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15 Qui sont les mompreneurs ? © Groupe Eyrolles « M ompreneur ». Quelle drôle d’expression ! Ce néologisme est la contraction anglaise des mots « mom » et « entrepreneur », autrement dit « maman » et « entre- preneur ». Ce phénomène apparu aux états-Unis à la fin des années 1990 désigne les mères qui créent leur entreprise pen- dant leur grossesse ou après la naissance de leur enfant. Plus lar- gement, il correspond aujourd’hui aux femmes qui se lancent dans la création d’entreprise pour mieux concilier leur vie de mère de famille et leur carrière. Le phénomène a traversé l’Atlantique. En France, le courant est récent, mais, comme aux états-Unis, il gagne du terrain et se développe rapidement. « La maternité fournit aux femmes une occasion de passer à l’action. Beaucoup ont ça dans un coin de leur tête, mais le fait d’être enceinte, souvent immobilisées à la maison, leur permet de réfléchir et de se lancer », explique Fré- dérique Clavel, présidente de Paris Pionnières, un incubateur parisien qui accueille exclusivement des créatrices d’entreprise. Pour beaucoup, tout se passe pendant le congé maternité, période pendant laquelle elles ont du temps, un salaire et… des idées. C’est le cas d’Anne-Laure Constanza, créatrice d’Envie- defraises.com, une boutique en ligne pour femmes enceintes. « À quelques mois de grossesse, je me suis rendu compte de la pau- vreté de l’offre vestimentaire. Cela m’a donné l’idée de créer un site où les femmes enceintes pourraient trouver des habits sympas et pas trop chers », explique la jeune femme, qui a commencé à travailler sur son projet fin 2005, quelques mois avant d’ac- coucher. Aujourd’hui, son entreprise réalise plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Beaucoup de mompreneurs passent également à l’action au moment de leur retour dans l’entreprise, juste après leur gros- sesse ou un congé parental. C’est souvent un choc pour elles, car elles ne sont plus en phase avec leur vie professionnelle d’avant et avec les obligations de l’entreprise. Jenny Carenco, fondatrice en

Qui sont les mompreneurs ? « M… · « Au Canada, trois PME sur cinq sont créées par des femmes, dont 80 % sont des mères », affirme Kathryn Bechthold, créatrice du magazine

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« M ompreneur  ». Quelle drôle d’expression  ! Ce néologisme est la contraction anglaise des mots

« mom » et « entrepreneur », autrement dit « maman » et « entre-preneur ». Ce phénomène apparu aux états-Unis à la fin des années 1990 désigne les mères qui créent leur entreprise pen-dant leur grossesse ou après la naissance de leur enfant. Plus lar-gement, il correspond aujourd’hui aux femmes qui se lancent dans la création d’entreprise pour mieux concilier leur vie de mère de famille et leur carrière.Le phénomène a traversé l’Atlantique. En France, le courant est récent, mais, comme aux états-Unis, il gagne du terrain et se développe rapidement. « La maternité fournit aux femmes une occasion de passer à l’action. Beaucoup ont ça dans un coin de leur tête, mais le fait d’être enceinte, souvent immobilisées à la maison, leur permet de réfléchir et de se lancer », explique Fré-dérique Clavel, présidente de Paris Pionnières, un incubateur parisien qui accueille exclusivement des créatrices d’entreprise.Pour beaucoup, tout se passe pendant le congé maternité, période pendant laquelle elles ont du temps, un salaire et… des idées. C’est le cas d’Anne-Laure Constanza, créatrice d’Envie-defraises.com, une boutique en ligne pour femmes enceintes. « À quelques mois de grossesse, je me suis rendu compte de la pau-vreté de l’offre vestimentaire. Cela m’a donné l’idée de créer un site où les femmes enceintes pourraient trouver des habits sympas et pas trop chers », explique la jeune femme, qui a commencé à travailler sur son projet fin 2005, quelques mois avant d’ac-coucher. Aujourd’hui, son entreprise réalise plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires.Beaucoup de mompreneurs passent également à l’action au moment de leur retour dans l’entreprise, juste après leur gros-sesse ou un congé parental. C’est souvent un choc pour elles, car elles ne sont plus en phase avec leur vie professionnelle d’avant et avec les obligations de l’entreprise. Jenny Carenco, fondatrice en

