Raphael Friedeberg - La grève générale et le socialisme (1904)

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    SIXIME ANNE Aot et Septembre 1904Nos 139-140

    Mouvement Socialiste

    REVUE MENSUELLE INTERNATIONALE

    SOMMAIRE

    A nos LecteUl-SHubertLAGUiDKI.I.E.

    Le Congrs de Lille. i.mst LAIONr.Le Congrs.d'Amsterdam An.hr MOUI/.KT.

    LA GRVE GNRALE ET LE SOCIALISME }KMil 'K'I'KIXTKINATIOVALK !^-.w. .... I

    IIe Fasciculesuite et fut .

    FRANCE : Les dbats du Congrsde Lille ... H.KHITCIIKWSKY. !.. K:irlKAWTSKY..r.ALLEMAGNE

    ] .][ ;' ^^^

    ESPAGNE Ans.MmoI.D&ZO.\ !. . H. HLANWttST.

    CONGRS DAMSTERDAM. . . i. . i>.;>,;,is;,H Commission./ I![. . Dfl.iiis;uiConj.ro*.

    MITES isiBuocitAiMiiouKs &d0ir*Les livres LKSRFTOWDTEURS.

    TABLE DES MATIEUES

    Prix de ce numro double. 2 fr. 40 (Fr;tn,-v) ; 3 fr. (.Vntros pays).

    PRIS7, Rue Corneille (Odcoi)

    1904

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    Docteur Friedeberg

    Publiciste

    Confrence faite en juillet 1901, Berlin, sous les auspicesde l'Union Libre des Syndicats allemands .

    Quelques jours nous sparent encore du Congrs socia-liste d'Amsterdam. Le proltariat international passe ainsi, des poques dtermines, la revue de ses forces, tant pour

    se tenir au courant de la situation des divers socialismes na-tionaux que pour fixer les rgles de la tactique suivre dansl'avenir. Il va de soi, que des rgles rigoureuses de tactiquene peuvent tre recommandes qu'aprs un clair examen dechaque devenir socialiste, une connaissance exacte de la si-tuation politique, sans phrases, ni fantasmagorie, d'unregard raliste. Et le proltariat allemand a plus de raisonqu'aucun autre d'tre renseign aussi exactement que possi-ble sur l'tat du mouvement socialiste international, puisque,considr toujours comme tant le plus avanc, il se doit lui-mme d'viter toute faute de tactique.

    Mesurer les progrs du socialisme, c'est dterminer dans

    quelle mesure il se rapproche de son but final. Le but detous les mouvements ouvriers, c'est, on le sait, la suppres-sion des antagonismes de classe, et le libre dveloppement

    del personne humaine. Tout le reste, qu'on l'appelle commeon voudra, ne peut tre qu'un moyen. On pourra donc direque le socialisme est en progrs, si l'on peut prouver que, dsmaintenant, il parvient restreindre peu peu la puissancede classe de la bourgeoisie et raliser l'affranchissementmatriel et intellectuel de la classe ouvrire, accumulertout au moins en elle de telles nergies, que cet affranchis-sement sera bientt ralis. Mais si nous sommes obligsd'avouer que tel n'est pas le cas, nous devrons bien convenir

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    que nous n'avons pas t la hauteur de notre mission, et

    que notre tactique ne nous a pas conduit l o nous voulons

    aller.Il y a domination de classe, lorsqu'une classe en tient uneautre dans sa dpendance conomique, lorsqu'une poignede capitalistes possdant tous les instruments de production,la multitude des non-possdants, c'est--dire le proltariat,est rduite, pour vivre, lui vendre sa force de travail, et celaaux conditions que cette poigne de capitalistes veut bienlui faire. Les proltaires ne peuvent pas produire, ils ne peu-vent que vendre leur force de travail. De cet esclavage co-nomique rsulte l'esclavage politique et social, avec toutesses consquences. On reconnat donc qu'il y a dominationde classe ce trait fondamental, que les producteurs sont

    spars des instruments de production.Chacun de vous sait qu'aujourd'hui encore cette domina-

    tion de classe subsiste ; et il n'est pas besoin de prouver

    qu'aujourd'hui encore les proltaires sont spars de leursinstruments de production. Mais on pourrait faire observer,que si la domination de classe s'est en ce sens maintenue,elle a pu nanmoins revtir des formes plus adoucies, et lasituation matrielle et morale de la classe ouvrire allemandedevenir bonne et satisfaisante. Examinons donc, en pre-nant un un ce qu'on appelle les droits imprescriptibles

    de l'homme, si c'est bien le cas, si vraiment le proltariatallemand est arriv dans ses longues luttes une telle situa-tion.

    Le premier de ces droits, c'est la scurit de la personnephysique. Au point de vue de la vie et de la sant, le prol-taire est-il dans une situation qui compense sa dpendanceconomique? Nous devons tous mourir, certes, et le prol-taire n'est

    pasimmortel ; il

    ya toutefois,

    pourune

    poquedtermine, des moyennes de longvit, et nous devons nousdemander si le proltariat, la sant ouvrire tant chaque

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    LA GREVEGENERALEET E SOCIALISME.-7;v

    /jour mieux protge a atteint ces moyennes ou tout au moins"*

    s'en est rapproch. Il y a ensuite la scurit du lendemain,qui est pour chaque individu un premier signe et une con-dition sine qua non de bien-tre et d'aisance. Vivre commel'oiseau sur la branche, dans une perptuelle inquitude dulendemain, ce n'est pas l, personne ne le soutiendra, vivredans de bonnes et heureuses conditions. Et ct de cettescurit de l'existence matrielle, de ces conditions purementphysiques de vie, nous aurons encore examiner si le dve-loppement intellectuel et moral du proltariat est assur.

    C'est un des premiers besoins de tout homme cultiv et iln'y a pas de vie heureuse pour lui si ce besoin n'est pas sa-tisfait ,de pouvoir travailler sans cesse lson perfectionne-ment intellectuel et moral. A envisager aussi, si les droitsindividuels sont garantis, si chacun, dans sa condition et sonmilieu, peut dfendre ses droits ou s'il est soumis des abus, un arbitraire, auxquels les membres des autres classes ne

    ne sont pas exposs.Nous aurons enfin examiner et ce point n'est pas lemoins important si le proltariat possde pour ses enfantsdes moyens d'ducation en rapport avec les progrs de laculture gnrale. C'est l aussi un des besoins essentiels detout homme cultiv; quand, dans les conditions sociales ac-tuelles, il lui est impossible, pour lui-mme, de goter auxbienfaits

    gnrauxde la

    civilisation,il

    espre

    -et cette es-prance est pour lui comme le pivot de sa vie morale queses enfants seront cet gard mieux partags.

    La question est de savoir, si mme sous la domination

    capitaliste persistante et malgr l'tat de dpendance co-

    nomique o il est maintenu, caractristique essentielle du

    rgime prsent tous ces droits, que je viens d'numrer,sont, ds maintenant, garantis au proltariat allemand.

