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3f a e e UlnZalne littéraire du 1 er au 15 octobre 1970 De Caulle la fin d'une époque Mauriac poète

Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

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Proust et les signes (Deleuze) ; les critiques de « La Guerre » de J. M. G. Le Clézio, du « Roi des Aulnes » de Michel Tournier, de « La Deuxième Personne » de Jean Bouvier-Cavoret, de « Assise devant mon décor de tempête » de Didier Pemerle, et de « Éden, Éden, Éden », de Pierre Guyotat. entretien d’Istvan Orkeny, une exposition sur l’« Art et la politique » ainsi que sur les « Naïfs d’Haïti », mais aussi Marcel Proust, une approche pascalienne, l’ »Histoire de la République gaullienne » et une réponse à Philippe Sollers, par Pierre Bourgeade…

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3fa e eUlnZalne

littéraire du 1er au 15 octobre 1970

De Caullela fin d'une époque

Mauriacpoète

Page 2: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE J .M.G. Le Clézio La guerre par Maurice Nadeau

LA QUINZAINE5 ROMANS FRANÇAIS Michel Tournier Le roi des Aulnes par Jean-Marie Magnan

6 Jean Bouvier-Cavoret La deuxième personne par G.L.Didier Pemerle Assise detJant mon par G.L.

décor de tempête

7 Camille Bourniquel Sélinonte ou la clunabre par Philippe Boyerimpériale

8 Jean-Jacques Rochard Apologie d'un salaud par Jean DuvignaudHélène Cixous Le troisième corps par Hélène de Wierlys

Les commencements9 Guy Le Clec'h La violence des pacifiques par Maurice Chavardès

Pierre Guyotat Eden. Eden, Eden par Jean-Marie Magnan

10 LITTERATURE Harry Mathews Conversions par Marcelin PleynetETRANGERE

12 ENTRETIEN Istvan Orkeny Minimythes Propos recueillispar Claude Bonnefoy

14 Mauriac poète par Marc Quaghebeur

16 EXPOSITIONS Art et politique par Gérald Gassiot-Talabot17 Naïfs d'Ha,ïti

18 INEDIT Proust et les signes par Gilles Deleuze

21 HISTOIRE Pol Ernst Approches pascaliennes par Samuel S.de SacyLITTERAIRE

23 HISTOIRE Pierre Viansson-Ponté Histoire de la République par Pierre AvrilgauUienneTome 1. La fin d'une époque

25 THEATRE, Théâtre en Perse par Gilles Sandier

26 .Bourgeade répond àSollers

La Quinzainelittéraire

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier,Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction:Anne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture :Jacques Daniel.

Rédaction., administration:

43, me du Temple, Paris (4e).Téléphone: 887-48-58.

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris (7e).Téléphone: 222-94-03.

PuhliCité générale : au journal.

Prix du nO au Canaâa : 75 cents.

Abonnements :Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois: 34 F, douze numéros.Etudiants: réduction de 20 %.Etranger: Un .an.: 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement d'adresse :envoyer 3 timbres à 0,40 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15551-53.

Directeur de la publication:François Emanuel.

Imprimerie: Abexpress.

Impreuion 5.1.5.5.

Printed in France.

Crédits photographiques

p. 1 D.R.

p. 3 Vasco

p. 4 Gallimard

p. 5 Keystone

p. 8 Stock

p. 9 Gallimard

p. 12 Gallimardp. 15 Dazy

p. 16 Henry Maitek

p. 16 D. R.p.17 D.R.

p. 18 D. R.p. 19 Snark

p. 21 Roger Viollet

p. 23 Snark

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1.. I.IV". D.

Un visionnaireI.A QUINZAIN.

I.a Litt16raire du 1" au 15 octobre 1970

1J .M.G. Le ClézioLa GuerreColl. Le CheminGallimard éd., 290 p.

La notoriété est venue àJ.M.G. Le Clézio avec sonpremier ouvrage et comme il.n'a jamais déçu, sa voix, au-jourd'hui, porte loin. Il n'apas voulu, en outre, se per-dre dans les recherches' for-melles et les exercices destyle, pressé qu'il est delivrer un message tout per-sonnel et qui lui tient àcœur. A la fois essayiste,romancier et poète dans lemême ouvrage, il se tient au-dessus des genres et se mon-tre «résolument moderne-.

Les conquêtes désormais assu-rées du Nouveau roman, les tra-vaux qui ont pour ambitiond'aboutir à une «science de lalittérature on dirait qu'il les aune fois pour toutes assumés,qu'ils lui servent de tremplinpour voir au-delà d'horizons par·fois bornés et, au regard de cequ'il veut nous dire, il n'est pasprès de se laisser distraire pardes problèmes pour lui secon-daires. Il va son chemin, parfoistortueux, souvent hasardeux, etalors qu'on craint de le voir tom-ber du haut de son fil de funam-bule ou qu'on le croit égaré dansles sables, il opère de magnifi.ques rétablissements, de soudai-nes corrections de route. Il paraîtatteindre son but sans peine etcomme par hasard, au terme d'unvoyage qui nous a (et qui lui a)réservé pas mal de surprises.Avec ce septième ouvrage, Le

Clézio semble en tout cas et ence qui le concerne, avoir réglédéfinitivement son compte au ro-man. Le Procès.verbal en étaitun. Le Déluge et Terra Amatacomportaient des éléments d'in-trigue et des personnages identi-fiables, et même dans le Livredes fuites un être privilégié parl'auteur faisait le lien entre aven-tures et expériences qui se dérou-laient aux quatre coins du mon·de. Ici, rien de semblable : nulleintrigue, mais un discours sanscesse recommencé et qui paraîttourner volontairement en rond.L'auteur y met fin quand parais·sent épuisées les richesses duthème. Quant aux personnages,une jeune fille, Bea B. et un

Monsieur X protéiforme, ilséchangent volontiers à tout ID8-

tant leurs personnalités, en em·pruntent d'étrangères et, avantde se fondre dans la foule ano-nyme, vont jusqu'à symboliser lajeune fille éternelle (ou la fem-me), le mâle séducteur, rêveur etprédateur. Ils n'ont entre eux quedes rapports de connivence etprêtent au besoin leur masque àl'auteur. Si attentifs qu'ils soientà la vie quotidienne, et plongésen elle jusqu'à y disparaître, ilsressemblent à ces êtres aux iden-tités changeantes qui peuplentnos songes, à ces créatures éva-nescentes et douées pourtantd'une autorité souveraine quenous entrevoyons en rêve.Loin de matérialiser le propos

de l'auteur, ils entraînent celui-ci dans des contrées inconnues oùl'horrible le dispute à la féerieet sur lesquelles règne un tempsmythique dont l'éternel suspensest fait d'une agitation folle, d'unvibrionnement infini. A la vérité,ce que nous donne à voir Le Clé-zio, c'est l'ensemble et le détaild'une vision, à la fois dans safixité et ses métamorphoses. Sontalent d'écrivain et ses armes depoète visent à nous permettre d'yaccéder, si possible de nous y ins-taller en regardant toutes chosespar ses yeux. Alors s'évanouissentraisons d'analyser, de séparer,d'argumenter et' retombent com-me fruits blets les judicieuses cri-tiques que les culs de plomb se·raient amenés à formuler. Le Clé-zio réclame des lecteurs prêtspour l'envol ou la descente eneaux profondes. Et pourtant,c'est bien sur cette terre et dansce monde-ci qu'il se meut, aucœur de ce que nous appelons lavie quotidienne.Qu'il soit avant tout un vision-

naire, on s'en est aperçu dès leProcès-verbal où son héros possé-dait la rare faculté de voir lemonde par les yeux d'un chien,ou, si l'on ose dire, d'un arbre,d'un caillou. Que cette vision nesoit guère idyllique, le Délugenous l'a prouvé où une ville en·tière se pétrifiait soudain dans unimmense éclair blanc, avant detomber en cendres. Qu'elle leporte aujourd'hui à voir la Créa-tion, c'est·à·dire l'univers connais-sable, comme une lutte féroce, in-cessante et sans merci, à laquellese livrent tous les éléments quila constituent - l'humanité y fi-

gure au premier chef - et voilàle dernier pas franchi vers uneApocalypse dont, en nouveauprophète, l'auteur nous annoncel'imminente venue: «Je vaÎ&vous dire ce que je vois. C'est unevision terrible, comme celle deros sous la chair, une vision quitrace son dessin fulgurant sur lesvitres et sur les plaques de ci-ment... La fin est proche. Queceux qui ont des oreilles écou-tent... etc. Et de décrire toutesles catastrophes qui nous mena·cent, l'une après l'autre ou toutesensemble, les forces destructricestrouvant leur acmé dans une for-midable explosion qui réduira leglobe en poussière et détraquerajusqu'à la céleste horlogerie desplanètes. Emprisonnées dans lamatière, ou artificiellement susci-tées par l'homme qui les utilisedans ses machines, ses moteurs,ses buildings, ses rotatives, sestélés, ses transistors et bien enten·du ses fusils et ses bombes, ellesattendent l'heure de la libérationsauvage qui les rendra maîtressesd'un néant où elles s'annihilerontelles·mêmes. Après quoi, maispour qui ? règneront enfin le re-pos et le silence.Un visionnaire n'argumente

pas. Il montre et il décrit. Ducosmique à l'élémentaire, Le Clé-zio fait se succéder - dans letohu-bohu des phénomènes entre·mêlés qui concourent à ce qu'onappelle la marche du monde -les spectacles divers où l'on voitau mieux agir les forces d'agres-sion. Foin de l'harmonieuse Na·ture: c'est une guerre incessanteet impitoyable qu'elle recèle enson sein. Foin de l'humanisme :si l'homme naît pour mourir, ilsemble né davantage pour détrui·re, anéantir et tuer, le plus ter-rible n'étant pas la guerre quiporte fièrement son nom, dansl'affrontement des peuples en ar-mes, avec son cortège d'atrocitésjoyeuses et ses destructions célé-brées dans l'enthousiasme. Uneagression plus sournoise, parceque cachée dans les replis de lavie quotidienne, sustentée parl'homme à l'é[l:al de son plus cherdésir, caressée par lui et magni-fiée sous tous les noms: beauté,élégance, confort, progrès, moder-nisme, multiforme et ubiquiste,est perpétrée contre l'habitantdes cités modernes, contre le ci-toyen béat et gavé des sociétésde consommation. Elle habite le

Dessin àe Vasco

béton cellulaire des villes nou-velles, se glisse' sur l'autoroute etrègne dans le supermarché. Sesdéguisements? La voiture meur-trière et suicidaire, le marteau-piqueur, l'ébonite noire ou blan-che du téléphone, la machine·«encore plus perfectionnée:t etle gadget dernier cri, l'objet pro-liférant, le mot qui volesur les ondes ou éclate sur le pa-pier.Tous nos sens attaqués à la

fois, notre être vidé et retournécomme un gant, que peut notretendre chair, que peu"ent n08nerfs fragiles contre ces crocs, cesgriffes, ces ventouses que recèlentobjets lisses et brillants, machi-nes huilées, moteurs qui ronron-nent, tours de ciment qui, d'unseul élan, trouent les nuages?L'auto «avale la route, l'aviondéchire l'air, la perceuse justifieson nom, et si nous sortons denotre prison généralement douil-lette, la rue saute sur nos épauleset dirige nos pas. C'est là leurdestination et leur façon d'être.Pourquoi faut·il que, victimesaveugles en butte à tous les coupe,totons entraînés toujours davan-tage au cœur du tourbillon, noueentonnions des hosannah en l'hon-neur de ce qui nous mutile, nousempoisonne, nous étouffe et noustue? De temps à autre, les plusjeunes et les plus hardis font vo-ler en éclats les vitrines, abattentles poteaux de signalisation, met-tent le feu aux voitures, sacca-..

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Photographie extraite àe l'ouvrage

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., Le .Ciézlo

gent les antres à paperasses el,sous le pavé, croient retrouver laplage. Le monstre attendrit leurchair à coups de gourdin et lesavale, les choses reprennent leurcours qui mène au néanl.Mieux qu'aucun autre, Le Clé·

zio sait nous parler de la Ville.Elle hante ses rêves et nourrit sesobsessions. Mieux qu'aucun autre,il nous montre la longue bêteaux multiples anneaux qui rampesur l'autoroute et, quand il nousinstalle à un carrefour particuliè.rement animé ou sur l'escalierroulant d'un Prisunic, nous con·templons, fascinés et effrayés, ceque nous avons perdu l'habitudede voir. Nous sommes dans l'an·tre de Gorgone, ou chez Pluton.Aussi la satire qu'il fait de la

société de consommalion n'est·elle qu'une des pièces du procèsqu'il intente à un régime depuisplus longtemps établi, à des for·ces autrement plus puissantes quecelles de la classe dominante. Ré·gime que dès le quaternairel'homme a établi dans ses rap·ports avec la nature afin del'exploiter et de la domestiquer.Forces que l'enfant apporte aveclui en naissant et qui visent àécraser les autres, s'il devientfemme, par le charme et l'envoû-tement, s'il devient homme adul·te, par le commandement. Touteforme d'expression, y compriscelle de l'artiste, est violence. Ladouce beauté est pernicieuse ence qU'elle fait plier le genou.

Faut·i1 attendre que les forces

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se retournent contreelles·mêmes pour s'autodévorer?En dépit de son thème. Le Cléziofait confiance aux hommes quiluttent pour leur pain, leurchamp, leur maison, au sourired'une jeune fille, au rire d'unenfant. Tout pénétré de sagessebouddhique, il contemple la vied'un regard surplombant et lavoit dans ses métamorphoses.« Quand il y a la guerre, c'e!t quequelque cho!e en en train ,rappa·raître... La terre a commencéhier... La jeune!$e et la beauté!ont continuelle!... Il y a de! mil-lier! de cho!e! qui veulent veniret qui cherchent à renver!er le!ob!tacle!... »Cet optimisme n'est jamais

plus patent que dans la peinture

du détail, dans la longue contem·plation du plus humble objet,poussée jusqu'à l'extase. L'herbeet le caillou y figurent, mais éga·lement ce qui est sorti de l'intel·Iigence et de la main de l'hom·me: la pyramide de béton, uneroue de camion avec ses puissantsrayons d'acier tenus serrés parde!! boulons bien placés, l'avionqui file en sifflant dans l'azurvierge, la voiture à la coque pro-filée et au capot luisant, l'allu·mette, le bouton. TI admire lesmille et une formes d'une créa·tion continue et il croit celle-cicapable de s'opposer aux forcesde destruction qu'elle porte enson sein. La vraie guerre Ile dé·roule entre le bien et le mal, en-tre Ormuz et Ahriman. La «finproche» dont il annonce la ve·

nue, ce ne pourrait être aprèstout que le dépouillement par leserpent mythologique d'une peauqui a trop servi, afin d'en revêtirune nouvelle. Un monde s'écrou·le, la vie continue.Le Clézio perçoit cette perma·

nente réalité de choses, quelqueobscurcie qu'elle soit par les fu·mées de la société industrielle,son renouvellement constant, et ilsait qu'elle n'est pas en elIe·mêmeagressive, que tout dépend del'homme et des rapports qu'il en·tretient avec elle. Son discours deCassandre justifie en fin decompte ce propos de l'esthéticienmarxiste Ernst Fischer (1):«Aujourd'hui comme hier, cesont l'art et la littérature qui s'op.posent avec le plus d'opiniâtreté

INFORMATIONS

Au Seuil

On fait grand cas, aux éditions duSeuil, du nouveau roman de MarleSuslnl: C'était cela notre amour.C'est bien diune·· histoire d'amourqu'il s'agit et le titre annonce bienla couleur; mals l'originalité de celivre, considéré comme le meilleurqu'ait écrit jusqu'Ici l'auteur de Pleinsoleil, de la Fiera et d'un Pas d'hom-me, est de jouer sans cesse de sub-tils chassés-croisés entre le tempspassé et le temps retrouvé, le Parisde mal 1968 et le Paris de la Libé-ration, les peines d'amours perdueset l'obsession de la fldélité à soi-même.

Chez Gallimard

Chez Gallimard, Robert Merle pu-blie, avec Derrière la vitre, un romansur l'Université qui se présentecomme une sorte de radioscopie dela jeunesse et des enseignants ayant,pour toile de fond, la journée du22 mars 1968 à Nanterre, revécueheure par heure.Chez le même éditeur, quatre poè-

tes modernes, ayant en commun legoût des jeux combinatoires, le Mexi-cain Octavio Paz, l'Italien EduardoSangulnettl, l'Anglais Charles Tom·IInson et le Français Jacques Rou-baud se sont réunis pour ressusciterune forme poétique collective qui futen extrême faveur au Japon entre leVII' et le XV' siècle: le renga. Ilsnous donnent ainsi, précédé d'uneintroduction de Claude Roy, un grandpoème moderne à quadruple réso-nance: Renga. En octobre, paraîtrontaussi un recueil de poèmes, adaptésdu japonais, de Jacques Roubaud: leSentiment des choses et une sélec-tion des poèmes écrits par OctavioPaz entre 1957 et 1968 à quoi s'ajou-

aux fétiches et aux fantômes quele bon plaisir des princes qui nousgouvernent veut faire passer pourla réalité... (Les artistes) tentent,par.delà les fétiches et les fan-tômes du pouvoir, de la consom-mation et de l'idéologie, de dé-couvrir la réalité, l'homme dé-formé et son alternative. » Fût.ce,ajouterons.nous, sans qu'ils aientbesoin de croire à un homme bonet parfait, ou se laissent séduirepar les sirènes du réalisme. 1eClézio prouve qu'on y parvientplus sûrement par la seule miseen œuvre des obsessions et desrêves, par le regard plongeant ouinfiniment détaché du visionnaire.

Maurice Nadeau(1) Dans un recueU d'essais à pa-

raltre prochainement aux Lettres Nou-velles (Denoël) .

teront quelques textes Inédits dupoète: Versant est.

A la radioA partir du lundi 5 octobre, sur

France Culture, tous les matins de8 heures à 9 heures, • Les cheminsde la connaissance., renouvelant lesrecherches de l'Heure de la Culturefrançaise, présenteront une suite degrandes enquêtes dont le caractèrecommun est de jeter un pont entreles diverses disciplines (histoire, lit-térature, ethnologie. psychanalyse)sur lesquelles se fonde une nouvellescience de l'homme. A chacune deses séries seront consacrées dix àdouze émissions.Le lundi, Michel Tournier, dont le

dernier roman • Le roi des Aulnes.apparaît comme un des grands livresde la saison, évoquera • Le Sahara,désert vivant. et Claude Michel Ja-lard inaugurera le 5 octobre • L'en-cyclopédie ou la confession d'un siè-cle. par un entretien avec MichelButor. Le mardi, Pierre Jeannin, pro-fesseur aux Hautes Etudes, raconteradans • Du sac d'écus a!J compte enbanque. l'histoire de l'argent etYves Cazaux, récent auteur de • Gull·laume le Taciturne., analysera dans• Aux sources de la liberté moderne,le XVI' siècle. la naissance de lapensée politique engagée en Franceet aux Pays-Bas au temps de l'huma-nisme. Le mercredi, Jacqueline Sorelet Joseph Amegboh aborderont avec• Mémoire d'un continent: Panoramade l'histoire africaine. un domaineà peu près Ignoré de nos contempo-rains, la relation de l'Europe et ducontinent noir avant la colonisation,et Gilles Lapouge traitera d'un thèmeparticulièrement actuel: • L'hommeencombré •. Le samedi, Harold Portnoypoursuivant ses recherches psycho-pédagogiques étudiera • Le Psycholo-que dans le monde moderne. etClaude Mettra dans • Gueux, men-diants et vagabonds. explorera lamythologie de l'errance, d'Œdipe.: IlJack Kerouac.

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ROMANS

L/amour-ogrePRANÇAIS

I.a Q!!'.u'ne Littâ'aJre du 1'" au 15 octobn 1970

1Michel TournierLe Roi des AulnesGallimard, éd., 400 p.

Michel Tournier avait eu l'au-dace pour ses débuts de choisir ungrand sujet, une histoire univer-sellement connue, de se mesurerà une aventure exemplaire et dela réécrire pour son propre comp-te. Etonnons·nous davantage dece titre : Vendredi ou les Limbesdu Pacifique qui donnait à Ven-dredi, au sauvage et à l'enfant,l'enfant·sauvage, la première pla-ce et pouvait avertir le lecteurperspicace d'une conversion radiocale dans la manière d'aborder lemythe, de traiter d'une recon-quête du monde, qui appartientdepuis deux siècles au fond derêves de l'Occident, d'en recon·sidérer la démarche et peut-êtrede briser avec elle.Livre de charme, d'un humour

savoureux et d'un lyrisme quin'excluait pas un engouementpour la plus stricte exactitude,jusqu'à se servir d'un vocabulairetechnique d'une extrême rigueurdans le récit des diverses opéra-tions-survie du naufragé - sui-vant en cela l'esprit encyclopédi-que du XVIII" siècle, dont le ro-man n'allait pas sans se réclamer,ne serait-ce que pour mieux lecontrecarrer et en moquer les li-mites, Michel Tournier ne visaità rien moins qu'à opérer une trèspersonnelle réconciliation avec lemystère du règne enfantin, plusinconnu que le règne végétal ouanimal (écrivait Jean .C(J(:teaü).Speranza, l'île de Robinson, pou-vait assez bien figurer quelque.vel't paradis de l'enfance redé-. couverte, ou gagnée pour la pre·

.. fois, au terme d'un longdétour et avec toute la faim inas-souvie d;un adulte. Le Roi desAulnes, le s·econd roman de Tour-nier, est d'une autre qualité, beau-coup plus douloureux et tendu :l'Amour-Ogre dévore tout ce qu'iltouche. S'il déguste l'enfance,c'est en la détruisant, même àson corps défendant.Abel Tiffauges, le héros du li·

vre, nous apparaît moins, en ef-fet, comme un anarehiste pris aupiège du fascisme (selon le prièred'insérer), que de l'enfance, maisd'une enfance embrigadée, mobi-lisée, tout entière soumise àl'Etat·- en l'occurrence l'AIle-magne nazie. Tiffauges ne peut

tout d'abord accepter le mondeadulte, il s'acquitte de ses fonc-tions mais en homme éteint, ensomnambule, dont l'enfance estla lancinante nostalgie. La guerreseule le délivrera. Et, paradoxa.lement, la captivité qui le con·duira au terme d'un itinérairecomplexe dans une napola, unede ces écoles paramilitaires des·tinées aux enfants du Ille Reich :quatre cents élèves qui, à la fa·veur de l'effondrement de l'Alle·magne tomberont peu à peu enson pouvoir.Entre le collège de Saint-Chris·

tophe, où Tiffauges a fait toute!'ses études comme interne et lanapola de Kaltenborn, des ana·logies vont surgir, des liens senouer, des accords s'établir. Ain·si déjà, dans Miracle de la Rose,Jean Genet, du bagne d'enfantsde Mettray à la centrale de Fon-tevrault, quelques années plustard, rencontrait son destin. Maisalors qu'il cherchait d'une prisonà .l'autre à se charger de tous lespéchés du monde et à mener àbien sa quête d'une sainteté ré-prouvée, Tiffauges poursuit uneconfirmation de sa nature féeri·que et monstrueuse d'ogre, qu'uneparenthèse d'une dizaine d'an-nées passées hors des murs, dansla vie courante, en se pliant àune activité sans bonheur: cellede garagiste, avait occultée.Déjà, vers la fin de cette pé-

riode, le héros était parvenu detâtonnement en tâtonnement à re·joindre l'enfance. Mais il nes'agissait point tant comme chezun Salinger, de continuer à par-Ier un langage qu'on devrait avoiroublié, de se mouvoir au cœurd'un domaine dont la clef aurait. été égarée et de se persuader quele pacte n'a point été rompu dansl'amour et l'abjection ave·c un cer·tain état de Non, pour Tif-fauges, se sentir à l'aise avec lesenfants, de plain.pied avec eux,ne suffit pas ; se découvrant ogre,seule une véritable appropriationpourra momentanément l'apai.ser. Diverses pratiques ne peu-vent manquer d'en découler, lemettant sur la bonne voie.D'abord le regret de l'atmosphè-re épaisse et confinée des dor-toirs, de leur densité, de leur sa-turation, le pousse à errer autourdes collèges à l'heure des récréa·tions. Il enregistre sur des ban-des magnétiques tous les cris quimontent d'une cour. Ce qu'il

nomme lui-même le pIege photo-graphique et dont il use et abu·se, lui assure le pouvoir despo-tique: la possession des proiesenfantines convoitées. Il est unesource de joie plus vibrante:celle qui consiste à porter l'en-fant, la phorie, du nom même deChristophe, le passeur, le géantporte-Christ. Si elle se révèle ounon une manière d'aimer, ellediffère en tout de la volupté or-dinaire étroitement et obscène-ment localisée: vague de béati-tude, qui irrigue les couches lesplus profondes, les extrémités lesplus lointaines. Ce n'était pasune titillation égrillarde et limi-tée, c'était une hilarité unanimede tout mon être. La trémulationde Robinson dans l'île de Speran-zaoOn conçoit certaine angoisse de

Tiffauges. Son identification avecWeidmann qu'on guillotine surces entrefaites : même poids, mê-me taille, même date de naissan-ce, également gaucher, un air deressemblance qui ne se discutepas, voilà qui n'est pas pour lerassurer. Il a beau se tourner verscette image du héros phorique :Raspoutine, guérisseur du tsare-vitch Alexis, assassiné pour s'êtreopposé au déchaînement de laguerre de 1914 et avoir prêchéscandaleusement l'innoncence du

sexe, (le roman lui est dédié), lajustice frappe. Tiffauges risqueune peine de vingt ans de travauxforcés pour un viol qu'il n'a pascommis, dont l'idée ne l'effleuremême pas, tout à ses voluptésbien à lui mais, hélas, assez con-fuses au regard extérieur pourautoriser la méprise et le fairecondamner.Rien de semblable ne le mena·

ce plus à Kaltenborn. Si le foupersévérait dans sa folie, il de·viendrait sage affirme Blake dansun de ses proverbes d'enfer. Ilsera enfin donné à Tiffauges devivre selon un système sans douteperverti, mais parfait et cohé-rent, qu'il réussira à opposer àl'ordre du monde avant de suc·comber : un système qui le libère.Bonheur de courte durée ! Tif-

fauges recrute pour la napola. Ilparvient à la faveur d'un pro-visoire relâchement de la disci-pline, dû à la défaite allemande,à transformer Kaltenborn, lechâteau de l'ogre, en un parcd'enfants, où ne demeurent queles plus jeunes. Et, somme toute,nous aurions à faire à un bongéant: il aime dormir sur uneliterie bourrée des cheveux de sesprotégés après la tonte, à bouil-lir avec eux dans l'immense chau.dron que simule la salle de dou-che, à partager leur sommeil deplomb, préfigurateur d'un autresommeil, mortel celui-là, à goû-ter avec volupté au miel que sé·crète le fond de leurs oreilles.La question, bientôt, se pose del'innocence de Tiffauges. Ne semontre-t·il pas par trop sensible àcette dépersonnalisation des en·fants, à cette déspiritualisation,à leur masse collégiale indiffé-renciée, sans âme pour particula-riser et alléger cette chair ano-nyme dont il rêve et qu'il veutrendue à sa pureté native, aupoids brut? Et s'il distingue quel.ques sujets, il reste lucide sur cet·te élection. Ce ne sont pas desindividus: qu'en ferait-il? Maisde vivants symboles, enfants de-venus leur propre signe. Des por-te-drapeaux tout au plue! Etl'emblème-humain (le Komman-deur de Kaltenborn, le révèle oule rappelle à Tiffauges) est pro-mu au sacrifice, à l'holocaustesuprême, à la destruction précisé-ment de son humanité. Enfinl'enfant mort se révèle pesanteurinouïe, chair plus grave, plU5marmoréenne: la dernière ten·

