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RAPPORT FINAL DU GROUPE DE TRAVAIL RADICALISME CONSÉQUENCE D’UNE FRACTURE? COMPRENDRE ET AGIR Juin 2015 GEORGES DALLEMAGNE VANESSA MATZ HAMZA FASSI-FIHRI ANDRé DU BUS ANTOINE DE BORMAN QUENTIN MARTENS

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RAPPORT FINAL DU GROUPE DE TRAVAIL

RADICALISME CONSÉQUENCE D’UNE FRACTURE? COMPRENDRE ET AGIR

Juin 2015

GeorGes DallemaGne

Vanessa matz

Hamza Fassi-FiHri

anDré Du Bus

antoine De Borman

Quentin martens

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RAPPORT FINAL DU GROUPE DE TRAVAIL

RADICALISME CONSÉQUENCE D’UNE FRACTURE? COMPRENDRE ET AGIR

Juin 2015

GeorGes DallemaGne

Vanessa matz

Hamza Fassi-FiHri

anDré Du Bus

antoine De Borman

Quentin martens

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Le présent rapport repose sur un travail de plusieurs mois réalisé par un groupe de travail du CEPESS, constitué à la demande du Bureau politique du cdH et présidé par Georges Dallemagne. Ce groupe a mené durant plusieurs mois des auditions de nombreux acteurs concernés par la question du radicalisme : acteurs de terrain et du monde associatif, professeurs d’université et chercheurs belges et internationaux, agents de prévention, service de sécurité, personnes issues du monde judiciaire et policier, responsables européens, représentants du monde musulman

ainsi que de proches de jeunes partis en Syrie.

Cette analyse se fonde également sur la lecture de nombreux rapports académique, politique, de presse et d’ouvrages divers ainsi que de conférences et colloques ayant eu lieu au cours de

ces derniers mois.

Les recommandations reprises dans ce rapport n’engagent que leurs auteurs et seront soumises pour approbation au Bureau politique du cdH.

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SYNTHÈSE

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Synthèse

I. COMPRENDREUne onde de choc

L’attentat du musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014, les attentats de Paris contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 et contre le magasin Hyper Kasher de la porte de Vincennes le 9 janvier, les fusillades de Copenhague les 14 et 15 février et la tentative déjouée d’attentat à Verviers le 15 janvier ont créé une onde de choc en Belgique et en Europe. Ils s’inscrivent dans un contexte international et national inquiétant sur fond de conflits violents dans plusieurs pays du Moyen-Orient et du nord de l’Afrique et de nombreux départs de jeunes djihadistes en particulier en Irak et en Syrie. Ils font suite à d’autres attentats meurtriers qui ensanglantent le monde.

Les valeurs fondamentales de nos sociétés que sont la liberté d’expression, le respect de tous et le refus de la violence meurtrière sont mises en cause. L’incompréhension et les rejets mutuels de certaines composantes de la société, notamment entre musulmans et non-musulmans s’aggravent. Les fondements humanistes de notre citoyenneté sont par-fois questionnés. Face à ces menaces majeures pour notre avenir, le cdH a tenu un débat approfondi lors de son bureau politique du 12 janvier 2015. En conclusion de ce débat, le Président Benoît Lutgen a proposé la mise sur pied d’un groupe de travail du bureau politique sous la présidence de Georges Dallemagne et avec l’appui technique du CEPESS, le Centre d’études du cdH.

Une méthode de travail qui inclut une large consultation

Ce groupe de travail s’est réuni dans les bureaux du CEPESS presque tous les jeudis matin entre janvier et mai 2015. De nombreux parlementaires et collaborateurs parlementaires y ont participé. Une vingtaine d’experts reconnus sur la question du radicalisme et du terro-risme - issus du monde académique, du monde judiciaire, de la police et de la société civile-, et des membres de familles de jeunes djihadistes y ont été entendus, chacun à leur tour1. Ce groupe de travail avait reçu pour mandat de susciter un débat interne éclairé par des avis extérieurs pertinents afin de mieux comprendre les raisons du radicalisme et du terrorisme, les particularités belges en la matière et les éléments de solution qui pourraient être mis en place sur le plan politique.

Il s’agissait à la fois de comprendre et d’agir. Une réponse efficace au radicalisme violent doit absolument en rechercher et en traiter les causes, les parcours et les facteurs déclen-chants. Les débats ont été fructueux. Ils se sont aussi nourris de nombreuses lectures et de documents audiovisuels dont on trouvera les références en annexe.

Les travaux ont porté sur une meilleure compréhension des profils des jeunes djihadistes, le mal-être de certains jeunes, leur quête de sens, l’influence du contexte international, les processus de radicalisation et de recrutement, le rôle de l’islamisme politique et radical, la

<?> Une présentation d’une partie

des intervenants est reprise en annexe de ce

rapport.

1. Une présentation d’une partie des intervenants est reprise en annexe de ce rapport.

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dangerosité de ces phénomènes pour la société toute entière, la fracture qui peut exister entre les musulmans et les non-musulmans. Ils ont aussi porté sur les initiatives politiques à prendre à court et à long terme.

Certaines idées préconçues ont été battues en brèche au cours des auditions, notamment sur les déterminants de la radicalisation et sur les initiatives pertinentes à prendre.

En conclusion de ces travaux et de ces auditions, un groupe de pilotage2 a tenu plusieurs réunions et a tenté de dégager les éléments de diagnostic qui semblaient émerger ainsi que les propositions politiques qui en découlaient. Ce groupe a convenu que le phénomène de radicalisation était en constante évolution et que ce qui pouvait apparaître aujourd’hui comme déterminant pouvait être nuancé demain. Il a pu néanmoins s’entendre sur des éléments clairs de diagnostic et des recommandations solides.

Ce rapport tente de faire la synthèse de ces travaux. Il est constitué de 4 chapitres, deux de ces chapitres sont consacrés à l’analyse (comprendre), deux aux propositions politiques (agir) : (1) l’état des lieux de la situation actuelle, les profils et les modes de recrutement ; (2) les causes du radicalisme, en précisant le contexte international, le mal-être de nom-breuses sociétés, les particularités belges, le rôle de la religion et des medias sociaux ; (3) la promotion d’une société inclusive basée sur des valeurs humanistes grâce à l’éducation, la culture et la promotion sociale; (4) la réponse à la menace par un travail de détection et de prévention mais aussi par des mesures de sanction.

Un contexte international dramatique

Sans la crise majeure que traverse le monde musulman aujourd’hui, il n’y aurait pas de terrorisme islamiste. Outre les tensions très vives entre les tenants d’un islam modéré, ouvert sur le monde moderne et les tenants d’un islam à la recherche de la pureté primitive, anti-occidental, salafiste et parfois violent, le monde musulman est déchiré entre ses deux principaux courants, chiite et sunnite. C’est devenu la principale clé de compréhension des conflagrations de la péninsule arabique (Syrie, Yémen, Liban, Bahreïn,) et de l’Irak. Certaines fractions de pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite financent directement le terrorisme. C’est très dangereux.

Par ailleurs, au sein même des courants radicaux sunnites des conflits sans merci ont vu le jour entre Al Qaeda et Daesh et de vifs rapports de force existent entre fréristes (Qatar) et wahhabites (Arabie Saoudite).

Ces conflits et la situation catastrophique de la population syrienne et irakienne mobilisent l’attention et les ressentiments d’une partie de la population musulmane belge. Le conflit israélo-palestinien reste aussi un abcès de fixation.

Par ailleurs, des crimes contre l’humanité sont aussi commis à l’égard de certaines minorités comme les chrétiens et les yezidis. Ils créent une émotion intense dans la population belge.

En Belgique, mais aussi en Europe, l’antisémitisme gagne du terrain.

2. Composé de Georges Dallemagne et Vanessa Matz, députés fédéraux, d’André du Bus et Hamza Fassi-Firri, députés régionaux et de Quentin Martens et Antoine de Borman, collaborateurs du CEPESS.

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Des djihadistes belges très jeunes dont le flux est permanent

Proportionnellement à sa population, la Belgique est le plus grand pourvoyeur européen de djihadistes. Près de 400 jeunes seraient partis, 150 sont rentrés en Belgique (dont 61 sont incarcérés) et 50 d’entre eux auraient été tués dans les zones de conflit. Une dizaine de départs ont lieu chaque mois. On est confronté à un problème nouveau qui se distingue des précédents par le jeune âge, la rapidité et le volume, et qui diffère en ces trois points des djihadistes précédents3.

Les individus qui se radicalisent en Belgique et partent combattre en Syrie et en Irak sont très jeunes, leur âge moyen se situe entre 18 et 22 ans. La proportion de mineurs parmi les djihadistes ou les candidats au départ est alarmante. La présence de jeunes filles et de familles est récente et en croissance. Les profils sociaux sont très variables, mais il n’existe en général ni décrochage scolaire ni décrochage social. Le recrutement s’opère aussi dans la classe moyenne éduquée.

Le processus de radicalisation est de plus en plus rapide. Il peut intervenir dans certains cas en quelques jours.

Ceux qui combattent reçoivent une prime. Ils sont aussi payés plus cher s’ils se marient.

Des causes profondes qui s’esquissent mais doivent être mieux connues

Le groupe de travail s’est attaché à rechercher les déterminants du radicalisme et des départs en Syrie. Les recherches sont nombreuses et variées sur ces déterminants qui continuent à évoluer. Mais certains clichés peuvent être écartés.

Il existe bien souvent une confusion entre les motifs explicites de départ (retour à un islam pur, rejet d’une société mécréante,…) et les causes structurelles profondes. Même si les discriminations sociales, souvent réelles, parfois imaginaires, sont souvent évoquées pour expliquer les frustrations et la radicalisation, elles ne sont pas considérées comme un facteur essentiel par la plupart des experts interrogés.

La recherche de sens, la crise identitaire de jeunes, leur naïveté et leur détresse dans une société en mal de projets pour eux sont des facteurs souvent évoqués et pertinents. Leur absence de mobilité sociale et physique est aussi pointée du doigt. Selon plusieurs de nos interlocuteurs, les frustrations qui favorisent le passage à l’acte proviennent du différentiel entre l’espérance, l’investissement dans la société et ce que l’individu perçoit en recevoir. L’absence de rituels communs à notre société, l’absence de sentiment d’appartenance à un projet de société partagé, le cloisonnement culturel et parfois physique des différentes communautés de notre pays aggravent les rejets et les incompréhensions. Les lieux de dia-logue et de rencontre sont rares. Les théories du complot ont le vent en poupe. Il existe une véritable crise du lien social et de l’autorité4.

Pour certains jeunes aux identités blessées, la religion est un dernier recours. L’identité de croyance fait lien social5. Mais nos experts insistent, les départs en Syrie concernent plus des « radicaux islamisés » que des « islamistes radicaux »6. Par radicaux, il faut entendre des

3. Rik Coolsaet.4. Philippe Dachelet.5.Christine Kulakowski.6. Alain Grignard.

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jeunes marginalisés vis-à-vis d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas ou plus et qui adoptent des conduites de déviances radicales par rapport à celle-ci (délinquance, révolte…). Souvent la radicalisation se produit après le départ et non avant. Les connaissances religieuses et politiques des jeunes qui partent sont quasi nulles.

Mais il existe clairement des individus pour lesquels la radicalisation et la violence sont des choix assumés afin de transformer la société. Il s’agit alors d’une démarche de type « révo-lutionnaire », d’un engagement fanatique sectaire conscient.

Il y a peu d’idéalisme dans tout cela, beaucoup de jeunes étaient impliqués dans de la petite délinquance et ont changé de terrain de jeu, passant de la Belgique au Proche-Orient.7 La plupart des jeunes qui partent sont totalement ignorants de la situation sur place mais ils savent qu’ils vont y commettre des actions illégales, raison pour laquelle ils se cachent. Ce sont des caïds qui appartiennent à des bandes urbaines.

Des processus de recrutement en réseau et qui évoluent

Le recrutement ne se fait pas via une structure de type pyramidal. La Belgique est plutôt confrontée à des réseaux, du racolage dans les rues, dans certains clubs de sport, des associations ou via les prêches radicaux de certaines mosquées. Ces réseaux sont inter-connectés. Le recrutement se fait aussi de proche en proche, selon le modèle du nénuphar8 : un jeune djihadiste décide de partir, trouve son chemin, atteint la Syrie ou l’Irak puis recrute des membres de sa famille, des voisins, des camarades de classe à qui il indique la marche à suivre. Tous ceux qui partent deviennent des recruteurs car ils sont payés par les groupes armés radicaux en fonction du nombre de personnes recrutées.

La radicalisation et le recrutement sont des processus de plus en plus rapides. Il n’est plus rare de voir un jeune se radicaliser en quelques jours. Le départ est parfois impulsif. Les mères que nous avons reçues ont témoigné du changement opéré sur leur fils en deux semaines et du processus de coupure mentale et physique qui s’établit vis-à-vis des amis, du club sportif, de la famille, comme dans les phénomènes sectaires. Les parents parlent d’un bourrage de crâne. Le discours des recruteurs vise la disqualification systématique des parents. Les adolescents sont aisément manipulés.

Le rôle de certaines mosquées radicales a été à juste titre souligné mais ce mode de recru-tement aurait fortement diminué, des recruteurs extérieurs utilisant plutôt les mosquées comme terrain de recrutement. Le pouvoir des mosquées paraît aujourd’hui limité, que ce soit dans un sens positif (empêchement de la radicalisation) ou négatif (appel au djihad).

De même, les réseaux sociaux accompagnent, accélèrent et amplifient le phénomène plus qu’ils n’en sont la cause. Ils permettent l’auto-radicalisation. Leur contrôle est essentiel.

Les menaces que font peser les returnees

Les magistrats chargés de l’antiterrorisme soulignent qu’on ne fausse pas compagnie faci-lement à Daesh et s’interrogent : soit ils rentrent parce qu’ils ont une mission, soit ils sont choqués, se cachent car ils risquent leur vie, mais peuvent un jour « exploser ». La dangerosité

7. Fabrice de Kerchove.8. Analogie utilisée par la Sûreté de l’État.

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des jeunes qui rentrent en Belgique est aujourd’hui très difficile à évaluer, notamment faute d’équipes pluridisciplinaires spécialisées à cet effet. Dans le doute, on incarcère. Une approche spécialisée pour traiter de cette question est indispensable.

Pourquoi la Belgique fournit-elle un nombre important de djihadistes ?

1. Plusieurs facteurs pourraient expliquer les contingents importants que la Belgique fournit aux groupes terroristes. En tout cas, ils sont spécifiques à la Belgique et se rajoutent au contexte international et à la quête d’identité des jeunes de nombreuses sociétés tant occidentales qu’arabes : (1) les conditions de l’installation d’un islam salafiste et frériste en Belgique ; (2) le rôle délétère de Sharia 4 Belgium ; (3) la situation socio-éco-nomique et les performances scolaires globalement moins bonnes des jeunes issus de l’immigration ; (4) les tensions entre sunnites et chiites qui ont des prolongements en Belgique. Au lendemain du premier choc pétrolier, la Belgique a facilité l’installation et la reconnaissance d’un islam salafiste soutenu par l’Arabie Saoudite. Cet islam a profondément imprégné les immigrés maghrébins de Belgique qui se ré-islamisent de manière dévote9. Dans les années 1990 et 2000, les Frères Musulmans deviennent également très actifs en Belgique et sous l’inspiration de Tarik Ramadan œuvrent à la création d’un bloc solidaire socio-politique mono-religieux. Ces premières générations ont bouclé le pouvoir, notamment pour des raisons d’accès aux financements, empê-chant une nouvelle génération d’émerger. Celle-ci a grandi dans la saturation des Frères musulmans et des salafistes et a des revendications fortement identitaristes où l’islam est utilisé pour réagir contre un système. Cependant une majorité silencieuse modérée attend autre chose10.

2. L’activisme de Sharia 4 Belgium et le discours haineux de son leader Fouad Belkacem à l’égard des non-musulmans pendant plus de deux ans avant son interdiction en octobre 2012 ont clairement servi de catalyseurs. Cette organisation a créé un climat particu-lièrement propice au radicalisme djihadiste en particulier dans les grandes villes de Flandres et à Bruxelles. Elle a recruté, formé et envoyé de nombreux jeunes en Syrie. A elle seule elle explique une bonne part de la surreprésentation des jeunes Belges sur les terrains djihadistes.

3. On l’a dit, les discriminations socio-économiques sont souvent évoquées à tort lorsqu’on examine le parcours des djihadistes. Mais les blessures d’un parcours personnel diffi-cile peuvent contribuer à la rupture avec la société. La Belgique atteint le plus mauvais score de l’OCDE en matière d’intégration des migrants sur le marché du travail. Et les enquêtes PISA font ressortir qu’en Belgique les performances scolaires des jeunes d’ori-gine étrangère sont moins bonnes que celles des jeunes autochtones. La Communauté flamande fait partie des systèmes éducatifs de l’OCDE où l’écart de performance entre élèves issus de l’immigration et autochtones est le plus élevé. La Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas beaucoup mieux positionnée, même si les chiffres se sont récemment améliorés11.

4. Les méfiances sont très vives entre chiites et sunnites en Belgique comme l’a montré l’attentat en mars 2012 contre la mosquée chiite Rida à Anderlecht qui a coûté la vie à son imam. L’Iran est régulièrement accusé de prosélytisme exacerbé.

9. Alain Grignard.10. Ibidem.11. Zoom, publication de la Fondation Roi Baudouin, Mai 2014.

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L’islam instrumentalisé

Les connaissances religieuses des candidats au djihad sont souvent faibles voire quasi nulles. Mais l’islam sert de référence identitaire. L’adhésion à une croyance particulière fait lien social. Pour de nombreux interlocuteurs, il existe une véritable fracture entre musulmans et non-mu-sulmans en Belgique. Ils insistent aussi sur la crise de la pensée musulmane largement dominée par les visions salafistes ou fréristes, qui se livrent à une véritable concurrence à Bruxelles, sans véritable alternative moderniste. Certaines nouvelles initiatives de la société civile musulmane comme l’Espace Pointcarré ont des accointances fréro-salafistes.

Les interventions de pays étrangers sont en croissance et en concurrence, notamment via les contributions financières, mais aussi la formation et le recrutement des imams ou le contrôle des mosquées (surtout la Turquie via le Diyanet, mais aussi l’Iran, le Maroc ou les pays du Golfe).

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II. AGIRFace aux menaces que font peser sur nos sociétés le radicalisme et le terrorisme, les initia-tives politiques doivent inclure des mesures générales de promotion d’une société inclusive basée sur des valeurs humanistes grâce à l’éducation, la culture et la promotion sociale. Mais la réponse à la menace doit évidemment prévoir un travail de détection et de prévention du radicalisme, d’empêchement des départs, d’encadrement ferme des retours et des mesures de sanction à l’égard des djihadistes et de ceux qui les soutiennent.

De très nombreuses initiatives ont vu le jour ces derniers mois, tant dans le domaine de la recherche que de la prévention ou de la lutte contre le radicalisme. Ces initiatives émanent de la société civile ou des autorités publiques, du pouvoir fédéral comme des entités fédérées ou des autorités locales. Elles sont également prises au niveau européen ou international.

Toutefois, il manque encore un véritable plan stratégique belge et une indispensable coor-dination de ces initiatives diverses. La validation des initiatives les plus pertinentes doit être un processus permanent, tant le phénomène est mouvant et les certitudes d’hier remises en question.

Créer une autorité de coordination interfédérale

Beaucoup de mesures ad hoc ont été prises, parfois par des communes (il existe des réfé-rents radicalisme dans une dizaine de communes : Bruxelles, Anvers, Vilvorde, par exemple), parfois par des associations ou des Fondations (comme la Fondation Roi Baudouin), par l’Etat Fédéral (services de renseignement, parquet, militaires,…), les Régions (observatoire pour la prévention et la sécurité à Bruxelles, avec le recrutement d’un « responsable radicalisme »), les associations de parents (l’association « Aux parents concernés »),…

Toutefois, il n’y a pas de plan d’ensemble à ces initiatives. Leurs responsables travaillent en ordre dispersé, les leçons apprises ne sont pas passées au crible de leur efficacité réelle, certains projets, par exemple le soutien aux familles, ne bénéficient pas de suffisamment de soutien. Il existe beaucoup de mesures ad hoc avec un manque d’expertise et de savoir-faire12.

Par ailleurs les expériences utiles menées à l’étranger devraient davantage inspirer les actions en Belgique. L’Allemagne par exemple mène une expérience intéressante d’aide aux familles (programme EXIT), financée par le gouvernement allemand et mise en place par des ONG13.

Pour réaliser cette indispensable coordination, - ce soutien aux initiatives les plus utiles, le partage d’expérience, les avancées législatives, le dialogue avec les niveaux supranationaux-, un centre interfédéral de coordination, de financement et d’avis doit être mis en place en lien avec les associations, les magistrats et la police fédérale, ainsi que les représentants des différents niveaux de pouvoirs publics.

Ce centre doit faire le lien entre les initiatives privées et publiques, les mesures de promotion du vivre ensemble et de détection, voire de répression du radicalisme. C’est une priorité majeure.

12. Fabrice de Kerchove.13. Ibidem.

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PROMOUVOIR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE

Revoir substantiellement notre politique étrangère à l’égard de certains pays, notamment du Golfe et renforcer le rôle de l’Union Européenne

Les pays du Golfe doivent faire l’objet d’actions diplomatiques déterminées de la part de l’Union Européenne et de ses États membres. Nous devons revoir les relations malsaines que nous entretenons avec certains alliés (Arabie Saoudite, Qatar, …) qui ont des relations claires avec le terrorisme. Ces pays participent directement ou indirectement au financement du terrorisme. A l’instar des décisions prises par d’autres pays européens, notre dépendance énergétique à l’égard de ces pays doit impérativement diminuer.

La question de la prolifération des armements et du rôle de la Belgique dans ce domaine doit être traitée sérieusement. Il n’est pas admissible que l’Arabie Saoudite soit le premier client de la FN en matière de fourniture d’armes. Notre sécurité et la stabilité du monde dépendent de décisions courageuses dans ce domaine.

L’Union Européenne, même si elle n’est pas compétente en matière de sécurité intérieure et de renseignements (ce sont les États membres qui exercent seuls ces compétences), peut encourager les coopérations entre les États membres dans ces domaines. Une plateforme d’échanges de renseignements devrait être créée.

Malgré les réticences de certains États membres (dont notamment la Grande-Bretagne), nous plaidons pour la création d’un Euro-Intelligence, à l’instar d’Europol qui doit également être consolidé.

L’Union Européenne doit s’impliquer davantage dans tous les pays du pourtour méditerranéen, où les défis sont colossaux : immigration, sécurité, terrorisme, défis sociaux et démocratiques.

Concernant l’efficacité du contrôle aux frontières d’individus dangereux, il faut impérative-ment préserver la libre circulation au sein de l’espace Schengen mais renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’Union Européenne. Aujourd’hui on ne contrôle véritablement que 30 % des entrées dans l’UE, il faudrait arriver à 100 % de contrôle comme aux Etats-Unis14.

Enfin, l’UE devrait prendre des mesures concernant internet : surveillance, retrait des conte-nus, voire organisation de contre-discours.

Promouvoir par l’éducation et la culture une société inclusive qui porte des valeurs humanistes

La promotion d’un socle de valeurs fondamentales, communes, telles qu’elles sont énoncées dans le préambule du Traité de l’Union Européenne15 ou la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (notamment la liberté de conscience et d’expression) est un enjeu fondamental pour notre société extrêmement diverse sur le plan culturel.

14. Gilles de Kerchove.15. Article 2 TUE: “L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de

droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes”.

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L’adhésion à un projet de société commun à tous les Belges, la cohésion sociale et l’élabo-ration d’un avenir et d’un patrimoine communs passent par l’adhésion à ces valeurs. Avec toutes les composantes de la société il est essentiel de travailler ensemble à ce bien commun.

Les efforts réalisés à cet égard par la ministre de l’Education pour développer des outils pédagogiques dans les écoles, pour renforcer l’éducation à la citoyenneté ou pour multiplier les initiatives culturelles et artistiques (la pièce de théâtre « Djihad » par exemple) sont très importants.

Les medias ont aussi clairement un rôle à jouer à cet égard.

Multiplier les lieux de dialogue

Il faut travailler de manière active et engagée sur les relations entre musulmans et non-musul-mans16. Il faut davantage oser les lieux de dialogue, de frottements, de tensions pour confron-ter les valeurs, déconstruire les fantasmes de complots conspirationnistes. La confrontation permet un véritable dialogue au contraire de la violence où l’autre est diabolisé17. Un véritable débat de fond, d’échanges et de discussions doit s’engager, et pas uniquement dans le cadre d’actions visant à démontrer les bonnes relations entre les communautés (sport,...). Il faut tisser des liens, en particulier avec les jeunes générations.

Les outils d’éducation permanente doivent être mobilisés à cet effet, mais aussi les écoles, les organisations de jeunesse et les associations. Ainsi que les lieux de cultes. La Communauté flamande loue des locaux aux mosquées pour faire de l’Inburgering18.

Les élites intellectuelles musulmanes modérées sont aujourd’hui très discrètes. Elles doivent avoir la possibilité de s’exprimer à plus haute voix. Si on soutenait une revue de jeunes musulmans réformateurs qui font circuler d’autres idées, avec la mise en place d’une librairie et d’un site web avec un blog, la population musulmane n’attend que cela19.

A Bruxelles, par exemple, une assemblée de citoyens tirés au sort et provenant des diverses communautés pourrait agir comme organe d’avis auprès du Parlement bruxellois.

Enfin le dialogue interconvictionnel et philosophique doit être mieux soutenu.

Créer un service citoyen généralisé

La création d’un service citoyen et sa généralisation permettrait un brassage social et culturel. Il renforcerait les liens entre les jeunes Belges, permettrait de renforcer des valeurs comme la solidarité, la responsabilité, le respect des différences et du bien commun, l’appartenance à une communauté de destin.

Il permettrait également de détecter les jeunes qui nécessitent une aide particulière et de la leur fournir. Il leur permettrait d’acquérir des compétences pour leur insertion sur le plan citoyen, social et professionnel. Un statut spécifique est nécessaire pour les prestataires du service citoyen.

16. Felice Dassetto.17. Philippe Dachelet.18. Felice Dassetto.19. Ibidem.

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Le cdH a déposé une résolution à la Chambre pour un service citoyen généralisé de 3 mois à l’attention des jeunes de 18 à 30 ans et s’apprête à déposer une proposition de loi visant à créer un statut spécifique pour les prestataires d’un service citoyen.

Favoriser l’insertion dans la société belge

Aujourd’hui, l’obtention de la nationalité belge se fait sur base de critères et de procédures prévus par le nouveau Code de la Nationalité Belge d’application depuis le 1er janvier 2013. C’est un processus purement administratif. Nous proposons de finaliser l’acquisition de la nationalité belge par une cérémonie d’accueil au niveau communal qui inclut une presta-tion de serment de respecter la Constitution et les textes pertinents en matière de droits de l’homme, mais aussi, si cela s’avère nécessaire, un soutien à l’intégration.

Nous proposons de mettre en place un parcours d’accueil obligatoire pour les primo-arri-vants issus de pays hors UE.

L’apprentissage d’une des langues nationales ainsi que l’alphabétisation sont aussi des fac-teurs puissants d’intégration sociale et culturelle. L’accès à l’alphabétisation doit être garanti pour chaque personne qui le nécessite et l’apprentissage d’alphabétisation doit s’articuler avec les autres initiatives, notamment dans le cadre de la cohésion sociale.

L’urbanisme et l’aménagement du territoire sont des leviers majeurs pour construire une société interculturelle. Une réflexion s’impose dans ce domaine.

Limiter les influences radicales au sein de l’islam

Ce processus passe par un plus grand ancrage du culte dans la société belge. Il s’agit de mieux contrôler le recrutement, la formation, le financement des imams et de limiter les interférences étrangères. Quand on sait que le Diyanet turc a organisé en 2010 une conférence sur le « prétendu génocide arménien », on voit que l’enjeu est de taille.

Il faut également s’interroger sur l’usage des langues dans les lieux de culte, mais cette question n’est pas facile à régler (bien d’autres langues que les langues nationales sont utilisées dans des lieux de culte catholique par exemple). Il convient à tout le moins que les imams reconnus comme ministres de culte en Belgique maîtrisent au moins l’une des langues nationales.