    En ce qui concerne la scurit de la vie, que j'ai signalecomme une des exigences essentielles d'une vie humaine,

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    vous savez bien que pour le proltariat, mme avant lanaissance et ds le sein maternel, cette scurit n'existe pas.Vous savez que la femme a t prcipite de plus en plus

    par le capitalisme dans le cycle industriel et que, mme en-ceints, elle doit le plus souvent continuer travailler. Voussavez qu'il y a des mtiers si dangereux pour la sant,qu'ils mettent en pril la vie de l'enfant dans le seinmaternel. Je pense ces industries, o l'on emploie dumercure, du plomb et du phosphore; je penseau mtier descouturires, et de tant d'autres, qui tous sont gros de dangers

    pour l'enfant en gestation. Nous savons par les travaux surl'hygine et les communications statistiques des mdecins etdes hyginistes que, dans ces mtiers, le nombre des avorte-mentsestconsidrable, que dans l'tamage, par exemple, quiautrefois se faisait avec le mercure, aucune ouvrire ne met-tait un enfant terme. Nous savons que la scrofule, lerachitisme sont le partage des ouvriers ds leur enfance.Les conditions d'existence de l'enfance ouvrire sont si

    dplorables, que la mortalit infantile est deux fois plusgrande dans la classe ouvrire que dans les autres classes,et qu'en gnral, sans parler des nourrissons, il meurt quatreou cinq fois plus d'enfants, dans le proltariat que dansles autres classes. Vous savez bien aussi qu'un proltairesur deux meurt de la tuberculose, de la phtisie, et cela non la fin d'une longue vie de plaisirs, mais la fleur de l'ge.

    aprs une courte vie de dur labeur. Les statistiques de laCommission impriale d'assurances ont montr que c'est de20 30 ans que la phtisie fait le plus de morts et d'invalideset que, bien avant que la maladie n'ait abouti ce rsultat,l'ouvrier fatigu, dbile, ne fait gure que traner. Voussavez que pour le proltaire, par rapport aux autres classes,la dure moyenne de la vie est rduite de 20 ans. Et ce n'est

    pas l un chiffre produit par des politiciens dmagogues,mais tabli par des hommes de science, par les statisticiens

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    *:;' LA GREVEGENERALEET LE SOCIALISME

    de l'Empire allemand eux-mmes, et on ne peut en contes-ter l'exactitude. Je pense aux lamentables conditions delogement faites aux ouvriers. A Berlin et dans d'autres villes,

    par les enqutes que les caisses de secours pour les malades,et, en particulier, les caisses locales des commerants, ontfait faire, on a pu constater dans quelles mansardes, sansair ni lumire, les ouvriers malades doivent s'entasser,condamns ainsi succomber plus tt encore aux attaquesde la maladie. Vous savez que l'ouvrier malade n'a d'autresressources que l'assistance prive ou publique. Vous savez

    que l'ouvrier arrive rarement l'ge o il pourrait jouir dessoi-disant bienfaits de la lgislation sociale, dont ont fait tanttat aujourd'hui. Une statistique, concernant un mtierdj bien plac, les ouvriers en instruments de prcision,tablit solidement que sur les 40.000 ouvriers de cette pro-fession, 28 seulement ont atteint l'ge del pension.

    Ainsi, pour ce qui concerne la scurit de l'existence cor-porelle, les conditions sont inexorablement mauvaises.

    Et l'existence matrielle, comment est-elle assure ? Jecrois, chacun de vous pourrait en tmoigner, qu'il arrive rare-mant qu'un ouvrier soit occup rgulirement toute l'anne.Le travailleur est la merci de la puissance de l'Etat, del'arbitraire et du caprice des capitalistes privs, qui le gar-dent ou le renvoient selon leur bon plaisir. Il ne faut sou-vent qu'un mot pour que l'ouvrier, dnu de tout droit cet

    gard, soit jet sur le pav, quelque soit le temps, long oucourt, qu'il ait travaill chez un entrepreneur. Nous pou-vons mme dire que plus un ouvrier a travaill de tempsdans un atelier, et moins sre est son existence, car plus ildevient vieux, et plus il est puis. L'ouvrier est facile remplacer, plus facile qu'une machine ; la rserve de l'ar-me industrielle met sans cesse la disposition des capita-

    listes des forces de travail toujours plus jeunes, plus pro-ductives.

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    Nous savons que la caractristique essentielle de notretat social, du mode actuel de production, c'est prcismentl'inscurit de la vie conomique. Le systme capitalistes'accompagne, on pourrait dire fatalement, de crises cono-miques. C'est un faitque, mme dansles meilleures priodes,quand l'industrie marche bien, il y a toujours un excdentde forces de travail, si bien que tous les travailleurs, quivoudraient et pourraient travailler, ne peuvent tre occupsdans tout l'ensemble de la production nationale, et qu'il y asans cesse une rserve de l'arme industrielle, qui peut s'-

    lever jusqu'au chiffre norme de 100.000, dans les crisesqui branlent le march du travail. Nous savons qu'il y a

    quelques annes, dans la seule ville de Berlin, les sans-tra-vail taient 100-000, que dans toute l'Allemagne presque undemi-million d'hommes se trouvaient sans ouvrage- Aujour-d'hui encore, il n'y a aucun droit au travail : l'ouvrier,citoyen de l'Etat, est soumis tous les devoirs; il doit sa

    force de travail ; il doit verser son sang et son argent, si lapatrie est en danger ; mais un droit du travailleur, luiassurant du travail et lui garantissant ses vieux jours, quandil a dpens toute sa force de travail au service de l'Etat etde la Communaut, cela n'existe pas, de cela il n'est pointquestion !

    Et la formation morale, le dveloppement intellectuel,quitiennent si coeur tout homme

    cultiv,comment sont-ils

    assurs ? Vous savez bien tous ce qu'il en est de nos coles

    populaires. Vous savez que l'Etat et les classes dirigeantesne donnent au peuple que la dose d'instruction compatibleavec leurs intrts et ne visent qu'une chose : avoir des tra-vailleurs dociles. Les dbats de la Chambre des dputs enPrusse ont montr, en leur temps, comment les Junker, les

    propritaires fonciers de l'Est, entendent l'ducation du

    peuple. Savoir crire, lire et compter, leur semble biensuffisant, et ce qu'il faut surtout enseigner, c'est la religion,

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    pour que les enfants grandissent dans le respect de leursmatres et de la classe dirigeante.La bourgeoisie elle-mme,par l'enseignement populaire, ne veut que former des

    travailleurs habiles et sages ; elle est oppose toute ins-truction populaire approfondie, craignant que le peuple,plus instruit, s'levant des besoins plus hauts et la con-naissance de sa situation de classe, ne renverse la socitactuelle. C'est une lutte perptuelle avec les administrations

    municipales, mme librales, pour l'instruction obligatoire.Toujours ces messieurs se refusent instituer l'instruction

    gratuite et obligatoire.Vous savez comment, avec les longues journes de travail ce moyen de maintenir esclaves les masses proltariennesen les abrutissant les besoins de culture du peuple sont

    touffs, comment la division du travail allant toujoursaugmentant avec ledveloppementdu machinisme, l'hommeest transform en manoeuvre, qui ne connat plus rien de

    l'ensemble de la production, et passe souvent sa vie entire accomplir la mme tche parcellaire, si bien que le travail-leur est condamn l'abrutissement par l'effet combin decette division du travail et des longues journes de labeur.

    Et les droits individuels, le droit de la personne, cela est-il garanti ? Un mot suffit ici pour caractriser la situation :Justice de classe. Vous savez tous que nous vivons en pleinelutte de classes, que les classes dirigeantes se servent de

    tous les moyens pour maintenir leur domination et ne crai-gnent pas de reprsenter cette domination comme un droitdivin, une manifestation de la justice divine. Vous savezque la loi est excute de faon bien diffrente, selon qu'ils'agit d'un membre des classes dirigeantes ou d'un prol-taire. Vous savez que, dans notre organisation militaire, undlit commis par un simple soldat, a d'autres consquences

    que le dlit commis par un suprieur. Vous savez commentla libert individuelle de l'ouvrier est sauvegarde ; il me

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    suffit de vous rappeler ces noms : Essen, Lobtau, Heidel-

    berg, sans parler de Bruzewitz, Hussener, et d'autres cas. Jen'ai besoin aussi

    quede

    rappelerla situation des travail-

    leurs agricoles, qui. aujourd'hui encore, n'ontpas pu obtenirle simple droit de coalition, le premier droit que, dans un

    Etat, la classe ouvrire devrait possder,le droit de se con-certer pour l'amlioration de sa vie matrielle et des condi-tions de travail.