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avril 2007 de Menu Bébés, des plats surgelés pour bébés, a ainsi lâché son confortable poste de consultante chez Bain & Com-pany. « Je ne voulais plus rester au travail tard le soir, juste parce qu’il fallait faire acte de présence. J’ai changé d’attitude envers le monde professionnel, je ne souhaitais plus travailler pour gagner ma vie, mais j’avais envie de travailler pour changer des vies. »Le « boom » d’Internet et l’explosion de l’e-commerce expliquent également la montée en puissance des mompreneurs. Connectées vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou presque, elles peuvent travailler à domicile et se fabriquer des horaires sur mesure, com-patibles avec les sorties d’écoles ou de crèches. « Je récupère mes filles plusieurs fois par semaine à l’heure du déjeuner. Si j’ai besoin de travailler à ce moment-là, je leur explique qu’elles ne doivent pas me déranger », raconte ainsi Sandrine Vigne, créatrice de Lutins faire-part. Et comme une mompreneur est son propre chef, rien ne l’empêche d’emmener son petit au bureau ou en rendez-vous avec des clients. Aucun patron ne sera là pour lui faire de remarque. « Dès sa naissance, ma troisième fille m’a suivie comme une ombre. Elle venait à mes rendez-vous, même importants, ou à mes lancements de collection. C’était une façon d’être avec elle sans pour autant lâcher mon activité professionnelle », confie Lucile Ber-nadac, créatrice de la marque de doudous équitables Papili.Cette nouvelle génération de créatrices d’entreprise veut tout : les enfants et la carrière. Mais, et c’est là toute la subtilité, les mompreneurs ne sont pas des femmes au foyer, ni des « business women ». « Ce sont avant tout des mamans qui sou-haitent avoir une activité professionnelle épanouissante en gar-dant une certaine flexibilité pour que la carrière n’entre pas en conflit avec la vie familiale », explique Céline Fénié, créatrice de Maman Shopping et présidente de l’association Mampre-neurs, les mompreneurs françaises.Qui sait, les mompreneurs sont peut-être les nouvelles repré-sentantes du féminisme moderne…

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Un phénomène américain

Aux origines

Qui connaît parmi vous Sandra Wilson ? Sûrement pas grand monde, mais de l’autre côté de l’Atlantique, cette ancienne hôtesse de l’air est devenue l’idole de nombre de femmes. Pourtant, au départ, son histoire était plutôt banale.En 1994, cette Canadienne perd son emploi et se retrouve du jour au lendemain chez elle, avec Robert, son petit garçon âgé de 18 mois. Pour s’occuper, elle commence à lui fabriquer des chaussons en cuir, faciles à enfiler et très colorés. L’enfant adore, les amies aussi  ! De fil en aiguille, la jeune mère de famille crée son entreprise et la baptise Robeez, en l’honneur de son fils surnommé « Robbie  ». Une première collection, confectionnée à la main à partir d’un vieux sac en cuir, dans le sous-sol de la maison familiale, voit le jour. Le succès est quasi immédiat. Les consommateurs en redemandent et le corps médical, pédiatres en tête, recommande à ses petits patients ces chaussons en cuir souple pour l’apprentissage de la marche.Pourtant, tout n’a pas été rose pour Sandra Wilson. « Me lan-cer à mon compte, c’était un virage à 180 degrés, explique-t-elle sur son blog. Les premières années ont été comme un cours inten-sif couvrant à la fois la fabrication, la recherche de fournisseurs, la distribution, le conditionnement, le marketing, la vente et le financement. Je ne savais rien de l’industrie. Je n’avais jamais tra-vaillé dans la vente au détail, ni dans la vente en gros. J’ignorais tout de la fabrication ; je ne savais même pas ce qu’il fallait mettre dans la boîte lorsqu’on expédie une commande  ! Bref, j’ai tout appris sur le tas. C’était extrêmement exigeant. Pendant trois ans, je ne me suis pas payée. » Mais la jeune femme a su s’entourer et faire grandir son entreprise graduellement, apprenant au fil