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• Michel Tournier Expériencestation de TiBauges? Et, bien sûr,devant les cadavres mutilés, dé-chiquetés, méconnaiMables dumassacre des innocent8, par quoiBe termine l'eXÏlltence de la na-pola, il aura bien du mal à re-,trouver les lingou charnels qu'ilvoudrait charger sur ses épaules.Mais si toute condensation, touteeoncentration, au sens où il l'en-tend, aboutiMait aU camp- de con-centration? Cette découverte nelui Bera pas épargnée. Ephraim,l'enfant juif, l'enfant porte-étoile,qu'il recueillera évanoui dans unf088é durant la débâcle, la luirévèle.TiBauges est une victime des

signes. Il se croit l'objet d'atten-tions spéciales, singulières, et ilBe veut voué à attendre des sym-boles un éclaircÏ88ement sur Be8démarches ultimes. En proie audémon de l'analogie, toute erreurd'interprétation des signes risquede lui être fatale. De là découlentpendant la drôle de guerre, sonref08 et son incapacité d'appren-dre l'alphabet télégraphique,ces .igne. corwen.tion.nels, ab-.traits, futilu. En revanche, il Berévèle un excellent sapeur c0-lombophile: les pigeons voya-geurs lui apparai88ent comme desporte-8ignes vivant8 et palpitant8.C'est assez dire qu'il redoute toutécart trop grand, qui risque d'en-traiDer une rupture dangereuse,entre le symbole et la matière, laforme et le contenu. Il ne s'atta-che qu'à une réalité signifiante.Et, s'il Be lie à la PrUBse orien- .tale, s'il y voit sa patrie d'élec-tion, c'est qu'elle lui devientc pays des e88ences pures:t, oùSOUI la lumière hyperboréennefroide et pénétrante tous le. .ym-boles brillent d'un éclat inégalé.N'en doutons pas! Cette forme,Beule et sans contenu, .qui Be lè-verait c comme un vide fier dres-sé:t, que Sartre dénonce commel'aspiration-limite de Genet, voilàla peur, la hantise de TiBauges.Et le piège auquel il se retrouve-ra pris.l.e 'Kommanaeur 'lIe Ka1ten-

horn, ce vieux PrUB8ien féru desciences héraldiques, l'avait assezaverti. L'Apocalypse commencelorsque le symbole n'est plO8 les-té par rien, que le signe acquiert'IOn autonomie, échappe à la cho-lle ,symbolisée, la prend lui-mêmeen ,Charge, la dét1ore. L'Allemagneiliizie, une caricature, une masca-

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rade, une chienlit, qui n'offrentplO8 que lettres et chiBres, vidésde Bens véritable, démonétisés,une absurde et sanglante paradede drapeaux et d'emblèmes SOO8quoi défi)e une masse humainevouée à la perdition par des si-gnes archaïques et vains qui nesont plO8 là que pour la forme,privés de fond et de toute chargeréelle. Tiffauges ne proteste pas,entre 88 masse d'enfant8 indiBé-renciée et Be8 trois porte-drapeauxen qui se résume l'essence enfan-tine, trop occupé à ne pas perdrel'équilibre.Ce trop bref survol ne saurait

en aucun cas rendre compte, desmultiples pouvoirs du Roi desAuln.e&, ce livre qui s'exprime aus-si par des rapport8, toute unearchitecture complexe et fatalede symétries, d'inversions, depermutations, de superpositions.Maître d'un registre verbal pres-que trop riche, mais plO8 quedans le premier livre de l'auteur,s'inscrivant avec plus de sponta-néité et de naturelle aisance dansle mouvement de la phrase, ceBecond roman no08 parle, en ou-tre, sur tOO8 les tons : le pamphlé-taire ou le satirique: les Ecriu.in.iltres, ce journal écrit de lamain gauche, où Tiffauges se dé:couvre en s'opposant à tout cequi l'entoure et l'empêche; lecomique farfelu de la drôle deguerre; le récit d'aventure: lacabane Canada où le héros dé-'robe quelques heures chaquejour au camp de prisonniers etse rasBemble en vue d'undestin ; le féerique d'un Perraultqui serait allé j08qu'au bout deses hantises dans un univers decruauté (la description de G0e-ring, de Be8 fastes et de ses bat-tues monstrue08es) ; le lyrique :la napola peuplée d'enfant8blonds, de Jungmannen, dignessuccesseurs des bOYlI-Scout8 deSavonarole, monde clos, que l'oncroirait fermé à la pénétrationd'un adulte et sur quoi la Ben-sualité de Tiffauges parvient àouvrir des portes mystérieuBe8pour s'y introduire en frande;l'épique enfin: l'écrasement del'Allemagne nazie et Tiffaugesportant l'enfant juif, l'étoile deDavid, comme une image de par-don, au milieu du massacre desInnocent8, sur lequel Be8 yeuxs'ouvrent enfin : la beauté à fairepeur.

Jean-Marie Magnan

1Jean Bouvier-CavouretLa deuxième per.onneColl. c l'Ecart :tLaffont éd., 192 p.

Jean Bouvier-Cavoret annonceson propos: il n'imagine pasd'autre vocation à la littératureque celle d'effectuer une plongéedans l'inconsCient. Le titre deson livre s'entend ainsi: ladeuxième personne est celle qui,entre l'introspection et le compor-tement, construit le discours del'auto-analyse. Le livre n'a doncpas pour objet de relater une psy-chanalyse mais bien d'être, lui-même, une psychanalyse.

Le péril

L'application de ces principesu'est pas toujours convaincante.L'auteur nous avertit, un peutrop souvent d'ailleurs, que satentative est audacieuse, scanda-leuse et qu'elle ne va pas sanspéril. Le plO8 grand péril est'peut-être celui de l'ennui qui sai-sit le lecteur: cette longue pro-menade, dans les limbes de l'in-conscient, parmi les brumes etles leurres, n'avère pas sa né-cessité. Ou nous entraîne sur lesfleuves du c moi:t le plO8 pro-fond, dans une lumière grise, sanschaleur ni éclat et parmi des pay-sages indéfinis. Des thèmes appa-rai88ent et s'entrecroisent: celuide la mort, celui de l'amour quiassocie à une femme toutes lesfemmes et toutes les femmes,bien sûr, à la mère, celui enfin dela mémoire qui, pour Jean Bou-vier-Cavouret, est celle des siè·cles abolis, celle de tous les an-cêtres qui préparaient, de sciencecertaiue et aveugle, la venue del'auteur de ce récit. Celui-ci nousaffirme que son effort a pour des-sein c de .ortir du labyrinthe dela .ubjecrit1ité:t. Il est pOMibleque, pour l'auteur, ce but ait eneffet été atteint. Reste à savoirs'il suffit, pour se hi88er à l'ob-jectivité, de supprimer toute al-lusion au réel, tout personnage ettoute histoire. La lecture de cecurieux roman de la vie mentalene permet guère de l'aMurer.

CL.

1Didier PemerleAIIÏle devant mondécor de tempêteColl. c l'Ecart :tLaffont éd., 152 p.

Ce récit relève-t-il de la scien·ce fiction, de l'essai politique, dela pataphysique ou de la penséeautomatique? Il nous entraînedans une Afrique imaginaire. Laville de Douala a été reconstruitesur le plan de Paris, ce qui per-met à Didier Pemerle des cocas-series de ce modèle: c Crabu re-tient deux chambre. à fhôtelCrillon, après quoi il fait quel-que. pa. 'OUI les palmier. pourretenir une table chez Maxim'.o :tPlus tard, du reste, Paris sera àson tour reconstruite, c par soucid'économie:t, sur les plans deDouala. La terre elle-même n'estplus celle que nous connaissons :un hydrotome, c'est-à-dire uneboule d'eau, s'est envolé du pôlenord et s'est écrasé sur la lune,les mB88es glaciaires des pôlesaugmentent au point qu'on craintde voir la terre basculer sur sonaxe, les océans s'assèchent et pour-riMent...Dans ce décor d'apocalypse dé-

risoire, des personnages s'affai-rent. Leurs tâches sont déroutan-tes. L'humanité utilise-des tech·niques avancées pour aMurer sasurvie: si la séchesse 's'étend, onsonge à renouveler l'atmosphèreen distillant les cadavres, encoreque ceux des vieillards produi-sent, malheure08ement, bien peude vapeur d'eau. Dans les solitu-des africaines, une usine estvouée, dans le plO8 grand secret,à vider le crâne des indigènes età remplacer les cervelles par unappareillage électrique, des ma-quis se forment, des batailles ontlieu. Ces quelques exemples indi·quent le ton de l'ouvrage: féériede l'horreur, délire verbal, aboli-tion de toute logique: Fred etGrabu, les deux héros de cetteépopée saugrenue, peuvent biense tuer, ils demeurent en vie etle don d'ubiquité semble être undes trait8 des hommes et des fem-mes de cette terre imaginaire. Lerécit de Didier Pemerle est trèsbref, il ne compte que cent qua-rante-huit pages: sans doute l'au-teur a-t-il senti qu'il pouvaitdifficilement poursuivre son expé-rience au-delà.

C.L.

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L'aventure d'écrire

1Camille BourniquelSélinonteou la Chambre ImpérialeLe Seuil éd., 256 p.

«Parfois un simple mot... Lelivre annonce ainsi d'entrée lelieu de son émergence et le véri-table sens de son propos. CamilleBourniquel est de ceux qui saventce qu'écrire veut dire: en cettealliance toujours incertaine entreles exigences du récit et la rigueurde la langue. L'histoire, on y re-viendra. Mais il importe d'abordde repérer le lieu où elle se donneà lire ; de dire que le propos duromancier passe ici d'abord parcelui de l'écrivain, que pour ra·conter l'histoire, il la faut d'abord80umettre à la souveraineté desmots, que le récit s'ordonne dansun espace qui ne peut être repéréet balisé qu'à se frotter d'abordaux mots dont il va s'énoncer.Telle est la partie qui se joue

là, sur les multiples portées d'unepartition dont les premières pa·

en forme d'ouverture, annon-cent assez clairement le thèmecentral: un mot bien précis. Etdu même coup l'ouverture nousindique le mode d'écoute ici re-quis. Un mot: Sélinonte. Nomde ville et d'impératrice, nom decette ville impériale aussi qu'estle livre lui·même (son titre) : unlieu de fouilles au même titreque ces cités d'Assyrie décryptéespar l'archéologue Atarasso, cha·que mot, chaque phrase, chaquepage annonçant déjà le mot, laphrase ou la page encore cachés.En a-t-on jamais fini avec l'ar-chéologie du langage ?

En sa musique

Sélinonte: comment ne pasrentendre d'abord en sa musi-que? En cette «turbulence ver·baIe qui précède tout récit,toute entreprise d'écriture. En samusique et en sa lumière, dansc l'écho de son propre renonce-

Clair.obscur, main droiteet main gauche sur le clavier desmots. Du côté de la lumière, dela pure mélodie: Sélin·, sonnantcomme un nom de femme, à quoifait écho le nom de Sendra, pro-noncé à l'italienne, sonorités fraî-ches comme un carillon matinal

aux espoirs du jour, à lanai88ance de toutes les possibili.tés, .c'est·à·dire du livre juste·ment, là où tous les coups sont

permis. C'est du moins ce qu'oncroit. Mais aussitôt l'antonymiesonore fait entendre en contre-point le son grave et sombre,-ante, déjà lourd des pesanteursd'orage, et d'un goût de cendre.La main gauche vient porter letrouble, laissant pressentir quecette toute possibilité du livre seheurte à son impossibilité même.Où le nom clair de Sendra laisseapparaître son ombre de Cendre.Où le nom de Géro, le (h) érosdu livre, s'annule déjà du Zéroqu'il recèle. Géro-Zéro: «le si-gne creux de la numération de·vient aussi bien le symbole d'unmanque (absence de chiffre, doncde valeur) que celui d'une pléni.tude (les décimales) et peut deve·nir aussi le symbole de linfiniC'est bien ainsi que nous seraprésenté Géro: l'homme de tou-tes les possibilités mesurées àl'impossibilité qui les englobe tou·tes - et justement écrivant unlivre.

Une femme

Il en est de l'histoire ICI com-me du livre, comme de n'importequelle chambre, impériale oupas: n'est-ce pas toujours à lafemme qu'il en faut demander laclé? «Une femme avait tout con·duit. Celle-là même que danslheure la plus lucide, alors qu'illa retrouvait chaque nuit et pou-vait disposer d'elle à sa guise, ilavait nommé Sendra,fille du célèbre archéologue Ata-rasso, n'est pas sans évoquer lawagnérienne Kundry: celle quiensorcelle. mais aussi celle qui ai-de - à comprendre. A compren·dre par exemple ce que c'estqu'écrire; ce qu'il en coûte d'al-ler ainsi aveuglément à traversles mots vers la radicale dépos-session de ce livre-objet où ilsviennent s'enfouir. «Qui peutcroire qu'il parle en son nom ?Qui peut croire que l'écrivain estvéritablement le sujet du discoursqu'il prononce? Ou du moin!!qu'il y a une quelconque signifiacation à s'en attribuer la pro-priété ? Telle est la terrible leçonde l'ensorceleuse: une sorte d'ac-te de naissance, quant à effacerle nom, c'est bien le nommé quisurgit. «Cendres vous m'aurezobligé à renaître, à effacer en moicette obM:ure tentation de durerOn comprendra mieux désor·

mais le sens de cette histoire. Gé-

ro, qui traverse sa vie et celle desautres sans jamais s'arrêter nullepart, voyageur sans bagages etsans destination, est pourtant fas-ciné par Atarasso. L'archéologieapparaît ici comme un premiermaillon de la chaîne qui va nousconduire à la question de l'écri-ture, une sorte de réécriture del'histoire (mais écrit-on jamaisune histoire pour la premièrefois ?), par ce déchiffrement mi-nutieux des palimpsestes de pier-res que sont les villes enfouies :c ... passant au peigne fin des dé-bris, des tessons couverts d'écri-ture ». Sendra sera le second mail-lon, forçant le passage de lafouille assyrienne à la fouilled'écriture, ramenant à la ques-tion de l'écrivain. Et d'ab9rd àGéro.L'ayant attiré dans la maison

d'Atarasso, elle va l'amener à re-transcrire les carnets de notes deson père, notes qui n'ont d'autreintérêt qu'archéologique, la véri·table écriture de l'archéologueétant d'abord celle des pierres.Mais sans en avoir conscience,Géro va faire de ces notes unvéritable livre, son livre: Des·cription d'un Empire Terrestre.Empire qui en dissimule à peineun autre, celui dont l'écrivain,pour en être l'empereur, peut me-surer à quel point il en est peule maître. Empire du langage oùles fouilles peuvent conduire àd'étranges vérités, «ces mondesenfouis où nous allons à la ren·contre de nous·mêmes

Oui est l'auteur?

Quelques années plus tard, lelivre est publié par les soins deSendra, comme ouvrage posthu-me d'Atarasso lui-même. Ainsi enmême temps que Géro comprendqu'il a écrit un livre sans le sa·voir, il lui faut en même tempssupporter le fait de n'en être pasl'auteur: fait qui n·apparaîtracomme vérité qu'à la fin du par-cours, du livre que nOU8 sommesen train de lire. Pas plus d'ail·leurs qu'Atarasso n'est l'auteurdes villes qu·il découvre, de Séli·nonte par exemple. Mais alors, deSélinonte, qui est l'auteur?A une telle question, il n'est

peut.être d'autre réponse quec ce doute qui pour tous ceusqui s'engagent dans une voie dif-ficile a toujours été le chemin de

la Doute d'être le 1lU-

jet de son propre discours ? Maïal'écrivain ne doit-il pas se résou-dre à n'être indéfiniment que lesujet d'un discours perdu? c Cesmots, tous ces mots... étaieRt-iûles miens ? Qui pose la question,ici? Est-ce Géro qui parle? Oule narrateur, qui fait, au début dulivre, la rencontre de Géro daDIIune salle d'hôpital, fasciné par cegrand gaspilleur de dons qui Il'estsi bien laissé déposséder de ..seule chose à laquelle il se llOitjustement donné : un livre. c Cee-te aventure, dit le narrateur,suis-je celui qui la raconte, ouest<e moi qui rai vécue?» Oasemt tenté de répondre que c'estla même chose. Cette question,chacun peut se la poser, à chaquemaillon de la chaîne qui se déve-loppe ici: Atar88llO écrivant seslivre!! de pierres, sur le terrain,Géro écrivant Ilur Atar88llO, le IUU'-rateur racontant l'histoire de Gé-ro, et l'écrivain faisant ce livrenommé Sélinonte, le nom mêmedu livre de pierre d'AtarallllO. Etchacun peut répondre qu'en l'oc>currence, raconter l'aventure et"vivre, c'est bien en effet nne seu-Ie et même chose, quand c'estd'abord de l'aventure d'écrirequ'il s'apL

Aventure d'écrireEcrire l'aventlwe

Aventure d'écrire qui ne va passans écrire l'aventure. C'est àcette charnière que se tient l'écri-vain, à la fois scribe et conteur,entre le mot et ce qu'il dit, entrel'écriture et le récit, courant tou-jours le risque de se laisser dé-porter d'un côté ou de l'autre,soit vers la pure écriture qui nedit plus rien qu'e11e-même, llOitvers la pure fiction qui ne Il'écritde rien, vers l'écriture saD8 hi&-toire, ou vers l'histoire ll8IlIl écri·ture.Ne sachant trop qui est le

« Je qui sur cet incertain lIeD-tier de crête, tient la plume.«Pourtant, ce Je (ce jeu)

à reprendre pied UA ÎIU-taRt et à sortir du counmt qui

depuis toujoun. Cejen, il se joue dlUlll La chambreimpériale pleine de mots, etqu'auCUD Je n'habite: là oùs'écrit le livre.

Plailippe Boyer

lA f;b!in...iae Uttiraire du 1er au 15 octobre 1970 7

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La valise vide Arabesques

1J ean-Jacques RochardApologie d'un salaudStock éd., 176 p.

Que sont-ils vraiment, ces gar-çons bavards et nerveux qui asso-cient le meurtre, la théologie etla tendresse? Des tueurs au ser-vice d'un communisme qui lesutilise et les contrôle en les mé-prisant? Des enfants perdus dela guerre dans une Amérique duSud vaguement dessinée ?Un des personnages de l'Apolo-

gie d'un salaud constate que« rAnarchie est la seule réactionhonnête devant la société ». Maisces jeunes gens ne sont pas exac-tement anarchistes, pas plus d'ail-leurs que communistes ou trot-skystes. La destruction de l'Etatne les intéresse pas, pas autantque celle de la société et des indi-vidus qui la représentent. Au de-meurant, ils ne manifestent au-cun souci idéologique, tout enchérissant les interminables confi-dences, les dialogues avec desmoines ou des curés. A tout pren-dre, ils ressemblent surtout auxélèves des institutions religieuses.De ce livre bref et rapide (trop

rapide), fait de scènes violentesmais cassées, seuls des personna-ges émergent, tracés à gros coupsde crayon : Wladimir buté, silen-cieux, Hugo, le métaphysicientendre du meurtre, Manuel le po-liticien, Juan le curé défroqué, etle narrateur, homme de main,lui aussi, et qui rêve tendrementà Lili Kangouroo, princesse loin-taine, mystérieuse responsable po-litique dont ils dépendent.A leur sujet, on parlera de

Drieu, de Malraux, d'Abellio. Cen'est pas tout à fait cela. Ces per-sonnages ne revendiquent pas lestatut d'existence: ils se conten-tent d'apparaître. Ce sont des vi-sages, des fantasmes de souvenirsou de l'imagination, qu'importe!Une certaine lecture de ce livreen révélerait sans doute la tramecachée : la violente haine portéecontre la paternelle société éta-blie trouve sa compensation dansune nostalgie profonde de la fé-minité toujours perdue.L'intrigue d'ailleurs renforce

cette impression : elle raconte unéchec et un échec qui affecte ceschevaliers de fortune dans leur'ressentiment et leur haine, laseule chose qui leur reste. Ainsi,les terroristes enlèvent le chef dela police, coupable de multiples

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Jean-Jacques Rochard

exécutions. Tout conduit à laRévolution. On obtient du poli-cier qu'il signe un chèque énor-me transférant le trésor d'Etatentre les mains de l'organisation.Pourtant, les dés sont pipés et

la valise vide. Manuel rencontrel'actuel président du pays, achèteson départ, le remplace. Qu'est-ce qui est vraiment changé? Auservice de quoi se trouvent cesgarçons? On croyait changer lesens du monde, on a simplementassisté à un chantage. Et les ter-roristes constatent qu'ils sont desmarionnettes.Ce genre de désastre n'est pas

neuf. La littérature s'en est em-parée depuis plus d'un siècle, de-puis que les éternels EnjoIras ontcru qu'en mourant sur une barri-cade, ils mouraient pour quelquechose. Transposé avec la forcequ'on sait, cette détresse ini>pireaprès 1830 le Lorenzaccio de Mus-set: il quoi bon tuer le tyran,puisque cela ne change rien?Mais le tyran n'est-il pas tué pourune raison plus profonde et cemeurtre ne réhabilite-t·il pas unepetite canaille, à ses propresyeux? Dostoïevski n'est plus trèsloin.J.-J. Rochard n'est pas Dos-

toïevski, et son livre (au titre dé-plaisant) n'est pas les Possédés.La rapidité schématique de l'ac-tion et des personnages, une cer-taine facilité dans la présentationpresque monotone de la vie deces terroristes, comprimés entrele coup de feu, le demi-viol etla méditation théologique gênentla lecture. Pourtant le témoigna·ge, fût-il imaginaire, s'impose:les images haletantes nous sui·vent, même si inquiétantes, si ir-ritantes qu'elles soient. Il y aquelque chose là. On souhaite-rait, après Apologie d'un salaud,relire les Réprouvés d'Ernst vonSalomon, qui reste la matrice deces légendes désespérées.

Jean Duvignaud

1Hélène Cixous .Le Troisième corpsGrasset éd., 226 p.

I Les Commencemen,,:;Grasset éd., 251 p.

Si Dedans (Prix Médicis 1969)était, comme on l'a dit, le «ro-man de l'encerclement », les deuxnouveaux livres qui viennent deparaître feront peut-être figured'arabesques décrites à partir dece premier cercle.Dans le Troisième Corps et les

Commencements, l'auteur sembleen effet tisser de nouvelles toilesautour de son enfance et des êtresqui l'ont hantée. Elle continueavec ces deux romans - qui au-raient aussi bien pu n'en consti-tuer qu'uu seul - une sorte derésurrection-liquidation dont onne prévoit guère la fin. Ce genrede matière n'est pas sans évoquerle long périple analytique queRené-Victor Pilhes retraçait pa-tiemment dans le Loum.La narratrice remet ici en cau-

se sous une forme essentiellementmétaphorique, onirique et inter.prétative le jeu des rapports etdes identités interchangeables quil'entourent: celle de la mère-fille-femme, celle de l'amant-père-fils,celle du père-mère-frère, à l'inté-rieur d'une sorte de vertigetextuel où foisonnent les rêves etles hallucinations signifiantes durêve éveillé. Cette matière, déjàriche, s'articule en outre sur des« textes» tels que la Gradiva deJensen commentée par Freud, leTremblement de terre au Chilide Kleist, et les tableaux de Kleeou d'Dcello (l'admirable Saint-Georges). Tout cela fait un peufigure d'orage culturel et nuit àla sobriété parfois très réelle dusujet.Celui-ci, on s'en rend compte,

touche au problème délicat de ladissociation à 0 p é rel' entrel'amour vécu comme adulte etles liens de chair et d'idées quiadhèrent en tant que passé àl"être de la narratrice. C'est pour-quoi celui qu'elle aime, T.t. (Tris-tan) ou Saint-Georges doit assu-mer une réalité mythique ets'embarquer lui aussi sur les Lé·thés analytiques qui semblentoccuper une place très - trop -importante dans le livre. LesCommencements sont tout commele Troisième Corps une longuemétaphore amoureuse et inquièteà la fois, une création de mythe8

qui visent sans doute à une sou-veraineté encore non accompliepar rapport au passé. Quant au«troisième il habite lesdeux romans car il est «le lieude l'immortalité que se consti-tuent les amants: «Il se trouveà rintersection de nos deux dé-sirs tendus tout droits, issus dumême côté de nos langues unieset silencieuses, et qui, ayant pèreset mères, origine et infini, se pré-sente tout à coup de rautre côté,sous la forme d'un troisièmecorps... en ce corps nous sommeséchangés jusqu'à fextrémité de laressemblance.» (Le Ille Corps,p. 215.) Mais cet exorcisme quel'amour érige contre les puissan-ces de la mort, toujours à l'œuvredans la vie, il se poursuit aussidans l'acte même d'écrire qui, en«donnant à voir », confère auxfantasmes une force et une réa·lité neuves. La narratrice peutalors se posséder, se confirmerdans son être à travers une cosmo-gonie intérieure devenue mani-feste, déchiffrable.En dépit de l'identité de la

matière romanesque, le style d'Hé-lène Cixous demeure, puissant,nombreux, violent. Il est celui«d'un guerrier de la vie », dé-cidé à vaincre ses démons inté-rieurs, acharné dans sa quête etsa possession du monde par lelangage. On ne peut qu'admirerl'ampleur du registre, la varietédes tons, qui va de la colère àl'abandon savant, en passant parl'angoisse, l'insolence, le rire, lesang, les larmes. Mais tout ce queces arpèges brillants font surgirdevant nous, ces mères «pri.mordiale(s), nombreuoe(s) », cetamant cuirassé de lumière outransformé en une lointaine par-turition, est comme secoué deséismes secrets, de rages impuis-santes et d'anxieux délires, com·me si la narratrice ne parvenaitpas à «résoudre », à réduire àmerci le cortège des images quila poursuivent.Après cette lecture difficile,

doublement exigeante par les va-riations de la forme et le niveaude culture qu'elle suppose, on ai·me à se tourner vers l'image dela Gradiva, «celle qui etqui resplendit », silencieuse dansle midi brûlant de Pompéi, s'avan-çant lentement vers sa mort, là-bas, dans l'ombre fraîche duTemple...