    Et l'ducation des enfants, comment est-elle assure ? J'ai

    dj parl de l'cole populaire. Mais il suffit de songer au

    travail des enfants pour tre difi ce sujet. Vous savezqu'aujourd'hui, il n'est pas possible au pre de familleouvrier de suffire seul, malgr la longueur de la journe de

    travail, aux besoins de sa famille ; si celle-ci veut se main-tenir un niveau de jvie tant soit peu humain, la femme etles enfants doivent travailler avec l'homme. Les enfantsdoivent, ds leur ge le plus tendre et avant d'avoir atteint

    leur maturit de corps et d'esprit, subvenir, eux aussi, l'en-tretien de la famille. Et peuvent-ils esprer s'lever au-des-sus de leur classe ? L'enfant d'un ouvrier peut-il comptersortir du proltariat? Vous savez tous que c'est presqueimpossible, qu'un cas se prsente peine sur cent mille.C'est l prcisment ce qui caractrise notre tat social :l'enfant du travailleur est exclu de la culture ; il doit resterun ouvrier

    ;il doit travailler ternellement

    pourle

    capita-lisme ; il est condamn pour toujours la misre et au sortlamentable du proltariat.

    Si nous considrons ces ;faits, nous devons avouer que lasituation du proltariat s'est bien peu amliore depuis quenous menons la lutte de classe, et nous nous poserons cette

    question: quoi cela tient-il que le proltariat allemandn'ait pas encore pu conqurir une situation plus heureuse?

    On dira peut-tre qu'ayant mettre en branle des massesproltariennes profondment dprimes, dont la vie tait

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    peine une vie humaine, tout ce que le mouvement socialistea pu faire, en quarante ans de lutte, c'est de crer les pr-

    missesd'une conscience de classe. Mais ce n'est

    pasle cas:

    le peuple allemand est dj, depuis longtemps, un des pre-miers peuples civiliss, le peuple allemand a un pass rvo-lutionnaire, il a livr de grandes et difficiles luttes dclasse,et la rvolution bourgeoise elle-mme ne s'est pas accompliesans la participation essentielle des classes ouvrires. Cetteraison ne porte donc pas, mais vous pourriez me reprocherd'avoir dpeint la situation trop en noir. J'accorderai quemainte amlioration a t apporte la situation de classedu proltariat allemand. Certes, nous avons fait quelquespas en avant, nous avons une lgislation protectrice du tra-vail qui, pour lamentable et misrable qu'elle soit, ne laisse

    pas de contenir des germes certains d'un meilleur avenir. Il

    y a donc lvation du niveau de vie proltarien. Mais cesrsultats sont-ils dus uniquement, en ralit, la lutte de

    classe, d'autres circonstances n'ont-elles pas coopr?Je pense l'heureuse conjoncture de cette priode de pros-prit, que l'Allemagne a connue pendant des annes. Cette

    prosprit a favoris l'essor du capitalisme allemand. Elle afait pleuvoir sur le peuple allemand une pluie d'or, dont laclasse capitaliste s'est octroye une large pari, ne laissant auproltariat que bien peu de chose. Certes, la situation cen-trale de

    l'Allemagne,la

    technique et la science allemandes,et considration nullement secondaire les gots modes-'es des ouvriers allemands, tout cela nous a permis de fonderune grande industrie d'exportation, qui a amen beaucoupd'argent en Allemagne, argent dont le proltariat allemandn'a recueilli, d'ailleurs, qu'une maigre part. Mais rfl

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    a obtenu? On ne peut rpondre cette question que par unhaussement d'paules ironique.

    Si nous considrons que la classe capitaliste a maintenu,

    sans l'adoucir nullement, sa domination, que la situation duproltariat allemand, dans son ensemble, malgr d'heureusesconjonctures et les efforts normes qu'il a dpenss, ne s'estamliore que d'une manire tout fait ngligeable, nousdevrons nous demander si la mthode de lutte que le mou-vement ouvrier allemand a employe ne serait pas quelquepeu dfectueuse, et si des fautes de tactique n'auraient pas

    t commises:

    la tactique en usagea

    peut-tre fortifi etamlior la situation du proltariat, mais elle peut aussi,sous un autre rapport, avoir consolid la position des classespossdantes et la domination de la bourgeoisie, en lui four-nissant des moyens de puissance plus grands encore queceux que le proltariat a conquis. Et je soutiens qu'en fait,c'est ce qui a eu lieu. La tactique que le proltariat a jus-qu'ici employe, il devait peut-tre l'employer, mais elle est

    maintenant, pour le moins, insuffisante. La tactique du pro-ltariat allemand se rsume en une formule : Conqute du

    pouvoir politique . Voil le mot d'ordre qui a branl lesmasses.

    Pour cette conqute, le suffrage universel direct, galet secret tait le seul moyen- Que le proltariat allemandse soit engag sur cette voie, rien de plus simple compren-

    dre, car on avait devant les yeux l'exemple de la bourgeoisie.Le tiers-Etat s'tait mancip, il avait conquis sa part dede puissance politique par une rvolution politique. Il avait

    conquis une part de cette puissance qui, de toute antiquit,pour des causes diverses, par l'effet combin de la tradition,de la puissance conomique, de la religion et de la royaut,avait appartenu aux classes fodales, aux Junker, matresdu capital foncier, possesseurs du sol. Il avait conquis sa

    part de puissance politique, grce sa puissance conomique,

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    la bourgeoisie tant matresse du capital mobilier et d'unegrande partie des instruments de production. Il allait de soi

    qu'une classe, ayant la puissance conomique, mais ne pou-vant donner cette puissance tout son essor par suite de cer-taines entraves, s'effort de conqurir la puissance politiqueet unt sa domination car c'est de cela qu'il s'agissait

    celle des anciens possesseurs du pouvoir pour mieux cra-ser les masses opprimes du proltariat. Aussi voyons-nousque la part prise par la bourgeoisie l'administration, la

    puissance politique, sous la forme du parlementarisme,

    servit accrotre sa puissance conomique, fortifier sadomination de classe et, d'accord avec les Junker, exploiterla classe ouvrire. C'est ainsi que, lorsque le mouvementouvrier entra en scne, le concept de l'Etat eut un doublesens.

    D'une part l'Etat apparaissait comme une puissanceimpartiale, planant au-dessus des classes. Vous savez bien

    qu'au dbut du mouvement, des concepts abstraits comme

    l'Etat taient trs obscurs, qu'ils avaient t dposs dans laconscience populaire avec un sens favorable aux classesdirigeantes par l'cole, l'Eglise et l'ducation. C'tait lencore un effet de la conscience religieuse ancienne, une d-duction de la justice divine : l'Etat en manait, il tait conucomme quelque chose de transcendant, reprsentait les int-rts gnraux de la socit, et devait servir concilier les

    antagonismes de classes. Et dans un certain sens, trs res-treint, l'Etat est bien cela en effet. L'Etat a certains intrts

    qui ne concordent pas pleinement avec ceux des classes pos-sdantes : par exemple, il reprsente la nation tout entirevis--vis des autres nations, car la lutte pour le profit se livreaussi de nation nation; et, en face des simples intrts

    privs du capitalisme, l'Etat doit sauvegarder les intrts dela dfense nationale et de la culture. Mais chacun sait bien,s'il a quelque sens de la vie relle, que cela mme est dans

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    l'intrt du capitalisme et qu'en ralit l'Etat n'est pas autrechose entre les mains des classes possdantes qu'un instru-ment destin maintenir leur domination sur le proltariat.

    Aussi, toutes ces illusions, que mme un Lassalle pouvaitencore se faire sur le compte de l'Etat, lui qui voulait fonderdes coopratives de production avec le concours de l'Etat,ont-elles t rejetes depuis longtemps par le proltariat au

    magasin des vieilles ferrailles.Mais il reste une autre conception de l'Etat. Si l'on recon-

    naissait dans l'Etat une institution hostile au proltariat, on

    croyait pourtant pouvoir s'en emparer. On oubliait ainsicompltement que l'Etat, proprement parler, n'est rien

    qu'une pure abstraction, que l'Etat n'a de sens qu'autantqu'il subsiste des opprims, et qu'avec l'organisation socia-

    liste, o il n'y a plus d'opprims, il cesse d'exister. L'Etatest la quintescence de la domination bourgeoise.

