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!f a e e UlnZalne littéraire du 16 au 30 sept. 1970 Avant-garde et Nouveau roman

Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

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L'édition en Europe ; André Biély, Jean-Marie Fonteneau, Marie-Claude de Brunhoff, Bruno Gay-Lussac, Erich Segal ; Où en est l’avant-garde ? avec G Gadoffre M Deguy N Sarraute, J. M. G. Le Clézio B Teyssèdre. Maud Mannoni, L. Oppenheim Pierre Ansart Antoine Faivre Léon Lavallée

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Page 1: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

!fa e eUlnZalne

littéraire du 16 au 30 sept. 1970

Avant-garde etNouveau roman

Page 2: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

SOMMAIRE

3 LE LIVRE DELA QUINZAINE

4 ROMANS FRANÇAIS5

67

8 ENTRETIEN

9 HISTOIRELITTERAIRE

10 COLLOQUE

12 L'EDITION ENEUROPE

15192022 PSYCHIATRIE

24 HISTOIRE26

27 RELIGIONS

28 ECONOMIEPOLITIQUE

La Quinzainelitteraire

kndré Biély

Jean·Marie FonteneauAntoine MantegnaBruno Gay-Lussac

Michel ChaillouFrançois Coupry

Félix Fénéon

Maud Mannoni

L. Oppenheim

Pierre Ansart

Antoine Faivre

Léon Lavallée

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balaudier.Bernard Cazes.François Châtelet.Françoise Choay.Dominique Fernandez.Marc Ferro, Gilles Lapouge.Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :Anne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaïde Blasquez.

Maquette de couverture:Jacques Daniel.

Rédaction. administration:

43, rue du Temple, Paris (4").Téléphone: 887-48-58.

Poèmes adaptés parGabriel Arout

Les champignons7Introduction à la vie profaneEn feuilletantCollège VasermanLa promenade cassée

Avec le best·seller N°

Œuvres plllS que compLè.tes

Où en est l'avant.garde ?

HongrieAngleterreAllemagneYougoslavie

Le psychiatre, son «fou»et la' psychanalyseLa MésopotamiePortrait d'une civilisationMarx et fanarchismeNaissance de fanarchisme

Eckartshausen et lathéosophie chrétiennePour une prospectivemarxiste

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris 7") .Téléphone : 222·94·03.

Publicité générale: au journal.

Prix du nO au Canada: 75 cents.

Abonnements:Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois: 34 F, douze numéros.Etudiants: réduction de 20 %.Etranger: Un an: 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement d'adresse :envoyer 3 timbres à 0,40 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris ]555]·53.

Directeur de la publication:François Emanuel.

1mprimerif': Ahexpress.

Impression S.LS.S.

Printed in France.

par Georges Nivat

par Marie-Claude de BrunhofIpar M.C. de B.par Gilles Lapouge

par Claude Bonnefoy

Propos recueillispar M.C. de B.par Michel Décaudin

Gilbert GadofIreMichel DeguyNathalie SarrauteJ .M.G. Le ClézioBernard Teyssèdre

Propos recueillis par J. P.John CalderChristoph SchwerinPredrag Matvejevitch

par Catherine Backès-Clément

par Daniel Arnaud

par André Akoun

par Jean Roudaut

par Bernard Cazes

Crédits photographiques

p. 3 L'âge d'homme

p. 4 F. Boivrel

p. 5 Gallimard

p. 8 Flammarion

p. 9 Mercure de France

p. 13 Thomas Hopker, Magnum.

p. 18 Sergio Larrain. Magnum.

p. 19 D.R.

p.23 ' Roger Viollet

p. 24 Gallimard

p.26 Roger Viollet

p.27 Klincksieck éd.

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I.E LIVRE DE

La blessure du soleilLA QUINZAINE

La Q!!buaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970

1André BiélyPoèmes adaptés parGabriel AroutGallimard, 119 p.

Du geme protéiforme d'An-dré Biély. poète symboliste,romancier, philosophe. théori-cien de la forme littéraire,sismographe affolé des séis-mes du premier tiers duXXe siècle. Gabriel Arout achoisi de nous donner unedes facettes. l'une des plusprécieuses, celle du poète.

,Et certes pas toute la poésie de

Biély, car il y faudrait bien plu!lque ce petit recueil. Mais assezpour qu'apparaisse le chemin quimena Biély d'une poésie mysti-que, nourrie de symboles reli-gieux, à une poésie étonnammentsurréaliste où le symbole n'estplus dans l'image, mais dans lesprofondeurs mêmes du mot, sou-mis à une sorte de désintégrationatomique.Gabriel Arout a sans doute été

dicté dans son choix par ce quil'a personnellement fasciné: leBiély chef d'orchestre, prestigieuxmanieur des sons, faisant surgir lenùroitement des souvenirs ou desvisions dans la vibration des asso-nances, des jeux de mots, et lescontorsions d'un immense orches-tre verbal. Tous les auditeurs deBiély nous l'ont décrit commeune sorte de chef d'orchestre -oiseau, penché sur un imaginairepupitre, commandant à un étin-celant ensemble de cuivres et debois qui lui seul entend, mais dontavec humour et virtuosité, sa ba-guette frénétique recrée pour nousl'imaginaire présence.Arout cite dans sa courte pré-

face le brillant portrait de Biélyque fit dans un de ses articles lapoétesse Marina Tsvétaieva, dontle talent poétique était parfois siproche de celui de Biély: «Cen'était pas qu'inspiration verbale,c'était une Danse... toujours envi-ronné du tourbillon dansant despans de sa jaquette... antique, élé-gant, recherché, tel un oiseauétrange, mélange de maestro et deprestidigitateur, toujours en mou-t1ement sur le rythme changeantde sa danse - à deux, à trois, àquatre temps - liée au jeu mbtildes sens, des mots, des queues depie, des jambes - que dis-je, des

jambes! De tout son corps, desa seconde âme, avec en plusrâme de son corps, et encore lavie propre et indépendante deson échine de chef t:lorchestre... :tComme pour illustrer ce film

dansant des gigues de Biély, Ga-briel Arout a centré son petit re-cueil sur le plus long et le plusacrobatique des poèmes de Biély,ce merveilleux Premier Rendez-vous qui fut écrit en 1921 à Pétro-grad (et non cn 1906, comme ilest dit par une regrettable erreur).Sur le rythme dansant et mali-cieux d'Eugène Onéguine, le versiambique tétrapode, il s'agitd'une chronique musicale de quel-ques moments saillants dans labiographie revécue de Biély jeu-ne homme, sorte de Genèse à lafois humoristique et mystique de-l'univers spirituel de Biély. Dansun tourbillon de calembours et depirouettes, un maelstrom de réfé-rences érudites et d'assonancesébouriffantes, Biély évoque lanaissa,nce de son propre XX" siè-cle où s'entrecroisent les mythesanciens et la théorie atomistiquemoderne.Les instantanés que nous livre

le poète sont comme les précipi-tations d'un tourbillon de motsen suspension, -et dans les cris-taux recueillis, comme toujours,Biély retrouve le monogrammecaché des réalités spirituelles. Detous ces tableaux «précipités:tdans le laboratoire de la mémoire,le plus brillant est celui du Con-cert: le chef monte au pupitre,la baguette clignote, le crânechauve reluit, et tout commence :assaut furieux des instruments,sabbat des cuivres, vol nuptial desviolons...

Tout est en jeu, tout est promisEn une offrande fatidiqueA u dieu joueur de la musique.Et lui dressé sur ses ergotsConduit la charge des« fagotsVers ses piqueurs quifanfaronnent,

Lance, veneur impénitent,La meute de ses chiens courants,Coupant la route destrombonnes.

(traduction Arout)

La salle Syinphonique était po:urBiély le symbole d'une autre salle,plus universelle, et d'un autre or-chestre, plus élémentaire, où tour-billonnaient les grands principesde l'Univers. La moquerie avec

André _Biély

(Dessin .de N. Vychéslavskl.)

son cortège clownesque de culbu-tes et de pieds-de-nez n'est qu'unparavent opposé au grand soufflede l'Originel. Car au fond de lamémoire gisent les filons de l'Uni-versel; sous la gangue des motsgît le Sens mystérieux. Biély,dans son prologue, se compare àun gnome obstiné cassant la croû-te des mots :

A coups de pic le gnome extraitLa gangue fruste des consonnes.

D'où ces cascades d'hyperbolesfulgurantes et ces multiples con-crétions de mots nouveaux, hélas !quasi impossibles à rendre enfrançais.

Traduction ouadaptation

C'est -qu'il nousfaut parler dt' ,« l'infidèle fidélité :tdont Çabriel Arout prend, dans_une courte déclaration liminaire,toute la «résponsabilité:t. L'écri-vain Arout n'est pas un traducteurservile. n entend par la- recher-che «d'équivalenb!'-et de transpo-sitions:t retrouver' « l'approxima-tion la plus serrée possible:t. Et

certes l'infidélité est patente:images disparues, images ajoutées,variations libres à partir d'unthème, tels ces quelques vers amu-sants qu'en vain on chercheradans l'original:

Et cependant je fais grand casDu monde et de ses vainsplaisirs

Je flotte au souffle du zéphyrM'ébrouant comme un jeuneveau

Je meuble et trouble moncerveau.

La méthode de l'adaptationbre est dangereuse, mais pas pourle virtuose qu'est Arout, rompu àtous les jeux de l'adaptation. Di-sons pourtant que la méthode res-treint singulièrement son choix,puisque, de toute évidence, celui-ci est surtout dicté par la réussiteou l'échec de cette transpositionmusicale. Avant tout, GabrielArout veut transmettre au lecteurfrançais le plaisir esthétique dontest gratifié le lecteur russe. C'està ce plaisir qu'il est fidèle, c'estlui qu'il nous restitue très pleine-ment. Et parmi toutes les trou-vailles heureuses, citons ce qua-train bondissant :

Un camarade très sceptiqueDit: «N'es-tu pasépileptique ? :t

Brisant, cruel, en plein élanLes ailes de mon cerf-volant.

Les lecteurs de Pétersbourg re-connaîtront là èette sorte d'allé-gresse moqueuse et capricante quisert de contrepoint au Biély tra-gique et visionnaire. C'est ceBiély capricant qu'Arout a su ren-dre à merveille, quitte parfois àforcer un peu la note et à insuf.fler à la poésie de Biély un je nesais quoi de trop sensuel.D'ailleurs, tout n'est pas adapta-

tion, et il y a aussi des traduc-tions rigoureuses. Ainsi trouvera-t-on dans ce recueil la traductionintégrale de Christ est ressuscité,le poème en vingt-quatre épisodeslyriques que Biély écrivit enavril 1918 pour faire pendant auxfameux Douze d'Alexandre Blok.Ce poème est une longue Déplo-ration de la Russie crucifiée de1918 : le corps meurtri de la Rus-sie est assimilé au corps duChrist, la Grotte de la Mise auTombeau devient tout le paysténébreux où les b r 0 w n i n g s

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Biély

lrouent l'air de leur «rire rou-ge ». Mais cette Mise au Tombeauprécède une Résurrection queBiély pressent de toutes ses fibresde prophète mystique. Et cettefoi soutient le long cri qui se ré-percute et gicle au long de cesvers qui, en dessous de leur égré-nement irrégulier, font entendrecomme une sorte de tocsin régu-lier. Biély, comme Blok, avait ac-cueilli la révolution d'Octobre, larévolution sourde et sans fanfa-res, avec une sorte de sombre fer-veur mystique. Seule la Passiondu' Christ semblait à beaucoupcapable d'exprimer l'événementde la Révolution. Fût-ce dans leblasphème de certains poèmes deMaïakovski et d'Essénine...Les autres poèmes traduits

semblent choisis plus arbitraire-ment. Tout un pan de l'œuvrepoétique de Biély est absent:c'est le cycle désespéré de Cendre,dédié par Biély au poète de laRussie des gueux, Niekrassov. Leflux poétique qui portait Biélys'exprimait le plus souvent encycles, cycles où se réfléchissaientà l'infini les obsessions de se"nuits, plus tard amplifiées dansses romans. Donner des' extraitsdes fameuses Symphonies, oùPasternak, par exemple, voyait lanaissance de la modernité russe,nous a paru un peu vain: ce ncsont que quelques· mequres .iso-lées d'une grande partiti.on.Pour clore son recueil, Gabriel

Arout a choisi un poème de 1907justement célèbre et fort heureu-sement traduit. C'est un de cespoèmes-aveux où Biély, à traversla cuirasse de l'ironie et du phan-tasme, met à nu sa blessure. Bles-sure d'un être trop exigeant quivoulut saisir le Cosmos, et queconsuma le Soleil, devenu, COol'nle il est dit dans Pétersbourg, ta-rentule dévoreuse.

J'ai cru à cet éclat doré,Les flèches du soleil m'ont tué.Par' la pensée j'ai mesuréLes siècles; ma vie, je rairatée.

Georges NivatP.-s. : Nous regrettons que Gabriel

Arout ait, pour ce recueil, adopté uneautre transcription du nom de Biélyque celle adoptée par les deux traduc-teurs du premier livre traduit, Péters-bourg, publié en 1967 à Lausanne (édi-tion L'Age d'Homme). Bely n'est niplus «scientifique », ni plus «fran-çais» que Biély. Alors pourquoi trou-bler les lecteurs et ne pas accorderaux premiers traducteurs le privilègede fixer l'usage?

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ROMANS

FRANÇAIS

1Jean-Marie FonteneauLes ChampignonsGrasset éd., 185 p.

Depuis des jours, depuis desnuits, il pleut. L'eau atteint deuxmètres dans les rues d'Orléans,Notre-Dame, le clocher de Saint-Germain-des-Prés se reflètent dansune mer noirâtre. Toute l'Europe,les Etats-Vnis, le monde entiersont peu à peu submergés. IIpleut toujours. Le gouvernementfrançais se réfugie à Briançon. Laradio ne diffuse plus que lescomptes rendus de catastrophes.La terre se noie.Nous ne voyons cela que de

loin, calmement, sans le moindreénervement. L'homme qui iciécrit son journal habite une bellevieille maison dans les Causses,sur une colline, encore protégée.

F. Boivrel: Champignons.

Le déluge

II est seul. Son jeune ami Marc l'aquitté. Sa maison confortable:fourrures, acajou, cristaux, feux debois, argenterie brillante et lepun.ch glacé rituel avant le dîner,est pour lui un Nautilus où ilse claquemure avec ses souvenirs.Peintre, illustrateur, il a été fêté,aimé. Mais tous les bonheurs luiont glissé entre les doigts commedu sable. II est seul et profondé-ment triste.Ce qu'il voit autour de lui, les

arbres déracinés qui se couchentpour mourir dans' la boue, saferme déchaussée par les torrentsd'eau avant de s'écouler, la terrequi lui appartient entraînée parle flot dégoulinant, sont des spec-tacles atroces certes - il fait desrondes quotidiennes pour consta-ter l'amplitude inexorable du dé-sastre - mais le drame pour luireste personnel et intérieur. L'agi-

tation, les horreurs, la peur, sontpour c Paris·Match:. et les au·tres, pas pour lui. II nous paraîtêtre enfermé dans un cercle magi·que, hors du temps.Seuls les champignons, mons·

truosités violettes, orangées, phal.liques, montant jusq'au faîte desarbres, floraisons malsaines dif·fusant une lumière visqueuse, sontles. symboles du monde extérieuren putréfaction. L'auteur se gardebien de trop les décrire. Ils sontlà, ils grandissent, envahissent,mais si le récit en tjent comptec'est pour les donner en tantque repères mesurant la montéede l'inondation, non pas pOUl'exacerber l'atmosphère de ter·reur.Jean.Marie Fonteneau n'a pas

cherché à écrire un roman fantas·tique, ni un roman d'anticipationmétaphysique. Il déroule devantnous les pensées d'un homme dontla tristesse reste dignement or·gueilleuse. L'artiste qui écrit cejournal est un épicurien et unsage. C'est en philosophe qu'il as·sistera au dernier acte.Les personnes venues demeurer

chez lui, le maire en visite, sontprésents dans le récit pour don-ner au narrateur l'occasion demontrer le meilleur de lui·même,son stoïcisme d'homme cultivé.Comparses ajoutés pour le mettreen valeur, petite tricherie de ro-mancier. Le pire de lui-même, 8atrop grande sensibilité d'esthètedéçu, d'amant esseulé, tout celan'a le droit d'apparaître que se·crètement, la nuit, et encore. Enfait, ce déluge, cette catastropheuniverselle est pour lui un don duciel, elle lui donne l'ocasion ines·pérée de finir en beauté, de choi·sir sa mort avec élégance.Le ton est toujours pondéré.

L'orgueil est plus fort que la pour·riture. Cet homme reste lui-mêmejusqu'à la dernière minute. C'estlà sa fierté, sa gloire, et, comblede subtilité romantique dira-t-on,il n'y a que lui qui le sache.Les paysages apocalyptiques,

d'une beauté surréaliste, sont aussipeints avec retenue. Si la naturesous le déluge devient échevelée,les images restent lisses et nettes.Ancien élève des Arts Décora·

tifs, l'auteur est un graphiste. Ce·la explique peut.être ce parti prisd'extériorité et d'esthétisme.

Marie-Claude de Brunhol

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Une liturgie du lDal

1Antoine Mantegna,

"Pierre Belfond éd, 192 p.

Parmi les l1vres du deuxième rayon11 manquait une petite lleur bleue,un roman pour dames. Et bien levoici, 11 s'appelle 7. Qui est l'auteur?Caché· sous le pseudonyme d'AntoineMantegna, 11 excite la curiosité.Qui donc a pu garder un esprit

aussi romantique en écrivant uneœuvre érotique? Le style a une net-teté foncièrement naïve. Les motssont employés avec leur poids net,aucune 1l0riture ni entrechats deplume. n y a une volonté de sim-plicité et de calme.Le romantisme se dégage de l'hé-

roïne seule, elle ne vit pas une aven-ture érotique - elle connalt tous cesjeux d'instincts. - mais une histoired'amour, d'amour contrarié bien s1lr.Jeune orphel1ne élevée au couvent,où elle était amoureuse de saint JeanChrysostome, elle est achetée par uncouple très riche qui habite sur unene grecque un ancien monastère. nsl'on surnommé Ombre; son nom vé-ritable reste son secret, la seule chosequ'elle possède.Dans ce monastère à pic sur la

mer, la pièce va se jouer avec sep'personnages: les deux maltres, Om-bre et quatre serviteurs. Deux ju-meaux muets, mais d'Une beauté iden-tique (moulés dans leur pantalon detoile, ils sont aussi indécents de dosque de face...> et deux jumelles, pe-tites tanagras, a veugles, identiquesausslLe décor est planté selon les prin-

cipes du genre, longs couloirs sansfin, vastes pièces drapées d'étoffeselon les circonstance, phallus monu-mental, musique étrange; les per-sonnages sont tous à leur place, lestroiIr coups ont retenti. Scène d'1n1-tiation précédée de veillée d'armes,cérémonies rituelles dans la salle ca-pitulaire, sacr1lège dans une chapelleà deux pas d'Une nonne <véritable>en prière, punitions spectaculaireSsur le rythme lent du d'unPoète, tout cela se déroule commeprévu, mais avec un souci d'élégance,un raffinement de décorateur.En contre-champ, tout un passé

est évoqué. Les maltres, VassWos etla belle Ephkaroula, sont encore ma-gn11lques et puissants, ils ont ten-dance à raconter les aventures dejeunesse: ce sont des anciens com-battants de l'amour.L'auteur semble avoir endossé le

gilet rouge de Théophile Gautier,pourtant il cite sartre: c L'acted'iJDa&iDation est DO acte martque.C'est une incantation destinée à faireapparaître l'objet auquel on pense,la chose qu'on désire, de façon qU'onpaisse en prendre possession. • Lefervente incantation d'Antoine MaD.-tegna lui a apporté des ombres dan-santes. n manque à ce roman -agréable à lire, certes - le feu intel-lectuel auquel nous étIons habitués.Au l1eu d'Un bon vieux marc, on nousoffre de la llqueur de cacao, unalcool pour dames.

IL-C. B.

1Bruno Gay-LU118acIntroduction à la vie profaneGallimard éd., 180 p.

Voici un jeune homme préco-ce : tout petit, il décide d'appeler8a mère 4: A neuf ansil tue de8 chats, il déshabille 8apetite copine Monica, la barbouil-le de framboÏ8e8, l'aide à retirerla ,culotte d'une autre camarade,Comtance, et à l'enfermer damune buanderie. Au collège deSaint-Watts, il séduit à demi lepère abbé et prend la poudred'escampette le jour de sa pre-mière communion. U s'in8talleavec ses parent8, peut-être en Ita-lie du Nord, dans une maison tris-te. U a douze am et fait de liagouvernante, une fraîche jeunefille aux yeux de chat, sa maîtres-se. Monica, celle des framboises,vient le voir. Elle a retrouvé lafoi et se perd en dévotiom, mai8les troubles souvenirs des plai-sirs interdits, l'idée du sacrilège,mettent le feu dans Monica. Ellesuccombe à d'atroces et délicieusesperversioDl\.Encore un déménagement. Les

parents sont ruinés, ils s'établi8-sent dans une ville froide, au bordde la mer. Notre jeune hommeajoute une corde à son arc. Upartage des plai8irs suHureuxavec son ami Simon: encore lanudité, un grand château, unesalle secrète pleine d'oÏ8eauxmorts, un mannequin de cire quel'on martyrise dans un cachot. Surquoi Comtance, celle de la buan-derie, réapparaît. Les deux amisla prennent en main. Elle cède àleurs ob8ession8. Ils lui font mi-ter le château, la contraignent àtenir le rôle du mannequin decire. Tant d'extases et tant decrimes jettent le jeune hommedan8 la maladie. Quand il guérit;il sait que 80n avenir ne sera plUl!que la reproduction de ce pa8sé de8ilence, de pa88ion et de malheur.On voit qu'il 8'agit d'une éduca-

tion sentimentale, maÏ8 cette édu-cation est une destruction. Le ré-sumé que nOU8 avom donné trahitun livre qui n'a rien d'allègre. Ceroman d'initiation austère et sé-rieux, taciturne, est emporté parun vent noir et dév88tateur. Ilpeut se lire comme une réflexion8ur le mal: la fécondité glacialedu mal, les monotones répétitionsdu mal dès lors qu'il a été com-mÏ8 une foÏ8, sa fatalité et lion

acharnement à se multiplier, lacomplicité enfin qui enferme dansles territoires saturniens les créa-tures que le mal a touché unefoÏ8 par l'interce88ion d'un êtredésigné ou élu, ici le narrateur.Dè8 lors, les péripéties du roman,8a comp08ition 8'éclairent delueur8 lointaines, et qui nOU8 re-viennent de la nuit et du gel -de l'enfer.Ainsi se justifie que beaucoup

de scène8 80ient redoublée8, cha-que rencontre avec le crime Ileproduisant, après un certaintemp8, comme dam un miroirbrouillé. Des chaîne8 d'événe-ments, d'images ou de situatiomcourent à l'intérieur du récit,pour lui a88igner une bizarrestructure en dédale. Par exemple,les oiseaux (qui sont, faut-il ledire, des oÏ8eaux de nuit ou de8squelettes d'oÏ8eaux) tracent uneligne secrète à travers tOUl! le8événements, relient leurs énigmesle8 unes avec le8 autre8. Autre ré-8urgence: le mannequin de cirequi e8t utili8é dam le château parle narrateur et Simon, pour trou-bler la jeune Comtance, a déjà étéaperçu au début du récit dans legrenier de la maÏ80n d'enfance oùle narrateur et son amie MonicatortUraient une grande poupée decire. On finit, peu à peu, paraccepter que l'ordre du monde serange mystérieusement à l'ordrecruel que secrète le narrateur. Le8mêmes figures Il'engendrent inl88-sablement autour de lui, avec lafatalité des images de rêves. Mêmela mort obéit à cette loi de ré-currence et de contamination. Lejeune homme ne borne pa8 sonactivité à envoûter les jeunes fil-le8 innocentes. Encore, il avanceen sUl!citant la mort autour delui: au collège de Saint-Watts,quand il s'évade, 80n frère Sébas-tien, le 8.eul être qui, dan8 le8déserts où il chemine, lui porteune tendre8se vraie et partagée,8'est ·tué ce jour-là. Plus tard, dan8le château de Simon, une damemeurt sur la plage dans des cir-constance8 énigmatique8 et le nar·rateur ne doute p88 qu'il l'a tuée,comme il ne se délivrera pas del'idée qu'il a quelque culpabilitédan8 la mort de son frère Sébas-tien: Sa pré8ence attire la mort,comme une foudre.Cette histoire d'un romanti8me

sombre et f88ciné sacrifie à toutesles images du genre - oÏ8eaux denuit, valets inquiétants ou per-

vers, châteaux perdus, plages si-lencieuse8, odeurs de mort, desang et d'arbre8 pourrissants, man-

de cire et tortures -- maÏ8sa force naît de son écriture 110-bre, précise, d'une sévérité puri-taine. Le8 phrases brèves, biendécoupée8, 8'ajoutent les une8 auxautres comme un 8ilence à un lIi-lence. Elle8 brillent dan8 le noir.On dirait d'une écriture en creux.Elle atteint à une sorte de poé8iemaigre et muette, maUl!sade, par·foi8 belle.Le titre étonne d'abord par son

accent parodique. En8uite par sonimpénétrabilité. Et certes on peroçoit bien que cet enfant ble8sé etmauvai8 a vécu toute son enfan-ce parmi le8 prêtres de Saint-Watts, leurs cérémonies et leursobse88ion8. Son éducation sen-timentale, qui accompagne unéloignement radical de la religion,est donc éducation de la vie pro-fane. Mais le sens du titre débordece thème. En vérité tOU8 les cri.me8 commis par le narrateur sontaccompli8 dans la 8phère du sa.cré. Ce jeune homme est un dé-vot: le sang, la perversion, lamort, la cruauté, le mal enfin quiest le vrai sujet du livre, évoluentdam un VIonde sacré, non-profa-ne. A l'éroti8me dé8infecté que de8auteurs tels Robbe-Grillet nousprop08ent, non sam ennui, Gay-Lus8ac opp08e un éroti8me du pé-ché et du crime qui nOU8 renvoie,toute8 ch08e8 égales d'ailleur8, auxob8e88ion8 de Bataille ou de Jou.ve. Si bien que l'apprenti8sage dela vie profane marque une tenta-tive déçue de se délivrer, en mêmetemps que de son enfance, desodeurs d'encens et de ces spec-tres cérémonieux que' le mal em-porte avec lui. Le livre prendalors son sem: il se lit commeune liturgie du mal

.... Q!!inzainc Littéraire, du 16 :lU JO septembre 1970 5

Page 6: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

Enfeuilletan-t...o.cr-tes et Elisabeth

M. Léon Petit est un bon,connaisseur d'un certain xvœ siè·cIe, et il le connaît en ·finesse.Pourquoi diable est-iJ 'àllé s'enti·cher d'une rêverie de Barres -fort romanesque il 'est vrai, mais,me semble.t-il, indéfendable dèilqu'on' s'éveille du songe? Cestun beau et grand sujet, certeS';qUe Descartes 'et la Princesse 'Eli·sabeth (Editions Nizet) ; mais lesous-titre, «roman d'ainourvé-cu _, le discrédite. A tort, d'ail·leurs; car si les interprétationsdoivent être manipulées avec pré.caution, il reste des faits, il restesurtout des textes: ces grandesgueules d'aventuriei:s énigmati.ques (y compris la folle, cruelleet fascinante reine Christine)parlent plus fort, Dieu merci,que le chuchotement feutré deBarres•• S.