Hélène de WierlYiJ

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Un refus fraternel Un saccage

I.a Cl!!buaine Littéraire du l·r au 15 octobre 1970

Pierre Guyotat, debout, à gauche

1Guy Le Clec'hLa violence des pacifiquesAlbin Michel éd., 304 p.

Des Moissons de (abîme - pre·miel' volet du triptyque intitulé:c Les J ours de notre vie:t - lepersonnage central, Jacques Mar-,oille, émergeait comme un rêveurvelléitaire, ballotté par les événe-ments, désabusé avant l'âge. Ilprend un autre visage dans cedeuxième volet: la Violence despacifiques, où, d'homme quelcon.que, il devient une sorte d'aven-turier. Non que la chance luisourie, ni qu'il dirige d'une mainferme sa barque entre les écueils.Simplement, les écueils ne l'em·pêchent pas d'affronter la hautemer.Par plusieurs aspects autobio-

graphiques, la narration gagneen ampleur. Le mouvement de lavie est plus perceptible, plus ou-vert et multiforme que dans lesMoissons de (abîme. Le ton va-rie selon que Marville se trouveau chevet de son père mourant,obsédé par les souvenirs de laguerre de 1914, ou' en face deson frère, un frère aussi différentde lui que le blanc l'est du noir,ou encore avec Claire - son pre-mier amour, impossible à rani·mer - Françoise - l'épouseadultère et bourgeoise dont ilmanque d'être le gigolo - Ca-therine.enfin - la maîtresse fra-gile parce que blessée dans sonenfance, semblable à lui commeune sœur, au fond trop proche,trop «parente» pour que leuramour n'ait pas quelque chosede monstrueux.On serait tenté de voir en J ac-

ques Marville une sorte de hippy,un non-violent de la trentaine, unc pacifique:t, comme le suggèrele titre. A la vérité, Guy LeClec'h semble avoir voulu le pein-dre en contestataire d'une sociétéqui écrase ceux qui refusent dese plier à ses appétits. Il est l'unde ces derniers. A force de coupsreçus, il s'est tanné le cuir; il aappris l'obstination; sans cesser,pour autant, d'être sensible et in-quiet.Des divers métiers qu'il accom-

plit - employé, chauffeur-livreur,professeur, rewriter - pas un neconvient à ses goûts et il les quit-te tous par lassitude ou sur uncoup de tête. L'argent ne l'inté-resse pas. Celui qu'il héritera de

son père lui brûle les doigts, luisalit l'âme. Il l'appelle un «mal:t,lui trouve une mauvaise odeur:c Il pue le cadavre :t, dit-il. Ceuxqui en ont et en usent sans scru-pule ne sont pas de sa race.Marville n'est, cependant, ni

un ascète ni un anachorète:quand les hasards de l'amitié oude l'amour lui sont favorables, ilne fait pas le dédaigneux; ilmord à l'hameçon sans prudenceni calcul. L'aventure, pour lui,c'est l'existence. Ne cesserait·ellepas de l'être si l'on pesait le pouret le contre, si l'on conformaitses actes au comportement géné-l'al? «Je me bats seul:t, dit·il.«Je ne veux rien pour moi. Donc,j'ai le droit de tout exiger. :t Maisil collectionne les échecs, un peucomme le Salavin de Duhamel,dont, avec moins de donquichot-tisme, il est une moderne répli.que.Guy Le Clec'h le peint avec

juste ce qu'il faut de réalismepour que la silhouette soit discer-nable. Il l'entoure d'un halo fan·tastique, mêlant le rêve au vécu,Iii' fantaisie au sordide. Méthodequi peut déconcerter, mais quidonne aussi, parfois, d'excellentsrésultats: ainsi, l'apparition deCatherine, dont l'image coïncidemiraculeusement avec l'un desfantasmes de Marville. Le prodi-ge devient soudain crédible;l'univers rationnel bascule, chi·mère et poésie confondues.Ailleurs, la ville et ses habi-

tants s'estompent dans une aurade folie ; ils ne sont plus qu'undécor en proie au vertige, que lafoudre vient de frapper, et dontle héros, pétrifié au bord d'untrottoir, «sans appui, le préci.pice sous ses pieds », découvre,entre deux éclairs, «les façadesaux yeux crevés ».Tout un monde que l'homme

du xx· siècle essaie d'oublier -les cités atomisées, les laboratoi-res de la torture, «les Juifs, lesNoirs, la guerre, les filles-mères,les enfants abandonnés:t - me-nace soudain la tranquillité deségoïstes. Les refus de Marville,même s'ils se manifestent parfoisavec violence, ne sont jamais dé-nués de fraternité: les autresexistent aussi, plus souvent vic-times que bourreaux, vers qui ilva, les mains nues, empli d'uneardeur qui n'a pas trouvé encoreoù se consumer.

Maurice Chavardès

1Pierre GuyotatEden, Eden, EdenGallimard éd., 280 p.

Un paroxysme monotone, àcette phase aiguë de l'écriture sesituait Tombeau pour 500 000 sol·dats de Pierre Guyotat. Le récitdes faits était si exacerbé d'entréeque l'on ne pouvait que par ana·logie y retrouver l'habituelle pro-gression dramatique. Eclatementd'un monde qui n'en finissait pasde s'éparpiller avec une puissanceégale de destruction morose. Uncauchemar interminable, dont semêlaient les épisodes et se che·vauchaient les péripéties, et oùprédominait le sentiment d'unehorrible répétition, éternel re-tour, recommencement à perpé-

tuité - loi même de l'enfer.Au-delà de rappels, de rencon-

tres avec surtout le Miracle de laRose, il y avait entre Guyotat etGenet une semblable nécessitéd'identifier leur cause avec celledu tiers monde. Les Nègres et lesParavents permettaient déjà à'Genet de se retrouver dans lesopprimés et les parias, d'élargirson cas. Guyotat aussi voudraitêtre nègre. Mais il sait bien quec'est par rapport au Blanc qu'ilsouhaite la révolte noire «Et çac'est égoïste. C'est une forme denéo-néocolonialisme:t, constatait·il. C'était en tout cas une bienintéressante insertion du chant.dans un contexte extérieur à l'au-teur. Et, bien sûr, le ton' mêmedu récit révélait davantage le my·thologue que l'historien.

Place rase était faite pour écri·re Eden, Eden, Eden, qui se trou·vait en germe, tout entier con·tenu, dans un texte d'une dizainede feuillets, paru en octobre 1967sous le titre de Tam, Tam dans larevue les Cahiers du Chemin etqui, déjà, prenait acte de cetterupture consommée et en assu-mait les conséquences, y puisaitses pouvoirs. Mais de quel ordreou de quel chaos ?Force du désespoir peut.être,

plus que puissance et qui se fai·sait davantage jour dans la dou-leur, les scènes de tuerie et demassacre, que dans les jeux de lavolupté qui restaient en deça,malgré l'irritation de tous lessens, l'accumulation des détailsobscènes préparatoires, de l'in-cantation à quoi le meurtre pou-

vait atteindre. Ainsi, du moins lesentions-nous dans le Tombeau.Cela se lisait dans son écriture.Dans une première version du

Balcon de Genet, on voyait pa·raitre un moment sur le plateau,le sang, les larmes et le sperme- trois jeunes gens très beauxet blessés: . «Curieux mots oubanales humeurs? ». Ils se plai-gnaient d'avoir servi à une lon-gue utilisation décorative et affir·maient leur désir de lui échapper.Chez Guyotat, ils débordent àchaque page et les corps qui Becherchent, s'affrontent, en ruis-sellent. On peut parler d'une in-continence généralisée qui entraî-ne celle du langage. Ils n'arrê-tent pas de couler. «Des torrenu,des fleuves, des cuvettes, despluies torrentieUes, des catarac-

9

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Le créateurles, de. «eysers:t, que l'écrivainDe ce8IIe d'alimenter.Le lait est la source de tout

échange avec la femme : faim ra-rement rB8888iée. Tari, il se re-fuse le plO8 souvent et ne coulepas à pour des lèvres avides.Salives et b8'ves, par contre, for-ment de véritables filets, réseauxsur les COrp8 désiréB et tradUÏ8entl'exultation amoureUBe. lIB seteintent à l'ordinaire de sang,comme une roeée. VolDÏ88ures etexcréments soudain dévidés leurmeeèdent et une incroyable épaiB-seur, deDBité de la matière (desmatière&) remonte et submergeto08 les accouplés. La page en-

les mots s'embourbent. Onest comme bu et upiré par ce

chu dans la matière lapb compacte où l'on s'enlise,8Uftoque.Tout amour, qui ne s'y écraBe

pas, dénonce dans le Aux mêmede la parole, une furieUBe insa-tiBfaetion. Longtemps les appelsse sont boU8CuléB, multipliés, onttournoyé au-de88U8 de leur objet,invoquant avec des cris pusion-néB tout un Babbat, où les jeunescorp8 pourraient enfins'abîmer.Aujourd'hui le Baccage l'em-

porte de pb en plO8 sur la pro-lifération, les mots sont propul-lléB au lieu de seulement s'agglo-mérer ou s'agglutiner. Si tant dephrases qui refUBent le tri, l'éla-boration, la mise en valeur ou lamise au point, se pou8Bent enl'lIJlWl serré! et défilent sans solu-tion de continuité, à perte devue, il fallait que le dru triom-phe des courbes, méandre&, volu-tes, qu'elles s'érigent.Revêtu de tOO8 les attributs de

la force, délibérément, avec ced'être tOUjOurB à la limite

de toute teDBion, Guyotat, dansIOn jU8qD'au-boutiBme exupérédes actes, des attitudes, des faitsrapportés, aboutit dans Eden.Eden. Eden à un nivellement dé-finitif, un nivellement forcené.Un livre BaD8 commencement ni

fin et dont la mise en 270 pagesfait figure de pis-aller Baugrenu.Car on peut écrire à la limite quechaque paBBage entre tirets le:contient et qu'il pourrait intermi-nablement se pourBuivre hors dulivre. Et ce n'est pu là sa moin-dre é«alité. une égalité à pren-dre ou à lai.eBer.

Jean-Marie Ma«,",n

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Harry MathewsConversionsTrad. de l'anglaispar Claude Portailet Denis Roche avecla collaboration de l'auteurGallimard éd., 208 p.

La tradition romanesque pos-sède aujourd'hui une histoire ca-pable de comprendre et de répon-dre des subtilités et des recher-ches les plO8 byzantines. LaBBésde se disputer un caractère, unesituation, une intrigue, un exo-tisme de plus, il semble que lesnouveaux romanciers se trouventréduits à spéculer sur le dernieravatar du genre «ésotérisme for-mel:t. L'histoire des divers mou-vements littéraires de ces centdernière& années, perçue commcune addition de « trouvailles :tplus ou moiDB heureuses, se trou·ve ou bien condamnée à répéter,avec variantes, les motifs décora-tifs d'une même subjectivité, ou,au mieux (1), à devoir témoignerd'une évolution de type nette-ment positiviste.

Les références lansoniennes

TI va de 80i que, da08 une telleperspective, toute pratique litté-raire déterminée à penser sonévolution historique d'un pointde vue dialectique va forcémentvoir son travail aplati, écrasé, ré-duit aux références lansoniennes.Je pense ici, pour ne parler quede la littérature française, auxmoments forts, quant à leurs ef-fets révolutionnaires et à leur ra·dicalité transformationnelle, que80nt les œuvres de Lautréamont,Rou88el, Artaud, Bataille; œu-vres qrii se pensent dialectique-ment'par rapport à l'histoire quiles produit, et qui demandent àêtre lues (auBBi bien les unes parrapport aux autres) dans le mê-me mode de production dialec-tique. Faute de quoi, réduites àune normalité (normalisée), leurstransformations n'apparaissentplus que 80US le mode de la «fan-taisie:t humoristique et décora-tive, quand ce n'est pas sous celuid'une transgression dont on noussuggérera alors qu'en dernièreinstance le caractère ne peut êtreque religieux. Livrées aux phago-cytes lan80niens, les œuvres deLautréamont, Roussel, Artaud,BataiDe, etc., vont se voir attri-

buer le rôle de justifier, d'unepart le ressassement perpétuel dela religion philosophique, et,d'autre part, le formalisme pro-vincial et anémique qui caracté-rise les derniers souffles du Nou-veau roman.

Le paradoxe

C'est ce contexte particulière-ment chargé que le livre de Har-ry Mathews, Conversions, prenden considération, et c'est aux œu-vres les plus marquantes de cechamp littéraire que, finalement,il renvoie. Le paradoxe veut quecette leçon de maintien soit don-née au dernier carré du Nouveauroman, par un romancier anglo-saxon. Cela n'est pourtant qu'ap-paremment paradoxal; il con-vient en effet de préciser, toutd'abord, que Harry Mathews estparfaitement bilingue, et que saculture est tout autant françaisequ'anglo-saxoime.La référence à Raymond Rous-

sel semble tout d'abord être laréférence maîtresse de Conver-sions; l'épisode du roman qui apour titre «Les gitans:t se pré-sente nettement sous la formesemi-dramatique du déchiffre-ment des énigmes dans les« jeux:. rou88elliens (ce n'est cer-tainement pas un hasard si lapremière version de Conversionsparaît en anglais en 1960 dansune revue publiée en France, etqui avait pour titre Locus Solus).Le livre toutefois ne saurait êtreréduit à cette seule référence, etsi l'influence de Rou88el y est dé-terminante, c'est sans douted'abord parce qu'elle autorise leromancier américain à jouer tou-tes les ressources de sa languesur un champ culturel qu'en der-nière instance, Lautréamont etRou88el inévitablement renver-sent.

Roussel, Lautréamont

On .sait que la matrice formelledes Chants de Maldoror est em-pruntée aux romans à épisodes,au Roman Noir anglais et à sesvulgarisations, le feuilleton popu-laire (Sue: Latréaumont; Pon-Iwn du Terrail: Rocambole),c'est cette même «tranche roma-nesque:t que Harry Mathews vasoumettre à l'influence de Ray-

mond Roussel. Il n'est pas ques-tion ici de comparer Harry Ma-thews à Raymond Roussel ou àLautréamont, ni de comparerson livre aux Chants de Maldoror,mais de mettre en évidence et derevenir sur ce paradoxe qui veutque ce soit un écrivain anglo-saxon qui fasse apparaître le ter-rain sur lequel se déplace aujour-d'hui toute une partie des der-nières productions du Nouveauroman; que ce soit un écrivainanglo-saxon qui en démonte les« platitudes» (fussent-elles valé-rio-horgésiennes), qui en re-marque les lignes de force.

Une série à énigmes

Conversions se présente commeune série à énigmes avec appa-remment toutes les caractéristi-ques ùu roman feuilleton telqu'on le voit au milieu dusiècle surgir du Roman Noir.C'est-à-ùire que la fortune (<< fa-buleuse :.), et une fortune concrè-tement monnayable: l'argent s'ytrouve être le facteur détermi-nant de la fiction (de la fabula-tion) et de la quête pour laquellele héros devra utiliser toutes lesressources de sa chance, de sonavoir et de son savoir. Telle estla grille qu'utilise Harry Mathewsen une série de scènes dont lecaractère parodique, aplatissanttout effet· de fiction, ne cesse derenvoyer à l'anachronisme desformes romanesques que cettegrille met en scène.

L'apport anglo-saxon

Et je dirai que c'est plus parti-culièrement ici qu'intervient l'ap-port proprement anglo-saxon dece livre, dans l'écriture même deMathews, dans une écriture quiutilise avec une grande virtuositétoutes les ambiguïtés sémantiquesde l'anglais. Il faut noter que, dece point de vue, la traductionfrançaise, si élaborée soit-elle, estloin de bénéficier de la richessedes jeux pluri-sémantiques de laversion anglaise (ambiguïtés, jeuxde mots, double, triple sens, pas-tiches, etc.). C'est une des p!lrti-cularités normatives de la phrasefrançaise que d'écraser inévita-blement la multiplicité des jeuxqu'elle autorise sous l'autorité

Page 11: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

e efOISI·

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BBOIIISLAW IlAlBOWSDLes dynamiquesde 1'6,olutlon nltDrelleRecherche sur les "IaUODl raciales eu Afrique

PIBUIBOBYIrotlsme afriealDLe comportemeut senel des adolesceuts guiD6eDI

Br WOLr8U8 LIBIBIB8pophobiaLa peur des femmes

r. et C. IlAS.A!1Pou,olr, "soel6t6 et POlltlqâeau Itats-:UDisDr mCBABL 8AL1ftTecJmlques Ps,ùotb6npeutlquesen m6deelDeP.B. CBOIIBABT de UDWIImages de la eaJtDreDr LOmS LB'"Phutastlea ' ,Dropes psJch6d6l1ques - Stup6fiaDts - BaIIuCÜlOl6Des

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Les véritables. héroinesdu débat

consume, avec une joyeuse rapi-dité, tout ce qu'elle met en jeu,les névroses sont à l'avant-8Çène.Le miroir culturel que Mathews

vient de promener tout au longd'une histoire dont nous lIavonsbien qu'elle est morte, ne livreplus que ces grandes figures occi-dentales grimaçantes, ces vérita-bles héros de c l'aventure :t roma-nesque qui soumettent le récitcomme sa forme à leur prétexteet auprès desquelles, Mathews lemontre bien, les personnages nesont que des pantins. c L'horlogelunaire ne m'ayant pas dévoilé latroisième réponse, je décidai demettre fin à mes recherches. Malongue quête avait englouti da-vantage que la petite somme quej'avais un jour possédée... Il neme restait plus qu'à rentrer chezmoi et à commencer à rembour-ser mes dettes. :t Le roman se ter-mine ainsi, brusquement, et pres-que sans raison, dirait-on, par unapparent constat d'échec: c'estque la preuve est faite de l'ana-chronisme d'une démarche quiprétendrait donner vérité. à unefiction autre que celle qui sous-crit toutes les formes fictives,laisser la parole à un «créateur:t,se déclarât-il apparemment oisif.

Dans sa démonstration, le livrede Harry Mathews réaffirme l'ir-réductible radicalisme de l'inter-vention roussellienne. Remettanten jeu les «tics» de la traditionromanesque, sa «longue quêteengloutit finalement davantageque ce qu'il a jamais possédé:t ;c'est dire que finalement le livreréaffirme surtout l'irréductibilitéde cette intervention à elle-même.Les véritables héroïnes du débat(les névroses) ont rendu définiti-vement anachroniques les cons-tructions mécaniques de contessomnifères, Lautréamont nous lesignalait déjà à la fin du sixièmedes Chants de Maldoror; dessciences (la psychanalyse entreautres, n'est-ce pas ?) nous ont de-puis enseigné à déchiffrer quellesurface sociale ces jeux névroti-ques souscrivent... Que va fairemaintenant l'oisive littérature?

Marcelin Pleynet(1) Freud, «L'inquiétante étran-

geté •.

d'un sens souverain, les traduc-tions de certains romans anglaisprennent ainsi en français unpoids et un «sérieux:t qui leplus souvent les tue (je pense iciaux traductions françaises de Ro-nald Firbank).

Les trames

Ce n'est pourtant pas tout àfait le cas du livre de Harry Ma-thews qui, s'il ne répond pasabsolument, dans sa version fran-çaise, de la virtuosité d'écriturequ'il manifeste en anglais, n'enlivre pas moins une traductionqui, pour l'essentiel, conserve aujeu textuel l'étrangeté qui le{:onstitue (je suppose que la col·laboration de l'auteur avec lestraducteurs, Denis Roche et Clau-de Portail, n'y est pas pour rien).L'écriture de Harry Mathews, etc'est là si je puis dire ce qui laqualifie, ne se contente pas eneffet de reproduire tel quel le vi-de des formes romanesques qu'el-le utilise; elle en redouble jus-qu'à la caricature les productionsfictives (idéologiques) qui leursont attachées. De sorte que lesfigures centrales de ce «rêve

qu'est le «jeu» roma-nesque, loin de dissimuler (der-rière le glacis d'une pseudo-objectivité Nouveau roman)les contradictions idéologiquesqu'elles mettent en scène, se mar-quent avec force et proportion-nellement à l'invraisemblancemême de la fiction qui les pro-duit.« L'animisme, la magie et les

enchantements, la toute-puissancedes pensées, les relations à lamort, les répétitions involontaireset le complexe de castration... »(1) sont les véritables «trames»romanesques auxquelles les «con-versions» de Harry Mathews don-nent une évidence fonctionnelle(dépouillée de toutes mystifica-tions objectives). Les clefs, lesressorts du récit suspendu (dususpens) ayant perdu toute vrai-semblance objective livrent, dansleur exaspération, le schéma fan-tasmatique qui conditionne. laforme romanesque. On dirait fina-lement du livre de Harry Ma-thews que son ultime «conver-sion:t, la plus décisive, est ·celledu roman en névrof>e. Passéec l'allégresse :t (comme dit le priè-re d'insérer) d'une lecture qui

La Ql!inzainc Uttiraire du 1er au 15 octobre 1970 11

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ENTRETIEN

OrkenyIstvan OrkenyMinimythesTraduit du hongroispar Tibor TardosColl. « du Monde entier •Gallimard éd., 224 p.

Istvan Orkeny nous était con-nu par une pièce singulière, àl'humour subtil et noir, dénon-çant symbol iquement toute for-me d'occupation, d'intrusiondans les affaires des autres,une sorte de Victime du devoirà arrière-plan politique, la Fa-mille Tot (1) qui fut jouée àParis il y a deux ans. Aujour-d'hui paraissent des Minimy-tf1es, textes d'une extrême briè-veté, de quelques lignes àquelques pages, qui tiennent dupoème en prose, du conte, del'apologue, de la satire, où semêlent jusqu'à se confondre.nous faisant rire en pleurs, legrave et l'aigu, le drôle et letragique. _ _ _

Pour les définir. il faudraitévoquer ces dosages minutieux:des pharmaciens - mais Or-keny, justement, ne fut-il paspharmacien avant de connaîtreles cal"1ps: de concentrationallemand, de prisonniers enRussie, puis, après octobre1956, le travail en usine pen-dant six ans? - qui aboutis-sent à une minuscule pilule.suffisante pour réveiller unmort et secouer les vivants. Eneffet, les meilleurs de ces ré-cits contiennent une véritablecharge explosive, un humournoir et une imagination poéti-que qui ne sont pas sans rap-peler Jarry, Michaux ou Que-neau, mais qui, dans les lettreshongroises doivent rendre unson nouveau.

1. O. En Hongrie, constateOrkeny, autant dire que je suisseul, que tous les écrivains quicherchent à rompre avec nostraditions littéraires sont seuls.

Quelles étaient ces tradi-tions?

1. O. C'est un lieu communpour nous, la richesse de la lit-térature hongroise est sa p0é-sie. Nous pensons être un peu-ple de poètes et si les difficul-tés de langue n'existaient pas

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quelques-uns de nos poètes au-raient une réputation mondia-le. Cela tient en partie à ceque nos poètes ont toujours ététrès sensibles aux situationshistoriques, ont toujours parti-pé aux événements commePetofi qui fut tué en 1849 dansla lutte pour l'indépendance etdont on disait qu'un seul de sespoèmes pouvait faire éclaterune révolution. Ainsi, j'ai doncavoué que notre prose et notrethéâtre n'ont pas une impor-tance égale à celle de notrepoésie. Cependant il existed'excellents romanciers, nous

avons une tradition de grandsconteurs dans la lignée de Bal-zac, de Stendhal, de Flaubert,et dont la prose coule commeun grand fleuve.

Cette tradition est-elle tou-jours vivante?

1. O. Moi-même, au début,j'ai écrit selon cette grandeprose épique qui est toujourstrès vivante, très riche, trèspopulaire. Mais naturellement,ce n'est plus aujourd'hui leseul style. Entre les deux guer-res, une avant-garde a com-

mencé à se manifester, à s'im-poser, et l'un de ses meilleursreprésentants était le jeune Ti-bor Déry. Et depuis quelquesannées, on assiste à un renou-veau. La vie littéraire hongroi-se se fait plus riche, plus pétil-lante, plus bouillonnante. Cer-tes, le règne du roman tradi-tionnel n'a pas cessé, mais àcôté de celui-ci, des recher-ches personnelles voient lejour.

Personnelles. cela signifiedonc qu'il n'y a pas d'écoles.

1. O. Les groupes, les éco-les, comme chez vous le sur-réalisme, le nouveau romann'existent pas en Hongrie. Cer-tes, il y a de bonnes relationsentre les écrivains qui tententde rompre avec les traditions.Nous sommes des collègues,des amis, mais nous ne travail-lons pas ensemble, chacuncherche son propre chemin.

Vous-même, comment avez-vous rompu avec la tradition?

1. O. J'ai abandonné la voiede la prose épique il y a unedouzaine d'années par révoltecontre l'faégémonie de l'expli-cation. Et chez moi, ce n'est pasl'écrivain qui s'est révoltéd'abord contre la manie de toutdire, de décrire minutieusementles paysages, de peindre lespersonnages de pied en cap,mais le lecteur. En lisant lesgrands romans, souvent avecadmiration, je me suis aperçuqu'il m'arrivait de tourner despages qui ne m'intéressaientpas pour aller plus vite à l'es·sentiel, à ce qui me semblaitimportant. La conclusion fut:pourquoi écrirai-je ce que lelecteur sautera parce qu'ill'imagine facilement? Parexemple quand je lis la des-cription d'une chambre, si pré-cise soit·elle, ce n'est pas lachambre de l'écrivain que jevois, mais une chambre que jeconnais, une chambre qui cor·respond à mon idée de cham-bre. Si j'écris qu'en rentrantchez lui, un personnage est al·lé dans sa chambre, cela suf·fit. De même, alors qu'un pein-tre nous montrera un paysageavec une maison dont la chemi·née fume, je me contenterai de

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sur le fil du rasoirparler de la cheminée et de lafumée, laissant au lecteur lesoin d'imaginer le reste. Ainsi,je me suis opposé au style épi-que en me limitant aux allu-sions, à la recherche des si-gnes essentiels.