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des difficultés et des obstacles. En 2000, elle a installé l’entre-prise dans des locaux extérieurs, à deux pas de chez elle, et s’est lancée dans l’export.Aujourd’hui, Robeez emploie quatre cent cinquante per-sonnes, réalise 15  millions de dollars de chiffre d’affaires et vend des milliers de petits chaussons aux quatre coins du globe. Quant à Sandra Wilson, elle a revendu son entreprise en 2007 à un grand détaillant américain et est aujourd’hui consultante. Elle coule des jours heureux près de Vancouver.

Six millions de mompreneurs outre-Atlantique

Sans vraiment le savoir, Sandra Wilson est devenue l’emblème de l’entrepreneuriat féminin, et son succès a donné naissance au courant des mompreneurs au Canada, puis aux états-Unis à la fin des années 1990. Des associations se sont créées, des sites Internet ont vu le jour et des magazines ont été lancés (voir annexes). Des émissions de télévision et de radio ont même été imaginées. Aujourd’hui, quinze ans après l’appa-rition du phénomène, il existerait plus de cinq millions de mompreneurs aux états-Unis et huit cent mille au Canada.« Au Canada, trois PME sur cinq sont créées par des femmes, dont 80 % sont des mères », affirme Kathryn Bechthold, créatrice du magazine Mompreneur en 2006. Cette mère de deux enfants a confié dans un récent article  : «  Le plus souvent, les mères entrepreneurs se lancent après avoir décelé un besoin pour leur poupon. Elles élaborent un produit ou un service pour y répondre, le testent elles-mêmes au quotidien et demandent à leurs copines d’en faire autant. Puis, elles créent leur entreprise. » Quant aux raisons qui les poussent à franchir le pas, Kathryn Bechthold est affirmative : « Les temps changent, mais les mesures de conci-liation offertes par les employeurs aux salariées à temps plein n’évoluent pas assez vite au goût de bien des femmes. Quand les

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mères décident de devenir entrepreneur, elles font un choix de vie : être avec leur famille tout en exerçant leur créativité. »Au Canada, la multiplication des mamans entrepreneurs s’ex-plique aussi par les longs congés maternité dont bénéficient toutes les femmes, qu’elles soient salariées ou travailleuses autonomes. Cette période d’un an leur laisse le temps de prendre conscience de leurs aspirations et de peaufiner leur projet d’entreprise. Les services de garde étant par ailleurs très coûteux, les mères estiment qu’il n’est pas rentable de retour-ner travailler à l’extérieur et préfèrent créer leur propre emploi.Enfin, les nombreuses sources de financement réservées aux femmes expliquent la croissance du phénomène. En 2008, le Québec a presque doublé le nombre d’organismes régionaux de soutien à l’entrepreneuriat féminin, le dotant d’une enve-loppe de 5,7 millions de dollars à investir avant la fin 2010.

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Patricia  Cobe� et� Ellen  Parlapiano,�créatrices� du� site� Mompreneursonline�aux� États-Unis� et� auteurs� du� guide�Mompreneurs  : un guide pratique pour les mères de famille qui souhaitent tra-vailler avec succès à la maison (Berkley�Publishing�group,�1997)�

-��Quand�le�phénomène�des�mompreneurs��a-t-il�été�identifié�aux�États-Unis ?