Dix·huitième siècle

Après l'Année balzacienne, laLibrairie Garnier a pris la respon-sabilité d'une nouvelle publica.tion annuelle, Dix-huitième siè-cle. Elle est éditée, sous le patro-nage de la Société fraru;aise d'étu-de du XVIII" siècle, que présideM. Jean Fabre. Le nu-méro vient de paraître. N'y cher-chez ni gaillardises, ni malices, niépanchements ; mais, dans maintsdomaines, ,des études extrêmementsolides auxquelles devront, désor·mais recourir les travailleurs sé-rieux comme les compilateurshonnêtes• • S.

• La mine aux mineurs.

Les Editions Montchrestien,160, rue Saint-J acques à Paris, pu-blient, dans la Collection d'his-toire sociale dirigée par GeorgesBourgin et Edouard Dolléans,une 'nouvelle édition de la thèsedu regretté René Garmy: Lac Mine aux mineurs _ de Rancié(1789-1848) •

Théâtre et combat

Notre collaborateur Gille. San-dier publie chez Stock Théâtre etcombat, un easai fort excitant .urle théâtre actuel où nos lecteursretrouveront la lucidité et la pu-pacité des articles de notre bril-lant critique. 370 p., 29 F.

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Histoire sociale

Jean Maitron poursuit la réali·sation du ,Dictionnaire biographi-que du mouvement ouvrier fran-çais. La première période, de laRévolution française à la Pre-mière Internationale, couvre les.tomes J, II et III. La deuxièmepériode, réalisée en collaborationavec M. Egrot, de la Première In-ternationale à la Commune, encomportera six qui auront tousparu avant mars 1971 pour lepremier centenaire de la Com-mune. Le tome VIJ, de Lan àMor, en passant par Benoît Ma-lon, par exemple, vient de paraî-tre (aux Editions ouvrières).

Un ouvrage de référence indis-pensable à tous ceux qui saventpuiser 'dans l"exemple historique,une inspiration authentique pourla' réflexion et l'action d'aujour-d'hui.Pour une lecture ouvrière de la

littérature, par Jean Aubéry (LesEditions syndicalistes, 1970), ras-semble une série d'étùdes sur Zo-la (spécialemerl-t Germinal) ; fau-teur; est redescendu dans la mineobservée par Zola), Navel, Camus,f anarchisme au temps des symbo-listes, surréalisme et littératureactuelle, dimension sociologiquede la littérature, critique .avanteet lecture ouvrière. Certaines deces études atlaient paru dans laRévolution Prolétarienne, d'au-tres dans des revues littéraires desU.s.A. où fauteur enseigne la lit-térature fraru;aise.

Le fils d'un vétérinaire

Si je rencontrais un vétérinairequi écrivît comme Valéry et com-posât comme Bossuet, je ne luiconfierais pas ma vache. Récipro-quement, nous ne risquons pas devoir attribuer le grand prix de lacritique littéraire à M. Jean-Charles Herry pour sa thèse dedoctorat vétérinaire, Alain fils devétérinaire (Imprimerie Danguy,Morfa8ne). Cela étant dit, il fautdire maintenant que le livre estd'un intérêt t)if et rude. Il apportedes connaissances concrètes. nonsans doute sur Alain lui-même,mais sur le milieu deséletJagespercherons dont les fortes odeurset les soucis rustiques ont impré-gné f enfance de sa pensée. - S.

A conserver

Dans un astucieux emboîtageportant l'inscription: « Revue-tract, à détruire », le Soleil Noirpublie une série de libelles, pam-phlets, affiches de métro com-mentées, bandes dessinées et des-sins tout court sous le titre L'1n-ternationale Hallucinex, «mani-festes de la génération grise etinvisible ». Parmi les auteurs:William Burroughs, Claude Pé-lieu, Carl Weissner, Jean-JacquesLebel (qui conclut ainsi son tex-te: C:.u L'autogestion généralisée,tel est le seul moyen radical demettre fin au règne de la mar-chandise et aux rapports aliénésqu'elle implique _). Un autre li-belle (le Petit livre peau-rouge deMarcel Khan) se termine surcette affirmation à vérifier: «Gé-rard de Nerval était indien _. Dequelque côté qu'on la considère,l'entreprise est en tout cas ori-ginale.

Salavin

Voilà tout juste un demi-siècleque Duhamel a publié le premierde ses Salavin; le cinquième etdernier roman du cycle parut

ans p/;us tard, en 1932. Léau-taud y trouva foccasion d'un deses c: mots _: c: Le Dostoïevskydu pauvre _. Agréablement mé-chant; mais trop sommaire vrai-ment. Un trait d'esprit est la'mortd'une idée, disait Stendhal, jecrois, ou peut-être Alain. Et puisLéautaud, que connaissait-il deDostoïetJsky? En revanche, 400pages fort grandes sur la Psycho-logie de Salavin (pa';' Jacques J.Zéphyr, Editions universitaires),ne serait-ce pas un pèu. beaucoup?Pourtant le recours à la caracté·rologie, à la psychiatrie, etc., serévèle efficace à fusage. C'estdonc que le sujet de f expériencegarde aujourd'hui assez de santépour la supporter. Tant mieux;car les excès d'honneur que' nousavons connw ne méritaient pasf excès d'indignité que nous con-naissons. - S.

Wolfgang Paalen

L'un des peintres les plusdoués du mouvement' surréaliste,Wolfgang Paalen, mourait tragi-quement il y a dix ans. A l'occa-sion d'une rétrospective de ses

œuvres qui s'est tenue il y a quel.ques mois à Paris, notre ami JoséPierre a publié un Domaine dePaalen qui, outre son propretexte, savant et sensible, contientdes textes d'André Breton, deJean Schuster, d'Octavio Paz etdu peintre lui-même. Parmi lesréponses de Paalen à une enquête,relevons celle-ci qui donne uneidée de ce que pourrait être lamoralité dans l'art: «Celui quipeut admettre de céder aux exi-gences du public n'est plus digned'aucune critique. » (Editions Ga·!anis, 98 p., 26 reproductions.)

Hainteny

Une lettrée malgache, Mill" Ba-koly Domenichini - Rimiarallla-nana, attachée à notre C.N.R.S.,a retrouvé dans des archives pri-vées de son pays, un manuscrit de152 hainteny recueillis au tempsde Ranavalona 1, vers 1835.C'est le plus ancien recueil main-tenant connu d'hainteny, ceuxqu'avait publiés Jean Paulhan en1913 sous le titre Hainteny Meri-nas étant de date plus récente.Edition bilingue de 400 pages, pu-bliée à Tananarive et distribuéeen Franpe par la I_ibrairie du Ca-mée, 3, rue de Valence, Paris (5e).30 F environ.Bouvreuil nain rasant les flotsdes rapides

Pas une plume de mouillée à saqueue

Pas un point de ses pattestouché par l'eau

C'est un enfant d'homme debraise

Et c'est qui se brûle le cœurqQ.i l'aura.

Change

« Change» 6 s'intitule La poé-tique la mémoire. «Poétiquedans le sens aristotélicien, reprispar les formaliStes russes et grâceà quoi Jean-Pierre Faye et sesamis entendent pousser f étude« scientifique» de la poésie.Textes, évidemment, de Jakobson,Saussure (les fameux anagrammesde nouveau étudiés ici par JeanStarobinski) , Khlebnikov, maisaussi d'Octavio Paz,tel, Sanguineti, Perec. Le melÎtred'œuvre de ce cahier est Jacque:Roubaud qui parle savamment dela «linguistique transformation-nelle et de ses applications à lapoésie.

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Le"roman-spectacle"

JULESROMAINSde l'Académie française

amitiés et rencontresPortraits, d'Einstein à Gandhi, de Freud à Picasso...

FRANÇOISbloc-notes

La chronique des années 1965-1967

FRANÇOISE SAGANle piano dans l'herbe

(théAtre)à parattre prochainement

JEAN ORIEUXtalleyrand

à parattre en novembrePar l'auteur de VOLTAIRE, ta biographie magistrale d'undes personnages les plus controversés de l'histoire.

enfiler son pantalon, sa chemise,il lui faut alors pour sortir ducercle fermer les yeux ou bougerou sauter par la fenêtre ou semoquer d'avoir ses chaussettes àl'envers et du qu'en dira-t-on. S'ilraïsoline trop, les pièges de Zé-non se referment sur lui, le choixdevient impossible entre deux por-tes, la promenade se casse, Musc.-dia, sa belle amie, disparaît et illui faut la chercher aux quatrecoins de la ville.Dans le récit de François Cou-

pry, tout est événement, hasard,capriee, aventure. On ne sait pasce qu'il y a au coin de la rue, nimême s'il y a du café dans lacafetière ou si les nouilles vou-dront bien cuire. Il faut aller voirou essayer. Guillaume va, avec laforce désinvolte d'un héros ro-mantique. Ce qui nous est conté,ce sont ses gestes, ses élans, sesinquiétudes, son errance quasiquichottesque à travers la ville,sa quête de l'amour fou, d'uneMuscadia aimante, oubliée, dispa-rue, retrouvée.

flammarionprésente

uns les autres, pour notre plaisirou pour notre ire.Si Chaillou s'abandonne pariois

à sa virtuosité jusqu'au vertige,il n'en insère pas moins celle-cicomme les spectacles délirants duthéâtre Vaserman dans une dé-monstration qui possède plus queles apparences de la rigueur. Lejeu est toujours cerné, parla théorie qui le fonde comme lathéorie est constamment minéepar le jeu. Cela donne à la farceune dimension étrange et singu-lière. On dirait le fruit de la col-laboration monstrueuse de Boi-leau et de Saint-Amant, ou encorede Sollers et de Boris Vian.François Coupry, lui, n'explique

pas. Il fait. Il va. Le commen-taire, chez lui a la rapidité d'unréflexe, la spontanéité d'une ex-clamation. C'est la réaction de quibute dans une marche, de qui setrouve soudain face à face avecun gendarme, un perroquet ouune jolie fille nue. Quand par ha-sard Guillaume raisonne, il tour-ne en rond. il n'arrive plus il

pler sur un plateau imaginaire:«Le décor est un théâtre. Lesœuvres présentées le sont pour lGpr.emière fois et d'URe manièredéfinitive. :tBref, dans ce Théâtre Vaser-

man, situé en pleine campagne,en plein air, en plein imaginaire,qui est à la fois lieu de repré-sentation, musée de la scène, bi-bliothèque théâtrale, cours d'artdramatique, école du spectateur,tout est un spectacle. Tout ce quientoure, annonce, commente, con-teste, exalte le spectacle est inté-gré dans celui-ci, participe à sonmouvement. Inversement, tout lespectacle est parole. La voix dunarrateur, du professeur expliquela tradition et la pratique drama-tiques définies par la célèbre«Nomenclature Vaserman:t, dé-crit la salle, la scène, les dépla-cements et réactions des assistants,les mimiques des comédiens, pro-voque l'auditeur, l'informe sou-vent pour mieux l'égarer - etfinalement se mêle aux voix desacteurs, des ouvreuses, des criti-ques, crée, entoure et détruit l'ac-tion. Le narrateur est à la fois té-moin, protagoniste, deus ex ma-china. Et s'il procure quelque aga-cement c'est qu'il donne l'impres-sion de se déguiser pour jouertous les rôles.L'essentiel ici est de déconcer-

ter. Perdre pour redécouvrir,éclairer pour obscurcir, telle sem-ble être la règle du langage vaser-manien qui est le nôtre, mais bé-gayé, contrefait, dévoyé. Le théâ-tre Vaserman, aux secrets duquelon nous initie, est le lieu où lesintrigues se défont à force des'échafauder, où le langage se dé-sagrège à force de briller etd'éblouir. Aussi bien, les scènesqui sont de pur théâtre avec en-trées, sorties, quiproquos, mines etculbutes utilisent-elles les conven-tions, accessoires. et personnagesdu répertoire baroque (Thèbes,châteaux, cachots, cavalcades, in-constance; reine, marquis, che-valiers, écuyers, Matamore, etc.).Les dialogues, en alexandrins ouvers libres mêlent le pasticheréussi, la démarcation ironique,le prosaïsme provocant, pour sedissoudre dans u,ne pirouette ouse briser sur un lieu commun.Surtout, il importe de ne paschercher le sens, sauf à contre-sens ou à contrepet, car tout estjeu et surprise. Les mots ne dé-montrent pas, mais s'appellent les

Michel Chaillou et FrançoisCoupry viennent de publier l'unson second, l'autre son premier ro-man dans la collection «le Che-min :t. Cela ne suifit pas pour au-gùrer quelque ressemblance entreeux, puisque, .sur ce «chemin:t,on le sait, chacun va à son pas.Si l'on regarde les premières pa-ges de Collège Yaserman où l'onretrouve la verve savante de ]OlUl-thamour et celles, rapides et vi-ves de la PromelUlde caMée, ondistingue tout ce qui les sépare.Chaillou explique - ou feintd'expliquer - avec tout un arse-nal de démonstrations et de réfé-rences, non pas l'intrigue, maisles propos et situations qu'il dé-veloppera dans la suite. Coupry,loin de toute approche didacti-que, se lance au galop dans unehistoire qui se révèle bientôt êtretout en ruptures, retournements,sautes imprévues, être moins unehistoire qu'une rêverie ou un jeuaux règles déconcertantes.Si l'on compare plus avant, il

apparaît que ces deux auteurs nesont pas sans affinités. Tous deux,sans doute, prennent l'écriture ausérieux, mais cela ne les empêchepoint de la traiter comme unecomplice enjouée, facétieuse etmystérieuse, et, selon les cas, des'abandonner à ses caprices ou dela trousser gaillardement. Ils ai-ment pareillement les allitéra-tions, les assonances, les glisse-ments de sens qui pervertissent lesraisonnements et font basculer leréel dans l'irréel ou, au contraire,réduisent les géants à n'être plusque moulins à vent. Mais ce quiles rapproche plus encore, c'estque leurs livres semblent apparte-nir à un même genre - dont ilsconstitueraient les pôles extrêmes- et qu'on pourrait appeler le« roman-spectacle :t.Collège Yaserman se donne

pour. un .spectacle. D'entrée dejeu, nous sommes prévenus. Toutse passe ici dans le monde raffi-né de l'illusion. Tout est à lireen miroir, à projeter, à contem-

1Michel ChaillouCollège YasermanColl. «Le Chemin:tGallimard éd., 254 p.

1François CoupryLa promelUlde caMéeColl. «Le Chemin :tGallimard éd., 186 p.

La Q!!iDzaiDc Uttéralre du 16 au 30 septembrt· 1970 7

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:Le"roman.spectacle"

ENTRETIEN Avec le "best-seller"américain n01

Tout est mouvement, et ce mou·Tement est spectacle. La ville oùGuillaume et Muscadia habitentune c grosse petite maison :t, par·mi des maisons en V et en T,penchées ou hérissées, bigarréescomme une glace/' panachée et queséparent des bouts de rue, est dé·crite comme en marge de tous lescircuits, politique, administratif,judiciaire. Or cette ville est sem·blable à un théâtre, à un c opé-ra :t. Tout part de son cœur, tout"se rassemble en son cœur quiest la cour des papes - bien qu'iln'y ait jamais eu de papes - oùl'on donne des concerts, où Guil·laume joue du triangle lTOus la di·rection d'une chefIesse. «A par-tir de ce cœur, la 1Jille était entuyau d'orgue. C'est·à-dire qu'unson qui partait de cette cour étaitrépercuté jusqu'au recoin le plusloin de tous côtés. Ainsi, quandla musique était, elle organisaittoute la 1Jille.:t Celle-ci, avec sesescaliers qui c colimacent:t, ses,appartements qui communiquent,ses couloirs encombrés de démé-'nageurs, est construite comme unhallucinant décor de comedia delfarte. Tout y est possible. On nes'étonne jamais que des personna·ges, des objets insolites apparais·sent, coupent la scène, disparais-sent, comme dans Helzapopin nimême qu'Ehma, gênée par la pré.sence des intimes et voisins, doi-vent entrer dans le cercueil deson époux pour revêtir son sédui-sant costume de veuve.En fait, Coupry abolit les fron-

tières du réel et de l'imaginaire,du logique et du fantastique. {Tneécriture rapide, aux phrases cour-tes, hachées, chargées d'inciden-tes savoureuses ou percutantes,qui nous entraîne de coqs à l'âneen pirouettes, de dérapages en ef·fractions, dans un monde fantai-siste et merveilleux du côté dechez Lewis Carroll ou de chezRaymond Queneau. A ce jeu, oncraint toujours de voir l'auteurfunambule se rompre les os, maisavec une sûreté surprenante pOUlun romancier de vingt-trois ans,Coupry évite toutes les embûches.Sa réussite tient à ceci que, sansen avoir l'air, il signifie beaucoup.Qu'est-ce que Guillaume sinonquelqu'un qui, à traven la vaineagitation de notre monde, chercheune raison d'être et les lumièresde l'amour fou?

Claude Bonnefoy

8

Love Story est le best-seller n° 1aux Etats-Unis: 360000 exemplairespubliés chez Harper and Row. Quatreclubs du livre - Literary Guild, Bookof the Month, Reader's Olgest, BargalnClub - l'ont acheté. Quatre millionsd'exemplaires en livre de poche (NewAmerican Library). 10 millions de lec-trices du magazine Ladies Home Jour-nal. Erich Segal dit simplement quebientôt un quart de la population desUSA aura lu son livre. Love Story vaêtre traduit dans toutes les langues;l'auteur, polyglotte, contrôle la plupartdes traductions.Erich Segal (33 ans) enseigne de-

puis six ans les classiques et la litté-rature comparée à l'université de Yaleaprès avoir été étudiant et professeurà Harvard. Il a publié Euripldes: acollection of crltlca\ essays (textesréunis par l'auteur), Roman Laughter,une étude de mœurs des Romains duIIi' siècle basée sur les comédies dePlaute, P\autu5 three comedies, 400 pa·ges en vers, traduit du latin. Son pro-chain livre, The death of comedy, estun essai sur la comédie, d'Aristo-phane à Samuel Beckett.

A quoi attribuez-vous l'énor-me succès de Love Story ?

E.S. C'est un livre honnête.Je reçois des centaines de let-tres qui disent seulement:«C'est vrai. Merci.» Des télé-grammes aussi : « Est-ce que lasentimentalité est un signe devieillesse? Si cela est, alors, à23 ans, je suis très vieux. Mercipour Love Story.• L'amour en-tre les jeunes est comme ça en1970. Les sentiments entre unpère et un fils ont toujours étécomme ça. Ces chiffres deénormes veulent dire que la jeu-nesse aime Love Story.

Comment ce succès a-t-il dé-marré?

E.S. Love Story avait déjà étéchoisi par la Literary Guild (clubdu livre très important), l'édi-teur faisait déjà de nouveauxtirages après de bonnes criti-ques, lorsqu'on m'invita à uneémission de télévision: TodayShow. Le résultat fut immédiat:

même les librairiesétalent vidées. Les critiques ontmontré leur intérêt pour un au-teur qui avait tout risqué pourêtre bon. En écrivant je n'avaispas l'impression de risquer.Mais Je n'habite pas New Yorket je ne fais pas partie descyniques « Iiterati ». J'avais créé

Scénariste, il a été le co-auteur duYellow Submarine des Beatles. Il abien entendu écrit le scénario du filmLove Story, et quatre autres films. Iltravaille à une pièce de théâtre, StillLife, pense à un prochain roman etrecommence ses cours le 15 septem-bre. Mais Erich Segal est aussi unathlète: il court 15 kilomètres tousles matins.Ce phénomène porte son succès

avec joie, il en parle avec passion etexubérance, comme s'il s'agissait dequelqu'un d'autre. Il joue son rôle àmerveille, avec une simplicité décon-certante.L'histoire de Love Story (Flamma-

rion, éditeur) est très banale, ErichSegal l'avoue lui-même. Deux étu-diants s'aiment et se marient. Elle estpauvre, lui est riche et se brouilleavec son père. Pendant trois annéesheureuses et studieuses, ils mangentles spaghettis gagnés par la jeunefemme. Il termine brillamment sesétudes de droit et trouve aussitôt unesituation importante. Alors, elle meurtde leucémie. Il tombe dans les brasde son père et pleure.

une espèce de bon sentiment.Les lecteurs ont pleuré, ils ontressenti quelque chose et cettechose était bonne. C'est une his-toire de profonde bonté humaineet ça, c'est rare.

Vouliez-vous écrire un scéna-rio ou un roman lorsque vousavez commencé Love Story ? .

E.S. J'ai commencé unique-ment avec l'idée de la mort

d'une Jeune femme et j'ai écritle livre et le scénario à la fois.J'ai recommencé 28 fois le pre-mier chapitre. Les 28 versionssont maintenant à la Bibliothè-que de Harvard.

Pourquoi annoncez-vous dès la

premlere ligne que votre héroï-ne est morte?

E.S. C'est ce qui fait le livre.Autrement cela aurait été unmélo.

Pourquoi tous ces clichés?

E.S. Parce que la seule choseimportante était l'émotion et,pour le reste, les clichés mesuffisaient. Tout est cliché,absolument, mais ainsi je pou-vais aller au cœur de la situa-tion. Je fais comme l'avant-garde, je travaille dans le sys-tème. Lorsque 25 000 personnesvont à Washington avec des pan-cartes, Nixon regarde un matchde football à la télévision... Moije suis une vedette, je peux par-Ier. Je travaille comme mesétudiants pour que le sénateurde mon choix soit élu et défen-de mes idées. Je travaille aussiau National Advisory Council ofthe Peace Corps dans un comitéde quatre personnes avee NeilAmstrong, l'astronaute. Un jourj'ai reçu un coup de téléphonede la Maison Blanche me de-mandant de participer aux PeaeeCorps. J'ai répondu que j'étaisdémocrate, anti-guerre et que jen'avais pas voté pour Nixon.«Nous savons tout sur vous»m'a-t-on répondu. J'ai parlé avecNixon devant des journalistes.Il est malin. Il m'a dit: « Mr Se-gal, what Peace Corps needs islove. » J'ai répondu: « MrNixon, what Love Court needs isPeace.» Mes étudiants ont étéravis.

Vous êtes professeur, scéna-riste. romancier, athlète, poly-glotte, compositeur et acteur àvos heures, êtes-vous chaquefois un homme différent?E.S. Je suis toujours le mê-

me, autrement je serais dans unasile.

Quel est l'Erich Segal quevous préférez?E.S. La totalité. Je suis com·

me un athlète qui fait le déca-thlon à qui on demanderait s'ilpréfère le saut à la perche oule saut en longueur. Ma spécia-lité c'est la diversité.

Propos recueillis parM.-C. B

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HISTOIRE

Celui qui silenceI.ITTiRAIRE

I.a Q!!Ïnzainc Littéraire du 10 au 30 septembre 1970

Félix FénéonŒuvres plus que complètesTextes réunis et présentés'par Joan U. HalperinDroz éd., 2 vol., LXVII,1087 p.

Anarchiste et dandy, émi-nence grise des lettres et desarts, cruel humoriste desnouvelles en trois lignes;l'énigmatique Fénéon a sa lé-gende, pour ne pas dire sonmythe, que Jean Paulhan fixaen publiant, il y a près devingt-cinq ans, un choix deses écrits précédé d'une ful-gurante présentation.Voici maintenant, en deux

gros volumes, ses œuvrescomplètes, et même plus, carelles comportent, outre toutce qu'il a signé de son nomou d'un pseudonyme, de nom-breux textes anonymes re-trouvés au prix de longues etperspicaces recherches.

Avouons-le, on est d'abord sur·pris. On en était à la légende, àl'image de «celui qui silence »,comme le définit Jarry, d'unTeste avant la lettre qui a faittaire en lui tout ce qui n'est pa"essentiel. Et on découvre noncertes la prolixité, mais une abon-dance troublante. On s'étonne queFénéon le laconique se soit sisouvent attardé sur des ouvragesinsignifiants, fût-ce pour les exé·cuter en quelques formules cinoglantes, alors qu'il prétendait êtreun pur amateur, non un critiquede métier. On s'interroge sur lavaleur de telle notice de catalo·gue, admirablement imperson'nelle. Les nouvelles en trois li-gnes elles·mêmes, si savoureusesen petites doses, semblent désa·morcées, à nous arriver groupéespar vagues de deux pages.On en vient à se demander si

cette entreprise n'est pas, dans saréussite, une manière de trahison.Voilà imposée à Fénéon jusqu'àla moindre ligne d'une œuvredont il ne voulait pas entendreparler. « Pourquoi me contraindreà les éditer ? écrivait·il à JeanPaulhan qui le pressait de ras-sembler dans un livre quelques-uns de ses textes, c si certainsont une valeur, je conteste leur

Double paradoxede ces œuvres plus que complètes

restituées malgré lui à leur au-teur!Mais Joan U. Halperin a ell

raison de le soutenir, au risqut'd'égratigner nos idées reçues etde trahir la rare discrétion deFénéon. Car, chez ce diabled'homme, la réalité dépasse tou-jours la légende.L'anarchiste qu'il fut, nous le

connaissions par quelques anec·dotes et par le procès des Trentedans lequel il fut impliqué parcequ'on avait trouvé des détona·teurs et du mercure dans son bu-reau au ministère de la Guerre.Il fut acquitté, mais,' on s'endoute, perdit son emploi et entraalors à La Revue blanche: c'étaiten 1894. Joan U. Halperin a réussià identifier ses notes et articlespolitiques, publiés sans signaturedans f En Dehors, où il reprit no-tamment la rubrique du directeurZo d'Axa lorsque celui-ci dut pas·ser en Angleterre pour fuir lespoursuites policières, et aussidans la Revue anarchiste et laRevue libértaire. Au total, unecinquantaine de pages, d'une viru·lence impitoyable, sans communemesure avec le simple goût de lamystification auquel certains ontparfois voulu réduire son engage·ment: Fénéon fut plus qu'unsympathisant en un temps où ilne faisait pas bon participer aumouvement libertaire.