    Aussi n'avons-nous pas conqurir le pouvoir, mais

    organiserla vie conomique et morale du proltariat de

    telle sorte que toute exploitation et toute dpendance ces-sent. Nous voyons dans les Etats dmocratiques, mmedans les plus libres, o il semble que le peuple serait plei-nement mme de mettre l'Etat son service, comme parexempleen Suisse, o l'initiativeet le rfrendum existent

    que cela n'est d'aucune utilit au proltariat, qu'une lourdedomination de classe pse sur lui, parce que son organisa-

    tion conomique et son affranchissement moral ne sont pasencore assez avancs. Et l'Etat, cet instrument de domina-tion pour les classes possdantes, et dont l'existence est lieau maintien de leur exploitation, ne comporte aucune insti-tution qui puisse compromettre sa puissance, il ne comporteau contraire que des institutions qui doivent la renforcer.Mais les parlementaires s'imaginent que l'Etat va leur donner

    les moyens et la possibilit de le dtruire, sinon en une seule

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    fois, du moins peu peu, sans que l'Etat puisse ragir ets'opposer sa propre destruction !

    A chercher ainsi conqurir la puissance politique, il

    est clair que nous faisons pour le moins un long dtour.Le suffrage universel n'a pas t donn au peuple, parceque le peuple tait assez fort pour le conqurir, mais sonoctroi fut, de la part de Bismarck, un matre coup dans lapartie d'checs de la politique et un coup double porte.D'abord, en bon Junker, il voulut jeter le proltariat dansles jambes de la bourgeoisie industrielle et librale, esprantbien

    ainsi,tout en

    entravant celle-ci, paralyser celui-l ; etBismark savait bien, d'autre part, en fin connaisseur deshommes qu'il tait, que s'il enchanait le proltariat uneaction lgale, il drivait dans des chemins de traversel'nergie rvolutionnaire du peuple, qu'il craignait par-des-sus tout. Et les vnements ont pleinement justifi ses pr-visions. Si le proltariat a conquis quelques avantages co-nomiques, il le doit uniquement l'esprit, l'nergie rvo-

    lutionnaires qui, ajjJftbjiJ, animaientle mouvement socialisteet inspiraient de si grandes craintes aux classes dirigeantes.

    C'est l'enthousiasme, que savaient communiquer leschefs, l'esprit de sacrifice, le dvouement toutepreuve, qui animaient les premiers militants et passaientdans les masses, voil quoi le proltariat est redevable desquelques avantages dont il jouit, mais non la quantit de

    i voix, qui aujourd'hui se donnent au socialisme, mais ne re-t prsentent plus aucune srieuse conviction. Autrefois, sil'on donnait sa voix au socialisme, si l'on y adhrait, c'taitl'effet d'une croyance rflchie en un nouvel ordre dechoses ; aujourd'hui, les masses viennent nous, sguyeat,'dans un esprit intress; nous avons des yoixt^areque.nous sommes, en maints endroits, le^p.ouypir, Nous con-qurons

    aujourd'huide 22 23

    sigesen Saxe,

    parce queles impts ont t augments de 25 p. 100, et que cette aug-

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    DOCTEURFRIEDKBERG 497

    mentation nous a amen une masse de mcontents et non

    parce que la conviction socialiste s'est profondment im-

    plante au coeur des travailleurs. Les trois millions de voix, \

    que nous avons aujourd'hui, psent peu mes yeux. La |meilleure preuve de leur peu de valeur a t fournie par la *

    S^axe^elle-mme. Dans cette Saxe, que le Vortvaerts triom-

    phant appelait le royaume rouge ; dans cette mme Saxe,o, peu auparavant, les vnements de Lobtau s'taient d-rouls, o les victimes de Lobtau taient encore en prison ;dans cette Saxe, o dj, aux prcdentes lections, la moiti

    des voix taient socialistes, et, o en ajoutant les voix destravailleurs adultes, n'ayant pas 25 ans et non lecteurs,60 p. 100 des ouvriers taient anims de convictions socia-listes ; dans cette Saxe enfin, o, aux dernires lections,60 p. 100 des suffrages exprims, et, en ajoutant les voixdes non-lecteurs, les trois quarts des travailleurs, taientsocialistes, la Social-Dmocratie s'est laiss enlever, sans !la

    moindretentative de

    rsistance, ce suffrage universel, \avec lequel, selon la tactique suivie jusqu'ici, nous devions bouleverser la socit toute entire ! Pas une main ne s'est yleve pour le dfendre! Et l'onconviendra qu'il y a une dif-frence entre un droit, que je n'ai pas encore pu conqurir,pour lequel je ne fais encore que lutter, et un droit que jepossde dj, et que je me laisse ravir sans pouvoir le d-fendre! O donc est toute cette puissance et cette nergieproltarienne, dont nous nous enchantons, si nous ne pou-vons seulement conserver les droits que dj nous poss-dons? Et, je puis bien vous le dire, si les menaces de sup-pression de suffrage universel taient mises excution, leproltariat allemand ne pourrait nullement s'y opposer.L'avouerai-je d'ailleurs ? Nous ne pleurerons pas le suffrageuniversel, gal et secret ; au contraire ; nous admirerons plu-

    tt la stupidit de nos adversaires, assez mauvais tacticiens

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    498 LA GRVEGNRALEET LB SOCIALISME

    pour ouvrir eux-mmes les yeux de la classe ouvrire sur lechemin qu'elle doit suivre-

    Beaucoup d'entre vous, sans doute, ne seront pas d'accord

    | avec moi. La tactique parlementaire, l'estimation exagre; du parlementarisme, ce sont l des choses trop ancresdans les masses du proltariat allemand. Et elle est vrai-.ment si commode, cette tactique ! Tout doit se faire par la

    (lgislation; la lgislation changera tous les rapports so-ciaux ; on n'a besoin, comme activit personnelle, que de d-poser, tous les quatre ans, un bulletin socialiste dans uneurne

    quelconque. C'est ainsi, entendre certains dfenseursde parlementarisme, que peu peu et sans grand effortnous entrerons dans le paradis de l'Etat futur! Mais jevoudrais vous donner quelques preuves du srieux dom-mage que cette tactique parlementaire nous a caus. Autre-fois des militants trs prouvs taient aussi de cet avis; ilsont pu changer d'opinion par suite de certaines influences,lorsqu'il leur a sembl que le proltariat allemand

    pouvait,par cette tactique, obtenir de srieux avantages. Le vieuxLiebnecht s'criait un jour :

    Comprenons-le bien. Par la parole, nous ne pouvons exerceraucune influence directe sur la lgislation. Nous ne pouvonsmouvoir le Reichstag par nos discours. Si nous pouvons, parnos discours, rpandre des vrits parmi le peuple, nous le fe-rons bien mieux encore autrement. Quel effet pratique un dis-cours a-t-il au Reichstag? Aucun. Et parler sans rsultat estun plaisir de fous.Pas un avantage, et d'un autre ct, des dangers: les principessacrifis, la grande et srieuse lutte politique rabaisse en es-carmouches parlementaires, le peuple induit en cette illusionque le Reichstag peut rsoudre la question sociale.

    Et devrons-nous faire au Reichstag du travail pratique ? fi Alors, ce ne pourra tre que trahison de nos principes ou empi-! risnje courte vue.f

    "Je ne rabaisse pas la parole. Mais, dans un temps de crise, dans un moment o un monde meurt, o un autre monde nat,

    5 la place des dfenseurs du peuple est au milieu du peuple.' Mais admettons que ce rve s'accomplisse, et qu'une majorit

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    DOCTEURFRIEDEBERG 499

    socialiste entre au Reichstag. Que fait cette majorit ? HicRhodus, hic salta. Le moment est maintenant venu de trans-former la socit et l'Etat. La majorit rend un dcret histori-que, le nouveau monde est n. Ah! mais non, une compagnie

    de soldats chasse la majorit socialiste hors du temple, et si cesmessieurs ne veulent pas se laisser faire, ils sont conduits laprison de la ville par quelques agents de police et l ils ont toutle loisir de rflchir sur leur donquichottisme.