PRÉVENIR LA RADICALISATION ET EMPÊCHER LES DÉPARTS

Lutter contre la haine et l’appel au djihad sur les réseaux sociaux, améliorer la cybersécurité

La cybersécurité est une urgence aussi grande que la lutte contre le terrorisme. Le centre belge pour la cybersécurité, annoncé de longue date mais toujours dans les limbes, doit impérativement être mis en place sans tarder. Bruxelles est un véritable nid d’espions.

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Une autre priorité est de pouvoir retirer rapidement les contenus racistes, haineux ou appelant au djihad sur internet. Nous proposons de créer en Belgique un dispositif similaire à celui qui existe en Grande-Bretagne et qui s’est révélé particulièrement efficace (93 % des contenus problématiques sont rapidement retirés, à l’initiative de Scotland Yard)20.

L’anonymat sur internet favorise l’émergence et la très large diffusion de discours violents, racistes, menaçants ou faisant l’apologie et la publicité du djihadisme. Une théâtralisation très efficace est mise en place par Daesh. On est passé du cinéma muet (Al Qaeda) à Star Wars21.

Il faut pouvoir être identifié lorsqu’on est dans l’espace public. La lutte contre l’anonymat, souvent présentée comme très compliquée est techniquement possible et politiquement justifiée, selon Thierry De Smedt, professeur spécialisé dans les médias sociaux à l’UCL. Il n’y a de communication valide que si les interlocuteurs sont en capacité de se reconnaitre22".

Enfin, la question des contre-discours a été longuement discutée. Les dispositifs publics comme en France ne seraient pas efficaces. Ils renforceraient les arguments des recruteurs sur l’existence de complots contre l’islam.

Eviter la radicalisation en prison

Les propositions relatives au radicalisme en prison déposées par le ministre de la Justice Koen Geens au mois de mars 2015 sont intéressantes, pour autant que les moyens suivent. Elles ont un double objectif : d’une part éviter que les détenus ne se radicalisent durant leur détention, et d’autre part développer un encadrement spécialisé des personnes radicalisées. Dix points d’action ont été identifiés dans ce cadre, dont la meilleure coordination avec la Sûreté de l’État et l’échange d’informations, la sensibilisation et la formation du personnel pénitentiaire en vue de mieux détecter les phénomènes de radicalisation et une plus grande implication des représentants des cultes (musulman en particulier).

En ce qui concerne le placement des détenus qui sont identifiés comme présentant un risque, deux approches sont possibles : l’isolement par la concentration ou l’isolement par la dis-persion. Dans son plan, le ministre Geens ne souhaite pas privilégier systématiquement la concentration mais souhaite plutôt une approche modulée selon le risque identifié : maintenir les détenus au maximum dans les sections ordinaires lorsque le processus de radicalisation peut être maîtrisé ; orientation vers des sections spécialisées dans le cas contraire23.

Si les pistes avancées sont intéressantes, le processus de radicalisation dans les prisons peut difficilement être appréhendé de manière étroite, tant une réponse appropriée à ce phénomène est inévitablement liée à la question plus large du fonctionnement du système pénitentiaire et du parcours de détention. Elle est d’autant plus difficile à appréhender que la détection du phénomène n’est pas évidente, dès lors que les détenus les plus radicalisés ne sont pas toujours ceux qui posent le plus de difficultés de comportement et dès lors attirent moins l’attention des équipes pénitentiaires.

Fondamentalement, pour éviter la contagion du fanatisme religieux au sein des prisons, la meilleure voie reste de mettre en œuvre une politique de détention humaine, axée sur la conclusion d’un plan de détention, qui donne du sens à celle-ci et identifie un parcours qui favorise progressivement la réinsertion au sein de la société. Ce parcours implique notamment

20. Une proposition de loi organisant une procédure de retrait des contenus faisant l’apologie du terrorisme sur internet sera prochainement déposée par le cdH à la Chambre.21. Fabrice de Kerchove, Fondation Roi Baudouin.22. Thierry De Smedt, professeur spécialisé dans les médias sociaux à l’UCL.23. Des sections spécialisées seront mises en place à Bruges et à Ittre et mises en service à partir de décembre 2015.

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le renforcement des formations et d’activités professionnelles au sein des prisons, ainsi que la modulation des conditions de détention au fur et à mesure du parcours. Dans ce but, la loi de principe de 2005 doit être intégralement mise en œuvre, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Plus spécifiquement, nous prônons la création d’un centre interfédéral pluridisciplinaire de traitement du radicalisme chargé d’assurer l’analyse et le suivi des individus dont le risque de radicalisation violente a été identifié, en particulier dans le cas de returnees (voir Mettre en place un suivi rapproché des returnees).

Le renforcement de l’accompagnement psychosocial des détenus est, dans ce cadre, au moins aussi important que l’augmentation du nombre de représentants des cultes. L’obtention d’un diplôme de religion islamique, dont l’obtention serait exigée à terme pour les Imams en prison, doit être analysée dans le cadre plus large du financement des cultes. Le suivi d’une formation en accompagnement psycho-social est à cet égard au moins aussi nécessaire. En la matière, la réalisation du plan du ministre de la Justice sera analysée en particulier à l’aune des moyens qui y seront consacrés.

Renforcer l’efficacité de nos services de renseignement

Les moyens budgétaires doivent absolument être renforcés. Le cdH s’est longuement exprimé sur ce sujet ces derniers mois.

Par ailleurs le cdH salue la décision du Conseil des Ministres de ce vendredi 12 juin 2015 permettant l’élargissement des infractions terroristes, permettant les méthodes particu-lières de recherche, y compris les écoutes téléphoniques. Dommage cependant que ce texte arrive plus de 6 mois après les premières annonces du gouvernement sur le sujet. C’était une revendication de longue date des magistrats et cela permettra de ne plus dépendre de services de renseignement étrangers pour la collecte de certaines informations. Un renfor-cement humain et technologique dans le domaine du social media intelligence est lui aussi indispensable.

Actuellement, c’est le désastre en matière de banques de données : police, Sûreté, SGRS ont chacun leur banque de données. Ces banques doivent absolument être intégrées. Le Collège de Renseignement et de Sécurité doit nous ordonner de mieux coopérer24. Le même logiciel Open source devrait être acquis par la VCCE et le SGRS.

Empêcher les départs en retirant les documents de voyage

Actuellement, dix personnes par mois quittent notre territoire pour rejoindre des zones de combat.

Il est très difficile de prévenir ces départs même lorsque de lourdes suspicions existent. Toutefois, à l’instar d’autres Etats, il nous paraît important de prévoir un dispositif législatif qui permette le retrait des documents de voyage. Aussi, nous proposons de permettre à la Justice d’effectuer un retrait des cartes d’identité pour une période de 6 mois renouvelable.

24. Général Testelmans, patron du SGRS.

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Nous n’avons pas voulu confier cette compétence au ministre de l’Intérieur car il est essentiel dans ces matières de faire la juste proportionnalité entre les droits de chacun et l’efficacité de la mesure. Nous regrettons qu’actuellement, il n’est pas fait usage plus souvent du code consulaire qui permet déjà le retrait des passeports.

Nous demandons que ce texte soit complété par le retrait des cartes d’identité dès lors que seule la carte d’identité est nécessaire pour rejoindre la Turquie.

Nous avons bien conscience des limites de cette disposition mais elle donne, notamment en France, des résultats satisfaisants et permet aux familles et à l’entourage de donner l’alerte avec une mesure concrète qui permet ensuite d’identifier et d’assurer un suivi d’éventuels candidats au djihad.

SANCTIONNER FERMEMENT LES TERRORISTES ET TRAVAILLER À LA RÉINSERTION

Le retrait de la nationalité

La déchéance ou le retrait de nationalité est une mesure qui, depuis son annonce, a suscité des polémiques diverses. Certaines sont fondées, d’autres pas du tout, et ces dernières découlent souvent d’une mauvaise compréhension, voire d’une mauvaise explication de celle-ci.

Il s’agit tout d’abord de rappeler que notre Code de la nationalité prévoit déjà actuellement la possibilité de déchéance de la nationalité prononcée par le juge pour des personnes qui ont commis des infractions terroristes. Ce que nous proposons, c’est tout d’abord d’adapter ce dispositif législatif à ce qu’on appelle les « nouvelles infractions terroristes » : le recru-tement, la propagande, l’incitation au terrorisme ; et de ne plus se limiter seulement à la commission de l’acte en lui-même. Ensuite, nous restreignons le pouvoir d’appréciation du juge pour certaines peines qu’il peut assortir de la déchéance de la nationalité et nous créons une automaticité pour d’autres peines. En toute hypothèse, cette mesure de déchéance ne concerne pas les 2èmes et 3èmes générations de belges d’origine étrangère et elle ne concerne que les personnes qui possèdent la double nationalité.

Certains ont vu dans cette mesure un caractère exclusivement symbolique. Cette mesure a cependant une portée bien plus forte car, sans stigmatiser, elle veut aussi donner un signal très clair sur le respect des valeurs fondamentales de notre Etat à ceux qui décident de les bafouer.

Cette mesure, comme d’autres, fait partie du plan en 12 points du Gouvernement fédéral annoncé en janvier 2015. Leur exécution, 6 mois plus tard, se fait toujours cruellement attendre.

Un encadrement systématique des returnees

Les returnees représentent un gros problème puisqu’ils ont été entraînés aux armes et qu’ils représentent une menace potentielle importante. Ils doivent se réintégrer socialement, scolairement ou professionnellement à la société. La principale difficulté réside dans le fait qu’il n’y a pas une mesure unique qui permette de gérer ces retours car la multiplicité des

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profils appelle une variété et une approche sur mesure des différentes situations.

Nous prônons la création d’un « centre interfédéral pluridisciplinaire de traitement du radi-calisme » qui soit apte à identifier les mesures les plus appropriées à l’égard des returnees, en fonction de leur situation et de leur motivation au retour, notamment. L’emprisonnement peut être décidé lorsque cela est indispensable, mais il faut éviter d’envoyer systématiquement en prison tous ceux qui reviennent de Syrie et incarcérer ceux qui représentent un danger. L’emprisonnement systématique de tous les returnees, faute de mieux, est un pis-aller, voire est contre-productif afin d’éviter la propagation du fanatisme violent. Ce centre pluridisci-plinaire serait chargé, à l’instar de ce qui a été mis en place pour les pédophiles, de choisir la réponse qui parait la plus appropriée à chaque individu et d’assurer un suivi de la mise en œuvre des actions décidées.

Ce centre pluridisciplinaire pourrait également prévoir des mesures de réinsertion. Dans ce cas, il est essentiel qu’une approche locale soit privilégiée et que ces autorités soient non seulement parfaitement informées mais aussi qu’elles disposent des moyens nécessaires à la surveillance et à la réintégration de ces personnes dans leur milieu de vie.Sans naïveté ou angélisme, nous devons développer au niveau local de vrais programmes de réinsertion qui apportent un soutien psychologique mais aussi qui proposent une réinté-gration vers l’école, le suivi d’une formation, la recherche d’un logement… Ce programme « sur mesure » a été développé avec succès dans d’autres Etats.

Nous devons aussi réfléchir à la mise en place d’un système d’accompagnement pour les djihadistes qui souhaitent quitter le milieu, notamment par un travail avec les mosquées et le dialogue, voire un plan de couverture.

C’est en résumé d’une vraie stratégie nationale de déradicalisation que nous avons besoin, qui comporte non seulement des stratégies locales, au niveau des entités fédérées et nationale, mais qui sont coordonnées entre elles. Cette stratégie de déradicalisation doit comporter un service de déradicalisation sur base volontaire impliquant une approche transversale, la mise sur pied d’un système d’accompagnement pour les djihadistes qui souhaitent quitter le milieu radical mais aussi développer des alternatives à la prison pour les returnees.

Nous devons aider ces jeunes à redevenir des citoyens à part entière.

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COMPRENDREPARTIE 1 :

ÉTAT DES LIEUX

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1. ETAT DES LIEUX

Avant de parler des causes de la radicalisation, nous voulons donner un aperçu descriptif de la situation aujourd’hui en termes de statistiques, de profil des jeunes, des processus et du cas particulier des returnees.

Quelques données15 propres au contexte belge :

• Début des départs : 2012

• Nombre de djihadistes belges partis combattre en Syrie/Irak16: +/- 26317

• Nombre de djihadistes belges morts en Syrie/Irak : +/-5618

• Nombre de djihadistes belges revenus de Syrie/Irak : entre 12219 (dont un tiers sont considérés comme dangereux)

• Nombre de djihadistes belges revenus de Syrie/Irak qui sont actuellement en prison : 6120

• Nombre de djihadistes européens partis en Syrie/Irak : +/- 3.000- 3.500

• Nombre de djihadistes étrangers en Syrie/Irak : +/- 15.00021

• Nombre de départs par mois de djihadistes belges vers la Syrie/Irak: 1022

• Age moyen : entre 18 et 22 ans23

• Age du plus jeune : 13 ans

• Principales villes belges touchées par les départs : Anvers, Vilvorde, Malines, Bruxelles, Liège

• La Sûreté de l’État estime que 70 % des Belges qui sont en Syrie ont rejoint Daesh. Selon eux, on retrouve des Belges partout où Daesh est actif24.

15. Ces données sont à titre indicatif et doivent être utilisées avec prudence car il n’y a pas véritablement d’études académiques faites sur les profils des jeunes qui partent et les académiques n’ont pas accès aux fichiers sur les départs.

16. Selon Pieter Van Ostaeyen, historien et islamologue cité par Le Soir, 481 Belges seraient partis combattre en Syrie ou en Irak dont 41. femmes (cfr. Le Soir, 8 avril 2015, « 481 Belges auraient rejoint la Syrie »).17. Selon Jaak Raes cité dans L’Echo, 15 mai 2015, « On retrouve des Belges partout où l’État islamique est actif »18. Ibidem19. Ibidem20. Réponse à une question parlementaire de Philippe Goffin au ministre de la Justice (publiée le 7 avril 2015) : « En date du 11 mars

2015, 61 personnes étaient incarcérées pour des faits de terrorisme. Parmi ces détenus, 55 personnes étaient soit encore des préve-nus, soit pas encore définitivement condamnées. Parmi ces détenus, 6 personnes étaient définitivement condamnées. »

21. Selon l’ONU.22. Contrairement à ce qui est dit dans la déclaration de politique fédérale, on n’est pas capable de mesurer si la radicalisation

augmente ou diminue. On ne peut se baser que sur des cas particuliers qu’on généralise. 23. Selon Pieter Van Ostaeyen, l’âge moyen serait de 25,5 ans (cf. Le Soir, 8 avril 2015, « 481 Belges auraient rejoint la Syrie »).24. Selon Jaak Raes cité dans L’Echo, 15 mai 2015, « On retrouve des Belges partout où l’État islamique est actif. »

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1.1. LE PHÉNOMÈNE DE RADICALISATION

La radicalisation violente, si elle peut appa-raître comme un tabou dans nos sociétés engagées dans un processus de civilisation qui repose sur la maîtrise de la violence, n’est pas un phénomène nouveau. Néanmoins, les acteurs rencontrés sont unanimes sur le changement sur les profils des jeunes qui partent et sur les évolutions des modes de radicalisation. Ce phénomène nouveau se distingue des précédents par l’âge, la rapidité et le volume et qui diffère en ces trois points des djihadistes précédents25.

1.1.1. La variété des profils et le jeune âge

Pour Bilal Benyaich26, « on ne peut pas dire qu’il y a un profil du combattant syrien », même si l’islam radical est ce qui relie les jeunes qui partent27. Parmi les scientifiques, deux visions s’opposent. Ceux qui estiment que le phénomène touche potentiellement tous les jeunes, et ceux qui estiment que seuls les « per-dants » partent (ex : Olivier Roy28). Pourtant, parmi les jeunes partis combattre auprès des groupes terroristes en Syrie, on retrouve une

multiplicité de profils très différents les uns des autres : des jeunes inactifs, des jeunes violents, des jeunes en recherche, des chefs d’entreprises, des jeunes qui sortent de l’uni-versité, des exclus de la justice… Parmi eux, certains sont des meneurs. A chacun de ces profils correspondent des modes de recrute-ments adaptés. Nos auditions nous amènent à adopter cette deuxième lecture, d’autant plus que nous avons eu écho de jeunes qui, ayant réussi socialement et professionnellement, culpabilisent de leur réussite et finissent par s’engager dans la lutte armée. Une façon de s’identifier et de s’acquitter de la dette qu’ils ressentent par rapport à d’autres qui ne s’en sortent pas.

Plusieurs approches scientifiques ont tenté d’expliquer les phénomènes de radicalisation :

• L’approche psychologisante29 a vu dans un passage à la violence le signe d’un parcours accidenté, lié à une instabilité et la recherche de repères des jeunes.

• L’approche par les déterminismes sociaux met en évidence la position des indivi-dus dans la structure économique. Les individus passeraient à la violence car ils

25. Une grande prudence doit être adoptée vu qu’il n’y a pas véritablement d’études académiques faites sur les profils des jeunes qui partent et que les académiques n’ont à ce jour pas accès aux fichiers relatifs aux départs. 26. Chercheur à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et à l’Itinera institute27. La Libre Belgique, 6 avril 2015 « Six catégories de combattants syriens »28. Olivier Roy, Spécialiste de l’islam, Le Monde, 09.01.2015, « La peur d’une communauté qui n’existe pas ».29. Développée par le psychiatre Bollinger dans les années 70 lorsqu’il a analysé les fractions armées rouge en Allemagne.

« On est confronté à un phénomène nouveau qui se distingue des précédents par l’âge, la rapidité et le volume, et qui diffère en ces trois points des djihadistes précédents. » Rik Coolsaet

Source : Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam repris dans le journal Métro du 11 décembre 2014.

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vivent une frustration sociale par rapport à d’autres, détenteurs d’un capital éco-nomique plus prospère. Cette approche a été remise en question, car les socio-logues ont constaté que des personnes économiquement et socialement aisées se livraient aussi à des engagements violents.

• L’approche stratégiste considère que la radicalisation est le fruit d’une réflexion mûrie et assumée dans le chef d’indivi-dus qui veulent transformer la société. Il n’y a pas de structures qui pèsent sur eux. Ces processus sont proches des problèmes d’addiction. Les sociologues qui formulent cette hypothèse se sont davantage concentrés sur les processus et non sur l’individu ou les structures.

La nouvelle vague de djihadistes européens apparue dès 2012 est extrêmement jeune. La moyenne d’âge se situe entre 18 et 22 ans alors qu’elle était autour de 28-30 ans chez les combattants qui partaient en zone de conflit dans les années 90. En Belgique, un enfant de 13 ans est parti. Les profils évoluent : on remarque que les départs touchent de plus en plus les jeunes filles et les femmes30 ainsi que des familles tout entières qui se mettent à partir.

Les attentats terroristes ou les tentatives d’attentats sont beaucoup plus ciblés (ex : policiers, journalistes, avocats…). La sym-bolique de ces cibles renvoie à une histoire personnelle des terroristes. En ce sens, les trajectoires personnelles sont déterminantes dans le processus de radicalisation31.

1.1.2. Une accélération du processus

La durée du processus de radicalisation tend à se raccourcir terriblement. Les personnes rencontrées nous parlent de 2 à 3 semaines. La vitesse avec laquelle les djihadistes partent en groupe est en partie liée aux médias sociaux qui

créent des hyper-phénomènes très modernes. Les jeunes partent de manière beaucoup plus impulsive, contrairement aux générations précédentes de djihadistes, dont le départ était plus raisonné et davantage préparé sur plusieurs mois, voire plusieurs années32. Cette nouvelle donne ne facilite pas le travail en matière de sécurité, car toutes les leçons tirées par les services, sur base d’une expé-rience ancienne, ne sont plus nécessairement valables ou pertinentes.

1.1.3. Des modes spécifiques de recrutement

La Belgique a été un des premiers pays en Europe à constater les départs vers la Syrie. Il semblerait que l’on observe aujourd’hui une croissance dans le nombre de départs qui tourne autour de 10 personnes par mois. Sharia 4 Belgium semble avoir joué un rôle important comme catalyseur ou pôle de recru-tement des premiers envois de combattants depuis notre pays. Si ces pôles de recrutement, qui travaillent en réseaux interconnectés, ont été partiellement démantelés, les djihadistes belges sur le terrain syrien sont aujourd’hui les principaux recruteurs via les réseaux sociaux entre autres. D’autant plus que les djihadistes en Syrie sont payés davantage s’ils arrivent à faire venir de nouvelles recrues depuis l’Occident.

Diverses méthodes de recrutement ont été identifiées : via du travail social (ex : distri-bution de repas aux nécessiteux dans les gares), suivis de prêches, directement via des prêches radicaux dans les mosquées, à travers les associations sportives ou par le biais d’associations dont la pensée tend vers le radicalisme... Dans ces quatre cas, les recruteurs exposent progressivement les jeunes à des idéologies qui les absorbent, en vue de les envoyer vers le noyau dur en Syrie. Le scénario semble bien rôdé : les recru-teurs commencent par regarder des films grand public ou à faire une bonne œuvre pour

30. Il paraîtrait que les djihadistes se voient offrir une prime plus importante s’ils sont mariés.31. A titre d’exemple, Amedy Coulibaly voulait cibler des policiers parce que son meilleur ami s’était fait tuer par un policier.32. Article dans le Monde du 3 mars sur les parcours de radicalisation.

La nouvelle vague de djihadistes

européens apparu dès 2012 est

extrêmement jeune.

« En deux semaines de temps, mon

fils s’est mis à changer. »

Mère d’un jeune

parti en Syrie

« Il a commencé par donner

à manger aux pauvres mais c’était

l’antichambre de la radicalisation.

Après avoir distribué de la

nourriture, ils se voyaient victimes d’un bourrage de

crâne. » Mère d’un jeune

parti en Syrie

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ensuite amener les jeunes vers des discours idéologiques islamistes violents. D’après les services prévention, les recruteurs font le tra-vail sur internet et dans les quartiers. Leurs discours sont très construits, manichéens et totalisants, faisant miroiter une vie parfaite. Dounia Bouzar, anthropologue française, a mis en lumière l’offre personnalisée que les recruteurs djihadistes élaborent33. Il s’agit de véritables stratégies visant à toucher les jeunes après avoir identifié leurs failles. Cela va du discours humanitaire au discours flattant l’ego de jeunes en recherche de reconnaissance et de puissance.

Les mères ont témoigné du changement opéré sur leurs fils en deux semaines de temps. Elles constataient un isolement progressif de leurs enfants, tant vis-à-vis de leurs amis, leur club sportif que de leur famille. Une véritable transformation caractérisée par un proces-sus de renfermement et l’émergence d’une nouvelle identité ne laissant plus de place à l’entourage et aux parents. En fait, le discours des recruteurs vise la disqualification systé-matique des parents. Ils les mettent hors-jeu et préparent les jeunes à la confrontation inévitable d’un contre-discours de la part de leur famille au sens large. On n’est pas loin d’un phénomène sectaire, où une partie des jeunes se font manipuler. Ce qui n’empêche toutefois pas leur libre arbitre de fonction-ner car ils prennent généralement toutes les précautions pour que leur entourage ignore leur départ.

Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube…) facilitent l’auto-endoctrinement34en relation avec les amis présents en Syrie. Les services de sécurité parlent de « l’effet nénu-phar » : le premier jeune est difficile à détecter, par contre on observe une propagation et une contamination à l’entourage (habitants du même immeuble, voisins, jeunes du quartier). En effet, les jeunes qui sont partis ou sur le point de partir recrutent leurs copains par une forme d’émulation de groupe.

1.2. LA PROBLÉMATIQUE DES RETURNEES

Les returnees sont ces combattants d’origine européenne qui se rendent dans les zones de conflit, principalement la Syrie35 et l’Irak, pour y mener le djihad, et s’en reviennent au pays après avoir connu le champ de bataille et s’étant approprié les techniques militaires suscep-tibles d’être reconverties en actes terroristes.

1.2.1. Une véritable menace

Selon Jaak Raes, le chef de la Sûreté belge, 122 djihadistes36 seraient rentrés en Belgique sur les centaines qui sont partis37 en Syrie38. Selon lui, un tiers d’entre eux sont considérés comme dangereux et en ce sens représentent un sérieux défi pour les autorités belges qui doivent désamorcer cette menace pour notre sécurité intérieure et extérieure. Selon le rapport 2014 d’Europol dédié au ter-rorisme39, la menace que les returnees font peser sur l’UE est susceptible d’augmenter de façon exponentielle40. Tous les pays européens sont aujourd’hui confrontés à cette difficulté. En effet, selon Europol, une fois revenus de Syrie, ces returnees peuvent chercher à mettre en place des cellules logistiques, récolter de l’argent et recruter. Ils peuvent servir de modèles au sein des milieux radicaux et encou-rager d’autres candidats au djihad à voyager pour aller combattre. Leur détermination est en outre susceptible de s’être renforcée lors de leur séjour dans les zones de conflit. Ils peuvent aussi s’y être fait un réseau, gage de « compétences » et de contacts, pour mener des attaques dans l’UE.Bien évidemment, les returnees ne sont pas les seuls à représenter une menace. A titre d’exemple, les frères Kouachi responsables de la tuerie de Charlie Hebdo, n’ont jamais été en Syrie, contrairement à Mehdi Nemmouche. Néanmoins, de par leur nombre, les returnees sont les plus inquiétants.

33. BOUZAR, D., Désamorcer l’islam radical. Ces dérives sectaires qui défigurent l’islam, Les éditions de l’atelier, 2014.34. D´autant que dans la plupart des cas, selon Thierry De Smedt, l´éducation aux réseaux sociaux et plus largement à internet n´en

courage que trop peu à la diversité, à aller vers la différence, à devenir des « navigateurs au long cours », alors que la navigation médiatique autonome est une opportunité inédite que les nouveaux médias offrent. L’observation des pratiques des jeunes montre que ceux-ci ont tendance à se rendre de préférence sur leurs sites favoris et sur ceux de leurs amis, encouragés tacitement par certains parents et éducateurs qui redoutent que les jeunes rencontrent des informations, des opinions qui ne sont « pas pour eux ».

35. L’accessibilité de la frontière turco-syrienne est un facteur qui explique pourquoi un plus grand nombre de volontaires européens se sont rendus en Syrie plutôt qu’en Afghanistan, au Mali, en Somalie ou au Yémen.

36. Selon Jaak Raes cité dans L’Echo, 15 mai 2015, « On retrouve des Belges partout où l’État islamique est actif. »37. L’attrait pour le djihad semble se renforcer en Europe depuis la proclamation d’un Etat islamique sur une large portion de l’Irak et de

la Syrie. Il a même évoqué «une reprise des départs» de combattants depuis les pays européens ces dernières semaines (selon Le Soir du 2 septembre 2014, « Le gros danger va venir des returnees »).

38. Bien évidemment, les chiffres sur le nombre de djihadistes belges en Syrie se basent sur les dossiers connus. Certains échappent certainement aux statistiques.

39. EuObserver du 14 janvier 2015,, «Up to 5,000 Europeans joined jihad, Europol chief says».40. Le Soir du 2 juillet 2014, « La menace des returnees pour l’Europe est exponentielle ».

« Il se construisait un nouveau « lui » mais où il n’y avait plus de place pour ses parents. »Mère d’un jeuneparti en Syrie.

« Il n’a rien voulu entendre, ni l’imam, ni la famille. » Mère d’un jeuneparti en Syrie

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1.2.2 . Tous les returnees ne représentent pas une menace

« Tous les hommes qui reviennent de Syrie ne sont pas dangereux », d’après Frederic Van Leeuw, procureur fédéral41. En effet, tous les returnees ne représentent pas une menace. Un chercheur norvégien, Thomas Hegghamer, estime que 11 % des djihadistes belges qui reviennent de Syrie «ont commis, ont tenté ou envisagent de commettre un attentat terro-riste». S’il dit juste, le nombre de terroristes potentiels actuellement présents sur notre territoire devrait flirter avec la dizaine42. Gilles de Kerchove, le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme estime que ces chiffres sont réalistes bien que peut-être un peu élevés43. Pour lui, il est évident qu’un petit nombre de ceux qui vont revenir seront extrêmement radicalisés et vont tôt ou tard basculer dans la violence »44.

41. La Libre Belgique du 2 juillet 2014.42. Le Soir du 10 janvier 2015, « Paris brule-t-il ? Ou la chronique d’un désastre annoncé ».43. Le Soir du 9 janvier 2015, « Returnees, la surveillance permanente est impossible ».44. Le Soir du 14 juin 2014.