Son universesthétique

On dessine mieux aussi, à lalecture de ces deux volumes, lespaysages de son univers esthéti-que. Par ses sympathies commepar ses refus, Fénéon appartientà l'époque de l'Impressionnisme(plus encore, du post.impression.nisme) et du Symbolisme, commeil appartient à celle de l'Anar·chie. Sans doute il a pu organiseren 1912 la première expositionfuturiste parisienne, collectionnerles objets d'art nègre, publierCocteau et d'autres aux éditionsde la Sirène dont il s'occupa dansles années vingt. Mais il n'a écritni sur le cubisme ni sur le surréa·lisme. Il est resté un homme de1890, l'ami de Signac et de Seu-rat, le collaborateur de la Revueblanche, qui disparut en 1903..C'était l'âge de l'individualisme

conquérant, en révolte contretoutes les formes figées, du vers

libre contre les règles de la pro·l!odie, de la spontanéité impres.sionniste contre les conventionsde l'académisme, de l'égotismeaussi bien que de l'anarchie con·tre les cadres rigides de la société.Fénéon l'a peut-être senti avecplus d'acuité que ses contempo-rains ; il est allé souvent plus loinqu'eux dans ses conclusions ousimplement dans la précision perocutante de son langage: de làvient l'accent moderne qui nousséduit en lui. Dès 1883, il con-damne Bouguereau qui, dit-il, esttout, sauf peintre. Il ne cesse deminimiser le rôle du sujet dansla peinture et, à ce titre, déplorela c ferveur littératurière:) oùGauguin lui semble tomber. Ilapprouve le mot de Pissarro àDurand·Ruel qui s'étonnait, de·vant un tableau, d'une vachec imprévue des photographes :«Mais ce n'est pas une vache,c'est un ornement. A la notiond'école du c fini il réplique (ilest vrai que c'est en 1930, maisil aurait pu le dire quarante ansplus tôt): «Ce qui importe,étant vérifiable, c'est que le ta·bleau ait été c commencé c'est·à·dire que son exécution ait étémotivée par un problème de for.mes et de couleur, bien net et quilui soit propre. Une étude atten·tive de BeS critiques de poésie, dethéâtre et de romans laisserait ap-paraître, dans les mêmes limitesdu goût, des percées aussi pénéetrantes.Il se détermine plutôt par des

condamnations féroces que pardes admirations (bien que sa lé-gendaire impassibilité dissimuleun réel don d'émotion: c Je l'ai

vu rougir de plaisir devant unbeau a dit Verhaeren).Cette remarque nous permet desaisir la signification de ces nom·breux comptes rendus d'ouvragesmédiocres qui pouvaient de primeabord nous surprendre. Ils sontde la même nature que les notesdes journaux anarchistes et queles nouvelles en trois lignes. C'est. toujours un regard froid et sansappel porté sur le monde, le re·gard de l'humour. On connaît leschéma des nouvelles en trois li·gnes: il se ramène à un exposéelliptique qui transforme le faitdivers, avec tous ses arrière·plans de passions humaines, enune observation clinique, scanda·leuse par sa brièveté :

Jugeant sa fille (19 ans) troppeu austère, f horloger stépha.nois Jallot fa tuée. Il est vraiqu'il lui reste onze autres en·fants.

Voici la critique d'un roman :

Jean Raden,' Parrain Pierre- Un monsieur amoureux de safilleule apprend qu'il a pour ri·val son frère adoptif. Le déses·poir de cet homme justifie cer-tes fentreprise de M. Jean Ra·den.

Celle d'une exposition:

Jules Machard - Sur desépaules, des bras, des gorges,M. Machard manœuvre.

Un écho de la Revue anar-chiste:

Un agent de police, MauriceMarullas, s'est brûlé la cervelle.Sauvons de f oubli le nom decet honnête homme.

Et même un portrait du PetitBottin des Lettres et des Arts:

Lemaître (Jules) - Appar.tient à cette catégorie de Nor·maliens - c'est la plus dange.reuse - qui feignent de com-prendre quelque chose.

Prises séparément, des nota·tions de ce genre peuvent passerpour de simples rosseries, et riende plus. Multipliées, elles consti·tuent un anti·monde qui détruitl'ordre des choses par une subver-sion envahissante.

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Page 10: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

Fénéon

COLLOQUE

Où en est

.3 rue .u Templ.... Paril •.C.C.P. 15.:»51.53 Paris

-.:rit UD .. tD d'UD aD 58 F 1 EtraDaer 70 Fo de six IDCÙ 34 F 1 ElnDger 40 Fripmeat joiat puo mandat postal 0 chèque postalo ehèqœ bulc:aireRettYOJa mie earte il

Michel Deguy

G.G.

Il n'y a plus de polarisation del'Avant-garde autour du c Nou-veau Roman ••Le nouvel effet d'optique, ou

mirage de rassemblement, est lestructuralisme; c'est à la fois unleurre et une réalité :

prochaient les esprits, d.s pointsde convergence apparaissaient.Une certaine impatience aux con-traintes, aux contraintes des so-ciétés surorganisées de l'Ouest etde l'Est, à celles des technocratesde la littérature. «L'imaginationet non la linguistique », s'écriaitPierre Bourgeade. Plus de car-cans rationalistes, plus de déter-minismes à prix unique.On trouvait aussi un désir de

communication qui s'était faitrare au milieu du siècle. Non queces jeunes écrivains sautent par-dessus les obstacles entre leur pu-blic et eux, mais ils admettentl'existence d'un problème queleurs prédécesseurs éludaient, etils sont prêts à remettre en causele monopole du livre. Ecrire surles murs, disait l'un, les mass-media, pourquoi pas, disait l'au-tre, et tout n'est pas à dédaignerdans le pop art. Ceux qui mani-festaient le plus de confiancedans le livre réclamaient de nou-veaux modes de lecture. Entre lalittérature et ses véhicules, les re·lations semblaient changées d'unemanière ou d'une autre.Et surtout chacun revendiquait

la première place pour l'imagina-tion, et c'est là qu'on voyait lemieux l'impact de mai 1968.L'imagination au pouvoir. Sur cepoint-là, pas de réserves.. Tout se passe comme si uneréaction anti-rationaliste se prépa-rait pour les années 70, aprèstrente ans de littérature universi-taire. Comment s'en étonner?L'histoire de la culture est unperpétuel dialogue entre les for-ces de l'imagination et celles durationalisme, avec des avantagesprovisoires tantôt de l'un, tantôtde l'autre. Maintenant que nousvoici engagés plus loin que jamaisdans la société technologique, iln'est peut-être pas mauvais quedes poussées contraires maintien-nent l'équilibre. L'avenir dira sielles ont réussi.

thème en était: • Avant-garde et Nouveau roman •.Nous publions ci-dessous

les conclusions qu'a tiréespour nous Gilbert Gadoffred'une discussion nourrie etanimée ainsi que des extraitsde quelques interventionsparmi les plus marquantes.

des options sur elle et qui osentle pari, même s'il ne suffit pasde parier pour gagner.C'est en 1956 que l'Institut Col-

légial Européen avait invité à uncolloque sur «L'après-guerre est-il terminé? • Nathalie Sarraute,Robbe-Grillet, Ionesco, Boris deSchlozer, Kyra Stromberg, JohnWeightman et Chapman Morti-mer. La déstalinisation'de la Rus-sie avut déjà commencé, celle del'Eglise n'était prévisible quepour ceux qui suivaient ses affai-res de près, mais la décolonisa·tion était déjà entamée et la dé-composition de la IV· Républiqueassez visible. La littérature allait-elle continuer sur sa lancée, com-me si les cartes politiques et lesgrands espoirs de la Libérationétaient toujours là? On pouvaitsoulever la question. Mais bienpeu se l'étaient posée. Les nova-teurs eux-mêmes n'accusaient au-cune sensation de rupture, etRobbe-Grillet 8e prenait pour unécrivUn existentialiste. Ce n'estqu'au terme d'Une semUned'échange d'idées, suivie de nou-velles rencontres, que la notionde Nouveau roman se fit jour. Lepari étUt fait.Quatorze ans plus tard, unau-

tre groupe d'écrivains 8e réunità Loches, aU88i disparate que lepremier, et - à peu d'exceptionsprès - aussi indécis 8ur ce quiles rattache aux cénacles de leursainés. L'Avant-Garde qui 8'estpolarisée autour du Nouveau ro-man au cours des années cin-quante est-elle encore en phased'activité? Et lisent-ils Tel Quelavec les mêmes yeux qu'avant1968? Sur ces deux points, au-cune réponse ne faisait l'unani-mité. Mais à mesure que la dis-cU88ion et la vie commune rap-

.....-.e

Sous la présidence deM. Gilbert Gadoffre vient dese tenir à Loches un colloqueréunissant un certain nombred'écrivains (romanciers, poè-tes. essayistes) qui ont leplus vivement contribué cesdernières années à l'évolutiondes formes littéraires. Le

Avant-sarde ou troisième vasue?par Gilbert Gadoffre

Les vagues et les nouvelles va-gues se succèdent à un rythme sirapide que le public a ·peine àsuivre, à démêler le nouveau del'ancien, ou même à deviner ceque chaque vague dépose derrièreelle. La notion d'Avant-Gardeelle-même est utilisée à des finssi diverses qu'elle crée de nou-velles confusions. Combien d'ar-rière-gardes maquillées se fontpasser pour avant-gardes? Etcombien d'authentiques novateursrécusent l'appartenance à l'Avant-Garde par crainte des voisinagesdouteux ou par horreur du régi-ment?Convenons qu'il est düficile de

s'installer soi-même dans l'Histoi·re en trUn de se faire. Commentparier sans outrecuidance que de-mUn sera fut de la même étoffeque n08 rêves? On peut fairemille objections à cette attitude,mais elles ne changeruent rienau fond des choses: l'Histoireest faite par ceux qui prennent

Michel Décaudin.(1) On n'a pu ftn1 de dépister tou-

tes les manifestations de lIOn ·humour.Oqeons qu'fi n'a jamaJs songé à6cr1re ce roman annoncé en 1883 dans_ termes que vo1c1: La Vaselée, r0-man psycboJogique. 1" partie: Eah!Ji.partie: Beas·paplDoas noIâ&reII .-.....t lu le mucle snematlqae cieJaetaeIJDe. Se partie: Le ut cie Paalsa. 4- partie: L'œil t.'ft dapIIte bD......... Mais quelle belleoccasion de ridiculiser. par un simpletitre; une tendance et une écritureromarw;ques à 1& mode 1

Nous ne sommes paS loin duJarry de la Chandelle "erre. L'uncomme l'autre, Jarry et Fénéonmettent en évidence la bêtise etl'absurdité en 8ubstituant un mé-

à la psychologie ou unelogique autre au raisonnementcommun. L'un comme l'autre, ilsont fut de'l'hUMBour une caté-gorie de l'esprit, et la plus effi-cace (1). Certes, Fénéon n'a plllJcréé un Ubu, ni un Faustroll;mUs les c: travaux indirects. aux-quels il se complut 80nt, commeles &estes et les spéculations deJarry, autant de brûlots destruc-teurs.. Les juges de 1894 qui l'acquit-tèrent n'ont pas compris qu'ilsavuent bel et bien dUre à unterroriste. Ce n'étUt cependantpu faute d'avoir été prévenus.Mallarmé l'avut déclaré à unjounialiate, le jour même de l'ar-. restation de son jeune ami: c: Onparle, dite8-vous, de détonateUJ'8.Certes, il n'y avait pas, pour Fé-néon, de meilleurs détonateUJ'8que ses articles. Et je ne pensepas qu'on puisse se servir d'armeplus efficace que la littérature••

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l'avant-garde?

La Q.!!inzainc IJttéraire du 16 :lU JO septembre 1910

Nathalie Sarraute

J.M.G. Le Clézio

1) Un leurre, 'parce que les Inté-ressés fie se reconnaissent pas c struc-turalistes., ne savent pas ce queque le structuralisme, refusent les rap-prochements imposés par les organesd'information;2) Une réalité, parce que, plus pro-

fondément que leurs distinctions oudissensions, l'essence de l'époque tienttous ceux qui y travaillent, et le struc-turalisme désigne a.<;SeZ bien la coïn-cidence de la démarche des «-scienceshumaines,. (incl\lant la pratique et lathéorie de la littérature de plus enplus) avec le creste. du règne de' laTechnique entendue au sens heidegge-rien.

Que se passe-t-i1 ?

Car que se passe-t-il ? Une for-Ipidable crispation de la terrepour f objectivité, à partir et envue de fobjectivité; l'accapare-ment de tout à l'aune de l'objec-tivité scientifique: de sorte quela dubitation formidable, l'hési-tation et le délitement, la dé.construction la destructions'emparent de toutes les «diffé·rences avant que (et pour que),les engloutissant, la re-productionles objective: l'objectif c'est lamonotonie terrifiante de la re·structuration de tout «phéno-mène» selon une même unité de

essentiellementtique. La dénonciation univer·selle des différences se poursuit.ets'achève et la tâche de rabattretout dans «le tout à dimension

- à quoi collabo·rent à leur place les structura,lismes,. d'unifier le divers en leréduisant à la teneur essentielle·

« technique »,.dit à son être-scientifiable : ascèse

sacqfice' .insensé pourl'objectivité .et le .« réalis'me »ainsi entendu (<<' sans rivàge»).Que peut.il se p'asser les

à venir, qu'annoncerait etprécéderait quelque peu, etremarquer, l'avant-garde» ?

a) Un renforcement de la «théo-rie., . par essence c terrible., donc, auregard du passé = la c therrorie •. Uneemprise toujours plus forte et déci-sive du (néo) séientlBmè-positivismedans la forme de l'assignation et dela légalisation des cstructures ", (Re-jetant à l'insignifiant les génialitésc romanesques" et. aqtres.) "b) En conjonction (ou en opposi-

tion, mais ça revient au même) avecle marxisme (léninisme) dans sa for-me rénovée, .i.e. c althussérienne. etautre, avec la tentat..1ve(la c dernière carte.) de. doimer lemarxisme pout la science, pour lùtextorquer les critères de la scient11lcitédes sciences,. etc.

Un assujettissement de plus en plusfort de toutes les pratlq!les Incluantles c pratiques littéraires •.(ci-devant« genres.) dans la Pratique, c'est-à-dire dans une théorie générale marxis-te de la pratique; à 1lnalité soelo-

crévolutionnaire., c'est-à-dire c totalitaire. au .sens de l'un11l-cation socio-politique de la c terre •.

c) Les formes de résistance à cemouvement général, sans doute irré-pressible. (Mais toute c résistance :Yétant déterminée comme c réaction'.dans l'optique dominante de la ether-rorie ., se trouve préjorativ1sée, infir-mée a priori..) Le refus du c totali-taire.; les tentatives an-archiques,dont les meilleures' seront celles quine sont pas c obscurantistes., maisparfaitement avisées. de l'essence del'époque et donc à hauteur de c con-naissance scient11ique ". Une csoriiedésespérée ", une tentative (multiple)de faire que le c poème. (c l'art .) nesoit pas seulement une fragile avanceou escapade par. rapport à la c théQ-rie. en chasse qui régularise immé-diatement la situation. Autrement dit,l'invention de 'réponses enébre impré-visibles aux de Lautréamont:y a-t-il une objectivité .pOétique .quine puisse être confqndue avec l'objec-tivité scientifique? Le «par tous ..renvoie-t-il à autre chose qu'à la mas-s11lcatioIÎ ,et conformlsation galopanted'une unanimité «technique"; ren-voie-t-il à des centres de libertés asso-ciés, plutôt qu'à des groupes de loisirprogrammés, etc.? Que veut dire«consoler l'humanité,.? (début des«poésies") ?

Faire le vide

Peut·on échapper au mauvaisinfini moderne,' je veUX dire àl'indéfinie pourswte d'une limite·illimitée qui recule avec' ia préci·sion indéfiniment croissante desappareils de' la techniqùe, etc. ?Qu'est-ce que la limite, 'la figure,le spacièux, la mort, la parole?

.< poésie» pourra.t:elle encorerépondre? Saùra-t·elle encorefaire le vide pour ce que Mal·larmé appelait le Vierge'? Travailharassanf de la limite, qui impli.que la critique des pouvoirs dulangage, l'exercice· d'un 'savoirtoujours trop pauvre pour ne pasdésespérer, et la référence à ·l'in-visible qui attire la parole.

(Inutile· de mentionner,' bien sOr,des innombrables formes quel'ont encore pour deS décerinies toutesorte c d'avant-gardes., en c jouant.avec les produits et sous-produits,c'est-à-c:ijre les PQSSibilités toujoursmultipliées, !le tecbnlqq,e, les Fetoll?--bées lhcessantes de la technique ducÔté décoratif et ainusant"des c'àrfs .,en 'Variétés de clnétisme,;' s1tnurtè.-néisme, plasticismt; etc.)

Le nouveau roman, cherchant àreprendre le mouvement si bril·lamment commencé dans le pre-mier quart de ce siècle, a affirméque le roman est up art commeles autres et que pour vivre et sedévelopper il doit constammentsè déplacer, aller du connu à fin-connu, de f exploré à. finexploré,à la recherche trun ordre desensations neuf. Il, a.affirmé quecet ordre de sensations neuf nepouvant être révélé que par desformes neuves, il fallait abandon-ner les vieilles formes, autrefoisefficaces, et devenues inutiles, gê-nantes - telle que le personnage,fintrigue, le temps chronologi-que...Le nouveau roman rappelait

tous ceux, si nombreux, qUlf avaient oublié, que le rQmanétant un art, et.:régal des autresarts, sa substance p'ropre, le lan,·gage, en constitUe f.élément essen·tiel.Ces p,o,ints de sont qujour-

tr[i.ui pqr lesjeunes romanciers..Mais certains 'trentre eux veu-

lent aller plus loin. Ils cherchent

Tout trabord, je crois qu'il n'ya pas eu de ·nouveau roman àproprement parler: il a eU,sim-plement la mise à jour, en France,à un moment donné, trœuvres ins-pirées directe-,nent par la nouvellecOnscience littéraire, issue de Jar·ry, du surréalisme, de Joyce, deFaulkner, et de beaucoup··trau-tres. Dans ce sens, on peut direque, le nouveau roman français(N. Sarr/Jute, Simon) a été plutôten retard. Maintenant, il me sem·ble que cette nouvelle conscience(nouvelle façon de voir, nouvellefaçon de concevoir) n'a jamaisété en rupl!Ure avec les :grandscourants de la pensée occidentalemoderne: elle a dOnc évolué.L'essentiel de cette' .évolution(mais c'est difficile tren parlerrapidement)! a .été, il me semble,un paTC!>urs menalU, de findividuà funiversel:· je. .dire quef enquête individualiste abaolùe

à faire du roman une forme purequi ne renverrait à rien trautrequ'à elle-même, le se consti-tuant à partir du seul langage etse contentant de ses jeux.Il ne me paraît pas possible de

se passer de ce qui est à mesyeux la source vive de toute 'œu-vre :. des sensations neuves,. en-core intactes, qui nous sont don-nées par le monde qui nous en-toure.Ces sensations, seul le langage

permet au romancier de les cap-ter, au prix trune exploration dif-ficile et dangereuse, sans modèles,sans cadres rassurants, sans garde-fous. Le langage leur, donnef existence et elles, à leur tour, luidonnent toutes ses vertus.L'expérience montrera si les

seuls. jeux gratuits de f écriturepeuvent réussir à créer des for-mes vivantes. Pour ma part, je' nele crois pas. J'ai la conviction qlf8r expérience commencée par lenouveau roman ·ne pourl'a se dé-velopper, à la manière de tOlltart, .que grâce à f apport continllde . formes neuves porteuses demondes sensibles encore inconnus.

des Gommes, par exemple, n'estplus suffisante aujourtrhui. Leregard de f écrivain découvrantque tout homme est un universest en train de découvrir que touthomme est aussi un groupe trhom-mes. Le premier temps était né-cessaire pour tuer le réalismeextérieur, le deuxième temps pourfaire éclater les prétendues limi-tes de la: psychologie et de findi-vidu. L'écrivain a donc quelqueschances de trouver sa place entrele sujet et faction, c'est-à-dire en-tre findigène et rethnologue.Cela dit, je dois avouer que jen'ai aucune espèce tridée sur cequ'on appelle f a1Jant-gardè, Cemot me; donne, fimpression désa-gr.éable que les écrivains (et lesintellectuels) forment une armée,et 'ont des batailles à litJTer·et·de$1·guerres à gagner. le"ne meseris pas fâme trun soldat. Tantpis pour moi.

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L'IlDITION HONCRIE

EN Comment vit un écrivainEUROPE

Bernard Teyssèdre

C'est l'organe de direction ad-ministrative des éditeurs. Organede contrôle et de dotation - ma-tériellement et· spirituellement.C'est l'instance qui approuve les

Qu'est cette Direction des Edi-tions que VOU5 venez de mention-ner?

vains qui sont publiés par cesrevues avec une certaine régula-rité comptent aux yeux du public,des collègues et d'eux-mêmes. Ilest presque sûr qu'ils sont bienvus par les éditeurs s'ils se présen-tent avec un volume..

Combien de maisons d'éditionexistent en Hongrie?

Pourquoi avez-t)ous deux mal-50ns littéraires? Pourquoi pasune seule - ou dix?

;

Une bonne vingtaine, mais laplupart sont spécialisés: scien-ces, sport, vulgarisationscientifique, agriculture, beaux-arts, techniques, ete. Et ces «spé-cialités fixées officiellement sontrigoureusement respectées. Il y adeux maisons d'édition littéraire:l'Edition des Belles-Lettres (Szépi-rodalmi Kiado)' et les Editionsdu Semeur (Magveto). Une troi-sième compte pour l'opinion pu-blique plus que les deux autresprises ensemble : les Editions Eu-ropa. Elles publient les ouvrages<-ks littératures étrangères en lan-gue hongroise. Le rôle de cettemaison a été énorme et ·très salu-taire dans l'effort pour rattraperle retard causé par la dizained'années' de stalinisme rigoureuxsous Rlikosi. C'est cette maisonqui a publié Camus, Robbe-Gril-let, Duras, Beckett, aussi bien queDruon ou Simenon ; Hemingwaycomme Capote, Kerouac commeKafka; Soljénitsyne comme Tvar-dovsky, Becher comme BoIl - etla liste pourrait être allongée sil'on y ajoute. les littératuresd'Extrême-Orient. Mais cette mai-son ne fait que des traductions -en général sur un niveau élevé,il est vrai.

Pour faire vraimentdre cela, je devrais vous raconterrhistoire du dernier quart de siè-cle. Essayons de résumer. Avantla libération. à l'époque capita-

terre et l'Allemagne où, à liste, en Hongrie il existait à peul'Ouest, des changements impor- près deux douzaines d'éditeurstants se sont poduits ces derniè- qui publiaient - au moins deres années, tandis qu'à l'Est la temps en temps - des œuvres lit-Hongrie et la Yougoslavie ont téraires. La plupart ont reprisapporté diverses améliorations leur activité après la libération.à l'étatisation telle qu'elle était Après la prise de pouvoir com-pratiquée dans l'édition aussitôt muniste, en 1949, on a introduitaprès la guerre. aussi sur ce terrain la copie rigide

de la pratique soviétique. Avecl'étatisation des éditeurs, toutecompétition a cessé, même lesmaisons de tradition glorieuse etde renommée bien assise ont dis-paru et leur place a été prise parde nouvelles maisons avec unchamp d'activité strictement déli-mité, comme je viens de le dire. Laspécialisation était en mêmetemps une garantie de monopole :jusqu'en 1955, les Editions desBelles Lettres étaient l'uniquemaison à laquelle un écrivain pou-vait présenter son manuscrit, ets'il était refusé, ses possibilités deparaître ailleurs étaient minimes.A la rigueur, il pouvait faire ap-pel à l'Union des Ecrivains ou auParti. Après 1953, quand desvents plus frais commencèrent àsouffler, les écrivains exigèrent deplus en plus vigoureusement unjugement de deuXième instance :c'est ainsi que «Le Semeur estné, et avec lui au moins le germede la compétition, du jugementdifférent. Naturellement cette dif-férence de jugement reste entredes limites assez étroites, puisquele patron des deux maisons --comme d'ailleurs de la plupartdes autres aussi - est le même :la des Editions au Mi-nistère de la Culture. Les Edi-tions des Belles-Lettres 'sont plu-tôt conservatrices, plus rigides,tandis que «Le Semeur est plusversatile, plus expérimentateur,plus alerte - et, de ce fait,éveille plus d'attention et de pas-sions. En ce qui concerne le nom-bre d'ouVrages publiés, toutesdeux sont à peu près au même

: chacune sort à peu près300 titres par an, avec un légeravantage pour le «Szépirodalmiqui a la charge des grandes sériesclassiques.

Combien de revues littérairesavez-t)ous ?

Alors, comment de1Jient-on écri-vain?En écrivant dans les revues.

Si on ne compte pas les supplé-ments de dimanche des quoti-diens qui publient régulièrementet en assez grande quantité desœuvres littéraires - il est vraisouvent d'un niveau douteux -,si nous laissons de côté lesou cinq revues littéraires de pro-vince parmi lesquelles il y a degrandes différences de niveau, cequi compte c'est deux mensuelset un hebdomadaire. Les écri·

sait quelques langues étrangères,la traduction donne de grandespossibilités. Mais il ne devient pasécrivain aux yeux du public et deses collègues.

C'est sans doute que de plU!'en plus la' France devient unpays culturellemcnt sous-déve-loppé ; où sont-ils nos Joyce, nosPound, nOS Cummïngs, nos Bur-roughs? ces étrangers, qui de-vraient être la préhistoire del'écriture actuelle, ou son terreaumaintes fois foulé, remanié, re-couvert, ils sont plutôt en avantde nos écrivains, qui (je parledes meilléurs) s'essoufflent à lesrattraper! Notre «nouveau ro-man est resté tout aussi romanque l'ancien et Change reste TelQuel. Encore n'est-ce pas assez di-re .: la littérature française est àla traîne de la littérature, maisla littérature entière marque lepas, elle n'a 'pas encore son Pol-lock, son Newman, son Stockhau-sen,.elle n'en est même pas arri-vée à Mondrian, à Wehern ou àVarèse !