    Le vieux Liebknecht avait pleinement raison. Le parle-ment est une institution bourgeoise, destine combattre la

    royaut et le fodalisme. Nous aurions voulu le dtournerde son but et le faire servir

    l'mancipationdu

    proltariat.Mais le parlementarisme comporte ncessairement certaines

    consquences, qui ont corrompu et paralys l'extrme lemouvement ouvrier. Il porte en lui-mme les causes deson irrmdiable strilit pour l'amlioration du sort de laclasse ouvrire, strilit qui se manifeste d'autant plus vite

    que le Parlement semble s'occuper plus activement desclasses opprimes. Tout d'abord, lorsque nos adversaires

    s'aperoivent que leurs dissensions tournent notre avan-tage, ils s'empressent de faire bloc contre nous et ils n"hsi-tent pas changer soit le mode de suffrage soit le rgle-ment du Reichstag.

    Mais le parlementarisme apparat encore mieux commeun moyen de combattre le proltariat, lorsqu'on considrel'influence qu'il exerce sur le moral des classes opprimes.

    Je pense l'incessante collaboration avec des adversaires,sur des objets que regardent la socit actuelle. Les 99 0/0des questions agites au Parlement, et sur lesquelles nos

    reprsentants ont 'discuter, ne nous concernent pas et ellesseront sans objet, ds que le proltariat aura renvers ladomination capitaliste. Leur ncessit, toutes, ne tient

    qu' l'organisation sociale actuelle, et quand nos reprsen-

    tants s'en occupent,ils doivent se mettre au

    pointde

    vuede nos adversaires, et naturellement, abandonner un peu

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    fis-i- -.A'' LA GRVEGNRALEET LE SOCIALISME

    de leur indpendance de pense ; ils sont enchans ; ils ne

    peuvent donner libre cours leurs opinions, parce qu'il n'yaucune communion d'ides possible avec des adversaires,

    sur lesquels ils ne sauraient exercer aucune influence. Etque pourrait-on attendre, en ralit, de cette influence?Nos reprsentants souffrent dans leur dignit de ne pou-voir parler aussi librement qu'ils le voudraient, faute de

    pouvoir tre compris. Et ce sont de perptuels compromis.Et la libre propagande ? Abandonne! Vous le savez bien,vous, les vieux militants, quand nous n'avions pas de d-

    puts au Parlement, tout l'effort se portait sur l'agitationouvrire, chacun y mettait du sien, l'ardeur parmi les mas-ses tait tout autre. La parole enflamme d'un orateur nepeut remplacer l'influence directe, rien ne peut supplerala directe infusion dans les masses de l'nergie rvolution-naire, des comptes rendus parlementaires moins qu'autrechose, car s'ils atteignent le lecteur, ce qui est rare ils ne lui arrivent que tronqus et dfigurs par la presseadverse.

    Vous m'accorderez tous que dans cette lutte pour la con-qute du pouvoir, nous devons tenir compte de ceux dontnous voulons gagner les voix. Personne no contestera quele souci d'acqurir des voix, de conqurir des suffragesn'ait mouss la pointe rvolutionnaire du mouvement ou-vrier. A ct de bien d'autres preuves, il me suffit de relire

    leprotokoll du Congrs de Francfort, o Grillemberger lui-mme a avou ouvertement ce souci des lecteurs rtrogra-des et l'a justifi de toutes ses forces comme tant la chosela plus naturelle du monde. Peu peu, d'un grand mouve-ment de culture gnrale, le mouvement a dgnr en unmouvement purement conomique, en une question d'es-tomac.

    Tel est le chemin que nous avons parcouru. Nous nerevendiquons plus la pleine libert, le dveloppement int-

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    DOCTEURFRIEDEBERG 501

    gral de la personnalit dans la vrit ; nous avons mis dansnotre programme que la religion est chose prive! Si cepen-dant notre idal est la libert personnelle, nous n'avons

    besoin d'aucune religion. Il n'y a jamais- eu de Dieu, il n'ya pas de Dieu, il n'y en aura jamais. L'homme porte en luiseul les conditions de son action ; c'est en vertu de sa pleinelibert intrieure, c'est en personne libre, qu'il doit agir,affranchi de toutes les tyrannies, de quelque nom qu'ellesveuillent sparer. Aussitt que la Social-Dmocratie a aban-donn ce point de vue, elle a cart d'elle une grande partie

    des esprits les plus nobles, elle est devenue ractionnaire et tout cela, pour acqurir des voix ! Et qu'est devenu notresoi-disant idal dans la question du mariage, cette institu-tion conomique, dont nous voulions faire une institutionmorale, o l'homme suivrait librement sa nature non ses

    passions basses, mais sa libre personnalit morale? Quetrouvons-nous aujourd'hui parmi nous? Les conceptions du

    proltariat et de beaucoup de ses reprsentantssont deve-

    nues plus philistines que celles de la bourgeoisie. Le motd'ordre est de respecter les convenances, de ne faireaucun scandale, pour ne pas essuyer le reproche de pr-cher l'amour libre ou d'autres horreurs. Nous passonsnotre temps aujourd'hui publier les scandales de la vie

    prive de la bourgeoisie, traner dans la boue, devant le

    proltariat, des gens qui ne sont souvent que les victimes de

    leurs passions et de leur temprament, et nous ngligeonsles discussions vraiment libres, qui dvelopperaient le sen-timent de la lutte de classe. C'est pour le pouvoir qu'au-jourd'hui nous luttons. Je crois bien, et tous vous serezd'accord avec moi, que ce n'est pas en suivant un tel che-min que le socialisme se ralisera.

    Mais voici qui est plus important et plus significatif

    encore: Par cela mme que le proltariat, par l'interm-diaire de ses reprsentants, participe de la manire la plus

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    LA GREVEGENERALEET LE SOCIALISME

    'intime la confection des lois, par cela mme que les loisaboutissent grce au concours et avec l'agrment du prol-

    tariat,le sens de la

    lgalitest

    fortifidans la classe

    ouvrire,et quelle lgalit ! la lgalit d'un tat de classe, une lgalitqui, loin de rpondre aux aspirations profondes de la libert,ne repose que sur le gendarme et la police. Aussi voyons-nous le mouvement socialiste, loin de devenir un mouve-ment vraiment libre et fort, dgnrer : on n'a pas le couragede dclarer franchement et hardiment : non, nous ne voulons

    pas de votre lgalit de contrainte, nous sommes les adver-

    saires irrductibles de votre tat de classe et de vos lois.Bebel a bien dclar Dresde, que le socialisme livrait uncombat mort la socit bourgeoise ; mais pouvons-nous lecroire sur parole, quand lui, Bebel et tous les autres dpu-ts, participent chaque jour davantage la confection deslois!

    Mais il y a mieux encore. Les ressources du prol-

    tariat sont limites. Le proltariat est une classe pauvre,et

    ce n'est qu' force de privations que chacun de ses membresarrive faire ce qu'il peut, pour l'amlioration du sort de saclasse, pour la lutte de classe. Les ressources sont donc

    maigres, et nous ne devons pas nous dissimuler que le par-lementarisme cote beaucoup d'argent. Peu importeraitvraiment, et je serais le dernier en faire argument contrele parlementarisme, mais nous devons nous demander si

    l'argent ne pourrait pas tre mieux employ, et, monavis, tant donn les dangers du parlementarisme, on feraitun emploi plus utile et plus fcond de nos ressources en lesconsacrant une action directe sur le proltariat. Au sur-

    plus, il faut bien le voir clairement: dans une lutte commecelle que nous menons, nous avons besoin de fortes et puis-santes individualits, nous avons besoin d'hommes, qui met-

    tent au service de notre idal toute leur nergie. Or, le par-lementarisme, c'est, pour chacun de nous, l'alination de

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    DOCTEURFR1EDEBERG 903

    notre action personnelle ; le parlementarisme est un sys-tme de dlgation ; et comme, pour tre vritable, il re-quiert justement le vote secret, il ne peut former leshommes dont nous avons besoin. J'ai donn des exemplesde notre impuissance actuelle. Je pense aussi ces droits,que nous possdons lgalement, et qui n'existent que sur le

    papier, parce qu'il n'y a derrire aucune puissance relle quipuisse les dfendre. Je pense la Saxe, je pense au rgle-ment du Reischtag boulevers au mpris de cette lgalitque nos adversaires mettent si haut et qu'ils ont foule aux

    pieds, ds qu'il s'est agi des intrts essentiels des classesdirigeantes et des Junkers.