Et vous avez parfaitementréussi dans Minimythes.

et il suffit d'un rien, d'un moten trop ou mal choisi pour per-dre cet équilibre. Aussi je gas-pille un nombre considérabled'heures de travail, parfois pourtrouver un seul mot, celui quiéquilibrera la balance.Jusque dans le titre vous

avez trouvé le mot juste puis-

que chacun de vos récits illus-tre ou moque un de ces fantas-mes auquels nous sommes su-jets. un de ces mythes dontnous sommes victimes dans lavie moderne.

1. O. On me félicite toujourspour ce titre. Mais en hongrois,mon livre s'appelle Contes mi·

nutes. C'est Claude Roy qui nonseulement m'a fait publier enFrance, mais qui a trouvé cetitre si parfait de Minimythes.

Propos recueillis parClaude Bonnefoy

(l) La Famille Tot., Coll. Théâtredu monde entier, Gallimard.

1. O. Non sans difficultés.Mon évolution a été très lente.Je voulais me détacher du sty-le épique, mais je n'avais rienen Hongrie à quoi me rattacher.Oisons que ce que j'écris au-jourd'hui s'apparente au grotes-que. Mais si dans votre littéra-ture il y a une tradition du gro-tesque, dans la nôtre, il n'y ajamais eu dans ce genre quedes tentatives isolées, sanslien entre elles. Il n'existaitpas de tradition, pas d'exem-ples sur lesquels m'appuyer.Comme tous les écrivains quipoursuivent actuellement desrecherches personnelles enHongrie, j'ai dû défricher toutseul mon chemin, et non sanscommettre beaucoup d'erreursou de faux pas. En effet, lors-qu'on n'utilise pas une écrituredéjà connue, il faut inventerdes choses qui parfois ont dé-jà .été inventées ailleurs depuisdes·siècles. Il faut les réinven-ter dans notre langue. Et celaa des conséquences pratiquestrès tristes pour l'écrivain. Ce-la se solde d'abord par un nom-bre considérable de pagesmanquées, par des idées deromans, de nouvelles, de piè-ces qui paraissent faciles àécrire mais deviennent impos-sibles à réaliser dans cettesituation d'improvisation per-manente.

Dans Minimythes, cependant.vous avez trouvé un ton extrê-mement rapide et allusif. mieux,en quelques lignes vous parve-nez à dévoiler ensemble la drô-lerie et le tragique d'une situa-tion.

1. O. S'il y a quatre-vingtstextes dans le recueil, j'en aibien quatre cents dans mes ti-roirs, ratés ou à moitié réus·sis. L'essence même du grotes-que est de trouver un équilibreentre le ridicule et le tragique.On marche sur le fil du rasoir,

ia Littéraire du 1" ilU 15 octobre 1970 13

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MauriacJl dort. Je forcerai les dieuxmême à se taire.

J'anéantis le monde autour d'Atysqui dort.

Le sommeil a rompu le faisceaude ton corps,

Tes membres épandus separtagent la terre,

Doux serpents déliés qui feignentd'être morts,

Et Cybèle frémit jusque dans sesabîmes

De ce trouble abandon sanscaresse et sans crime.

Auprès de Sangaris qu'il accueilleen ses songes,

Que suis-je, être sans forme et quel'océan ronge,

Moi qui ne puis tenir dansl'anneau de deux bras,

Reine à l'immense front que lestristes marées

Ceignent de varech noir, deméduses moirées!

Le défi adolescent à Dieu, lapassion de Genitrix, le privilègeaccordé au sommeil et à l'odorat,union de sensualité et de spiri-tualité, l'imaginaire du serpent,le frémissement de la chair cul-pabilisée, le besoin d'une sexua·lité qui ne soit pas telle que lemonde la connaît, l'obsession del'océan, de l'abîme, de l'immense,l'impossible partage de l'âmeadolescente entre son désir infiniet le réel qui la brime, en cesquelques vers sont contenus, mi-raculeusement. Pourtant, cesconsonances, ces mouvementsIlecrets d'une âme possessive, pas-sionnée et brisée, dans la gangued'un vers aussi dépouillé quel'acidité de la lande, peu les ontécoutés 'parmi . ceux qui lisentMauriac. Le poète ne pardonnaitd'ailleurs pas aux critiques' cetoubli qUi morfondait sa vieilles·Ile. n me disait en janvier: « Vous.savez, même quand on est un!rand écrivain et qu'on a reçu leprix Nobel, il y a des échecsqu'on est seul à connaître et quifont mal. Mes poèmes sont deceux-là. Pourtant je ne suis quepoète.» .Cette invite qu'il répétait à

chaque interview se glissait dansles confidences des livres, des pré-faces. Orages (1925), le SangAtys (1940) et fEbauche d'En·

dymion, «que (ses) lecteurs lesrécusent ou non» sont à ses yeuxses «modestes titres de poète;(il) les revendique det'ant ceuxqui s'intéresseront encore à (lui)'lorsqu.'(il) aur(a) quitté ce mon-de. C'est ce chant qu'il faut bienentendre pour (le) connaître.C'est au fond de cette eau endor-

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mie que repose fanneau de Méli-sande et bien d'autres bagues per-dues, et tous les secrets, et tousles remords, et toutes les dou-leurs et tous les songes dont nousnous berçons jusqu'à notre der·nier jour. C'est de cette eau som-bre qu'ils remontent encore pour(l)'aider à ne pas perdre cœur.»Peut·être le jour est-il venu

d'oser restituer à l'écrivain la partla plus méconnue de son talent,celle, la plus paradoxale, qui de-vait contenir le nœud de l'œu·vre et l'aboutissement de ses rê-ves. L'énigme Mauriac semblaittoujours échapper au lecteur endépit des innombrables allusionsdu romancier ou du mémorialiste.Quel était le centre de formationde ses volutes ? Pourquoi ces pas·sions, cette œuvre? Les poèmesnous aident à y répondre. La sin-cérité du vieil homme ne pouvaitque nous y inciter puisque l'éter-nel adolescent avait choisi, plusque Gide peut.être, de se mettreréellement à nu, pour se cerneret pour être cerné. Ce n'est pointhasard si l'œuvre s'ouvrait sur unprologue en vers; si elle incar-nait dans ses romans des figuresde poètes, telles l'Augustin. de.Préséances, l'Yves du MystèreFrontenac ou le Pierre Costadotdes Chemins de la Mer pour seclore sur cet Adolescent d'Autre-fois dont la parenté imaginaireavec l'auteur n'est point fictionmais réalité de l'en.deçà.On a trop facilement négligé les

Mains jointes et f Adieu à fado-lescence. Les tâtonnements d'uneœuvre, quand sa totalité nous per-met un regard plus englobant,apparaissent souvent très signifi.catifs. Pès les premiers vers, laPécheresse préfigure les désirsdes grandes héroïnes condam·nées à se contenter du péché oudu rêve. Sans cesse elle imagine«que sur sa chair, la chair deslèvres aimées s'écrase pour sefondre ainsi qu'un fruit vivant. »L'Immuable côtoie l'obsession

de l'Inconnu et fIllusion de la viequi se perd dans les Sables et l'in·tériorité. Mauriac affirmera tou·jours ce 'côté de fidélité et de

qui procède de l'en·racinement au cœur de la vie ter·rienne, en même temps qu'il in·sistera sur le caractère dérisoirede notre incarnation éphémère.Besoin d'éternité côtoyant lenéant dans une affectivité trouble,la tristesse d'un enfant reclus se

déverse dans le souvenir qui éli·mine peu à peu toute possibilitéd'authentique présence humaineau profit d'un imaginaire et d'unevie spirituelle mal médiatisée.

Les anges noirs

Tes pas se perdent. Le silenceEst doux après ton aigre voix.o volupté de ton absence!

J'aime bien mieux que testristesses

Le souvenir que tu me laissesQuand je ne suis plus près de toi.

Ah! comme }e t'aimerais morte!Tu fais fuir avec ton sourireCe que .mon rêve t'a prêté,

Avec ton sourire fardéEt les mots qu'il ne faut pas dire.

Ce poème de 1909 priviléll;ie dé·jà le souvenir et le passé que peutmagnifier l'imaginaire au détri·ment de la réalité: il annonce laconceptualisation de ces tendan·ces dans le thème de l'incommu·nicabilité des êtres de l'amourhumain, comme le penchant aumeurtre sexuel qui éclate, pour neciter qu'un titre, dans les An-ges noirs, et se retrouve encoredans cet Adolescent d'autrefoisdont on a rarement percu la vé-ritable Le viol et lemeurtre du, Pou dans cette œu-vre ne sont pas un «deus ex ma·china ». ns relèvent d'une sexua-lité quelque peu voveuriste etdestructrice - qui s'accomplitpar intermédiaire, obtenant ainsila possibilité de .iouir sans êtresoi·même atteint - tandis quel'assassinat permet également l'in·tériorisation de l'âme du Pou,opération qui atténue la blessurede la présence. Alain-Mauriacpeut idéaliser et se laisser empor-ter flans ses ..êves. n peut aimerd'un plU amOllI' auquel ne se mê··le plus la cbair présentée ici sousl'aspect répugnant d'une fille laide.L'ombre dp. ]a mère qui hante

J'Adolescent d'autrefois plane surses premiers vers. Mauriac a reçud'elle la substance vivante suscep-tible de l'accorder à la vie maisaussi, hélas, la loi et la parole,traditionnellement réservées aupère. Cette relation dueIle accen·tuée pèsera lourdement sur ledestin du poète obsédé par ununivers fusionnaire qu'il projetteen Dieu faute de l'accomplir par·

mi les hommes. Le Dieu de Mau-riac est un dieu affectif destinénotamment à combler les brisu·l'es de l'enfance, mais imposé parelle comme un des éléments es-sentiels qui ont nourri son passé.Désireux de retrouver le paradisperdu, il doit en retrouver lacomposante religieuse qui en estla clé de voûte et le fondement,sans jamais pouvoir l'assumerdans une réelle indépendance.Aussi est·il contraint de l'assimi·1er à une aura diffuse nomméetendresse ou grâce. Chrétien ob-sédé par la pureté morale réduiteà la chair, Mauriac recherche enJésus l'Ami capable de comblerle manque affectif qui l'occupe,capable de consoler l'enfant de

morts intimes et des mortsqu'il a aimés. Le climat de lan-gueur de ses premiers poèmespermet de s'y baigner à loisir.Mauriac se condamne à la solitu-de créatrice du mal aimé, au cul·te du moi, à la sensiblerie descorrespondances, à l'obsession d'unpur ampur qui n'est que désirtandis qu'un catholicisme d'am·biance colore d'élans une situa-tion narcissique enfermée. Enfait ce climat des Mains jointesn'est qu'un aboutissement, un voi·le pudique qui recouvre un dra-me caché au cœur duquel lasexualité brimée ne peut s'accom·plir qu'en ses palliatifs. L'Enfantchargé de chaînes, parce qu'il arefusé de les rompre pour éviterla révolte qui eût radié le Dieude son enfance, se condamne àune attitude anémiée qui accep-te les structures traditionnelles enles contestant dans le secret deson âme culpabilisée.Ce visage mûri par l'âge don·

nera le contestataire vibrant, lepolémiste vif, demeuré cependantfidèle au sillon qui le porta.Les 28 poèmes d'Orages com·

posés entre 1912 et 1923, devaientdéchirer ce voile bien avantles plus grands romans. Le poète,sollicité par les corps, se décou·vre sexué et se débat avec sonpassé dualiste dans lequel la chairétait condamnée, et la sexualitétransformée en tendresse ou enreligiosité. Si Mauriac désire, sondualisme lui insinue qu'il n'at-teint que les corps, non les êtres ;que le plaisir n'est qu'éphémèrealors qu'il désire l'éternel à lamanière de la durée infinie del'enfant. L'autre de l'amour n'estplus la mère protectrice mais un

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La fusion avec la femme est impossible, le Dieu père est inter-venu. C'est lui qu'il faut aimer. Les poèmes rassemblent toutes lesiInages, tous les mots signifiants que la prose allait véhiculer.

,poeteêtre autonome qui ne Be contentepa8 de répondre aux sollicitations.te Narci8Be.Et 8i le dé8ir est plu8 grand que

la pel'llOnne qu'il noue et trans-CleIlde, Mauriac refuBe 8a puis..anee trouble, non spécifiquementpel'llOnnelle, trop 8exuée. Plusd'un titre de poèmes 8'intitule

P«hé: ils traitent de l'amourphysique. De toute façon, «IIOW

tJaincw par le dégoût, cecomplice du Dieu qui IIOU& aimephu que IIOW n'aimom 110& dé·

Le processus du 80uvenirretrouve au terme de ce che-

min de feu, mais le conflit deDieu et Mammon a éclaté. Il s'in·

dans Souf/rance& du.tien, dans Imomnie, parue dansPlongées.Un volume de poche devrait

réunir ces deux textes et Oragesparce qu'ils constituent les clefsdu .drame vécu dans sa forme laplus pure, en trois registres dif·férents. La 8incérité y est abso-lue. Ou bien, à l'instar de Sartre,il liquide Dieu pour se faire parlui-même et pour lui·même, oubien, ce qui est son destin, ilretourne à l'enfance, accepteDieu, et renonce à l'amante pourlaisser paraître une image fémi·nine maternelle. L'apaisement dudésir dans la vieillesse lui ferabénir cette époque qui met unterme aux menaces qu'a connues80n moi adolescent.Les textes déconcertent notre

sensibilité. Le désir n'est que dé·sir, il n'est pas médiatisé par lafemme. Il s'accomplit dans l'im-mortel Amour.La langue est dépouillée de

tout fard ; une forme stricte l'en-serre, qui la force à ne pas nousdissoudre dans des images éphé-mères. Aussi peut-on affirmer queles poèmes de Mauriac consti-tuent son laboratoire psychique,qu'ils incarnent ses œuvres le!!plus adulte8 en tant qu'homme,mais qu'ils n'étaient pas dans le

geme de l'Âdolescent d'autre/oùd'être génial en ces expériences.Journal de bord du dépouille-ment, les poèmes Be taisent avecla résolution du drame dans lechoix du chrétien et de l'hommepolitique engagé. Outre que cesilence subit atteste que Mauriacn'est pas un tout grand poète,

l'aventure poétique n'aurait putotalement s'épanouir du fait deson affection pour Musset, en dé-pit de sa préférence pour Rim-baud et Baudelaire.Toutefois, le testameut du poè-

te demeure en ses vers. Son dra·me y est inclus. L'épopée deSang d'Âty& un peu «surfaite:t àses dires, rassemble des donnée"antérieures que la fin d'Orage&laissait pressentir. Le conflit œdi·pien y apparaît résolument. Atysn'est qu'une immense construc-tion mythique née du complexed'Œdipe vécu par le poète dan8des coordonnées très particulièreset porté à un niveau élaboré deconceptualisation poétique, inca·pable cependant de résoudre leetensions puisqu'Endymion tenteune nouvelle fois d'y échapper.Ce dernier eS8ai demeure inache-vé. Le poète hanté par un besoind'amour qui serait «sans cares-se et sans crime :t le projette avecla femme en un ultime mythepoétique. Séléné, déesse maternel·le est condamnée à aimer un jeu.ne adolescent en état de sommeil.La fusion avec la femme est im-possible, le Dieu père est inter-venu. C'est Lui qu'il faut aimer.En cet ultime élan le poète

rassemble une dernière fois tousses mythes. Les poèmes possèdentle curieux privilège d'élaborer ledrame intérieur et de rassembleren quelques vers toutes les ima·ges, tous les mots signifiants quela prose allait véhiculer dans cet·te palpation sensuelle qui est d'ungrand poète incapable de secréer en poésie.

Marc Quaghebeur

La Q!!Ïnzainc Littéraire du l or au 15 octobre 1970

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EXPOSITIONS

Art et politique

Errà: Intérieur américain n· 1

Wolf Wostell: Chewing-gum th ermoélectronique

de concentration dans lequel lespectateur muni d'une valiee mé-tallique déclenchait, par eonpassage, un fond sonore et effec·tuait eon parcours en marchantsur des couverts d'aluminium.Cette description rend mal l'ef·fet angoissant et les prolonge.ments mentaux de cette marchedans le crissement des fourchet-tes et des cuillers, écrasées parles pas des visiteurs-participants,entre deux rangées de barbelés.Vostell attaque également surtous les plans: liberté sexuelle,répression à Prague, souvenir de8bombardements à la fin de la der·nière guerre mondiale au coursdesquels les victimes furent pié.gées et brûlées dans le bitumefondu. Cette dispersion ne va passans affaiblir la force, la cohé·rence fondamentale du propos,mais elle est la rançon inévitabled'une extraordinaire puissance àcommuniquer, d'une personnalitéexceptionnelle qui cherche lescheminements d'une expressionparticulière et spontanée plutôtque l'accomplissement d'une dé·monstration.C'est la force satirique qui

éclate avant tout chez Arroyo,dans le tableau collectif contreles structuralistes de Aillaud, Bi·ras, Fanti et Rieti, chez Erro(dans la série des «Intérieursaméricains composés de deuximages contradictoires: une in·trusion d'affiches politiques chi·noises dans un chromo publici.taire pour catalogue d'ameuble-ment), chez Stenvert, qui procèdepar un agencement didactiqued'objets, chez Griitske (dans soninénarrable tableau représentant,avec leurs bonne" têtes de grands-pères, Freud, Marx et Marcuseattablés en toute simplicité au·tour de son fils, le petit JuliusGriitske), ou dans les composi.tions de Cronica où sont mises enpage, là aussi, des images contra-dictoires.Cette force satirique - corro-

sive, amère ou désinvolte -- faitplace à une tension dramatiqueimmédiatement perceptible chezAlvermann, Colin SeH, Spadari etBaratella (travail collectif) , leTchèque Sovak, Paeffgen, Cano-gar, le Grec Caniaris, manipula.teur efficace d'objets, et surtout.Genoves dont les suites narrativessur les mouvements de foules 80ntparmi les participations les plustroublantes de cette exposition.

Organisée par le Dr G. Buss·mann de juin à septembre, elledoit circuler dans les musées deWuppertal, de Francfort et à laKunsthalle de Bâle d'octobre àmars.Ce qui est intéressant dans cet·

te entreprise, c'est son caractèreobjectif, éclectique et scientifique.A la différence du Monde enQuelftion que j'avais organisé en1967 au Musée d'Art Moderne dela ville de Paris et des dernierssalons de la jeune peinture, Kumtund Politik a moins cherché àprendre position sur le fond qu'àdonner un éventail, largement ou-vert, des possibilités d'insertionde la politique dans l'art, propo-sition qui ne cesse dès qu'onl'aborde de provoquer un certainmalaise depuis les excès désas·treux du réalisme socialiste.On s'est donc efforcé à Karls-

ruhe d'analyser les différents mo·des d'approche, que ceux-ci relè·vent du réalisme, de l'imageriestructurée et décomposée, de l'en·semblisme et du langage de l'ob·jet, ou du happening, de l'actionet du choix conceptuel. Cela partde la «Jeune Peinture et dcGuttuso qui montre à côté de toi·les en «lecture uneétrange et belle composition con-sacrée aux manifestations qui onteu lieu au village sicilien de Gi·bellina, non reconstruit depuisson anéantissement par un trem·blement de terre. La scène estrevêtue du mystère des nuits dela Saint.Jean, avec quelque chosede lent, de solennel et de grave,qui relève du rituel. Cela, donc,va de Guttuso au conceptualisteJ06ef Beuys dont la participationapparaît essentiellement, commeil se doit, au niveau du catalo-gue. Son apparition, avec son vi·sage fermé et dur de métis in-dien, coiffé d'un large feutre, afait partie d'un folklore sommetoute sympathique, au cours ducolloque qui a marqué le vernis-sage de l'exposition et qui réunis·sait, autour de Werner Hofman,les dirigeants du groupe Tenden-zen dc Munich (Richard Hiepe),R. Kudicka, D. Schmidt, etl'homme orchestre WoH Vostell.Ce dernier a agi sur tous les

plans à la fois : peinture réalisteet symboliste, imagerie emprun-tée aux documents d'histoire etd"actualité, schéma conceptueldans le catalogue, organisationdans le musée d'un pseudo-camp

sition Kunst und Politlk t pré-sentée par la Kunstverein deKarlsruhe, a été pour beau-coup une manière de révé-lation.

Dans cette République Fé-dérale Allemande où le mar-ché et les entreprises desmusées semblent voués auxséquelles du Pop américainet du post-cinétisme, l'expo-

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Naïfs d'Haïti

La Q!!ilazainc Littéraire du 1er au 15 oaobre 1970

Hyppolyte Hector: Pin-up de Haïti

Le pouvoir de l'image chez Ran·cillac ou chez BayrIe passe parune analyse de sa structure et,chez Monory, par un écran oniri·que où les conflits subjectifs trou-vent lentement des solutions géné.raIes, tandis que l'objet utilisépar Caniaris, par Breuste Peter-sen, par Stenvert et par Vostelldevient un élément efficace duvocabulaire plastique.Dans cet ensemble, les Anglo-

Saxons se sont tenus un peu enmarge: l'œuvre magistrale deKienholz, The Portable War Me-morial, annoncée dans le catalo-gue, n'avait pu malheureusementêtre mise en place, mais les sériegraphies de Warhol sur l'assas-sinat du président Kennedy, lescollages de Tilson sur Martin Lu-ther King, Che Guevara, Ma]·colm X, très intéressants par lalogique de la mise en page, de-meuraient, les uns et les autres,un ton en dessous.Télémaque était un invIte un

peu paradoxal dans cette exposi.tion, avec sa grande et belle toileOne of 56000 marines, qui avaitété montrée la première fois àParis en 1965 à Figuration narra·tive dans rart contemporain, et àlaquelle il s'est refusé par la suitede donner une signification poli-tique, malgré l'évidence de lalecture que l'on peut en faire(l'intervention des U.S.A. à Saint-Domingne). Mais il est bonqu'une exposition qui montraittant d'œuvres univoques, netteset péremptoires et qui comportaitune abondante et._sélection d'affiches, de cartes pos-tales et de sérigraphies, parmilesquelles les variations sur lerouge de Fromanger (que l'onvient de voir galerie Bama), etl'ensemble édité par Cueco à l'oc-casion de son exposition à l'Arc,abordât certaines marges d'ambi·guïté, car l'ambiguïté appartientà la nature même de l'image etaux fausses certitudes du visuel.Tous ceux qui jouent à renver-

ser les signes, à déconnecter lesens ordinaire des spectacles, àintroduire un pouvoir subversifdans le jeu des clichés, témoi-gnent à leur manière du caracotère illimité du champ de signi-fication de ces images.

Gérald Gassiot·Talabot(1) Kunst und PoUtilt. Un catalo-

gue 20 x 2S cm, 208 pages, nombreu-ses illustrations en noir. En langueallemande. Badischer Kunstverein,Karlsruhe.

Le récit de la vie quotidienned'un pays requiert, entre autresexigences, la vigilance de laperception. Mais cette vigilancen'est pas seulement descriptive,elle contribue aussi bien à mor-celer qu'à fonder.Quoi d'étonnant, alors, que la

tendance dite «naïve de la peineture haïtienne, longtemps ensor-celée par le tourisme, se remetteà défaire si résolument un aspectfondamental du langage picturalconventionnel ?Depuis le 25 lum dernier se

tient à Laval une exposition (1)de peintres naïfs haïtiens. D'unebrèche, d'une fissure, d'un man·que on a fait un regard, et, pourla preInière fois, l'affranchisse·ment que procure cette ouverturen'a pas été assimilé, intégré à unsystème de représentation, auxcoordonnées d'un ancêtre occiden-tal. C'est que le monde a changéet qu'il s'institue entre les diffé-rents points du globe de nou-veaux rapports.Si le conservateur du musée de

Laval (2) s'est tourné vers nospeintres, a décidé de lcs montrerau public français, d'instaurer unvéritable dialogue entre eux etson pays, il faut y voir plus qu'unsigne.L'un des «naïfs» haïtiens, Gé-

rard Valein, dont un tableau estexposé à Laval nous fournirapeut-être un rudiment de réponse.Certes, Gérard Valein vient d'êtreprimé au concours de Zagreb enjuillet 70 dans le cadre de l'Expo-sition Internationale d'Art Naïf(3), certes, il a une maîtrise dela couleur et de la composition,une puissance inventive qui fas·cinent d'emblée, mais cela n'éclai·re ni les raisons de son entrepriseni nos recherches. Après des tourset des détours, quand nous es-sayons de saisir l'art de ce peintre,nous nous trouvons devant dessurfaces, des contours, des cou-leurs, des rythmes qui gardentrésolument un secret. Intentions,motifs, prétextes, sujets ne prê·tent à aucun commentaire. Plus,ils voilent la clarté captivante dutableau. Dès lors par quels moyensce peintre a-t-il pu ménager en-tre ses lecteurs et lui ce vocabu-laire, cet échange, cette articula-tion et cette sorte d'explication?Il semble qu'une stricte obéis-sance à la poussée débordante duréel, au lever rayonnant de lavérité aient comblé en retour le

créateur d'un élan, d'un éclat vé-ritablement enivrants. Peu préoc-cupé d'esthétisme, d'intellectua-lisme et de conventions, il s'en-gage tout entier à faire surgir dusein du peuple haïtien, si malléa-ble, les résonances authentiquesqui font réfléchir. Si des accidentsde style propres aux naïfs tra·versent son œuvre, ce serait uneerreur d'en profiter pour lier sonsort au destin d'une «école ». Ac-cabler la quête d'un chercheurde tout le poids d'une étiquette,quand lui-même se réserve despossibilités d'ouverture, ne peromet surtout· pas de le compren-dre.L'éloquence plastique de Valein

dépasse la simple représentation.Ses descriptions riches, minutieu·ses, vivantes, mais souvent mélan-coliques essaient toujours de cap-ter le mouvement. Sa façon detraiter la nature et la société tra-duit un besoin de recueillementet aussi de vie collective intense.Même ses paysages sont de grands

reposoirs. Le milieu haïtien,biance socio-culturelle n'ont pasmanqué d'imprégner le pinceaudu peintre. Des foules toujourscompactes redisent peut-être sespreInières expériences. Il a dûprendre très jeune la nécessité debriser les écrans dede demeurer au contact des ma&-ses, puisqu'il avait neuf ans (4)au moment de la désoccupatioomilitaire d'Haïti. Plus qu'une re-présentation servile, plu8 queplication d'une technique, lapeinture de Valein est une œuvre,une création. Et son enracine-ment est en Haïti, dans les ruesdes villes, à la campagne, prèsdes autels du Vaudou. Richessed'inspiration, tenue picturale, in-quiétude 8pirituelle, préoccupa-tions socio-culturelles, voilà ceque l'on ressent devant l'écriture·de Valcio.La générosité de l'auteur et soo

tempérament organisent - et ce-la a certainement trompé· desamateurs - occasionnellement un

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Haitl

délall8ement pour les sens. Oncroit parfois entendre en regar·dant: le coq qui va être égorgéau COUJ'll d'une cérémonie reli-peuse est suggéré jusque dans sonchant, et le caquètement de lapoule qui sera •sacrifiée est aussiperçu. Cette faculté n'est pas lefait d'une improvisation. Elle sup-pose une émotion, une sensibilité,une énergie, un pouvoir propre-ment créateurs. Pouvoir de sur·prendre dans un même geste lachose et son sens, de saisir lemonde, de créer une présence. Lecontenu social et spirituel de sestableaux devrait corriger un cer-tain enthousiasme infantile pourles c naïfs haïtiens ou contenirun murmure· d'hostilité déguiséeenvers eux.Toute la peinture haïtienne,

c l'école naïve comme l'autretendance qui en diffère totale-ment témoigne et, à nos yeux,mérite de ce fait, notre respect.Plus, ces deux grandes «écolesont dépassé le stade du simple té-moignage pour établir, par delàla palette, un dialogue silencieuxavec le monde, la seule façond'agir véritablement. C'est à lafois l'acquis et le pensé du peuplehaïtien qui sont capturés et por-tés au jour et délivrés par cesartistes.Est-il besoin de souligner que le

phénomène «naïf n'est pas une

Bottex: La dernière Cène

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régression en Haïti? Même sion pouvait l'insérer dans une lon-gue tradition caraïbéenne, luitrouver des antécéd,ents sembla-bles, établir qu'il ne s'agit qued'une répétition, il resterait àprouver son non-sena, son excen-tration par rapport à l'histoire,son caractère de «corps étran-ger Mais un long et lent travailde création a instruit ces «naïfs :.et engendré à l'intérieur de leur« cadre :. de grands changements,de grandes métamorphoses. Lavérité qui se réveille sous leurpinceau, l'horizon que leur ta-bleau déploie sous nos yeux, tou-te la nappe du quotidien qu'ilsremuent, tout cet espace socio-culturel qu'ils décrivent, repren-nent, reconstituent et diffusent,tout cela a pour fonction de ré-tablir la continuité de l'histoirede notre pays, le sens de l'entre-prise de Toussaint Louverture, del'Empereur Dessalines, du RoiChristophe. Et notre problèmeest de protéger cette peinture desembûches du tourisme, comme ilconvient de le faire pour le Vau-dou.