A "occasion de la Foire an·nuelle du livre à Francfort, nousavons demandé à plusieurs denos correspondants (un éditeur,deux collaborateurs de maisonsd'édition, un critique littéraire)de brosser pour nos lecteurs untableau de l'édition dans leurspays respectifs. C'est à desseinque nous avons choisi l'Angle-

Le thème du colloque est desmieux choisis: pourquoi n'y a-t-U pas en France d'avant-gardelittéraire? pourquoi les écrivainset leurs lecteurs ne sont-ils pasrassasiés jusqu'à la. nausée d'uneécriture référentielle qui se croittenue de préserver un récit, despersonnages, des décors, ou toutau moins quelque sentiment bre-veté, quelque idée analysée?pourquoi les auteurs attendent-ilsencore de leurs lecteurs une con-nivence (et une connivence par lebas), en leur proposant des textes-objets·qui font appel à leur «dé-lectation ou leurau lieu texte-stimulus quileur ferait violence, qui leur don-nerait mauvaise conscience, quitendrait à les modifier? En unmot, pourquoi la littérature est-elle restée l'affaire de littéra-teurs ?

Comment débute aujourd'huiun écrivain en Hongrié ?

Devenir écrivain en Hongrie -c'est à la fois facile et difficile.Ou, plus précisément: vivre desa plume va sans grandes diffi-cultés ; mais devenir un écrivainconnu, c'est beaucoup plus diffi-cile. Si quelqu'un a une certainefacilité d'écriture et d'invention,et l'assiduité au travail, il peuttravailler beaucoup pour la radio,pour la télévision, en révisant surle plan de l'écriture les publica-tions techniques et autres; s'il

Au calé «New où serencontrent traditionnellement lesécrivains, et qui s'appelle actuel-lement «Café je ba-varde avec un écrivain bongrois.Les fresques chastement érotiques,la colonnade entortillée deres, toute cette ambiance vigou-reusement «art nouveau a étéle témoin impassible de tous lesmouvements, espoirs et décep-tions littéraires et intellectuels dece siècle - les années cinquanteexceptées, quand Rlikosi a fait ducafé au renom fabuleux (qu'En-dre Ady et sa génération ont con-sacré comme foyer spirituel), unmagasin d'articles de sports. Après1956, le café a retrouvé sa fonc-tion originale et naturelle - etses anciens clients.

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plans annuels des éditeurs, quileur assure les bases financières etmatérielles - papier, imprimeur,etc. - de leur fonctionnement,qui coordonne les plans des diffé-rentes maisons. Cet organe a rem-pli cette tâche avec plus ou moinsd'efficacité tant que la structurestaliniste rigide de l'économie etde l'administration était intacte.Mais depuis deux ou trois ans, de-puis l'introduction de la nouvelleet plus souple politique économi-que - appelée chez nous «nou-veau mécanisme» - dont le butest justement d'abolir cette rigi-dité, d'établir des relations écono-miques et administratives pluscompétitives, la Direction desEditions est devenue de plus enplus superflue, donc arrogante.

La Direction de f édition estdonc f office de la censure ?

J'explique maintenant pour lanième fois à un étranger qu'enHongrie il n'y a pas d'office decensure. Si un écrivain ou unjournaliste présente un papier àun journal, à un éditeur ou à laradio, c'est la rédaction elle-mêmequi décide de la publication oudu refus, et c'est elle qui assumela responsabilité de 8a décision.Cela veut évidemment dire queles responsables même les ré-dacteurs ou lecteurs d'une maison80nt parfaitement «au parfum»des limites momentanées du pos-sible et de l'impossible et c'esten relation de ces connaissancesqu'ils établissent leur jugement etleur politique. Pour vous donnerun exemple familier: autant queie' me souvienne, tout l'œuvre 1'0-

de Camus a été pu])iiéet une bonne partie de son théâ-tre ; mais personne ne proposerasérieusement, je suppose, aux Edi-tions Europa de publier fHom-me révolté ou même le Mythe deSisyphe. J'espère que vous voyezce que je veux dire. Evidemment,il y a des cas limites où les opi-nions diffèrent; dans ces cas-là,l'éditeur demande l'opinion de laDirection qui ne la donnera sûre-ment pas sans consulter la SectionCulturelle de la Centrale duParti. Mais ceci est vraiment ra-re; selon ma connaissance, celan'arrive qu'une ou deux fois paran.

Quel chemin prend alors lemanlUlcrit ?

Le café Hungaria, à Budapest.

Si l'auteur est un débutant, ilprésente simplement son livrechez un éditeur. S'il a déjà pu-blié, il est plus que probable quel'éditeur fera un contrat avec luidès qu'il présentera le projet d'unnouveau livre et lui versera desavances - si nécessaire, mêmeen plusieurs tranches -, maisl'avance ne peut pas dépasser les60 % de la totalité des honorai-res. Quand le manuscrit est ter-miné, il est lu au moins par deuxlecteurs, et en prenant en consi·dération leur opinion, le direc-teur littéraire décide de l'éditionou non. En principe il est possi-ble, en pratique il est extrême-ment rare qu'un manuscrit soitrefusé par l'un des éditeurs etaccepté par l'autre.

Pourquoi? Ils échangent leursopinions entre eux?

Non; autant que je 8ache, celaest même interdit. Mais, commepartout, les lecteurs forment unclan, le8 amis se racontent mutuel-lement ce qui les intéresse, oup'assionne, ou intrigue dans leurtravail. Mais ce n'est pas ça quicompte; plutôt le fait que si laraison du refus était politique -ce qui est d'ailleurs un cas plutôt

rare - alors les mêmes normessont valables pour les deux édi-'teurs.

Que gagne un écrivain engrie ?Souvent l'écrivain a un second

métier - par exemple il..est lec-teur dans une des maisons d'édi-tion, comme Gyula Illyés à l'Eu-ropa ou Ferenc Juhasz aux Belles-Lettres.Je pourrais vous citer deux cas

extrêmes: J anos Pilinszky, d'unepart, qui est considéré par l'opi-nion comme un des poètes lesplus importants de notre époque.Pilinszky écrit très rarement -la quarantaine passée, 80n œuvrene dépasse pas une cinquantainede poèmes. Son revenu d'écrivainest donc à peu prè8 nul; il vitde ce qu'il gagne dans un hebdo-madaire. L'autre cas est celuid'Andras Ber k e s i, un 80US-Fleming au vernis communiste,dont les romans et pièces de théâ-tre d'espionnage 80nt très popu-laires. Son revenu annuel dépassele million de florins (200 000 nou.veaux francs).

Comment sont payés les ma-nlUlcrits? En pourcentage aprèsla vente?

LES LETTRESNOUVELLESdirigées par Maurice Nadeau

ÉCRIVAINS FRANÇAIS

JEAN POMMIERLe SpectacleintérieurUn livre rare.

Jacqueline Piatier, LE MONDE

L'équivalent du beau livre d'Alain:Histoire de mes pensées.

Claude Mauriac, LE FIGARO

Rappels

MARC BERNARDMayorquinasUn livre exemplaire, dense et ponc-tué de cette trop rare humanité quiéchappe aux auteurs contemporains.

Lucien Maillard, COMBAT

VIVIANEFORRESTERAinsi des exilésUn ton constamment juste, une sen-sibilité presque secrète et particuliè-rement attachante.

Tristan Renaud,LES LETTRES FRANÇAISES

JEAN-CLAUDEHEMERYAnamorphosesLivre de spéléologue et d'archéo-logue, cette suite de textes reprend,avec un tissage sur l'imaginaire, lavie du narrateur et la livre à l'expé-rience de l'écriture.

Jacques-Pierre Amette,NOUVELLE REVUE FRANÇAISE.

GENEVIEVESERREAUCherpoint du mondeUn style haché,violent,rapide,d'uneremarquable efficacité narrative.

Bernard Pingaud,QUINZAINE LITTERAIRE

I.a Q!!inzainc Littéraire, du 16 <lU JO septembre 1970 13

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Hongrie

Non; la disparition de ce sys-tème a été une des grandes con-quêtes de l'étatisation. Le prix debase d'une œuvre n'est pas in-lluencé par son écoulement. En-tre les limites d'un éventail fixé,les ouvrages sont payés selon leurvolume. Les poèmes d'après lenombre de lignes, la prose d'aprèsles feuilles imprimées - en comp-tant 40 000 frappes pour unefeuille. (Il y avait de mauvaiseslangues qui ont attribué la vo-gue - d'ailleurs assez courte -de la technique poétique maïa·kovskyenne, brisant les unités derythme en deux ou trois lignes, àcette méthode de calcul.) Le prixd'un vers varie entre l,50 à 4 flo·rins, une «feuille» de prose en·tre 1 200 à 2 000 1l0rins pour lenombre d'exemplaires de base quiest pour un volume de poésie3 000 et pour un roman 5 000.Cela veut dire que même si le

tirage est inférieur, l'éditeur paieces honoraires entièrement au mo·ment de la parution. Si le livreparait à un tirage plus fort oudans une nouvelle édition, l'au-teur a droit à des honoraires sup-plémentaires, mais selon uneéchelle dégressive. Supposons quel'auteur a touché 1 600 1l0rinspour les premiers cinq milleexemplaires, mais que l'éditeurfait paraître son livre à 15 000exemplaires : pour les trois millesuivants, il aura 1 400 1l0rins,pour les trois ou cinq mille sui-vants, de nouveau 1 200 1l0rins, etainsi de suite. Au-dessus de20.25000, l'augmentation devientde plus en plus minIme - excep-té le cas extrêmement rare dansun pays de dix millions d'habi·tants, où le livre dépasse les100 000. A ce moment, on recom·mence à zéro. Les écrivains engénéral vivent à un niveau moyenhonnête: il n'y a ni de vrais «ri-ches », ni de vraiment miséra·bles.

Alors, c'est un système soda'le·ment très réussi.

Socialement peut-être; mais iin'est pas sûr que ce système soitaussi réussi du point de vue del'art. La base idéologique de toutle système d'honoraires est uneconception de marxisme vulgairequi a étendu la condamnation duc: revenu sans travail - doncde l'exploitation - au travailartistique. L'abolition de l'exploi.

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tation est une chose magnüique,mais l'écrivain n'exploite person-ne, même s'il vivait du revenud'un seul ouvrage pendant plu-sieurs années. Cette conception- et les réglementations qui enrésultent - ont comme effet quel'écrivain moyen, s'il est assidu autravail, est beaucoup mieux rému·néré que celui qui produit rare-ment, mais des œuvres exception-nelles. Et la situation des poèteset des auteurs de nouvelles estparticulièrement désavantageuse :si le poète reprend un poème parudans un volume antérieur dansune anthologie, en calculant leshonoraires on tiendra compte despublications antérieures et il n'au-ra droit qu'à quelques sous oumême à rien, si disons son pre-mier volume a paru à 1 500 exem·plaires et s'il en reprend une par-tie dans un autre volume qui tireégalement à 1 500: il était payédès le début déjà à 3 000.

Donc r auteur n'est pas inté·ressé par une nouvelle édition?

Au contraire! Même s'il netouche pas un sou, il luttera detoutes ses forces pour la nouvelleédition: c'est l'unique mesurevéritable de son succès, de sapopularité ou de son inlluencesur ses lecteurs - existe-t-il uuécrivain au monde qui ne soit passensible à cela? D'autre part,cette échelle dégressive, si ellen'est pas juste, n'est pas non pluscatastrophique: la somme qu'unromancier touche lors d'une nou-velle édition peut être considéra-ble. A part cela, si un de ses li-vres était déjà un succès de li-brairie, l'auteur peut espérer queson prochain livre sera «plani-fié» dès le début avec un tirageimportant. La difficulté résideplutôt dans le fait que le méca·nisme d'une nouvelle édition estextrêmement lourd. En pratique,aucun livre ne peut donner samesure en librairie tant que l'édi·teur doit se débattre dans les la-byrinthes multiples de la planifi-cation, de l'octroi du supplémentde papier, du contrat d'imprime-rie et surtout de la technique hon·teusement lente et arriérée desimprimeries.

Et les libraires, qu'est-ce qu'ilsfont? Ils ne forcent pas les édi-teurs et les imprimeries à un tra-

vail plus rapide s'ils sententrodeur tEune bonne affaire?

A l'époque capitaliste, le nomcourant du libraire en hongroisétait c: marchand de livres ». Ac-tuellement et officiellement, ils'appelle colporteur ou distribu·teur de livres. Cette différencen'est pas seulement un raffine-'ment sémantique. L'étatisation, enéliminant l'idéè et la pratique duprofit, a en même temps éliminéla mentalité de compétition: lelibraire de chez nous se sent beau-coup plus comme un fonction-naire - peu considéré et malpayé d'ailleurs _. que comme unmarchand. Cet effet a été ren-forcé par le fait que l'étatisationn'a pas connu d'exception, cha-que petite boutique y est passéeet la diffusion des livres pourl'ensemble du pays a été concen-trée dans une seule entreprise co-lossale. Aujourd'hui, nous avonsdéjà dépassé ce stade, la diffu-sion des livres se fait par troisgrandes entreprises. Mais il estsignificatif que ces entreprises nesont pas concurrentielles. Ellesopèrent, comme des trusts capita.listes, par le partage du marché :l'un s'occupe de la vente en li-brairie et de l'alimentation desbibliothèques (dont le réseau esttrès important), l'autre des com-missionnaires dans les usines etautres lieux de travail et le troi-sième - dont la tâche est certai·nement la plus dure - de lacampagne.Ceci est d'ailleurs une bonne

illustration de toute notre situa·tion économique: un systèmeéconomique erroné mais logiquene peut être que péniblement ra-fistolé par des corrections n'allantpas au fond. Un des traits caracté-ristiques des conceptions écono-miques du stalinisme était la sépa-ration stricte de la planification,de la réalisation et de l'écoule-ment des produits. La projectionde cette conception dans notredomaine avait une conséquencesimple: l'édition, le colportageet les imprimeries, tous rele-vaient de différents ministères.L'entreprise de diffusion étaitobligée d'acheter en entier le pro-duit de l'éditeur et de le payer aumoment de la livraison; donc ilétait fort possible - même chosecourante - que le bilan de l'édi-teur montre des gains considéra·bles, tandis que le diffuseur eure·

gistrait - avec et à cause desmêmes livres - des pertes. Le«nouveau mécanisme économi-que exige la compétition dansces domaines. Mais il semble que,par manque d'invention, par peurde tout ce qui est nouveau oumême par opposition politiquesournoise, les cadres moyens quiavaient la tâche d'établir les mo·dalités d'exécution sur notre ter·rain, l'ont presque tourné en soncontraire. Les prix complètementfactices d'imprimerie - commeles prix de revient dans toute no.tre économie - ont dû être engrande partie libérés, mais puis-que le prix du livre a dû rester- pour des raisons économiquesaussi bien que politiques - mo-deste, cela a eu comme effet queles imprimeries acceptent n'im-porte quelle autre commande plusvolontiers que les commandesd'éditeurs. Le «nouveau méca-nisme va dans sa conceptioncontre la centralisation outrée,pour l'initiative et la compétitionde base; ici les mêmes directivesont pu être utilisées comme lesleviers d'une centralisation ren-forcée.

L'édition hongroise est doncen mauvaise posture ?

Non, surtout si nous comparonsla situation actuelle avec celle durégime Rlikosi. Le développementest énorme, on ne peut pas com-parer la richesse et la diversitéde ce qui est à la portée du publicactuellement avec l'offre d'avant1956. Et la lecture, même la lec-ture des poèmes, est une passionchez nous. Nous nous trompe-rions si nous ne voyions pas cer·tains signes de crise : la vie éco-nomique plus animée offre plusde possibilités d'achat, mais endépit du prix modeste des livres,les gens réfléchissent à deux foisavant de dépenser leur peu d'ar·gent superflu pour la littérature.A côté des signes de crise, on peutvoir aussi les signes prometteursde convalescence.Dans ce domaine aussi, on réus-

sira à trouver la solution des pro-blèmes selon la raison et l'effica-cité, tout en sauvegardant lesvrais principes du socialisme -mais d'un socialisme dépouillédes dogmes et des mythes.

Propos recueillispar J.P.

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ANCLETERRE

Trusts et éditeursBeaucoup de changements ont

eu lieu au cours de ces deux der·nières années dans l'édition an·glaise. C'est seulement mainte·nant qu'il est possible de tirer lespremières conclusions et de pré.voir l'évolution ultérieure.L'échec récent de McGraw Hill,

le géant parmi les éditeurs uni·versitaires américains qui n'a pasréussi à prendre le contrôle dePenguin Books a arrêté pour uncertain temps l'invasion américai·ne dans l'édition anglaise. Mais ilreste évident ques des éditeursaméricains continuent à acheterdes actions des maisons d'éditionanglaises, cotées en bourse. Lamort de Sir Alan Lane, fondateuret chef de Penguin Books, a en·traîné immédiatement une offrede McGraw Hill qui possédait dé·jà 19 % des actions, acquises à laBourse. Des mesures prises peude temps avant la mort de SirAlan, avaient prévu une fusion en·tre Penguin et Longman Green,une des plus importantes maisonsanglaises, contrôlée elle·même parun groupe financier. Bien quetout le monde soit content que leplus grand éditeur de livres depoche britannique, jouissant d'ungrand prestige dans le monde en·tier reste anglais, il est permisde se demander si Il'exigence dela qualité qui futd'hui le signe distinctif de Pen·guin ne cédera pas à des consi·dérations commerciales plus im·médiates.Il y a en Angleterre 1 400 édi·

teurs, mais sur les 300 qui pos·sèdent une certaine importance, laplupart sont la propriété de ban-ques, de groupes financiers, dechaînes de journaux, de compa·gnies de télévision et à un degréde plus en plus important d'édi·teurs américains. L'obligationd'obtenir des profits plus élevés aconduit aujourd'hui à une vérita-ble panique dans le domaine dela concurrence. Chaque éditeurcherche à acheter des livres pro-mis au succès et la compétition en·traîne des avances de plus enplus considérables pour pouvoirles acquérir.Les agents littéraires ont fort

habilement réussi à aiguiser cet·te, compétition. Le premier éditeurd'un livre étranger est souventobligé de négocier avant de con·clure définitivement le contratavec l'éditeur de livres de pochequi risque de publier son édition

avant qu'il ait lui-même réUSSI aépuiser son tirage. Les prix qu'of.frent les maisons spécialisées dani!le livre de poche deviennent, dufait de la concurrence, de plusen plus importants. Leur décep.tion est du même niveau, car lavente reste dans la plupart descas éloignée des prévisions.En fait, la Grande-Bretagne pos-

sède beaucoup moins de pointsde vente que bien d'autres pays.Les villes de province ont rare·ment une librairie digne de cenom et il est difficile d'acheterdes livres ailleurs. Aux Etats·Unis on peut acheter des livrespartout où on vend des cigarettes,des journaux ou de l'alimentation.Le record est toujours constituéchez nous par les 3 500 000 exem-plaires vendus derAmant de La·dy Chatterley, ce qui est fort peuen comparaison avec les chiffresaméricains. Aux Etats-Unis un li·vre de poche il succès atteint fa·cilement les dix millions d'exem-plaires.La conséquence est simple : les

éditeurs qui normalement de·vraient gagner de l'argent en per-dent parce qu'ils ont payé dçsavances trop importantes qu'ils nesont pas en mesure de récupérer.Il convient d'ajouter que les au-teurs ne profitent pas toujours decette situation. Ils trouvent queleurs livres ont été publiés trophâtivement ou soldés trop vite,car l'éditeur est obligé de retrou-ver sa mise de' fonds pour pou-voir lancer de nouveaux livres. Oncroit souvent que les auteurs sontprêts à changer d'éditeur dèsqu'on leur offre plus d'argent ail-leurs. En fait, l'éditeur est obli-gé de lâcher son auteur au pro-fit d'un éditeur qui dispose demoyens plus considérables quelui. Récemment, le premier livred'un auteur français à succès a étéacquis par un petit éditeur an-glais qui a cru pouvoir payer uneavance assez considérable. L'agentqui représentait cet auteura réussi à faire monter, comme s'ils'agissait d'enchères, le second ro-man du même écrivain, et il aréussi à obtenir une avance infini·ment plus élevée, bien qu'il soitdouteux que le nouvel éditeur,plus important que le premier,puisse jamais rentrer dans sesfrais. Il me semble que l'avancefinalement consentie a dépassé detrois ou quatre fois le prix rai·sonnable. Le petit éditeur, bien

sagement, a renoncé à suivre cesenchères, mais, bien sûr, il a perodu un auteur. Bien d'autres mai·sons seraient encore indépendan.tes si elles avaient appliqué lamême politique. La volonté depayer trop s'explique facilement:il est toujours mauvais pour unéditeur de perdre un auteur et larecherche perpétuelle du best·sel·1er a eu finalement pour consé·quence qu'une industrie qui pou-vait et devait être saine est au·jourd'hui en danger.D'autres conséquences décou-

lent de cette instabilité. D'abordles trop nombreux changementsde propriétaires e.t également leschangements incessants du person·nel qui va d'un éditeur à l'autrelorsque les patrons sont mécon·tents de leurs collaborateurs, quin'ont pu acquérir un nombre suf·fisant de grands succès.L'édition est une entreprise ba-

sée trop souvent sur des chiffresabstraits et un changement dansla direction transforme souventune maison qui marche en une

maison déficitaire. L'acheteurn'est jamais très sûr de ce qu'ilachète s'il n'a pas dirigé lui-mêmesa maison pendant un ou deuxans au moins: des auteurs peu-vent le quitter et des prévisionsde vente sont soumises à des er-reurs considérables. Presque tou-tes les' acquisitions récentes ontété faites à des prix nettementtrop élevées, et on entendra bien-tôt des lamentations. Pour leséditeurs américains, il leur coûtemoins cher d'acheter, même cher,une entreprise britannique qued'en lancer une nouvelle. Et leséditeurs américains sont encoura-gés par les subsides du gouverne-ment à l'exportation, car, dit·on,«le commerce suit le livre ». Lafaçon américaine d'écrire a ten-dance de plus en plus à rempla-cer la façon anglaise, et souventdes livres américains propagentégalement les attitudes politiquesaméricaines et <<l'american wayof life ». Comme «Coca·Colails sont des ambassadeurs d'idéauxaméricains.

Suite p. 18

La Q!!hualDe Littéraire, du 16 :lU JO 1970 15

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Cette liste. ne comprend que des ouvragesGALLIMARD d'octobre 1969ROMANS, RÉCITS,NOUVELLES,CORRESPONDANCEMadeleine AlleinsUN CHEMIN DOUTEUXGuillaume ApollinaireLETTRES A LOUMarcel ArlandATTENDEZ· L'AUBEJacques BensADIEU SIDONIEBilou GrandmaîtreCARNAVALS ET CENDRESHenri BoscoUN RAMEAU DE LA NU1TSYLVIUSDaniel BoulangerMÉMOIRE DE LA VILLEFrançoise Brusson-VideauMARIEJean CauTROPICANASLouis-Ferdinand CélineCASSE-PIPE suivi de CARNETDU CUIRA$SIERDESTOUCHESJean-Pierre ChabrolLE CANON FRATERNITÉGeorges ClemenceauLETTRES A UNE AMIE(1923-1929>Marilène ClémentLA NUIT DE L'ALLELUIAAlbert CohenLES VALEUREUXMichel DéonLES PONEYS SAUVAGESAndré DhôtelUN JOUR VIENDRAMarguerite DurasABAHN SABANA DAVIDMaud FrèreL'ANGE AVEUGLERomain GaryCHIEN BLANCTULIPE, édition définitiveBruno Gay-LussacINTRODUCTION A LAVIE PROFANEjean GionoL'IRIS DE'SUSE.Arlette GrebelCE SOIR, TANIA...

Yves HeurtéLA RUCHE EN FEU

Michel HurietLA FILLE DE MANCHESTER

Marcel Jouhandeau"LAJournaliers XIVDU PUR AMOUR suivi deTrois parties "inédites

Violette LeducLA FOLIE EN TÈTE

Jean LorbaisSANS ARMURE édition définitive

LES CICATRICES

Pierre Mac OrlanLA MAISON DU RETOURECŒURANT édition définitive

Stéphane MallarméCORRESPONDANCE III<1885-1889>

Jean MaximeLA FÈTE ENCERCLÉE

Albert MemmiLE SCORPION ou LaConfe.ssion imaginaire

Claude MourthéLA CAMÉRA

Zoé OldenbourgLA JOIE DES PAUVRES

Paul deI PerugiaLES DERNIERS ROISMAGES

Bertrand Poirot-DelpeehLA FOLLE DE LITHUANIE

André PuigL'INACHEVÉPréface de" Jean-Paul Sartre

Jacques SerguineLA MORT CONFUSE

André StHQUI rMiëhelLE ROI pE8 AULNES

'Elsa TrioletLE ROSSIGNOL. SE TAITA L',AUBE

"Georges ThinèsLES EFFIGIES

Deny. ViatLE CŒUR ENBANDOULIÈRE

CollectionIl Le Point du Jour"Antonin ArtaudLETTRES A GENICAATHANASIOU

Collection Il Le Chemin"Matthieu BénézetBIOGRAPHIESJacques BorelLE RETOURJean Roger BourrecLA BRÛLUREMichel ChaillouCOLLÈGE VASERMANFrançois CoupryLA PROMENADE CASSÉE"Henri Pierre DenisQUELQUES "NOUVELLESDE JESSICAPierre GuyotatEDEN,EDEN,EDENPréfaces de Michel Leiris, Roland Barthes.Philippe Sollers

J.M.G. Le ClézioLA GUERRE

ESSAIS, LITTÉRATUREAntonin Artaud"ŒUVRES COMPLÈTESTome 1 (édition augmentée) etsupplément au Tome 1

Georges BatailleŒUVRES COMPLÈTES 1Premiers écrits 1922-1940ŒUVRES COMPLÈTES IIEcrits posthumes 1922-1940

Simone de BeauvoirLA VIElLLESSE

Emmanuel BerlA CONTRETEMPS

Maurice BlanchotL'ENTRETIEN INFINI

Roger CailloisCASES D'UN ÉCHIQUIER

Jean CharbonneauLE JARDIN DE BABYLONE

Michel ContatMichel RybalkaLES ÉCRITS DE SARTRE

René DaumalBHARATA. L'origine duThéatre. La poésie et lamusique en Inde

Jeanne DelaisLES.ENFANTS DE L'AUTO

Jean GrenierENTRETIENS AVECLOUIS FOUCHER

Henri GuilleminPAS A PAS

Philippe JaccottetPAYSAGES AVECFIGURES ABSENTES

Alain JouffroyLA FIN DES ALTERNANCES

Jean LambertLE PLAISIR DE VOIR

André MalrauxLE TRIANGLE NOIR:Laclos, Goya, Saint-Just

Michel MohrtL'AIR DU LARGE. Essaissur le roman étranger

Henry de Montherlantde l'Académie francaiseLE TREIZIÈME CÉSAR

Francis PongePhilippe SollersENTRETIENS (coédition ave."Le Seui\)

Jacques RigautÉCRITS.