Un tiers des djihadistes rentrés

en Belgique sont considérés comme

dangereux.

« Tous les hommes qui

reviennent de Syrie ne sont pas

dangereux » Frederic Van Leeuw,

procureur fédéral

Bien que chaque individu ait son propre passé, ses propres réactions, sa propre démarche, on distingue quatre catégories de returnees :

• Ceux qui sont partis défendre une cause humanitaire.

• Ceux qui sont allés se battre pour l’armée syrienne libre (ASL, l’opposition soutenue par les Occidentaux).

• Les djihadistes qui se sont battus pour Al Nostra ou Daesh.

• Ceux qui ont été recrutés par internet (Skype, YouTube, Facebook).

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COMPRENDREPARTIE 2 :

LES CAUSES DU RADICALISME

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2. LES CAUSES DU RADICALISMECe premier chapitre s’attache à essayer de comprendre les causes du radicalisme qui amènent des jeunes, ne trouvant plus de raison de rester en Belgique, à aller combattre en Syrie. Nous verrons dans cette section que les discussions actuelles s’alimentent d’un grand nombre d’idées reçues, souvent infondées. Il s’agit de les dénoncer afin d’approfondir la réflexion.

De nombreux facteurs ont été avancés ces derniers mois pour tenter d’expliquer le phé-nomène de radicalisation : la recherche de sens et la perte de repères, l’environnement socio-économique des jeunes, la situation internationale et géopolitique, la place de la religion, la particularité du contexte belge... Nous allons en donner un bref aperçu.

2.1. LE CONTEXTE GÉOPOLITIQUE ET INTERNATIONAL

Selon Rik Coolsaet, la recherche académique sur le terrorisme a trop mis l’accent sur les trajectoires individuelles, en oubliant l’impor-tance du contexte45. Un contexte tout autant local qu’international et géopolitique. Aux yeux de certains, il est clair que les recruteurs ont d’autant plus de facilités à recruter que l’inter-vention en Irak46 et ce qui s’en est suivi a facilité l’audibilité des discours anti-occidentaux. Il faut rappeler que ceux qui partent ont grandi dans le discours du choc de civilisation. A titre d’exemple, Guantanamo a été un traumatisme dans tout le monde musulman. Néanmoins, le récit de cette oppression, combiné au nœud du conflit israélo-palestinien47, est entretenu par des groupes radicaux, ce qui leur permet de défendre l’idée que tout le monde occidental est contre le monde musulman.

2.1.1. Le contexte de la Syrie et de l’Irak

Le conflit en Syrie et les tensions qui tra-versent le Proche-Orient sont d’une extrême complexité. De nombreux éléments sont à prendre en compte : la mosaïque ethnique et religieuse, les structures claniques et tribales, le développement de l’idéologie d’Al-Qaïda, les restes Baasistes en Irak et en Syrie, les révoltes du printemps arabe, le départ des troupes américaines d’Irak, la dégradation de la situation en Égypte, le rôle croissant de l’Iran dans la région, le rôle des alliances avec les grandes puissances dans lesquelles on retrouve les vieux clivages de la guerre froide48, la résurgence de groupes islamistes opprimés par les régimes autocratiques, le financement des groupes islamistes et djihadistes par des pays du Golfe (Qatar et Arabie Saoudite), les luttes d’influences et les querelles entre groupes armés, les flux importants de mil-lions de réfugiés, les craintes d’indépendance kurde qui amènent à l’ambiguïté de certains acteurs comme la Turquie. Certains éléments tirent leurs origines de la dislocation de l’em-pire Ottoman, dont les plaies coloniales sont rouvertes par Daesch, alors que d’autres sont davantage liés à l’évolution de l’islam politique.

D’après Alain Grignard, le conflit syrien dépasse largement les frontières géographiques du pays. Il est l’expression d’une confrontation beaucoup plus vaste entre l’Iran49 (Chiite), puis-sance émergente avec laquelle les Etats-Unis réajustent leurs relations, et les pays du Golfe dont le Qatar, et l’Arabie Saoudite (Sunnites à tendance wahhabite/fondamentaliste). La Syrie50, en prolongation de l’Irak51, se situe sur la ligne de fracture entre les mondes Chiites52 et Sunnites qui se livrent à une lutte d’hégémonie à travers une série de conflits et d’agitations entretenus dans divers pays (Liban, Bahreïn, Yémen). Le Qatar et l’Arabie Saoudite n’hésitent pas à financer les groupes djihadistes pour renforcer l’influence sunnite dans la région, ce qui d’ailleurs constitue un

45. C’est indispensable d’aborder la radicalisation sous l’angle du contexte. La Belgique avait mis en place un groupe de travail à Egmont qui mettait l’accent sur la contextualisation du phénomène afin de contribuer à la stratégie de l’UE en 2005.

46. Pour rappel, Al Qu’aida n’existait pas en Irak avant l’invasion dirigée par les Américains.47. Les cibles juives renvoient au conflit israélo-palestinien qui, lui-même, renvoie aux humiliations présumées des Palestiniens.48. Les USA sont derrière l’Arabie Saoudite et la Russie soutient l’Iran et la Syrie.49. L’Iran instrumentalise les rebellions shiites (Irak, Emirats, Pakistan) et assure la protection de ses intérêts via des mouvements

comme le Hezbollah.50. Pouvoir alaouite proche de l’Iran contre une opposition frériste et salafiste soutenus par l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe.51. Souffrant de nombreux attentats anti-chiites.52. Le soutien de l’Iran au régime syrien est donc inconditionnel depuis la guerre contre l’Irak en 1980. La Syrie est son principal relais

dans la région où son poids se fait également sentir sur le Liban.

« Il faut rappeler que ceux qui

partent sont ceux qui ont grandi dans le discours du choc

de civilisation.» Un acteur de prévention

« Le conflit syrien dépasse largement

les frontières géographiques

du pays. Il est l’expression d’une

confrontation beaucoup plus

vaste.» Alain Grignard

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jeu dangereux qui pourrait se retourner contre eux. Si la présence de combattants belges et occidentaux représente une menace très sérieuse pour notre sécurité, la présence de combattants tunisiens, jordaniens, turcs, égyptiens, yéménites,… représentent à leur tour un risque de déstabilisation supplémen-taire des régimes en place dans le pourtour méditerranéen et proche oriental.

Le moins que l’on puisse dire est que la situa-tion est plus que complexe. Cette complexité explique en partie les hésitations politiques des pays occidentaux quant à la position à adopter vis-à-vis du problème de la Syrie.

2.1.2. Daesh : l’émergence fulgurante des combattants islamistes en Syrie

Créé en 2006 en Irak, le mouvement djiha-diste ultra-violent Daesh aussi appelé État islamique (EI / ISIS / Daesh) a commencé à se faire connaître du grand public à l’occasion de son implication de plus en plus importante en 2013 dans la guerre civile syrienne, elle-même amorcée dans la foulée de la répression par le régime de Bachar Al-Assad des manifes-tations du Printemps arabe en Syrie en 2011. Mais c’est surtout sa progression fulgurante au premier semestre 2014 en Syrie et en par-ticulier en Irak (un pays toujours en proie aux déchirements et aux séquelles consécutifs à l’intervention militaire américaine de 2003) qui en a fait une menace de premier plan à l’échelle régionale et internationale, tant pour les populations civiles que pour les divers régimes en place ou pour la communauté internationale.

En effet, dès janvier 2014, la région de Falloujah est conquise. Puis, la progression en Irak se fait rapidement vers le nord-est, avec la prise de Mossoul le 9 juin, la conquête de l’ouest de la province de Kirkouk, et l’avancée vers Erbil, capitale du Kurdistan irakien au début du mois d’août 2014. En parallèle, Daesh progresse

aussi en Syrie et y consolide toute une série d’annexions. Le 29 juin 2014, Daesh proclame le « rétablissement du califat ».

Dans les territoires contrôlés par Daesh, les violences et les massacres se multiplient, plusieurs otages occidentaux sont exécutés, le nouveau pouvoir impose un régime religieux particulièrement dur et pousse de la sorte des centaines de milliers de réfugiés (chrétiens, yézidis, musulmans modérés, kurdes…) à fuir au plus vite vers les territoires encore contrôlés par les Kurdes. Par ailleurs, s’ajoute à tout cela la problématique spécifique des « combattants étrangers » : en effet, selon l’ONU, quelque 15.000 djihadistes étrangers (dont environ 3.000 occidentaux) combattentaux côtés de Daesh en Syrie et en Irak. Face à cette situation, et confrontés à ses implications humanitaires et géopolitiques, c’est à partir du mois d’août 2014 que le Conseil de Sécurité de l’ONU et les puissances occi-dentales se mettent à réagir concrètement. Une importante coalition arabo-occidentale est organisée, composée de 22 pays (les États-Unis,les principaux pays européens, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas,

La Syrie, en prolongation de l’Irak, se situe sur la ligne de fracture entre les mondes Chiites et Sunnites qui se livrent à une lutte d’hégémonie à travers une série de conflits et d’agitations entretenus dans divers pays.

Le 29 juin 2014, Daesh proclame le « rétablissement du califat ».

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l’Australie, le Canada, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Qatar, Bahreïn, les Émirats arabes unis, etc.). Les premières frappes aériennes (principalement américaines) contre des posi-tions de Daesh débutent le 8 août 2014 en Irak et le 23 septembre en Syrie. La coalition offre aussi de l’aide humanitaire, de l’appui matériel et des conseillers militaires (formation) aux troupes irakiennes ainsi qu’aux peshmergas kurdes. Mais il n’est pas envisagé d’engage-ment au sol de la part de troupes occiden-tales en Irak (et encore moins en Syrie, où les Occidentaux ne soutiennent pas le régime du président Assad, bien au contraire).

Le front se stabilise et, progressivement, les Kurdes parviennent à mener des contre-offen-sives victorieuses : notamment la reconquête de la région au sud d’Erbil et du barrage de Mossoul en août, la reprise des Monts Sinjar en décembre (sauvant ainsi in extremis les populations yézidies menacées de carnage), une victoire symbolique avec la reprise com-plète de la ville kurde de Kobané à la frontière turco-syrienne en janvier 2015, etc. Parallèlement à tous ces développements, il faut noter aussi le rôle et les objectifs réels de certaines puissances régionales.

Selon l’ONU, quelque 15.000

djihadistes étrangers (dont

environ 3.000 occidentaux)

combattent aux côtés de Daesh en

Syrie et en Irak.

Source : Journal Libération, 2 octobre 2014.

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L’Iran chiite soutient ainsi l’Irak contre un Daesh sunnite violemment anti-chiite, ce qui l’a fait combattre « aux côtés » de son adversaire habituel, les États-Unis, sans pour autant qu’ils se concertent ou se reconnaissent comme alliés.

Pour sa part, la Turquie poursuit une stratégie pour le moins ambiguë : officiellement membre de la coalition, elle accueille énormément de réfugiés sur son territoire, mais son armée se garde bien d’intervenir contre Daesh et elle reste passive à la frontière devant Kobané. En effet, le pouvoir turc (le président Erdogan en particulier) considère les djihadistes de Daesh comme un moindre mal, voire comme des alliés utiles dans sa lutte contre ses deux ennemis : le régime syrien de Bachar Al-Assad, mais aussi et surtout le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, et son jumeau syrien du PYD (…qui constituent pourtant la dernière opposition effective à Daesh en Syrie et en Irak). En réalité, la Turquie ne veut en aucun cas voir l’émergence d’un Kurdistan qua-si-indépendant en Syrie. Dans ce contexte, les Kurdes accusent d’ailleurs ouvertement l’armée turque de bloquer tout renfort à des-tination de Kobané et, au contraire, de laisser passer les djihadistes venus d’Asie centrale et d’Occident, via les aéroports turcs situés non loin de la frontière.

Enfin, les monarchies du Golfe doivent bien constater qu’elles ont quelque peu joué avec le feu et s’y sont brûlé les doigts. En effet, jusqu’en 2013, Daesh (sunnite/salafiste, à l’instar de ces régimes) a bénéficié de leur soutien financier direct, dans le cadre de la lutte contre le régime chiite alaouite de Bachar Al-Assad. Néanmoins, dès janvier 2014, ce soutien cesse progressivement, en parallèle à la montée en puissance autonome et incon-trôlable de Daesh, à sa violence exacerbée et à ses attaques contre d’autres groupes de la rébellion syrienne. Les discours et les menaces proférés par Daesh contre tout allié (même passif) des « Croisés » occidentaux

(et donc contre les régimes en place dans le Golfe persique) achèvent de convaincre ces pays de leur erreur. En mars 2014, l’Ara-bie saoudite elle-même classe alors Daesh comme « organisation terroriste », procède à des arrestations et coupe les sources de financement, suivie en cela par le Koweït et le Qatar. Daesh recevrait cependant encore des aides financières de la part de riches donateurs individuels, généralement originaires de ces pays du Golfe.

2.1.3. L’islamisme politique

L’islamisme peut être perçu comme la lecture politique de la révélation prophétique, dans un contexte d’aspiration à la décolonisation53. Initialement, il apparaît au milieu du 19ème siècle. Il s’agit d’une réflexion des penseurs face au « retard » pris par le monde musulman associé à son nécessaire « réveil », thèmes qui sous-tendront toute la littérature musulmane dite « réformiste », qui suscite un activisme politique croissant. Il s’agit à l’origine d’une pensée basée sur la raison, révolutionnaire dans le sens où elle appelle l’avènement d’une société nouvelle - directement inspirée par Dieu - plus égalitaire et plus redistributrice. Cette pensée a évolué au fil des décennies et a donné lieu à différentes formes d’islamisme.

Pour les comprendre, Alain Grignard propose de situer ces islamismes sur deux axes. Le premier est l’axe du projet, basé sur la lecture du Coran, qui oppose les réformistes (rendre l’islam compatible avec la modernité54) aux puristes/salafistes/wahhabites (lecture rigo-riste de la tradition coranique et retour à la lettre de l’islam du VIIème siècle)55. Entre ces deux postures extrêmes, il existe des centaines de positions possibles56. Le deuxième axe est celui des moyens que les courants religieux utilisent pour faire valoir leur vision (de la prédication pacifiste au recours à la violence). Les Frères musulmans seront majoritairement en faveur de la prédication non-violente, pri-vilégiant une stratégie douce d’occupation de

53. En même temps, il est vrai que l’islam a construit le religieux et le politique en même temps car il est apparu dans une région tribale peu organisée. La plupart des versets du Coran sont par conséquent politiques. La laïcité est quelque chose qui n’est pas du tout naturel pour les musulmans. Contrairement au christianisme qui est apparu dans une société ultra-politisée par les Romains et dans laquelle Jésus ne va pas se mêler de politique mais uniquement du religieux.

54. On revient au discours religieux mais il y a une ouverture vers le monde moderne en tenant compte de ce qui a changé.55. Puisqu’on ne sait pas savoir ce qui peut être gardé ou non du monde moderne, il faut revenir à la tradition des 3 premières généra

tions après le prophète sans quoi il y a un risque de se détourner des prescrits religieux. C’est donc à la modernité de s’adapter à l’islam du prophète. On les appelle les salafistes ou puristes. Ils ont une vision fermée du monde.

Les monarchies du Golfe doivent bien constater qu’elles ont quelque peu joué avec le feu et s’y sont brûlé les doigts.

Si parmi les salafistes on retrouve des courants violents qui se définissent comme « djihadiste », à l’image de Sharia 4 Belgium ou de Daesh, une grande majorité des adhérents salafistes sont pacifistes.

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l’espace social, mais recèleront en leur sein des groupuscules exaltant la violence poli-tique (« Qotbistes »). Si parmi les salafistes on retrouve des courants violents qui se définissent comme « djihadistes »57, à l’image de Sharia 4 Belgium ou de Daesh, il est nécessaire de préciser qu’au sein du courant salafiste une grande majorité des adhérents salafistes sont-pacifistes58. Les nombreux courants religieux se distinguent donc par leur projet et par les moyens qu’ils se donnent pour y arriver. Le contexte et les momentums peuvent faire varier les postures. Plus le projet de société à laquelle ces groupes religieux aspirent est éloigné des réalités du monde moderne, plus la tentation de la violence sera grande face aux frustrations ressenties quotidiennement et à l’impossibilité, de facto, de dialogue.

Dans tout le monde musulman, en ce compris au sein de la diaspora, une rivalité a toujours été présente entre les tendances (projets et moyens). Les Frères musulmans (plutôt intellectuels fonctionnant par associations) et

56. Les fondateurs des Frères musulmans étaient par exemple plus réformistes que salafistes.57. Ils combinent cette interprétation rigoriste à une action violente visant à imposer par la force cette vision.58. Ils voient dans la violence quelque chose de préjudiciable à l’islam et à sa pratique. du monde.

les salafistes (plus présents dans les couches modestes) se sont montrés particulièrement actifs au gré des fluctuations géopolitiques majeures. Ces deux conceptions se sont affron-tées notamment parmi la diaspora. Durant le Printemps arabe, le salafisme a récupéré les soulèvements souvent suscités au départ parles Frères musulmans.

2.1.4. L’islamisme radical

L’islamisme radical regroupe tous les cou-rant de l’islam, qu’ils soient salafistes ou fréristes, qui appellent ou recourent à la vio-lence pour imposer leur vision politique de l’islam. Historiquement, la pensée qu’était l’islamisme politique s’est raidie progressive-ment et a mué vers une recherche de la suppo-sée pureté primitive, celle du rétablissement d’un gouvernement consultatif musulman. Les Frères musulmans, créés vers 1930 en Egypte, ont développé à travers de nombreuses associations et activités sociales un projet

Vision moderne de l’islam

Vision puriste de l’islam

Moyens pacifistesViolence

Projet de société

Ex: Islam modernisteEx: Qotbistes

Ex: Daesh Ex: Majorité salafiste

Moyen

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de réislamisation sans outrances et ont fait appel à une « union populaire islamique ». La répression croissante du mouvement a donné lieu dans les années 70-80 à des insur-rections plus radicales et violentes appelant à l’instauration intégrale de la charia et une pensée anti-occidentale. Ces mouvements et l’engouement qu’ils susciteront dans certains pans du monde musulman constitueront le creuset de l’islamisme radical actuel.

L’islamisme radical a inspiré les luttes armées en Syrie, en Algérie, en Tchétchénie en Afghanistan, ce dernier restant le dénomi-nateur commun entre de nombreux combat-tants comme étant le lieu de passage obligé dans leur formation. Pour justifier les dérives des groupes radicaux, de nouvelles généra-tions de « théologiens » se sont livrées, et se livrent encore, à d’incessantes acrobaties exégétiques, dont l’interprétation donnée au mot « djihad ». Ces interprétations nouvelles serviront à justifier religieusement n’importe quelles actions contraires, a priori, au texte de la révélation (assassinats, violences et rapines…). Ces actes seront même présentés comme rédempteurs.

L’islamisme radical désigne un extrémisme religieux issu de mouvements revendicatifs. Ces

mouvements s’inspirent d’une lecture politique de la révélation prophétique et accouchent de fractions justifiant le recours à la violence pour arriver à leurs fins. Oussama Ben Laden, Al-Qaïda et son djihadisme global en consti-tuent les références les plus récentes.

C’est dans ce contexte international de ten-sions géopolitiques sur fond d’un islam à variables multiples que vont se déployer les phénomènes de radicalisation.

2.2. Les éléments du contexte propre à la Belgique

La Belgique a été un des premiers pays en Europe à constater les départs vers la Syrie. Il est souvent répété dans les médias que la Belgique est proportionnellement, le 1er pays européen en termes du nombre de combattants par habitant. La Belgique fournirait même cent fois plus de djihadistes pour Daesh que l’Egypte, proportionnellement à la population musulmane présente sur son territoire59. Certains éléments propres au contexte belge peuvent être mis en avant pour expliquer cette situation.

L’apparition de l’islam politique en Belgique est un des éléments de contexte. La Belgique

L’islamisme radical regroupe tous les courant de l’islam, qu’ils soient salafistes ou fréristes, qui appellent ou recourent à la violence pour imposer leur vision politique de l’islam.

LE DJIHAD, QU’EST-CE QUE C’EST ?

« Djihad », est généralement - et abusivement- traduit par « guerre sainte ». Il est, au départ, un terme formé sur la racine arabe trilitère j’h’d’, signifiant « faire un effort ». La dérivation « djihad » signifie en fait que l’on donne un sens à cet effort pour se maintenir sur le sentier de Dieu. Il n’est pas contesté qu’aux premiers temps de l’islam, cet « effort » consistait en actions militaires destinées à réduire ceux qui s’opposaient au message de l’Envoyé. Néanmoins, ce « djihad militaire » fut assez rapidement supplanté, au niveau des sciences théologiques par le « djihad intérieur ». Dans cette acceptation, le djihad peut se définir comme le combat que chaque croyant doit mener en permanence contre son pire ennemi, lui-même, pour rester dans la voie tracée par Dieu, via le prophète. C’est l’exemple mis en exergue par son bon com-portement qui constituera le fer de lance de la propagation de l’islam. On assiste cependant depuis ces dernières années à la mise en exergue systématique de l’aspect le plus réducteur du terme, soit le combat que l’on mène contre les tiers, pour le bien supposé de la religion. Pour les uns, il sera défensif, destiné à la préservation de la religion agressée, pour les autres, il sera offensif dans le but de concourir à son expansion.

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a connu trois phases d’installation de l’islam politique : la neutralité religieuse, l’émergence de la religion et la politisation ce point est développé plus bas dans le chapitre « Une religion instrumentalisée ».

2.2.1. La présence et le rôle de Sharia 4 Belgium

Jaak Raes, directeur de la Sûreté, estime que Sharia 4 Belgium a été le plus important incubateur de candidats au départ. Cette orga-nisation a très tôt encouragé des jeunes à partir se battre en Syrie, et elle a joué un rôle non négligeable de catalyseur dans les premiers envois de combattants venus de Belgique. 46 personnes ont été jugées à Anvers l’hiver dernier, accusées d’avoir prôné le djihad armé et d’avoir mis en place des filières de recrutement et de départ.

Si ces pôles de recrutement, qui travaillent en réseaux interconnectés, ont été partielle-ment démantelés, les djihadistes belges sur le terrain syrien sont aujourd’hui les principaux recruteurs via les réseaux sociaux entre autres. D’autant plus que les djihadistes en Syrie sont, semble-t-il, payés davantage s’ils arrivent à faire venir de nouvelles recrues depuis l’Oc-cident. En effet, il y a également l’effet boule de neige ou nénuphar. « Les candidats au départ se connaissent: ils sont frères, amis, camarades de classe, ils ont joué au football ensemble,… Cela se passe toujours de la même manière. Il y en a un qui s’en va et qui invite les autres à venir le rejoindre. »60

La Belgique connaît également une tradition ancienne de combattants partis en terre de djihad61, comme par exemple avec le Bureau des moudjahidins afghans qui existait en Belgique.

2.2.2. Inégalités, discrimination, racisme et islamophobie

Si les inégalités économiques, sociales et scolaires n’expliquent pas à elles seules la radicalisation, il est vrai qu’elles participent au contexte dans lequel ce phénomène prend forme. Or la Belgique connaît des inégalités économiques importantes et croissantes62.

Les performances scolaires des jeunes d’ori-gine étrangères sont globalement moins bonnes que celles des jeunes autochtones. La Belgique est un des pays de l’OCDE où le système scolaire est particulièrement inégali-taire. Les élèves issus de milieux défavorisés sont doublement victimes : ils subissent l’effet négatif de leur origine et celui d’un environ-nement scolaire moins performant63.

Des discriminations à l’emploi sont également constatées en Belgique et les travailleurs d’ori-gine étrangère ont des difficultés beaucoup plus importantes de participer au marché du travail, en comparaison aux autres États membres de l’UE64. Les personnes d’origine belge présentent le taux d’activité et d’em-ploi le plus élevé et occupent les emplois de meilleure qualité (stables, à temps plein, meilleure rémunérations…)65. D’ailleurs, les Belgo-Marocains et les Belgo-Turcs nés en Belgique et détenteurs d’un diplôme de l’en-seignement supérieur se sentent davantage victimes de discriminations que ceux qui sont arrivés en Belgique après leur naissance66. Les Belges d’origine étrangère sont encore souvent victimes de discriminations, en parti-culier dans le cadre de l’emploi. Le chômage et le racisme représentent les problèmes les plus importants auxquels ils sont confrontés en Belgique67.

2.3. UN SENTIMENT AIGU DE MAL-ÊTRE

La plupart des spécialistes qui travaillent quotidiennement sur les questions de radica-lisme avancent deux observations : la grande

59. Olivier Roy, spécialiste de l’islam, Le Monde, 09.01.2015, « La peur d’une communauté qui n’existe pas ».60. Selon Jaak Raes cité dans L’Echo, 15 mai 2015, « On retrouve des Belges partout où l’État islamique est actif”.61. Le Soir, 8 avril 2015, « 481 Belges auraient rejoint la Syrie ».62. L’Echo, vendredi 22 mai 2015, « Les inégalités entre riches et pauvres au plus haut depuis 30 ans ».63. FONDATION ROI BAUDOUIN, Ce que nous enseigne PISA, Vers des écoles de qualité pour tous ?, ZOOM, 2014.64. Monitoring socio-économique 2013.65. La Libre Belgique du 5 septembre 2013, « La discrimination à l’emploi est une réalité en Belgique »66. TORREKENS, C., ADAM, I., LAMGHARI, Y., THYS, R., WESTERVEEN, L., VAN DIJK, M., Belgo-Marocains, Belgo-Turcs: (auto)portrait de

nos concitoyens. Etude quantitative et qualitative sur les communautés belgo-marocaine et belgo-turque, Fondation Roi Baudouin, 2015.

67. Ibiem.

Si les inégalités économiques,

sociales et scolaires

n’expliquent pas à elles seules la radicalisation, il est vrai qu’elles

participent au contexte

dans lequel ce phénomène prend

forme.

Sharia 4 Belgium a été le plus

important incubateur de

candidats au départ.

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diversité des profils des jeunes qui partent et le mal-être ressenti par ceux-ci.

2.3.1. Une société en changement

Une série d’observateurs lient ce sentiment de mal-être et de non-reconnaissance à l’évo-lution de notre société belge et européenne qui place les jeunes dans des situations de tensions : confrontés à une plus grande ins-tabilité (familiale, professionnelle, affective, politique…) et ne bénéficiant plus des rites d’appartenance, les jeunes doivent prendre un nombre toujours plus grand de décisions personnelles. L’individualisme et un certain pessimisme68 rajoutent aux difficultés des jeunes qui baignent dans un environnement sociétal plus pressant. Et cela d’autant plus que nos sociétés ont développé une culture offensive69 de la compétition qui exacerbe le besoin de protection, renforçant lui-même le repli identitaire.

En parallèle, les nouveaux médias de commu-nication ont fait exploser le milieu familial et l’entourage comme unique lieu d’appartenance des jeunes. Leur vie quotidienne est traversée en permanence de contacts avec un extérieur potentiellement mondialisé.

Les sociologues caractérisent notre société moderne par la perte généralisée des repères traditionnels. Alain Joxe affirme même que l’Etat ne représente plus une force de protec-tion. A contrario, les discours d’organisations terroristes comme Daesch offrent une très forte opportunité d’identification et d’appartenance à un groupe. Ils peuvent même susciter un sentiment, totalement fantasmé, de sécurité. En effet, ces groupes offrent une rémunéra-tion, des biens matériels, voire même des concubines, le tout couronné par une vision religieuse inclusive et totalisante. Daesch revendique l’appellation « Etat » car il entend faire jouer cette fonction protectrice face à des individus qui ne ressentent plus la protection de leur propre pays.

2.3.2. Des jeunes en quête de sens

La radicalisation et le départ de jeunes en Syrie sont systémiques et multifactoriels. Raison pour laquelle il est indispensable de bien contextualiser ce phénomène. Un contexte caractérisé par un mal-être général dans notre société, illustré par un sentiment de « no future », d’absence de perspective, d’abandon, d’inutilité, de perte de sens, de non reconnaissance, de non-réalisation professionnelle, et un sentiment d’injustice. Ce mal-être est d’autant plus prégnant à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, lorsque la construction de l’être adulte implique nécessairement un processus de déconstruction et de reconstruction de son identité. C’est à ce moment que les personnes sont particulièrement sensibles à un discours attractif, celui des recruteurs islamistes, qui apporte précisément ce qu’ils recherchent. Il y a en Belgique et en Europe un manque de reconnaissance des pluralités convictionnelles, des pluralités culturelles, qui crée un malaise chez certains jeunes, particulièrement chez ceux dont les parents ou grands-parents sont issus du Maghreb. Notre société se doit d’être critique vis-à-vis d’elle-même afin d’être consciente de ses propres violences en vue de les apaiser et de s’attaquer aux racines du mal être de ces jeunes.