(1) Cette exposition est aujourd'huivisible à Paris (Galerie Mona Lisa,32, rue de Varenne, 7") •(2) Jean-Pierre Bouvet.(3) Le catalogue publié en serbo-

croate est intitulé: Naivni 70.(4) Valcin est né en 1925. L'occupa-

tion m1l1taire d'Haïti par les Améri-cains a duré de 1915 à 1934.

INEDIT

Gilles Deleuze publie. auxPre s ses Universitaires deFrance, une édition revue etcomplétée d'un livre· fort re-marqué il y a quelques an-nées: Proust et les signes.Nous sommes heureux dedonner ci-dessous de largesextraits d'un chapitre inédit.

La Recherche est bien produc.tion de la vérité cherchée. Encoreo'y a-t-il pas la vérité, mais desordres de vérité comme des or-dres de production. Et il ne suf-fit même pas de dire qu'il y ades vérités du temps retrouvé etdes vérités du temps perdu. Carla grande systématisation finaledistingue, non pas deux ordres devérité, mais troÏ3. Il est vrai quele premier ordre semble bien con-cerner le temps retrouvé, puis-qu'il englobe tous les cas de ré-miniscences natWlClles et d'C88en-ces esthétiques ; et que le deuxiè-me et troisième ordres semblentse confondre dans le flux dutemps perdu, et produire.des vé-rités seulement secondaires quisont dites tantôttantôt «sertir:. ou «cimentercelles du premier ordre. Pour·tant la détermination des matiè-res et le mouvement du textenous forcent à distinguer les troisordres. Le premier ordre qui seprésente se définit par les rémi·niscences et essences, c'est-à-direpar le plus singulier, et par la pro-duction du temps retrouvé quileur correspond, par les condi-tions et les agents de cette pro-duction (signes naturels et artis-tiques). Le deuxième ordre neconcerne pas moins l'art et l'œu·ne d'art; mais il groupe les plai-sirs et les douleurs qui n'ont pasleur plénitude en eux.mêmes, quirenvoient à autre chose, même sicette autre chose et sa finalité res-tent inaperçus, signes mondainset signes amoureux, bref tout cequi obéit à des lois générales etintervient dans la production dutemps perdu (car le temps perdu,lui aussi, est affaire de produc-tion). Le troisième ordre enfinconcerne toujours l'art, mais sedéfinit par l'universelle altération,la mort et l'idée de la mort, laproduction de catastrophe (signesde vieillissement, de maladie, demort). Quant au mouvement dutexte, ce n'est pas du tout de lamême façon que les vérités du

deuxième ordre viennent &eCOD-der ou c enchâsser celles dlJpremier ordre en leur donnautune sorte de correspondant, depreuve a contrario dans un autredomaine de production, et quecelles du troisième ordre vie..nent sans doute «sertir et «ci-menter celles du premier, mais.en leur opposant une véritable« objection qui devra être «sur-montée entre ces deux ordres·de production.Tout le problème est dans la

nature de ces trois ordres. Si 1IO\J8.ne suivons pas l'ordre de présen-·tation du temps retrouvé, quidonne nécC88airement le primat àcelui-ci du point de vue de l'expo-sé final, nous devons considérercomme ordre primaire lesleurs et les plaisirs non pleins, àfinalité indéterminée, obéissant àdes lois générales. Or, bizarre-ment, Proust groupe ici les v.leurs de mondanité avec leUJ'll'plaisirs frivoles, les val e urs·d'amour avec leurs sou1lranee&,et même les valeurs de soJJUDei)avec leurs rêves. Dans la «voca-tion d'un homme de lettres,elles constituent toutes un «ap-

c'est-à-dire la fami-liarité avec une matière brutequ'on ne reconnaîtra que paraprès dans le produit fini. Sansdoute ce sont des signes extrême-ment différents, notamment Jes.signes mondains et les signes del'amour, mais nous avons vu queleur point commun était dans lafaculté qui les interprétait -telligence, mais une intelligencequi vient après au lieu de veniravant, forcée par la contrainte dusigne. Et dans le sens qui corres-pond à ces signes: toujours ODeloi générale, que cette loi soitcelle d'un groupe comme dans lamondanité, ou celle d'une séried'êtres a i m é s c 0 m m e dansl'amour. Mais il ne s'agit encoreque de re88emblances grossières.Si nous considérons de plus pmcette première espèce de machine,nous voyons qu'elle se définitavant tout par une productiond'objets partiels tels qu'ils ont étédéfinis précédemment, fragmentssans totalité, parties morcelées,vases sans communication, scènescloisonnées. Bien plus, s'il y atoujours une loi générale, c'estau sens particulier que la loiprend chez Proust, ne rassem·blant pas en un tout, mais aucontraire réglant les distances, les

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Proust et les signes

I.a Cl!!inzaioe l.ittéraire du 1"' au 15 octobre 1970

éloignements, les cloisonnements.Si les rêves du sommeil apparais-sent dans ce groupe, c'est parleur capacité de télescoper desfragments, de faire rouler des uni-vers différents et de franchir, sansles annuler, les «distances énor·mes.. Les personnes dont nousrêvons perdent leur caractère glo-bal et sont traitées comme desobjets partiels, soit qu'une partied'elles soit prélevée par notre rê·ve, soit qu'elles fonctionnent toutentières comme de tels objets. Orc'était bien ce que nous offrait lematériau mondain : la possibilitéde prélever, comme dans un rêvefrivole, un mouvement d'épaulessur une personne et un mouve-ment de cou sur une autre, nonpas pour les totaliser, mais pourles cloisonner l'un à l'autre. Aplus forte raison le matériauamoureux, où chacun des êtresaimés fonctionne comme objetpartiel, « reflet fragmentaire.d'une divinité dont on aperçoitsous la personne globale les sexescloisonnés. Bref, l'idée de loi gé.nérale chez Proust est insépara·ble de la production des objetspartiels, et de la production desvérités de groupe ou des véritésde série correspondantes.Le second type de machine pro·

duit des résonances, des effets derésonance. Les plus célèbres sontceux de la mémoire involontaire,qui font résonner deux moments,un actuel et un ancien. Mais ledésir a lui-même des effets de ré-sonance (ainsi les clochers de Mar-tioville ne sont pas un cas de ré-miniscence) . Plus encore, l'art,produit des résonances qui nesont pas de la mémoire: «Desimpressions obscures avaient quel-quefois... sollicité ma pemée à lafaçon de ces réminiscences, maisqui cachaient non une sensationd'autrefois, mais une vérité nou-velle, une image précieuse que jecherchais à découvrir par des ef-fom du même genre que ceuxqu'on fait pour se rappeler quel-que chose.» C'est que l'art faitrésonner deux objets lointainsc par le lien indescriptible d'unealliance de mots ». On ne croirapas que ce nouvel ordre de pro-duction suppose la productionprécédente des objets partiels, ets'établisse à partir d'eux; ce se-rait fausser le rapport entre lesdeux ordres, qui n'est pas de fon-dation. Le rapport est plutôtcomme entre des temps pleins et

des temps vides, ou bien, dupoint de vue du produit, des vé-rités du temps retrouvé et des vé-rités du temps perdu. L'ordre dela résonance se distingue par lesfacultés d'extraction ou d'inter·prétation qu'il met en jeu, et parla qualité de son produit qui estaussi bien mode de production :non plus une loi générale, degroupe ou de série, mais une es·sence singulière, essence locale oulocalisante dans le cas des signesde réminiscence, essence indivi·duante dans le cas des signes der art. La résonance ne repose passur des morceaux qui lui seraientfournis par les objets partiels;elle ne totalise pas des morceauxqui lui viendraient d'ailleurs. Elleextrait elle-même ses propresmorceaux, et les fait réllonnersuivant leur finalité propre, maisne les totalise pas puisqu'il s'agittoujours d'un «corps à corps.,d'une «lutte. ou d'un «com-bat.. Et ce qui est produit parle processus de résonance, dansla machine à résonner, c'est l'es·sence singulière, le Point de vuesupérieur aux deux moments quirésonnent, en rupture avec lachaîne associative qui va de l'unà l'autre: Combray dans son es-sence, tel qu'il ne fut pas vécu;Combray comme Point de vue,tel qu'il ne fut jamais vu.Nous avons constaté précédem.

ment que le temps perdu et letemps retrouvé avaient une mê-me structure de morcellement oude fragmentation. Ce n'est pas làqu'ils se distinguent. Il serait aussifaux de présenter le temps perducomme improductif dans son or-dre, que de présenter le tempsretrouvé comme totalisant dans lesien. Il y a là au contraire deuxprocessus de production complé-mentaires, chacun défini par lesmorceaux qu'il fragmente, sonrégime et ses produits, le tempsplein ou le temps vide qui l'ha·bite. C'est même pourquoi Proustne voit pas d'opposition entre lei!deux, mais définit la productiondes objets partiels comme secon·dant et enchâssant celle des ré-sonances. Ainsi la «vocation» del'homme de lettres n'est pas seu-lement faite de l'apprentissage oude la finalité indéterminée (tempsvide), mais de l'extase ou du butfinal (temps plein).Ce qui est nouveau chez Proust,

ce qui fait l'éternel succès etl'éternelle signification de la ma·

Proust en 1902

deleine, ce n'est pas la simpleexistence de ces extases ou de cesinstants privilégiés. De tels ins-tants, la littérature en fournitd'innombrables exemples. Ce n'estpas non plus seulement la maniè-re originale dont Proust les pré-sente et les analyse dans son styleà lui. C'est plutôt le fait qu'il lesproduit, et que ces instaule de·viennent l'effet d'une machine lit·téraire. D'où la multiplicationdes résonances à la fin de la Re·cherche, chez Mme de Guennan-tes, comme si la machine décou-vrait son plein régime. Il nes'agit plus d'une expérience extra-littéraire que l'homme de lettresrapporte ou dont il profite, maisd'une expérimentation artistiqueproduite par la littérature, d'uneffet de littérature, au sens où

l'on parle d'un effet électrique,électro-magnétique, etc. C'est lecas où jamais de dire : cela fonc-tionne. Que l'art soit une machineil produire, et notamment à pro-duire des effets, Proust en a laplus vive conscience. Des effetssur les autres, puisque les lec-teurs ou spectateurs se mettrontà découvrir, en eux·mêmes ethors d'eux, des effets analoguesà ceux que l'œuvre d'art a suproduire. «Des femmes passentdans la rue, différentes de cellesd'autrefois, puisque ce sont desRenoir, ces Renoir où nous nousrefusions jadis à voir des femmes.Les voitures aussi sont des Re-noir, et l'eau et le ciel. • C'est ence sens que Proust dit que sespropres livres sont des lunettes,un instrument d'optique. Et il n'y

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Proust

a que quelques imbéciles pourtrouver bête d'avoir éprouvéaprès la lecture de Proust desphénomènes analogues aux réso-nances qu'il décrit. Il n'y a quequelques pédants pour se deman-der si ce sont des cas de paramné-sie, d'ecmésie, d'hypermnésie,alors que l'originalité de Proustest d'avoir taillé dans ce domaine

un découpage et unemécanique qui n'existaient pasannt lui. Mais il ne s'agit passeulement d'effets produits surles autres. C' rœuvre d'art quiproduit en. elle-même et sur elle-même propre! effets. et s'enremplit. s'en. nourrit: elle senourrit des vérités qu'elle engen-dre.Il faut bien s'entendre: ce qui

est produit, ce n'est pas simple-ment l'interprétation que Proustdonne de ces phénomènes de ré-sonance (<< la recherche des cau-ses Ou plutôt c'est tout le phé-nomène lui-même qui est inter-prétation. Bien sûr, il y a un as-pect objectü du phénomène;l'aspect objectif, par exemple,c'est la saveur de la madeleinecomme qualité commune auxdeux moments. Bien sûr aussi, ily a un aspect subjectif: la chaineusociative qui lie tout le Com-bray vécu à cette saveur. Mais sila résonance a ainsi des condi-tions objectives et subjectives, cequ'elle produit est d'une tout au-

o tre nature, l'Essence, l'Equiva-. lent spirituel, puisque c'est ceCombray qui ne fut jamais vu,et qui est en rupture avec lachaine subjective. Ce pourquoiproduire est autre chose que dé-couvrir et créer ; et toute la Re-cherche se détourne successive-ment de l'observation des choseset de l'imagination subjective. Orplus la Recherche opère ce dou-ble renoncement, cette doubleépuration, d'autant plus le narra-teur s'aperçoit que non seule-ment la résonance est productriced'un effet esthétique, mais qu'ellepeut être elle-même produite,qu'elle peut être elle-même uneffet artistique.Et sans doute c'est cela que le

narrateur ne savait pas dès le dé-but. Mais toute la Recherche im-plique un certain débat entrel'art et la vie, une question deleurs rapporta qui ne recevra deréponse qu'à la fin du livre (etqui recevra sa réponse précisé-ment dans la découverte que l'art

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n'est pas seulement découvreurou créateur, mais producteur).Dans le courant de la Recherche,si la résonance comme extase ap-parait bien comme le but final dela vie, on ne voit pas bien ceque l'art peut y ajouter, et le nar-rateur éprouve sur l'art le8 plusgrands doutes. Alors la résonanceapparait comme productrice d'uncertain effet, mais dans des condi-tions naturelles données, objecti-ves et subjectives, et à travers lamachine inconsciente de la mé-moire involontaire. Mais, à la fin,on voit ce que l'art est capabled'ajouter à la nature: il produitdes résonances elles-mêmes, par-ce que le style fait résonner deuxobjets quelconques et en dégageune «image substi-tuant aux' conditions déterminéesd'un. produit naturel inconscientles libres conditions d'une pro-duction. artistique. Dès lors l'artapparait pour ce qu'il est, le butfinal de la vie, que la vie ne peutpas réaliser par elle-même ; et lamémoire involontaire, n'utilisantque des résonances données, n'estplus qu'un commencement d'artdans la vie, une première étape.La Nature ou la vie, encore troplourdes, ont trouvé dans l'art leuréquivalent spirituel. Même la mé-moire involontaire a trouvé sonéquivalent spirituel, pure.produite et productrice.Tout l'intérêt se déplace donc

des instants naturels privilégiés àla machine artistique capable deles produire ou reproduire, de lesmultiplier: le Livre. A cet égard,nous ne voyons de comparaisonpossible qu'avec Joyce et sa ma-chine à épiphanies. Car Joyceaussi commence par chercher lesecret des épiphanies du côté del'objet, dans des contenus signi-fiants ou des significations idéales,puis dans l'expérience subjectived'un esthète. C'est seulement lors-que les contenus signifiants et lessignifications idéales se sont effon-drés au profit d'une multiplicitéde fragments et de chaos, maisaussi les formes subjectives auprofit d'un impersonnel chaotiqueet multiple, que l'œuvre d'artprend tout son sens, c'est-à-direexactement tous les sens qu'onveut d'après son fonctionnement- l'essentiel étant qu'elle fonc-tionne, soyez-en sûrs. Alors l'ar-tiste, et le lecteur à sa suite, estcelui qui «disentangles et «re-embodies :t : faisant résonner

deux objets, il produit l'épipha-nie, dégageant l'image précieusedes conditions naturelles qui ladéterminent pour la réincarnerdans les conditions artistiquesélues. «Signifiant et signifié fu-sionnent par un court-circuit poé-tiquement nécessaire, mais onto-logiquement gratuit et imprévu.Le langage chiffré ne se réfèrepas à un cosmos objectif, exté-rieur à l'œuvre; sa compréhen-sion n'a de valeur qu'à l'intérieurde l'œuvre et se trouve condition-née par .la structure de celle-ci.L'œuvre en tant que Tout pro-pose de nouvelles conventionslinguistiques auxquelles elle sesoumet et devient elle-même laclef de son propre chiffre (l).Bien plus, l'œuvre n'est un tout,et, en un sens nouveau, qu'en ver-tu de ces nouvelles conventionslinguistiques.Reste le troisième ordre prous-

tien, celui de l'altération et de lamort universelles. Le salon deMme de Guermantes, avec le vieil-lissement de ses hôtes, nous faitassister à la distorsion des mor-ceaux de visage, à la fragmenta-tion des gestes, à l'incoordinationdes muscles, aux changements decouleur, à la formation des mous-ses, lichens, taches huileuses surles corps, sublimes travestis, su-blimes gagas. Partout l'approchede la mort, le sentiment de laprésence d'une «terrible chose:t,l'impression d'une fin dernière oumême d'une catastrophe finalesur un monde déclassé qui n'estpas seulement régi par l'oubli,mais rongé par le temps (<< déten-dus ou brisés, les ressorts de lamachine refoulante ne fonction-naient plus :t...).Or, ce dernier ordre pose d'au-

tant plus de problèmes qu'il sem-ble s'insérer dans les deux au-tres. Sous les extases, n'y avait-ilpas déjà vigilante l'idée de lamort, et le glissement de l'ancien,moment s'éloignant à toute vi-tesse? Ainsi quand le narrateurse penchait pour déboutonner sabottine, tout commençait exacte-ment comme dans l'extase, l'actuelmoment résonnait avec l'ancien,faisant revivre la grand-mère entrain de se pencher ; mais la joieavait fait place à une insuppor-table angoisse, l'accouplementdes deux moments s'était défaitau profit d'une fuite éperdue del'ancien, dans une certitude demort et de néant. De même, la

succession des moi distincts dansles amours, ou même dans cha-que amour, contenait déjà unelongue théorie des suicides et desmorta. Pourtant, alors que lesdeux premiers ordres ne posaientpas de problème particulier deleur conciliation, bien que l'unreprésentât le temps vide et l'au-tre, le temps plein, l'un, le tempsperdu, et l'autre, le temps retrou-vé, il y a maintenant au con-traire une conciliation à trouver,une contradiction à surmonterentre ce troisième ordre et lesdeux autres (ce pourquoi Proustparle ici de «la plus grave desobjections:t contre l'on entre-prise). C'est que les objets et lesmoi partiels du premier ordreportent la mort les uns contreles autres, les uns par rapport auxautres, chacun restant indifférentà la mort de l'autre: ils ne déga-gent donc pas encore ridée de lamort comme baignant uniformé-ment tous les morceaux, les en-trainant vers une fin dernièreuniverselle. A plus forte raisonse manifeste une « contradic-tion:t entre la survivance dudeuxième ordre et le néant dutroisième; entre «la fixité dusouvenir:t et «l'altération desêtres:t, entre le but final extati-que et la fin dernière catastro-phique. Contradiction qui n'estpas résolue dans le souvenir dela grand-mère, mais qui réclamed'autant plus un approfondisse-ment: «Cette impression doulou-reuse et actuellement incompré-hensible, je savais non certes passi j'en dégagerais un peu de vé-rité un jour, mais que si, ce peude vérité, je pouvais jamaisl'extraire, ce ne pourrait être qued'elle, si particulière, si sponta-née, qui n'avait été ni tracée parmon intelligence, ni atténuée parma pusillanimité, mais que lamort elle-même, la brusque révé-lation de la mort, avait, commela foudre, creusée en moi, selonun graphique surnaturel et inhu-main, un double et mystérieuxsillon.:t La contradiction appa-·rait ici sous sa forme la plus ai-guë: les deux premiers· ordresétaient productifs, et c'est par làque leur conciliation ne posaitpas de problème particulier;mais le troisième, dominé parl"idée de mort, semble absolu-ment catastrophique et improduc-tü. Peut-on concevoir une machi-ne capable d'extraire quelque-

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Les "Pensées"de PascalTrois siècles defalsification

chose à partir de ce type d'im-pression douloureuse, et de pro-duire certaines vérités? Tantqu'on ne la conçoit pas, l'œuvred'art rencontre «la plus gravedes objections

En quoi consiste donc cetteidée de la mort, tout à fait ditlé-rente de l'agressivité du premierordre (un peu comme, dans lapsychanalyse, l'instinct de mortse distingue des pulsions destruc-trices partielles)? Elle consisteen un certain etlet de Temps.Deux états d'une même personneétant donnés, l'un ancien dont 00se souvient, l'autre actuel, l'im-pression de vieillissement de l'unà l'autre a pour etlet de reculerrancien «dans un pasBé plus quelointain, presque invraisembla-ble., C!>mme si des périodes géo-logiques avaient dû s'écouler. Car«dans l'appréciation du tempsécoulé, il n'y a que le premier pasqui coûte. 00 éprouve d'abordheaucoup de peine à se figurerque tant de temps ait passé, etensuite qu'il n'en ait pas passédavantage. On n'avait jamais son-gé que le XIII" siècle fût si loin,et après 00 a peine à croire qu'ilpuisse subsister encore des églisesdu XIII" siècle •. C'est ainsi quele mouvement du temps, d'unpassé au présent, se double d'unmouvement forcé cl'amplitudeplus grande, en sens inverse, quihalaie les deux moments, en ac-cuse l'écart, et repousse le passéplus loin dans le temps. C'est cesecond mouvement qui constituedans le temps un «horizon.. Ilne faut pas le confondre avecl'écho de résonance; il dilate infi-niment le temps, tandis que larésonance le contracte au maxi-mum. L'idée de la mort dès lorsest moins une coupure qu'un ef-fet de mélange ou de confusion,puisque l'amplitude du mouve-ment forcé est occupé aussi hienpar des vivaots que par des morts,tous des mourants, tous à demimorts ou courant au tomheau.Mais cette mi-mort est aussi hienstature de géants puisque, au seinde l'amplitude démesurée, onpeut décrire les hommes commedes êtres monstrueux, «occupantdans le Temps une place autre-ment considérable que celle sirestreinte qui leur est réservéedans l'espace, une place au con-traire prolongée sans mesure,puisqu'ils touchent simultané-

ment, comme des géants, ploogésdans les années, à des époquesvécues par eux, si distantes - en-tre lesquelles tant de jours sontTenus se placer dans letemps.. Voilà que, par là mê-me, nous sommes tout près derésoudre l'objection ou la contra-diction. L'idée de la mort cessed'être une «objection. pour au-tant qu'on peut la rattacher à unordre de production, donc luidonner sa place dans l'œuvred'art. Le mouvement forcé degrande amplitude est une machi-ne qui produit l'etlet de recul oul'idée de mort. Et, dans cet etlet,c'est le temps lui-même qui de-vient sensible: «Le Temps quid'habitude n'est pas visible, quipour le devenir cherche descorps et, partout où il les ren-contre, s'en empare pour montrersur eux sa lanterneécartelant les morceaux et lestraits d'un visage qui vieillit,vant sa «dimensionbIc •. Une machine du troisièmeordre vient se joindre aux deuxprécédentes, qui produit le mou-vement forcé et, par celui-ci,l'idée de mort.

Que s'est-il passé dans le sou-venir de la grand-mère? Un mou-vement forcé s'est enclenché surune résonance. L'amplitude por-teuse de l'idée de mort a balayéles instants résonants commetels. Mais la contradiction si vio-lente entre le temps retrouvé etle temps perdu se résout pourautant qu'on rattache chacun desdeux à son ordre de production.Toute la Recherche met en œu-vre trois sortes de dansla production du Livre: machi-nes à objets partiels (pulsions),machines à résonance (Eros), ma-chines à mouvement forcé (Tha-natos). Chacune produit des vé-rités, puisqu'il appartient à la vé-rité d'être produite, et d'être pro-duite comme un etlet de temps :le temps perdu, par fragmenta-tion des objets partiels ; le tempsretrouvé, par résonance ; le tempsperdu d'une autre façon, par am·plitude du mouvement forcé, cet-te perte étant alors passée dansl'œuvre et devenant la conditionde sa forme.

Gilles Deleuze

© P.U.F. éd.(1) Umberto Eco, l'Œuvre ouverte,

le Seuil éd., 231 p.

par Samuel S. de Sacy

1Pol ErnstApproches pascaliennesPréf. de Jean MesnardDuculot éd., 700 p.Gembloux (Belgique)

Voici trois siècles toutjuste - c'était en 1670 -que paraissaient les 'enséMde Pascal. Et trois siècles

";, Air:1"

Pascal, dessiné par Flandrin

aussi, .ou peu s'en faut,qu'avec les meilleures Inten-tions du monde on les fal-sifie. SI bien qu'à leur égardune des tâches de l'érudi-tion moderne a été, para-doxalement, de défaire. Unouvrage récent donne l'oce.sion de considérer cetteétrange destinée.