Jean Rostandde l'Académie françaiseLE COURRIER D'UNBIOLOGISTE

Claude RoyMOI JE ...

SimoneMON NOUVEAUTESTAMENT

Jean Su1ïvanMIROIR BRISÉ

Jean TardieuLES PORTES DE TOILE

Alexis de TocquevilleŒUVRES COMPLÈTESTome XI : Correspondanced'Alexis de Tocqueville avecRoyer-CoHard et avecJean-Jacques" Ampère

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inédits de langueà septeTIlbre 1970

française publiésGALLIMARD

Marguerite YourcenarPRÉSENTATION CRITIQUED'HORTENSE FLEXNER,suivi d'un choix de PoèmesEdition bilingue

Collection Il Le Chemin"Jean-Pierre AttalL'IMAGE MÉTAPHYSIQUEET AUTRES ESSAIS

Olga BernaiLANGAGE ET FICTIONDANS LE ROMAN DEBECKETT

Noël BurchPRAXIS DU CINÉMA

Michel ButorLA ROSE DES VENTS32 rhumbs pourCharles Fourier

Henri MeschonnicPOUR LA POÈTIQUE

CollectionIl Le Point du Jour"Henri MichauxFAÇONS D'ENDORMIFAÇONS D'ÉVEILLÉ

Collection Iles Essais"Jacques BerqueL'ORIENT SECOND

Pierre GuiraudLE TESTAMENT DE VILLONou Le Gai Savoir de labasoche

Robert LafontRENAISSANCE DU SUDEssai sur la littératureoccitane au temps deHenri IV

Alain ReyLITTRÉ. L'Humanisteet les mots

Pour une bibliothèqueidéalePhilippe AudoinBRETON

Jean-Claude BrisvilleCAMUS Nouvelle éditionrevue et corrigée

Jacques BrosseCOCTEAUCollection Il idées"Maurice NadeauLE ROMAN FRANÇAISDEPUIS LA GUERRE1945-1970. Nouvelle édition revuect Augmentée.SadeJOURNAL INÉDITCahiersCAHIER JEAN COCTEAU 1CAHIER ANDRÉ GIDE 1Bibliothèque de la PléiadePaul ClaudelJOURNAL TQM:E II -1933-1935THÉATREPhilippe HériatTHÊATRE III : VOLTIGE -BALZAC - LES HAUTS DEHURLE-VENTFélicien MarceauLE BABOURMichel MohrtUN JEU D'ENFERJean TardieuPoèmes à jouer. Nouvelle éditionrevue et augmentéeJean VauthierLE SANGCollectionIl Le Manteau d'Arlequin"Michel BoldoducLES REMONTOIRSPierre BourgeadeLES IMMORTELLESFrançois BoyerDIEU ABOIE-T-IL ?Jean-Claude BrisviIleLE RÔDEUR - NORA -LE RÉCITALIonescoJEUX DE MASSACRERené KaliskyTROTSKY, Etc...Eduardo ManetLES NONNESGeorges MichelARBALÈTES ET VIEILLESRAPIÉRESNathalie SarrauteISMA suivi de LE SILENCE etde LE MENSONGEJean ThenevinOCTOBRE A ANGOULÈMEJean-Jacques VaroujeanLA CAVERNED'ADULLAMLA VILLE EN HAUT DELA COLLINEPOÉSIEJacques AudibertiL'EMPIRE ET LA TRAPPE

Alain Bosquet100 NOTES POUR UNESOLITUDELouis BrauquierFEUX D'ÉPAVESJacques DupinL'EMBRASUREAndré FrénaudDEPUIS TOUJOURS DÉJAEdmond JabèsELYAHenri MeschonnicLES CINQ ROULEAUX<Traduit de l'hébreu)

Pierre OsterLES DIEUX <1963-1968)Jean PérolRUPTURES

Collection Il Le Chemin"Jacques RédaRÉCITATIFJude StefanLIBÈRES

SCIENCES HUMAINES,PHILOSOPHIE,HISTOIRE, DOCUMENTSMaurice Merleau-PontyLA PROSE DU MONDE

Bibliothèque desSciences HumainesRobert KleinLA FORME ETL'INTELLIGIBLE. Ecrits surla Renaissance et l'art moderne

Bibliothèque de PhilosophieGérard GranelL'ÉQUIVOQUEONTOLOGIQUE DE LAPENSÉE KANTIENNE

Bibliothèque des IdéesManuel de DieguezSCIENCE ET NESCIENCE

Collection Il Connaissancede l'Inconscient"Guy RosolatoESSAIS LE SYMBOLIQUELouis WolfsonLE SCHIZO ET LES LANGUES

Collection Il Leurs Figures"André BillyJOUBERT. énigmatique etdélicieuxHenri GuilleminJEANNE' DITE.. JEANNE D'ARC"

Collection Il Trente Journéesqui ont fait la France"José CabanisLE SACRE DE NAPOLÉON,2 décembre 1804Marcel ReinhardLA CHUTE DE LA ROYAUTÉ,10 août 1792

Collection Il Idées"Jean-Marie BenoistMARX EST MORTEmmanuel BerlEUROPE ET ASIEJean CazeneuveLES POUVOIRS DE LATÉLÉVISIONRoger GaraudyLE GRAND TOURNANTDU SOCIALISMEHenri LefebvreLE MANIFESTEDIFFÉRENTIALISTELA RÉVOLUTION URBAINEFrançois PerrouxALIÉNATION ET SOCIÉTÉINDUSTRIELLE

Collection Il Témoins"Vinoent AuriolMON SEPTENNAT'1947-1954. Notes de jqurnal presenteespar Pierre Nora et Jacques O<ouf

-Hors sérieLucien BodardMAOLE MASSACRE DES INDIENSMohamed LebjaouiVÉRITÉS SUR LARÉVOLUTION ALGÉRIENNE

BEAUX-ARTSMassinLA LETTRE ET L'IMAGE.Préface de Raymond Queneau

L'Univers des FormesJean CharbonneauxRoland MartinFrançois VillardGRÈCE CLASSIQUE

Encyclopédie de la Pléiadesous la direction deBernard Dorival.HISTOIRE DE L'ART, tome IV,Du réalisme à nos jours.

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AnsJeten-e

L'édition anglaise se divise ac-tuellement en deux sections net·tement séparées. D'une part, ontrouve les entreprises britanniquestraditionnelles, contrôlées soitpar une famille, soit par une ins-titution (Collins, Oxford Universi-ty Press, etc.) De l'autre, noustrouvons les groupes importants,où de jeunes hommes amlfitieuxet dynamiques luttent pour lespremières places. Beaucoup par-mi eux ne sont pas particulière.ment intéressés par des livres etn'en lisent jamais. Ce qui les in-téresse est le chiffre d'affaires etle profit. S'ils échouent, commenous l'avons parfois vu ces der-niers temps, ils quittent la pro-fession, alors que d'autres qui ontréussi, obtiennent des postes deplus en plus importants. Récem-ment encore il était suffisantd'avoir le don de trouver de bonslivres afin de constituer un cata-logue intéressant, pour acquérirdes responsabilités et un prestigeaccrus. Aujourd'hui une liste detitres brillants n'est plus néces-sairement un signe de profit.Lorsqu'un groupe financier ac-quiert une nouvelle maison, ilpromet une liberté littéraire totaleà ses collaborateurs. Cette promes-se ne tient pas longtemps devantun chiffre d'affaires décevant. Laplus inquiétante conséquence decet état de fait est le conformis-me qui s'installe dans le domainede l'édition. On publie de plusen plus de livres qui se ressem·blent de plus en plus, car cha-cun copie les succès des autres.Les romans se vendent mal, saufles quelques rares best-sellers,mais qui n'atteignent quand mêmepas les espérances exagérées qu'ilsont _suscitées avant leur publica.tion. Il s'ensuit que les roman-ciers ont de plus en plus de dif·ficultés pour trouver des éditeurs.Le grand «boom:t de traductionsétrangères, facilité par la Foirede Francfort et d'autres foires dulivre est en voie de recul et, dansle climat actuel, il est à craindrequ'à l'avenir moins de romansfrançais soient présentés au pu-blic anglais. Mais d'autres dan-gers encore l'éditionanglaise.Certains éditeurs devraient

-bientôt augmenter les salaires deleurs collaborateurs. Unsyndicat vient d'être formé, dirigépar Clive Jenkins, un syndicalistedur et efficace qui a récemment

18

réuni les employés de banque etdes sociétés d'assurances. Il ten-te maintenant la même opérationdans le domaine de l'édition, etson succès semble certain. Cetteaugmentation, ainsi que celle desprix d'imprimerie entraînera né-cessairement une augmentation duprix des livres, donc une diminu-tion des Ventes.Le marché le plus sûr de l'édi-

teur anglais était constitué par leslibrairies publiques. La plupartdes maisoils prévoient que plusde la moitié de leur vente s'écou-lera dans les muni-cipales. Mais bibliothécaires etéditeurs commencent à être in-quiets, car ces bibliothèques de-vront bientôt assumer un rôlenouveau én fournissant la nou-velle université de la -télévision.Cette «Open University» a étécréée par Jennie Lee - la veuved'Aneurin Bevan -, ministre dela Culture du dernier gouverne·ment travailliste. 25 000 étudiantsseulement avaient été acceptés,mais chacun d'eux devra suivre <ledix à vingt cours, nécessitant <lesmapuels et d'autres livres. Or, au-cun nouveau crédit n'a été prévuet ces étudiants devront ou ache·ter eux-mêmes ces livres ou ilstenteront de les emprunter dansles bibliothèques municipales. Lesmunicipalités refusent d'augmen.ter les crédits et dans un momentoù les prix des livres va en aug-mentant, les bibliothécaires se·ront obligés de choisir une voieplus sélective dans leurs achats,tout en devant faire face à unedemande nouvelle, avec des né·cessités éducatives qu'ils ne pour-_ront négliger. La cOQSéquence est

prévisible: les romans, poème@,les livres de culture -générale, ain-si que des livres pour la simpledistraction vont diminuer sinondisparaître de la liste d'achats desbibliothèques. Les éditeurs quipublient des manuels vont évidem-ment bénéficier de cette nouvellesituation, elle profitera avant toutaux plus grands.Il ne faut pas non plus oublier

que le nombre des bons librairesva en diminuant en Angleterreet les journaux, même parmi lesmeilleurs et qui s'adressent essen-tiellement à un public littéraire,réduisent la place réservée à lacritique des livres. On parle aussibeaucoup des cassettes de télé-vision qui risquent de réduire letemps consacré à la lecture. Noustrouvons dans l'édition anglaisebeaucoup de gens compétents, en-thousiates, d'un haut niveau intel-lectuel, mais la distance qui lessépare de la direction risque defreiner leurs initiatives et, un jour,ils pourront être remplacés parfIes machines. il exis·te actuellement en Grande-Breta-

un nombre plus considérabled'éditeurs compétents qu'à aucunmoment depuis la guerre. Et cenombre va certainement encore

Certains petits éditeurs vontsurvivre, et il est possible quenous assistions, dans les années àvenir, à l'éclosion de petites mai-sons qui publieront, pour une mi-norité de lecteurs, des éditions-très restreintes grâce aux nouvel·les techniques d'imprimerie (ma-chines électriques, etc.)Ce que nous voyons actuelle·

ment en Angleterre est simple:

des hommes d'affaires qui ne sontpas intéressés par des livres, s'oc-cupent des maisons d'éditionqu'ils considèrent comme descompléments utiles à leurs chaî-nes de journaux, d'agences de pu-blicité ou de diffusion. La ten-dance va vers la diminution dunombre des maisons qui seront deplus en plus grandes, d'un niveauintellectuel inférieur et de mana-gers qui seront de moins en moinsdes intellectuels et de plus enplus d'habiles hommes d'affaires.De nombreux gouvernements

ont essayé de ralentir la pénétra-tion de l'économie américaine enGrande-Bretagne. Il est dommagequ'ils n'aient pas songé à aider enpriorité les exportations du livreanglais ou à introduire un droitversé à chaque éditeur pour leprêt d'un de ses livres dans unebibliothèque municipale, ou à ai·der la publication de certainescatégories de livres.Il est également dommage que

les éditeurs anglais n'aient passongé à s'entraider. Il n'y a pasde raison qu'il n'existe aucuneentente entre éditeurs pour em-pêcher les agents d'augmenterartificiellement les avances etqu'il n'existe dans ce domainemême pas le commencement d'unecoopération amicale, comme c'estle cas en France. En vérité, laplupart des éditeurs anglais se re-gardent avec envie ou antipathie,et l'échec d'un collègue provoqueplus souvent la joie que le regret.Il est à craindre que cette situa-tion malsaine s'aggrave. Vers1980, il n'existera plus probable-ment que trois ou quatre grandsgroupes d'éditeurs, à côté dequelques éditeurs indépendants- y compris, j'espère, moi-même- et qui continueront à remplirleur rôle. Nous pouvons égalementespérer que l'Etat se chargera dequelques entreprises éditorialespour des motifs culturels, maisles dangers d'une édition d'Etatsont évidents. Je regrette qu'aumoment où les éditeurs du mondeentier se préparent à assister à lanuit de Walpurgis annuelle de laFoire du Livre de Francfort, jesois obligé de tracer un tableauaussi pessimiste de l'édition d'undes pays les plus importants dansle domaine intellectuel, mais au-cune éclaircie n'est visible, mêmepour les plus optimistes.

John Calder

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ALLEMAGNE

L'édition et les clu·bs

La Quinzainelittéraire

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rive maintenant assez souventqu'un éditeur acquiert les droitsd'un titre, qui a paru d'abordcomme livre de poche, pour l'édi-ter ensemble avec un club commelivre relié après son succès enformat de poche.Il est compréhensible que les

concentrations et fusions fréquen-tes qui ont eu lieu au cours deces. dernières années dans l'édi-. tion allemande aient provoqué dela part des lecteurs et aussi desauteurs des demandes de coges-tion. Ils désirent participer aussibien aux décisions financièresqu'aux décisions littéraires. Cettedemande paraît d'autant plus ur-gente que les maisons d'éditionsallemandes changent de plus enplus leurs propriétaires sansqu'employés et auteurs soient mê-me informés. Les fusions de gran-

Rowohlt Verlag, près de Hambourg.

soigneusement relié, mais il estdevenu un article qu'on achetaitdans les kiosques de gare, commeun magazine.Petit à petit, on sut mieux

s'orienter vers les besoins de lec-ture de la jeunesse. On publiaitdes livres de science populaire, etplus tard des é t u des d'unhaut niveau intellectuel. On re-marquait que la vente de ces ti·tres était plus assurée que celledes réimpressions littéraires.Après un certain temps, il n'exis-tait plus assez de titres valablespour les livres de poche à grandtirage. et on commençait à publierles éditions originales qu'on com-. mandait aux auteurs: sujets

encyclopédies enplusieurs volumes, des titres sur-tout, qui n'avaient que peu dechance comme livres chers. Il ar-

rités préfèrent même q1le les li-vres importants soient publiéspar des éditeurs de la Républiquefédérale.Si l'on a la possibilité d'aller

voir les stands des maisons est-allemandes à la Foire de Leipzig,un pendant de la Foire du Livreà Francfort, on remarque que laspécificité d'une maison d'éditionallemande d'outre-Elbe se mani-feste dans les programmes non-politiques et hors de toute actua-lité artistique. Des livres d'artancien, de musique, des livresscientifiques ainsi' que des éditionsd'œuvres classiques sont souventremarquablement édités. On peutparler pour une fois d'une conti.nuité dans la tradition de l'édi·tion allemande: à l'époque desnazis, c'était pareil.Le développement économique

des éditions dans la R.F.A. a sonorigine dans les clubs du livreet dans le succès du livre de po-che. Les clubs du livre ont déjàexisté avant la guerre, c'est vrai,mais personne ne pouvait prévoircette énorme industrie de distri-bution, munie d'ordinateurs, com-me nous la connaissons aujour-d'hui, avec des membres dont lenombre dépasse les six millions.C'est grâce aux clubs du livre quel'éditeur allemand est capablemaintenant de payer des avancesd'honoraires avec des chiffres àcinq zéros (en dollars). On com·prend. que les clubs puissent im-poser, et imposent en fait, parleur influence un goût littérairedont ils pensent qu'il est le goûtde la masse de lecteurs. le e;oûtdu jour. . -Le triomphe du pocketbook a

commencé très tôt en Allema-gne. Le grand éditeur Ernst Ro-wohlt a fait de nécessité vertu aucours de l'immédiat après-guerre.Il publiait des textes littérairescomme des journaux, Shakespeareaussi bien qu'Hemingway. Ils'agissait là de!! précurseurs despremiers livres de poche de l'an1950 chez Rowohlt, égalementimprimés sur rotative.Au début, les éditeurs ne

voyaient dans les éditions de po-che qu'un moyen de rééditer deslivres, des romans à succès pourune autre couche d'acheteurs, sur-tout pour la jeunesse. La révolu-tion venait du comportement inat-tendu des lecteurs: le livre depoche n'était plus une acquisitionde luxe comme le livre cher et

Les temps sont passés où lesmaisons d'éditions étaient deslieux vénérables qui faisaient peurà un jeune auteur, et les temp!!ne sont plus où le livre achetécher était un refuge spirituel de-vant les horreurs du monde réel.L'édition en Allemagne est deve-nue une industrie avec un impor-tant chiffre d'affaires qui, enplein essor de l'économie alle-mande de l'après-guerre, repré-sentait le plus grand taux d'ac-croissement. Le livre est devenuun article de consommation cou-rante, et sa vente est soumise auxlois du marché comme tous lesautres articles de consommation.Mais il reste malgré tout une dif-férence capitale, bien que diffi-cile à définir, qui trouve son ori·gine dans le caractère individueldu livre comme marchandise etde son producteur, l'écrivain.L'éditeur voit les conséquences

de cet état de fait par le grandrisque que comporte son entre-prise. On a l'impression qu'ilcherche à équilibrer ce risque enarrêtant un programme, vaste,souvent trop vaste. Il en résulteque les physionomies littéraire!!des grandes maisons d'éditions al-lemandes se ressemblent de plusen plus, et personne ne sait plusles distinguer les unes des autres,sauf les professionnels, les librai-res et les critiques.La situation dans la R.D.A.

n'est pas très différente. La plu-part des éditions sont socialisées,bien qu'elles portent assez sou-vent les mêmes noms que cellesde leurs partenaires de l'Ouest.Partenaires au sens double dumot: elles publient et elles im-priment beaucoup de livres en·semble, et synchronisent mêmesouvent leurs programmes. Il n'yavait jusqu'ici aucun domaineéconomique dans l'Allemagne di·visée où la coopération directepar le commerce interzone étaitsi intense que dans celui del'édition.Il va sans dire que les tendan-

ces de nivellement sont dans laR.D.A. la conséquence de la con-trainte de l'Etat comme celles del'Ouest sont dictées par les loisde la consommation. Des formesd'expressions individuelles sontmal vues à l'Est et des opinionspolitiques non conI;ormistes sontréprouvées : le parti tient les êcri-vains en lisière et des talents ne

se développer. Les auto-

La Q!!inzaine Littéraire du 16 au JO septembre 1970

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Allemagne

YOUGOSLAVIE

Limites dedes maisons d'édition au cours deces dernières années se sont faitespresque toujours au profit de deuxgrands clubs du livre de tendanceconservatrice.Un certain nombre d'auteurs,

d'employés d'éditions et de jeu-nes libraires se sont organiséspour défendre leurs intérêts, horsde syndicats officiels qui sont,en Allemagne, presque toujoursprêts à un compromis. C'est vraique le droit de cogestion est mora-lement reconnu maintenant, sur-tout après les troubles à la Foirede Francfort en 1968 et 1969,mais les possibilités de réalisationne sont pas encore trouvées.Quelques lecteurs et auteurs ne

sont plus prêts à mettre leur tra-vail à la disposition d'un c: kon-zern d'édition. Ils quittentleur ancienne maison pour fonderune nouvelle édition coopérative.Il s'agit évidemment de petitesmaisons d'édition, et ces tentativesont prouvé qu'une telle expérien-ce ne peut réussir que 80US ladirection d'une forte personna-lité, dont l'autorité est reconnuepar tous les collaborateurs. Oncomprend bien que pour quel-ques auteurs un modèle socialistede l'édition soit désirable, maisdans le système économique oùnous vivons une telle maison sanscapitaux est condamnée à restertrop petite pour pouvoir garantiraux auteurs un succès d'une cer-taine importance économique.Voici le trait marquant de

l'évolution actuelle de l'éditionallemande: ni les auteurs ni leslecteurs ne se laissent plus teniren tutelle, et les éditeurs ne peu-vent plus ignorer cette discussionqui tend à une cogestion sur lemodèle du c: Monde Tout porteà croire que la décision du plusgrand club du livre allemand, lamaison Bertelsmann, de payer unepension de vieille88e à ses auteurs,financée sur ses bénéfices, résultede cette discussion.On a l'impression que ce qui

parai88ait il y a deux ans unerévolution manquée, déboucheactuellement dans une réformeconcrète qui déplace les positionsdémodées de l'auteur et de sonéditeur. Je pense souhaitable quecette dÎ8cu88ion allemande soitprise en considération par les édi-teurs et auteurs d'autres pays àl'occasion de la prochaine Foirede Francfort.

Chmtoph Schwerin

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Le visiteur de la Foire duLivre qui se tient annuelle-ment, au mois de septembre.à Belgrade. s'il se laisse sé-duire par un nombre assezsurprenant de titres - iu)tam-ment de traductions étran-gères - et une présentationsouvent luxueuse des ouvra-ges édités. risque de ne jugerl'édition yougoslave que surses apparences. En réalité.depuis plusieurs années déjà.sévit une • crise. assez pro-fonde qui, en dernière ana-lyse, ne concerne pas unique-ment l'édition proprementdite.

L'une des premIeres explica-tions que l'on donne de cettec: crise» fait généralement ressor-tir un rythme de publication trèsou trop poussé, notamment dansle domaine de la traduction - oùla Yougoslavie, d'après le recense-ment de l'UNESCO, connai88aitrécemment une très enviabledeuxième place dans le monde !- rythme difficilement compati-ble avec '\Jn marèhé pratiquementsans exportation, que se parta-gent en outre les trois langueslittéraires du pays avec leurs deuxécritures - la cyrillique ct lalatine.Le nombre des maiRons d'édi-

tion semble assez élevé pour unpays d'environ vingt millionsd'habitants. Si l'on s'aventuredans une librairie, à Belgrade, àZagreb ou à Ljubljana, on netardera pas à constater que leslivres y coûtent assez - àla différence de ce qu'on attendet de ce qu'on est habitué a voir,par exemple, en Union li>oviéti-que ou dans d'autres pays del'Est - et même parIois pluscher que dans bon nombre tlepays occidentaux (le prix d'un ro-man entre 300 et 400 pages"'élèvefacilement à l'équivalent de 15 à25 NF français, ce qui, vu lepouvoir d'achat du c: consomma-teur» yougoslave, représente sou-vent un sacrifice). C'est un lieucommun de la pre88e littéraireyougoslave et de la presse toutcourt que de dénoncer c: raliéna-tion de la culture» par l'abai88e-ment des biens culturels au ni-veau de la c: marchandÏ-$e pure etsimple» et aux exigences du mar-ché... D'autre part, certaines pro-positions visant à concentrer

l'édition autour des maisons lesplus importantes - afin de ré-duire le coût de leur gestion etd'augmenter en même temps lesdroits d'auteur - n'ont pu êtreréalisées en raison de l'oppositiond'une intelligentzia qui craintqu'une édition ainsi concentréeretombe sous la tutelle ou lamainmise administratives !Au sortir de la Deuxième Guer-

re mondiale, la Yougoslavie -avec une population décimée etune économie presque complète-ment détruite - ne pouvait, évi-demment, s'offrir le luxe d'uneédition exemplaire. Toutefois, un .effort de redressement culturelpermit de mettre sur pied, entreautres, plusieurs maisons d'édi-tion, nationalisées au même titreque les autres entreprises. Ceséditeurs nouveaux-nés durent imi-ter le modèle soviétique : a88umerun rôle didactique et politiquebien déterminé, cadrant fidèle-ment avec les objectifs de la poli-tique du jour. L'Etat créait -bien plus selon ses besoins queselon les exigences Ilpontanées dela littérature et de la culture -les maili>ons d'édition spécialiséeset chargeait Iles fonctionnaires deles diriger et de remplir leursprogrammes. La gestion financièrene posait aucun problème: unmécénat puisant dans les ressour-ces du budget national, assuraitgénéreusement leur fonctionne-ment à la seule condition qu'ellesimpriment les ouvrages que lescenseurs c: bien pensants» trou-vaient utiles et publiables...Un coup d'œil rapide sur les

titres édités avant 1948 (année dela rupture du P.C. yougoslaveavec Staline) et immédiatementaprès cette date montre que lestraductions de cette époqueétaient presque exclusivement cel-les d'ouvrages cla88iques datantau moins d'une cinquantaine d'an-nées et de livres c: réalÏ-$tes socia-IÏ-$tes» traduits surtout du ru88e.Une partie considérable du tirageétait vendue d'office aux différen-tes entreprises et institutions:maisons de culture, organisationssyndicales, salles de lecture, bi-bliothèques, etc.Au cours des années cinquante