À la fin des années 1990. Nous avons découvert que de nombreuses mères de famille cherchaient un moyen plus flexible de travailler de chez elles, notamment en créant leur propre affaire. Nous nous sommes intéressées à ces nouvelles « mamans ». En 1997, nous avons déposé la marque « Mom-preneurs  » et avons publié la même année le premier livre sur le sujet : Mompreneurs : un guide pratique pour les mères de famille qui souhaitent travailler avec succès à la maison. En 2002, dans la continuité de notre travail, nous avons lancé le site mompreneursonline. Nous n’avons fait que populariser un phénomène qui a toujours existé.

-�Que�propose�votre�site ?C’est avant tout un lieu d’échanges et d’informations. Nous mettons en ligne des articles, donnons des conseils et offrons la possibilité à nos adhérentes d’échanger via des forums ou des blogs. Notre vocation est d’aider les mompreneurs à fran-chir toutes les étapes d’une création d’entreprise pour rendre leur affaire viable et pérenne. Nous avons aujourd’hui plus de trois mille membres.

témoignage

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-�Quel�est�le�profil�type�des�mompreneurs�aux�États-Unis ?Ce sont des femmes qui souhaitent trouver un meilleur équilibre entre leur travail et leur vie de famille. Le fait de travailler à domicile leur permet de mieux concilier business et enfants. Pour beaucoup d’entre elles, c’est la grossesse ou la maternité qui les a inspirées. Elles ont alors identifié un besoin pour un produit ou un service qui n’existait pas sur le marché et ont créé une affaire pour répondre à ce besoin. On peut citer le cas d’une femme qui a inventé une couver-ture pour bébé pouvant rester accrochée à la poussette ou le cas d’une maman qui a lancé un kit pour aider les enfants à arrêter de sucer leurs tétines. Mais les mompreneurs sont aussi des femmes qui ont décidé de créer leur propre business dans des secteurs d’activités différents. Beaucoup se servent de l’expérience qu’elles avaient acquise dans le monde du travail pour lancer des activités de secrétariat ou de comp-tabilité à domicile, de design graphique, d’écriture ou de cuisine. Il n’y a donc pas de profil déterminé, mais toutes les mompreneurs ont un point commun : elles veulent consa-crer du temps à leur famille et toutes recherchent davantage de liberté.

-��Le�phénomène�des�mompreneurs�est�très�développé��aux�États-Unis��Comment�sont-elles�organisées ?

Il existe de nombreux sites Web et organisations pour les mères de famille qui ont leur propre business. On peut citer par exemple les associations Look Up Ladies Who Launch, National Association of Women Business Owners, WAHM, Home-Based Working Moms, Mom’s Network, Hybrid Mom, et bien d’autres encore. Il y en a trop pour pouvoir les citer toutes. Certaines éditent des newsletters, d’autres ont des sites Web, certaines organisent des conférences ou des réunions.

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-�Quel�est�le�statut�légal�des�mompreneurs�aux�États-Unis ?Les mompreneurs n’ont pas de statut particulier. La plupart créent des sociétés à responsabilité limitée (LLC) afin d’avoir une certaine protection, alors que d’autres se déclarent juste « auto-employee »1.

-��Quels�sont�vos�projets�à�court�et�à�moyen�termes��pour�les�mompreneurs ?

Nous allons tenir une convention pour élire la « Mompre-neur de l’année ». Nous sommes également en train d’orga-niser des groupes locaux afin que les mompreneurs puissent se rencontrer en face-à-face dans leurs villes ou leurs états et échanger des idées.

Les Françaises se lancent

En France, le phénomène des mompreneurs est nettement plus récent. Les médias ont commencé à s’intéresser à cette tendance vers 2005 et le terme « mompreneur » n’est vraiment apparu que vers 2007. Mais la révélation a réellement eu lieu en 2009, année où deux associations de mompreneurs ont vu le jour quasi simultanément. Depuis, des centaines de femmes se reconnaissent dans ce courant émergeant et viennent grossir les rangs des mompreneurs « made in France ».