.... Littéraire du l or au 15 octobre 1970 21

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Pascal

Dana un ancien bouquin hon-nête, banal et di8tingué, je lÏ8ai8encore hier que la mort préma-turée de Pucal, à trente-neuf am,en 1662, avait ouvert dam notrepatrimoine national une creVU8equi ne se refermerait jamai8.Cette orai80n funèbre, propre àtoucher le8 cœun sen8ible8, n'apu de sem. Il y a autrement deforce dam le rude averti8sementde Descartes, que ce qui n'e8tpa8 arrivé doit être re.gardé com-me ayant été imp088ible ab801u-ment.Puca}, 8'il avait vécu, et à 8UP'

poser, pure hypothè8e, qu'il eûtpu mener 80n œuvre à terme, au-rait été on ne 8ait quoi - autre,en tout oa8, que celui en qui nOU8vénéron8 l'auteur des Pemées.Lesquelles n'étaient que des no-te&, jetée8 à chaud 8ur le papier,en vue d'une future, cohérente etma88ive Apologie de la religionchrétienne. Il 80ngeait vague-ment à de8 forme8 : dialogue8, let-tres; 8an8 avoir rien décidé.N'aurait-il pu dérivé du côté deMalebranche, et de ce8 ouvrage8zélé8 que le8 incrédule8 auxquelson le8 de8tine 8'empre8sent d'aban-donner aux croyant8, qui 8e con-tentent de le8 re8pecter de loin ?De cette audacieuse vigueur, de

ce8 raccourci8, de ce8 fulgura-tion8, de cet emportement poéti-que, de cette corre8pondance 8iimmédiate entre le8 ch08e8 dite8et celui qui le8 dit, de ce mé-lange 8i intime d'une âme et d'unlangage, de cette fiabilité - que8erait·il re8té? En 1662, le 8tyleLoui8 XIV achevait déjà de met-tre en place le 8Y8tème de 80nterrorisme. Il aurait bien fallucéder aux pre88iom du goût, dela 80ciété, des conseiller8; rabo-ter et polir. Jamais c notre :t Pa8-cal ne 8erait devenu le c vrai :tPascal; c notre:t Pascal nOU8 aété octroyé par un fune8te etbienheureux coup du 80rt.Les Pemées: un enfant mer·

veilleusement naturel, et parfai-tement illégitime. En 1662, lesgem de Port-Royal furent atter-rés. 118 ne virent dan8 ce qu'avaitlai88é Pa8cal qu'un fouillis de pa·peruse8. 118 ne voulaient pa8 quetout 8e perdit, et ils ne voyaientpa8 comment tirer parti de cesmatériaux informe8; peut-êtreapercevaient.ils de l'inconvenan-ce, voire quelque délire, dan8 lafougue de l'expre88ion.A la longue, ils 8e résignèrent

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à détacher tant bien que mal -et à arranger - .des morceauxmieux peignés dont ils nrent en1670 le8 Pensées de M. Pascalsur la religion et quelques autressujets. Et voilà Pascal, qui ne8'était jamais avisé d'écrire desPemées, refoulé de force parmile8 poli88eun de maxime8, sen·tence8 et réflexiom morale8. Il yresta 8i longtemp8 qu'aujourd'huimême je n'a88urerai8 pa8 qu'onl'ait tout à fait délié de cette 80-ciété, honorable certe8, maÏ8 quin'était pa8 la 8ienne.

Le mythe du planCependant, et tandi8 que les

éditiom successive8 se faisaientpeu à peu plu8 re8pectueu8e8, leséditeun mieux informés, mai8alléchés par l'excè8 invene, 8'in-géniaient à découvrir ou plutôt àinventer le plan de l'Apologie, età recluser le8 Pemées en comé-quence. Ici apparaît le mythe duplan. Pardonnez-moi 8i je VOU88emble le décrire en trait8 decaricature; mai8 je croÏ8 qu'ilfaut appuyer fort.C'e8t se repré8enter l'écrivain

comme un écolier. C'e8t imaginerqu'un écrivain, avant de rienécrire de l'ouvrage qu'il projette,commence par en dre8ser le plan ;un joli plan bien net, bien arti-culé, .bien 8ubdivisé, bien équili.bré. Chaque idée qui 8e présentedoit trouver dan8 l'organisationune place qui l'attend. La con-ception toute di8tincte de l'exé-cution, et antérieure à elle. Uneplace pour chaque chose, chaquechose à sa place. Aprè8 quoi, il8uffit de s'installer dan8 l'atelierpour procéder à la rédaction. UneperquÏ8ition au peigne fin dan8l'atelier pascalien ne devrait-ellepa8 dévoiler au juge d'imtructionle 8ecret du plan ?La préface de Port-Royal, dè8

1670, décrivait mieux la réalité:c ou Lorsqu'il lui survenait quel-ques nouvelles pemées, quelquesvues, quelques idées, ou mêmequelque tour et quelques expres-siam qu'il prévoyait lui pouvoirun jour servir pour son dessein,... il aimait mieux en mettre quel-que chose par écrit... :t (N'oubliezpas le tourment de la maladie:assiduité et continuité interdite8.)Ce que nOU8 appelom le8 Pen-sées corre8pond au premier âgede la création littéraire, où 8econfondent encore la songerie, la

méditation et les essais du lan-gage.Réflexion errante, réflexion ce-

pendant; il ne 8e pouvait pa8qu'un tel homme 8e sati8fit aujour le jour de 8e8 petites note8,san8 rêver de l'en8emble auquelelle8 le préparaient. Durant ledeuxième tien de ce 8iècle-ci,Zacharie Tourneur et Loui8 La-fuma ont démontré qu'avant demourir Pascal avait commencélui-même à mettre un peu d'or·dre dam 8es bouts de papier;que, 8ans le savoir, nOU8 aviom80U8 la main cette ébauche declu8ement ; et qu'il 8uffisait pourla connaitre de déchitlrer des in-dice8 matériel8, 8an8 recourir auxdangereu8es ingéni08ités de l'in·terprétation.Le8 vingt-8ept c lia88e8:t (ou

d088ien) qu'il avait ainsi forméesà partir de 8e8 manuscrit8 huar-deux sont aujourd'hui recomti·tuées avec un degré de vraÏ8em-blance proche, apparemment, dela certitude. Le8 texte8 y 80ntnon pa8 rangé8 par ordre, mai8plutôt di8tribué8 8elon de8 affi-nité8, certainement semible8 àPa8cal, que nous n'apercevons pa8toujoun. Entre la pulvérulencein8table de c pemée8:t 8éparée8et l'abusive rigidité de8 c plan8 :t,c'e8t un palier intermédiaire -et quelque peu oscillant.Car l'intérieur de chaque lia88e

est re8té inorganÏ8é. Le8 troi8 cinoquièmes de8 fragment8 sont res-tés incla88és. Et les ,rapports desliasses entre elles restent indéter-minés. L'intention générale neprête pas au doute, çomme l'amontré M. Jean Mesnard, l'undes plus savants et mêmetemps des plus semés de nos paFi-caliem ; mais les lignes généraleslie font que se laisser devinerdans la discontinuité, les terre8fermes ne font, îles ou. mêmcarchipels, non pas continents,qu'émerger au sein de vastes es-paces inorganisés.Telle est la contrée, c humide

encore et molle du déluge etgardant les empreintes d'ungéant, où M. Pol Ernst a établison campement d'explorateur. EnMant à 80n expédition· un pro-gramme sagement limité. Le titresemblerait annoncer une ambi.tieuse -randonnée à traven l'uni-vers .pascalien: non, il ne s'agitque des Pemées, et, parmi lesPemées, que des vingt.sept lias-ses.

Se8 sept cents grandes pages(comprenant, il est vrai, destextes) sont d'analY8f" et de co....mentaire, non d'érudition. La pru-dente modestie du mot Appro-ches donne confiance. Et en ej(et,puÏ8que maintenant nous SOOlJDe8convaincus raisonnablement qu'.chaque liasse répondait dam l'es-prit de Pascal une famille outribu d'idées, n'est-il pas légitimede revenir, liasse par lia8se, auxméthodes de l'interprétation ?Peut·être cependant arrive-t-il

à M. Pol Ernst de se lai88er en-trainer. Ainsi, non content decerner ce qu'il appelle avec jmrte88e l' c unité de pemée :t de ch.que liuse, il y cherche de su]'-croit une unité logique, en raÏ80nde laquelle il propose un clBll8e-ment détaillé, pièce par pièce.Pa8cal ne l'avait pu fait: fautede loisir, ou parce que l'expé-rience lui paraÏ8sait immaturée?Celle-ci intéresse, elle ne convaincpas; son défaut est de réduiretrop la marge d'indétermination(il est vrai qu'on me reprocherade tendre, pour ma part, à l'élar-gir trop).Les linéaments d'unearchitectureAller supposer encore un ordre

de liasse à liasse n'était ni moinstentant, ni moins risqué. Et puis,comme le suggère fort discrète·ment M. Jean Mesnard dans sacourte préface, qui eèt d'unexpert et qui est d'un maître,toute la masse des fragments nonclassés reste tenue à récart: lamettre à contribution, c'était re-tomber aussitôt dans les vieillesornières de l'arbitraire, ce dontM. Pol Ernest a eu bien rai80nde se garder, et, néanmoins,l'ignorer c'est imposer aux hypo-thèses les mieux ordonnées unelourde charge d'aléatoire.Du moins l'auteur d'Appro-

ches pascaliennes fait-il fort bienre880rtir l'outrecuidance des bon·nes gem d'autrefois qui n'hési-taient pas à se substituer à Pas-cal pour remédier à la défaillancede ce pauvre homme. l'ious pou-vons, par une lecture dévouéecomme doit être toute lecture,accéder à un univen spirituel;nous ne pouvons pas débouchersous les nobles portiques d'unearchitecture intellectuelle dont iln'a jamais existé que des linéa-ments.

Samuel S. de Sacy

Page 23: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

Une enquête de Philippe GaviLES OUVRIERS

L'EXPRESS

GUERRE -CIVILE EN IRLANDE

cc Un excellent tableau-témoignage de la classeouvrière deux ans après Mai 68».

MERCURE DE FRANCE

Prochains volumes à paraÎtre:

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Les grands problèmes d'aujourd'huiUne nouvelle collection, un nouveau style

LES ENFANTS DE FIRST STREETUne école à New Yorkpar George Denisson

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vier 1959, on assiste à la miseen place de la ye République,avec l'abdication du Parlementdevant l'émeute du Forum, lapréparation de la constitution, le-référendum et les élections légis--latives, et enfin l'accession à 1.présidence de la République.L'année qui suit. est celle del'expérimentation du nouveau ré-gime (9 janvier 1959 - 23 janvier1960) : elle s'achève sur les bar-ricades d'Alger. Viennent alorsc: les grands jours:. qui s'éten-dent jusqu'à l'ouverture de laconférence d'Evian, le 20 mai1961, et enfin c: la paix:., qui at-tend encore quatorze mois.Mais si le cadre est algéri(;n, le

contenu est beaucoup plus largepuisqu'il s'agit d'une histoire dela République gaullienne. A l'in-térieur de son découpage, P.Yiansson-Ponté avait le choix en-tre une présentation sptématique(politique intérieure, reJations in-ternationales, économie, etc.) etune présentation chronologique.Il n'a choisi ni l'une ni l'autre,préférant organiser chaque pé-riode en cinq chapitres caracté-risés chacun par une idée domi-nante, correspondant à un grou-pe d'événements. Pour ne pastomber dans l'impressionnisme etla confusion, il lui fallait maîtri-ser son sujet parfaitement - cequi ne surprendra pas chez lerédacteur en chef du Monde -et répartir les faits selon cettedémarche compréhensive. Il yétait aidé par l'unité qu'apportaitle principal acteur. La documen-tation, que l'on sent considéra-ble, est filtrée, décantée et, pouralléger le' récit, une chronologieest renvoyée à la fin du volumequi comporte en outre les résul.tats deS élections et des référen-dums, ainsi que la compositiondes gouvernements, et un indexdes noms cités (pratique hélas!trop rare dans l'édition française).Le récit témoigne d'une gran-

de sobriété en ce qui concerneles anecdotes dont on a été quel-que peu saturé par l'hagiogra-phie gaullienne. Mais des détailschoisis viennent l'arrimer (la pro-menade en barque de Khrouch-tchev et du général, chantant lesBateliers de la Yolga sur l'étang_de Rambouillet...), et la relationdes moments de crise est d'uneprécision exemplaire. Pratiqué-ment tout y est, sans tomber dans-la·sécheresse de l'énumération Di

De Gaulleet l'Algérie

La sociologie de la ye Répu-blique pourrait se caractériserpar trois traits. Les électeurs ysont nombreux, les militants par-cimonieux, et les lecteurs cu-rieux... On écrit beaucoup sur lerégime, en effet, au point quelorsqu'une nouvelle vague dechroniques politiques s'annonce,comme en cette rentrée, le moinsblasé commence à éprouver unelégère nausée: encore les aven-tures du général !Pourtant, avec fHÏ!Jtoire de la

République gaullienne de PierreYiausson-Ponté, il vaudrait mieuxdire: déjà une histoire! L'au-teur se défend certes d'avoir faitc: un travail scientifique:. et pré-cise ...qu'il ne s'agit c: ni d'une re-cherche ni d'une approche neu-

... maÏ!J d'un récitqui vÏ!Je à mettre un peu d'ordredam :.. Cette modes-tie ne va probablement pas sansquelque orgueil, dans la mesureoù le dessein de c: mettre un peud'ordre dam :. signi-fie en réalité : présenter une pre-mière synthèse de la Républiquegaullienne. Or la tâche est encorepleine d'embûches pour l'histo-rien classique qui ne dispose qued'une documentation officieuse,indiscrète et douteuse. Le termec: d'intoxe:. n'a-t-il _pas -'été - in- -venté par la ye?L'HÏ!Jtoire de la République

gaullienne est divisée en deuxparties; le premier tome quivient de paraître concerne laguerre d'Algérie, de mai 1958 àjuillet 1962, tandis que le secondvolume ira jusqu'au référendumdu 27 avril 1969. L'articulationcorrespond en effet à la césureessentielle du régime qui est néde la crise algérienne, mais quia eu l'ambition d'être tout autrechose qu'un phénomène conjonc.turel et qui s'est profondémenttransformé ensuite.L'auteur disposait ainsi d'un fil

conducteur pour présenter lescinquante mois qui suivirent leretour du général jusqu'à la paix.Il a découpé cette première pha-se en quatre périodes qui corres-pondent aux étapes du règlementalgérien: du 13 mai 1958 au 8 jan-

1Pierre Yiansson-PontéHÏ!Jtoire de la RépubliquegaullienneTome 1 : La fin d'une époqueFayard éd., 578 p.

La Uttéraire du 1'" au 15 1970

Page 24: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

De Gaulle En

43 rue du ·rem"I.... Paril 4.c.c.r. 15.SH.53 Paris

La QuinzaineHu....lre

Sous le titre Varia Linguistiea,les éditions Ducros, à Bordeaux,rassemblent en un volume destextes de Maupertuis, Turgot,Condillac, Du Marsais, AdamSmith relatifs au langage. On yvoit s'élahorer une c linguisti-que qui commence à prendre,en ce XVIIIe siècle, une allure« et on comprendpeut-être mieux le hut que s'étaitdonné Rousseau dans son Essaisur rorigine des langues. On yvoit surtout, précise Michèle Du-chet dans sa préface, «les limitesde la métaphysique expérimen-tale qui 6Cmble préoccuper tousles auteurs du XVIII"(Textes rassemhlés et annotés parCharles Porset, notices hihliogra-phiques, 356 p.)

L'hermétisme àla portée de tous

René Alleau, dont la réputa-tion n'est plus à faire en matièrede «sciences secrètes », inaugureune « Bibliotheca Hermeticadont Denoël assure la diffusion.Il compte y publier «les chefs-d'œuvre de l'hermétisme », ou-vrages généralement introuva-bles qui traitent d'alchimie, d'as-trologie et de magie. Premiers ti-tres: le Livre des figures hiéro-glyphiques de Nicolas Flamel(avec une étude historique d'Eu-gène Canseliet, 234 p., 29 F) ,rAlchimie et les alchimistes deLouis Figuier (première édition:1854) qui donne des reproduc-tions de pièces fabriquées à l'aidede l'or alchimique (?) (408 p.,36 F), la Magie et rastrologie,d'Alfred Maury (publié en 1860par l'auteur de le Sommeil et lesRêves) (432 p., 38 F). René Al-leau s'élève contre le qualificatifde «fausses sciences» donné auxdomaines dont il s'occupe et con-teste qu'elles aient été à l'originede nos sciences expérimentales. Ilpréfère les rattacher à « un savoirtraditionnel »... «dont la valeurpoétique nous dispense d'une cri-tique scientifique arhitraire etinadéquate... ». Voici donc, quil'eût dit? l'hermétisme à la por-tée de tous.

Linguistes du XVIIIe

Julliard réédite rAssassinat deTrotsky, de Julian Gorkin, quiavait paru aux éditions SELF peuaprès la guerre, et qui portait lenom d'un co-auteur: le chef dela police de Mexico. Julian Gor-kin avait eu en effet à sa dispo-sition des centaines de pièces offi-cielles ayant servi au procès del'assassin, Jacques Mornard-Mer·cader. Depuis, il a complété sadocumentation, grâce surtout auxconfidences de chefs communistesespagnols qui ont «miraculeuse-ment» réussi à sortir d'U.R.S.S.La troisième partie de son ou-vrage est ainsi inédite. Si l'en-semble g a r d e l'allure d'un«grand roman policier », c'estqu'en ce cas, remarque Gorkin,la réalité dépasse la fiction. (320 p,22,50 F.)

Les Editions «L'Age d'hom-me à Lausanne, qui nous ontpermis de lire, entre autres, Pé-tersbourg d'André Biély; le Sceauégyptien d'Ossip Mandelstamm,publient l'un des trois grands ro-mans du Polonais Witkiewicz:rInassouvissement. Génie multi·forme, Witkiewicz, qui fut aussipeintre et dramaturge (22 de sespièces ont pu être sauvées et l'uned'elles sera prochainement jouéeà Paris), appartenait à l'avant-garde polonaise des années vingt.Il s'est donné la mort enlors de l'entrée des troupes alle-mandes et russes en Pologne. Jo-sé Pierre a parlé de lui dans cescolonnes (voir la Quinzaine nO 80)et nous publierons prochainementun texte sur lui de l'auteur desFeuillets bleus, Adolf Rudnicki.Le théâtre de Wietkiewicz a com-mencé d'être publié par le mêmeéditeur (2 volumes puhliés, 4 àparaître) et trois de ses pièces(dont les Cordonniers, « piècescientifique en trois actes avec deschansonnettes ») figurent dans« Théâtre du monde entier» chezGallimard. L'inassouvissement esttraduit et préfacé par Alain VanCrugten qui nous annonce un es-sai sur l'auteur. 526 pages d'unelecture pleine de surprises. Nousy reviendrons.

Witkiewicz

La réalité dépassela fiction

ception et de tactique qui ont nonseulement retardé l'issue, maisont de surcroît exaspéré l'opinioneuropéenne jusqu'à « l'apoca.lypse de l'O.A.S. ? L'auteur rap-pelle les critiques des impatientset les plaidoyers des prudents,mais il ne se prononce pas. Ils'est affirmé «sans passion maisnon sans opinion» et ne manquepas, à l'occasion, de juger avecsévérité. Peut-être estime-t-il unpeu vain de tenter de départagerles thèses d'une controverse quidurera, comme la paix manquéede 1917 continue d'opposer lespartisans de Clemenceau à ceuxde Caillaux... En tout cas, ilécarte le déhat d'un mot, con-cluant «qu'aucun réquisitoire nepourra retirer au régime le mé-rite d'avoir résolu le dernier pro-hlème de la décolonisation ». Onen donne acte volontiers au ré-gime, tout en espérant que lerédacteur en chef du Monde yreviendra à la fin de son histoire.Réservons donc cette question

sous hénéfice d'inventaire futur.Mais il est une autre interroga-tion qui s'élève dès maintenant àla lecture de l'ouvrage. La phasealgérienne de la Ve Répuhliquese détache en perspective, elleest devenue de l'histoire; con-naissant la suite, on se prend àse demander si la loi non écritede notre vie puhlique qui affec-tait à un gouvernement ou à unhomme la mission de résoudre unproblème, après quoi il était con·gédié, n'exprimait pas, en fin decompte, une certaine sagesse...

Pierre Avril

lOuscrit un abonD_DtD d'un an 58 F 1 Etranger 70 F

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M.

VW.Dau

pécher par excès allusif. Un pointà noter cependant: l'auteur écritpage 140, et à nouveau page 234,que le Conseil de cahinet du10 janvier 1959.fut «le premieret le le général ne pou-vant admettre que les ministresl!e réunissent en dehors de sa pré-sence (le Conseil de cahinet estla réunion du gouvernement àMatignon sous la présidence duPremier ministre). C'est en effetle seul qui fit l'ohjet d'un com-muniqué officiel, mais il semhleque le gouvernement ait tenu unequinzaine de réunIons de ce ty-pe en 1959-1960, notamment à laveille des sessions parlementai-res.Sur le fond, c'est naturellement

la stratégie algérienne du généralde Gaulle qui est au cœur dece récit. Huit ans après, elle laissele lecteur perplexe. N'était-ellepas toujours en retard sur la réa-lité, progressant certes vers lapaix, mais allongeant les délaispar des exigences qu'il fallutahandonner les unes après lesautres? P. Viansson-Ponté lesignale, avec un soupçon decruauté, à chaque étape (la «paixdes hraves », l'autodétermination,Melun, Evian, Lugrin et enfin lesRousses). Le refus d'admettrel'organisation extérieure commeinterlocuteur, puis de traiter desaspects politiques dans la négo-ciation, les exigences sur le Sa-hara, hientôt ouhliées, tout celaétait-il indispensahle pour con-duire les espoirs, peu à peu, àl'idée de «dégagement»? Ouhien s'agissait-il d'erreurs de con-

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feuilletant... Théâtre en Perse

La Q.!!buaine Uttérairc du l or au 15 octobre 1970

lA travers la nouvelle littérature afri-caine les changements politiqueset sociaux de "Afrique d'aujour-d'hui. 21,00

Il est vrai qu'on avait vu laveille - ce fut un des momentsles plus forts du festival - leBread and Puppet, allant au-de-vant de ce public que tous lesfestivals ignorent, qu'ils soientd'Avignon, de Nancy ou de Chi-raz, manipuler ses grandes ma-rionnettes devant des enfantset des gens du peuple, un ven-dredi après-midi (c'est le' di-manche musulman) dans unparc de la ville. On leur racon-tait l'Histoire du roi, de ce roi

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Le Bread andPuppet

Pour en revenir à cette notionde théâtre rituel. la fête théâ-trale de Chiraz-Persépolis nousaura permis, entre autres cho-ses, de vérifier cette évidenceque ce n'est pas le rituel à luiseul qui fait le théâtre, mais cequi est signifié dans ce rituel.Exhumer un rituel pour le pro-duire en spectacle, c'est chosede foire, ou de musée. Utiliserles formes d'un rituel commevéhicule de significations nou-velles, c'est proprement là fai-re œuvre théâtrale. C'est ceque font, chacun sur son mode.Grotowski, le Bread and Puppet.et Garcia, utilisant des liturgiesdiverses comme un langage vi-vant pour nous dire des chosesqui peuvent. aujourd'hui, con-cerner des hommes, dérangerdes consciences, voire donnerle branle à des actes. C'est ence sens que le rituel d'exor-cisme de Garcia, au serviced'une œuvre aussi violente queles Bonnes et d'un tel pouvoirde dénonciation, ou celui duBread and Puppet, au serviced'un engagement politique pré-cis, m'a paru, dans cette con-frontatioo,. siRgulièrement plusouvert, donc plus rtche- de signi-fications possibles, que l'admi-rable exercrce· liturgique-· de·Grotowski, qui semble toujoursse complaire à lui-même: per-fection close. Il faudra bien unjour ouvrir le dossier Gro-towski; disons seulement quecette messe dite en chapelle(55 fidèles, cette fois-ci, à cha-que office), cette Passion tou-jours recommencée devant uneélite petite de spectateurs pri-vilégiés, m'a paru, cette fois, unpeu formelle, initiatique, etcomme coupée de la vie.

Comment peut-on être Fran-çais ? Les Persans, eux, ont biende la chance, et du génie. Nousn'avons qu'Avignon et ses fas-tes médiocres. Les Persans,eux, pour éblouir le critique oc-cidental qui débarque tout émudéjà des souvenirs de Chardinet de Gobineau, non contentsde disposer des coupoles d'Is-pahan, des jardins de Chi raz(pas de rossignols, mais desmusiques superbes), des palaiset tombeaux des rois achémé-nides, du soleil couchant surPersépolis, et des yeux enamande aussi beaux dans lesruelles que sur les miniatures,lui assènent soudain, à ce criti-que, le plus incontestable gra-tin du théâtre occidental: Gro-towski (le Prince Constant), leBread and Puppet (Fire) et lesBonnes dans la mise en scènede Garcia. Ajoutez Xenakis etMozart, Webern et Monteverdi:notre culture occidentale, com-me on voit, pouvait faire lafière.Si même j'avais un grief à

formuler à l'encontre de ce4" Festival de Chiraz-Persépolis,par ailleurs très intelligemment

1 conçu, et non sans une certaine1 hardiesse, ce serait d'avoirdans cette confrontation Orient-Occident qui servait de thèmeau festival, fait la part tropbelle à l'Occident. Puisqu'ils'agissait de confronter des for-mes de théâtre rituel, et puis-que Cham, cérémonie du Né-pal, n'a pas pu franchir les fron-tières, on eût souhaité aumoins, en fait de cérémoniald'Asie - en l'occurrence ladanse classique de l'Inde -,une exhibition de Bharatana-tyam moins racoleuse que cellequ'il nous fut donné de voir, enfait de cérémonial africain, unedémonstration moins purementacrobatique et 'folklorique quecelle du Ballet national du Sé-négal, et en fait de chant négro-américain, autre chose que lesSaple Singers, ces sœurs Etien-ne sorties de la Case de l'on-cle Tom. Les concerts de musi-_que traditionnelle, de l'Iran, duVietnam, ou de l'Inde, étaienten revanche très beaux, à voircomme à entendre, la manipu-lation des instruments com-plexes d'où l'Orient tire ses mu-siques étant théâtre à elleseule.