    Vous me direz maintenant que le parlementarisme estpourtant un bon moyen de porter la critique socialiste jus-qu'au milieu de nos adversaires. Je ne dis pas le contraire,mais je dis aussi que l'ducation que le proltariat se donne

    par le parlementarisme n'a qu'une valeur purement nga-tive, et

    n'exige,ne

    comporte qu'un dveloppementbien

    pauvre de la personnalit", je dis que c'est un mauvaismoyen d'ducation pour le proltariat.

    J'accorderai que le parlementarisme a eu son importancedans le dveloppement historique du proltariat et qu'ilpourra encore l'avoir. Mais il ne nous a pas donn ce dontnous avions surtout besoin, et il ne pouvait pas, de par sanature mme, nous le donner : c'est ce qui maintenant,

    aprs toutes mes observations, doit tre devenu vident pourvous.

    Heureusement, nous avons d'autres institutions pour me-ner la lutte de classe, et des institutions qui relvent de laseule volont du proltariat, qui ne dpendent pas, commele parlementarisme, du bon plaisir de nos adversaires,

    je parle surtout des syndicats. Nous pouvons voir dj,

    comparerle mouvement

    politiqueet le mouvement

    syndicaldans leur dveloppement, lequel des deux correspond le

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    ;'-"'': LA GRVEGNRALEET LE SOCIALISME

    mieux la pense et aux sentiments vritables de la classeouvrire. Ne nous occupons pas des voix recueillies auxlections et ne considrons que les groupements politi-ques : nous voyons qu'en plus de quarante ans de luttes, ilsne sont arrivs grouper aujourd'hui que 200.000 hommes,et voil tout ce que reprsente le parlementarisme ! Le mou-vement syndical, lui, est plus rcent : le Parti le considraitd'abord comme une gne, une concurrence, et il n'a, en

    quelque sorte, trouv grce devant le Parti qu'au Congrsde Cologne ; il n'en a pas moins group, en peu de temps,

    plus d'un million d'ouvriers. Il faut donc le dire : la con-centration ouvrire dans les syndicats est, pour la lutte declasse, un instrument plus puissant que l'organisation poli-tique, avec ses cadres vides, et aujourd'hui presque toutentire tourne aux fins du parlementarisme. Le but que nous

    poursuivons, l'institution d'une organisation socialiste,

    ne pourra tre ralis que si les syndicats deviennent lesfacteurs essentiels de la production. Les syndicats portenten eux, ds aujourd'hui, les prmisses du nouvel ordre so-cial.

    Sans doute et nous devons, hlas, le reconnatre cen'est pas l encore l'idal que poursuit dans son ensemble lemouvement syndical. Sans doute, beaucoup de syndiqus ontencore des aspirations bien terre terre et ne voient souventdans le syndicat qu'une sorte de tirelire : ils versent leur

    gros sou de cotisation, et ils esprent en voir sortir bienttdes merveilles ! Tout cela est videmment fcheux, mais lamission du syndicalisme rvolutionnaire est prcismentde transformer ces adhrents pratiques en militantsclairs, en socialistes conscients. Nous devons le direfranchement : si le mouvement politique s'est engag surune fausse voie, il s'tait propos au moins un haut idal ;le mouvement syndical, lui, est sur la bonne voie, et ses

    tendances fondamentales sont pleinement justifies; mais

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    souvent, par raction contre le parti politique, il ne se pro-pose malheureusement que des fins troites et basses et ra-baisse ainsi sa valeur rvolutionnaire. Nous avons vu le

    trade-unionisme anglais borner son horizon la lutte aujour le jour pour l'amlioration des conditions de travail, etc'est cela qu'aujourd'hui encore, le plus souvent, il res-treintson idal. Le mouvement syndical allemand, d'unema-nire plus regrettable encore, prend la mme voie. Au dbut,lorsqu'il se trouvait sous l'influencedu Parti, les syndiqustant prcisment les mmes qui appartenaient aux groupe-

    ments politiques, il avait un horizon plus large; mais plusil a pris de puissance conomique, et plus il a born sesvues. Nous remarquons en lui une fcheuse altration detendances. Lui aussi, de plus en plus, restreint sa tche amliorer la situation prsente, obtenir de meilleures con-ditions de travail. Il n'a plus, pour le moment, d'idallev, ou tout au moins il le voile de telle sorte qu'il n'envaut

    guremieux.

    Il est cependant appel organiser la socit future dontles syndicats seront les facteurs conomiques essentiels, et former les libres et fortes individualits dont nous avonsbesoin. Alors que le parlementarisme, avec le vote secret,ne dveloppe pas la personnalit, le syndicalisme accaparel'homme tout entier. Dans une grve, par exemple, ceuxqui participent aux rsolutions engagent toute leur exis-

    tence pour le triomphe de leurs revendications. Le mouve-ment syndical est donc mme de former des caractresforts, car les luttes que les syndicats conduisent, la

    grve, le boycottage, le Premier Mai, requirent l'entireresponsabilit de chacun. Le Premier Mai a, dans le mou-vement syndical, une grande importance; il est, peut-tre,la seule action populaire et rvolutionnaire que nous prati-

    quions aujourd'hui.C'est, mon sens, la manire dont le Premier Mai

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    , LA GREVEGENERALEET LE SOCIALISME

    est ft, qu'on peut le mieux juger o en est le mouve-ment ouvrier. Raccourcissez la journe de travail, abais sez-la de 12 11, de 11 10, et finalement 8

    heures,vous n'aurez encore rien fait pour briser la domination dela classe capitaliste. Mais si les travailleurs, ne ft-ce qu'un,

    jour dans l'anne, osent jeter au capitalisme un dfi, et s'ilsont la force de dclarer : Non, je ne veux pas en ce jourfaire ma corve, je veux dterminer, moi-mme, si je tra-vaillerai ou non, c'est alors la dnonciation de l'escla-vage capitaliste, c'est un signe que la conscience de classe

    se dveloppe parmi les ouvriers allemands. Et ils ont la vuebien courte, les syndicats, qui, sous prtexte d'intrts ma-triels, et pour viter quelque dpense, ne veulent plus cl-brer le Premier Mai. Nous retrouvons ici la mmetroitessede vue que dans le mouvement politique. Le mouvement

    politique, lui aussi, souffre de cette estimation exagre desmoyens matriels. Tous les deux, aujourd'hui, n'ont plus

    qu'un but:

    obtenir tout prix des avantages conomiques.C'est peut-tre une consquence de la conception matria-liste de l'histoire. Cette proposition de Marx et d'Engels :la conscience est dtermine par la situation sociale, par lasituation conomique, n'est pas fausse, assurment ; elle estvraie pour une bonne part au moins de l'histoire humaine;mais elle a eu pour consquence de rpandre dans le prol-tariat des conceptions terre terre, qui, loin de surexciter

    la lutte de classe, l'ont plutt entrave. Il est assurmentncessaire d'amliorer la situation matrielle du proltariat,nous ne croyons pas la thorie de la misre croissante,nous savons que ce n'est pas le lumpen-proltariat qui peutmener la lutte de classe. Mais nous savons aussi que la faimtait autrefois un bon facteur rvolutionnaire, que la rup-ture avec le christianisme et toute croyance en une vie fu-

    ture avait provoqu, parmi les premiers socialistes, un espritde sacrifice infini et joyeux et un courage toute preuve ;

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    DOCTEURFBIEDEBERG 507

    nous savons, par contre, qu' mettre toujours l'accent surle but conomique, on a bris l'effort du proltariat vers les

    conqutesmorales. C'est l une triste

    exprience.Les ou-

    vriers sentent moins peut-tre l'aiguillon de la faim mat-rielle, mais, par contre, ils ne sentent pas suffisamment en-core celui de la faim morale. Aussi devons-nous nous effor-cer de dvelopper et de rveiller au coeur du proltariatallemand l'apptit de l'idal.