- au fur et à mesure que Il'accen-tuait le c: dégel» politique - un.nouvelle c: ligne» ne tarda pas àmarquer la littérature et, par con-séquent, l'édition. De nombreuxanteurs, précédemment mis à l'in-

dex et qualifiés de «décadents»ou c: petits bourgeoÏ-$ », commen-cèrent peu à peu à être traduits.Le tournant majeur en ce sensfut marqué par la publication deKafka. Parallèlement à l'abandonprogre88if par les auteurs yougo-slaves des poncifs «réalistes so-cialistes» (qui seront bientôt ap-pelés «technique en noir etblanc»), le rythme des traduc-tions allait s'accélérant: Sartre,Camus, Malraux, Gide (frappéd'interdit après son Retourd'U.R.S.s.), suivis de Mauriac,Joyce, T.S. Eliot, Faulkner et toutce qu'il y avait de meilleur dansle roman américain. Auxquels ilfaut ajouter Pasternak, Beckett,Ionesco, sans oublier presquetous les tenants du nouveau ro-man français. Il faut toutefoissignaler que les ouvrages ayantune visée idéologique ou philoso-phique éloignée de l'optiquemarxiste (au sens très étroit dumot) devaient attendre plus long-temps que les poètes ou les roman-ciers également éloignés de laperspective communiste... Quoiqu'il en soit, on finira par lireau cours de cette période les tra-ductions de penseurs non mar-xistes tels que Nietzsche, Freud,Heidegger, Jaspers, Russell, Wit-genstein, Jung, Merleau-Ponty,Lévi-Strauss et maints autres...Tout en acquérant de plus en

plus d'autonomie, l'édition necessait pas pour autant de con-corder sur plus d'un point avecles lignes générales de la politi-que de l'Etat yougoslave samqu'on puisse parler d'une éditionc: étatisée» : c'est ainsi, par exem-ple, qu'après l'amélioration desrapports entre l'Etat et l'Eglise(notamment catholique), la pre88ereligieuse obtint, au cours des an-nées soixante, droit de cité et putêtre vendue dans les kiosques. LaBible et le Coran, dont la réédi-tion avait été interdite pendanttoute l'après-guerre, devinrent devéritables best-sellers !Cet élargissement, presque inat-

tendu, ne pouvait se produiresans un changement des structu-res, aussi bien de l'édition quedes phénomènes culturels et so-ciaux en général, changement dûessentiellement à la mise en placede l'autogestion. C'est ainsi qu'uneétape importante dans l'évolutionde l'édition fut ouverte par l'insti-tution des c: conseils ,rédition »,formés, au sein des maisons d'édi-

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l'étatisationCOLLECTIONS

tion, auprès des comités de rédac-tion professionnels qui les diri-gent. Composés de personnalitésnotoires et ne faisant pas partiedu personnel de la maison,. ces4: conseils :t déchargeaient les édi-teurs d'une partie de leurresponsabilité face aux instancespolitiques. De cette façon se pro-duisirent des «écarts inimagi-nables au début de l'après-guerreet naquit un état de perméabilitéde plus en plus sensible...La marge d'autonomie de l'édi-

tion devait s'accroître et gagneren efficacité, pour aboutir -après la proclamation de la «ré-forme économique en 1965 - àune de l'ancien sys-tème de subventions. Une nou-velle étape, .marquée .de nombreuxparadoxes, s'inscrivit dans l'acti-vité éditrice yougoslave. Sans sou-tien «budgétaire et sans pro-tection administrative, l'éditionse trouv·a obligée d'être «renta-ble :t. Elle dut se mettre à publierce qui peut se vendre, c'est-à-dire- hélas! - beaucoup d'infra-littérature. Les livres d'une au-dience plus restreinte se verrontpresque automatiquement repous-sés au second plan. Diverses au-tres difficultés surgirent inopiné-ment (1). Certains éditeurs firenttout simplement faillite du faitqu'ils ne purent s'adapter à cenouveau régime. ·C'est alor!\ que,plus d'un regretta le «bon vieuxtemps des subventions étati-ques... Si, autrefois, de nombreu-ses initiatives ne purent voir lejour à cause du mécénat, actuel-lement bon nombre d'entreprisesn'arrivent pas à terme, faute demécènes! Ainsi l'ancienne ri-chesse dans la contrainte ressem-ble-t-elle par plus d'un trait à laprésente liberté dans l'indigence.Les à la fois du système()ccidental et de celui des paysde l'Est 8'y traduisent de façonparticulièrement 8ignificative, etceci ne touche pas seulement l'édi-tion: toute la littérature et laculture sont pratiquement enjeu...Dans une situation, les

éditeurs ressemblent souvent àdes joueurs qui espèrent faire ourefaire leurs fortunes grâce à uncoup de dés décisif. Ils accusentd'une part les banques de traiterle livre comme un 8imple «pro-duit :t. et de ne leur accorder quedes crédits à trop brève échéance,ce qui les oblige à éditer des ou-

vrages l!ouvent de valeur ,douteuseet à écarter des livres dont lavente exige un lap8 de pluslong. Ils protestent d'autre partauprès des institutions culturellesqui n'encouragent guère acti-vité, même quand il s'agit des pro-jets utiles indispensable8 audéveloppement la culture na-tionale. On constate, par e,xemple,que Jes bibliothèquesn'achètent que 4 % des tiragesglobaux. Sans être désastreuse, lasituation n'en est pas moins alar-

Elle l'est d'autant plus queles autorités du «secteur cultu-rel :t, privées elles aussi des subsi-des d'autrefois, ne semblent pasêtre en mesure d'apporter des so-lutions auires que palliatives : lesmoyens les plus substantiels sont,en effet, absorbés par la «réformeéconomique» visant à rendre l'in-dustrie du pays -eompétitive surle plan international. Dans l'alter-native: subventionner une édi-tion ou donner du travail à unnombre de chômeurs croissant,on prend, évidemment, ce dernierparti... Aussi se résigne-t-on à né-gliger «pour quelque temps laculture en général... Le Ministèrede la pauvreté dont parlait cer-tain ministre n'est pas - on levoit - exclusivement français ... Etles problèmes que nous évoquonsici cessent d'être uniquement you-goslaves. Notre époque doit affron-ter - et ceci dans une perspec-tive bien plus vaste que celle qu,el'on adoptait jusqu'à présent -les rapports essentiels entre laculture et de la société. Ces rap-ports seront probablement plusdéterminanl/l que jamais dansl"histoire à venir.

predrag Mat'Veje'Viteh

(1) Il faut noter que les, éditeursétaient très souvent gênés par lesrestrictions du contingent de devisespour les droits des auteurs étrangers.Par moments, la place qu'avaient tra-ditionnellement en Yougoslavie cer-taines littératures occidentales pouvaitêtre compromise par le fait que cer-tains éditeurs étrangers, poussés parles intérêts bassement mercantiles dumoment ou incapables d'envisager lamission culturelle jôinte à leur acti-vité, refusèrent d'accorder plus d'unetraduction payable dans la monnaie dupays. Heureusement, quelques édi-teurs éclairés et plus conscients deleur fonction - telle, en France, lamaison Gallimard acceptèrent géné-reusement les droits non transférableset permirent ainsi d'assurer la conti-nuité de leurs littératures nationalesen Yougoslavie.

Terre humaine (Plon)

Dans l'ile déserte, quels livres em-porterez-vous? Grand sujet d'embar-ras. Dans l'ile non déSerte, aucunproblème: la collection • Terre hu-maine -, bien sûr. «Nul homme n'estune Isle complète en soy-mesme;tout homme est un morceau de conti-nent, une part du tout. - Au porchede • Terre humaine -, on pourrait ins·crire ces mots de John Donne. LeGrand Navigateur ici ne l'est pas seu-lement . par métaphore: chef d'unedes gares centrales de l'intelligenceethnographique, Jean Malaurie, quifonda la collection en 1955, ne $6borne pas à envoyer des auteurs • surle terrain -, à leur demander au retourdes livres, à susciter chez les écri-vains la réflexion, la somme méditéeou le départ au loin. Directeur duCentre d'Etudes Arctiques à l'Ecoledes Hautes Etudes, Jean Malaurien'est pas un savant de cabinet. SesDerniers rois de Thulé est un livrené parmi les Esquimaux dont le direc-teur de • Terre humaine - a longue-ment observé la rencontre avec l'âgeatomique.Jean Malaurie peut s'enorgueillir de

quelques résurrections es'sentielles (ila ramené vers nous ce beau poèmeethnographique de Victor Segalen surTahiti, les Immémoriaux), de quelques• importations - capitales (comme ladésormais classiq!Je autobiographied'un Indien de l'Arizona, Soleil Hopi,ou le célèbre Mœurs et sexualité enOcéanie de la grande enthropologueaméricaine Margaret Mead). Il a faitmieux 'encore: il a fait naître des• livres à venir -, dont ce chef-d'am-vre, les. Tristes tropiqu8J de ClaudeLevi-Strauss: quand il a suggéré aumaître de l'anthropologie structura-liste d'écrire ce film d'une vie devoyages, de travaux et de pensée, Ilsavait qu'il s'adressait à .un savantdéjà reconnu; mais nous lui devonsla révélation (et à son auteur lui-même peut-être) d'un écrivain com-plet.• Terre· humaine -, c'est le lieu privi-

légié et multiple où les plus, savantsdes hommes parlent à l'honnête hom-me de partout. A la première perSonnedes mille et une clartés de la condi-tion humaine, comme dans ces auto-biographies qui vous font entrer dansla peau d'ùne femme musulmane duNigetla (Baba de Karo, par MarySmith), des. derniers Indiens Yana deCalifornie (lshl, par Theodora Kroe-ber), d'un Hopi (Soleil Hopi, par DonC. Talayesva), d'une femme blancheenlevée enfant par les Indie'ns del'Amazone et élevée par eux (Yanoa-ma, par Ettore Biocca).«C'est ainsi que les hommes vi.

vent -, chante le poète. «C'est ainsique les hommes vivent -, lui répon-dent les auteurs de • Terre humaine _,qui nous font partager la vie d'unoetit village turc (Ul) Village anato-lien, par Mahmout Makal) ou d'un vil-lage du Vietnam central (l'Exotiqueest quotidien, de. Georges Condaml-nas). Parfois la monographie à la pre-mière de • l'indigène -, lerécit d enquête ou d'exploration del'Oècldental (comme ce beau livre surla mort telle -que la vivent les hommes

du peuple Sara au Tchad: la Mortde Sara, par Robert Jaulin), cèdentla place 'à la grande synthèse d'uneexpérience et d'une réflexion.Tristes tropiques en est un exem-

ple éblouissant, qui fut suivi par deslivres aussi passionnants et différentsque l'Afrique ambiguë, où Georges Ba-landier a ramassé la somme d'une vieconsacrée à l'Afrique, ou bien lee Cua-tre soleils de Jacques Soustelle, oùle célèbre américaniste a condenséquarante ans d'études sur le terrain,de lectures et de méditations sur leMexique. Ou encore cette sorte de«premier testament - d'un des plusfameux agronomes, sociologues etvoyageurs de la planète, les Terresvivantes de René Dumont. Ou (malspas enfin, la liste n'est pas close)ces Aimables sauvages de FrancisHuxley où le plus jeune savant de lacélèbre lignée Huxley étudie en voya-geur, en penseur et en poète, la ge-nèse du sentiment religieux universelà travers la métaphysique primitived'un peuple d'Indiens d'Amérique duSud.Le commun dénominateur de cette

moderne • Bibliothèque de géographieuniverselle et humaine - ? Ce n'est pasla quête des « ailleurs -, de l'exotismepour l'exotisme (Jean Malaurle annon-ce le Joui'nal d'un capitaine de pêchede. Fécamp; un livre du fondateur dela sociologie religieuse, Gabriel LeBras, sur l'Eglise et le village enFrance). Ce n'est pas ('ethnographieau sens limitatif, considérée commeune rébarbative entomologie des « pa-pillons humains -. Ce n'est pas le puret simple « récit de voyage -, pas plusque la • tranche de vie - anthropolo-gique servie crue et sans sel. JeanMalaurie évite avec rigueur le· doubleécueil de l'ouvrage technique - pour -des - techniciens et de la vulgarisa-tion vulgaire des Tartarins de Para-guay ou de Samoa qui reviennent deloin pour jeter aux yeux des auditeursde Pleyel une poudre de perlimpinpinépicée de couleur locale qui, elle, neva pas loin. Ce qui le passionne, c't:jstde faire de chacun des livres qu'IIpublie la rencontre d'un homme avecdes hommes; ce qu'II lui Imported'obtenir, c'est que ses auteurs aientautant de talent que leurs personna-gds. •La vie qui s'en va : celle des Indiens

du Nord ou' d'Amérique latine, desEsquimaux de Thulé - les sociétésque la • civilisation - passe déjà aurouleau çompresseur, de l'Afrique ara-blque.à l'Océanie; les races en voled'extinction par répression ou oppres-sion (la collection annonce la Chro-nique de la mort lente dans la Réserveindienne des Pieds-Noirs, par RichardLancaster) - • Terre humaine - est,en partie, le musée vivant des sociétésqui s'engloutissent sous nos yeux.Mals elle veut être aussi le témoinde celles qui naissent ou renaissent:ce sera, par exemple, Fanshen, vierévolutionnaire dans un village chi·nols, de William Hlnton, ou la créa-tion d'un village mexicain nor,·lndlenavec la Chronique rurale d'un certainMexique, par le grand historien mexi-cain Luis Gonzalez.«Terre humaine -. Rarement collec-

tion aura mérité si bien son titre.Adélald. Slsaquez

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PS YCHIATRIIl

Histoires de fous

1Maud MannoniLe Psychiatre, son «fou:.et la PsychanalyseSeuil, éd., 269 p.

«Alors, parce qU'Ollest un interné, on voussonne, on vous amène!Je vous raconte des his-toires.de fous. Que vou-leZ-tlOUS que je vous ra-conte crautre ? :. Laurent,interné: Cité par Maud.Mannoni, page 17.

Dès son titre, le dernier livrede Maud MaiJDoni s'impose' com-me une mise en cause des insti·tutions de la folie. Le Psychiatre,son «fou» et la Psychanalyse: lepossessif, qui fait du fou l'objet,la propriété exclusive du psychia-tre, tout autant que les guillemetsqui le désignent, «fou », commeson propre surnom, tout cela indi-que j'angle d'attaque... .Comment on peut" soigner insti-

tutionnellement sans exclure,sans -que la maladie mentale soitfixée en psychose, voilà ce queMaud Mannoni pose à l'horizonde ses recherches. Les implica-tions en sont massives, et le livrefait impression. Disons au préala-ble que l'impression produitetient pour une grande' part à latenue théorique dU. livre, maisaussi au choix et à la description·des exemples «cliniques ». Onest frappé par la vérité· qui parledans les discours des malades re-latés par Maud Mannoni; il s'yagit moins de maladies indivi-duelles que de situation collectivede "maladie, dans laquelle le soi-gné a toujours les symptômes del'Autre. (Mentionnons parmi lespages les plus frappantes le récitde l'histOIre' de Sidonie, anorexi-que de 17 (page 139-162) etcelui de Georges, Martiniquais de30 'ans, interné depuis dix ans ;ce dérnier exemple est représen-tatif du livre: le discours deGeorges y est analysé comme pro-duit de sa famille, et le contextehospitalier forme le' troisièmelangage par lequel un individuse déclare fou pour les autres.)Certains mots ne peuvent plus sefaire Qublier : t.el malade rendantcompte de sa folie: «Ma mèredisait: je vais devenir folle. Unjour, i ai fait le VŒU de devenirfou ci sa place» (page 43) .. Telenfant de

la parole maternelle dans son

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corps à lui: j'ai mal à la tête,dit l'enfant. «Où? Montre-moioù tu as mal ci la tête? Ques-tion qui ne lui avait jamais étéposée.- Là (montrant aa cuisse prèsde laine).- Et liJ, c'est la tête à qui?- A maman.:. (page 20)L'enfant avait réussi à devenir

le symptôme de sa mère migrai-neuse. De la juste articulation en-tre cette pratique et la théorieanalytique, dépend la solidité dulivre de Maud Mannoni.Ce livre, en fait, est aussi le

produit d'une rencontre dont ilfaut bien comprendre l'histoirepour en mesurer l'importance.Son point de départ en est lemouvement d'antipsychiatrie: es-sentiellement anglo-saxon,. et con-duit par des psychiatres non-analystes, il conteste la ségréga-tion hospitalière et les procédéspar lesquels la psychiatrie formeet déforme en les isolant les ma-lades. Au contraire de la: psychia-trie, Laing et Cooper ont çhoiside laisser délibérément le 'maladeen crise, abondant dans son sens,libre de sa foJ,ie, jusqu'à ce quela crise disparaisse d'elle-même.Cette expérience, tentée sur lesformes de lamaladie mentale, suppose d'unepart que le milieu extérieur con-ditionne la déraison, et d'autrepart que des soins rigides, qu'ilssoient somatiques ou psychiques,fixent en «folie» ce qui est unaccès passager et nécessaire.Une telle hypothèse rejoint, par

sa nouveauté' en psychiatrie, desrecherches déjà anciennes enethnologie et en histoire : recher-ches sur le shamanisme, qui pro-cède de la même symbiose entrele soignant et le soigné, recher-ches historiques sur les formessociales prises par la folie. C'estici que se joue la rencontre : carMaud Mannoni, psychanalyste del'Ecole Freudienne de Paris, estarmée pour comprendre théori-quement et transformer l'empi-risme des travaux de Laing etCooper.Ceux-ci, par exemple, appellent

métanoia la pratique qu'ils met-tent en œuvre; métanoia, termeextrait de l'Evangile, a le sens derepentir .et de conversion spiri-tuelle (1) ; Maud Mannoni y sup-plée par le concept de régression,moins connoté idéologiquement;la pensée de Jacques Lacan et

son armature théorique permet-tent de faire apparaître les consé-quences de la psychanalyse enmatière d'institutions: problèmepolitique par exCellence, queMaud Mannoni a le mérite de po-ser avec évidence, de telle sortequ'il ne .puisse être éludé. L'anti-psychiatrie, l'inBuence de JacquesLacan, et le' «structuralisme » an-thropologique en tant qu'il décritles formes sociales de l'aliénation,se rejoignent pour donner au té-moignage psychanalytique deMaud Mannoni sa validité théo-rique et pratique.Ses implications sont doubles :

sur le terrain spécifique de lapsychanalyse, la notion d'institu-tion fait l'objet d'une interven-tion théorique, liée à la difficilequestion de l'enseignement de lapsychanalyse: quel est le statutdu psychanalyste dans une so-ciété qui «soigne» par exclusion,et donc comment le former? Or,parler de psychanalyse emportedes conséquences anthropologi-ques : le rapport entre l'individuet les formes institutionnelles, lecollectif et ses pouvoirs' spécin-ques ; son rapport au politique etles transformations réciproquesqui les meuvent sont concernéspar la mise en cause des processusd'exclusion de la folie. La psycha-

met à jour les modalitéspar lesquelles l'individu se défendcontre les mécanismes d'intégra-tion - assimilation ou exclusion- de l'idéologie dominante; mais,dans sa pratique tout au moins,elle ne tire pas les conséquencesde ce qu'elle donne à voir. Le:livre de Maud Mannoni pose avecrigueur les prémisses d'un' tour-nant que souhaitait déjà MichelFoucault: «Le médecin, en tantque figr.tre aliénante, reste laclef de la psychanalyse. C'est peut-être parce qu'elle n'a pas suppri-mé cette structure ultime, etqu'elle y a ramené toutes les au-tres, que la psychanalyse ne peutpas, ne pourra pas entendre lesvoix de la déraison, Iii dJchiffrerpour eux-mêmes les. signes delinsensé. La psychanalyse peutdénouer quelques-unes des formes

la folie; elle demeufe étran-gère au travail souverain de ladéraison. Elle ne peut ni libérerni transcrire, ci plus forte raisonexpliquer ce qu'û y a d'essentieldans ce labeur. » (2) Si cette voie,

gagne en impor-tance, le jugement de" Foucault

risque de demander à être modi-fié, tout comme son objet, l'his-toire de la folie.Reprenons cette double impli-

cation, et précisons les convergen-ces entre le livre de Maud Man-noni et l'anthropologie. MaudMannoni pose elle-même le pro-blème en rapprochant le psychia-tre et l'ethnographe: «Le psy-chiatre comme l ethnographe estaux prises dans son champ crétu-de avec un ordre signifiant, quece soit celui du père, de la mort,du tonnerre ou des miracles;quelque chose s'ordonne selondes rapports antinomiques quiviennent comme autant de lois dulangage. Ce qui importe à l ethno-graphe (et au psychiatre), c'est depouvoir mettre au jour ce qui aété opérant dans la structure lo-gigue du mythe (mythe indivi-duel du névrosé ou mythe collec-tif) (3). En opérant un déplace-ment de termes, et en remplaçantle psychiatre par le shaman, onse souviendra des analyses queLévi-Strauss fait au sujet des gué-risons shamanistiques dans l'A n-thropologie Structurale: le sha-man y gilérit une patiente, enproie à un accouchement difficile,en réintégrant les symptômesanormaux - douleurs violentes -dans l'ordre du mythe; en étantlui-même partie intégrante dumythe naturel, et en transformant.la fèmme souffrante en morceaudu mythe: son èorps devieni lelieu où se joue le mythe.Là, «quelque chose s'ordon-

ne effectivement, qui ressem.hleà ce qui s'ordonné en 'psychia-trie; Maud Mannoni en déduitavec justesse que le psychiatrejoue le rôle qùe la société luiassigne: celui de l'ordonnance-ment, auquel il faut pour guérir,que le malade s'identifie; l'ordresocial 'contre le désordre de lafolie, telle est la dialectique dela psychiatrie. Lévi-Strauss titrece chapitre de son anthropologie :lEfficacité Symliolique. C'estcette expression que Maud Man-noni illustre complètement, com-me si elle voulait donner raisonpar des travaux pratiques tout en-semble à Lacan, Lévi-Strauss etFoucault.Car c'est par l'efficacité de l'or-

dre. symbolique que la folie sedésigne d'elle-même: soi.-clisantfoJ.ie. C'est la du symbo-lique, sa force de loi,: qui permetde comprendre' que la folie des

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D'après Breughel: Enlèvement de la pierre de folie.

fous est une maladie d'exclusion;Lévi-Strauss, dans Tristes Tropi-ques, classe les sociétés en sociétésanthropoémiques et en sociétés·authropohagiques: les premièresse défendent des éléments atypi-ques qu'elles contiennent en les« vomissant» dans des lieuxd'exclusion: prisons, asiles, mai-sons institutionnelles variées; lessecondes se défendent au contraireen assimilant les corps étrangers.Or, le shamanisme fait plutôt par-tie des secondes que des premiè-res, et on pourrait dire que l'ef-fort de {antipsychiatrie consisteà vouloir transformer une sociétéanthropoémique en société an-thropophagique, à traiter la foliecomme partie intégrante du corpssocial, au lieu de l'en exclure.Entre psychiatre et shaman, le

rapport alors devient plus clair :le psychiatre comme le shamansont les opérateurs pour le traite-ment de l'étrange; l'un dans unesociété anthropoémique, l'autredans une société anthropophagi-que. Il reste que l'antipsychiatrietend à convertir la psychiatrie enshamanisme: Laing et Coopersuivent le délire du malade, com-me le shaman, sans en briser l'or-donnance, et participent à la fo-lie, comme le shaman, lui-mêmetoujours caractérisé par son ano-malie. Maud Mannoni a senti ladifficulté de cette question, qui,sans être résolue par la seule psy-chanalyse, ne peut cependant passe poser sans son aide. Car c'estelle qui permet de comprendrel'aspect transférentiel de la situa-tion de maladie mentale, et d'enanalyser les mécanismes projec-tifs. En ce point de rencontre dela psychiatrie, du shamanisme etde la psychanalyse, le problèmedu politique se pose, d'évidence;si la modification institutionnelledoit s'effectuer, elle supp08ed'une part une réorganisation dusymbolique, et d'autre part lestransformations sociales attenantà une telle mutation idéologique.Une analyse plus précise du sa-

voir en jeu dans la psychiatrie- comme dans le shamanisme -met en lumière ses fonctionsidéologiques. Foucault nous avaitdéjà rendu attentifs à l'évolutiondu savoir médical; dans le livrede Maud Mannoni, les exemplessont légion de sa fonction de mé-connaiB8ance: ainsi, une étudian-te témoigne: «Au début, ça mefaisait quelque chose, cette parole

folle qui dit vrai. J'en rêvais.Maintenant j'ai fait des progrès,ça ne me fait ptus rien. Quand unaliéné parle, j'arrive rapidementà le classer dans telle catégorienosographique. Le savoir sur lamaladie, ça vous protège.» (4)Rejoignant l'étude d'O. Mannonisur l'expérience d'Itard, médecinau savoir condillacien, aveuglesur ce que le «sauvage del'Aveyron» avait à lui dire, etrendu aveugle par ce savoir même,Maud Mannoni écrit: «Le «soi-gné» sert souvent d:écran à ceque le soignant ne veut ni savoirni entendre... », et encore: «Unecertaine de savoir objectivéa laissé dans {ombre tout ce qui,dans le psychiatre (et le pédago-gue) se dérobe aux effets produitsen lui par la présence de la fo-lie.» (5)Ce savoir médical fait partie

des rapports médecin-malade:car le malade se dit tel selon desrepères médicaux; il s'objectivedans des critères diagnostiques,et pose la question de son iden-tité, non plus sous la forme «Quisuis-je? », mais «Que suis-je ? ».C'est ainsi qu'apparaissent lesaspects rusés de la maladie: lamaladie est une stratégie danslaquelle le malade se trouve, re-connu comme «paranoïaque» ou« schizophrène»: «Les fous sontles êtres les plus recherchés dumonde », dit l'un d'eux, ayant faitce que Maud Mannoni appelleune carrière asilaire. A ce savoirprotecteur, Maud Mannoni opposel'attitude psychanalytique quandil s'agit de psychose: non plus

l'oblitération de la vérité qui par-le à travers les signifiants d'undélire, mais la réception de ce dé-lire. Suivant Jacques Lacan, MaudMannoni décrit la psychose com-me une défense du sujet contreune parole étrangère, qu'il necomprend pas; qui lui vient,comme tout langage, de l'Autre,et qu'il tente d'intégrer en consti-tuant tout un système qui, dèslors qu'il est fixé par une écoutesociale; prend le nom de folie,irrémédiable.Il suffit d'accéder à l'écoute

que demande le psychotique pourque les formes de ce système nesoient pas figées:· « Cette psycho-se n'a pas tant besoin· d:être« soignée» (dans le sens d:un ar-rêt) que d:être reçue. Ce quecherche le patient, c'est un té-moin, et un support à cette paroleétrangère qui s'impose à lui.»(6). Ce témoignage, les maladesde Laing et Cooper le trouventdans ce qui ne s'appelle plus niasile ni hôpital, mais lieu d:ac-cueil pour le dire de la folie ; àtravers une mythologie de la «ré-demption» et du «voyage », quidemande à être dépouillée de sesconnotations romantiques, voirereligieuses, il y a là une tentativequi engage non seulement la psy-chiatrie, mais la société toutentière.C'est pour cette raison que le

livre de Maud s'achèvesur une sorte d'inipasse : psycha-nalyste, elle ne peut éluder laquestion du rôle de l'analyste.Elle constate alors ·qu'en France,comme aux Etats-Unis, la psycha-

nalyse a tendance à être asservieà des besognes mi-soignantes, mi-policières; instrument de réédu-cation de l'ego, ou inefficace surles masses, elle ne peut survivresans une réflexion qui mette encause son rapport au collectif etses implications politiques. MaudMannoni dénonce un dangerqu'on ne nous avait pas habituéà craindre, bien au contraire : lapsychothérapie d'enfant, généra-lisée, systématisée,. devient uneforme normative d'éducation, etentre dans ce qu'une mère d'en-fant analysé, plus consciente qued'autres, appelle «une complicitéde flics:t (7).Et voici l'impasse: je cite les

deux dernières phrases du livre :« Dès qu'une .société songe à met-tre en place une organisation de« soins », elle fonde cette organi-sation sur un système de protec-tion qui est avant tout rejet de lafolie. D'une façon paradoxale,« {ordre soignant:t promeut ain-si la «violence:t au nom de{adaptation.:t C'est à un autrediscours de prendre le relais, ca-pable d'articuler le psychanalyti-que 'et politique.