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Diderot

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sociologiedu roman africain

les petites collectionsla philosophie en poche

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1Pour réformer la société

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Ile mariage trompeuret Colloque des chiens4,50

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Yves Benot publie chez Mas-pero un Diderot qui vient certesaprès de nombreuses études, enFrance et à l'étranger, mais où ila mis en relief le côté « athéiste »de son modèle et son «anticolo-nialisme Il l'appelle, à juste ti-tre, «un destructeur de som-meil» (le 80mmeil dogmatiques'entend) et montre comment,e assailli de questions, et obligéde 8'interroger, de chercher da-

Diderot n'en était pasmoins parvenu à désirer «l'exter-mination rationnelle des oppres-seurs (336 p.).

.rence, le champ d'une culture...et comment la question philoso-phique 8e pose, continue à 8e po-ser... ». Champ à l'intérieur du-quel, pendant plus de deux siè-cles, pensèrent les générationsbourgeoises et rationalistes, figuredu savoir classique (440 p.).

Babeuf

Dans 8a collection de manuels,Bordas publie la Littérature enFrance depuis 1945, due à quatreuniversitaire8 intelligents et in·formé8 qui n'hésitent pas à pré-senter à n08 étudiants des auteursencore actuellement en pleineactivité et dont l'œuvre est loind'être close. Ce qui les amène àchoisir et à prendre parti. Et cequi nous donne une histoire «vi·

L'appareil pédagogiqueest réduit au minimum. Lestextes choisis - qui viennentaprès d'alertes mises en place -devraient donner le goût d'en sa-voir davantage par des lecture!;complète8. (850 pages, relié: 39 F,broché: 32 F.)

Déjà, l'histoire

Dans la collection de poche«Science de Flam·marion publie la fameuse et troppeu connue Logique de Port-Royal. Due à Antoine Arnauld etPierre Nicole, elle s'intitulait plusexactement la Logique ou r art depenser. C'est le titre que l'édi-teur a retenu et qui se poursui-vait ainsi: «contenant, outre lesrègles communes, plusieurs obser-vations nouvelles, propres à for-mer le Dans sa pré-face, notre collaborateur LouisMarin remarque que cet ouvragequi connut cinq rééditions, cons-tamment revues, corrigées etcomplétées, au cours du XVII" siè-cle, montre, «plus nettementqu'aucun autre texte de l'époqueclassique, comment s'organise,dans la dispersion et l'incohé-

Ces messieurs dePort-Royal

François Maspero réédite l'undes ouvrages les plus importantsde Maurice Dommanget: SurBabeuf et la conjuration desEgaux. L'auteur y a ajouté qua-tre études inédites formant cha-pitres, si bien qu'est maintenantcomplètement éclairée la figure_de ce premier e communiste»moderne, mort sur l'échafaud le28 mai 1791, et à qui Marx et.Engels, dans le Manifeste com-muniste, rendront un hommagemérité (392 p.).

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Théltre en Perse

qui avait dans son royaume unprêtre, et un homme bleu etun homme rouge, et un peupleaussi; un jour sl.lrgit un dra-gon; le roi fit appel à un grandguerrier. Et le grand guerriertua le dragon. Puis il tua leprêtre. Puis il tua l'homme rou-ge. Puis il tua l'homme bleu.Puis il tua le roi. Puis (ici deuxdénouements), 1) il vouluttuer le peuple, mais le peuplele tua (dénouement • progres-siste .), 2) il tua le peuple etla Mort vint alors le saisir(c'est cette fin-là qui fut jouée).Dans ce contact passionné, pas-sionnant, d'une foule simple, etd'une forme d'art aussi simpleet aussi forte de signification,le mot de • théâtre populaire.trouvait un sens, et le phéno-mène théâtral une raison d'être.

Un théâtre rituelet populaire :le Ta'zieh

Il est plus hasardeux, pournous autres occidentaux, de for-muler un jugement sur les re-présentations d'une autre formede théâtre authentiquement ri-tuel et populaire, spécifique-ment persan celui-là, le Ta'zieh.Née de la célébration, parl'Islam chi'ite, du martyre del'Imam Hosseyn massacré en680 par le calife ommeyade Va-zid, cette forme de théâtre, as-sez proche, semble-t-il, de no-tre théâtre médiéval, à mi-che-min entre la cérémonie duculte et la représentation théâ-trale, s'est jouée longtempsdans les villages, dans les mos-quées. Théâtre non-profession-nel, comme au Moyen Age, oùacteurs et spectateurs étaientinterchangeables: jouer, ou plu-tôt réciter "histoire en musique,tenait de la prière, du devoirreligieux, et le public commu-niant là dans les cris et lespleurs. Il s'en joue encore dansles villages; mais, comme aus-si le théâtre médiéval. le Ta'ziehs'est professionnalisé. Sur leplateau d'un festival. fût-ce enplein air, ou au pied du palaisde Xerxès, cette transplanta-tion risque forcément de son-ner faux.Nous avons vu deux représen-

tations de ce théâtre persan.L'une, Vis et Ramin, s'inspirait

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plutôt du Ta'zieh qu'elle n'enconstituait véritablement un;c'en était en tout cas une formetrès élaborée, voire sophisti-quée, et, semble-t-i1, très occi-dentalisée. C'était une histoired'amour, de mort, de guerre, detalisman et de destin, contéedans le style liturgique d'uneextrême lenteur par un jeunemetteur en scène visiblementau fait des méthodes scéniquesoccidentales; c'était un peu laTragédie grecque jouée naguèrepar le Groupe Antique de laSorbonne; c'était propre,. clair.bien mis en place, assez beauparfois dans les déplacementset les chœurs parlés, mais en-nuyeux, un peu scolaire, et sansgrande invention.l'autre, Moslem, beaucoup

plus intéressante pour nous,était en somme la reconstitu-tion professionnelle, pour unpublic de festival, d'un authenti-que ta'zieh. Avec ses cortègesde chevaux, de chameaux, ses60 ou 80 acteurs, récitants, mu-siciens, ses tambours, antiques

modernes, ses musiciens ju-chés dans une tour et sonnantdans des trompettes monocor-des de 5 mètres de long, celatenait, à première vue, d'unMystère joué aujourd'hui de-vant Notre-Dame, du Châteletet d'un opéra de Verdi. Aux di-res des Iraniens qui ont vu desTa'zieh dans les villages, cettereprésentation trahissait. Sansdoute. Il reste que ce specta-cle, tout impur qu'il était proba-blement, m'a passionné. J'avaisdevant moi une forme authen-tiquement populaire, et belle,de théâtre, où les divers modesde récitation et de déclamation,le jeu de la parole et des musi-ques, la beauté par les striden-ces et dans l'attaque des voix,l'expressivisme du jeu à la foisnaif et un peu cabot, consti-tuaient un ensemble d'élémentsfascinants. Je regardais Jean-Marie Serreau regarder cela detous ses yeux vifs, toujourscurieux: le metteur en scènede Césaire, de Kateb Yacine, entrain d'expérimenter, depuisdes années, avec des acteursafricains, arabes ou antillais. lesformes possibles d'un théâtredu tiers monde, avait ici dequoi se passionner. Nous aussi.

Gilles 5andier

LI'1TIIILU'UIUl

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Sollers et moi, nous ne par-Ions pas la même langue. Ceque Sollers a appris dans leslivres, moi, je l'ai appris dansla vie. Quand je lis Marx, jepeux me permettre d'en lais-ser, car l'essentiel de ce quej'y apprends, je le savais avantde le lire. Lorsque Sollers litMarx, il n'ose rien laisser tom-ber, car ce qu'il y apprend, ilne le savait pas avant. Il estné dans le beurre. Il n'a pasvu un seul ouvrier avant d'avoirvingt ans. Bourgeois jusqu'à lamoelle, il m'adresse la pire in-sulte qu'il connaisse: • Petitbourgeois .parisien. • Mais jene suis pas parisien et je nesuis pas bourgeois. LorsqueSollers et Faye allaient au ly-cée Saint-Sulpice, dans la gran-de voiture de papa-banquier, enpelisse-chouchou, et flanquésde la nurse anglaise, j'appre-nais mes leçons.. en gardant lesvaches.J'ai choisi des motifs plus

grands que Sollers et que Fayepour que le pouvoir change demains, car si j'allais crever, jen'aurais pas un matelas de bil-lets pour m'endormir. Je saisce que c'est, moi, que les fa-milles où on n'a que son tra-vail à vendre pour subsister,et je sais ce qui arrive quandon n'arrive plus à le vendre.Sollers a lu dans Marx, qui par-Iait pour son temps, que le pro-létariat c'est la classe ouvrièrequi travaille dans les manufac-tures, et comme beaucoup deprofesseurs marxistes, qui con-naissent bien Marx, mais quin'ont jamais vu leur mère sedemander comment elle • fera.la fin du mois, il en déduit queseuls les ouvriers d'usine ven-dent leur· travail pour subsis-ter. Pour lui, comme pour leschérubins de son espèce, lereste n'est fait que de • petits-bourgeois., animés de l'idéal• petit-bourgeois., et instru-ments stupides de la classe do-minante. Or, ni plus ni moinsque les ouvriers, beaucoup depaysans, beaucoup de fonction-naires, beaucoup d'intellectuels,beaucoup d'artistes n'ont à ven-dre que leur travail; ils ont desmotifs viscéraux, non des mo-tifs livresques que tout change,et, je cherche le mot, ils semarrent, quand ces gosses deriches, la bouche en cul de pou-

le et armés de Karl Marx. vien-nent leur faire la morale.Ce. que je pense aujourd'hui

de la société, je le pensais àsept ans. Dans le village où jesuis né, il y avait deux châte-lains. Tout le monde, au villa-ge, y compris les gens de mafamille, leur parlait avec un res-pect qui me restait dans la gor-ge, et chaque fois que je pas-sais près du château où ils vi-vaient dans leur curieuse so-litude, je pensais que c'étaientdes voleurs et je pensais, qu'unjour, je les aurais. Sollers metraite de bourgeois; il connaîtFreud mieux que moi: cetteinjure s'adresse à lui-même. Jele comprends. Je comprendsFaye. Je comprends que ces pe-tits messieurs soient plus sta-

. Iiniens qu'il n'est permis. Quandon s'est donné la peine de naÎ-tre; quand on n'a eu qu'à de-mander pour obtenir; quand ona reçu, sans aucun effort, sansaucun mérite, ('éducation, l'ar-gent, les relations et la cultu-re, la culture cet objet introu-vable que les filsles fils de paysans, n'arriventjamais à acheter, je supposequ'on se prend immédiatementpour ce qu'on est: un voleur.Et je comprends très bien que,si l'on n'a pas l'âme d'un chien,on ne puisse se regarder dansles glaces: on a honte de cequ'on est. Alors, on va s'ins-crire au Parti Communiste, ondemande du fric à papa-ban-quier, on crée une revue super-marxiste, et dans un concertd'applaudissements snobs oùse mêlent, exquis, les vieuxsoupirs des vieilles dames lit-téraires, on devient un terribleprocureur. Alors, on fait trem-bler Pleynet dans sa culotte, onentame avec Faye une querel-le d'Allemands, on se disputela pensée de Mallarmé, on uti-lise les dépouilles d'Artaud, onn'écrit plus cinq lignes sansciter Sade, Engels, Marx, Léni-ne, on vit dans les éclairs desexcommunications, et on est leplus pur parmi les purs: on estun traître.La psychologie des transfu-

ges est mal connue. Dans l'opi-nion courante, le transfuge estun être stupide et vénal. Orc'est tout le contraire. Le trans-fuge est un être intelligent etgénéreux. Intelligent: car il

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Bourgeade répond à Sollersvolt clairement qu'II y a deuxcamps. Généreux: car Il n'hé-site pas à changer de camp s'ilcroit être dans le camp desopresseurs. Sollers est untransfuge: il est intelligent etgénéreux.Dès son premier roman, s'ex-

halaient les frissons d'une âmemaurlaclenne. On devinait déjàque cet adolescent d'autrefois,en qui Mauriac lui-même sa-luait un talent raffiné et qu'ilpropulsait vers la gloire, auraitquelque chose à nous dire, pourpeu qu'il découvre un sujet.Après l'avoir cherché vaine-ment dans le Parc entourant lavieille demeure familiale, dontl'entrée était Interdite aux pro-létaires, Il le trouva dans la bi-bliothèque.Le transfuge est savant et

implacable. Savant: car n'ayanten rien l'expérience de ceuxavec qui il a décidé de se ran-ger, Il est contraint de laplacer par des lectures. Etcomme la vie seule, ainsi queMarx l'a dit (1), est la mère del'expérience, le transfuge doittout lire et tout apprendre sansêtre jamais sûr de ne pas setromper. Je n'al pas peur dedire que l'enfant d'une familled'ouvriers ou de. paysans quientend son père se lever dansla nuit pour aller à l'usine, ouqui l'entend casser la glacedans le puits avant que le journe soit levé, en salt plus queSollers en théorie et en prati-que, et qu'II se trompe. moinssouvent. Sollers sait tact, ç'estvrai. Il ne peut pas aborder leplus mince sujet sans déborderde citations, mals Il a telle-ment de citations marxistesdans la gorge que lorsque lessoldats soviétiques entrent àPrague, ou lorsque les • tribu-naux. de l'Union soviétiqueenvolent les écrivains soviéti-ques dans les camps, Il ne peutmême pas pousser un cri.Le transfuge est un être Im-

placable. Dogmatique, car Il atout appris; Intransigeant, carIl veut se montrer plus fanati-que que tout autre; Immobile,car il n'est pas rempli de viemals de lectures, et assis surLénine comme le scholastiquesur Escobar, Il distribue les ex-communications. C'est li lui queles Maitres du camp sous labannlère duquel Il s'est rangé

conflent la tâche de procureur,de juge et de bourreau, car Ilssavent que pour n'être passoupçonné d'être un Jaune, letransfuge est prêt à toutes lestâches. Vivant dans la terreurd'être jugé Impur, le transfugeest l'Instrument privilégié desTerreurs.Que fait donc le transfuge?...

Des procès et de la dentelle.Des procès: c'est lui qui tientles fiches ; c'est lui qui veillesur le Dogme; c'est lui qui re-lève les délits; c'est lui quiInstruit la procédure; c'est luiqui construit le réquisitoire;c'est lui qui prononce le juge-ment; c'est lui qui exécute lecoupable. Dans cette tâche in-grate, le transfuge ne craint pasde s'avilir. Lui, le subtil poète,l'écrivain délicat, consume sontalent dans les erreurs voulueset les lourds à-peu-près qui luisont nécessaires pour fabri-quer les fausses· pièces desprocès où, moderne jdanov, Ils'immole lui-même pour sesmaitres. Mals le soir, dans sa

.. Ainsi se développent, en Francecomme à l'Est, ces sciences annexes :linguistique, syntaxique, sémiologie,etc., qui sont à la littérature ce quesont à la peinture l'optique, la chi·mie et la fabrique des pinceaux...,écrit Pierre Bourgeade dans son ml·nl-pamphlet .. L1TIERATURE 70.. Ilest dommage que Tel Quel n'ail pascru bon de relever un argument qui .à juste titre Impressionne beaucoupde monde. Explicitement ou non, nom-bre de théoriciens pensent (pastous) qu'à partir du moment où estdévoilée la structure mettons parexemple d'un certain type de récit,celui-ci en devient automatiquementcaduc. Oui dit typologie dit clmetlè·re.

Bien que ce ne soit pas évident.Il semble bien, par exemple, que lesamoureuses analyses de Bachelardsur l'Imagination matérielle aient si·gné l'arrêt de mort de la poésie élé-mentaire sans que personne ne s'enaperçoive. Rien de plus archétypalqu'un western: pourtant on continueà fabriquer du western, de l'excel·.lent western: quel Intérêt? La peln·ture dite abstraite, dans la mesure oùelle entend rester activité Isolée, a-t-elle encore quelque chose à nousdire? On objectera que selon un telpoint de vue II· suffira d'être abonnéchez Marle Concorde pour ne plusfaire l'amour. Et l'objection ne serapas Inepte puisque écriture et lec·ture sont des opérations érotiques.Mals les coordonnées et les dimen-sions d'une lecture et d'un coit, fONIcompliqué ou complexe, ne sont pasles mêmes. Bien que l'acte sexuelsoit un acte hautement culturel mal·gré les apparences et que lire, écrl·

chambre, quand Il a déposél'âme du procureur, le style dugreffier, et les plaisanteries ducorps de garde, le transfugese met à la dentelle. Il revientà .son œuvre, qui est d'autantplus pure qu'II s'est plus lon-guement souillé à l'audience.C'est pourquoi, au cours de cesannées où Tel Quel se trans-forme en Tribunal bouffon,l'œuvre du seul Sollers s'élève,transparente, semblable à lapensée désincarnée. Ses deuxderniers ouvrages (2), délicatsbibelots d'Inanité écrite, dontl'algébrique harmonie est extrê-me, brillent d'un éclat pur, gla-cé, mallarméen. A notre épo-que où, c'est vrai, la paroles'enlise dans les combats dou-teux, le romanesque niais, lahideuse culture, les vieux mots,les écrits de Sollers s'ont l'ava-tar moderne de la littératureabstraite, nue, gratuite, pourle dire en un mot: réaction-naire. Faye n'est pas artiste.Sollers est le dernier champlonde l'Art pour l'Art.

re, soit plus naturel qu'on ne l'Ima·glne parce que le récit précède lalangue, que le désir de récit subsis-te après elle.

Seulement, nous ne sommes plusà l'époque des conteurs ou des ra-conteurs barbares. Il existe aujour·d'hui quelque chose de nouveau, devraiment Inédit: non pas une Histoired'autant plus' totale qu'encombrée etbrumeuse, mals une histoire dutravail humain, et notamment unehistoire de l'art. Répertoriant lesformes, on est tenté de ranger lalittérature dans la grande armoiremythologique ou de ne concevoir sonfutur que comme pseudo-à·venlr répé-titif. Ouelle pourrait être encore laplace de la .. littérature .. ? Je formu-lerai trois hypothèses: 1) le cime-tière (littérature sans objet d'étu-des); 2) le .. mythe expérimentai ..(expression de Roland Barthes), audeuxième, troisième ou quatrièmedegré; 3) la littérature tant bien quemal, que rappellerais littérature popu-laire, englobant dans cette notionpeut-être dangereusement équivoquen1mporte quelle littérature, y com-pris la plus .. Intellectuelle.. Seraitpopulaire toute littérature partielle-ment Inconsciente de sa propre cen-sure et occupée à projeter sescontradictions, à les vivre sur unmode ml·textuel ml·phantasmatlque(ce qui la différencie de la littéra-ture petite bourgeoise essentielle-ment névrotique) plutôt qu'à lesrésoudre théoriquement et pratique-ment. Une telle littérature peut-elleencore produire quelque chose?Peut·elle encore nous apprendrequelque chose, voire nous surpren-dre?

Il ne me croira pas, malsJ'admire Sollers. Je regrettequ'II fourvoie son talent et soncœur dans un triste combatd'arrière-garde. Etre marxiste,ce n'est pas répéter sans fin cequ'a dit Marx, c'est adapter soncombat à la vie, et rejeter sanscrainte des analyses révolues,une • science. en miettes, desDieux morts. • Que les mortsenterrent leurs morts, et lespleurent!. (Karl Marx.) Malsle transfuge a le culte desmorts. Se voulant étranger àson propre parti, demeurantétranger au camp qu'II a re-joint, Il n'est vraiment chez luique dans les cimetières. Il s'ypromène seul, le cerveau pleinde mots, le cœur plein de re-vanches, un bouquet d'immor-telles à la main.

Pierre Bourgeade

(1) Et s'II ne "a pas dit, je le luifais dire.

(2) Logiques. Nombres, Editions duSeuil.

Dans une telle optique, qui n'ad'ailleurs rien d'original, on pourraitdéfinir le récit, dans la mesure oùun écrivain (alors à mi-chemin entrel'écrivain et l'écrivant, dans une es-pèce de gluance vive du texte)surimpose ce qu'II faudrait nommerson Idlologle aux censures générales,comme une Idéologie d'Idéologiemarquée paradoxalement par la vé·rlté, une vérité biaise pailletée, lacu-nalre: une errance non pas consom-mable mals utilisable, une sorte debrouillon excitant, de b 0 u Illonexemplaire. Le rôle (éternel) de cetécrl·v&ln/vant serait-II d'explorer àtravers la répétition un espace Infi-niment variable dont Il apparaltraltle révélateur (sempiternel)?A moins que la théorie ne soit

devenue le grand Récit dumonde. .Nous aurions atteint àtravers maintes plaisanteries d'alchI-mistes, via la croix· de •ma •mère,l'amoureux transi ou pas et les révo-lutions chantées, l'Age adulte dulogos héraclltéen.• Les murs crient .. , assure Pierre

Bourgeade. Sur un mode moins lyri-que, Tel Ouel désigne aussi ses criset ses murs. Mals s'Ils entendentune partie des mêmes cris Ils nesont pas entourés des mêmes murs.Pour revenir à mon troisième, PierreBourgeade ne 1Ie contredit pas assez:Tel Ouel, au fond, n'est pas suffi-samment telquellste. SI la littératurene fait plus le poids. la théorie dis-pose d'encore trop d'ombrees).Personnellement, je n'al pas de

réponse toute prête. C'est dommage.Ce n'est pas une raison pour sous-crire aux fausses évidences ou Il lapolitique du shaker...

Michel Yachey

I.a Litthaire du 1er au 15 octobre 1970 27

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.0....n&.ç&l.

Philippe Augier&. objets trouY6.editions de Minuit,188 p., 15 F.Le premier romand'un jeune auteur devingt ans.

Nella BlelsklVoronejR. Laffont, 200 p., 15 F.La découverte del'U.R.S.S. en 1935, etcelle d'un écrivaincforlglne .-ovlétiquequi vit en France etdont c'est le premierroman.

Henry BonnlerL'..-nour des autresA. Michel, 280 p.,16,50 F.Les tribulationsnocturnes d'une petiteville de province,vécues par letruchement d'une

vieille demoiselledes postes.

Ali BoumahdlLe village de.uphocI6l..R. Laffont. 440 p., 26 F.L'Algérie des années30, puis de laguerre et enfin del'Indépendance, vue del'Intérieur.

Claude DelmasLe schoonerFlammarion, 272 p.,18 F.Un roman sur larévolte de la jeunesseactuelle, par l'auteurdes • Extrêmesclimats -.

Michel DéonLaa poneys aauvageaGallimard, 504 p., 32 F.Un livre où leromanesque rencontreconstamment lachronique de cestrente dernièresannées.

Jean-Marie FonteneauM.. c:hempIgnonaGrasset, p., 16 F.(Voir le n° 102 de laOullWllne) •

Jean Freustlélabelle oul'arrtè,...laonTable ronde, 320 p.,23 F.Un écrivain dequarante-clnq ansdécouvre les Joiestroubles de lapaternité.

Bernard GheurLe teat.mentd'un cancreA. Michel, 192 p.,13,50 F.Un premier roman quinous fait entrer dansle secret d'un Ageà la fols tragique etprévlléglé:l'adolescence.

Pierre GuyotatEden, Eden, EdenPréfaces de M. Leiris,R. Barthes,

Ph. SollersGallimard, 280 p., 26 F.• Un rituel d'horreursexuelles, d'uneobscénité quasihiératique -, parl'auteur de • Tombeaupour cinq cent milledollars -.Paul HordequlnMotu. vivendiLettres NouvellesDenoël, 192 p., 15 F.Par l'auteur du• Temps des cerises-et de • Mirobolante aucrépuscule -.

André KouraklneDe 1'.tgIe lmp6r1a1.• 1'6101" rougeTable Ronde, 296 p.,24 F.Par un vieil émigrérusse, une chronique dela vie quotidienne enRussie, aux dernierstemps du Tsarisme.

Robert LapoujadeL'inadml••lbie• Lettres Nouvelles-

Denoêl, 200 p., 18 F.Le premier romand'un peintre qui estégalement cinéasteet écrivain

Guy Le Clec'hLe violence despecJftqunA. Michel, 304 p., 18 F.Le deuxième tomed'une trilogie: • Lesjours de notre vie -,qui avait déjà vuparaître un premiervolume: • Lesmoissons del'abîme -.

J.-M. Le CIt§ZloLa guerreGallimard, 296 p., 32 F.Le nouveau roman -et sans doute lemeilleur - de l'auteurdu • Procès-Verbal -.

Gilbert MessinaUne poçfIe de pierreDenoêl, 240 p., 19,50 F.Une joyeuse mise àsac de lacivilisation moderne.

Jean-Marie Paupert1homuGrasset, 406 p., 27 F.Le premier roman del'auteur de • Pourune politiqueévangélique - et de• Peut-on êtrechrétien aujourd'hui?

J.-J. RochardApologie d'unsalaudStock, 180 p., 20 F.Un roman à la folscruel et lyrique, quia pour cadre un petitpays d'Amérique latine.

J.-F. FerranéLe pensionnaireFlammarion, 224 p.,16 F.Le premier roman d'unauteur de 21 ans,dont les thèmesfavoris sont lelangage et la mémoire.

Michel PlédoueLa lII8II8CeMercure de France,248 p., 20 F.

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28

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Page 29: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

Livres publiés du 5 au 20 sept.Par l'auteur des«Fronts silencieux-et de «Zoé desténèbres -, un

roman sur le mal devivre après mai 1968.

Manuelle RocheLes diamants desableA. Michel, 240 p.,16,50 F.Le premier romand'une jeune cinéaste;Il Y a pour toile defond l'Algériependant la guerre.

Michel Saint-LôLe refugeA. Michel, 232 p.,16,50 F.Les annéesd'apprentissage d'unhomme poursuivi parl'Image maternelle etlancé à la recherchede l'amour vraI.

François SonklnLes gendres« Lettres Nouvelles-Denoël, 192 p., 15 F.Par l'auteur du« Mlef., un contephilosophiquemoderne où lasociété deconsommation estdémythifiée avec uneverve inépuisable.

Michel TournierLe roi des aulnesGallimard, 400 p., 25 F.(Voir ce numéro

Edith ThomasEve et les autresMercure de France,160 p., 19 F.Une méditation sur lafemme à traversquelques grandspersonnagesbibliques.

Philippe WolffLa f1lppeuseDenoël, 256 p., 19,50 F.La révolte, verbale etmorbide, d'uneBovary des«grands ensembles.contre la sociétéaliénante.

aOMANS• TRANGBaS

David ForrestEt à mon neveuAlbert, )e lègue l'ileque j'al gagnée aupokerTrad. de l'américainpar F.-M. WatkinsStock, 250 p., 18 F.Une satire débridée etfort tonifiante dumonde. actuel.