2.3.3. Les sentiments d’injustice comme déclencheurs de violence

Le mal-être de certains jeunes est fortement lié au sentiment d’injustice. Un sentiment nourri par certaines réalités personnelles (ex : la difficulté de trouver un emploi, la discrimination…), les réalités vécues par l’entourage (ex : les difficultés des parents, l’échec scolaire des frères et sœurs…) ou des réalités plus sociétales (ex : la surreprésentation des étrangers en prison, la surreprésentation des jeunes d’origine étrangère en IPPJ…).

68. Aujourd’hui si on compare la Belgique au niveau européen, les jeunes ont le sentiment d’avoir beaucoup moins d’opportunités même lorsqu’ils ont des qualifications.

69. Selon Thierry De Smedt, les grandes stratégies médiatiques visent toujours à s’adresser au public par sa faille.

« Il y a une disponibilité des jeunes à être utile autrement puisqu’ils ne sont pas mobilisés par la société. »Christine Kulakowski

« Il y a un besoin de reconnaissance et de solidarité auquel la société ne répond pas. »Un magistrat

« La radicalisation varie selon les sentiments d’injustice et pas selon le degré de religiosité des individus. » Fabienne Brion

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Ces réalités amènent à des frustrations réelles ou relatives, parfois vécues comme une humiliation ou indignation. Elles proviennent du décalage entre ce que les jeunes perçoivent et ce qu’ils souhaiteraient être. C’est ce que Ted Gurr appelle la frustration relative70, c’est-à-dire le différentiel entre l’espérance, l’investissement dans la société et ce que l’individu reçoit de cette société. La frustration qui pousse à l’acte résulte du décalage entre les perceptions, les attentes et les désillusions.

C’est d’abord le sentiment d’injustice qui constitue une variable déterminant la radicalisation, et non le degré de religiosité des individus.

Ce processus est confirmé par plusieurs recherches menées dans les communautés musulmanes après les attentats de New-York et de Londres. C’est d’abord le sentiment d’injustice qui constitue une variable déterminant la radicalisation, et non le degré de religiosité des individus. Les nombreuses personnes que nous avons entendues sont unanimes : les jeunes qui partent sont d’abord des radicaux avant d’être des islamistes, cette deuxième identité servant davantage de justification à leurs actes que de réel moteur. C’est en partie ce sentiment d’injustice et ce vécu de victime qui permettent d’expliquer le passage à l’acte violent par la recherche d’une cause qui se cherche des coupables.

Ce décalage renvoie les jeunes à se vivre comme « identité blessée », à ne plus croire au vivre ensemble et à perdre foi dans la démocratie. Il en ressort un désespoir. Cette situation les amène à questionner notre démocratie : « La Justice est-elle juste?», « La loi nous protège-t-elle? », « Peut-on faire confiance dans notre système démocratique ? »

Les discours de personnalités comme Alain Soral ou Dieudonné nourrissent des doutes sur le fonctionnement actuel de la société (ex : hiérarchisation des souffrances, indignations sélectives, liberté d’expression à deux vitesses, contestation du monopole de la violence légitime…). Ils jouent sur les crises (de sens, du lien social, du travail, de l’autorité) pour entretenir les peurs. Celles-ci amènent certains jeunes insatisfaits à prononcer des discours radicaux et poser des actes violents par lesquels ils contestent l’existence même des Etats.

Un travail indispensable est donc à mener sur ces identités blessées, pour permettre de restaurer les sentiments d’appartenance et décloisonner les manières de s’envisager.

2.3.4. Des modes de socialisation violents

Face à ce besoin d’identité nouvelle, les jeunes s’initient à l’extrémisme et au radicalisme à travers de nouvelles formes de socialisation. Cette socialisation est proche de la culture de quartier et des bandes urbaines, où la violence verbale et physique confère aux jeunes un sentiment d’appartenance et de reconnaissance qui résulte du respect acquis par la peur infligée à l’autre. La recherche de sens s’opère donc ici par la recherche de la (toute) puissance, mais elle passe aussi par la victimisation ainsi que la diabolisation de l’autre ou encore l’idéalisation sans nuance.

Les discours radicaux et violents agissent sur ces identités blessées d’autant mieux que ce vécu de discrimination (subjectif ou réel) est entretenu et nourri par des penseurs musulmans qui théorisent la nécessité du départ au djihad en solidarité avec les souffrances des musulmans. La diffusion de celles-ci sur internet en fait un outil redoutablement efficace en ceci qu’elle participe à leur endoctrinement vers un engagement total à une cause violente.

70. Ted Robert Gurr est un politologue américain, spécialisé dans l’analyse des conflits sociaux et politiques et auteur de l’ouvrage Why Men Rebel dans lequel il développe les formes de frustrations qui mènent conduire à l’action collective.

« On reste aveugle par rapport à une partie de

ce qui alimente ce sentiment d’injustice. »

Fabienne Brion

« Le terrorisme est plus un

phénomène de classe moyenne

qui s’identifie à la classe populaire. »

Rik Coolsaet

« Le départ au djihad devient une nécessité surtout quand

elle est théorisée par des penseurs

musulmans. »Felice Dassetto

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2.4. LES INÉGALITÉS COMME FACTEUR MAIS PAS COMME MOTEUR

Le radicalisme est parfois expliqué par les inégalités sociales et pourtant, si elles peuvent être un facteur, elles n’en constituent pas un déterminant majeur. Felice Dassetto est clair : le radicalisme ne s’alimente pas principalement de l’exclusion économique. Selon Jaak Raes, le chef de la Sûreté belge, les jeunes défavorisés ne sont pas les seuls concernés par l’attrait du djihad. « C’est ce que nous pensions avant. Mais nous constatons que des gens à statut relativement élevé quittent également tout pour se battre pour la cause sunnite. » Le radicalisme n’est pas un problème de délinquance ni d’intégration. Sans quoi, le phénomène n’arriverait pas à expliquer les motivations des convertis. Pour Rik Coolsaet, le terrorisme est plus un phénomène de classe moyenne qui s’identifie à la classe populaire71.

Marion van San, chercheuse à Rotterdam, écarte également l’idée préconçue selon laquelle la problématique d’intégration à notre société occidentale justifierait la tentation de se rendre en Syrie72. Pour elle, la majorité des combattants européens en Syrie n’appartiennent pas à des familles vivant aux crochets de la société. Ce sont en général des jeunes très bien acclimatés à notre culture73.

Comme nous l’avons dit, la radicalisation est multifactorielle, et les inégalités ne sont qu’un facteur parmi d’autres. Néanmoins, il est vrai que des inégalités peuvent accroître le sentiment d’injustice. D’autant plus qu’en Belgique, les inégalités sont importantes sur le plan économique74 et scolaire. Les inégalités entre allochtones et autochtones sont marquées. Cette réalité peut renforcer le vécu et alimenter les sentiments des futurs radicaux.

Certains parents entendus ont pu témoigner du désespoir de leurs jeunes. « Avec le nom que j’ai, je ne trouverai jamais du travail. » Les jeunes sont disponibles à se rendre utiles dès lors qu’ils ne sont pas mobilisés par la société. Selon un éducateur de rue, le taux de chômage de jeunes très élevé dans certains quartiers n’explique pas la radicalisation, mais par contre il explique que certaines idées y circulent. Mehdi Nemmouche, Mohamed Merah, Amedy Coulibaly, et les frères Kouachi ont tous des profils tristement banals : ils viennent tous d’un environnement familial défaillant doublé d’un processus de relégation scolaire, pour atterrir dans le monde des bandes, source d’un réconfort inaccessible ailleurs.

2.5.UNE RELIGION INSTRUMENTALISÉE

2.5.1. L’islam n’est pas le moteur principal

Les observateurs sont très clairs sur le fait que les jeunes partis en Syrie s’apparentent davantage à des « radicaux islamisés », pour qui le rattachement à un discours religieux violent est un justificatif a posteriori, qu’à des « islamistes radicaux ». Les connaissances religieuses et politiques des jeunes qui partent rejoindre les groupes terroristes sont quasi nulles. Nous avons eu des témoignages portant sur des jeunes partis en Syrie qui se sont procuré, avant leur départ, « L’islam pour les nuls ». D’après Rik Coolsaet, on constate que ces jeunes souhaitant partir parlent peu de politique et de religion. La « nouvelle génération» de jeunes qui partent faire le djihad est fort différente de l’ancienne génération qui partait dans les années 90 et 2000. Ces derniers (le GIA notamment) avaient eu une vraie culture politique et religieuse, orientée révolutionnaire, beaucoup plus élaborée.

71. CHOUDHURY, T., The Role of Muslim Identity Politics in Radicalisation, University of Durham, 2007.72. En même temps, il est vrai que les classes moyennes sont celles qui subissent le plus la crise et sont les plus exposées à un

phénomène de déclassement social.73. La Libre Belgique du 12 février 2015, « Radicalisme : pas lié à la pauvreté ».74. Gilles Kepel, politologue spécialiste du djihadisme avait déjà fait remarquer que les personnes engagées au Djihad en 1979 étaient

plutôt issus des classes moyennes, éduquées mais venant d’un milieu pauvre. * Le chef de la Sûreté belge.** Chercheuse à Rotterdam

« Le radicalisme des combattants n’est pas lié à la pauvreté.» Marion van San**

«Les jeunes défavorisés ne sont pas les seuls concernés par l’attrait du djihad. C’est ce que nous pensions avant. Nous constatons aussi que des gens à statut relativement élevé quittent également tout pour se battre pour la cause sunnite.»Jaak Raes*

« Le radicalisme n’est pas une question de délinquance ni d’intégration » Un magistrat

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Pour l’islamologue français Olivier Roy, les jeunes radicalisés d’aujourd’hui, s’ils s’appuient sur un imaginaire politique musulman, sont en rupture délibérée tant avec l’islam de leurs parents qu’avec les cultures des sociétés musulmanes75. Ils inventent l’islam qu’ils opposent à l’Occident. Ils pratiquent l’auto-radicalisation sur internet, recherchent un djihad global, et ne s’intéressent pas aux luttes concrètes du monde musulman (ex : Palestine). Bref, ils n’œuvrent pas à l’islamisation des sociétés, mais à la réalisation de leur fantasme d’héroïsme malsain où les méfaits deviennent des actes héroïques.

Des recherches76 au Royaume-Uni portant sur les mécanismes d’identification, ont démontré que les musulmans qui se sentent en premier lieu citoyens britanniques, sont les musulmans les plus pratiquants, alors que ceux qui se sentent avant tout musulmans sont les moins pratiquants. S’il y a un sentiment d’agression, alors l’identification a tendance à être exclusivement musulmane. Cela s’explique par le fait que l’appartenance « musulmane » devient un signifiant pour les plus discriminés. On assiste alors à une identification à d’autres, à la souffrance des musulmans dans le monde et au Proche-Orient. La corrélation est forte entre les identités discriminées et le recours au facteur religieux. Pour certains jeunes, la religion est le dernier recours à leur identité blessée. Ils y trouvent une raison d’exister, une identité de croyance et des liens nouveaux. Plus le sentiment d’exclusion est fort plus le choix se porte du côté de l’islam politique. Les pratiquants sont moins vulnérables que les « laïcisés ».

Pour les mères de jeunes que nous avons rencontrées, la religion est utilisée comme un instrument. Les jeunes sont exposés, via internet, à des théories sur le djihad développées par des penseurs musulmans. Le djihad leur est présenté comme étant une

nécessité. Cela fait écho à leur sentiment d’injustice et de frustrations relatives. D’après Fabienne Brion, on assiste à une alliance politique folle entre les discours populistes et les discours islamistes.

2.5.2.Une radicalisation majoritairement hors des mosquées

Malgré les témoignages de mères minimisant le rôle des mosquées et nous parlant de la radicalisation de leur fils partiellement opérée dans les mosquées, il semblerait que les islamistes aillent « racoler » dans les mosquées en raison de leur haut taux de fréquentation. On peut comparer cela aux Cellules Communistes Combattantes qui allaient racoler dans les universités. Des discours radicaux ont été tenus dans certaines mosquées. Néanmoins, les spécialistes observent que la grande partie de la radicalisation se fait en dehors des mosquées. Une partie des prêches se fait en arabe classique, ce qui empêche une partie des jeunes de comprendre celle-ci. Les témoignages de mères de jeunes partis en Syrie nous confirment que leurs enfants ont trouvé peu d’écho à leurs questions au sein de leurs mosquées locales et que le processus de radicalisation s’est fait principalement en dehors de ce cadre.

2.5.3. L’apparition de l’islam politique en Belgique

La Belgique a connu trois phases d’implantation de l’islam politique : la neutralité religieuse, l’émergence de la religion et la politisation. Dans les années 60, l’arrivée des immigrés musulmans va de pair avec un confinement de la pratique religieuse à la sphère privée ainsi qu’une absence totale de visibilité. Ensuite, à partir du milieu des années 70, sur fond de crise identitaire des communautés musulmanes immigrées, on assiste à un retour à la

75. L’Echo, vendredi 22 mai 2015, « Les inégalités entre riches et pauvres au plus haut depuis 30 ans ».76. Olivier Roy, spécialiste de l’islam, Le Monde, 09.01.2015, « La peur d’une communauté qui n’existe pas ».

« Les départs de Syrie concernent

plus des « radicaux islamisés » que

des « islamistes radicaux » .»

Alain Grignard

« Les jeunes souhaitant partir parlent peu entre

eux de politique et de religion. »

Rik Coolsaet

« La religion est utilisée comme un

instrument. »Maman de jeune

parti en Syrie

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religion (islam de simple imitation plutôt fondamentaliste) qui subit une accélération sous l’influence de mouvements de prédication venus de l’étranger77 (insistant sur les aspects moraux). Ce retour s’accompagne de la prolifération des lieux de culte et des associations. S’en suit une prise de conscience de la présence de l’islam au sein de la population belge qui suscite des crispations et une réaction de rejet, ce qui en agrandit le fossé entre communautés. Par ailleurs, les communautés musulmanes vont aussi devenir les caisses de résonance des événements et conflits à l’étranger. La troisième phase (à partir du milieu des années 80) voit apparaître sur le terrain des mosquées des mouvements adoptant une lecture de plus en plus politisée de l’islam. A Bruxelles, on assiste depuis lors à une concurrence entre les Frères musulmans78

et les salafistes.

Les jeunes musulmans d’aujourd’hui ont grandi dans la saturation de ces deux discours qui ont imprégné toute la société belge musulmane depuis les années 90 avec une vision unique de leur religion79. Pour Felice Dassetto, cette génération s’est formée dans l’intra-religieux et dans une vision intra-communautaire. Ils chaussent toujours les lunettes de leur vision de l’islam pour décoder chaque problématique.

2.5.4. Absence d’une pensée musulmane alternative

Le monde musulman traverse une crise d’identité importante. Il est majoritairement influencé par le côté le plus obscurantiste et le plus violent de l’islam qui surfe sur les aspirations révolutionnaires aggravées par les interactions de l’Occident. Pour plusieurs observateurs rencontrés, il s’agit en partie d’une crise de la pensée musulmane dominée par les visions salafistes/wahhabite ou fréristes, certaines pacifistes, d’autres avec des degrés

de violence variables, sans véritable alternative « moderniste pacifiste ». Il est intéressant de rappeler que les pères de l’islamisme (Al-Afghânî…), espéraient porter un éclairage nouveau sur la religion pour lui permettre d’être modernisée. On ne peut que regretter que les penseurs et théologiens musulmans qui défendent une vision de l’islam inscrite dans la modernité soient largement minoritaires voire inaudibles. Il y a une majorité silencieuse bien présente mais qu’on n’entend pas. Les discours dominants restent les discours des Frères musulmans et des salafistes. La jeune génération ne trouve pas de relais d’une pensée moderniste.

Cette transformation de l’environnement est propice au terrorisme et au radicalisme dans des régions connues pour leur culture d’un islam de paix80. Les réactions dans les pays arabes suite aux événements de Charlie Hebdo en constituent un bon indicateur.

Les extrémismes religieux ne sont, dans bien des cas, que des formes exacerbées d’utilisation du sacré destinées à légitimer des luttes à connotation purement socio-politiques. Ces mouvements religieux exploitent le désarroi de leurs adeptes face à la menace représentée par la modernité. Ils réorientent alors l’utilisation du religieux dans une perspective de reconstruction du monde. Le fait religieux manipulé se trouve dans ce cas en aval et non en amont du déclenchement du mouvement.

2.6. UNE FRACTURE ENTRE MUSULMANS ET NON-MUSULMANS

Gilles de Kerchove l’affirme clairement : « Le terrorisme a pour seul objectif de créer la tension et la division dans notre société et de pousser ainsi des jeunes à les rejoindre dans leur combats terroristes par l’exclusion qui en découlerait. »

77. CHOUDHURY, T., The Role of Muslim Identity Politics in Radicalisation, University of Durham, 2007.78. Le tablîgh, mouvement de prédication non violent venu du Pakistan, presque sectaire, a eu pour conséquence la constitution de

réservoir de recrutement pour des mouvements véhiculant des visées nettement plus agressives et son projet archaïque de société est quasiment l’antinomie d’une perspective de cohabitation harmonieuse au sein d’une société d’accueil occidentale.

79. Il faut en effet rappeler que c’est à partir des Frères musulmans syriens chassés de Syrie en 82 que l’islam politique a fait son entrée dans notre pays.

80. La pensée de Tariq Ramadan par exemple a joué un rôle car il a inspiré cette idée de bloc religieux-socio-politique. Il veut d’une certaine manière recréer les piliers belges d’il y a 50 ans. Il n’a pas une pensée «radicale » mais ses discours ouvrent des personnes à l’identité religieuse, et parmi ceux-ci, il peut arriver que certains veuillent creuser davantage en se rapprochant de discours radicaux.

La grande partie de la radicalisation se fait en dehors des mosquées.

« La jeune génération ne trouve pas de relais d’une pensée moderniste » Felice Dassetto

Les jeunes musulmans d’aujourd’hui ont grandi dans la saturation de discours fréristes et salafistes qui ont imprégné toute la société belge musulmane depuis les années 90 avec une vision unique de leur religion.

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La Fondation Roi Baudouin a réalisé récemment une étude qui parle du fossé grandissant entre les musulmans et les non musulmans : « L’impression dominante est celle d’un constat de fracture dans le quotidien de vie entre musulmans et non-musulmans ». Il est urgent de s’arrêter sur l’importance des fractures du vivre ensemble « afin de se prémunir d’une spirale d’exclusion réciproque ». Il y a 20 millions de musulmans dans l’UE. Bien qu’il y « existe une majorité - qui reste silencieuse -, « des deux côtés », ouverte à un dialogue plus apaisé », « de nombreuses crispations demeurent, qui sont éventuellement reliées à des (imaginaires de) phobies ou à des positionnements idéologiques plus ou moins assumés »81.

D’après Rik Coolsaet, les attentats du 11 septembre 2001 ont renforcé l’identifiant « musulman ». Là où on avait, avant cette date, des problèmes avec des Marocains et des Turcs, la tendance est aujourd’hui de réduire cette analyse à « des problèmes avec l’islam ». « Si vous me traitez de musulman, je vais me comporter comme un musulman ».

« Depuis quarante ans, les relations entre musulmans et non musulmans, pourtant habituellement sans histoire, sont gangrenées et abordées avant tout au travers de divergences de points de vue. Des divergences mal et peu discutées, des divergences que l’on n’a parfois pas voulu voir (y compris entre musulmans). Des divergences qui sont aussi parfois transformées en affrontements et accusations réciproques. Elles ont notamment été largement alimentées par la médiatisation d’aspects qui dramatisent, polarisent, alarment et/ou nourrissent les imaginaires réciproques ». Il y a des « questions non résolues, qui détériorent les relations et qui supplantent des projets réalistes, nous détournent des enjeux de fond»82.

L’étude souligne aussi le manque de « lieux de socialisation entre jeunes non musulmans et jeunes musulmans », alors que « la transformation des relations et l’espoir d’un vivre ensemble paisible se jouent aussi dans les interactions qui sont concrètement nouées dans la vie quotidienne ».

La manière dont on parle de « l’autre » influence énormément la qualité des relations. « Cela suppose de part et d’autre, et de manière plus générale, de ne plus accorder tant de place aux propos « extrêmisants » afin qu’ils ne soient plus à même de donner le ton des relations. Avec la présence importante de l’islam à Bruxelles, nous sommes devant une réalité nouvelle et complexe. À cet égard, il serait utile d’écarter, de toutes parts, des discours avançant des « vérités absolues » car la situation est telle qu’il n’existe surtout que des hypothèses provisoires et des modes d’ajustements en cours. D’ailleurs, on reproche aux musulmans d’être communautarisés, mais on leur demande de réagir contre le terrorisme en tant que communauté. C’est ce qu’on appelle la double contrainte : soyez ce que je vous demande de ne pas être. Et la réponse à une contrainte ne peut être qu’inaudible ». Il n’y a pas de communauté musulmane, mais une population de confession musulmane.

81. Le wahhabisme financé par l’Arabie Saoudite grâce à l’argent du pétrole se propage en Afrique (ex : Niger) depuis 20 ans à travers le financement des écoles coraniques de manière inquiétante.

82. Extraits de « Musulmans et non musulmans à Bruxelles » (Fondation Roi Baudouin), 2014

« Il y a une majorité

silencieuse qui est là mais qu’on

n’entend pas. » Felice Dassetto

« Le terrorisme a pour seul objectif

de créer la tension et la division dans

notre société. »Gilles de Kerchove

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Il y a un manque de lieux de socialisation entre jeunes non musulmans et jeunes musulmans.

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AGIRPARTIE 3 :

PROMOUVOIR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE

« Le projet de développement humain s’attache à rassembler plutôt qu’à diviser,

à refuser l’isolement et favoriser la densité des liens humains. Le lien social et la

fraternité doivent être remis au cœur du projet de société. La société est traversée

par de multiples fractures : sociales, culturelles, générationnelles,... Seul le

dialogue, permettant la compréhension de l’autre, le respect et la tolérance

permettent de lutter avec suffisamment d’assurance, de détermination et de

légitimité contre les replis identitaires et les extrémismes »

Extrait du manifeste du Développement humain, approuvé par le Congrès du cdH du

21 avril 2013

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Le Plan de prévention contre le radicalisme de la ministre de l’Éducation et Vice-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles

En tant que Vice-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ministre de l’Education, Joëlle Milquet a mis en place à la mi-janvier un Plan de prévention contre le radicalisme à l’école. L’enseignement étant un lieu essentiel de transmission de valeurs et de prévention, il ne pouvait à ce titre éluder son rôle dans ce combat fondamental.

Cette stratégie préventive ciblée contre le radicalisme à portée violente requiert le déve-loppement de mesures spécifiques à l’école au-delà des mesures classiques liées à la cohésion sociale. Ce plan d’action s’inscrit dans le cadre des différentes politiques sociales et éducatives développées en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Ce plan se résume en 10 grandes mesures. Il propose un soutien aux écoles (fonctionnaire référent au sein de l’administration et plate-forme composée de personnes-ressources pour venir en soutien aux personnes de terrain). Le plan comprend des formations sur la radicalisation pour les enseignants et les équipes mobiles. Il offre des outils pédagogiques et des services pour les acteurs éducatifs (site intranet, publications). Il vise à renforcer la résistance morale des élèves formation psychophysique de prévention précoce avec un projet spécifique ainsi que la formation des élèves contre les dérives d’internet. La pièce « Djihad » a tourné dans les écoles durant des mois. Un soutien financier a été accordé pour des séances scolaires suivies d’un débat avec des caricaturistes dans les salles de cinéma. Divers appels à projets vont être lancés (« L’extrémisme, je dis non !», « Ouvrir mon quotidien »…). Un programme de sensibilisation et d’aide aux parents et familles a été mis sur pied en collaboration avec les services d’éducation permanente et les Centres PMS. La Déclaration de politique communautaire prévoit l’instauration dans l’enseignement officiel d’un cours commun d’éducation à la citoyenneté, dans le respect de la neutralité, en lieu et place d’une heure de cours confessionnel ou de morale non confessionnel. Des initiatives et programme d’actions de lutte contre le racisme, l’antisé-mitisme et l’islamophobie et la promotion de la diversité ont été déployés et rendus plus visibles et disponibles via des formations et un partenariat avec le Centre d’égalité des chances ainsi que des appels à projets.

3. PROMOUVOIR UNE SOCIETE INCLUSIVELa réponse au radicalisme violent et au fana-tisme religieux doit être avant tout une réponse d’ouverture et de construction d’une société inclusive pour chacun. Cela nécessite de ne tomber ni dans l’angélisme ni dans la para-noïa sécuritaire. Notre projet est celui d’une société ouverte et plurielle, qui au départ de la défense sans concessions de ses valeurs fondamentales permet la construction d’une société interculturelle.

Pour permettre à des cultures, religions, tra-ditions et origines différentes de faire société, la référence aux valeurs humanistes fonda-mentales est un préalable. Ces valeurs de tolérance, d’égalité, de liberté, doivent être consolidées pour raffermir la cohésion sociale et le « vivre ensemble ». L’école et l’emploi en sont des vecteurs majeurs. La lutte contre le radicalisme est indissociable de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie et toutes les formes d’exclusion. Si des mesures immédiates doivent être prises, ces objectifs nécessitent surtout une action politique sur

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Qatar…). De plus, la Belgique doit conti-nuer à lutter contre les filières organisant le radicalisme.

> Résolution déposée sur les droits de l’homme en Arabie Saoudite.

• La Belgique et l’Union européenne doivent repenser sérieusement leurs relations stratégiques et économiques avec cer-tains alliés (Turquie, pays du Golfe…) sur base de leurs relations ambiguës au terrorisme (financement du terrorisme, trafic d’armes…).

• La Belgique doit défendre une position pour que l’Union européenne prévoie la mise sur pied d’un plan « Déradicalisation, Désarmement, Reconversion » (DDR) par son Service européen d’Action Extérieure. En effet, la question de la prolifération de l’armement doit être traitée sérieusement.

• Des projets de lutte contre le radicalisme doivent être introduits dans les projets de coopération au développement.

3.2.PROMOUVOIR LES VALEURS UNIVERSELLES

Nos sociétés parce qu’elles sont humaines ont un socle commun de valeurs (ouverture, partage, respect, liberté, égalité, dignité, fra-ternité…). Ces valeurs universelles, qu’on retrouve dans le préambule du Traité de l’UE, doivent être défendues à tout prix contre ceux qui préfèrent l’obscurantisme, la violence, la division et la haine. Le « bien commun » qui découle de la traduction de ces valeurs peut être discuté et négocié en société sans remettre en question ces dernières. Nos socié-tés étant de plus en plus interculturelles (et ce processus ne va pas s’arrêter), il est plus essentiel encore de travailler ensemble à ce bien commun.

le long terme, et de remettre constamment l’ouvrage sur le métier.

Notre projet ne se limite pas à observer l’émer-gence d’une société multiculturelle, comme on examinerait la diversité des couleurs sur une toile. Elle vise à construire une société inter-culturelle, qui ne prend sens que par la beauté de la toile tout entière.

3.1.REPENSER NOTRE POLITIQUE INTERNATIONALE

Dans le chapitre précédent sur les causes du radicalisme, nous avons abordé la question du contexte géopolitique.Le terrorisme et le radicalisme islamique posent des défis majeurs à la communauté internationale.

Le terrorisme et le radicalisme islamique posent des défis majeurs à la communauté internationale. Ils sont sources de conflits brutaux, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui touchent d’abord les pays musulmans mais qui n’épargnent pra-tiquement plus aucune société sur presque tous les continents. Ils sont une source d’in-quiétude majeure pour l’avenir et ils méritent une réponse politique de la communauté inter-nationale et de chacun de ses pays membres à la mesure du danger.

• La Belgique doit défendre une position pour que l’Union européenne s’implique davantage en matière de sécurité dans tout le pourtour méditerranéen, et parti-culièrement en Tunisie, en Egypte, Liban et en Jordanie.