Catherine Backès-Clément(1) On lira avec intérêt le numéro

de Recherches : Spécial Enfance Alié-née, qui contient un texte de Laing :Met&noïa, some experience at Klnc-sley Hall, London. (Décembre 1968).(2) Michel Foucault, mstolre de la

Folie, page 612.(3) Maud Mannoni, page 28.(4) Ibid., page 27.(5) O. Mannoni: Clefs pour l'lma-

rinalre, Maud Mannoni, page U.(6) Ibid., page 195.('7) Ibid, J)aie 232.

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970

Page 24: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

HISTOIRE

Super flumina...

IL, OppenheimLa MésopotamiePortrait d'une civilisation.Coll. «La 8uite de8 temp8Gallimard éd., 456 p.

De la pencope célèbre qui au-rait décidé de la vocation deLawrence d'Arabie, l'a88yriologueaméricain L. Oppenheim nous of-Ire une 80rte de commentaire dansson livre, publié originellement enanglais, dans une langue difficile,et dont on nous propose une tra-duction française, qui n'est d'ail-leurs pa8 exempte de maladre8seset qui frôle par instants le contre-lIen8.Pou8sé par des 8crupules tout à

fait honorables de spécialiste,L. Oppenheim a donné pour limi-te8 temporelle8 à 80n ouvrage cel-le8 que lui imp08ait 8a connais-sance directe des sources: ausaibien ne trouvera-t-on aucun déve-loppement sur le monde et laculture des Sumériens dont l'ap-port· dans la constitution de lacivilisation mésopotamienne fut

.important et peut-être déci-8if, même après leur disparition àla fin du troisième millénaire com-me entité politique et ethnique.Pour prendre un exemple grossiermais éclairant : le bilinguisme defait des scribe8 - assyro-babylo-nien, langue vivante au moins jus-qu'au VII" siècle et 8umérien, lan-gue de la religion et pour unepart des techniques - s'est main-tenu jusqu'aux Arsacides. Cettedécision d'Oppenheim le conduità fixer le terminus a quo de 80nouvrage vers 2300. Il choisit, d'au-tre part, d'arrêter son exposé àl'entrée des Per8es à Babylone. Onpeut le déplorer un peu car toutindique que, de même que l'em-pire dit néo-babylonien (612-555)fut l'héritier authentique, large-ment légitime et pour une partconscient de l'empire a8syrienqu'il contribua, faiblement d'ail-leurs, à détruire, de même l'évo-lution de la civilisation mésopo-tamienne, qu'on peut dès lorsappeler traditionnelle, pour l'op-poser au monde achéménide, hel-lénistique puis parthe qui l'en-toure, après le milieu du VI"8iècle, ne ressentit que faiblementles ruptures 'politiques.Avant Xerxès, il n'en est pas

de fondamentales: Cyru8 8'est po-sé en succeS8eur des rois précé-dent8 'et ce n'est pas là désir de

24

A$sournazvlpa/.

vainqueur habile ou magnanime,80utenu par une propagande ef-ficace dont nous restent quelquestextes: la Mésopotamie, et sur-tout désormais la Babylonie carl'ancienne Assyrie ne s'était pasencore remise des ravages scythes,mèdes et babyloniens, est liée parune union personnelle au restede l'Empire. La «prise de lamain de Mardouk, le dieu na-tional, pendant les fêtes du Nou-vel An, permettait au 80uverainperse, «roi de8 de deve-nir aussi «roi de Babylone ».Xerxè8, excédé par les révoltes deprétendants nationalistes, renditimpossible cette politique en ra-vageant le sanctuaire de Mardouket en détruisant sa statue.

La Mésopotamie seule

Désormais la Babylonie assu-mait le destin des autres satra-pie8, mais la culture traditionnel-le qui s'exprimait toujours par lecunéiforme sur tablette d'argile,continuait dans la capitale commeen province, à Uruk en particu-lier, et même 8e renouvelait: l'au-teur, comme on peut s'en rendrecompte en lisant ses notes biblio-graphiques très importantes, uti-lise souvent ces textes tardifs quise trouvent souvent être les meil-leurs ou les 8euls témoins de gran-des œuvres littéraires, religieusesou majs il netraite pas, comme tel, on peut lecegretter, de ce dernier 'et trèsbrillant éclat du monde mésopota-mien qui s'achève, comme il avaiteommencé: autour des temples.Comme l'indique le titre, .

penheim ne s'intéresse, par prin-cipe, qu'à l'espace mésopotamienpropre et il exclut le reste duProche-Orient, même si celui-ci,ainsi la Syrie 'ou l'Elam, a utilisé

l'assyro-babylonien.comme langue de culture. L. Op-penheim fait, d'ailleurs, justementremarquer que des poèmes, com-me l'épopée de Galgamesh ou lemythe du roi Etana, qui noussemblent être les chefs-d'œuvrebabyloniens par excellence, sontsurtout attestés dans les bibliothè-ques hors de Mésopotamie, 8ur lacôte méditerranéenne, en pays hit-tite et en Egypte.

Une mosaïque

La Mésopotamie est composéed'une succession de· tableaux, 8ixchapitres en tout (dont certainsavaient déjà paru comme articlesindépendants) chacun d'entre euxfaits de quelques paragraphes,sans prétention à l'exhaustivité, li-vre qui est donc, plus qu'un « por-

8elon le mot de l'auteur,ou même une description 8ynthé-tique, plutôt une mosaïque lais-sée volontairement inachevée pourne pas. préjuger des découvertesfutures. Si' certains développe-ments peuvent apparaître banalsaux yeux des 8pécialistes, ils ap-prendront beaucoup au public cul-tivé car ils chassent les 8coriesque charrient, avec complaisance,trop d'ouvrages généraux après lesavoir emprunté8 à des ouvragescaducs depuis des décennies. In-sistons au passage, car de non-spécialistes n'y peut-êtrepas sensibles, sur l'importance dela chronologie qui fait autorité,et sur la valeur scientifique descartes de tous les sites, qu'on netrouve que là.

Un vent salubre

A cet égard, 8i la Mésopotamiene faisait que l'état des questions,elle serait déjà la bienvenue,mais il y souffie aussi un vent sa-lubre de critique, il s'y manifesteun goût allègre pour marquer leslimites de nos connaissances ac-tuelles ; et le refus de la complai-

pour des idées toutes faitesqui s'adrésscn:t, par leur ton polé-mique, à la myopie intellectuellede certains assyriologues, devientmême du pessiinîsP1e et confineau découragement;' Ces deUx sen-

timents sont injustifiés: la do-cumentation, quoique mal répar-tie dans le temps et l'espace, estconsidérable: 500 000. tablettespeut-être à ce jour et des origi-naux d'une fraîcheur et d'une hu-manité auxquelles on ne peut res-ter insensible, sauf un certainnombre de textes dit «de la tra-dition » inlassablement réédités etquelques inscriptions historiquesanciennes, recopiés par des éruditsnéo-babyloniens.Un des intérêts de l'ouvrage ré-

side enfin dans les idiosyncrasiesde l'auteur qui prend parti, quit-te à agacer ou à étonner : il dépré.cie, par exemple, la médecine ba-bylonienne, sur le témoignagetardif, et suspect, d'Hérodote. Onest frappé, au contraire, de l'atti-tude moderne des praticiens mé-sopotamiens dont les manuels ma-nifestent les deux qualités scien-tifiques d'acribie dans le diagnos-tic et de modestie prudente dansle prognostic, bien que noussoyons bien incapables aujour-d'hui de juger des résultats ; en-core est-il frappant que la magiesoit tenue à l'écart. Certaines af-firmations ont même des consé-quences inattendues: L. Oppen-heim évoque, sans justification, lerôle des chiens de bergers mais,s'ils avaient existé, et des preuvesindirectes convergentes indiquentle contraire, 'on ne comprendraitplus comment se serait dévelop-pé le thème du Bon Pasteur, quiabandonne quatre--vingt-dix-neufbrebis pour partir, lui-même, àla recherche de la centième, thè-me passé de Mésopotamie en Pa-lestine et de là, par les Evangiles,dans l'iconographie occidentale,image édifiante du berger portantl'égarée sur ses épaules; Le chienétait en réalité le symbole de labête méprisable et inutile, excep-tion faite pour les noblesses quigardaient les sanctuaires.

Etaient-ils heureux?

Les Mésopotamiens étaient-ilsheureux? Oppenheim, qui ne po-se pas directement la question,fournit toutefois des éléments deréponse : de ses pages montent àla campagne l'alalû, le chant ryth-mé des moissonneurs, et, à laville, les rires des buveurs de biè-re au cabaret.

Daniel Arnaud

Page 25: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

..... 11 est salutaire de lire l'ouvragede Deligny, qui pressent depuislongtemps où est la racine du mal ..(Lettres Françaises).14.80 F

FERNAND DELIGNYLes Vagabondsefficaces

P.de CORMARMONDET C. DUCHETRacisme et société.....Mais il est sans doute suffisantque le lecteur referme le livre avecla' conviction que personne n'estinnocent, même si certains sontbeaucoup plus coupables qued'autres". (P. Vidal-Naquet, LeMonde).18.10 F

L.·lf)EC'O l t ,!:'R Tl:.'

COLETTEJANIAUD LUSTNikos Kazantzaki60 F

MONIQUE JUTRINPanait Istrati,un chardon déraciné23.70 F

CH. MINGUETAlexandrede Humboldt, historienet géographe del'Amérique espagnole60F

BERNARDGRANOTIERLes Travailleursimmigrés en France" Mais cela dit, dans l'état actueldes choses, le livre de BernardGranotier reste cependant l'unedes meilleures sources de rensei-gnements dont nous disposons, etil constitue à ce titre, malgré seslimites, un outil de travail pré-cieux". (Lutte ouvrière, FrançoisDuburg).18.10 F

WLODZIMIERZ BRUSP bl' , , D.D. KOSAMBIro emes generaux . . . .du fonctionnement de Culture et CIVIlisationl'économie socialiste dans l'Inde ancienne20.80 F 23.70 F

G. CHARACHIDZELe Système religieuxen Géorgie paienne60F

ECOSO.\IIE ET1

SOC'!.·lljS\/EFrançoisMaspero1 place Paul-Painlevé

Paris se

H Hormislean-Paul Sartre,François Masperonepublie que

des auteurs étrangers"(Carrefour) .

MARIAANTONIETTAMACCIOCCHILettres de l'intérieurdu Parti

UNION GENERALEDESTRAVAILLEURSSENEGALAISEN FRANCELe Livre destravailleurs africainsen France

LORAND GASPARPalestine, année 0Un dialogue israélo-arabe.8.60 F

" Je crois que tout le monde doitlire ce livre, parce que l'on doitse rendre compte par des faits, etnon par des théories, uniquementpar des faits du mécanisme desurexploitation: et que nous avonsréellement nos colonies à l'inté-rieur, comme les Américains.....(Jean-Paul Sartre, TricontinentaI).14.80 F

JEAN DAUBIERHistoire de larévolution culturelleprolétarienne en ChineVue, vécue et expliquée de l'inté-rieur par un témoin militant.18.10F

('.4 IIIERS

ROGERGENTISLes Murs de l'asile"... Mais si les sourds n'entendentpas cet appel, c'est à désespérerde la parole de feu. Celle deR. Gentis l'est. Pas l,me parolepolie, "technique". Plutôt un dis-cours furieux (mais réfléchi desannées), un mouvement irrésisti-ble (mais étayé par une expérienceméditée)". (Michèle Kespi, LeNouvel Observateur).8.60 F

VASSILISVASSILIKOSHors les murs

WOLFGANGABENDROTHHANSHEINZHOLZLEOKOFLERTHEOPINKUSEntretiensavec Georg Lukacs" Les œuvres des nouveaux maîtresà penser de la gauche allemande -Marcuse, Adorno, Walter Benja-min, Habermas - auraient-elles étépossibles sans l'ébranlement queLukacs a donné au marxisme, àl'esthétique, à la philosophie ?Jamais il n'a été aussi vivant".(Jean Michel Palmier, Le Monde).11.80 F

"Ce que l'on retrouve dans le pré-sent volume c'est le Vassilikos de Z,avec son don assez extraordinairede donner vie, de restituer l'exis-tence dans son mouvement et sesdétails". (Jean Gaugeard, LettresFrançaises).14.80 F

PAULLIDSKY

Les Ecrivainscontrela Commune" Avec une probité parfaite, l'au-teur n'avance rien qui ne soitétayé par des textes... Livre à lireet à méditer". (Martin Fort,La Quinzaine Littéraire).14.80F

P.M.SWEEZYETCH. BETTELHEIMLettressur quelquesproblèmes actuelsdu socialismeCHINE - U.R.S.S. - CUBATCHECOSLOVAQUIE.5.90F

" Reportage d'une vie et d'une jus-tesse remarquables, réflexion poli-tique sur les rapports du P.e. etdes masses sous prolétarisées.....(Le Monde).23.70 F

Batasuna,la répressionau Pays BasqueUn livre noir, précis, atroce etaccablant sur la terreur franquisteaujourd'hui.11.80 F

RtEnITIO.\SES r·lC-SI.\/ILl.:

KARL KAUSTSKYLa Question Agraire15 F

LENINE - ZINOVIEVContre le courant2 vol. - chaque: 15 F

A.NEUBERGL'Insûrrection arniée15 F

BIBI_ID TIII?Ql 'ESOC '!.·l LISTEGEORGES HAUPTET JEAN-JACQUESMARIELes Bolchevikspar eux-mêmes"Le, commerçant permanent dela Révolution, l'éditeur FrançoisMaspero, vient de publier - le faitmérite d'être souligné - un ouvrageimportant". (Jeune Révolution-naire).23.70 F

SAMUELBERNSTEINAuguste Blanqui" ...Cette biographie est aussi cellede tout le 19" siècle, et l'on parti-cipe avec passion à la deScente deBernstein dans le dédale des socié-tés secrètes qui grouillent sous lesmonarchies, l'Empire et la Répu-blique" (Le Monde).23.70 F

KARELKOSIKLa Dialectiquedu concret14.80 F

A.EMMANUELL'iEchange inégalIntroduction et remarques théori-ques de Charles Bettelheim.23.70 F

CHARLESBETTELHEIMCalcul économique etformes de propriété14.80 F

CHRISTIANPALLOIXProblèmesde la croissanceen économie ouverte18.10 F

TI:'" \' fI,'S.ll.'.·lPPllCH. BLANCHEBENVENISTEET A. CHERVELL'Orthographe"Un essai qui me semble bien êtreune bombe". (Lettres Françaises)18.10 F

BARRIGTONMOORELes origines socialesde la dictatureet de la démocratie.....C'est un ouvrage de base à rete-nir, dont la lecture est à conseillerà qui veut essayer de comprendrenotre époque". (Bulletin critiquedu Livre Français).26,70 F

C. WRIGHT MILLSL'Elite du pouvoir.. Mills, le célèbre sociologue amé-ricain dénonce le mécanisme dupouvoir dans la société et l'Etataméricain, avec ce non-confor-misme qui ne sort pas des limitesdu conformisme américain, pourqui la lutte des classes n'existepas". (La Nouvelle Critique).23.70 F

A.S. NEI(,LLibres enfantsde Summerhill.. Pourquoi une expérience aussipositive, aussi nécessaire à uneépoque où tout le système de l'en-seignement, de la maternelle àl'Université, se révèle en faillite,est - elle si rare?" ( L'Express,Madeleine Chapsal). !il23.70F

Page 26: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

Naissancede l'anarchisme

1Pierre AnsartMarx et (anarchismeP.U.F. éd., 556 p.

1Naissance de (anarchismeP.U.F. éd., 261 p.

Les deux ouvrages de PierreAnsart que viennent de publierles Presses Universitaires de Fran-ce: Marx et (anarchisme et Nais·sance de (anarchisme, ne 80ntpas, malgré leur titre, une étudede l'anarchisme comme doctrinesociale et mouvement politique.Ce qui intéresse l'auteur ce sontces penseurs de la société indus·trielle commençante que l'ombrede Max:x a plongés pour un longtemps dans la nuit ou que la clas-sification somaire d'Engels. entre«socialisme scientifique:. (celuide Marx) et «socialismes utopi-ques:. (les autres) a rejeté ducôté des rêveurs .ou des moralistes.Etudiant Saint·Simon et Proud-hon, Ansart veut montrer queleur œuvre, non seulement s'ins-crit dans le même temps et lemême questionnement que celle

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de Marx, mais encore que leurmodernité et leur ouverture à nosdifficultés d'aujourd'hui sont aus-si grandes.Thèses universitaires, ces deux

ouvrages ont les grandes qualitésqu'exige le genre: le sérieux dansla documentation et l'opiniâtre·dans la démonstration, mais ilsen ont aussi les défauts agaçants.Notons en particulier la complai-sance de certaines références etsurtout la prise en trop grandeconsidération d'affirmations quin'avaient pour elles que d'être cel-les du directeur de thèse - enl'occurrence G. Gurvitch.C'est l'œuvre touffus de Prou-

dhon qui retient surtout PierreAnsart. A elle il consacre unebonne partie du premier ouvrageet la totalité du second. Déjà,l'an pa88é, il avait fait' paraîtreune Sociologie de Proudhon(P.U.F.). TI s'inscrit ainsi au toutpremier rang de ceux qui veu-lent réhabiliter la pensée de ce-lui dont Marx disait :« N>ayant jamais compris la dia-

lectique scientifique il ne parvientqu'au sophisme. Le petit.bour-

geois... dit toujours: d'un côté,de (autre côté. Deux courantsoposés. contradictoires. dominentses intérêts matérieLS. et par con-séquent, ses vues religieuses,scientifiques et artistiques. sa m0-rale. enfin son être tout entier.Il est la contradiction vivante.Sil est, de plus, comme Proudhonun homme d'esprit. il saura bien-tôt jongler avec ses propres con-tradictions et les élaborer, selonles circonstances, en paradoxesfrappants. tapageurs. parfois bril-lants. Charlatanisme scientifiqueet accommodements politiquessont inséparables d'un pareil pointde vue.»Ansart organise son étude au-

tour d'une question qui, il fautle souligner, est dans la traditionmarxiste. Il recherche les homo-logies structurales possibles entreles ensembles intellectuels qu'j}découpe dans l'œuvre de Prou-dhon et des structures sociales deson époque, cela dans le but d'in·tégrer dans une même totalité lediscours proudhonnien et 80nmonde réel.On a souvent imputé aux mar-

xistes un schématisme qui résulte·rait de la fonction productrice di·recte et· unilatérale qu'ils accor'dent à l'économique. Le reproche,s'il est fondé pour nombre detravaux contemporains, l'est moinsquand on lit Marx et qu'on dé-couvre son perpétuel souci de te-nir compte de tout ce que le réelprésente comme complications etcontradictions. Ansart, à qui onne saurait faire le reproche deschématisme, répudie la relationde causalité au profit d'un mar-xisme très prochede celui de L. Goldman: cha-que niveau social (politique, cul-turel, juridique, etc.) n'est encorrespondance avec les autresque dans la mesure où il expri-me - dans sa forme et selonses lois structurales propres - latotalité sociale. Et si l'économiquereste bien le déterminant «endernière instance », dont parleMarx, son effectuation est si loin·taine, si réfractée par la complexi.té des articulations, qu'on peut- presque '-- la mettre entre pa·renthèses.L'auteur veut aller plus loin et

c'est son originalité. TI veut nousfaire connaître en quelque 80rtela génèse inconsciente-conscientede la pensée de Proudhon. Nousvoyons ainsi Proudhon prendre

pour modèle, dans le réel de sontemps, le secteur artisano-manu·facturier et l'extrapoler à la tota-lité de la société.Au niveau artisano-manufactu-

rier, le rapport de l'homme à 80n8emblable n'est pas «médié. pardes institutions bureaucratiques.Il s'agira donc de préserver ce ca-ractère essentiel lorsqu'on passeradu petit groupe de producteurs àla totalité d'une société. La choseest possible, affirme Proudhon.Elle exige que soit répudiée touteorganisation macro-centralisatricequi permet à l'Etat de manifestersa puissance oppressive, et quesoit inventé un mode d'articula-tion qui laisse les petits groupesdévelopper leur spontanéité. Ainsise constitue un espace social hUemain dans lequel la décision restesous la dépendance de ceux quiont à la supporter et n'apparaîtpas entourée du mystère de sasource et de la toute-puissance deson impérium.Le thème du mutualisme qui

cristallise le principal du proud.honisme permet à Ansart de sequestionner sur l'actualité deProudhon, sur la valeur de sesintuitions et utopies dans la so-ciété d'aujourd'hui, ce qui est unefaçon de confronter notre sociétéà ses origines et de conclure à l'in·térêt de connaître Proudhon pourpenser notre époque et ses pro-blèmes.C'est le privilège du XIX· siècle,

ce temps où naît la société indus-trielle dans un bouillonnement ri-che et confus d'idées et de rêves,que d'y voir recensées toutesles formes de pensées possiblesexplicatives du phénomène nais-sant. Aussi n'est-il pas une seulethéorie, pas une seule utopie quine puisse, un jour ou l'autre, etselon les avatars de l'histoire etles aspects de la conjoncture,être qualifiée d'intuition géniale;pas un seul penseur des débutsdu XIX· siècle qui n'ait sa chancede se voir érigé en penseur denotre devenir.Ansart nous montre - et il a

raison - qu'aujourd'hui la ques-tion est posée d'une demande li-bertaire contre les oppressions bu·reaucratiques. Il nous révèlel'actualité de Proudhon, cetteactualité qu'il avait annoncéeavant que mai 1968, dans le fracas,ne semble lui accorder le satis-fecit de l'histoire.

André Akoun

Page 27: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

RELIGIONSUne nouvelle collectioninternationale.-d'histoire

Eckartshau'senUne collection audacieuse. insolite, sti·mulante qui renouvelle le cadre tradi·tionnel du document d'histoire et ré .pond, à travers l'expérience du passé,aux interrogations les plus brOlantesde notre temps.

L'Ere desrévolutions

1789-1848

déjà parus:SIR CECIL

MAURICE BOWRA

L'Expériencegrecquedu IX" au IV·siècle av. J.-C.•FRIEDRICH HEER

de l'Université de Vienne

•ERIC HOBSBAWM

de l'Université de Londres

L'Universdu moyen âge

L'AVENTUREDES

CIVILISATIONS

une place déterminante dans ledéroulement de la pensée..Un IIYs·tème théosophique, .comme unepensée poétique, est centré surl'idée de correspondance, et sedéveloppe en répétitions harmo-niques. Pour Eckartshausen, il n'ya pas de solution de continuitéentre noumène et phénomène;la création constitue une chaîneininterrompue. Les nombres sontcomme les images d'une unitéprimordiale, d'une harmonie fon-damentale (p. 244). Ils ne sont pasles instruments d'une énumérationdu monde, mais de sa coordina-tion ; ce sont les enveloppes invi·sibles des choses. Si les significa-tions individuelles des nombresrelèvent assez directement de lakabbale chrétienne,. le .plus inté·ressant est la loi qui les relie.Tous les nombres del'unité, si bien que pour.compren·dre un nombre, il faut compren·dre les nombres qui le précèdent,remonter à travers eux jusqu'àl'unité. Leur progression ne cor·respond pas à une dégradation, aupassage de l'unité à la pluralitépar la division; on ne s'enfoncepas d'autant plus dans la matière

s'éloigne du Principe.Les mathématiques ne s'appli.

quent pas seulement au mondesensible, 'mais à tous les domai·nes de la pensée. Ils sont le fon-dement de la connaissance, étantcelui de l'organisation du monde.Ils sont d'une aide efficace pourl'explication de la mythologie,pour celle des rapports de Dieuet du Christ, du Christ et del'homme, de l'homme et de la'nature. L'amour est le premiernombre ; le mal est un désordre,il naît dans le temps, mais letemps n'est pas le mal en soi;il est le lien entre la cause et laconséquence ; il est une forme dela progression de l'unité et peuts'ordonner en grande heure, engrand jour, en grande année.Pour qui même n'est pas théo-

sophe, la lecture du livre d'An·toine Faivre est éclairante. Lesproblèmes étudiés concernent di·rectement le romantisme alle·mand, mais aussi toute une partde la littérature française. Senan·cour a pu connaître Eckartshau·sen, mais les pages qu'il consacreaux nombres dans Oberman sontironiques; en revanche, Neival etBalzac aliraient pu êtrepar cette construction.