Nina GalenLe RennlaüferTrad. de l'américainpar E. Gille-NemirovskyPlanète, 320 p., 21 F.Un roman qui a pourhéroïne une jeune juiveen rupture de ban dontle mari est unAllemand, fils d'unauthentique nazI.

Frank HerbertDuneTrad. de l'américainpar Michel DemuthR. Laffont, 536 p., 26 F.Un grand auteur descience-fictionaméricain dont c'estla première œuvretraduite en français.

J. IwaszkiewiczLes amants de MaroneTrad. du polonaispar Anna PosnerStock, 180 p., 19 F.Transposée à l'époqueactuelle et dans unvillage polonais,l'éternelle histoire de'Roméo et Juliette.

Joel LieberLe déménagementTrad. de l'américainpar Anne VillelaurStock, 210 p., 22 F.Un roman dans lalignée des humoristesjuifs américains.

Ellery QueenChronique deNew York etd'ailleursPréface de MarleLalandeTrad. de l'américainpar S. LechevrelStock, 520 p., 19 F.Le troisième volumedes œuvres complètesd'Ellery Queen

Erich SegalLove StoryTrad. de l'américainpar Renée RosenthalFlammarion, 208 p., 16 F.(Voir le n° 102 de laQuinzaine) •

C.K. Van Het ReveLes soirsTrad. du néerlandaispar Maddy BuysseGallimard, 256 p.,22 F.Un livre decontestation radicalequi a profondémentmarqué la jeunessehollandaise.

POESIE

Lydie DattasNooneMercure de France,64 p., 13. F.

Tchicaya U Tam'SiArc musical, préc:écléde EpltoméIntroduction deClaire CéaP1erre-Jean OswaldLe poète africain leplus Important de lanouvelle génération.

Tchicaya U Tam'SiLe mauvais sang, suivide Feu de brousse etA trlche-cœurPierre-Jean Oswald/L'Aube dissout lesmonstres.

Michel VacheyCoulure/UgneMercure de France,104 p., 20 F.Par l'auteur de«La Snow. et de«C'était à Mégara-.

REBDITIONSCLASSIQUES

Cahiers Victor HugoFragments de laLégende des sièclesEdition critique parFrançoise LambertFlammarion, 376 p.,60 F.

Jérôme CarcopinoAlésia et des rusesde CésarFlammarion, 256 p.,20 F.

ColetteLa vagabondeFlammarion, 240 p.,8 F.

Olivier de MagnyLes cent deux sonnetsdes amours de 1553Edition critique parMark S. WhitneyDroz, 144 p., 25 F.

Gui de NanteuilChanson de gesteEdition critique parJames R. McCormackDroz, 420 p., 74 F.

RabelaisGargantuaEdition critique faitesur l'Editio princepsTexte établi parR. CalderIntroduction,commentaires .tables et glossairepar MA Screech.Préface parV.L. SaulnierDroz, 458, 36 F.

BIOGBA.BIBS

Gabriel d'AubarèdeAndré ChénierHachette, 320 p.•. 29 F.

Une étudebiographique etcritique trèscomplète de l'auteurde «La jeunecaptive -.

Pearl BuckLes femmes KennedyTrad. de l'américainpar Lola TranecStock, 200 p., 18 F.De Rose, relne-mèrede la dynastie, àJacqueline Kennedy

Hilaire CunyNobel de la dynamiteet les Prix Nobel1 hors-texteEditeurs FrançaisRéunis, 260 p., 19 F.La vie et l'œuvred'Alfred Nobel.

Robert EscarpltRucfyard KiplingServitudes et grandeursImpérialesHachette, 256 p., 22 F.Une biographie quis'efforce de replacerKipling dans soncontexte politique etsocial.

André MauroisMémoiresFlammarion, 528 p.,38 F.L'ultime confessiond'un écrivain sur sontemps.

Mémoires de Madamede Staal-DelaunayEdition présentée etannotée par GérardDoscotColl. «Le Tempsretrouvé.Mercure de France,256 p., 20 F.La Régence vue parune gouvernante à lacour de Sceaux.

Régine PernoudHéloïse et AbélardA. Michel, 304 p.,19,50 F.Les amours de cecouple célèbre,reconstituées à partirde leur correspondance.

George SandCorrespondance,Tome VII (Juillet 1845-Juin 1847)Textes réunis, classéset annotés parG. Lubin16 IllustrationsGarnier, 936 p.,44,25 F.Un nouveau volume,comprenant 397 lettres,dont 261 InéditelJ, decette correspondancequi a obtenu en' 1967le Prix de l'édition

; critique.

SOCIOLOGI.PSY-CBOLOGI.

Fausto AntoninlL'homme furieuxColl. «Guerres etpaix -Hachette, 256 p., 30 F.Une analysepsychologique,sociologique,psychanalytique etphilosophique del'agressivitécollective.

D. Benslmon·DonathImmigrants d'Afriquedu Nord et IsrailAnthropos, 615 p., 45 F.Les difficultés del'Intégrationd'Immigrants deculture traditionnelledans une sociétémoderne.

Gaston BouthoulL'Infanticide différéColl. «Guerres etpaix -Hachette, 256 p., 30 F.Par le créateur de la« Polémologie -,science qui consisteà étudier les guerrescomme desphénomènessociologiques.

Gérard DonnadleuDemain, les cadresPréface de G. NasseCenturion, 180 p., 15 F.Une étude à la foispsychologique,sociologique etprospective.

Victor E. FranklLa psychothérapie etson Image de l'hommeResma, 168 p., 15,95 F.Un ouvrage dO à unmédecin de Vienne etqui récuse un certainnombre de thèses dela psychanalyseclassique..

Pierre HanryErotisme africainLe comportementsexuel des adolescentsguinéensPayot. 208 p., 18,80 F.L'évolution desstructurestraditionnelles de lasexualité africainesous les Influencessuccessives de, lacolonisation et de"Indépendance.

W. LedererGynophobia auLa peur des femmesTr-ad. de l'américainpar' Monique ManinPàyof. 336 p., 35,70 F.Une étude,

psychanalytique sur lapeur ancestrale del'homme face à lasexualité et aux« mystères • fémlnina.

Bronlslaw MalinowskiLes dynamiques del'évolution culturelleRecherche sur lesrelations raciales anAfriqueTrad. de l'anglaisPar G. RintzlerPayot, 240 p., 26,70 F.Un ouvrage Inédit ducélèbre anthropologue,qui rassemblel'essentiel desrecherches qu'il avaitmenées pendantvingt ans sur leprocessus dynamiquede l'évolutionculturelle.

René NlcoliL'univers de lasexuallt6Resma, 336 p., 29 f.Le devenir de lasexualité dansl'évolution de la vie.

Tendances prlnclpel..de la rechercha dansles sciences social..et humainesPremlilre partie:sciences social••Préface de R. MaheuMouton, 987 p., 120 f.Le résultat d'uneétude commencée parl'Unesco en 1965.

E-N5-SIGNEIl.ENTP·EDAGOGIE

L'adolescenceColi. «Comprendr.savolr·aglr •Denoël, 548 p., 47,50 f.Un ouvrage qui permetde pénétrer dansl'univers des • jeunes -afin de mieux lescomprendre.

Fernand RobertUn mandarin prendla parole •P.U.F., 274 p., 25 f.Un professeur à laSorbonne, apôtre de lasélection, prend àpartie ceux qu'ilaccuse de démolirl'Université sousprétexte de ladémocratiser.

Helmut BerndtLe message' des.Nibelungen

La LitUrafre du 1er au 15 octobre 1970 29

Page 30: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

L.ivres publiés du 5 au 20 sept.

Trad. de l'allemandpar Denise Meunier8 p. d'IllustrationsLaffont, 296 p., 19 F.Coll. • Les Enigmes del'univers '.Gilbert CesbronCe que Je croisGrasset, 212 p., 72 F.A la fois unauto-portait de l'auteururie plaidoirie enfaveur de l'homme etun réquisitoire contrece siècle.Chu . Méthodologiede l'ImaginaireOuvrage collectif,publié par le Centre deRecherche surl'Imaginaire sous ladirection de JeanBurgos.Lettres Modernes,304 p., 35 F.U.rie mise en commun.et. une confrontation'dès. méthodesd'approche en cedomaine, à partir del'étude systématiquede grands thèmesfondamentaux.

Robert GllplnLa· science et l'Etaten FranceTrad. de l'anglaispar Michel Carrière'Gallimard, 416 p., 33 F.la France face à unetroisième phase de laré....olutlon Industrielle,marquée parl'Intégration de lascience en tantqù'lnstltutlon.

LaboucheixRichard Priee,théoricien de la"volutlon américaineDidier, 310 p., 58 F.Les quatre aspects del'œuvre de Price:philosophie,économie-politique,histoire et littératurethèse.La communicationpar le gesteOuvrage collectifCenturion, 336 p.,19,90 F.Une réflexion sur lesformes modernes del'expressioncollective etartistique.

Alfred MauryLa magie etl'astrologieColl.• BibliothecaHermetlca"S.G.P.P., 432 p., 38 F.Une étude dessuperstitions,coutumes et croyancespaïennes, qui se sontperpétuées Jusqu'à nosJours - Réédition.

30

D. de RougemontLettre ouverteaux EuropéensA. Michel, 224 p., 12 F.Les atouts de l'Europeface aux deux grandespuissances qui separtagent actuellementle monde.

Henri WallonDe l'scte à la penséeFlammarion, 248 p.,20 F.Coll. • NouvelleBibliothèqueScientifique '.

HISTOIRB

G. BarracloughLa papauté auMoyen AgeFlammarion, 13,50 F.Coll. • HistoireIllustrée de l'Europe •.

P. GalIIona,R. Philippe, Ph. SusselLa France des Lumières1715-1789Coll. • Histoire de laFrance.Denoël, 256 p., 35 F.Les contradictionsd'une, époque marquéepar le désarroi del'autorité monarchiqueet l'effervescence desesprits.

Maréchal G.J. JoukovMémoires • Tome Il:1942·1946Fayard, 496 p., 35 F.De la bataille deStalingrad àl'Installation dugouvernement militairesoclétique enAllemagne orientale.

Pierre LepapeLes révolutions duxx- siècleS.G.P.P., 324 p., 31 F.L'histoire et l'analysedes principalesrévolutions du xx-siècle.

Lévis MirepoixSaint Louis,Roi de France8 pl. hors-texteA. Michel, 384 p., 27 F.Collection • LeMémorial desSiècles ".

Wladimir PorchéLe chevalier FrançoysColl. • Histoire enliberté"Flammarion, 280 p.,20 F.Les réalitéscontradictoires dujeune roi François 1"'.

Pierre Vlansson-PontéHistoire de laRépublique gaullienneTome 1: La fin d'uneépoque· 13 mal 1958 àJuillet 1962Fayard, 580 p., 30 F.Par le chef des servicespolitiques du • Monde",un témoignage depremière main sur lesonze années dugouvernement deCharles de Gaulle.

Gilette ZieglerParis et sesrévolutions16 illustrationsEditeurs FrançaisRéunis, 194 p., 23 F.Une évocation, rue parrue, du Paris de laMarseillaise et del'Internationale.

POLITIQUBECONOMIE

Jacques ArdoinoManagement oucommandement?Participation etcontestationFayard-Mame, 252 p.,30 F.Coll. • Management '.

Roland ClaudeDe l'organisationscientifique dutravail au managementdes entreprisesColl. "Management.Fayard-Mame, 212 p.,15 F.Le premier volumed'une nouvellecollection consacréeà la formation etl'information desfuturs managers et lesmanagers confirmés.

Garaudy par Garaudyentretiens avecClaude GlaymanTable Ronde, 280 p.12 F.Une conversation àbâtons rompus oùGaraudy expose sesthèses sur la sociétéactuelle et lesperspectives dusocialisme.

Denis-Clair LambertTerminologieéconomique etmonétaireEditions Ouvrières,330 p., 30 F.Un ouvrage conçu pourfaciliter la traductiondes textes économiquesou financiers de langueanglaise.

Henri MlgeonLe contrôle de gestionFayard-Mame, 155 p.,15 F.Coll. • Management '.

Abraham MolesRoland CaudeLes méthodes decréativité etd'innovationFayard-Mame, 218 p.,30 F.Coll. • Management '.

Rolf NordlingLa Suède socialisteFayard-Mame, 202 p.,18 F.Coll. .-Management"•.

Roger PriouretLes managerseuropéensColl. • Le défi.Denoël, 435 p., 23 F.Une longue enquêtesur l'Industrieeuropéenne, qui met enlumière ce que serontles problèmes pour lesannées 70.

J.-F. SalbergS. Welsh-BonnardActionscommunautairesEditions Ouvrières,200 p., 19 F.Ou'est-ce que ledéveloppementcommunautaire en1970 ?

Robert ThalvardDémocratiser lemanagement?Ed. Ouvrières, 176 p.,17 F.Peut-on rendre uneéconomie pluscompétitive et plusdémocratique?

DOCUIlIiIiTS

Paul BerbenBernard IselinRemagen, le pont dela chance7 mars 19458 pages de photosCo!1. «Ce jour-là.Laffont, 296 p., 24 F.Un épisode demeuréjusqu'Ici fortmystérieux de la finde la seconde guerremondiale.

François BrocheLe bataillon desguitaristesPréface du généralKœnigFayard. 384 p., 24 F.L'étonnante épopée desF.F.L. de Tahiti àBir-Hakeim entre 1940et 1942, racontée par

le fils de celui qui enfut le héros etl'instigateur.

Christian CasteranGuerre civile enIrlandeColl. • En direct"Mercure de France,220 p., 17 F.Par un reporter à• La Croix", qui est enmême temps un• spécialiste engagé.de l'Irlande.

Georges CoulongesLa Commune enchantantEditeurs FrançaisRéunis, 228 p., 20,45 F.Un recueil deschansons de laCommune.

El FathLa révolutionpalestinienne et lesJuifsEditions de Minuit,72 p., 5 F.La reproductionintégrale d'une séried'articles publiés, audébut de 1970, parl'organe officiel du Fath.

Jacques MousseauCinq dollars pour unempireColl. « Médiations.Gonthier, 304 p., 25 F.L'aventure à la folscommerciale etintellectuelle d'unmagazine à succès:« Playboy •.

Geoffrey ParkerParslfalFlammarion, 240 p.,18 F.L'odyssée d'unchirurgien anglaisdans les maquis del'Ain.

Maurice SévenoLe scandale de lasanté en FranceTable Ronde,248 p., 18 F.Un violent réquisitoirecontre le mécanismede l'industrie de lasanté telle qu'elle estpratiquée en France.

Robert TocquetMédiums et fantômesNombr. photosEdition Spéciale, 256 p.,22 F.Dans la collection «Enmarge., une étudeabondammentdocumentée sur lesphénomènesparapsychologlques.

" ••AT••CI.BMA

Jean AnouilhNouvelles piècesgrinçantesTable Ronde, 608 p.,28 F.Le septième volume duthéâtre complet deJean Anouilh.

John CageSilence« Dossiers des LettresNouvelles.Dt'lnoël, 184 p., 29 f.Une vingtaine deconférence etd'articles écrits de1937 à 1961 et où legrand musicienaméricain expose desconceptions en matièreexpérimentale.

Gilles SandlerThéâtre et combatStock, 370 p., 29 F.Regards sur le théâtrecontemporain, par l'undes plus passionnés descritiques dramatiquesactuels.

Francois TruffautLes âventuresd'Antoine DolnelMercure de France,382 p., 29 F. ,Les scénarios et notesde travail du cycleAntoine Doinel

ARTSURBANISME

André LhoteTraité du paysage etde la ligneNombr. illustrationsGrasset, 310 p., 45 F.Réédition d'unclassique de lacritique d'art.

Lewis MumfordLe déclin des villes oula recherche d'unnouvel urbanismeFrance-Empire, 336 p.,25.50 F.Le cri d'alarme d'unsociologue américaincontre la Métropolisdéshumanisée quinous menace.

Henri RousseauDocumentation etcatalogue raisonnéspar Dora VallierFlammarion, 21,20 F.Coll. «Les classiquesde l'art".

Page 31: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

Bilan de septeJnbre

LES LIBRAIRES ONT VENDU

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11-':' ...... .0_• u E .....tili. o=,z.

1 Mario Puzzo Le Parrain (Laffont) 1 22 Hervé Bazin Les bienheureux de la désolation 2 4

(Le Seuil)3 Joseph Kessel Fils de l'Impossible (Plon) 8 24 Guy des Cars L'entremetteuse (Flammarion) 4 25 Philip Roth Portnoy et son complexe (Gallimard) 5 31 Françoise Mallet-Jorris La maison de papier (Grasset) 3 67 Robert Beauvais L'hexagonal, tel qu'on le parle ,6 2

(Hachette)

• Erich Segal Love story (Flammarion) 1, Julien Gracq La presqu'île (Cortl) 110 Raymond Hitchcock Percy (Albin Michel) 1

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:Biarritz, Barberousse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - IssoudunCherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Montpellier, Sauramps. - Nice:Rudln. - Paris, Aude, Fontaine, Gallimard, la Hune, Jullen-Comlc, Mangault,Présence du Temps, Variété, Weil. - Poitiers, l'Université. - Rennes, lesNourritures terrestres. - Royan, Magellan. - Toulon, Bonneud. - Vichy,loyale.

LARENCONTREDES lElTRESANCIENNESET MODERNES

Œuvres rares ou inédites de tous les pays et de tousles temps, au service de la pensée et de l'art d'écrire.Collection établie parJean-LouisCURTIS,Robert UNTERS, Olivier de MAGNY,Maurice NADEAU, Gilbert SIGAUX etJean VAGNE.

c:-JEAN GRENIERL'Art et ses Problèmes

MARIE SCHMIDT ,1 La Poesie SCientifique en France au Siecle

i ALBERT-MARIE SCHMIDT, Chroniques de «Réforme» 1945-1965

LA QUINZAINE LITTÉRAIREVOUS RECOMMANDE

CARLO GOZZIMémoires inutiles

Première traduction française intégrale,préface et notes de Nino Franck

CHARLES DUCLOSLes Confessions du Comte de ***

Considérations sur les Mœurs de ce SièclePrésentation d'Olivier de Magny

SAMUEL T. COLERIDGESur Shakespeare

Essais. Première traduction française parRobert Pépin, présentation de Jean-Louis Curtis 1

1 :

1 1

1

!!,!

H.-J. HÉRAULT DE SÉCHELLESŒuvres littéraires et politiques

Edition établie et présentée par Hubert Juin

SeuilSeuilGallimardDenoël LNSeuilGallimard

Sélinonte ou la chambre ImpérialeKamouraskaLa guerreLes gendresŒuvres, 2 vol.Le roi des Aulnes

llnERATURE

Camille BourniquelAnne HébertJ.M.G. Le ClézioFrançois SonkinDylan ThomasMichel Tournier

ESSAIS

Gilles Sandier

John Cage SilenceRobert Jaulin La paix blanchePierre Lepape Les révolutions du XX· siècleBronislaw Malinowski Les dynamiques de l'évolution

'culturelleJean-Claude Renard Notes sur la poésiePierre Viansson-Ponté La République gaullienne

1. La fin d'une époqueThéâtre et combat

Denoël LNSeuilSGPP DenoëlPayot

SeuilFayard

Stock

Ouvrages reliés. Chez votre libraire ouaux Editions Rencontre, 4, rue Madame,Paris 61•

La Littéraire du l or :lU 15 octobre 1970

Page 32: Quinzaine littéraire 103 octobre 1970

DYLAN THOMAS œuvres en 2 volumesDylan Thomas, né à Swansea au pays de Galles en 1914, mort à New-York en 1953, s'estrévélé très tôt le poète le plus influent de sa génération.La présente édition groupe ses écrits les plus importants, la plupart inédits en français,exceptés toutefois le célèbre Portrait de l'artiste en jeune chien et des poèmes qui fontl'objet d'une traduction nouvelle. On peut la considérer comme un véritable événementlittéraire qui introduit en France une œuvre d'une grande beauté, demeurée jusqu'àprésent à peu près inconnue.Edition établie sous la direction de Monique Nathan et Denis Roche.Tome 1 : Un volume de 432 pages, 33 F - Tome 2 : Un volume de 400 pages, 33 F.

Robert JaullnLA PAIX BLANCHE - Introduction il l'ethnocideLà où le vainqueur est las de massacrer, il décide de "civiliser". Vaincu, le "sauvage" doitpour son bien, renoncer à sa culture et à son identité. Partant de son expérience sur leterrain, un ethnologue français fait le procès de l'ethnocide : culturelle, destruc-tion de sociétés différentes, instauration de ce"tte "paix blanche' dont la loi et l'ordrereposent sur la prétention de notre civilisation à être toute civilisation."L'essai de Robert Jaulin me paraIl avoir l'importance qu'eut voici quinze ans TRISTES TROPIQUESde Claude Lévi-Strauss". (Pierre Daix - Les Lettres françaises)Collection "Combats" dirigée par Claude Durand - Un volume de 432 pages, 29 F

Collection de poche "POlNTS"

Guy RocherINTRODUCTIONALA SOCIOLOGIEGÉNÉRALEA travers les œuvres des princi-paux sociologues (surtoutFrançais, Allemands et Améri-cains) dont l'auteur expose etconfronte les thèses, se constitueun manuel complet de sociologie,où en développements concisl'étudiant se voit proposer uneprésentation de la sociologie: sarecherche, sa méthode,ses problèmes.

1- L'Action socialeComment expliquer que lescollectivités humaines existentet se maintiennent - et commentl'individu se rattache-t-il à cescollectivités? Sont donc étudiésici les fondements normatifs,idéaux et symboliques de l'actionsociale; les notions de culture,de civilisation et d'idéologie;enfin les processus, les méca-nismes et les agents de lasocial isation.Numéro 13 - Volume simple, 6 F

2 - L'OrganisationsocialeLes problèmes des structures etdu fonctionnement de l'organisa-tion sociale: classifications ettypologies; sociétés traditionnel-les et sociétés industrielles; ana-lyse structurale, fonctionnelle etsystématique de l'organisationsociale; étude du stystème social.Numéro 14 - Volume double, 7,50 F

3 - Le ChangementsocialLes problèmes de la sociologiede l'historicité; les facteurs, lescond itions et les agents du chan-gement social; les notionsd'industrialisation, de dévelop-pement et de modernisation;le système colonial et la décolo-nisation ; enfin les processusrévolutionnaires.Numéro 15 - Volume triple, 9 F

Guy Rocher 1IlIIroductkln

1. l'Actionsociale 1

-

1

l)ylanThoma"l

œuvres

Camille BourniquelSELINONTE, ou lachambre impérialeCette oeuvre ambitieuse, à la foisromanesque et foisonnante, oùsont évoqués tour à tour les Grandlacs américains, l'Italie, le Paris de1945 et Nashville (Tennessee), esten même temps une quête del'oeuvre au sens borgésien ; et unegrande réussite de C. Bourniquel.Un volume de 256 pages, 20 F

Jacques TeboulL'AMOURREDUIT AMERCIUne dernière promenade le longde la Seine. Un couple détruit,pris au piège d'un Paris trop grand.La dernière aventure, la dernièreséduction de la Seine. La Seineest en effet ici le personnageprincipal d'une histoire d'amournocturne bouleversante.Un volume de 224 pages, 19,50 F

1

LA PAIXBLANCHEMROOUClO'I A lHfNJ(J)E

.1

i--Henri GouhierMAINE DE BIRANpar lui-même"Un petit volume qui est unchef-d'œuvre de biographieintellectuelle et spirituelle".J. Lacroix - LE MONDECollection illustrée"Ecrivains de toujours"Numéro 88 - 7 F

"C'est en effet une attitude, sinonterroriste, tout au moins radicale,et sa radicalité tient d'ailleurs àl'énergie de la réflexion théoriquechez TEL QUEL, qui est très im-portante, et que l'on sous-estimeun peu, en général, dans les atta-ques que l'on mène contre cegroupe... la force théorique, l'im-pact est dans TEL QUEL, j'ensuis sûr"./ Roland Barthes. 1970Revue trimestrielle - le numéro 15 F

Anne HébertKAMOURASKA"Un beau roman ... qui fait penserà certains romans de Julien Greenou rappelle encore le cl imat des"Hauts de Hurlevent".Pierre Kyria - COMBATUn volume de 256 pages, 20 FEdition reliée (15 octobre) 28 F

Mohammed DibDIEU EN BARBARIEMohammed Dib nous brosse letableau de la naissance de sa na-tion. C'est le lendemain de l'in-dépendance et l'Algérie s'interro-ge à travers des personnagespassionnés et des dialogues oùles idées s'affrontent, se heur-tent ou se confondent.Enfin un Algérien parle.Un volume de 224 pages, 19,50 F

Jean-Claude RenardNOTES SUR LA POESIIJean-Claude Renard a rassemblédes réflexions à usage personnel,notées au fil des années en margede son œuvre. Il les a classées endeux grands chapitres: LangaQll,poésie et réalité et Poésie et fOI,à l'intérieur desquels des rubri-ques définies ordonnent lesdifférents thèmes.Coll. "Pierres Vives" - 160 pages, 18 F

SOCIOLOGIEDU TRAVAILNuméro spécial 3 170:Le mouvement ouvrieren mai 68Daniel Vidal - Sami Dassa -Eliane Baumfelder - DanièleKergoat - Claude Durand -Sonia Cazes - Serge Mallet -Roger Cornu - Marc Maurice-Pierre Dubois. Le numéro: 10 F

Didier DecoinELISABETHou Dieu seul le saitCette Elisabeth ressemble àLaurence, dont on n'a pasoublié le succès l'année der-nière, aussi innocente, plusgrave, et sans doute plus richedu talent encore approfondide Didier Decoin.Un volume de 208 pages, 16 F

Mohammed DibFORMULAIRES"Une réussite poétique quisitue désormais Mohammed Dibau tout premier rang des poètesd'aujourd'hui".René LacôteLES LETTRES FRANCAISES

Un volume de 112 pages, 15 F

CHANGE 6La Poétique,la mémoireLa poétique, source de lalinguistique scientifique avec lesformalistes russes et le Cerclede Prague, est reprise ici par larigueur et la clarté de la science,et accompagnée de tex tesd'invention poétique.Série dirigée par J.P. Faye - 288 p. 24 F

Poétique N'31nventaire systématique des appro-ches actuelles de la théorie 1ittérai-re: Starobinski, Girard, Laugaa,Lotringer, Todorov, Deguy, DebrayGenette, sur l'autobiographie, Euripide, Cyrano de Bergerac, Marivauxle récit, Baudelaire, Flaubert. - Miseau point: Mehlman, psychanalyseet psychocritique. - Document:Mukarovsky (Cercle de Prague),Littérature et sémiologie.Revue trimestrielle - le numéro 15 F