• La Belgique doit mieux prendre en compte le terrorisme et le radicalisme dans sa politique extérieure et défendre une position pour que l’Union européenne investisse massivement sa diplomatie, en matière de droits de l’homme et d’Etat de droit, dans le Golfe (Arabie Saoudite,

Les valeurs universelles, qu’on retrouve dans le préambule du Traité de l’UE, doivent être défendues à tout prix contre ceux qui préfèrent l’obscurantisme, la violence, la division et la haine.

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Nous proposons dès lors de :

• Développer des outils de présentation et d’explication de nos valeurs fondamentales dans les écoles, dans les mouvements de jeunesse, dans les maisons de quartier dans les communes pour accompagner les débats et échanges sur ces valeurs, sur notre démocratie et sur nos projets de société. Les accompagnateurs de jeunes et les enseignants doivent avoir accès aux outils nécessaires pour renforcer la résilience des jeunes en répondant à leur éventuel sentiments d’injustice (ex : hiérarchisation des souffrances, univer-sel à géométrie variable, indignations sélectives, liberté d’expression à deux vitesses, contestation du monopole de la violence légitime…), en travaillant sur leurs fausses représentations (ex : théorie du complot…) et en s’attelant à un travail de mémoire. Ce renforcement critique et cette résistance morale les muniront face aux discours démagogiques et haineux. En parallèle, les animations portant sur une société plus juste et plus égalitaire sont nécessaires tout en incluant un travail de reconnaissance de la pluralité de la société belge riche par sa diversité. Les témoignages de proches ou d’anciens djihadistes restent la meilleure manière de toucher les jeunes de manière vivante.

• Soutenir le monde associatif actif auprès

des jeunes (organisations de jeunesse, maisons de quartier, associations spor-tives…) qui, par ses activités et ses pra-tiques, favorise l’apprentissage des valeurs fondamentales.

• Valoriser notre patrimoine commun, pour renforcer le sentiment d’appartenance à une société construite par la diver-sité. Les médias peuvent jouer un rôle important à cet égard. Par la culture, il faut permettre des lieux de « chocs de valeurs », de discussions. Il faut avoir

des lieux de frottements, de tensions, de chocs pour faire émerger les conditions du vivre ensemble.

• Développer une démocratie culturelle où la diffusion des valeurs universelles puise dans les auteurs, philosophes, artistes et œuvres issus des différentes cultures et civilisations.

3.3. RENFORCER LA PRÉVENTION

La prévention vise à endiguer le phénomène de radicalisation en s’adressant aux personnes à risque qu’il n’a pas encore touchées.

D’après les acteurs de terrain, le travail de prévention est trop récent pour qu’on puisse évaluer ses résultats. Néanmoins, plusieurs experts interrogés estiment que les politiques de prévention constituent une partie importante de la réponse au problème de radicalisation.

Nous proposons de :

• Former davantage les acteurs de 1ère ligne (gardiens de la paix, personnes dans la rue, agents pénitentiaires…) par des experts avérés afin de renforcer le travail de prévention. Il y a une grande méconnaissance du personnel sur le phénomène de radicalisation et du phé-nomène religieux.

• Renforcer les moyens des autorités locales en vue d’étoffer les équipes des responsables communaux « prévention contre la radicalisation ». La plupart de ces responsables sont débordés et tra-vaillent seuls sur plusieurs communes. Une partie des budgets dédicacés aux Plans de cohésion sociale devrait être attribuée au renforcement du travail de prévention dans les communes.

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• Une coordination du travail de prévention est nécessaire au niveau supra-local. Des formations spécifiques à l’égard des agents de prévention doivent être menées. Une coordination étroite avec les services de police spécialisés doit pouvoir être mise en place, en respectant le rôle de chacun.

3.4. RENFORCER L’APPRENTISSAGE DE LA CITOYENNETÉ AU SEIN DE L’ÉCOLE

La transformation de nombre de pays euro-péens en sociétés multiculturelles pose de nombreux défis en matière de cohésion sociale, de construction de valeurs communes, de rapports aux savoirs, de mémoire collective, de tissage de liens, d’inscription dans une his-toire… et donc d’enseignement. L’école est en effet le premier lieu de découverte de l’altérité (altérité culturelle, sociale, géographique, religieuse…). C’est la raison pour laquelle la démarche citoyenne est intégrée dans de multiples strates au sein du projet scolaire.

L’exercice d’une citoyenneté lucide et active nécessite entre autres l’accès à la parole, au débat argumenté, à la conceptualisation, aux clés de lecture du monde naturel et social, aux codes culturels… Le pédagogue Bernard collot83, dans le cadre du débat mené en France autour de l’éducation civique suite aux actes terroristes, émet les observations suivantes : « Ce que l’école doit contribuer à dévelop-per au plus loin pour chacun, ce sont les outils neurocognitifs qui créent des représentations permettant l’appréhension, la compréhension et l’agir dans les différents mondes créés par notre social-historique. Ces outils, je les ai appelés langages. La sociabilité aussi dépend des outils neurocognitifs qui permettent d’appréhender les autres ».

Plus fondamentalement, l’éducation à la citoyenneté suppose de considérer les savoirs comme des outils non seulement de

compréhension, de réinvestissement, d’action dans et sur le monde, mais aussi d’émanci-pation individuelle et collective. C’est l’affaire d’un projet global tant au niveau du système scolaire que de chaque établissement.

Ces quelques considérations montrent d’em-blée les enjeux, les tensions et les difficultés d’une éducation citoyenne qui permette à chaque enfant ou jeune de devenir davantage lui-même (processus d’individuation) à la faveur des liens tissés avec les autres (processus de socialisation). Telle est bien la finalité de l’éducation émancipatrice qui consiste à conduire chaque sujet hors de lui-même, au-delà de lui-même (e-ducere).

• L’apprentissage de la citoyenneté se traduit à différents niveaux du projet scolaire :

• Le projet d’établissement, qui définit une vision globale, une culture ou climat d’école, des projets concrets plus ou moins porteurs sur le plan de l’éducation à la citoyenneté.

• Les démarches transversales, qui per-mettent de mobiliser et de rassembler, ponctuellement ou structurellement, professeurs, éducateurs, élèves autour de thématiques, processus, objectifs…

• Les différents cours de la formation commune :

- abordent des contenus ayant trait à la citoyenneté (par ex. en histoire les concepts de démocratie, fascisme, totalitarisme, migration,…) ;

- visent à développer des savoir-faire spécifiques (par ex. en français, la maîtrise des procédures discursives, logiques, communicationnelles du débat argumenté ; par ex. en mathématiques, un regard critique sur les données statistiques et leur utilisation) ;

83. Article paru sur le site « Question de Classe (S), site alternatif d’éducation, de lutte et de pédagogie ».

L’école est le premier lieu de découverte de l’altérité.

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- renforcent des comportements citoyens (par ex. en éducation phy-sique, la construction de règles de sociabilité par la pratique du jeu sportif)…

Par ailleurs, remarquons également que des pratiques pédagogiques inspirées par les cou-rants de la pédagogie institutionnelle ou de la pédagogie coopérative sont mises en œuvre, particulièrement dans l’enseignement fonda-mental, par des enseignants qui souhaitent développer chez leurs élèves des attitudes de réflexivité, responsabilité, solidarité…

Des outils de citoyenneté existent donc. Néanmoins, dans le cadre du renforcement d’une société ouverte, démocrate et citoyenne, la nécessité de renforcer davantage l’appren-tissage de la citoyenneté apparaît de plus en plus forte et nécessaire.

C’est la raison pour laquelle, outre ces outils de valorisation de la citoyenneté dans le cadre scolaire, la Déclaration Politique Communautaire 2014-2019 prévoit d’apporter un chemin supplémentaire en remplaçant, dans l’enseignement officiel, une heure par semaine de cours philosophique par une heure de cours de citoyenneté.

Dans le cadre du présent rapport, nous insistons sur la nécessité de renforcer l’apprentissage de la citoyenneté par les multiples strates identifiées ci-dessus et qui peuvent prendre des formes multiples. L’apprentissage de la citoyenneté, par ailleurs, est essentiel pour tous les enfants. Il est par conséquent nécessaire que ce cours soit dispensé à tous les enfants au sein de la Communauté française, quel que soit leur réseau. En ce sens, le recours à un référentiel relatif à l’apprentissage de la citoyenneté, d’application dans tous les réseaux scolaires de la Communauté fran-çaise est nécessaire afin de parvenir à cet objectif. Les modalités de mise en œuvre de ce référentiel peuvent, elles, être différentes

selon les réalités propres à chaque réseau.

L’instauration d’un cours identifié d’éducation à la citoyenneté dans l’enseignement officiel, prévu par l’accord gouvernemental en rempla-cement d’une heure de cours convictionnel, ne peut induire qu’il incomberait à ce seul cours d’assurer l’apprentissage de la citoyenneté des élèves. Au contraire, cet apprentissage se traduit par de multiples facteurs, com-portements et initiatives, en ce compris en dehors des salles de classe.

3.5. GARANTIR À CHAQUE ÉLÈVE UN ENSEIGNEMENT DE LA RELIGION DANS LE CADRE SCOLAIRE

Le 12 mars 2015, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt dans lequel elle relève que l’évolution constatée du cours de morale non confessionnelle (devenu cours de morale ins-piré par l’esprit du libre examen, ou cours de morale laïque) ne répond plus aux souhaits des parents de bénéficier d’un cours « objectif, critique et pluraliste ». Par conséquent, « dans cette situation (…), pour que soit assuré le droit des parents à ce que leurs enfants ne soient pas confrontés à des conflits entre l’éducation religieuse ou morale donnée par l’école et les convictions religieuses ou philosophiques des parents, les élèves doivent pouvoir être dis-pensés de l’assistance au cours de religion ou de morale ».

Nous ne rentrerons pas ici dans une analyse des différentes modalités qui permettent de répondre à l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

Par contre, il nous semble nécessaire de rappe-ler que les cours convictionnels ont toute leur place dans le cadre de la formation générale du parcours de l’élève et cela pour plusieurs raisons, en particulier dans le contexte de la radicalisation étudié ici :

• Dans un contexte où le discours religieux est utilisé comme vecteur de propagation

Les cours convictionnels ont

toute leur place dans le parcours

scolaire.

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d’idées radicales et violentes, l’école est par excellence le lieu où peut s’exercer le dialogue nécessaire entre la citoyenneté et la religion. De surcroît, ce dialogue peut être mené de manière plus forte et pertinente lorsqu’il est construit au départ des différentes croyances, plutôt qu’au départ d’un cadre que l’on souhaite neutre mais dans lequel un grand nombre d’élèves risquent de ne pas se reconnaître (en particulier lorsque le risque de radi-calisation est présent).

• La disparition ou la marginalisation des cours de religion à l’école aurait pour conséquence de renforcer un sentiment d’incompréhension parmi les jeunes qui ne se sentent pas reconnus dans leur culture. Le rejet des cours convictionnels en dehors du champ scolaire renforcerait le repli sur elles-mêmes des différentes communautés. A l’inverse, l’octroi de cours philosophiques différenciés selon les convictions des parents et des élèves au sein de l’école est une marque forte de respect des différentes cultures et de leur inclusion au sein de notre société. L’octroi d’un cours de la religion de l’élève au sein de l’école est par conséquent un signe d’intégration et d’accueil, qui per-met à l’élève de se construire en créant un dialogue entre sa culture et les codes et attentes de la société belge.

• La spiritualité et la quête de sens font pleinement partie de l’apprentissage de chaque personne. L’école n’a pas pour unique but de former des futurs travail-leurs, elle a également pour but de favori-ser l’émancipation des personnes, ce qui passe notamment par un apprentissage de sa spiritualité et de la quête de sens, en dialogue avec les autres convictions.

• De manière plus particulière, le manque de connaissances religieuses des candi-dats au djihad a été pointé par plusieurs

observateurs. En renforçant la connais-sance qu’ont les jeunes de leurs racines religieuses, il leur est également apporté un bagage plus conséquent pour répondre aux propos simplistes.

L’apprentissage de la spiritualité et des convic-tions religieuses dans le cadre scolaire doit du reste poursuivre son articulation autour de trois compétences-clés : le questionnement philosophique, le dialogue interconvictionnel et l’éducation à la citoyenneté.

Par ailleurs, dans le même souci de veiller à ce que l’on puisse favoriser ce dialogue entre citoyenneté et religion, il convient que le contenu des cours soit contrôlé par l’inspection scolaire et que les aptitudes pédagogiques requises des professeurs soient établies et vérifiées par l’autorité publique.

3.6. MULTIPLIER LES LIEUX D’ÉCHANGES, DE RENCONTRES ET DE CONFRONTATIONS RESPECTUEUSES

Face aux actions terroristes qui ont pour objec-tif de creuser un fossé entre les musulmans et non-musulmans, il est indispensable d’y répondre en redoublant d’initiatives pour déve-lopper de nouveaux espaces de dialogue. Ce dialogue doit à la fois porter sur le respect de nos valeurs fondamentales mais également sur l’intégration du point de vue de l’autre. Pour Felice Dassetto, il faut travailler de manière active et engagée sur les relations entre musul-mans et non-musulmans pour réduire cette fracture d’horizon culturel.

Selon la Fondation Roi Baudouin, la manière dont on parle de « l’autre » a des conséquences directes sur les relations des communautés entre elles. « Cela suppose de part et d’autre, et de manière plus générale, de ne plus accor-der tant de place aux propos extrêmisants afin qu’ils ne soient plus à même de donner le ton des relations. Avec la présence importante de l’islam à Bruxelles, nous sommes devant une

« Un projet interculturel ne peut réussir que si la majorité a la conviction qu’elle peut également avoir quelque chose à apprendre des cultures minoritaires. »Extraits du manifeste du Développement humain (21 avril 2013)

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réalité nouvelle et complexe. À cet égard, il serait utile d’écarter, de toutes parts, des dis-cours avançant des « vérités absolues » car la situation est telle qu’il n’existe surtout que des hypothèses provisoires et des modes d’ajuste-ments en cours. »

A cet égard, l’ouverture des lieux de démocratie à la participation citoyenne est une occasion qu’il faut savoir saisir de renforcer les lieux de confrontation et de dialogue. Il faut profiter des débats actuels relatifs aux règlements des parlements (tant à Bruxelles qu’en Wallonie) pour y introduire des mécanismes de démocra-tie participative. Ces mécanismes permettront de rapprocher les citoyens de leurs élus, de redonner la confiance aux électeurs pour leurs institutions représentatives et d’impliquer davantage l’ensemble des citoyens dans la gestion de la chose publique. Ce faisant, les diversités inhérentes à nos populations trou-veront à se rencontrer, s’exprimer, confronter les réalités individuelles et collectives dans un cadre constructif où le débat est un moyen. Dans ce cadre, les panels citoyens tirés au sort sont une formule novatrice permettant de former des groupes de discussion de manière aléatoire, garantissant ce faisant la représentativité de l’ensemble des catégories de la population. Ces panels pourraient être saisis par le parlement pour émettre des recommandations sur un certain nombre d’enjeux, voire d’initiatives.

Nous proposons de :

• Créer une plateforme du dialogue inter-religieux et interconvictionnel qui aurait quatre missions. Premièrement, elle serait un lieu de dialogue et d’échanges serein entre les cultes et les courants philosophiques. Deuxièmement, elle serait consultée sur des sujets de société ayant trait au dialogue entre les com-munautés et aurait un comité d’avis (dont le fonctionnement pourrait, par exemple, s’inspirer du modèle du Conseil Supérieur des Finances). Troisièmement, elle serait un lieu pédagogique sur les

savoirs interconvictionnels (conférence, évènements culturels, ressources pédago-giques, vulgarisation…). Quatrièmement, elle serait un partenaire de discussion et consultation pour les exécutifs et pour-rait remettre des recommandations et suggestions et remplir un rôle de sages dans des moments de tensions. Cette plateforme pourrait s’inspirer entre autres de l’Institut européen en sciences des religions en France.

• Encourager les initiatives interconvic-tionnelles en affectant 1 % du budget actuellement consacré aux cultes et cou-rants philosophiques à des initiatives interconvictionnelles de proximité (ex : fête de quartier sur le thème du partage avec des chrétiens et des musulmans le jour de la fête du sacrifice).

• Créer des espaces de débat où les conflits peuvent émerger, en toute confiance où chacun se reconnaît, en s’inspirant de méthodes de la thérapie sociale. La clarté du cadre d’exercice du lieu de dialogue permet de reconnaître les conflits qui habitent la société en évitant que ceux-ci ne se traduisent par l’apparition de vio-lences soit manifestes soit latentes. Les personnes violentes se sentent avant tout victimes et vont rechercher un coupable. La reconnaissance du conflit permet d’en sortir, de dénouer la complexité et les incompréhensions qui en sont à l’origine. L’ouverture systématique de lieux de dialogue et de concertation dans un cadre neutre, en particulier pour des questions sensibles sur le plan interculturel (tel que, par exemple, l’ouverture d’un lieu de culte) semble indispensable.

3.7. DONNER DU SENS

Comme l’a indiqué l’analyse présenté à la section précédente, le radicalisme trouve ses racines dans un mal-être trop largement répandu parmi les jeunes : une recherche de

« La principale réponse à donner

aux terroristes est de se parler,

de communiquer au sein de notre

société. » Gilles de Kerchove

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sens, de reconnaissance et d’appartenance dans la société. Pour y répondre, nous pen-sons qu’il convient également de renforcer la capacité de mobilisation sur des grands enjeux humanistes, collectifs et solidaires.

Eliminer la faim dans le monde, éliminer la pauvreté, sauver le climat, éradiquer les maladies pandémiques, contribuer au dia-logue interculturel mondial, voilà de grandes utopies qui peuvent mobiliser l’énergie et l’idéal de solidarité, de générosité et d’al-truisme portés et demandés par les jeunes. Ces sujets et d’autres, plus européens, plus locaux, doivent être déclinés en politiques précises en y laissant un espace réel d’action et de réalisation aux jeunes.

Si le service citoyen évoqué plus haut est une manière de mobiliser cette envie de parti-cipation des jeunes, cette mobilisation peu également être plus large ou plus variée, depuis les initiatives prises dans les écoles jusqu’à la participation militante ou encore par la multiplication d’espaces de débat où les jeunes peuvent prendre leur place. D’autres voies peuvent également être explorées, telles que favoriser les études qui mènent vers des métiers directement liés à ces questions, sou-tenir l’entreprenariat dans ces domaines, en faciliter les voyages de découverte et d’échange,

promouvoir les expériences professionnelles dans l’humanitaire ou la science,...

3.8. CRÉER UN SERVICE CITOYEN GÉNÉRALISÉ

Le Service Citoyen84, entendu comme période d’engagement de plusieurs mois auprès de la société d’un jeune entre 18 et 30 ans, peut répondre au besoin grandissant de cohésion sociale et aux inquiétudes de fractionnement de la société. Ce programme actuel, en tant qu’ini-tiative privée, est embryonnaire en Belgique alors qu’il est largement développé dans plu-sieurs pays européens (France, Allemagne, Italie…)85 et que plus de 200 programmes existent dans le monde.

Ce service répond au besoin urgent de notre société de réaffirmer les valeurs universelles (la solidarité, la responsabilité, le respect, le partage, l’appartenance à une communauté de valeurs...) ainsi qu’à celui de “faire corps” ou faire groupe ou société. Il constitue pour les jeunes le substrat d’intégration des normes, codes et attitudes d’une vie en commun au sein d’une société porteuse de valeurs et de projets communs ainsi que le lieu d’acquisition

84. Le Service Citoyen est une idée soutenue par le cdH depuis plus de quinze ans. Il a été mis en avant dans notre dernier programme électoral comme mesure phare pour les jeunes.

85. En Europe, 8 pays dont l’Allemagne, la France, l’Italie, la Suisse et le Luxembourg l’ont institutionnalisé depuis quelques années. Plus précisément, en France, la demande dépasse largement l’offre puisque sur les 120.000 demandes introduites en 2014, 35.000 seule-ment ont pu être satisfaites par l’Agence du Service Civique (ASC).

Un statut spécifique pour le Service Citoyen, pourquoi ?

Il n’existe aujourd’hui aucun cadre juridique spécifique qui permette de sécuriser les activités qui sont réalisées par les jeunes en Service Citoyen. En effet, la réalisation de ces activités ne peut bénéficier ni du statut de volontaire défini par la loi du 3 juillet 2005, le volontariat n’impliquant ni rétribution ni obligations ; ni du statut de travailleur salarié tel que réglé par la loi du 3 juillet 1978, le travail salarié impliquant une rémunération qui est la contrepartie du travail presté sous l’autorité de l’employeur. C’est la raison pour

laquelle nous proposons la création d’un statut spécifique.

Le Service citoyen invite les jeunes à renforcer notre manière dont nous faisons société en rencontrant les besoins individuels et collectifs

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d’expérience et de compétences de base. L’alternance de périodes de missions concrètes ancrées dans des organismes œuvrant pour l’intérêt général et de périodes de recul en formation contribue efficacement à la respon-sabilisation, à l’activation citoyenne, sociale et professionnelle des jeunes. Le Service Citoyen invite les jeunes à renforcer notre manière dont nous faisons société en rencontrant les besoins individuels et collectifs en offrant une maturation personnelle et un service à la société, en recherchant le sens et l’utilité, en inspirant la citoyenneté active et en favorisant le brassage social et la mixité. Un tel contrat citoyen contribuera à renforcer le sentiment d’appartenance des jeunes engagés à une société et affirmera les liens sociaux, contre les excès de l’individualisme. Ainsi, il ramène la confiance envers les institutions et participe au développement d’une conscience altruiste et citoyenne.

Le Service Citoyen tel qu’il existe aujourd’hui propose aux jeunes de tous horizons de s’en-gager dans des projets utiles à la collectivité, de s’y investir pendant un temps à temps plein, individuellement ou en équipe, tout en bénéficiant d’un programme de formations, d’une indemnité, d’une assurance et d’une reconnaissance.

Un des éléments fondamentaux qui permettent la réalisation d’un véritable Service Citoyen est la mise en place d’un statut spécifique pour ceux qui le réalisent86. Il n’est pas concevable que la société mette des freins à cette jeunesse souvent généreuse, prête à s’engager pour servir autrui et pour répondre aux nombreux besoins de la société.

Enfin, nous prônons également la général-isation du Service Citoyen, qui viserait à ce que chaque jeune qui souhaite y participer puisse y avoir accès.

3.9. RENFORCER L’INTERCULTURALITÉ PAR LE TERRITOIRE

L’urbanisme et l’aménagement du territoire jouent un rôle important pour favoriser la cohésion sociale et la diversité. L’état et la manière dont le bâti et les espaces publics sont aménagés, en particulier dans les terri-toires urbains ou semi-urbains, ont un impact déterminant sur la manière dont les habi-tants construisent leur représentation de la société et de leur place au sein de celle-ci. En particulier, la présence de « ruptures » du territoire (pont, canal, route fréquentée, espaces en friche, activités industrielles…) ou, au contraire, de « nœuds de reliance » (espace vert, aménagements pour les usa-gers dits « faibles », passerelles, présence de commerces de proximité, équipements d’intérêt public, mixité des fonctions…) sont des points d’attention particuliers. La mobilité des habitants est généralement inversement proportionnelle à leur capital social et cultu-rel : traverser un canal ou aller dans un autre quartier est une démarche que beaucoup ne franchissent pas.

Or, en Belgique, les quartiers dits « de grande difficulté » et qui comptent une proportion de populations issues de l’immigration, sont essentiellement localisés dans certaines com-munes, voire certains quartiers de la Région de Bruxelles-Capitale, ainsi qu’à Hasselt, Genk, Anvers, Verviers et Charleroi. En 2006, 210.000 personnes habitaient des quartiers caractérisés par une faible mixité culturelle et marqués par d’importants problèmes sociaux ou de précarité87. Nul doute que ce nombre est bien plus élevé aujourd’hui.

Renforcer le sentiment d’appartenance de toutes les catégories de la population à la société belge n’est pas qu’une question de symboles, mais également d’application concrète par l’investissement dans les amé-nagements des quartiers plus précarisés. A Bruxelles, le réaménagement de quartiers en

86. Il n’existe aujourd’hui aucun cadre juridique spécifique qui permette de sécuriser les activités qui sont réalisées par les jeunes en Service Citoyen. En effet, la réalisation de ces activités ne peut bénéficier ni du statut de volontaire défini par la loi du 3 juillet 2005, le volontariat n’impliquant ni rétribution ni obligation, ni du statut de travailleur salarié tel que réglé par la loi du 3 juillet 1978, le travail salarié impliquant une rémunération qui est la contrepartie du travail presté sous l’autorité de l’employeur.

87. Vandermotten, Christian & al., Analyse dynamique des quartiers en difficulté dans les régions urbaines belges, Politique des Grandes Villes, 2006.

L’urbanisme et l’aménagement du

territoire jouent un rôle important pour favoriser la

cohésion sociale et la diversité.

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difficulté par le biais des contrats de quartier, initié durant les années nonante et toujours à l’œuvre aujourd’hui, joue un rôle important de revitalisation du tissu urbain. L’attention plus récente portée sur les « nœuds de reliance » doit être prolongée et renforcée.

Enfin, une autre variable concerne l’accès à un logement de qualité pour tous. Vivre dans un logement décent, adapté aux besoins des personnes et localisé dans un espace correc-tement aménagé constitue un facteur d’inté-gration puissant des populations immigrées dans notre pays. Certains stéréotypes ou des peurs injustifiées dans le chef de certains bailleurs ou encore d’intermédiaires à l’égard de candidats-locataires d’origine étrangère, aggravent le phénomène de ghettos et peuvent susciter des sentiments négatifs qui creusent encore un peu plus le fossé entre communau-tés. La lutte contre les discriminations dans le secteur du logement est essentielle pour permettre à tous de se sentir accueillis dans la société belge.

Plusieurs stratégies doivent être combinées pour promouvoir le vivre ensemble et l’inter-culturalité à travers le territoire :

• Rénover les quartiers « précarisés », en veillant à ce que les nouveaux aména-gements favorisent les rencontres ou le partage d’équipements (jardins ou potagers, parcs, plaines de jeu, équipe-ments sportifs, commerce de proximité…), mettent en valeur la culture de chaque communauté tout en encourageant le mélange des cultures88. Ces projets doivent aussi améliorer le sentiment de sécurité (mixité des fonctions, éclairage public, absence d’espaces isolés, locali-sation de services sociaux ou de police aux endroits sensibles…). La revitalisation urbaine permet également de renforcer l’attractivité des quartiers auprès des classes moyennes, ce qui améliore la mixité.

• Octroyer une place importante, dans le cadre de la rénovation des quartiers, aux « nœuds de reliance », et veiller à systématiquement inclure une réflexion sur les liens à créer et à renforcer entre les différents quartiers.

• Encourager la mixité culturelle par quar-tier, en optant pour une plus grande dis-persion des logements publics sur le terri-toire (acquisition de logements auprès de particuliers ou dans de grands ensembles privés, via les charges d’urbanisme) et en attirant des classes moyennes dans certaines zones urbaines (par exemple en renforçant la vente de logements abor-dables situés dans les quartiers difficiles, par des structures publiques auprès de familles à revenus moyens).

• Prévenir les faits de discrimination culturelle dans le cadre de l’accès au logement, en travaillant en partenariat avec les fédérations concernées (l’Institut Professionnel des Agents Immobiliers, le Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires) pour sensibiliser les bailleurs ou leurs intermédiaires et sanctionner les abus.

La rénovation physique des espaces et du bâti, et la recherche d’une plus grande diversité sociale et culturelle sur le territoire ne sont toutefois pas suffisantes. Sans une approche plus globale et intelligente, elles peuvent par-fois davantage exacerber les tensions entre communautés. La plupart des expériences démontrent en effet qu’il convient de com-pléter ces stratégies par d’autres mesures tout aussi importantes :

• Mieux prendre en considération l’en-jeu de l’interculturalité dans tout projet urbain de rénovation ou de construction à travers la mise en place de proces-sus réellement participatifs avec pour objectif de définir un projet fédérateur, où chaque communauté peut exprimer

88. Par exemple à Duisbourg, en Allemagne, une place séparant l’église catholique de la nouvelle mosquée a été réaménagée en 2010. Elle met dorénavant en dialogue les cultures et exprime le souhait des habitants de renforcer les liens entre communautés.

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son vécu, ses besoins et aspirations et prendre connaissance du point de vue des autres. Des expériences fructueuses issues d’autres villes européennes sont intéressantes à cet égard89.