Un phénomène sociologique

Pour Viviane de Beaufort, professeur à l’Essec, à l’origine de la formation « Entreprendre au féminin », le phénomène est sociologique et se démarque nettement. «  Les mompreneurs

1. L’équivalent en France de la SARL et du statut de l’auto-entrepreneur.

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représentent désormais la quatrième catégorie des créatrices d’en-treprise. J’avais auparavant identifié les jeunes femmes diplômées, les “quinquas” confrontées au plafond de verre dans les entreprises et les demandeuses d’emploi. Les mompreneurs sont les nouvelles et dernières venues.  » Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles sur le sujet, elles seraient ainsi plusieurs milliers à s’occuper de leurs enfants et de leur boîte, une souris greffée dans le dos. « Il y a toujours eu des mamans entrepreneurs. Mais elles étaient dispersées, souvent isolées. La création des réseaux de mompreneurs les a aidées à se fédérer et surtout à se rallier à une cause commune », analyse Valérie Weill, consultante en créa-tion d’entreprise et spécialisée dans l’entrepreneuriat féminin.Comme aux états-Unis ou au Canada, les mompreneurs fran-çaises sont confrontées à la problématique de la conciliation vie de famille/vie professionnelle. « Beaucoup sont d’anciennes cadres qui ont réalisé qu’elles ne pourraient plus mener de front leur carrière et leurs petits. D’autres ont tout simplement été mises au placard après leur congé maternité. D’autres encore ont attendu en vain une promotion qui n’est jamais venue », pour-suit Valérie Weill. Quelle que soit leur situation, toutes ont décidé, en réaction, de monter leur propre structure. Ce n’est pas donc pas un hasard si la majorité des mompreneurs sont d’anciennes salariées, souvent diplômées, avec des postes à res-ponsabilités. À l’arrivée de leurs enfants, l’entreprise les a mis sur une voie de garage.Comme nous l’avons vu plus haut, pour la majorité des mompreneurs, l’idée est venue pendant leur congé maternité, voire pendant un congé parental. Une période propice à la réflexion. « Beaucoup prennent conscience d’un besoin pour elles ou pour leurs bébés et décident de créer un produit ou un ser-vice adapté  », explique Frédérique Clavel. Viviane de Beau-fort va plus loin dans l’analyse. «  En France, nous avons la chance d’avoir une politique familiale très développée. Les congés

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maternité sont courts, comparés aux pays anglo-saxons, mais les femmes ont la possibilité de les prolonger par des congés paren-taux. C’est une opportunité incroyable et beaucoup en profitent pour construire leur projet à ce moment-là. Si elles réussissent, tant mieux, si elles échouent, ce n’est pas grave, elles savent qu’elles peuvent retrouver leur emploi. »

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Anne-Laure Constanza,�présidente�de�l’as-sociation�Mompreneurs�de�France1 ;�mariée,�quatre�enfants�

-��Comment�vous�est�venue��l’idée�de�créer�l’association�Mompreneurs�France ?

J’ai découvert le phénomène des mompreneurs lors d’un voyage aux états-Unis fin 2007. Je participais au Salon inter-national de la puériculture à Las Vegas, et j’ai remarqué qu’une bonne partie de mes fournisseurs était des mères de famille chefs d’entreprise. Cela m’a surprise autant qu’intriguée. J’ai constaté qu’il existait de nombreuses associations, des ouvrages sur le sujet, des sites Internet et des journaux. Le phénomène est installé depuis de nombreuses années aux états-Unis et les femmes sont très organisées. Il existe d’ailleurs différents termes pour décrire les mompreneurs. On parle de WAHM (work at home mothers), de working mothers, de mom entrepreneur… Je me suis totalement reconnue dans ces femmes et ai eu envie de créer un réseau de mompreneurs en France. Cela a démarré au printemps 2008, lorsque j’ai proposé une mesure en faveur de l’entrepreneuriat des mères, reprise par Hervé Novelli2, puis avec un petit réseau de mompreneurs à l’automne  2008 et l’officialisation de l’association en mars 2009.