    Ce qui importe, ce n'est pas tant de dvelopper la puis-sance matrielle du proltariat que de fortifier en lui la vie

    intrieure, les aspirations rvolutionnaires. Les rvisionnis-tes vont si loin dans leur effort pour conqurir tout prix la

    puissance conomique, que, pour quelques lambeaux derformes, ils font alliance avec la royaut, avec le Centre,avec les ractionnaires les plus avrs ; de mme les syndi-cats qui, pour des avantages matriels, envoient des tl-

    grames des ministres d'Etat et soumissionnent des entre-

    prises qui entravent pour longtemps la lutte de classe.Ce n'est pas l manciper le proltariat ; c'est lui forger denouvelles chanes. Ce que nous devons faire, c'est insufflerau mouvement syndical un vigoureux esprit de rsistance r-volutionnaire. Nous ne voulons pas faire des syndicats une

    dpendance du Parti ; au contraire, nous considrons lemouvement syndical comme l'pine dorsale, comme le fac-teur essentiel de la lutte de classe. Nous croyons que le

    mouvement politique doit, changeant une fois encore demthode, s'incorporer au mouvement syndical pour luidonner sa force et son lan. Il nous faut un fort mouvementouvrier bien homogne, avec les syndicats pour pivot. Etce qui donnera ce mouvement un large horizon et un ca-ractre rvolutionnaire, c'est l'ide de la grve gnrale.

    L'ide de la grve gnrale ne doit pas dtourner les syn-

    dicats du combat quotidien, ce combat devra se poursuivre,car il va de soi qu'il faut amliorer la situation matrielle du

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    LA GRVEGNRALEET LE SOCIALISME

    proltariat ; mais il nous faut un horizon plus large, les syn-dicats doivent prendre conscience de leur rle comme cel-lules de l'organisation conomique future. Et ils

    peuventfaire beaucoup dans ce sens. Par les grves, ils duquent lestravailleurs, ils leur donnent la force morale, ils dvelop-pent le sentiment de la solidarit proltarienne. L'ide de lagrve gnrale donnera aux syndicats l'horizon large queseul jusqu'ici le mouvement politique avait ouvert devanteux. La grve gnrale n'est pas une utopie ; au contraire,elle est le seul moyen de renverser l'Etat de classe ; elle seule

    donnera la possibilit au proltariat de dtruire la base surlaquelle est difi l'Etat de classe. Sur quoi repose, en effet,l'Etat de classe? Il repose sur ce fait que le proltariat estexploit comme facteur de la production. C'est ce titreque le proltariat est ncessaire a l'existence de l'Etat declasse. Le capital n'est rien, c'est une chose morte, s'il n'y apas de bras pour lui donner la vie et lui permettre de crerde la valeur. Si donc le

    proltariat prendconscience de son

    rle et se rend compte qu'il peut se retirer du procs de pro-duction, c'en est fait de l'Etat de classe. Il va de soi quenous ne croyons pas la possibilit du jour au lendemain de la grve gnrale, et sans doute, la puissante organisa-tion de l'Etat actuel, qui dispose de ressources si considra-bles, ne va pas tomber au seul mot de grve gnrale ; maisl'ide de la grve gnrale doit amener le proltariat con-

    cevoir nettement la ncessit de fonder de fortes organisa-tions et mettre en elles toutes ses esprances d'avenir.

    Et, cet gard, la situation est excellente. Nos syndicatscomprennent chaque jour plus d'adhrents ; dans quelquesbranches de la production, il y a dj plus de 50 p. 100 desyndiqus. Rien que dans les dernires annes, les syndicatsse sont accrus de 21 p. 100, ils sont arrivs englober plus

    d'un million de travailleurs, si bien qu'on peut prdire aveccertitude, tant donn qu'on a affaire ici des facteurs dont

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    l'action est pour ainsi dire automatique que dans trois ou

    quatre ans nous aurons deux millions de syndiqus, et, dansdix ans, trois quatre millions. Et si l'ide de la grve g-

    nrale se rpand toujours davantage et plus profondmentdans la classe ouvrire, il sera possible la force croissantedu mouvement syndical, de mme qu'il a t possible aumouvement politique de grouper autour des urnes trois mil-lions de voix , d'amener, en moins de tempsencore, plus de

    quatre cinq millions d'hommes la cessation du travail et

    par l au renversement de l'Etat de classe.

    Certes, ce n'est pas l une tche facile, mais je vous le de-mande, que nous ont donn le mouvement politique et l'acti-vit parlementaire en quarante ans de lutte? Combien de nosvieux camarades, entrs dans la lutte avec l'ardeur de la jeu-nesse et des esprances hardies, comptent encore aujourd'huivoir la chute du capitalisme et l'mancipation du proltariat ?L'ide de la grve gnrale verse dans nos coeurs une nou-velle

    esprance,et cette

    esprance,nous l'attendions en vain

    depuis longtemps.Et ce mouvement, qui trouve devant lui un terrain

    dj prpar, peut aboutir plus vite que nos adversaires etnous-mme ne l'escomptons. Nous ne mconnaissons pasles difficults vaincre. Il est ncessaire qu' l'irresponsa-bilit dont le parlementarisme nous a donn l'habitude, sesubstitue le sens del responsabilit. Ce sens, les grves le

    formeront, et le Premier Mai, et le boycottage. Avant tout,ce qu'il faut dvelopper, c'est la personnalit. La plaie de

    parlementarisme, c'est qu'on attend tout d'adversaires, dela loi. Tout doit venir des autres; le parlementarisme n'arien fait jusqu'ici pour le dveloppement de la personnalit;et c'est pourquoi le mouvement politique a attir tant de-

    gens, en juger du moins parle nombre de voix recueillies.

    Mais si les ouvriers veulent renverser l'tat capitaliste, s'ilsveulent instituer un nouvel ordre social, il leur faut devenir

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    s LA GREVEGENERALEET LE SOCIALISME

    meilleurs que ceux qu'ils combattent et veulent destituer.Aussi doivent-ils apprendre ne rien laisser en eux de vuL-

    gaire et de bas, rejeter d'eux toute immoralit. Or le carac-

    tre essentiel de l'ide de la grve gnrale, c'est prcisment,d'tre un moyen de combat d'une haute valeur morale.La Rvolution politique que l'on poursuivait ne pouvait

    se raliser sans effusion de sang, sans violences. La grvegnrale est un moyen de lutte moral : c'est le refus cons-cient et libre de travailler garanti lgalement par le droitde coalition qu'on transforme en une arme de combat. Et

    advienne que pourra, nos adversaires peuvent nous rduireaux dernires extrmits, ils peuvent nous affamer ; nousn'avons pas aujourd'hui nous occuper de cela ni nous encasser la tte. Nous n'aurons certes pas respecter les loisde la socit capitaliste, lois qu'un pass de contrainte nousa lgues, et s'il y a des souffrances, elles ne seront pas pourl'immense arme des proltaires brisant leurs chaines.

