception.
[...]”
« [L'Effet Paillasson] consiste à désigner une chose ou un objet par un mot qui se rapporte à
autre chose ; il permet de tirer des implications sans aucune commune mesure avec celles que l'on
serait en droit de tirer ; cet effet est assez répandu dans la vie de tous les jours et c‟est ce qui le rend
si opérant. »12
Effet vieux paillasson : essuyez vos arpions
Ce glissement sémantique consacre les recouvrements d‟acception entre le sens historique et le sens
actuel d‟un mot. Certains mots subissent des glissements sémantiques au cours de leur histoire, et
occasionnent des équivoques quant au sens à leur prêter. Ces glissements peuvent se faire du sens
actuel vers un (ou des) sens plus ancien(s), ou inversement. 13
- L'effet Impact, défini par Richard Monvoisin14
« “Après l‟importance du choix des mots dont l‟effet Paillasson est une illustration concrète, il
faut, lorsque les mots choisis semblent corrects, tenir compte du poids des mots, c'est-à-dire de leurs
possibles connotations, de leur impact réel. Dans le domaine du „paranormal‟, la connotation des
mots est très souvent utilisée, inconsciemment ou non, pour induire une idée quelque peu différente de
celle qu‟ils prétendent représenter” (Broch 1989,...). L'effet Impact consiste à utiliser la connotation,
le poids des mots pour induire une idée peu ou prou différente de celle que les mots prétendent
représenter, même lorsqu‟il n‟y a pas d‟effet paillasson (...). C‟est jouer sur l‟écart entre connotation
et dénotation, sachant que, comme le rappelle Baillargeon, deux mots peuvent dénoter la même chose
mais avoir des connotations différentes, positives ou négatives selon les cas (...). Cet effet Impact se
renforce encore lorsqu‟un registre lexical complet est développé (pensons à la « traque » du boson de
Higgs, par exemple appelée aussi « particule de Dieu »), à tel point que, comme l‟écrit Blociszewski
(1993), “le lien logique entre le produit et le message n‟a cessé de faiblir”. Nous avons très
sommairement discerné quatre manières d‟accentuer l‟impact produit par un mot ou un syntagme. »15
- Plurium interrogationum et faux dilemne:
«Nous avons hésité à présenter une catégorie “accentuation linguistique” , car il nous
semblait difficile de regrouper sous un même chapeau des procédés divers. Néanmoins, la stratégie est
souvent la même, alors nous prenons le risque de désigner ainsi les cas où la forme de la question,
l‟ajout de certains adverbes ou certaines formes passives, ou le simple ajout d‟un adverbe ou mot
grossi dans le titre confèrent à la phrase un sens plus fermé, et donc manipule la compréhension.
12 D'après Richard Monvoisin, dans Pour une didactique de l‟esprit critique : Zététique & utilisation des interstices pseudo-
scientifiques dans les médias, pages 136, 137, 138 et 143.
9 idem, page 143 14 idem, page 162 15 idem, page 163
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
15
L‟exemple du capitaine sobre est le plus connu : “Le capitaine était sobre aujourd‟hui”
signifie, par une emphase, que le capitaine est coutumièrement ivre. […]
Lorsque le titre est une question ambiguë, on parle de Plurium Interrogationum, dont l‟une
des conséquences ou des sources est bien souvent le faux dilemme. Le faux dilemme, que l‟on appelle
aussi fausse dichotomie est un raisonnement fallacieux consistant à présenter deux conclusions à un
problème donné, comme si elles étaient les deux seules options à ce problème. L'erreur ou la
manipulation se situe dans une mise en contradiction factice des alternatives qui n'a pas lieu d'être.
Lorsque le faux dilemme n'est pas repéré, le piège se referme alors avec la manière de sélectionner
l'une des deux alternatives.
Exemple trivial de plurium interrogationum :”Avez vous arrêté de frapper votre femme ?”
Si vous n'avez pas d'épouse, ou que vous ne l'avez jamais frappée, la réponse “oui” est
erronée car elle implique que vous avez une femme et que vous aviez l'habitude de la frapper. La
réponse “non” est pire car elle sous entend que vous avez une femme et que vous continuez à la
frapper.»16
16 D'après Richard Monvoisin, dans Pour une didactique de l‟esprit critique : Zététique & utilisation des interstices
pseudo-scientifiques dans les médias, pages 176 et 177.
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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III. La création d'un canular
1. Mise en place du protocole
A. Nos postulats
Nous supposons que la conjonction des conditions suivantes suffisent à créer un canular médiatique.
1) L’information fausse, si elle est locale, doit se rattacher au quotidient des habitants et faire
partie d’un imaginaire collectif de la population visée. Cela en référence à la troisième
variable définie plus haut, qui est celle des centres d’intérêt de la population. On remarque par
exemple que pour le canular du DHMO, l’information se base sur une peur hygiénique
collective de la substance dangereuse dans tel ou tel produit. Pour les Yes Men, elle se base
sur l’image générique du PDG ultra-libéral : cela ne choque pas. Pour qu’un canular marche, il
faut qu’il s’inscrive dans le cadre des lieux communs de la population visée.