1. www.mompreneurs.fr ; [email protected]. Secrétaire d’état au Commerce, à l’Artisanat, aux PME, au Tourisme, aux Services et à la Consommation, à l’origine du statut d’auto-entrepreneur.

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-�Quel�est�l’objectif�de�l’association ?L’idée est de créer un réseau d’accompagnement pour les mompreneurs et plus généralement de valoriser le dyna-misme des mamans entrepreneurs chaque année, au travers du Prix de la Mompreneur, une sorte de « Mompreneur aca-demy  ». Nos lauréates bénéficient d’un accompagnement personnalisé par des femmes chefs d’entreprises reconnues pour leur réussite entrepreneuriale pendant un an. C’est du mentoring et de la mise en relation avec des banques ou fonds d’investissements, voire une ouverture vers d’autres réseaux professionnels plus confidentiels si besoin. Notre association a également une mission de sensibilisation auprès des pouvoirs publics et des leaders d’opinion pour une recon-naissance de l’entrepreneuriat au féminin. À titre d’exemple, nous aimerions faire évoluer les conditions d’application du FGIF (fonds de garantie à l’initiative des femmes) et faire sauter le plafond actuel de garantie fixé à 38 000 euros.

-��Vous�êtes�vous-même�une�mompreneur��Quel�est�votre�parcours ?

Fin 2005, à quelques mois de grossesse, je me suis rendu compte de la pauvreté de l’offre vestimentaire pour les futures mamans qui était soit peu valorisante, soit hors de prix et quasi inexistante sur Internet. Cela m’a donné l’idée de créer un site qui pouvait satisfaire toutes les envies des femmes enceintes et une marque de mode pour les futures mères. J’ai commencé à travailler sur le projet et fin 2006, peu de temps après la naissance de mon fils, Envie de Fraises est né. C’est lui qui m’a donné la force de me surpasser, à un moment où j’étais censée être épuisée. Lauréate de Paris Pionnières et de Paris Entreprendre1, j’ai eu la chance d’être très entourée

1. Antenne parisienne du réseau d’accompagnement Entreprendre (voir annexe).

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et de bénéficier d’un soutien financier grâce notamment au prêt d’honneur. Aujourd’hui, Envie de Fraises emploie neuf personnes et réalise un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros.

Différents types d’activités

Quant aux idées de business, elles sont souvent en rapport avec la maternité ou la petite enfance. Cela va des produits alimentaires (comme les petits pots surgelés), aux services (location de poussettes et d’accessoires de puériculture dans les aéroports, création de crèches roulantes) aux sites Internet (vente en ligne de vêtements de grossesse, de faire-part, etc.). Les concepts sont nombreux et variés ; surtout, le marché est énorme, car jusque-là, peu d’hommes y avaient pensé.Le développement d’Internet a également libéré les mompre-neurs. La majorité crée en effet des activités en ligne et on retrouve parmi les mamans entrepreneurs une très forte pro-portion d’e-commerçantes. «  Internet offre la possibilité aux femmes de travailler de chez elles et de se fabriquer des horaires sur mesure, compatibles avec les heures d’ouverture des écoles et des crèches, les enfants malades, les activités extrascolaires…  », explique Valérie Weill. Beaucoup de mompreneurs travaillent d’ailleurs en horaires décalés et saucissonnent leur travail. Elles profitent des siestes ou des sorties au parc pour passer leurs coups de fil, lire leurs e-mails ou peaufiner leur business plan. Toutes se remettent au travail, le soir après le coucher de leurs enfants et planchent des heures durant sur leur ordinateur. « Elles travaillent beaucoup, voire énormément, mais elles vivent à leur rythme et apprécient cette nouvelle souplesse dans l’aména-gement de leur emploi du temps », constate Frédérique Clavel. Travailler à domicile est également une source d’économies non négligeable, car il n’y a pas de loyer supplémentaire à payer. Les projets des mompreneurs sont généralement de

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taille modeste et les investissements de départ dépassent rare-ment les 10 000 euros. « Elles commencent avec les moyens du bord. La maison ou l’appartement se transformant souvent en vaste zone de stockage. Puis petit à petit, elles se professionnali-sent, prennent de l’ampleur et passent du statut de mompreneur à celui de chef d’entreprise », poursuit Frédérique Clavel.