Jean Roudaut

le titre est aussi kafkaïen que lethème : des punaises dévorent lesyeux d'un enfant, et cet enfantest un bâtard. Comme il est unfils sans père officiel, Eckarts-hausen est un théosophe sans maî-tre; ce qui est grave quand onsait l'importance primordiale dansl'initiation de la tradition, de lacontinuité, de la filiation spiri.tuelle. Sont-ce ces raisons qui lerendr.ont d'une fidélité absolue àl'égard du Prince Karl.Theodor,et des Jésuites, dont à Ingolstadtil a été l'élève ?Quand, en 1784, Eckartshausen

parle De rintolérance littéraire denotre siècle, il évoque celle quis'exerce contre la religion et con·tre la Les fonctionsde Conseiller aulique, puis deConseiller secret, l'amènent àapprocher les' prisonniers et às'intéresser à eux. Bien que lecontenu de son discours Sur lanécessité des connaissances phy,siologiques en matière criminelle(p. 98) soit pas précisé, onpeut l'inférer du tableau quedresse A. Faivre des quatre tem·péraments (sanguin, flegmatique,colérique, mélancolique), et des

qui les lient(p. 307). Le rapport' d'un systèmeancien et de l'expérience peJ;"sonnelle intrigue; en soulignantque l'espace où se meut Eckarts·hausen est essentiellement reli·gieux, symbolique et mythique'(p. 216), Antoine Faivre dissociela biographie d'un être situé etcontingent de l'exposé d'une pen·sée pérennielle. Ce qui, en ce casprécis, donne raison à Faivre,'c'est que la vie et l'œuvre n'obéis·sent pas au même rythme:pensée d'Eckartshausen lui estdès l'origine entièrement donnée;elle ne variera pas.L'œuvre est traversée et soute·

nue par une méditation sur lesnombres qui prend son aspect doc·trinal dans deux ouvrages: laScience des "ombres (1794), laProbaséologie' (1795), et qui l'ex-prime d'une ,maniàe figurée dansune série de dix.sept rêves symbo-liques (1792). Certes, ces rêvestémoignent d'une conscience éveil·lée singuJièrement attentive auxallégories, mais Antoine Faivre araison de remarquer que, dansces calculs arithmosophiques, ilentre une bonne part d'intuition(p. 448). Les nombres qui appa·raissent à différents niveaux dela méditation, occupent toujours

Ce 1ivre est une thèse; ilen a le poids et les qualités.L'étendue de l'information, lasûreté de la bibliographiefont d'une.. simple monogra-phie, si je suis qualifier desimple monographie un livrede cette ampleur. un volumede consultation, d'autant plusutile que l'œuvre et la per-sonne d'Eckartshausen de-meuraient mystérieuses endépit de citations fréquentesde son nom par Gœthe. Schil-ler. Herder. Gogol. Tolstoï.

S'il exprime sa morale par lavoie du théâtre, s'il empruntefacilement son vocabulaire à l'al-chimie (Faivre publie, en appen-dice, une étude inédite de Canse- .liet) , Eckartshausen demeure es-sentiellement théosophe, et sesitue dans la tradition initiaquede Boehme, Swedenborg, Saint-Martin.Eckartshausen naît en 1752.

Fils de Karl von Haimhausen etde la fille de son intendant, MariaAnna Eckart, il portera un nomde fabrication composé de celui desa mère (à l'orthographe incertai-ne) et des dernières syllabes decelui de son père: Eckart-hausen.Cette naissance que l'on dit illé-gitime pèse assez lourdement surlui pour que, de 1778 à 1786, dix·sept ans avant sa mort; il coqsa·cre quatre ouvrages à la bâtardise.Bien qu'Antoine Faivre n'en ca·che pas.la faiblesse littéraire, jeregrette qu'il ne cite pas quelquespages du Journal d'un juge, dont

1Antoine Faivre

etla. chrétienne18 planchesKlincksieck, éd., 790 p.

La Q.!!inzaine Littéraire, du 16 IlU JO septembre 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

POLITIQUE

Prospective marxiste

ILéon Lavalléeune prospective11UJrxisteColl. «Problèmes:.Editions sociales, 190 p.

Si l'on convient de définir laprospective comme l'élaborationsystématique d'images d'un ave-nir éloigné à l'usage des déci-deurs présents, il faut reconnaî-tre que, d'une part cette activités'est développée dans les pays del'Ouest d'une manière assez indé-pendante des milieux intellectuelsmarxistes, et d'autre part que lespays de l'Est «font:. de la pros-pective même s'ils l'appellent d'unautre nom (par exemple «pro-gnose»). Le livre de Léon Laval-lée a ainsi pour obje de situer letravail de conjecture par rapportà une démarche intellectuelle detype marxiste.Très naturellement. il commen-

ce par dégager les raisons les plusgénérales pour lesquelles le re-cours à la prévision à long termedevient de plus en plus néces·saire. Cette nécessité tient d'abordà la combinaison d'un niveau éle·vé des forces productives et d'untaux d'accroissement rapide de cesmêmes forces et en second lieu àla compétition qui règne entre ré·gimes économiques rivaux (notonsque ce raisonnement vaut égale.ment à fintérieur d'un régimeéconomique ou d'un Etat·nation :supprimez toute concurrence, et laprévision devient à peu près sans

INFORMATIONS

Dossiersdes Lettres nouvelles

Dans la collection des «Dossiersdes Lettres Nouvelles. paraît, sous letitre de Silence, un Important ouvragequi regroupe une vingtaine de confé·rences et d'articles où le compositeurJohn Cage expose ses conceptions enmatière de musique expérimentale. Lepublic français pourra ainsi faire con-naissance avec ce chercheur infati-gable, fortement marqué par les in·f1uences des maîtres Zen, et dont leshappenings musicaux, les écrits et lesconférences ·ne manquent Jamais desusciter aux Etats-Unis ·ou l'exaspéra-tion ou l'admiration la plus enthou·!llaste (DenoëJ) .Dans la même collection, on pourra

lire un choix d'essais d'Ernst Fischer,communiste autrichien récemment

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objet puisque l'erreur ne seraitplus sanctionnée...).Prenant ensuite le Manifeste du

parti Communiste comme proto-type d'une réflexion prospective,l'auteur en déduit que tout exer-cice de ,prévision à long terme doits'appuyer sur les relations de dé-pendance qui existent entre lesvariables caractéristiques d'unsystème social, en commençantévidemment par les variables ex-plicatives - en l'occurrence lesforces productives - ce qui estcohérent avec sa définition dela prospective comme un repé-rage des «caractéristiques les plusgénérales du développement de lasociété à long terme:. (p. 59). Orces forces évoluent selon un sché·ma que l'on peut en di·sant que depuis le siècle, larelation causale production.tech.nologie.science tend à s;inverser,et à faire de la science l'élémentdominant: dès lors «le passagede la science à la première placedans le processus de production(...) impose que toute prévisioncomplexe parte de la prévisiondans ce secteur» (p. 48).Quelles sont alors les variables

« expliquées:. (ou dépendantes) ?Si l'on se réfère à l'exemple destravaux soviétiques sur l'avenir àlong terme, on voit se dessiner lahiérarchie suivante: sciences ettechniques, développement écono-mique et social, superstructurepolitique (y compris la défensenationale), et enfin l'espace «géo-cosmique », que l'auteur semblé

expulsé de son parti à cause des positions qu'il fut amené à prendre à lasuite de l'affaire tchécoslovaque. L'ou·vrage, qui a pour titre général Art etcoexistence, réunira deux volu·mes: le premier, intitulé A la recher-che de la vérité et groupant une séried'études critiques sur la littérature etl'art (notamment sur Beckett, Soljé-nitsyne, Goya), le second se présen·tant comme une sorte d'autobiographiepolitique de l'auteur ayant pour titreSouvenirs et réflexions.

Bibliothèque des idées

Dans la «Bibliothèque des Idées.(Gallimard), est annoncée pour sep-tembre la célèbre étude de MlckhailBakhtine sur Rabelais, dont notre col·laborateur, Ray Ortall, avait renducompte dans le n° 69 de la Quin-zaine. Chez le même éditeur, PhilippeJaccottet nous propose un ensemblede textes sur la campagne et de mé-

tenir pour quantité négligeable,alors que sous le nom d'« environ·nement:. il est en train de pren-dre une importance qui n'est passeulement de l'ordre du mythe(1).Après une description rapide

des méthodes de prévision utili-sées, le livre s'achève par unepartie intitulée «Essais d'appli.cation >, qui m'a paru très inéga-lement convaincante. On y trouvedes vues prospectives, au meilleursens du terme, sur l'avenir dusystème d'enseignement supérieurque Léon Lavallée envisage com·me pleinement intégré au systè-me de production, de façon à ceque se multiplient les chances defécondation réciproque. Par con·tre, il est difficile de suivre l'au-teur lorsqu'il affirme (pp. 140-141) que « seule l'analyseprospective pernianente :. peutpermettre de dégager les priori-tés à inscrire dans le plan natio-nal, et que la science économique,« avec ses catégories de rentabili-té, de développement proportion-né, etc. », ne peut apporteraucune réponse. Cette propositionest partiellement vraie, en cesens que le calcul économique (quin'a· d'ailleurs rien à voir avecle développement proportionné,c'est-à-dire avec la cohérence),n'apporte qu'un critère parmid'autres. Mais elle ne l'est quepartiellement, car si l'estimationdes tendances lourdes procuréepar une bonne prospective peromet de mieux percevoir les con·

ditations sur le travail du poète, sursa condition d'homme cfémunl et incer·tain: Paysages avec figures absentes.

Divers essais

Avec Diderot, de l'athéisme au colo-nialisme (Maspero), Y. Bénot nousdonne de l'œuvre de l'auteur de Jac·ques le fataliste une analyse nou-velle, qui la replace dans son contextehistorique et met avant tout l'accentsur ses contradictions et sur son idéo-logie de base, c'est-à-dire l'athéisme.Proviseur du lycée de Nîmes, Robert

Brechon s'appuie sur une longue expé-rience de l'enseignement pour nousdonner, dans la Fin des lycées (Gras-set), le témoignage direct de quelqu'undu métier sur la vie· actuelle dansles lycées et sur les problèmes quepose aujourd'hui l'enseignement secon·daire en France.Après la Sexualité et sa répression

dans les sociétés primitives et Trois

traintes que toute décision doitrespecter sous peine d'irréalisme,elle ne dispense pas de choisir en-tre voies de développement égale-ment plausibles au regard de cescontraintes, et ne fournit en toutcas aucune indication du genre :il faut développer l'industrie spa-tiale plutôt que celle des trans·ports terrestres (ou l'inverSe).En bref, dans un univers en

changement rapide, il est saged'être attentif aux formes possi-bles et probables du développe.ment scientifique et technique,mais on aurait singulièrement tortd'en conclure que l'évolution desmentalités nous est donnée du mê-me coup: en moins de vingt ans,la comparaison des taux de crois-sance russe et américain, à la-quelle Léon Lavallée attachebeaucoup de prix (et en tantqu'économiste je ne puis que l'ap-prouver) a cessé aux yeux de l'opi-nion éclairée d'être un élément-clé de la concurrence des régimeséconomiques, alors que le pro-grès scientifique et technique con-tinue apparemment de jouer lemême rôle moteur. Marxiste oupas, la prospective ne devra-t-ellepas tôt ou tard tirer la leçon dece changement d'optique, et sedébarrasser d'une conception unpeu trop étroitement mécaniste dela dynamique sociale ?

Bernard Cazes

(1) Voir le livre récemment paru$ professeur Jean Dorst, Avant quenature meure <Editions du Beuil).

essais sur la vie sociale des primitifs(voir le n° 50 de la Quinzaine), leséditions Payot publient un ouvrage pos-thume du grand ethnologue britanniqueBronislaw Malinowski (dont Masperonous a proposé récemment un essaiintitulé une Théorie scientifique de laculture, repris au format de pochedans la collection « Points. du Seuil) :les Dynamiques de l'évolution cultu-relle, étuoe consacrée au problèmedu contact culturel - dans le cas pré-cis des Blancs et des Noirs en Afrl·que.Chez le même éditeur, paraît une

étude sur le «terrain. dans la pers-pective de Reich, par un jeune psycho-sociologue: Erotisme afrlc:ain (le c0m-portement sexuel des adolescents gui-néens) de Pierre Hanry, tandis que sousle titre de la Peur des femmes, Wolf-gang Lederer publie un ouvrage sur lethème de la peur de la castration litravers les mythes, les légendes et lesreligions, de la préhistoire li nosjours.

Page 29: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

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L

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 30 septembre 1970

Page 30: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

LES REVUES

1Jean-Pierre Meylan:lB Revue de Genève, miroirdes lettres 1920-1930,librairie Droz éd.,626 p., Genève.

On peut se demander, cinquante ansaprès sa naissance, ce que repré-sente cette Revue de Genève dontl'existence fut liée en partie à l'insti-tution de la Société des -Nations. Pen-dant ses dix années de parution -de Juillet 1920 à décembre 1930 -,à une époque particulièrement abon-dante en œuvres fortes et en cou-rants nouveaux, la Revue de Genève,portée par l'esprit de la S.D.N., appa-raît à la fois comme un organe litté-raire et comme une tribune de débatsinternationaux. Les prospectus desouscription portent: • Internationale,sans être internationaliste. et • inter-sociale, sans être socialiste •.

Les devises sont moins ambiguëspour nous sans doute que pour leslecteurs de 1920. Robert de Traz(1884-1951) tout imprégné de barré-slsme au moment où il prit la direc·tlon de lB Revue de Genève ne fitpas de celle-ci une tribune • libre .,mals un lieu de rencontre marquéd'un libéralisme plus net en littératurequ'en politique... M. Meylan, dans legros ouvrage qu'il vient de consacrerà lB Revue de Genève, analyse serei-nement toutes les composantes qui

INFORMATIONS

Quatre nouveaux titres dans la col-lection • R • de Balland (voir le n° 94de la· Quinzaine) : les Gnostiques, parJacques Lacarrière, essai dans lequell'auteur se livre à une réflexion surce thème mystique jusqu'à l'époquecontemporaine; les Ecrivains en prieson, où, de Saint Jean de la Croix àJean Genet, la romancière Françoised'Eaubonne évoque les écrivains qui,en tous temps et en tous pays, eurentdes démêlés avec la justice; les Can-gacelros, par Christina Matta Machado,traduit du brésilien par Gilles La·pouge; les Dandys, évocation duthème du dandysme à travers les âges,des formes antiques aux formes lesplus actuelles, par Emilien Carasslls.

Réponse des savants

Il y a trois ans, Jacques Monod,Prix Nobel de Médecine 1965, pronon-çait au Collège de France une leçoninaugurale qui fit grand bruit (et quiservit de point de départ à P.H. Simonpour sa Lettre aux savants publiée auxéditions du Seuil en 1969). Reprenantles thèmes de cette leçon, précisantet développant très largement lesIdées provocantes qu'elle formulait.Jac:aues Monod donne aujourd'huI

liasard et la nécessité le pointde vue d'un biologiste sur tout unensemble de problèmes philosophiquesqui concernent de façon crucialel'homme actuel (Seuil).

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en firent une revue Intéressante, utilemais aussi fragile.Dix ans, c'est pourtant une durée

appréciable. Universelle dans sa dif-fusion - elle eut, à un certain mo-ment, autant d'abonnés au Brésil qu'àGenève -, lB Revue de Genève ac·complit dans le domaine littéraire cequi, en politique, aurait pu être la.tâche de la S.D.N., apparaissant com-me une • forme anticipée de l'UNES-CO., en contribuant au mouvementd'échanges littéraires internationauxde l'après-guerre, s'efforçant par ail-leurs de révéler des auteurs Inconnusou peu connus de tous les pays.• Samystique, dit M. Meylan, imprégnéede l'Esprit de Genève que Robert deTraz a revalorisé, a préconisé cet hu-manisme qui fut invoqué lors desRencontres internationales de Genèveaprès la Seconde Gerre mondiale.•On saura gré à l'auteur d'avoir élar-

gi son étude en s'attachant à la for-tune littéraire des principaux collabo-rateurs de la revue, opérant, en quel·que sorte, une coupe synchronique del'époque. Ainsi les pages qu'il consa-cre à Robert de Traz lui-même qui,outre sa participation active à lB Voilelatine (avec Ramuz et Cingria), fondales Feuillets au sous-titre· significatifde • revue mensuelle de culture suis-se •. Doté d'une conscience européen-ne, c'est tout naturellement mais nonsans mal que Robert de Traz se lan·ça dans la bataille pour une Europeunie, ne voulant pas bâtir une • ca-

C'est un bilan pessimiste de notreépoque, un véritable réquisitoire con·tre tous les fondements de la sociétéactuelle que dresse Alain Gourdondans le Temps des obsèques (Fayard),tandis que dans ses Réflexions aubord du gouffre (Laffont), G. Pichttente, de montrer que les savants dumonde entier doivent faire un effortpour sauver le monde de demain misen péril par les hommes d'aujourd'hui.

De Joukov à l'Algérie

Autres titres: le tome Il des Mé-moires du Maréchal Joukov, qui com-mence à la veille de la bataille deStalingrad et s'achève un an aprèsl'installation du gouvernement militairesoviétique en Allemagne orientale;l'Egypte éternelle, par Pierre Montet,panorama de la civilisation égyptiennedepuis les origines jusqu'à la con·quête du pays par Alexandre le Grand;l'Heure des colonels, troisième volumede la Guerre d'Algérie, par Yves Cour-rière (ces trois titres sont à paraîtrechez Fayard); les Révolutions duxx· siècle, étude historique, sociolo-gique et politique du phénomène révo-lutionnaire contemporain sous tous lesclimats, par Pierre Lepape (Denoël);les Loups dans la cité (titre provi-soire), par Paul Henissart, Journalisteaméricain qui fut correspondant à AI·ger et qui nous propose ici une visionfort Inattendue et une documentationtrès riche sur la dernière année de"Algérie française (Grasset).

thédrale. mais une simple • chambre'de compensation. susceptible de re-grouper les opinions d'hommes diffé-rents • afin qu'ils s'expliquent .,souhaitant • des accords raisonnablesconclus par des hommes lucides.,donnant aux composants d'une Europemorcelée l'exemple de la Confédéra-tion helvétique, où des ethnies hété-rogènes cohabitent. il y aurait beau-coup à dire sur Robert de Traz, et,par exemple, sur sa campagne contre• l'Ere de l'Irrationnel., où il mêledans ses condamnations Gracq, Pau-lhan, Blanchot, Néldeau et Klossowski(Revue de PBris, mars et juillet 1948),tout en plaidant confusément en fa-veur de Barrès, de Loti et d'AnatoleFrance. .Mais la Revue de Genève n'aurait

probablement pas occupé la placequ'on lui reconnaît si elle n'avait eucomme collaborateurs Albert Thibau-det (on sait qu'il fut professeur àl'Université de Genève), Valery Lar-baud, Charles du Bos, et tant d'autres,de Denis de Rougemont à Daniel Ha-lévy et Franz Hellens. En janvier 1926,Jacques Chenevière en devient le co-directeur; son influence sera capi-tale: c'est par lui que viennent à larevue les représentants de ce queM. Meylan appelle • un nouveau ro-mantisme., animé principalement parles membres du • Brambilla Club.,Jean Cassou en tête qui, prospecteuret traducteur, amena les publicationsd'œuvres de Unamuno, Eugenio d'Ors,

De Gaulle

Chez Fayard où, dans la collectiondes • Grandes études historiques.,Ferdinand Lot publie avec la Naissancede la France, une étude consacrée àl'histoire de notre pays jusqu'à l'avè-nement d'Hugues Capet qui fait suiteà son précédent ouvrage, la Gaule,Pierre Viansson-Ponté nous donne lepremier tome de l'Histoire de la répu-blique gaullienne, embrassant la pé-riode qui va du 13 mai 1958 à Algerjusqu'à la fin de juillet 1962, après lapaix et l'indépendance de l'Algérie:la Fin d'une époque (collection des• Grandes études contemporaines.).

De Gaulle et l'Histoire de France.Trente ans éclairés par vingt sièclesest le titre d'un ouvrage à paraîtreaux éditions Albin Michel et où l'his-torien Edmond Pognon s'interroge surles postulats autour desquels Charlesde Gaulle devait ordonner les lignesde force de sa politique.

Freud, Lacan, etc.

Signalons également, aux Editions deMinuit, dans la collection • Le senscommun ., un livre paru en Angleterreil y a près de dix ans et qui fit coulerbeaucoup d'encre chez nos voisinsd'Outre-Manche: la Culture des pau-vres, par Rie ilard Hoggart; chez Gal-limard, par l'auteur de Vers la sociétésans pères, Alexander Mitscherlich(voir le n° 81 de la Quinzaine), unessai consacré li un nouvel aspect de

Pedro Salinas, Blasco-Ibaiiez, donnantégalement à la revue des notes devoyage et un roman: le PBYS qui n'està personne.

Au fil des mois et des 126 som-maires riches d'environ 600 collabo-rateurs, on trouve Barrès (/e Géniedu Rhin), Montherlant, Mauriac,Proust, Gide (réponse à une enquêtesur l'Avenir de l'Europe, 1922), ainsique nombre d'auteurs étrangers: Ril-ke, Hofmannsthal, Gorki, D'Annunzio,Pirandello, Joyce, Ortega y Gasset,Kierkegaard, Freud... Il n'est pas pos-sible d'énumérer tous les collabora-teurs, ni certes de les considérertous d'un même œil. Robert de Trazne publia-t-i1 pas (peut-être par quel-que souci d'information...) un discoursd'Hitler (en juin 1923 il est vrai) etun texte de Mussolini sur Machiavel(septembre 1924) ?

La Revue de Genève disparaît aprèsdécembre 1930: Robert de Traz lasaborda • dans un accès de pessimis-me légitime, alors que l'Europe étaitaux prises avec les fascismes et queles puissances boudaient la S.D.N.•Ainsi s'achève la vie d'une revue auxaspects multiples, voire contradictoi-res, que l'intelligente et scupuleuseanalyse de M. Meylan nous permentde situer dans l'histoire littéraire -sinon dans l'histoire tout court.

Michel Bourgeois

la responsabilité politique et socialedu psychanalyste en matière d'urba-nisme et d'environnement: Psychana-lyse et urbanisme (Réponse aux pla-nificateurs) et, dans la • Bibliothèquedes Sciences Humaines., un recueild'articles où Georges Devereux pré-sente le bilan de ses recherches dansle domaine de l'ethnopsychiatrie: Es-sais d'ethnopsychiatrie générale, ainsiqu'un ouvrage de critique sociale paruen 1899 mais qui, ainsi que s'en expli·que Raymond Aron dans la préfacequ'il lui consacre, • a vieilli sans serider.: Théorie de la classe de 101·sir, par Thorstein Veblen; aux édi-tions E.S.F., le Rêve éveillé dirigé, oùle Dr Myriam Fusini Doddoli exposetous les aspects de cette méthode.les problèmes qu'elle pose et sonutilisation et, par A. Hesnard, uneétude intitulée de Freud à Lacan et oùl'auteur s'efforce, au-delà d'un aperçuhistorique du mouvement psychanaly-tique français, de délimiter le véritablehorizon de la psychanalyse commeanthropologie; chez Stock, Espoir etrévolution, tentative d'analyse origi-nale du monde actuel et des réactions.d'hostilité des jeunes, par le célèbrepsychanalyste américain Eric Fromm;chez Hachette, deux ouvrages consa·crés à l'agressivité collective: l'Infan-ticide différé, par le créateur de la• Polémologie., Gaston Bouthoul, etl'Homme furieux, par Fausto Antonlnl,chez Grasset, un document écrit avantsa mort par une grande gynécologuepsycho-somaticienne, Hélène Michel-Wolfromm:Cette chose-Ià (Les problèmes

sexuels de la femme française).

Page 31: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

Livres publiés du 20 aotit au ; sept.

aOMANS..aANçAIS

Camille BourniquelSelinonte ou lachambre impérialeSeuil, 256 p., 20 F.Par l'auteur du • Lac "un roman ambitieuxet foisonnant, pleinde voyages et dejeunesse.

Didier DecoinElisabeth ou Dieuseul le saltSeuil, 208 p., 16 F.Par l'auteur de• Laurence ", unroman qui a pourthème la • remise enquestion" qui déchirel'Eglise aujourd'hui.

Mohammed DibDieu en barbarieSeuil, 222 p., 19,50 F.Un roman poétique etimagé sur l'Algérieau lendemain de sonIndépendance.

Anne HébertKamouraskaSeuil, 256 p., 20 F.Un roman passionné etviolent, qui a pourcadre la province duQuébec à l'aube duXIX' siècle.

Jacques TeboulL'amour réduit ilmerciSeuil, 224 p., 19,50 F.Par l'auteur du• Pharaon", paru dansla collection. Ecrire ",un second roman quisemble prolonger lespérégrinationsnocturnes de Restifde la Bretonne.

POESIE

Mohammed DibFormulairesSeuil, 112 p., 15 F.'ar l'auteur de • La .)anse du roi" (voir len° 49 de la Quinzaine.)

BIOGRAPHIES

Robert SpeaightLa vie de PierreTeilhard de ChardinSeuil, 368 p., 24 F.La vie, l'œuvre et lapensée du Père Teilhard

CRITIQUE

La poétique,la mémoireCollection • Change.Seuil, 288 p., 24 F.La poétique, source dela linguistiquescientifique: unimportant choixd'essais éclairés pardes textes d'Inventionpoétique.

)ean-Claude RenardfIIotes sur la poésieSeuil, 160 p., 18 F.Un recueil d'essaisqui a obtenu l'Aigled'Or de la Poésielors du dernier FestivalInternationl du .Livre ilNice.

SO CIOLOGIE

Robert JaulinLa paix blancheSeuil, 432 p., 29 F.

Partant de sonexpérience sur leterrain, unethnologue français faitle procès deI·ethnoclde.

PHILOSOPHIE

Louise VaxL'empirisme logiqueP.U.F., 128 p., 7 F.

Un courantphilosophique dont lestrois manifestationsprincipales sontl'atomisme logique, enGrande-Bretagne, lepositivisme logiqueissu du Cercle deVienne et la philosophielogique contemporaine.

. ECONOMIE

J. Benoît, J.-D. Boucher,H. Deligny, D. Dubreuil,J.-C. Guillebaud,M. Manceaux,M. Planchais,G. Sitbon etCh. VanheckeLes provinciaux ou laFrance sans. ParisPrésentation parJean PlanchaisSeuil, 192 p., 18 F.Une vision inattenduedes provincesfrançaises, celle d'uneFrance régionale enpleine expansion, telleque nous la livrel'enquête d'une équipede journalistes.

Francis QppenheimL'école du profitSeuil, 156 p., 18 F.Une réflexion trèsactuelle sur lesproblèmes qui se

il l'entreprisedans une France quicherche à atteindrel'âge industriel.

••LIGION

Société Injuste etRévolutionTextes du Colloquede Venise 1968Seuil, 192 p., 18 F.Une analyse desstructures du mondeactuel qui,créatrices d'injusticeet d'oppression,suscitent lesmouvementsrévolutionnaires.

POCHEES'SAIS

Guy RocherIntroduction il lasociologie générale1. - L'action socialeIl. - L'organisationsocialeIII. - Le changement'socialSeuil jPoints.

Une nouvelle forme d'équipement culturelLE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE YER'RES

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Page 32: Quinzaine littéraire 102 septembre 1970

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