2) L’information doit être intéressante pour les médias locaux, donc vendeuse : originale, dans
l’air du temps ; on doit pouvoir scénariser dessus. Les médias recherchent avant tout le scoop,
l’article qui fera vendre. L’information doit bien “s’intégrer” dans le monde de la
communication.
3) L’information doit provenir de plusieurs sources différentes : informatique (blogs, réseaux
sociaux, wikipedia,…), visuelle (panneaux d’affichage, tags, choses insolites remarquables),
rumeurs et témoins (“la nuit dernière j’ai entendu…” ; “le voisin de mon cousin s’est plaint
de…” ; …). L’idée de départ est que si toute l’information ne provient que d’une seule source,
il est aisé de la contester, il devient donc trop facile de deviner qu’il s’agit d’un canular.
4) L’information fausse doit être donnée au compte-goutte, et s’étaler dans le temps. On ne doit
pas tout savoir d’un coup, auquel cas l’information paraitrait trop suspecte. Pour la même
raison que le postulat 3, il faut laisser le temps à la population d’assimiler les différents indices
menant à une conclusion prémâchée.
Ces quatre conditions, selon l’analyse que nous avons faite précédement, devraient suffire à créer
un canular.
B. Mode opératoire
Nous avons choisi de tester la théorie ci-dessus en créant un canular local. Local dans le sens où il
ne vise que les journalistes locaux. L’objectif est de réussir à faire tourner suffisament une rumeur,
pour que les médias en parlent. Pour répondre aux quatre conditions exposées ci-dessus, nous avons
choisi l’information suivante : “Il y a un ou plusieurs loups à la Bastille de Grenoble”.
1. Il s’agit d’une information locale, qui se rattache au fait que quelques loups font régulièrement
scandale dans les Alpes ; la Chartreuse nord étant touchée par ce phénomène. Cette
information se rapporte à un imaginaire collectif autour du mythe du loup.
2. L’information est vendeuse : il est facile de faire un scoop sur “le grand retour du loup”, ou sur
les problèmes avec les éleveurs ; il est encore plus facile de scénariser dessus (“réinsertion
naturelle ou volontaire ?”)
3. Nous voulons, dans la mise en oeuvre, lancer une rumeur sous différentes formes (sonores,
tracts, pages internet)
4. Nous voulons également amener les “indices” progressivement.
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17
Calendrier :
Période d’étude : du 08/11/2010 au 13/12/2010
Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche
08/11 :
Début de la
période
d’étude
09/11 10/11 :
Lancement
du blog
11/11 :
Première
montée à la
Bastille
12/11 13/11 14/11 :
Lancement
de la page
15/11
16/11 :
Complément
d’info. sur
wikipédia
17/11 18/11
19/11 :
Deuxième
montée à la
Bastille
20/11 21/11 :
Collage de
tracts
22/11
23/11 24/11 : Collage de
tracts
25/11 26/11 27/11 :
Troisième
montée à la
Bastille
28/11
29/11
30/11 :
Lancement
du groupe
01/12 02/12 :
Quatrième
montée à la
Bastille
03/12 04/12 05/12 :
Collage de
tracts
06/12
07/12 :
Cinquième
montée à la
Bastille
08/12 09/12 10/12 11/12 12/12
13/12 :
Fin de la
période
d’étude
1. Le lancement de la rumeur : nous comptons surtout sur les bruits de loup. “Montée à la Bastille” :
nous nous dirigeons par groupe de 3 ou 4 en direction de la Bastille le soir vers 18h00 -18h30 (il fait
nuit), avec du matériel accoustique pour passer un CD de hurlements de loup (les hurlements sont
variés et alternés). On s’arrête à peu près ½ heure à chaque endroits choisis pour passer ces
hurlements. Deux endroits sont choisis : un sur le chemin qui monte à la Bastille, un peu en retrait; et
un juste à côté de la résidence étudiante du Rabot. Les tracts sont la deuxième façon choisie de lancer
la rumeur ; voici ci-dessous un exemple de tract :
“Sauvons le loup de la Bastille” est une expression qui constitue un
plurium interrogationum, qui suppose d’entrée de jeu qu’il y a un loup
à la Bastille. Le loup avec une fleur dans la bouche et le groupement à
l’origine du tract (Comité de soutien du loup en Chartreuse) ne font
aucun doute quant à l’organisme qui aurait posé les tracts : des écolos.
“IPNS” (Imprimé Par Nos Soins) est une mention qui est régulièrement
apposé sur les tracts et affiches amateurs, bien qu’absolument inutile.
Le tract est imprimé en vert. Ils sont déposés en priorité à des endroits
définis à l’avance : l’arrêt Alsace Lorraine, les abords de la Bastille et
du Rabot, le jardin de ville, Hubert Dubedoux, Chavant et le campus.