• Mettre en place une véritable mixité endogène en faisant émerger auprès des habitants une conscience des enjeux communs ainsi qu’une capacité de mobi-lisation et d’action face à ces enjeux. Cela peut se faire à travers la responsabili-sation des habitants quant à la gestion et à l’entretien du milieu de vie90 et à travers la mise en place d’animations permanentes (maisons de quartier, mar-chés…) ou ponctuelles (théâtre de rue local, festivités interculturelles…) qui requièrent aussi des aménagements et équipements particuliers.

3.10. LUTTER CONTRE TOUTES LES DISCRIMINATIONS ET TOUTES LES FORMES DE RACISME

Si les discriminations ne sont pas un fac-teur de radicalisation en soi, elles peuvent participer à nourrir le sentiment d’injustice qui poussera certains à se tourner vers des discours radicaux. Les discriminations sous toutes ces formes doivent être combattues non seulement parce qu’elles heurtent nos valeurs fondamentales, et parce qu’elles freinent le développement de notre société. Plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que les discriminations et les actes racistes induisent des mécanismes de réciprocité et se renforcent mutuellement, renforçant la distance entre toutes les communautés.

En matière d’intégration professionnelle des étrangers non-européens résidant, la Belgique est le pire élève de l’Union européenne. D’après Eurostat, 36,2 % des étrangers non-européens résidant en Belgique et âgés de 15 à 64 ans étaient sans emploi l’an dernier. Le taux de

chômage des étrangers non-européens en Belgique s’établissait en 2012 à 30,7 %, contre une moyenne européenne de 21,3 %91.

Les personnes d’origine étrangère éprouvent de grandes difficultés à trouver un emploi, notamment en raison des discriminations à l’embauche. Face à ce constat, de nombreuses initiatives ont vu le jour de manière à favori-ser leur insertion sur le marché du travail, ainsi que de manière plus générale celle de l’ensemble des publics discriminés (en raison de leur âge, de leur sexe, de leur handicap, etc.). Ces initiatives doivent être renforcées et, lorsque c’est possible, généralisées.

Nous proposons en particulier de :

• Mettre en place une procédure rapide de reconnaissance des diplômes et de certification des compétences acquises pour les personnes d’origine étrangère dans le cadre du parcours d’intégration ou lors de leur inscription comme deman-deurs d’emploi, vu le nombre très élevé de demandeurs d’emploi qui disposent d’un niveau de qualification non-reconnu (35 % à Bruxelles).

• Inciter les entreprises et les secteurs professionnels à inclure la promotion de la diversité au sein des conventions collectives de travail, avec des objec-tifs clairs, généraliser la Charte de la diversité ainsi que les plans diversité dans toutes les entreprises et renforcer le contrôle et les sanctions en cas de pratiques discriminatoires eu égard à l’origine des travailleurs. Une formation spécifique à l’égard des responsables des ressources humaines auprès des employeurs devrait également être mise en place, afin de prévoir des procédures de recrutement qui neutralisent l’impact de l’origine culturelle ou encore afin de déjouer des mécanismes de discrimination indirects ou cachés.

89. La ville de Duisbourg (2010) ou encore celle de Birmingham (2009) ont mis en œuvre cette approche de coproduction interculturelle d’un quartier avec succès (organisation d’ateliers ou de forums visant à faciliter l’expression des préoccupations et des attentes).

90. Par exemple à Reggio d’Emilie, le quartier de la gare, réputé pour son hétérogénéité culturelle et une forte insécurité, a fait l’objet d’un projet audacieux visant à restaurer une culture civique commune et un tissu social partagé. Un pacte communautaire co-con-struit entre tous a ensuite été signé entre les habitants et le maire de la ville. Les pouvoirs locaux se sont engagés à investir dans le quartier et en échange, les habitants ont pris l’engagement d’assurer certaines missions d’entretien et de veiller à améliorer le contrôle social afin de prévenir les faits de délinquance. Le projet a rencontré un certain succès grâce notamment à la proactivité des bénévoles qui ont procédé à un véritable porte-à-porte pour mobiliser le plus grand nombre de citoyens.

91. Dépêche Belga du 7 juin 2013

Si les discriminations

ne sont pas un facteur de

radicalisation en soi, elles peuvent

participer à nourrir le sentiment

d’injustice qui poussera certains à se tourner vers

des discours radicaux.

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• Imposer dans les cahiers des charges pour l’octroi d’un marché public une clause sociale conditionnant cet octroi à la signature de la Charte de la diversité et à sa mise en œuvre.

• Organiser un système de mentorat volontaire à la recherche d’emploi via un système de parrainage entre un tra-vailleur et un primo-arrivant éprouvant des difficultés à trouver un emploi. Cet accompagnement individualisé crée des liens interpersonnels et interculturels tout en reposant sur un mode de fonctionne-ment associatif valorisant le bénévolat.

3.11. VALORISER L’APPARTENANCE À LA SOCIÉTÉ BELGE

Le sentiment d’appartenance à la société belge est trop peu cultivé. Pourtant, il contribue à notre identité et à notre fierté. Différents canaux peuvent être développés pour renforcer ce sentiment d’appartenance.

Nous proposons de :

• Entourer systématiquement l’obtention de la nationalité belge d’une cérémo-nie officielle des autorités locales (cela se fait déjà dans certaines communes). Cette fête sera l’occasion de rappeler les valeurs du pays d’accueil, et de dépasser la perception de l’obtention de la natio-nalité comme étant seulement un acte administratif. Chaque nouveau citoyen belge pourrait recevoir également une lettre de la part du chef de l’Etat (le Roi), le félicitant d’être devenu belge.

• Assurer la mise en œuvre du parcours d’accueil à Bruxelles et en Wallonie pour les primo-arrivants issus de pays hors de l’Union européenne dans son module d’accueil. Actuellement, le parcours est non obligatoire à Bruxelles contrairement

à la Wallonie où le 1er module (d’accueil)92

est obligatoire. Le parcours d’accueil des primo-arrivants entend fournir un soutien et les informations nécessaires pour favoriser l’autonomie des primo-ar-rivants et l’exercice de leur citoyenneté par la participation pleine et entière à la société. Il comprend un module d’ac-cueil, une formation à la langue de la région (alphabétisation et français ou néerlandais langue étrangère), une for-mation à la citoyenneté et une orientation socio-professionnelle. Comme prévu par les déclarations gouvernementales en Wallonie et à Bruxelles, ce parcours d’intégration doit devenir obligatoire.

• Renforcer l’apprentissage d’une des langues nationales ainsi que l’alphabé-tisation qui sont un des facteurs clefs de l’intégration. La maîtrise de la langue facilite l’accès à l’emploi, la participation sociale et culturelle. Il faut y mettre plus de moyens dans l’associatif en charge de l’alphabétisation des publics moins favorisés, veiller à l’accessibilité des formations en alphabétisation et veiller à leur articulation avec les autres dispo-sitifs (orientation socio-professionnelle, parcours d’intégration …).

3.12. LIMITER LES INFLUENCES RADICALES AU SEIN DE L’ISLAM

Nous avons vu dans la première partie de ce rapport que, si l’islam n’est pas le moteur principal des jeunes, il n’en reste pas moins que les discours violents et radicaux qu’on y retrouve parfois, bien qu’ils soient largement minoritaires, posent de vrais problèmes. C’est la raison pour laquelle nous voulons insister sur l’importance d’un islam moins en proie aux influences radicales violentes, qu’elles émanent de l’intérieur ou de l’extérieur du pays.

92. Dépêche Belga du 7 juin 2013.

Dans tous les cultes reconnus, un nombre important de ministres de cultes sont issus de pays tiers

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3.12.1. Des imams comme ressources

Il faut envisager le travail avec les imams et les mosquées comme un partenariat. Plusieurs mères de jeunes partis en Syrie nous ont fait part des difficultés rencontrées par leur enfant à trouver des réponses au sein de leur mosquée. D’une part parce que les imams ne parlaient pas leur langue (ni le français ni le néerlandais mais uniquement l’arabe classique), que l’attention qu’ils recevaient dépendait des liens avec la famille (ceux-ci étant trop faibles, le jeune n’a pas été reçu), et par le refus d’aborder certaines questions (comme le sens du djihad).

Puisque les ministres de culte sont payés par l’Etat, nous sommes en mesure de nous inter-roger sur leur connaissance des réalités belges d’une part (langue, histoire, questionnement des jeunes…) et sur leur degré d’ouverture et de disponibilité. Certains acteurs estiment aussi que les imams ne sont pas outillés et compétents pour répondre et démonter les discours des radicaux islamisés. Il nous a également été rapporté un manque de soutien apporté par certaines mosquées qui ne viennent pas en aide spirituellement aux familles des jeunes partis combattre en Syrie.

Selon la Fondation Roi Baudouin, dans tous les cultes reconnus, un nombre important (parfois prédominant) de ministres de culte sont issus de pays tiers. Le culte musulman avec les évangélistes et les anglicans, est celui qui compte le plus de ministres de culte venus de l’étranger. La plupart des imams en Belgique viennent soit de la Diyanet (directorat turc des affaires religieuses) soit sont formés au Maghreb ou dans des institutions privées en Europe ou en Belgique. Il semblerait que c’est principalement ceux-là qui posent des diffi-cultés car ils résident de manière temporaire en Belgique et ils sont moins au courant des réalités vécues par la population belge. De plus, ce phénomène pose la question des ministres de culte dépendant d’un Etat étranger et de la

cohérence d’avoir des mosquées reconnues dont le déficit est pris en charge par les pou-voirs publics belges alors que les imams sont désignés et payés par un Etat étranger93. Pour certaines communautés convictionnelles, des formations sont toutefois organisées dans le cadre d’un enseignement supérieur reconnu et subventionné, et conduisent par conséquent à un titre légalement reconnu.

Cela fait maintenant 40 ans que le culte isla-mique est reconnu en Belgique94. Pourtant, il n’y a pas de lieu reconnu en tant que tel par les pouvoirs publics qui dispense une formation en théologie islamique.

Nous proposons de :

• Systématiser les formations pour les ministres de cultes étrangers sur le terri-toire belge (et supprimer le financement de tout ministre de culte reconnu de vio-lation de loi belges) : cette formation « profane» obligatoire pour les ministres de culte, toutes religions confondues, exer-çant en Belgique et venus de l’étranger portera sur le contexte et l’histoire belge, les institutions (CPAS, commune,…), l’état de la législation bioéthique, les droits et les devoirs des citoyens… Si nécessaire, des cours de français langue étrangère pourraient également être enseignés. Ces formations communes à toutes les convictions seraient également un lieu d’échanges et de dialogue interconvic-tionnel. La participation à cette formation pourrait être une condition : 1°) de la prise en charge du traitement des ministres de culte (et prise en compte dans les différents barèmes). Dans le cas des non-européens, une complémentarité doit être recherchée avec le parcours d’intégration prévu par ailleurs ; 2°) dans le dossier de reconnaissance d’un lieu de culte à laquelle dépendrait le ministre en question. La connaissance d’une des langues nationales par les ministres de

93. A suivre dans les trois mois de l’inscription à la commune, ce “premier accueil” consiste en une information sur les droits et les devoirs de chaque personne résidant en Belgique ainsi qu’en un entretien personnalisé pour dresser un “bilan social” (acquis, diplômes, équivalences éventuelles, identification des besoins). Une attestation délivrée par un des huit centres d’intégration qui organisent le parcours viendra confirmer le suivi de ce module obligatoire.

94. Pour Felice Dassetto, les sources de financements extra européens (ex : fondation saoudiennes) et européens sont relativement réduites et interviennent principalement au moment de la construction des mosquées. Cela ne passe pas par l’Etat saoudien mais par des financements privés saoudiens. formation à la prise en charge d’un traitement de ministre de culte doit être étudié sous l’angle de sa constitutionnalité.

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culte (quelle que soit leur confession) paraît également souhaitable.

• Encourager la création d’une formation académique95 reconnue afin d’encourager un islam ancré dans les réalités belge et européenne. Des académiciens soulignent en outre l’importance de l’émergence d’un islam « réflexif »96. Cela implique de créer un institut de théologie islamique, dont une partie des missions serait la formation des imams en Belgique. Il pourrait être construit sur le modèle de l’Institut de théologie protestante et établi sur une base interuniversitaire. Cette formation à visée professionnelle religieuse servirait aux imams, mais aussi aux conseillers en milieux hospitalier et pénitentiaires et aux enseignants de religion islamique, ainsi que pour des cadres musulmans ou non-musulmans soucieux d’acquérir des connaissances, des compétences et des savoir-faire sur l’islam. La for-mation devra respecter les équilibres ethnico-religieux que connaît l’islam en Belgique. Elle devrait être pluridiscipli-naire et éventuellement plurilingue. La formation devra répondre aux exigences académiques universitaires en matière de programmation et d’encadrement, à partir de financements structurels, tout en s’ouvrant à des adossements conventionnés avec des universités à l’étranger. Dans le cas de l’islam, c’est à l’Exécutif des Musulmans de Belgique qu’il revient de porter une telle formation crédible et pérenne sur le plan religieux et académique avec les acteurs concernés.

• Renforcer le contrôle et l’inspection des enseignants de religion dans les écoles, tout en renforçant l’accès aux postes des 2èmes et 3èmes générations et d’autre part soutenir les professeurs de religion en leur offrant des outils pour aborder les questions soulevées par les élèves.

95. Le culte islamique est reconnu en Belgique depuis 1974.96. En Belgique, aucune disposition légale ou réglementaire n’impose de conditions minimales de formation pour que les ministres des cultes, ou les délégués laïques, soient reconnus en tant que tels par l’Etat. Il faut rappeler que même si pour les imams reconnus, c’est l’Etat qui en est l’employeur puisqu’il rémunère les ministres de tous les cultes reconnus, ce sont les règles internes aux cultes qui déterminent les exigences en matière de formation. Cela repose sur les articles 21 et 181 de la Constitution. Les cultes fixent eux-mêmes dans leur règlement interne le niveau de formation nécessaire pour devenir ministre de culte. Le fait d’imposer une condition de

« Je commence à avoir peu de ma propre religion, car on ne la maitrise pas. »Mère d’un jeuneparti en Syrie

3.11.2. La nécessité d’un islam respec-tueux de la modernité Divers experts entendus expriment le souhait qu’un discours alternatif à celui des salafistes et des Frères musulmans soit entendu en Belgique et en Europe. L’émergence et le renforcement de ce message alternatif ne peut venir que du monde musulman lui-même. Pour Felice Dassetto, l’islam doit refonder totalement sa pensée politique pour s’insérer dans le monde d’aujourd’hui. Actuellement la pensée politique de l’islam ne permet pas de penser « qu’est-ce que c’est que de vivre dans un état pluraliste ou fondamentalement laïc ? ». En effet, la présence de l’islam en Belgique ne pose pas qu’une question culturelle. Elle pose des questions centrales et fondamentales pour l’Etat moderne (ex : la place du religieux dans l’espace public, la primauté de la loi des hommes avant celle de Dieu,…). Le rôle des autorités publiques n’est certainement pas de jouer un rôle quant à l’évolution de la pensée religieuse, mais par contre différents facteurs peuvent créer un contexte plus favorable à une réflexion sur ces évolutions (comme, par exemple, les relations avec certains Etats du Golfe).

3.13. SOUTENIR L’ASSOCIATIF MUSULMAN

Le secteur associatif doit être traité de manière équitable et impartiale, quel que soit la confes-sion dont il est issu, dans le respect des prin-cipes de la charte associative. Au même titre que les autres tendances associatives qui renforcent notre société plurielle, le secteur associatif musulman doit également être sou-tenu. C’est en effet une manière d’encourager le dynamisme de cette communauté, de renforcer la cohésion sociale, d’aider des jeunes à se projeter dans l’avenir, de soutenir la classe moyenne de confession musulmane… C’est également une manière d’inciter la société civile à approfondir la question de l’islam belge et de développer la création de ponts entre les communautés.

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Plusieurs représentants du secteur associatif musulman nous ont exprimé le fait que les autorités publiques percevaient trop souvent la population musulmane « comme un risque », alors qu’il s’agit pour eux de « convertir cette vision en une communauté musulmane qui est un facteur d’opportunité ».

Actuellement, l’Exécutif des musulmans, chargé de la gestion du culte musulman et des relations de celui-ci avec les autorités publiques, est souvent interpellé dans les médias pour exprimer « la voix » des musul-mans. Le renforcement d’acteurs organisés de la société civile musulmane permettrait de pouvoir faire entendre une multiplicité de voix et de renforcer le sentiment d’appartenance de toute la communauté dans les institutions de notre pays. C’est également l’occasion pour les jeunes générations de prendre place dans l’espace public.

Nous proposons de :

• Poursuivre la mise en œuvre de la charte associative, visant notamment à assu-rer l’égalité de traitement entre tous les acteurs associatifs et de soutenir leur diversité ;

• Soutenir financièrement et structurel-lement les scouts musulmans (qui ne bénéficient pas de financements actuelle-ment), voire des organisations de jeunesses pluriconfessionnelles.

• Favoriser les initiatives inter-culturelles et inter-convictionnelles dans le cadre du soutien à l’associatif.

Les autorités perçoivent parfois trop la population

musulmane comme un risque

alors qu’il s’agit pour eux de

convertir cette vision en une communauté

musulmane qui est un facteur d’opportunité.

97. Selon le professeur El Asri (UCL), « ces formations doivent notamment être composées dans le plurilinguisme et l’interdisciplinarité, à la jonction des tendances et des écoles religieuses, mais aussi dans l’équilibre des provenances ethno-religieuses héritées et qui interfèrent encore fortement sur le terrain du religieux ; elles devront aussi répondre aux exigences académiques universitaires en mat-ière de programmation et d’encadrement, à partir de financements structurels forts, tout en s’ouvrant à des adossements conventionnés avec des universités à l’étranger ». Ensuite se pose la question du niveau académique à donner à cette formation. Il serait sans aucun doute opportun de lui offrir au moins un niveau d’exigence équivalent à celui attendu des ministres des autres cultes. Les expérienc-es étrangères soulignent également l’intérêt de faire appel à l’expertise et aux compétences déjà présentes dans les établissements supérieurs et universitaires d’enseignement et instituts de recherche afin de construire une formation selon un modèle de croissance progressive, développant une réflexion à court, moyen et long terme.

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AGIRPARTIE 4 :

RÉPONDRE À LA MENACE

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4. REPONDRE A LA MENACE

La Belgique est le pays européen qui a pris le plus de mesures pour tenter de contrer le phénomène de radicalisation, en coordination avec plusieurs pays étrangers. La précédente ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet, a pris très tôt la mesure du phénomène et a initié une dynamique européenne à cet égard. La lutte contre le radicalisme violent doit inclure des éléments de prévention, de détection et de sanction. Les mesures immédiates doivent concerner en priorité l’empêchement des départs en Syrie, la lutte contre le radicalisme sur internet, ainsi que la radicalisation en prison. La Belgique doit inscrire son action dans celle de l’Union européenne ainsi que, plus largement, dans celle de la communauté internationale.

4.1. LUTTER CONTRE LA PROPAGANDE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX ET INTERNET

Les technologies de l’information et de la com-munication dominent nos sociétés modernes. Malheureusement, ces technologies comme internet sont mobilisées par les groupes ter-roristes qui en tirent parti pour approcher les jeunes en utilisant les réseaux sociaux, les canaux vidéo et les chats en ligne ainsi que pour diffuser leur propagande de manière plus efficace et plus étendue. Dans 91 % des cas, internet est le mode de recrutement pri-vilégié98. Une récente étude de l’UCL énonce que, selon l’AIVD, internet peut même être considéré comme « le turbo du djihad violent contemporain ». Cependant, cette même étude constate que « internet constitue un facilitateur du processus de radicalisation »99. Les nouveaux discours terroristes ont affiné leurs techniques d’embrigadement en maîtrisant l’outil inter-net, à tel point qu’ils arrivent à proposer une individualisation de l’offre qui peut parler à des jeunes tout à fait différents. On parle de«radicalisation en chambre»100.

Nous constatons cependant qu’internet est le parent pauvre des mesures décidées par le gouvernement fédéral. Pourtant il est essentiel de s’attaquer à cette question. Selon Gilles de Kerchove, « c’est un des points centraux. Il faut utiliser internet pour contrecarrer le discours d’Al-Qaïda et de Daesh. » Internet est le mode de recrutement des terroristes et le moyen par excellence de radicalisation. Nous avons besoin d’une action de toute l’Europe pour mieux contrôler internet et les réseaux sociaux.

L’Etat a la responsabilité de mener une action efficace sans toutefois limiter les libertés de ses citoyens. Nous devons mener cette lutte en préservant les droits fondamentaux qui fondent notre société démocratique. En vertu du principe de proportionnalité, un juste équilibre est nécessaire entre les intérêts de l’action répressive et le respect des droits et libertés fondamentaux, tels que le droit à ne pas être inquiété pour ses opinions, le droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de rechercher, d’obtenir et de communiquer des informations et des idées, ainsi que le droit au respect de la vie privée.

Les techniques traditionnelles de répression sont insuffisantes pour faire face à l’évolution des tendances en matière de radicalisation. Une approche plus large est nécessaire pour prévenir ce phénomène et le combattre.

Aussi nous devons agir sur plusieurs niveaux : la détection et le monitoring doivent être ren-forcés. Il faut renforcer les moyens financiers et structurels des instances chargées de la cybersécurité101. Il faut permettre le retrait d’in-ternet des contenus illégaux faisant l’apologie du terrorisme condamnés par le code pénal1 et les lois anti-racisme et anti-discrimina-tions102. L’Etat et les fournisseurs de services coopèrent sur une base ad hoc pour supprimer les contenus illégaux, mais cette tâche n’est pas simple car de nombreux sites internet

98. Universiteit Gent, SVA, UCL. Comprendre et expliquer le rôle des nouveaux médias sociaux dans la formation et l’extrêmisme violent. Une recherche qualitative et quantitative.

99. Le gouvernement a annoncé un budget d’environ 8 millions d’euros pour l’engagement de personnel supplémentaire ainsi que des investissements additionnels sur le plan de la détection et de la protection, dont la création du centre belge de cybersécurité alors que seul 900.000 euros seront disponibles en 2015 pour le lancement du centre.

100. L’article 140bis du code pénal érige en infraction la diffusion ou la mise à disposition du public de toute autre manière d’un message avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste (propagande terroriste).

101. Les lois anti-racisme et anti-discrimination érigent en infraction l’incitation à la discrimination, à la ségrégation, à la haine ou à la violence à l’encontre de personnes ou de groupes sur base de certaines caractéristiques (la nationalité, la prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, la conviction religieuse ou philosophique, etc.).

Internet peut être considéré

comme « le turbo du djihad violent contemporain ».

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sont hébergés en dehors de la Belgique. Vu le caractère international d’internet, il est essentiel que les Etats collaborent, notamment en définissant certaines normes communes minimales dans leur législation pénale. Une première étape à cet égard serait de ratifier le protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité.

Il faut donc agir à tous les niveaux : 1°) sur-veiller 2°) retirer les contenus et sanctionner, 3°) organiser le contre-discours.

4.1.1. Surveiller

La surveillance constitue un élément essen-tiel pour contrer de futurs actes terroristes et empêcher la diffusion de la propagande terroriste.

Il est indispensable que la détection et le monitoring soient renforcés. Il est également nécessaire de consolider la capacité nationale à prévenir, à protéger et à répondre au terro-risme y compris en améliorant la collecte et l’analyse d’informations sur internet.

Nous proposons de :

• Développer une véritable stratégie de sécurité nationale en matière de cyber-sé-curité et mettre en œuvre le centre de cyber-sécurité : accélérer sa mise en œuvre, et le doter d’un budget suffisant pour recruter et garder les profils haute-ment qualifiés. Une des missions du centre de cybersécurité doit être la surveillance et la détection de contenu appelant au terrorisme. Ce centre doit avoir une vraie base légale. Celui-ci devra mettre en œuvre une véritable stratégie de sécurité nationale en matière de cyber-sécurité qui reste à adopter.

> Proposition de résolution visant à ren-forcer la cybersécurité en Belgique (doc 54 0257/001)

• Renforcer les moyens techniques et humains mis à disposition des services chargés de l’analyse et de la détec-tion des risques, parmi lesquels la Sûreté de l’État, le Service Générale de Renseignement et de Sécurité (SGRS) et l’Organe de Coordination et d’Analyse de la Menace (OCAM).

• Renforcer les Computer Crime Units au sein de la direction centrale (FCCU) et des directions déconcentrées (RCCU) de la police judiciaire fédérale, le nombre de ses effectifs et leur spécialisation ainsi que la qualité et la modernité du matériel mis à leur disposition.

• Empêcher le démantèlement du niveau central de la FCCU tel qu’actuellement projeté par les ministres de l’Intérieur et de la Justice au travers d’un arrêté qui vise à vider la cellule centrale de ses effectifs opérationnels pour renforcer les effectifs dans les arrondissements. Il est impératif que les arrondissements soient renforcés, mais pas au détriment du niveau central qui doit garder une capacité opérationnelle importante pour des enquêtes qui dépassent bien souvent le territoire national.

• Encourager la Commission européenne à développer un centre d’expertise sur les phénomènes de radicalisation sur internet ainsi que sur le radicalisme et le terrorisme en se basant sur le réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR).

4.1.2. Retirer les contenus et durcir les sanctions

Les groupes terroristes tirent parti des progrès technologiques pour trouver de nouvelles façons d’approcher les jeunes en utilisant les réseaux sociaux, les canaux vidéo et les chats en ligne. Ils maîtrisent parfaitement toutes les potentialités de l’espace numérique,

102. Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques, Strasbourg, 28 janv. 2003. Celui-ci a été élaboré pour permettre une entraide concernant les crimes informatiques au sens large du terme, conçue de manière souple et moderne. Il poursuit les deux objectifs que sont l’har-monisation du droit pénal matériel dans la lutte contre le racisme et la xénophobie sur l’internet, et l’amélioration de la coopération internationale dans ce domaine (en particulier l’extradition et l’entraide judiciaire).

La Belgique ne peut tolérer que sur son propre sol on puisse diffuser en toute impunité des messages appelant au terrorisme, à la haine ou à la discrimination.

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diffusant des messages généralement bien conçus et incisifs, traduits dans plusieurs langues, et s’appuyant sur l’ensemble des internautes radicalisés à travers leur propres pages ou comptes (facebook, twitter, etc.) qui démultiplient exponentiellement l’appel au ralliement.

La Belgique ne peut tolérer que sur son propre sol, on puisse diffuser en toute impunité des messages appelant au terrorisme, à la haine ou à la discrimination. Ces sites participent d’une stratégie médiatique élaborée par des groupes terroristes et sont de ce fait directe-ment à l’origine des actes terroristes.

Il est essentiel que la Belgique se dote de moyens d’actions efficaces destinés à com-battre l’incitation à la haine, le recrutement, la propagande, l’énoncé de propos haineux sur internet, …

En effet, une expérience anglaise a fait ses preuves, étant 3 fois plus efficace que lorsque ce sont les citoyens qui signalent un contenu illicite. En effet, suite à cette procédure 93 % sont retirés alors que quand ce sont des citoyens qui recourent à la même démarche, seuls 33 % des signalements sont retirés.

Nous proposons de :

• Renforcer le retrait des contenus illé-gaux faisant l’apologie du terrorisme sur internet en s’inspirant de la procédure introduite en droit français par la loi du 13 novembre 2014 qui renforce les dis-positions relatives à la lutte contre le terrorisme. Nous proposons de créer une procédure administrative permettant de retirer et de bloquer plus efficacement les contenus illégaux incitant à la haine, à la discrimination ou faisant l’apologie du terrorisme par le biais des systèmes informatiques.

> Une proposition de loi organisant une procédure de retrait des contenus faisant l’apologie du terrorisme sur internet est déposée.

• Créer une cellule chargée du blocage des sites internet faisant l’apologie du terro-risme. Une cellule doit être créée en son sein afin de bloquer les sites internet fai-sant l’apologie du terrorisme. S’inspirant de l’expérience anglaise de Scotland Yard, cette cellule serait un relais auprès des fournisseurs internet pour leur signaler les contenus à retirer.

> Une proposition de loi organisant une procédure de retrait des contenus faisant l’apologie du terrorisme sur internet est déposée.

