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Actualités 159 Qui est le plus douloureux : le cancer ou ses traitements ? What is the most painful: The cancer or its treatments? La prévalence du cancer augmente régulièrement et ses trai- tements sont de plus en plus efficaces : il est alors tout à fait logique de voir augmenter le nombre de patients gué- ris. L’auteur d’une revue de la littérature [1] publiée dans Pain les appelle les « survivants du cancer ». Ces patients sont susceptibles de développer des douleurs alors même que leur cancer a disparu, ce qui change la donne pour les cliniciens, qui ont plus l’habitude de rencontrer et de traiter des douleurs liées à la progression tumorale. Chirurgie, chi- miothérapie, radiothérapie, hormonothérapie : ces quatre piliers du traitement anticancéreux peuvent être à l’origine de douleurs chroniques d’origine iatrogène. L’auteur de cet article met en lumière quatre tableaux cliniques : les douleurs liées aux polyneuropathies chimio-induites (PNCI), qui sont de plus en plus fréquentes du fait d’une utilisation large de molécules neurotoxiques (sels de pla- tine, taxanes, alcaloïdes). La fréquence de ces douleurs neuropathiques distales (gants et chaussettes) dépend directement de la dose utilisée et de la durée de trai- tement, elle augmente également si plusieurs lignes chimiothérapie neurotoxique sont proposées. Problème : au-delà de ces facteurs de risques, la science ne connaît pas encore grand-chose en termes de PNCI : la physiopa- thologie reste incertaine, aucun médicament réellement neuroprotecteur n’a pu être développé et les traitements des douleurs neuropathiques n’ont au mieux qu’une effi- cacité limitée. Faut-il diminuer la dose, au risque de limiter l’effet antitumoral et donc d’une perte de chance pour le patient ? La question reste posée ; les douleurs liées aux réactions de type « greffon contre l’hôte » ou graft versus host en anglais. La greffe de cellules souches hématopoïétiques est en plein dévelop- pement pour les cancers hématologiques : cette greffe peut générer des réactions négatives du greffon contre son hôte, et ce de fac ¸on aiguë ou chronique. Il peut en résulter des douleurs d’origine cutanée (atrophies, ulcérations, contractures réflexes péri-articulaires) ou muqueuse, pour lesquelles aucune étude ne s’est réel- lement intéressée aux stratégies antalgiques ; les syndromes douloureux post-radiothérapie, qui sont essentiellement des douleurs neuropathiques d’origine plexique. Ces douleurs peuvent apparaître de fac ¸on très tardive, parfois 30 ans après traitement, et toucheraient 2 à 5 % des patients. Il s’agit essentiellement de plexo- pathies brachiales, après cancer du sein, du poumon ou après un lymphome. Séquelle ou récidive tumorale ? Des examens complémentaires (IRM ou PETScan) sont souvent nécessaires pour faire la part des choses ; cependant les douleurs liées à la radiothérapie touchent le plus souvent les racines hautes (C5 et C6), contrairement aux douleurs d’origine tumorale ; les arthralgies liées à l’hormonothérapie, touchant les mains, les coudes, les hanches, les genoux, les chevilles et le rachis. Ces arthralgies seraient présentes chez presque un patient sur deux après deux mois de traitement, ce qui représente une cause fréquente de non-observance. Là encore, la physiopathologie et la prise en charge de ces arthralgies restent mal connues. Il semble par ailleurs qu’une proportion de patients continue à décrire des dou- leurs après l’arrêt du traitement. Au total, l’auteur de cette revue détaille quatre syndromes douloureux chroniques iatrogènes qualifiés d’émergents, pour lesquels les connaissances actuelles res- tent limitées. Les taux de survie augmentant, les cliniciens doivent s’attendre à rencontrer de plus en plus de patients « survivants du cancer » présentant de tels syndromes. Du travail reste à faire pour que les séquelles douloureuses des traitements anticancéreux ne soient pas plus difficiles à vivre que le cancer lui-même... Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela- tion avec cet article. Référence [1] Paice JA. Chronic treatment-related pain in cancer survivors. Pain 2011;152:S84—9. Florentin Clère Consultation pluridisciplinaire de la douleur, centre hospitalier, 216, avenue de Verdun, 36000 Châteauroux, France Adresse e-mail : [email protected] doi:10.1016/j.douler.2011.04.002 La kétamine dans tous ses états... Ketamine: All-in-one? La kétamine, molécule bien connue pour ses propriétés antagonistes des récepteurs NMDA, fait l’objet de multiples publications dans la littérature internationale consacrée à la douleur. Toujours à la recherche de nouvelles solutions pour leurs patients, notamment les plus complexes, les cli- niciens du monde entier développent des protocoles où la kétamine tient une place prépondérante. Voici un aperc ¸u (non exhaustif) de la littérature récente, sous la forme d’un tour du monde : en Hollande, 60 patients porteurs d’un syndrome doulou- reux régional complexe (SDRC) de type 1 ont bénéficié d’une perfusion intraveineuse continue pendant quatre jours de suite soit de kétamine soit d’un placebo [1]. Les doses utilisées allaient de 5 mg/h (dose minimale) à 20 mg/h. Dans cette série, un effet antalgique était observé environ trois fois plus fréquemment avec la kéta- mine (67 % des patients) qu’avec le placebo (23 %). Cet effet antalgique durait en moyenne 50 jours ; en Corée, 103 patients présentant des douleurs neuropa- thiques sévères et réfractaires aux traitements habituels ont bénéficié d’une perfusion intraveineuse de 0,5 mg/kg

Qui est le plus douloureux : le cancer ou ses traitements ?