2. Une base de donnée internet à laquelle toute personne désireuse de se
renseigner après avoir eu vent de la rumeur pourra accéder. Pour cela :
ajout d’informations sur wikipedia (vraies) qui traitent de la
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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réapparition naturelle du loup dans les Alpes ; lancement d’un blog (chartreuseverte.wordpress.com),
bien référencé, qui parle de la Chartreuse, avec un article en particulier sur les/le loup qui aurait été
observé près de la Bastille ; lancement d’une page facebook (Alain Baurrell), puis d’un groupe
facebook ciblant les grenoblois (“si 1000 personnes adhèrent à ce groupe, je traverse l’Isère à la nage”)
et mise en place d’un lien vers le site “[email protected]”.
3. Résultat attendu : pour savoir si le canular marche, on surveillera les journaux locaux : Grenoble et
moi, Grenews, 20minutes et le Dauphiné Libéré. Si l’information “il y a/aurait un ou plusieurs loup(s)
à la Bastille” apparait dans un article d’un de ces journaux durant la période d’étude sans qu’il soit dit
explicitement qu’il s’agit d’un canular, l’expérience sera considérée comme concluante.
2. Résultats et analyse
Critique du protocole et de sa mise en oeuvre :
En ce qui concerne la mise en oeuvre du protocole, plusieurs paramètres n’ont pas été respectés :
- Les deux premières montées à la Bastille ont été effectuées, mais faute de matériel adéquat, ne
sont pas considérées comme concluantes et les montées suivantes ont été annulées.
- Le timing des autres actions a été respecté jusqu’au 30/11 ; la période d’étude est toujours en
cours.
Nous acceptons les critiques sur le protocole en lui-même pour pouvoir l’améliorer et tenter une/des
autre(s) expérience(s) qui pourrait vérifier les postulats posés.
Nous avons également rencontré d’autres problèmes de mise en oeuvre : le manque de matériel
adéquat, le manque de personnes impliquées (le nombre de 3 personnes seulement n’étant pas
suffisant) et le manque de temps.
Résultat :
La période d’étude est toujours en cours ; et certains paramètres n’ont pas été respectés. L’expérience
n’est donc probablement pas probante.
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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Conclusion
Les différents canulars analysés nous ont permis de dégager des traits communs à ces canulars.
L’analyse structurelle des médias et de l’information nous montre que l’information découle de
plusieurs facteurs : le public visé par le média, les choix du journalistes, les centres d’intérêt du public
(ces deux derniers étant très liés), le traitement de l’information, la réception de l’information par le
public, et la possibilité de critiquer les médias. Cette étude nous permet de supposer qu’une
association d’éléments particuliers suffisent à créer un canular médiatique ; nous avons donc tenté de
créer notre propre canular à partir des postulats établis. Suite à des défauts de mise en oeuvre, nous ne
pouvons pas conclure sur ces postulats.
Cependant, l’étude théorique menée précédement nous incite à nous poser des questions sur la portée
actuelle des canulars médiatiques dans la population, sur leurs limites, et sur les intérêts de ceux qui
les crééent.
Dossier UET : Zététique et autodéfense intellectuelle.
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Tables des figures
Document 1 : issu de Mediamorphose, chapitre Le Canular Médiatique, p.50, par André Gatolin. 5 Document 2 : issu de Mediamorphose, chapitre Le Canular Médiatique, p.51, par André Gatolin. 6 Document 3 : Les dangers du DHMO. Version Française. ................................................................ 7 Document 4 : Pétition online pour interdire le DHMO……………………………………………………………….. 7 Document 5 & 6 : Couverture de Le Point et l'article au cœur de l'Affaire Bintou/Le Point. ........... 8 Document 7, 8 et 9 : Extrait de l'article Le Point……………………………………………………………………….... 8 Document 10 et 11 : Couvertures de Le Point et Le Monde…………………………………………….………… 10 Document 12 : Le Dauphiné Libéré……………………………………………………………………………………………. 10 Document 13 : Grenews, un journal grenoblois…………………………………………………………..…………… 11
Bibliographie/Sitographie
Fabrication de l'information : Les journalistes et l'idéologie de la communication, de Florence
Aubenas et Miguel Benasayag : http://www.scribd.com/doc/8387745/Florence-Aubenas-Miguel-
Benasayag-La-fabrication-de-linformation-#
Pour une didactique de l‟esprit critique : Zététique & utilisation des interstices pseudo-scientifiques
dans les médias, Richard Monvoisin
Zététique, médias et autodéfense intellectuelle, de Richard Monvoisin, Observatoire de Zététique :
http://www.zetetique.fr/index.php/dossiers/236-zetetique-medias-autodefense-intellectuelle#note3txt
Sciences politiques - TP Fabrique de l'information, affaire Le Point Bintou, de Richard Monvoisin,
CorteX : http://cortecs.org/exercices/101-fabrique-de-linformation-affaire-le-point-bintou%29
Arrêt sur Image, 'Polygamie : le Point en flagrant délit de bidonnage : La "femme de polygame"
s'appelait Abdel !' : http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3410
Articles wikipedia : Canular, Média, Médiatique
Larousse de la langue française : définition de canular ; médias
Mediamorphose, chapitre Le Canular Médiatique, par André Gatolin.
CHOMSKY (N), La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie., 1988
Reportage Chomsky et compagnie, de Daniel Mermet et Olivier Azam, avec Noam Chomsky,
Normand Baillargeon et Jean Bricmont, 2008