Une question de solidarité

La solidarité féminine est l’autre atout des mamans entrepre-neurs. Depuis qu’elles se reconnaissent sous la bannière de mompreneurs, elles s’organisent, mutualisent leurs compé-tences et se forment. L’association des Mampreneurs organise ainsi tous les mois à Paris et en région des « MamCafés ». Ces rencontres permettent aux femmes d’échanger et de se rencon-trer. Il n’est pas rare lors de ces réunions de voir une maman parler de résultat net tout en donnant le sein à son bébé. De nombreuses associations de créatrices d’entreprises ont égale-ment vu le jour aux quatre coins de la France et il ne se passe pas un mois aujourd’hui sans qu’une formation ou un atelier ne soit organisé sur le thème de l’entrepreneuriat féminin. « Le phénomène des mompreneurs n’en est qu’à ses balbutiements. Tant que les entreprises ne prendront pas de mesures pour favoriser le travail des femmes après leur retour de congé maternité, il y a fort à parier que ce courant prendra de l’ampleur dans les années à venir », pronostique Frédérique Clavel.Les paris sont lancés…

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Céline Fénié,�présidente�de�l’association�Mampreneurs1  :� les� mompreneurs� fran-çaises ;�mariée,�quatre�enfants�

-��Comment�avez-vous�découvert��le�phénomène�des�mompreneurs ?

Quand j’ai lancé mon entreprise, mamanshopping.com début 2008, j’ai créé un blog sur lequel je racontais ma vie de créatrice d’entreprise, mes joies et mes déceptions. Très vite, je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule dans cette situation et j’ai commencé à avoir des échanges réguliers avec d’autres créatrices. Le vrai déclic s’est produit pendant le Salon de l’e-commerce en septembre 2008 : j’y ai rencon-tré d’autres e-commerçantes, mères de famille également. Nous avons décidé de mettre en place des rencontres régu-lières et de nous retrouver dans des cafés pour discuter de nos projets. Notre premier MamCafé s’est ainsi tenu à Paris en octobre 2008. Quelques mois plus tard, en mars 2009, j’ai lancé l’association «  Mampreneurs, les mompreneurs françaises ».

-�Que�propose�votre�association ?Il s’agit avant tout d’un réseau de mompreneurs avec un site, un forum, un blog et un groupe Facebook, qui réunit déjà 1 500 femmes. Les adhérentes peuvent échanger entre elles, s’entraider, se donner des conseils et présenter ce qu’elles font. L’adhésion à notre association est payante (50 euros par an)

1. www.les-mompreneurs.com ; [email protected].

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et nous comptons pour l’instant plus de deux cent cinquante adhérentes. Nous organisons également une fois par mois des MamCafés dans plusieurs villes comme Paris, Lyon, Nantes, Toulouse, Bordeaux, Rouen, Metz, Grenoble, etc. Ces ren-contres ont beaucoup de succès, car elles permettent aux mompreneurs de se rencontrer et de parler. C’est une occa-sion pour beaucoup d’entre elles de se regrouper et de mener des actions communes. Nous essayons de prévoir une théma-tique de travail pour chaque séance comme « Comment créer son blog », « Comment bien démarcher », « Comment avoir un bon référencement »… Un intervenant extérieur anime ces rencontres. En juin 2010, nous avons également organisé la première édition du printemps des Mampreneurs. Cette journée a été l’occasion pour des centaines de mompreneurs venues de toute la France de se rencontrer, d’échanger et de se perfectionner grâce à de nombreux ateliers thématiques.