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Actualités

Qui est le plus douloureux : le cancer ouses traitements ?

What is the most painful: The cancer or itstreatments?

La prévalence du cancer augmente régulièrement et ses trai-tements sont de plus en plus efficaces : il est alors tout àfait logique de voir augmenter le nombre de patients gué-ris. L’auteur d’une revue de la littérature [1] publiée dansPain les appelle les « survivants du cancer ». Ces patientssont susceptibles de développer des douleurs alors mêmeque leur cancer a disparu, ce qui change la donne pour lescliniciens, qui ont plus l’habitude de rencontrer et de traiterdes douleurs liées à la progression tumorale. Chirurgie, chi-miothérapie, radiothérapie, hormonothérapie : ces quatrepiliers du traitement anticancéreux peuvent être à l’originede douleurs chroniques d’origine iatrogène. L’auteur de cetarticle met en lumière quatre tableaux cliniques :• les douleurs liées aux polyneuropathies chimio-induites

(PNCI), qui sont de plus en plus fréquentes du fait d’uneutilisation large de molécules neurotoxiques (sels de pla-tine, taxanes, alcaloïdes). La fréquence de ces douleursneuropathiques distales (gants et chaussettes) dépenddirectement de la dose utilisée et de la durée de trai-tement, elle augmente également si plusieurs ligneschimiothérapie neurotoxique sont proposées. Problème :au-delà de ces facteurs de risques, la science ne connaîtpas encore grand-chose en termes de PNCI : la physiopa-thologie reste incertaine, aucun médicament réellementneuroprotecteur n’a pu être développé et les traitementsdes douleurs neuropathiques n’ont au mieux qu’une effi-cacité limitée. Faut-il diminuer la dose, au risque delimiter l’effet antitumoral et donc d’une perte de chancepour le patient ? La question reste posée ;

• les douleurs liées aux réactions de type « greffon contrel’hôte » ou graft versus host en anglais. La greffe decellules souches hématopoïétiques est en plein dévelop-pement pour les cancers hématologiques : cette greffepeut générer des réactions négatives du greffon contreson hôte, et ce de facon aiguë ou chronique. Il peuten résulter des douleurs d’origine cutanée (atrophies,ulcérations, contractures réflexes péri-articulaires) oumuqueuse, pour lesquelles aucune étude ne s’est réel-lement intéressée aux stratégies antalgiques ;

• les syndromes douloureux post-radiothérapie, qui sontessentiellement des douleurs neuropathiques d’origineplexique. Ces douleurs peuvent apparaître de facon trèstardive, parfois 30 ans après traitement, et toucheraient2 à 5 % des patients. Il s’agit essentiellement de plexo-pathies brachiales, après cancer du sein, du poumon ouaprès un lymphome. Séquelle ou récidive tumorale ? Desexamens complémentaires (IRM ou PETScan) sont souventnécessaires pour faire la part des choses ; cependant lesdouleurs liées à la radiothérapie touchent le plus souventles racines hautes (C5 et C6), contrairement aux douleurs

d’origine tumorale ;

• les arthralgies liées à l’hormonothérapie, touchant lesmains, les coudes, les hanches, les genoux, les chevilles etle rachis. Ces arthralgies seraient présentes chez presque

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un patient sur deux après deux mois de traitement, cequi représente une cause fréquente de non-observance.Là encore, la physiopathologie et la prise en charge deces arthralgies restent mal connues. Il semble par ailleursqu’une proportion de patients continue à décrire des dou-leurs après l’arrêt du traitement.

Au total, l’auteur de cette revue détaille quatreyndromes douloureux chroniques iatrogènes qualifiés’émergents, pour lesquels les connaissances actuelles res-ent limitées. Les taux de survie augmentant, les cliniciensoivent s’attendre à rencontrer de plus en plus de patientssurvivants du cancer » présentant de tels syndromes. Duravail reste à faire pour que les séquelles douloureuseses traitements anticancéreux ne soient pas plus difficiles àivre que le cancer lui-même. . .

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférence

1] Paice JA. Chronic treatment-related pain in cancer survivors.Pain 2011;152:S84—9.

Florentin ClèreConsultation pluridisciplinaire de la douleur,

centre hospitalier, 216, avenue de Verdun, 36000Châteauroux, France

Adresse e-mail : [email protected]

oi:10.1016/j.douler.2011.04.002

a kétamine dans tous ses états. . .

etamine: All-in-one?

a kétamine, molécule bien connue pour ses propriétésntagonistes des récepteurs NMDA, fait l’objet de multiplesublications dans la littérature internationale consacrée àa douleur. Toujours à la recherche de nouvelles solutionsour leurs patients, notamment les plus complexes, les cli-iciens du monde entier développent des protocoles où laétamine tient une place prépondérante. Voici un apercunon exhaustif) de la littérature récente, sous la forme d’unour du monde :

en Hollande, 60 patients porteurs d’un syndrome doulou-reux régional complexe (SDRC) de type 1 ont bénéficiéd’une perfusion intraveineuse continue pendant quatrejours de suite soit de kétamine soit d’un placebo [1].Les doses utilisées allaient de 5 mg/h (dose minimale)à 20 mg/h. Dans cette série, un effet antalgique étaitobservé environ trois fois plus fréquemment avec la kéta-mine (67 % des patients) qu’avec le placebo (23 %). Cet

effet antalgique durait en moyenne 50 jours ;en Corée, 103 patients présentant des douleurs neuropa-thiques sévères et réfractaires aux traitements habituelsont bénéficié d’une perfusion intraveineuse de 0,5 mg/kg