• Etudier les mesures pour lutter contre l’anonymat sur internet sur les sites de presse et autres. L’anonymat doit être encadré et la capacité de poursuivre les propos haineux doivent être élargis. Le discours de haine se définit comme « toutes formes d’expression qui pro-pagent, incitent à, promeuvent ou jus-tifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance ». Une étude approfondie doit être rapidement lancée afin d’étudier les possibilités de développer un système obligeant les indi-vidus laissant des messages sur internet à s’identifier. Cette pratique vise à rompre l’anonymat qui permet de se cacher pour tenir des propos insultants, haineux et populistes. D’autres pays européens ont déjà légiféré dans ce sens.

• Punir plus sévèrement les délits d’apo-logie du terrorisme et de provocation au terrorisme commis sur internet par un amendement au code pénal.

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> Une proposition de résolution visant à renforcer la lutte contre le radica-lisme sur internet est déposée au Parlement fédéral.

• Ratifier le protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité : il faudrait ratifier le protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe du 28/01/2003 relatif à l’incrimination d’actes de nature racistes et xénophobes commis par le biais de systèmes informatiques. Celui-ci a été élaboré pour permettre une entraide concernant les crimes informatiques au sens large du terme, conçue de manière souple et moderne. Il poursuit les deux objectifs que sont l’harmonisation du droit pénal matériel dans la lutte contre le racisme et la xénophobie sur internet, et l’amélioration de la coopération inter-nationale dans ce domaine (en particulier l’extradition et l’entraide judiciaire).

4.1.3. Diffuser un contre-discours

Il existe peu d’études sur l’effet des contre discours et une série de personnes rencon-trées sont dubitatives à leur sujet. Le meil-leur contre discours serait celui d’anciens djihadistes désillusionnés qui tiendraient un discours spontané. Car dès qu’un sentiment de manipulation du discours apparait, il perd son effet dissuasif.

Pour plusieurs chercheurs, il y a une énorme charge émotionnelle derrière la déradicali-sation. Donc opposer des arguments n’est pas la voie la plus efficace : la rationalité n’y a pas nécessairement sa place.

Ainsi, pour Fabienne Brion, les contre-discours ne sont pas vraiment efficaces et ils peuvent avoir pour effet de légitimer les recruteurs qui anticipent ceux-ci lorsqu’ils radicalisent des jeunes en leur annonçant qu’ils vont y être confrontés.

Cependant, internet peut servir d’outil aux autorités pour contrecarrer le discours des organisations terroristes et/ou djihadistes. La lutte contre la propagande extrémiste va au-delà de la simple interdiction ou suppres-sion des contenus illégaux. La diffusion de messages positifs et soigneusement ciblés, de façon suffisamment large pour que les internautes vulnérables et à risque puissent y accéder facilement n’est pas à négliger dans la politique de prévention. Si la diffusion de contre-discours n’est certainement pas la solution miracle, elle doit être développée, quand bien même elle n’aurait un impact que sur un nombre réduit d’individus à risque.

Début 2015, l’Union européenne a chargé la Belgique de mettre en place une unité d’aide à l’élaboration de stratégies de communica-tion, en collaboration avec le Royaume-Uni, afin de prévenir le recrutement de djihadistes par internet.

Nous proposons de:

• Accélérer le déploiement des services chargés de contre-discours : dont l’unité de contre-propagande (SSCAT – conseil en communication stratégique sur la Syrie) avec le soutien/financement de l’UE pour prévenir le recrutement de djihadistes par internet.

• Soutenir la cellule de lutte contre la cybe-

rhaine mise en place par Joëlle Milquet lorsqu’elle était ministre de l’Egalite des chances au sein du Centre pour l’Egalité des Chances afin de renforcer la lutte contre la propagation de la haine sur internet.

• Défendre au niveau européen la mise sur

pied d’un service de contre-discours par internet.

Internet peut servir d’outil aux autorités pour contrecarrer le discours des organisations terroristes et/ou djihadistes.

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4.2. LUTTER CONTRE LA RADICALISATION EN PRISON

Le ministre Koen Geens a présenté récemment un plan radicalisme en prison.

Les prisons sont des foyers de propagation des idées radicales. Kouachi, Merah et Nemmouche sont tous les trois des prisonniers de droit commun qui se sont radicalisés en prison. Selon Gilles de Kerchove, « il faut lorsque les djihadistes reviennent, apprécier la dangerosité de chaque personne et toutes ne doivent évi-demment pas être envoyées en prison. Ce serait une grave erreur. Ils deviendraient encore plus radicaux et en inspireraient d’autres. Parce qu’on sait combien la figure du vétéran inspire, même si le type faisait la vaisselle en Syrie et n’était pas en première ligne. Il va inventer qu’il était un grand héros. On sait combien la prison est un incubateur de radicalisation. Il faut y envoyer ceux qui ont du sang sur les mains. Les autres, les mettre plutôt dans un processus de désengagement. »

Le regroupement des radicaux au sein de l’ins-titution pénitentiaire pose plusieurs questions : 1°) pour la sécurité tant interne qu’externe (volonté de libérer les leaders, les agents de l’Etat sont une cible plus grande), 2°) il y a des risques d’agression en interne, 3°) il y a un risque de contamination et recrutement en prison. La seule isolation des prédicateurs ne suffit néanmoins pas : il s’agit d’une solution de court terme et qui ne prend pas la mesuredu phénomène103. D’autres États (Espagne, Irlande) ont tenté des expériences de concen-tration des détenus accompagnés de mesures d’isolement. Toute personne concentrée se voit condamnée car elle ne va pas se déradicaliser. La concentration crée des liens extrêmement forts. Ces pays sont revenus à la dispersion.

Aujourd’hui la prison est moins un endroit de solution que de problèmes. Elle peut être un facteur aggravant. La détention est un facteur

de vulnérabilisation. Elle marginalise. Elle est en tant que telle un risque pour tous puisqu’elle isole de la société. La prison est un lieu de violence institutionnalisée. Fabienne Brion considère que « la prison cache les contradic-tions de notre démocratie que l’on ne veut pas voir avec des conditions de détention qui ne sont pas dignes ». Les prisonniers voient l’envers de la démocratie.

Il faut remettre en cause la prison comme outil de lutte contre la radicalisation. La pri-son doit être le remède ultime. «Il faut aussi développer des programmes de désengagement, de réhabilitation, de déradicalisation. C’est de l’accompagnement psychologique. Aider la personne à trouver un rôle dans la société. » L’Islande, les Pays-Bas, la Norvège sont des pays qui ont réduit la population pénitentiaire et qui ont appris à ne pas répondre par un tout pénitentiaire.

Dès lors, nous proposons de :

• Mettre en place un centre interfédéral pluridisciplinaire de traitement du radi-calisme composé de psychologues, psy-chiatres, policiers, sociologues afin d’ana-lyser les profils de chaque individu, faire des profils de personnalité, identifier la dangerosité de chaque personne, évaluer le soutien de l’entourage, ses besoins et accompagner ceux qui le peuvent dans leur travail de réintégration dans la société104. Ce centre permettrait d’identifier de la manière la plus fine possible le profil de chaque fanatique et d’identifier la réponse qui semble la plus adéquate : la détention, l’accompagnement à domi-cile, le soutien à la réintégration, le rôle joué par la famille et l’entourage… Ce type de centre est particulièrement utile dans le cas des returnees, afin d’identifier quelles sont les motivations du retour : la poursuite du djihad en Belgique, le recrutement, la détresse sociale ou psy-chologique, etc. Cette analyse permet

103. La Ligue des Droits de l’Homme, à l’instar de nombreuses organisations internationales, a déjà pointé le manque flagrant de volonté des divers gouvernements de mettre en place des mesures favorisant l’éducation et la réinsertion des détenus. La prison est un terreau particulièrement problématique et criminogène qui favorise la radicalisation de certains détenus. Envisager la lutte contre le radicalisme dans les prisons en travaillant exclusivement sur le renforcement de son caractère sécuritaire est complètement contre-productif. La lutte contre le radicalisme ne peut faire l’économie d’une réflexion plus vaste sur le rôle et le fonctionnement de l’univers carcéral. Cette réflexion est extrêmement urgente, la réponse exclusivement sécuritaire ayant maintes fois fait la preuve de son inefficacité totale.

104. Ce centre pourrait s’inspirer de l’interdisciplinarité développée dans la mise en place de centres pour pédophiles à l’image du Centre d’appui bruxellois pour l’évaluation, l’orientation et le suivi des auteurs d’infractions à caractère sexuel.

La prison cache les contradictions de notre démocratie

que l’on ne veut pas voir avec des

conditions de détentions qui ne sont pas dignes.

Tous les djihadistes qui reviennent ne

doivent pas être envoyées en

prison.

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d’améliorer la qualité de la décision de libération par un magistrat sur base d’un avis psychiatrique complété par un avis des autres professionnels. Une de ses missions doit être d’identifier les mesures les plus appropriées à l’égard des returnees, en fonction de leur situation et de leur motivation au retour, notam-ment. L’emprisonnement peut être décidé lorsque cela est indispensable, mais il faut éviter d’envoyer systématiquement en prison tous ceux qui reviennent de Syrie et incarcérer ceux qui représentent un danger. L’emprisonnement systématique de tous les returnees, faute de mieux, est un pis-aller, voire est contre-productif afin d’éviter la propagation du fanatisme violent. Ce centre pluridisciplinaire serait chargé, à l’instar de ce qui a été mis en place pour les pédophiles, de choisir la réponse qui parait la plus appropriée à chaque individu et d’assurer un suivi de la mise en œuvre des actions décidée. Un centre similaire a été mis en place au Danemark, et s’il ne constitue pas un modèle en tant que tel, cette initiative est une source d’inspiration

• Prendre des mesures d’investissements plus larges dans les prisons par une action psycho-sociale et religieuse, en augmen-tant les intervenants psycho-sociaux (en ce compris le recours à des psychologues spécialistes de la déradicalisation dans les prisons) ainsi que le nombre d’aumôniers musulmans formés et contrôlés par la Sûreté de l’État. Il faut renforcer tous les contacts vis-à-vis de l’extérieur et surtout favoriser les contacts avec les aides aux justiciables. Il faut resocialiser les déte-nus avec les acteurs les plus naturels que sont les proches, les familles, les enseignants, les surveillants.

• Améliorer la formation des gardiens de prison à la détection des signes d’extré-misme et de radicalisation.

• Organiser un échange systématique d’informations entre les établissements pénitentiaires et la Sûreté de l’État.

• Développer de manière urgente les mesures alternatives telles que les peines de travail, le bracelet électronique et la probation : afin de désengorger les prisons et par là, les risques de propagation du radicalisme.

• Créer un groupe de travail au sein des établissements pénitentiaires qui évalue la situation en termes de radicalisation, analyse les événements récents et prévoit des actions concrètes.

• Développer le service minimum en prison afin d’éviter les risques d’incidents et laisser plus de marge de manœuvre aux directions dans la gestion quotidienne et le contrôle des abus105. La très grande majorité des agents pénitentiaires font un travail absolument remarquable mais un faible pourcentage de gardien pose pro-blème en rompant la confiance (manque de respect, insultes, violences…). Il faut davantage accompagner les surveillants, les aider à gérer leur stress et leurs peurs. Les directions ont peu d’outils pour faire face à ces manques et on nous a rapporté qu’elles étaient paralysées par le risque de grève.

4.3. RENFORCER LA SÉCURITÉ

4.3.1. Assurer des moyens budgétaires humains et techniques suffisants pour les services de sécurité et la justice Face aux menaces que représente le terro-risme, il est vital pour la sécurité et la stabilité de notre pays que l’ensemble des services de sécurité (police, justice, OCAM, Sûreté de l’État, Service général de Renseignement et de sécurité,…) bénéficient de moyens techniques

105. Cf., à cet égard, la proposition de loi (n° 277) déposée par Vanessa Matz modifiant la loi de principe du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, en vue d’encadrer l’exercice du droit de grève par les mem-bres du personnel des établissements pénitentiaires.

Il est vital pour la sécurité et la stabilité de notre pays que l’ensemble des services de sécurités bénéficient de moyens techniques et humains suffisants.

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et humains suffisants pour remplir l’ensemble de leurs missions. Néanmoins, les récentes économies décidées par le gouvernement mettent à mal l’action des autorités en matière de sécurité. Nous dénonçons les économies réalisées dans des services essentiels, à savoir la police (- 9,6 % du budget total en 2015), la justice (- 13 % du budget total en 2015), la Sûreté de l’État (- 9,8 % entre 2013 et 2015 pour les dépenses relatives au personnel et – 26 % entre 2015 et 2019 pour les dépenses en investissement) et l’Organe de Coordination et d’Analyse de la Menace (- 29 % entre 2015 et 2019 pour les dépenses en personnel).106 Même si une enveloppe complémentaire de 200 millions d’euros a été prévue à l’ajus-tement budgétaire d’avril 2015, elle paraît bien insuffisante au regard des besoins des différents services.

• Nous demandons l’augmentation des moyens humains et techniques au sein des différents services chargés de la sécurité et de la détection des risques. Le recru-tement de profils spécialisés demande d’y mettre les moyens. L’engagement de policiers complémentaires au niveau des RCCU et des Forces spéciales de la Police Fédérale est bien nécessaire, mais insuffisant au regard des tâches qui leur sont demandées.

• Le parent pauvre de la chaîne de sécurité reste la Justice qui a subi des écono-mies colossales. Or, elle est un mail-lon indispensable de la lutte contre le terrorisme dans ses multiples tâches. Nous demandons que le gouvernement revoie le budget de la Justice afin qu’elle puisse au mieux remplir ses différentes missions.

• La Sûreté de l’État a un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le terrorisme par les différentes collectes d’informa-tions qu’elle peut obtenir. Pour ce faire, elle a besoin de moyens suffisants. Or,

depuis plusieurs années, ceux-ci sont sans cesse revus à la baisse ce qui ne lui permet plus actuellement de répondre aux différentes demandes. Nous demandons que les investissements soient doublés à hauteur de 100 millions par an afin d’atteindre un degré d’efficacité à la hauteur de la menace. Nous voulons faciliter les enquêtes à l’étranger, dont les missions à l’étranger de la Sûreté qui doivent pouvoir être étendues dans le temps, si nécessaire.

Les méthodes de recherches particulières doivent être étendues et bénéficier de moyens financiers et humains supplémentaires.

Nous voulons que les procédures BIM pour les écoutes soient facilitées pour les récoltes de données à l’étranger. Des adaptations doivent également être adoptées afin d’assurer plus de rapidité dans les procédures.

Le cdH dénonce depuis l’accord de gouverne-ment les économies réalisées dans des services essentiels (Justice, Sûreté, OCAM, etc.). Le budget de la Justice a été raboté de toutes parts et dans tous les secteurs de celle-ci, il est demandé au ministre de la Justice de revoir son budget à la hausse (informatique, prisons, aide juridique, internement…). Les magistrats rencontrés nous ont fait part des énormes difficultés rencontrées notamment par manque de moyens humains.

Nous proposons de:

• Augmenter les budgets de la Justice : le Ministre annonçait une économie de 250 millions pour le budget de la justice de 2015 par rapport au budget initial 2014.

• Renforcer le nombre des membres du

parquet et des juges d’instruction affectés à la lutte anti-terroriste.

106. DOC 54 496/001-002, Projet du budget général des dépenses pour l’année budgétaire 2015, 13 nov. 2014.

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4.3.2. Garantir une meilleure coordination des services entre eux

La réponse à la menace ne peut être issue que d’une excellente coordination des ser-vices entre eux. Force est de constater que, en la matière, de nombreuses lacunes sont actuellement constatées.

• Le Conseil National de Sécurité mis en place fin janvier par le gouvernement ne fonctionne pas de manière efficace et il ne suit aucun plan clair. Il ne s’est en effet réuni que quelques fois depuis sa création. Nous voulons qu’une stra-tégie claire soit adoptée en précisant les objectifs de chacun des ministres, avec une vision transversale.

• Dès 2013, une Task Force Syrie au niveau fédéral avait été mise en place par la ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet. Cette Task Force regroupait l’ensemble des services de sécurité chargés de lutter contre le terrorisme (Justice, Intérieur, Affaires étrangères, Défense, …). Nous demandons que cette Task Force Syrie continue d’être réunie régulièrement, car elle facilite l’échange d’informations entre les services.

• Tout doit être fait pour que les départs soient détectés le plus rapidement pos-sible. Le fait que des mineurs sont concer-nés rend la tâche plus difficile car ils ne sont pas repris dans les mêmes bases de données. Par souci d’efficacité, nous voulons que la police, la Sûreté de l’État et le Service général de Renseignement et de sécurité renforcent leurs bases de données et aboutissent dans les plus brefs délais à une seule base de données consolidée.

• Dans la lutte contre le terrorisme, il est essentiel que tous les niveaux de pou-voirs collaborent entre eux en raison de

l’éclatement des compétences. Nous demandons qu’une meilleure coordi-nation existe entre l’Etat fédéral et les entités fédérées au niveau de l’échange d’informations, mais aussi de la mise en œuvre de politiques concertées et transversales.

• Les autorités locales comme niveau le plus proche des citoyens, ont un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le terrorisme. Il est essentiel qu’elles puissent être associées aux politiques développées par le niveau fédéral et les entités fédérées. Elles doivent être infor-mées du retour de djihadistes de Syrie, mais aussi de la situation de personnes qui seraient susceptibles de quitter le territoire pour rejoindre la Syrie.

• Actuellement, différents points de contacts entre les services de police existent et avaient été mis en place par Joëlle Milquet alors ministre de l’Intérieur afin que la police fédérale et la police locale colla-borent et échangent leurs informations (Task Force Syrie au niveau des arron-dissements). Nous demandons que ces coordinations continuent de fonctionner, car cet échange d’informations pour les uns et les autres est fondamental.

4.3.3. Renforcer la coopération européenne

Selon Rik Coolsaet, l’Europe a beaucoup d’ex-périence du terrorisme (ex : Irlande, Corse, Espagne…). La sécurité nationale et le sec-teur des renseignements sont des domaines particulièrement sensibles et éminemment étatiques. La collaboration entre les services nationaux des États membres en charge de la sécurité nationale fonctionne uniquement sur une base bilatérale ou multilatérale et non dans le cadre de l’Union européenne. Il existe bien au sein d’Europol un point focal dédié aux combattants étrangers. La difficulté réside cependant dans le fait qu’Europol est

« L’Europe a beaucoup d’expérience du terrorisme avec les expériences irlandaises, corses,espagnoles… » Rik Coolsaet.

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une agence de coopération policière et non une agence de renseignement. Elle ne peut en cela fonctionner de manière efficace sans les informations qui lui sont transmises par les services de renseignement des États membres. Pour qu’on puisse croiser les données et affi-ner les enquêtes, il est essentiel que les États membres alimentent ce point focal.

Or, aujourd’hui, les contributions des États membres vers Europol varient fortement d’un État membre à l’autre : certains, comme la Belgique, sont de gros contributeurs, tandis que d’autres ne fournissent presque aucune information. Les États se privent de précieuses informations en n’effectuant pas de croise-ment avec celles disponibles dans les divers services nationaux, en raison d’un manque de coopération. En ce sens, la collaboration et l’échange d’informations entre Europol et les services de renseignement et de sécurité nationaux devraient être renforcés.

• Nous voulons le renforcement de la col-laboration et l’échange d’informations entre Europol et les services de rensei-gnements et de sécurité nationaux par la création d’une plateforme d’échange de renseignement, par exemple à travers Europol, qui permettrait de « forcer » la communauté du renseignements de tra-vailler ensemble et à coopérer davantage et de permettre ainsi des croisements d’informations.

> Une proposition de résolution relative à la politique européenne de lutte contre le radicalisme et le terrorisme a été déposée au parlement fédéral

Il existe une vaste expertise et un grand nombre de bonnes pratiques au sein des États membres, dans les pays tiers, dans les milieux universitaires et autres. L’accès à cette base de connaissances représente un intérêt non négligeable pour les États membres qui

pourraient l’exploiter dans l’élaboration de leur politique. En 2011, la Commission européenne a fait un pas dans cette direction en créant le Réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR) qui réunit plus de 700 experts et acteurs de terrain de toute l’Europe. Sa mission est d’aider les acteurs locaux de première ligne et de faciliter l’échange d’expériences et de bonnes pratiques. La coopération entre les responsables politiques, les milieux universi-taires, les partenaires privés et les enceintes internationales est essentielle. En ce sens, la Commission européenne propose de renfor-cer le rôle du RSR afin d’en faire davantage un pôle de connaissances, qui rassemblerait l’expertise en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation conduisant au terrorisme et à l’extrémisme violent.

• Nous voulons également la création d’un pôle de connaissance et d’expertise euro-péen en matière de radicalisme et de ter-rorisme. Ce pôle de connaissances serait principalement chargé : 1°) de répondre en première ligne aux demandes des États membres et de la Commission liées à la mise en œuvre des propositions ; 2°) d’assurer les interconnexions entre les différentes sources d’expertise dans le domaine (diffusion de bonnes pratiques, définition d’un agenda de recherche) ; 3°) de servir de plateforme de coordination pour les initiatives tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE.107

> Une proposition de résolution relative à la politique européenne de lutte contre le radicalisme et le terrorisme a été déposée au parlement fédéral.

• Nous voulons renforcer les partenariats en matière de sécurité et de renseigne-ment entre les Pays européens, entre l’Europe, les USA, le Canada et l’Australie et également avec la Turquie, le Maroc et les pays du Maghreb, la Jordanie et le

107. COM (2013) 941 final, 15 janvier 2014, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions - Prévenir la radicalisation conduisant au terror-isme et à l’extrémisme violent : renforcer l’action de l’UE, pp. 5-6.

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Liban et de soutenir massivement ces pays dans la lutte qu’ils mènent contre le terrorisme.

• Nous voulons doter l’Union européenne d’une nouvelle stratégie globale de pré-vention des mouvements radicaux violents qui combine le soutien aux politiques nationales des États membres et la pré-vention dans les pays tiers.

• Nous voulons renforcer le contrôle des données personnelles de voyageurs aériens (Passenger Name Record – PNR) : l’objectif est de permettre aux services de sécurité d’exploiter les données des passagers aériens ; la directive est bloquée par le Parlement européen. Elle constitue l’une des priorités de la Commission et des ministres européens de l’Intérieur. Il faut veiller à ce qu’elles soient stric-tement encadrées pour respecter les libertés publiques et la protection de la vie privée.

• Les contrôles Schengen à l’entrée de l’UE ne sont pas exercés avec 100 % d’effica-cité. Nous devons renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’UE afin de mieux détecter le retour des djihadistes. Pour la Commission, l’urgence n’est pas à la modification des règles mais à leur application et à une meilleure utilisation du SIS (système d’information Schengen).

• Nous défendons l’idée de créer un fichier européen sur les « foreign fighters ».

• L’Ocam préconise aux communes de pratiquer la radiation de ses registres des combattants ayant quitté le territoire, de manière à ce que les returnees soient immédiatement identifiés à leur retour108.

4.4. EMPÊCHER LES DÉPARTS

4.4.1. Retirer les documents d’identité et de voyage

Vu les graves dangers encourus par les jeunes qui partent en Syrie et les lourdes menaces qu’ils font peser sur notre société, tout doit être mis en œuvre en vue d’empêcher à tout prix les départs.

Certaines personnes que nous avons enten-dues ont émis des doutes sur l’efficacité de la mesure qui consiste à retirer les documents d’identité ou de voyage. En effet, elles jugent que la conséquence principale sera le trafic de faux documents, l’emprunt de documents d’identité de tierce personne ou dans le cas de personne ayant la double nationalité, le recours à leur second passeport. Cette barrière supplémentaire pourrait même avoir un inci-tant sur des jeunes qui voient une motivation en plus dans un interdit supplémentaire à franchir. Néanmoins, il nous semble crucial d’avoir une attitude très claire et de donner un signal fort en vue de décourager les départs. Une mère nous a témoigné le signalement qu’elle a fait 10 jours avant le départ de son fils à la police et qui malgré tout n’a pas été en mesure d’empêcher son départ. C’est la raison pour laquelle nous estimons que cette mesure doit être mise en place.

• Nous proposons le retrait de documents d’identité ou de voyage afin d’empêcher le départ d’une personne lorsqu’il s’avère qu’elle entend de manière imminente quitter le territoire en vue de rejoindre un groupement terroriste à l’étranger et/ou y commettre des actes terroristes. La proposition de loi organise une procé-dure rapide de retrait de la carte d’iden-tité, du passeport et/ou documents de voyage. Contrairement à la proposition du ministre de l’Intérieur Jan Jambon, cette procédure est strictement encadrée, puisqu’elle s’opère par voie judiciaire,

108. Le Soir du 25 septembre 2014, « Les retours. Aucun adolescent n’a encore été arrêté »

Tout doit être mis en œuvre en vue d’empêcher à tous prix les départs.

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dans des circonstances limitativement énumérées et dans le respect des droits de citoyens.

> Proposition de loi (n° 797) relative au retrait des documents d’identité et des documents de voyage des personnes qui souhaitent partir combattre à l’étranger et y com-mettre des actes terroristes.

• Il faut mettre en place un dispositif de détection et de prévention au départ. Les autorités doivent faire connaître le point de contact pour signaler les départs au SPF Intérieur. En effet, une adresse email avait été créée en 2013 pour toutes les questions relatives aux départs probables. Cependant, cette adresse reste méconnue du grand public. Nous demandons donc que l’Etat fédéral mette à disposition un numéro de téléphone vert109 et un site internet qui explique les démarches à entreprendre pour les familles en cas de suspicion d’un départ imminent.

• Les associations de parents doivent être mobilisées pour devenir des interlocuteurs importants de prévention et détection des départs. Des moyens doivent leur être alloués à cette fin. Ils doivent également bénéficier d’un relais au sein du Ministère de l’Intérieur.

4.4.2. Accompagner les familles

De nombreuses familles, à l’image des mères que nous avons rencontrées, vivent une souf-france existentielle et sont en pleine détresse lorsque leur enfant part en Syrie pour com-battre. Il y a chez ces personnes un sentiment de jugement par l’entourage (« ce sont de mauvais parents ») et d’abandon par l’Etat.

Pourtant, pères et mères jouent un rôle pri-mordial car ils sont les premiers à constater le

radicalisme et le fanatisme religieux de leurs enfants. Certaines familles ont une véritable expertise sur laquelle les acteurs de prévention doivent pouvoir s’appuyer. Afin d’empêcher les départs, il faut autant que possible que les parents renouent leurs relations avec leurs enfants, d’autant plus que les recruteurs mettent tout en œuvre pour que les jeunes coupent les liens avec la famille. Pour Fabienne Brion, la propagande salafiste appuie l’idée que les pères sont absents. Les autorités doivent veiller à ne pas elles-mêmes contribuer à disqualifier les parents. L’accompagnement des familles demande énormément de temps. Une partie du travail vise à déculpabiliser les familles.

Les familles sont extrêmement peu soutenues. Une adresse email avait été mise en place par l’Intérieur. La Fondation Roi Baudouin est en train de mettre sur pied un projet visant à les appuyer.

Nous proposons la création d’un site web afin que les parents puissent échanger, ainsi que la création d’un numéro vert. Nous préconi-sons la mise sur pied d’équipes d’intervention mobiles afin de venir en soutien localement. Ces initiatives ont été annoncées en Fédération Wallonie-Bruxelles, à savoir la création d’un numéro vert de soutien et d’accompagnement juridique des familles. Nous nous réjouissons de cette initiative, mais nous demandons qu’une parfaite collaboration existe avec le niveau fédéral et que la création de ces outils d’aide fasse l’objet d’une large publicité afin d’être connus des familles.

Ces parents doivent recevoir une recon-naissance de la part des autorités belges et non être d’office considérés comme parents dangereux et aussi en tant que détenteurs d’une certaines expertise sur les processus de radicalisation. Ils doivent bénéficier d’un soutien psychologique et d’une écoute par des experts en situation post-traumatique. L’accompagnement des familles doit prendre

Les pères et les mères jouent un

rôle primordial car ils sont

les premiers à constater le

radicalisme et le fanatisme

religieux de leurs enfants.

109. Un numéro vert a été mis en place le 12 juin 2015 par la Fédération Wallonie-Bruxelles (0800/20.000) pour offrir aux familles désemparées par la radicalisation d’un de leurs membres une écoute et une aide juridique confidentielles et gratuites. C’est une première en Belgique.

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en compte la difficulté pour les parents de faire leur deuil. Il est nécessaire aussi qu’une information claire leur soit donnée sur les procédures en cas de retour des jeunes.