-�Quels�sont�vos�projets ?Nous souhaitons continuer à développer la visibilité du site et à faire connaître socialement le statut de mompreneurs. Notre association permet avant tout de lutter contre l’isole-ment que tout créateur d’entreprise subit à un moment ou à un autre de son parcours. Les mompreneurs travaillent la plupart du temps chez elles et beaucoup se sentent seules. Le fait d’appartenir à un réseau social leur donne de la force et l’envie de s’investir.

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Travailler ou avoir des enfants : il faut encore choisir

Nous avons beau être au XXIe siècle, la place des femmes dans le monde du travail reste encore minoritaire. Malgré des efforts indéniables de la part des entreprises et des pouvoirs publics, le chemin vers l’égalité professionnelle est encore long. Les conseils d’administration des entreprises ne comportent que 7,6 % de membres féminins. Ce taux se réduit à mesure que la taille de l’entreprise augmente. Dans les entreprises du CAC 40 par exemple, seules 5 % occupent des postes de diri-geantes. Quant aux salaires, les différences de rémunération entre hommes et femmes persistent. Depuis 1997, la situation n’a pas évolué et l’écart s’élève toujours à 19 %.« Les femmes sont victimes de préjugés tout au long de leur car-rière. Dès l’embauche. Les recruteurs ont le sentiment de prendre un risque s’ils ne choisissent pas un homme, trentenaire ou qua-dragénaire, diplômé d’une grande école. S’ils embauchent une femme qui a la mauvaise idée d’être enceinte quelques mois après son arrivée, ces recruteurs craignent d’être mal vus », déclare Isa-belle Germain, journaliste et auteur de Si elles avaient le pou-voir1. En France, quoi qu’on en dise, la maternité est encore mal perçue. Les femmes elles-mêmes en ont conscience et lorsque l’enfant paraît, elles mettent leur vie sociale et leur carrière professionnelle au ralenti. C’est ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelait la « soumission enchantée ». Pendant ce temps, les hommes ont le champ libre pour franchir les étapes qui mènent aux postes à responsabilités et au pouvoir.À l’arrivée des enfants, les femmes sont également confrontées aux problèmes de garde de leur bambin. Les places en crèche

1. Larousse, coll. « À vrai dire », 2009.

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et chez les assistantes maternelles sont insuffisantes et il en faudrait trente-cinq mille supplémentaires pour résorber les écarts entre l’offre et la demande. « C’est pendant leur congé maternité que les femmes prennent conscience de ce type de dif-ficultés. Elles réalisent alors qu’elles ne pourront plus assister aux réunions du soir et être à l’heure pour récupérer leurs enfants », indique Valérie Weill.Aux problèmes de garde s’ajoute la mauvaise répartition des rôles dans les foyers. Les femmes continuent de gérer les tâches domestiques. Quand en plus, elles ont des enfants et un tra-vail à temps complet, l’organisation peut vite virer au cauche-mar. En 2007, un article du journal Le Monde avait fait une démonstration pour le moins détonante. « Dans une famille de deux enfants dont les parents travaillent à temps plein, les femmes accomplissent en moyenne 65 % du travail domestique, 80 % si l’on retient seulement le noyau dur (courses, cuisine et linge). Sur une année, cela représente six cent quatre-vingts heures de plus que son compagnon, soit dix-neuf semaines de travail à trente-cinq heures. »Tous ces facteurs poussent nombre de femmes à imaginer une autre vie professionnelle. Puisqu’elles ne trouvent pas leur place dans l’entreprise traditionnelle, puisqu’elles doivent encore s’occuper des enfants et de la maison, beaucoup réflé-chissent à des alternatives plus souples. La création d’entre-prise fait alors partie des solutions envisagées.

Entreprendre : ma liberté chérie

Depuis 1998, la proportion des créatrices d’entreprise est res-tée quasiment identique et se stabilise autour de 27 %. Tou-tefois, en raison de la forte hausse du nombre de créations