4.5. SANCTIONNER PLUS SÉVÈREMENT LES ACTES TERRORISTES

Nous proposons de :

• Activer la loi mercenaire110 : Compléter l’arsenal juridique existant en interdisant aux personnes se trouvant sur le territoire belge de partir combattre auprès des groupes armés se trouvant sur le territoire de la Syrie et de l’Irak. La déchéance de la nationalité constitue une aggravation de l’interdiction avec un effet dissuasif propre. La proposition poursuit un double objectif de sécurité et d’ordre public. Au niveau international d’une part, en ce qu’il existe des raisons sérieuses de croire que le départ de combattants vers ces zones a pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de

guerre ou des crimes contre l’humanité. Au niveau national d’autre part, au motif que la sortie du territoire permettrait à l’intéressé d’acquérir une compétence de lutte armée qui pourrait être réimportée sur le territoire belge et favoriser des actions terroristes. L’infraction à la loi mercenaire amène à la déchéance de nationalité. Une série de questions se posent sur ce texte et celles-ci doivent être discutées au parlement (ex : le risque que les djihadistes tombent sous le droit des conflits armés/droit humanitaire international111).

> Proposition de loi déposée au parlement fédéral (n°795) modifiant la loi du 1er août 1979 concernant les services dans une armée ou une troupe étrangère se trouvant sur le territoire d’un Etat étranger, en vue d’interdire le départ de combattants en Syrie ou en Irak.

• Étendre les possibilités de déchéance de la nationalité 112: Étendre les possibilités

de déchéance de la nationalité belge dans le cadre d’une condamnation pénale dans l’optique de déchoir plus efficacement de leur nationalité les personnes adoptant des comportements anti-démocratiques qui ne peuvent justifier le maintien de leur nationalité belge. La proposition de loi vise à étendre la déchéance de la nationalité à ce qu’on appelle « les nou-velles infractions terroristes », à savoir le recrutement, la propagande et l’incitation au terrorisme. La déchéance de nationa-lité est prononcée par le juge pénal dans le cadre de la condamnation pour des infractions terroristes ou contre la Sûreté de l’État. La déchéance ne concerne que les personnes ayant la double nationa-lité et le code exclut les personnes qui sont nées d’un auteur belge ainsi que les personnes ayant acquis leur nationalité de par leur naissance en Belgique. Les 2ème et 3ème générations ne sont donc pas concernées par cette proposition de loi.

> Proposition de loi modifiant le code de la nationalité afin d’étendre les possibilités de déchéance de la nationalité (n° 796)

4.6. PERMETTRE LA RÉINSERTION DES PERSONNES RADICALISÉES

Les returnees sont un gros problème puisqu’ils ont été entraînés aux armes et qu’ils repré-sentent une menace potentielle importante. Si près de 90 % d’entre eux ne comptent pas commettre d’attentats, ils doivent être réin-tégrés à la société d’une manière ou d’une autre. La réintégration sociale, professionnelle et scolaire est indispensable.

S’appuyant sur des experts universitaires, Joëlle Milquet a mis en place une politique de prévention et de réinsertion en incitant les

110. La loi mercenaire n’a jamais été mise en œuvre car elle prévoit systématiquement qu’un arrêté royal détermine les terrains « interdits ».

111. Certains avocats estiment qu’en faisant référence à la loi mercenaire, la loi dit que l’individu va rejoindre une force armée dans un conflit armé. C’est alors le droit humanitaire qui s’applique et par conséquent les djihadistes ne sont pas considéré comme terroristes.

112. Lors du dernier changement de loi, il y a une énorme marche en arrière car par le passé, on pouvait retirer la nationalité sur base du principe de « danger public ».

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communes où vivent ces Belges à agir loca-lement. Un policier spécialisé sur la Syrie a été désigné dans une quinzaine de zones de police d’où sont partis les djihadistes. Celles-ci incluent les grandes villes comme Bruxelles, Anvers et Liège113 mais aussi Vilvorde, Maaseik, Deinze et Verviers.

4.6.1. Mettre en place un suivi rapproché des returnees

• Développer des alternatives à la prison pour les returnees : cf. supra création d’un centre interfédéral pluridisciplinaire de traitement du radicalisme.

• Edicter la circulaire « Foreign Returnees » qui avait été prise par le ministre de l’In-térieur Melchior Wathelet en septembre 2014, mais que le ministre de l’Intérieur actuel a souhaité modifier. Cette dernière n’a dès lors toujours pas vu le jour. Cette circulaire consiste à définir les tâches de chaque intervenant dans la politique du retour de combattants étrangers. Elle permet ainsi que chaque service ait connaissance de la mission qui lui est dévolue lorsqu’un combattant revient en Belgique.

113. A Liège, les « returnees » sont surveillés de très près par une «task force locale» qui se réunit régulièrement et qui rassemble des policiers (locaux et fédéraux) mais aussi un représentant de l’Ocam et de la Sûreté de l’État (Le Soir du 20 janvier 2015, « Pour lutter contre le fondamentalisme, Liège déploie militaires et assistants sociaux »)

• Mettre en place un système d’accompa-gnement pour les djihadistes qui sou-haitent quitter le milieu radical par un travail avec les mosquées et le dialogue. Le système a fait ses preuves car les jeunes sont plus enclins à rentrer au pays. Bien évidemment, les actes répréhensibles sont poursuivis en justice et les informations

recueillies sont transmises aux services de renseignement.

• Assurer une meilleure communication entre les services : les chefs de corps de la police et les bourgmestres ne sont pas toujours informés de la présence de returnees dans leur zone ou dans leur commune. Le niveau local est le plus per-tinent pour agir. Le Royaume-Uni envoie des bonnes pratiques aux communes et diffuse ainsi le savoir. Il faut améliorer la relation entre les bourgmestres, la Sureté de l’Etat et les communes. Cela rappelle l’importance d’un bon partage d’informations.

• Affecter une partie du Fonds Social Européen à des projets de réintégration.

4.6.2. Mettre en place une stratégie de déradicalisation

Il n’existe pas de stratégie nationale de déra-dicalisation. La seule stratégie en tant que

Il n’existe pas de stratégie nationale de

déradicalisation.

Le programme d’Aarhus au Danemark

A Aarhus, deuxième ville du Danemark, les services sociaux et la police de la Ville d’Aarhus proposent un programme de réinsertion pour les fanatiques, à l’exception de ceux qui ont commis des actes punissables. L’objectif est d’aider ces jeunes à redevenir des citoyens à part entière. Sur base volontaire, ils se réintègrent à travers un dialogue et une aide. Une équipe de deux policiers et d’un travailleur social est à leur écoute, proposant de les aider, de leur apporter un soutien psychologique et de les assister pour réintégrer l’école, suivre une formation, trouver un emploi, un logement. Car les traiter de terroristes et les mettre en prison n’est pas une solution, encore faut-il prouver leur participation au conflit et ce n’est pas chose aisée

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telle qui existe est celle de Vilvorde. On n’a d’ailleurs pas d’outils de déradicalisation en Belgique. Des initiatives sont prises, notam-ment à Anvers et à Vilvorde mais il est trop tôt pour en mesurer les résultats.

Dans son Plan de lutte contre le radicalisme, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’attaque à la prise en charge des returnees. Elle se dotera de spécialistes capables de mener un travail de désendoctrinement. Les jeunes engagés dans le radicalisme violent placés en IPPJ feront l’objet d’une surveillance particulière, pour éviter notamment le prosélytisme. La Fédération va ainsi se doter d’un RAR, un Réseau anti-radicalisme, qui sera chargé de coordonner les politiques transversales et de veiller à la cohérence des réponses apportées sur le terrain.

Il faut penser cette problématique en termes de resocialisation. Les Scandinaves ont développé des stratégies individuelles de déradicalisation. Les expériences semblent montrer que la voie à privilégier est celle de l’approche personnalisée tout en développant une panoplie de solution. Un discours préparé adressé à un groupe ne

porte pas ses fruits. Selon Fabienne Brion, seules les relations personnelles peuvent avoir un impact. Il est nécessaire de diffuser des outils et des bonnes pratiques.

La déradicalisation peut se faire par les imams, mais ils ne sont pas toujours les plus à même de faire face à des discours idéologiques. De plus, tout imam reconnu par les pouvoirs publics est suspecté d’être à la solde de l’Etat. Cela a l’effet paradoxal que cela peut nourrir davantage la radicalisation. Les interlocuteurs ne doivent pas être uniquement des interlo-cuteurs religieux. Il faut recourir aux services d’aide au justiciable, aux psychologues….

• Mettre en place un système d’accompa-gnement pour les djihadistes qui sou-haitent quitter le milieu radical, par un travail avec les mosquées et par le dia-logue. Le système a fait ses preuves car les jeunes sont plus enclins à rentrer au pays. Bien évidemment, les actes répré-hensibles sont poursuivis en justice et les informations recueillies sont transmises aux services de renseignement.

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CONCLUSION

Ces derniers mois ont connu de multiples évènements dramatiques, depuis l’attentat au Musée Juif de Bruxelles jusqu’à l’intervention de Verviers, en passant par les attentats de Paris. S’y ajoutent le départ de nombreux jeunes partis rejoindre Daesh en Syrie. Ces évènements bouleversent nos sociétés, non seulement parce qu’ils soulèvent des questions majeures de sécurité mais également parce qu’ils mettent en cause des valeurs fondamentales sur lesquelles reposent la démocratie. Sont-ils le symptôme d’un mal plus profond ?

Le présent rapport a permis, au départ de nombreuses auditions d’experts et d’acteurs de terrain, d’explorer les causes du radicalisme actuel et d’analyser les motivations et les pro-fils des personnes radicalisées. Le phénomène est complexe et difficile à saisir. Des idées reçues sont battues en brèche. Non, le radicalisme ne trouve pas son origine dans la seule précarité sociale. Non, la religion ne joue pas le rôle déclencheur de premier plan qu’on lui prête parfois. La radicalisation de jeunes qui sont nés et ont grandi ici semble plutôt constituer le symptôme d’un mal-être plus profond qui traverse les classes sociales et les origines culturelles : un sentiment qui s’exprime par la recherche de sens, de reconnais-sance et d’appartenance. Un contexte international dramatique et des circonstances belges particulières ont attisé le problème.

Ce rapport se veut à la fois une contribution à la compréhension du phénomène et une synthèse de propositions et de recommandations politiques. Si le radicalisme violent est le symptôme d’un mal être plus profond, les réponses collectives à y apporter sont non seulement cruciales pour les centaines de jeunes qui s’y engouffrent, mais également pour les milliers d’autres qui, sans passer à l’acte, partagent des sentiments similaires. Poursuivre sans relâche le travail de cohésion ; reconnaitre les conflits qui peuvent éclore de la coexistence de cultures différentes mais les dépasser par le dialogue ; lutter contre le racisme et les discriminations ; renforcer l’éducation aux valeurs fondamentales ; toutes ces actions sont essentielles pour construire une société inter-culturelle et véritablement inclusive.

De multiples initiatives ont été prises pour répondre à la question du radicalisme, à différents niveaux. Toutefois, il manque un plan d’ensemble à ces initiatives. La création d’une instance de coordination interfédérale consacrée au radicalisme semble indispensable. Elle est le point de départ d’une action qui doit porter sur de multiples aspects, tant de prévention que de sanction et de réinsertion, développées dans le rapport. Les moyens que l’on y consacrera doivent être à la hauteur de l’enjeu.

Il ne s’agit donc pas de clore le travail, mais bien au contraire d’ouvrir la discussion et d’ali-menter tant le débat que la recherche de solutions, loin des simplismes et des réponses toutes faites.

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ANNEXE : LISTE ET PRÉSENTATION D’UNE PARTIE DES PERSONNES RENCONTRÉES

Nous souhaitons exprimer nos plus vifs remerciements à l’ensemble des personnes qui nous ont éclairé de leur analyses, ayant permis la rédaction de ce rapport.

Gilles de Kerchove : Il est coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme depuis 2007. Il est chargé de coordonner les travaux du Conseil en matière de lutte contre le terrorisme.

Fatima Zibouh : est diplômée en sciences politiques (ULB) et est titulaire d’un Master spécialisé en Droits de l’Homme (UCL). Elle est doctorante en sciences politiques et sociales (ULG). Elle a notamment publié « La participation politique des élus d’origine maghrébine. Elections régio-nales bruxelloises et stratégies électorales » (Academia-Bruylant, 2010) et « La représentation politique des musulmans à Bruxelles (Brussels Studies, 2011). Elle est membre de Convergences musulmanes.

Taoufik Amzile : Diplômé en Sciences Politiques et en Relations Internationales de l’Univer-sité Libre de Bruxelles, ancien Assistant. Fondateur et Administrateur d’Ascentis Consulting, spécialisée dans la consultance pour les secteurs de la finance et de l’énergie, il est également Co-fondateur et Administrateur de l’Association Belge des Professionnels Musulmans dont il est le porte-parole.

Michael Privot : Directeur du Réseau Européen Contre le Racisme. Ancien chercheur du FNRS à l’ULg, il a un diplôme en Philologie et histoire orientale avec une spécialisation en histoire des religions. Il est membre de Convergences Musulmanes.

Rik Coolsaet : Professeur de relations internationales à l’Université de Gand, il dirige l’Institut de Relations Internationales et est membre du European Network of Experts on Radicalisation ainsi que chercheur associé à l’Institut Egmont.

Aux Parents concernés : ASBL mise en place par des mères de jeunes partis en Syrie.

Fabienne Brion : Criminologue et professeur à l’Université Catholique de Louvain. Elle a mené plusieurs recherches dont certaines sur la réalité carcérale.

Responsable prévention radicalisme: en charge de la prévention contre le radicalisme pour une commune de Bruxelles.

Christine Kulakowski : Directrice du Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI) qui nous parlera de son expérience de terrain.

Philippe Dachelet: Ancien directeur d’un centre Fedasil et thérapeute social qui nous présentera des manières innovantes pour dépasser les conflits et recréer du lien.

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Alain Grignard : Commissaire de Police et professeur de géopolitique du monde arabo-musul-man et de l’islam politique.

Felice Dassetto : Professeur émérite en sociologie des religions de l’Université Catholique de Louvain. Il est fondateur du Centre d'études de l'islam dans le monde contemporain. Il est membre de l’académie royal des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique. Il est connu comme un des premiers chercheurs à avoir publié des études sur l'islam et les musulmans en Belgique.

Thierry De Smedt : Professeur à l’école de communication de l'UCL. Membre du Conseil (Supérieur) de l’éducation aux médias de la communauté française de Belgique depuis 1994. Membre, depuis 2009, de la classe Technologie et Société de l'Académie royale de Belgique.

Fabrice de Kerchove : Chargé de projet à la Fondation Roi Baudouin sur les questions liées à la prévention au radicalisme, à la lutte contre les discriminations et à l’immigration.

Une série d’autres experts ont été auditionnés. S’ils étaient heureux de participer à nos travaux, ils n’ont pas souhaité que leur nom apparaissent dans ce rapport. Nos plus vifs remerciement leur sont également adressés.

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ANNEXE : BIBLIOGRAPHIEOuvrages et rapports

BAELE, S., Bien nommer la menace. Pour quoi ?, la Libre Belgique du 4 février 2015.

BAKKER, E., PAULUSSEN C., ENTENMANN, E., Dealing with European Foreign Fighters in Syria: Governance Challenges and Legal Implications, International Center for Counter Terrorism Research paper, 2013.

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DASSETTO, F., Le projet de formation de « cadres de l’islam » du ministre Marcourt. Questions et perplexités, décembre 2014.

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DASSETTO, F., Liberté d’expression : un regard sociologique ?, 23 novembre 2014.

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Vandermotten, Christian & al., Analyse dynamique des quartiers en difficulté dans les régions urbaines belges, Politique des Grandes Villes, 2006.

Articles de presse

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Grand oral RTBF-Le Soir du 14 juin 2014 et du 13 janvier 2015 avec Gilles de Kerchove, « coordinateur de l’antiterrorisme européen sans moyens ».

L’Avenir du 16 mai 2015, Sûreté de l’État - « Terrorisme : encore pour des années ».

L’Echo du mardi 3 juillet 2014, « Bannir tout angélisme ».

L’Echo du 12 mars 2015, « La citoyenneté contre le radicalisme ».

L’Echo du 2 juin 2015, «La Sûreté de l’État va surveiller de près la radicalisation dans les prisons ».

L’Echo du 24 avril 2015, « La Sûreté de l’État surveille les parlementaires et les ministres ».

L’Echo du mercredi 11 mars 2015, « Le fan-club de l’État islamique sur Twitter ».

L’Echo du vendredi 13 février 2015, Gilles de Kerchove « La Belgique est à l’avant-garde de l’antiterrorisme ».

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La Dernière Heure Namur-Luxembourg du 15 mai 2015, « Vers le Commerce de la santé mentale ».

La Libre Belgique du 22 avril 2014, « Une cinquantaine de Belges sont revenus de Syrie, selon les autorités ».

La Libre Belgique du 3 septembre 2014, « Faut-il s’en prendre aux allocations et à la natio-nalité des « returnees » » ?

La Libre Belgique du lundi 2 juillet 2014, Epinglé, « Des Returnees bien encombrants ».

La Libre Belgique du samedi 17 janvier 2015, « « Un réseau antiradicalisme » en Communauté française ».

La Libre Belgique du samedi 17 janvier 2015, « En théorie, les returnees peuvent aller en prison ».

La Libre Belgique du samedi 17 janvier 2015, « La France face au retour des jihadistes ».

La Libre Belgique du samedi 17 janvier 2015, « La Sûreté de l’État sera renforcée pour mieux surveiller les jihadistes ».

La Libre Belgique du samedi 17 janvier 2015, « Les jihadistes visaient la police ».

La Libre Belgique du vendredi 16 janvier 2015, « Le passage par la case prison paraît indis-pensable pour les returnees ».

La Libre Belgique du vendredi 24 octobre 2014, « Comment le Danemark accueille ses « returnees » ».

La Libre Belgique du vendredi 29 août 2014, « Les jihadistes belges sont surtout originaires de Flandre ».

La Libre Belgique du vendredi 9 janvier 2015, « Pas de menace spécifique sur la Belgique ».

La Libre Belgique du dimanche 18 janvier 2015, « Radicalisation : la faute à l’école ? ».

La Libre Belgique du jeudi 15 janvier 2015 « L’Europe de Charlie ».

La Libre Belgique du jeudi 12 février 2015, « Radicalisme : pas lié à la pauvreté ».

La Libre Belgique du jeudi 26 février 2015, « Vienne modernise sa loi sur l’Islam ».

La Libre Belgique du jeudi 27 juin 2013 « Pourquoi certains jeunes de notre pays veulent-ils aller combattre en Syrie ? ».

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La Libre Belgique du jeudi 4 juin 2015, « Aux côtés des djihadistes belges en Syrie ».

La Libre Belgique du jeudi 7 mai 2015, « Le djihad n’est pas qu’une affaire d’hommes ».

La Libre Belgique du lundi 12 janvier 2015, « DE #Je suis Charlie à #Je ne suis pas Charlie ».

La Libre Belgique du lundi 12 janvier 2015, « L’Occident n’a pas compris la mutation du terrorisme ».

La Libre Belgique du lundi 12 janvier 2015, « Réduire la nocivité du Net ».

La Libre Belgique du lundi 18 mai 2015, « Les visiteurs de prison au cœur de la « déradicalisation » ».

La Libre Belgique du lundi 4 mai 2015, « Fondons les bases d’un Islam des Lumières ».

La Libre Belgique du mardi 5 mai 2015, « Un Islam de Belgique fortement contesté ».

La Libre Belgique du samedi 7 et dimanche 8 février 2015, « Savoir qui est rentré de Syrie, ce n’est pas simple ».

La Libre Belgique du samedi 10 janvier 2015, « On ne veut pas voir que notre société exclut » .

La Libre Belgique du samedi 7 et dimanche 8 février 2015, « L’apostasie, le crime grave de ceux qui renient l’Islam ».

La Libre Belgique du samedi 7 et dimanche 8 février 2015, « Un manque de respect nommé blasphème ».

La Libre Belgique du vendredi 20 février 2015, « Osons le débat sur le rôle de la prison ».

La Libre Belgique du vendredi 20 février 2015, « Un plan contre le terrorisme ».

La Libre Belgique du vendredi 22 mai 2012, « Pourquoi l’EI s’est-il emparé si facilement de la ville de Palmyre ? ».

La Libre Belgique du vendredi 24 avril 2015, « Il n’existe aucune volonté politique pour lutter contre l’islamophobie ».

La Libre Belgique du vendredi 8 mai 2015, « Khalid Zerkani, Papa Noël du Jihad en Syrie ».

La Libre Belgique du jeudi 15 janvier 2015, « L’armée dans la rue, cela se précise ».

La Meuse du 15 mai 2015, « Les Jihadistes lorgnent nos passeports ».

La Meuse du 19 avril 2015, « Cybercriminamité : le nouvel ennemi public n° 1 ».

Le Monde du 7 novembre 2014, « Etendre le service civique à 150 000 jeunes, est-ce réaliste ? ».

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Le Monde du jeudi 15 janvier 2015, « L’Allemagne veut priver de carte d’identité les candidats au Djihad ».

Le Point du jeudi 15 janvier 2015 « On est passé de l’hyperterrorisme au lumpenterrorisme » .

Le Soir du jeudi 25 septembre 2014, « Les retours ; aucun adolescent n’a encore été arrêté ».

Le Soir du jeudi 4 septembre 2014, « Pression maximale sur Barack Obama ».

Le Soir du lundi 2 juillet 2014, « Europol, la menace des returnees sur l’Europe est exponentielle ».

Le Soir du lundi 2 juillet 2014, « La Ministre va évaluer chaque retour de Syrie selon Milquet ».

Le Soir du lundi 28 avril 2014, « Ducarme : Prohiber d’emblée les départs en Syrie ».

Le Soir du mardi 2 septembre 2014, « L’expert : « Le gros danger va venir des returnees » ».

Le Soir du vendredi 16 janvier 2015, « Des attentats évités, provisoirement ? ».

Le Soir du vendredi 25 avril 2014, « Antiradicalisme : La Belgique doit rester à la pointe ».

Le Soir du vendredi 30 janvier 2015, « Le nombre de jihadistes belges en forte progression ».

Le Soir du vendredi 9 janvier 2015, « Returnees, la surveillance permanente est impossible ».

Le Soir du 15 janvier 2015, « Yasmine et Zuhal, filles de musulmans ».

Le Soir du mercredi 18 février 2015, « Les tensions communautaires ravivées ».

Le Soir du samedi 14 et dimanche 15 février 2015, « L’Islam en question(s) ».

Le Soir du 5 février 2015, « Islamisme radical : la solution est entre les mains des musulmans ».

Conférences

“What drives Europeans to Syria, and to IS? Insights from the Belgian case”, Bruxelles, 29 avril 2015, Egmont Institute (Rik COOLSAET, Gilles DE KERCHOVE, Sven BISCOP).

« Musulmans et non-musulmans à Bruxelles: entre tensions et ajustements réciproques », Bruxelles, 3 mars 2015, Pax Christi (Brigitte MARECHAL).

« Comprendre et prévenir la radicalisation des jeunes musulmans », Louvain-la-Neuve, 7 mars 2015, Commission Interdiocésaine (Dounia BOUZAR, Philippe van MEERBEECK, Felice DASSETTO).

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Table des matièresSYNTHÈSE …………………………………………………………………………………………………………… 7

1. ETAT DES LIEUX ………………………………………………………………………………………………22

1.1. Le phénomène de radicalisation………………………………………………………………………………231.1.1. La variété des profils et le jeune âge …………………………………………………....………………........…231.1.2. Une accélération du processus…………………………….....…………………………………………….......…241.1.3. Des modes spécifiques de recrutement………………………………………….....…………………........…24

1.2. La problématique des returnees……………………………………………………………………………………251.2.1. Une véritable menace……………………………………………………………………………………….............…251.2.2 . Tous les returnees ne représentent pas une menace……………………………..............……………26

2. LES CAUSES DU RADICALISME …………………………………………………………………………28

2.1. Le contexte géopolitique et international……………………………….…………………………………282.1.1. Le contexte de la Syrie et de l’Irak……………………………….……………………………..…..............……282.1.2. Daesh : l’émergence fulgurante des combattants islamistes en Syrie …………................……292.1.3. L’islamisme politique………………………………………………………………………..…….............…….…….312.1.4. L’islamisme radical……………….…………………..……………………………………….............……………….32

2.2. éléments du contexte propre à la Belgique……………………………………………………………....332.2.1. La présence et le rôle de Sharia 4 Belgium……………………………………………..............……..…….342.2.2. Inégalités, discrimination, racisme et islamophobie………………..………………..............…………34

2.3. Un sentiment aigu de mal-être………………………………………………………………………………...342.3.1. Une société en changement..........…………………..……………………….…………………................……352.3.2. Des jeunes en quête de sens ………………….…………….……………………………….............……………352.3.3. Les sentiments d’injustice comme déclencheurs de violence………..….………….................….352.3.4. Des modes de socialisation violents………..……….…………………………………………….............……36

2.4. Les inégalités comme facteur mais pas comme moteur…………………………………………..372.5.Une religion instrumentalisée…………………………………………………………………………………..37

2.5.1. L’islam n’est pas le moteur principal………………………………………………………….............………..372.5.2.Uneradicalisation majoritairement hors des mosquées…………………..…………..............……….382.5.3. L’apparition de l’islam politique en Belgique………………………………………………..............……….382.5.4. Absence d’une pensée musulmane alternative……………………………………….............………..…39

2.6. Une fracture entre musulmans et non-musulmans…………………………………………………39

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3. PROMOUVOIR UNE SOCIETE INCLUSIVE……………………………………………………………. 44

3.1.Repenser notre politique internationale……………………………………………………………………453.2.Promouvoir les valeurs universelles………………………………………………………………………….453.3. Renforcer la prévention …………………………………………………………………………………………..463.4. Renforcer l’apprentissage de la citoyenneté au sein de l’école…………………………………473.5. Garantir à chaque élève un enseignement de la religion dans le cadre scolaire..........483.6. Multiplier les lieux d’échanges, de rencontres et de confrontations respectueuses ...493.7. Donner du sens……………………………………………………………………………………………………….503.8. Créer un service citoyen généralisé………………………………………………………………………….513.9. Renforcer l’interculturalité par le territoire………………………………………………………………523.10. Lutter contre toutes les discriminations et toutes les formes de racisme……………….543.11. Valoriser l’appartenance à la société belge…………………………………………………………….553.12. Limiter les influences radicales au sein de l’islam……………………………………………......55

3.12.1. Des imams comme ressources…………………………………………………………….............……………563.11.2. La nécessité d’un islam respectueux de la modernité………………………………..............……….57

3.13. Soutenir l’associatif musulman……………………………………………………………………………...57

4. REPONDRE A LA MENACE…………………………………………………………………………………60

4.1. Lutter contre la propagande sur les réseaux sociaux et internet………………………………604.1.1. Surveiller…………………………………………………………………………………………………............…………614.1.2. Retirer les contenus et durcir les sanctions………………………………………………..............………..614.1.3. Diffuser un contre-discours…………………………………………………………………….............…………..63

4.2. Lutter contre la radicalisation en prison…………………………………………………………………..644.3. Renforcer la sécurité……………………………………………………………………………………………….65

4.3.1. Assurer des moyens budgétaires humains et techniques suffisants pour les ser- vices de sécurité et la justice……………………………………….………………………………...............…...654.3.2. Garantir une meilleure coordination des services entre eux……..………………….................…..674.3.3. Renforcer la coopération européenne.……………………………………………………......…………..67

4.4. Empêcher les départs………………………………………………………………………………………………694.4.1. Retirer les documents d’identité et de voyage………………..………………………..............…………..694.4.2. Accompagner les familles…………………………………………..………………………………….............…..70

4.5. Sanctionner plus sévèrement les actes terroristes………………………………………………....714.6. Permettre la réinsertion des personnes radicalisées……………………………………………….72

4.6.1. Mettre en place un suivi rapproché des returnees……………..…………..............…………………...724.6.2. Mettre en place une stratégie de déradicalisation……………...............…………..…………………....73

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………74

Annexe : Liste et présentation d’une partie des personnes rencontrées …………...……………76Annexe : Bibliographie………………………………………………………………………………………......………78

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Centre d'Etudes du cdH- CEPESSwww.cepess.be

Rue des deux Eglises 411000 [email protected]

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