    Le moyen de lutte que nous prconisons a une grandevaleur ducative. Pour refuser, dans la plnitude de sares-ponsabilit,de travailler, il faut une haute conscience mo-rale, car il faut savoir s'lever au-dessus de ses intrts

    gostes, et les sacrifier l'avenir de sa classe, au progrsde l'humanit. Aussi faut-il briser tous les obstacles quis'opposent notre libration morale. J'ai dj reproch latactique parlementaire d'avoir fait disparatre de notre pro-

    gramme toutes les questions relatives l'affranchissementde la personnalit, la suppression de la religion et desautres obstacles notre mancipation spirituelle. Notrepresse, cet gard, ne fait malheureusement pas son devoir.Si l'on veut lire aujourd'hui un article d'inspiration vraimentlibre, un article qui saisisse tout l'tre et fasse battre le coeur

    plus fort, ce n'est pas dans la presse socialiste qu'il faut le

    chercher, on le trouvera rarement, mais dans la presse anar-chiste. Je ne saurais assez vous le recommander : lisez la

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    presse anarchiste, lisez les crits de Pierre Kropotkine, deJean Grave, d'Elise Reclus et d'autres. Vous trouverez-lles lments pour cette culture libre et personnelle que la

    Social-Dmocratie, aujourd'hui nglige beaucoup trop.Nous devons combattre les passions basses qui sont en nous ;trop souvent, aujourd'hui, si le proltariat arrive amliorersa situation, c'est pour se livrer des rjouissances gros-sires; et la lutte de classe pourrait tre mene avec plus devigueur, le dveloppement de la personnalit, le progrsmoral, pourraient tre assurs beaucoup plus rapidement, si

    les ressources accrues du proltariat taient employes saculture morale. Des ouvriers, qui rentrent ivres de l'atelieret battent la maison leur femme et leurs enfants, de telsouvriers ne peuvent mettre au monde de bons militantspour la lutte de classe. Ici encore, on pourrait reprocher laSocial-Dmocratie de n'avoir pas assez agi sur les masses.Il faut veiller et dvelopper le besoin de culture, il faut tra-vailler notre perfectionnement moral. Notre horizon doitsans cesse tre largi, pour que nous devenions de redouta-bles adversaires de l'Etat capitaliste.

    A ceux qui objectent la grve gnrale qu'elle est impos-sible avec l'arme dont dispose l'Etat, je rpondrai que, pr-cisment, le devoir du syndicalisme est de faire l'ducationantimilitariste du proltariat. Il y a des pays o les syndi-cats mettent entre les mains de chacun de leurs adhrents,

    ' avant l'entre la caserne, des brochures antimilitaristes,et qui organisent des institutions spciales pour protger lesouvriers pendant leur sjour au rgiment, et, ds leur libra-tion, pour les ramener au syndicat. L'ouvrier, ainsi soutenu,ne perd pas, la caserne, sa conscience de classe. Les sol-dats seront donc ce que nous les ferons. Que les travailleurs

    ' ne battent pas leurs enfants, qu'ils leur donnent une duca-

    tion libre et vraiment morale, sans touffer sous les coups le/ sentiment du respect,et ces enfants deviendront des hommes

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    LA GREVEGENERALEET LE SOCIALISME

    qui, au rgiment, ne se laisseront pas insulter bnvolementet seront prts rsister l'ordre de tirer sur les leurs.

    J'ai termin. Prendre aujourd'hui en mains la cause de la

    grve gnrale, c'est s'exposera l'inimiti et aux attaques deceux l-mmes avec lesquels on a combattu jusque-l,paule contre paule; mais tel est le sort de tous ceux quiembrassent une ide nouvelle. Je suis convaincu que l'idede la grve gnrale fera son chemin. La grve gnrale estle moyen de renverser la domination capitaliste. Cette idedoit pntrer dans toutes les organisations ouvrires. Elle

    doit paratre l'ordre du jour des Congrs de Parti : il nefaut plus que la honteuse comdie de Dresde se renouvelleet qu'on voie un parti, fort de trois millions de voix, etprt, semblait-il, travailler srieusement au renversementde l'Etat capitaliste, consacrer presque tout un Congrs discuter, avec l'intolrance de l'esprit de parti le plus fa-natique, le cas de quelques publicistes coupables d'avoircollabor

    quelquesfeuilles

    bourgeoises.Et

    cependantl'ac-

    tion de ces hommes, comme d'ailleurs toute la tendancervisionniste, c'est la consquence ncessaire et naturelle duparlementarisme, et, s'il y a un coupable, c'est le Parti lui-mme, qui croit ne devoir rien changer sa tactique, malgrles changements normes survenus, ces dernires annes,dans notre situation et celle de nos adversaires. Non, encoreune fois, l'action parlementaire n'est pas une action de

    classe, une action proltarienne. C'est l'ide de la grvegnrale qui doit devenir l'ide directrice du mouvement ou-vrier,c'est elle qui doit rallier groupes politiques et syndicatset servir de mot d'ordre la classe ouvrire tout entire.

    Grve gnrale ! Ce n'est pas l un vain mot, prononcaujourd'hui, oubli demain, mais la prime l'organisationsyndicale, l'ide au nom de laquelle les ouvriers travaille-

    ront leur culture personnelle, celle de leurs enfants et deleurs compagnons de lutte, car elle signifie clairement: Pro-

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    ltaires, votre sort, le sort de votre classe, est entre vosmains, dpend de votre force morale ! Fondez de fortes orga-nisations, prenez conscience de votre puissance, et vous

    ferez tomber vos chanes ! Et par dessus les constitutionscrites, fruit d'un pass de contrainte, vous ferez triompherles lois imprescriptibles de la libert humaine 1

    Rsolution vote aprs la confrence du Dr Fnedeberg :

    Une fausse conception de l'Etat, et surtout une estimationexagre du parlementarisme ont peu peu dtourn le prolta-riat du terrain de la vraie lutte de classe. La scission du mou-vement ouvrier en mouvement politique et conomique, quiamena la neutralisation des syndicats et l'abandon par eux detoute aspiration rvolutionnaire a donn le coup de grce lalutte de classe.

    Avec l'activit parlementaire, par une consquence ncessaire,l'idal socialiste s'est voil, il a cess d'tre en opposition rvo-lutionnaire avec les lois de l'Etat capitaliste, et il a cess de r-clamer l'affranchissement intgral de la personne humaine ; et,d'autre part, le mouvement syndical a born son horizon des

    revendications terre terre, les syndicats estimant trop haut,eux aussi, les avantages matriels ; en sorte que l'ducation so-cialiste du proltariat allemand a t entirement fausse et ques'il est un peu plus riche, peut-tre, en moyens matriels, sapuissance relle n'a pas augment.

    Ce qui fait la force vraie du proltariat, c'est un nombre aussigrand que possible de militants, anims d'un esprit vraimentlibre et rvolutionnaire, mais ce n'est pas le parlementarisme,systme de dlgation, c'est un syndicalisme, pntr de l'espritsocialiste, qui seul peut former de tels militants.

    Dveloppement intellectuel et

    moral de lapersonnalit ; Organisation autonome de la consommation et si possible de

    la production ; Action directe, avec pleine responsabilit de chacun, grves,

    premier mai, boycottage. Telles sont les conditions pralables de l'mancipation du pro-

    ltariat. Cette mancipation elle-mme c'est--dire la sup-pression de l'Etat de classe s'accomplira par la grve gnrale.Ce n'est pas par une rvolution sanglante et violente, mais parun moyen de lutte d'une haute valeur morale, par le refus con-cert, libre et conscient du travail, que le proltariat renverserala domination capitaliste et son instrument, l'Etat.

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    Telles sont les raisons pour lesquelles l'Union libre des st/wAircats allemands dclare :

    Que pour elle l'activit parlementaire n'ayant qu'une utilitindirecte et exigeant une dpense, disproportionne aux rsul-

    tats, de forces matrielles et morales, c'est l'ducation dnproltariat et la lutte conomique qu'il faut consacrer tous sesefforts, et qu'en consquence il faut dvelopper les organisationsconomiques et les pntrer d'un haut idal rvolutionnaire,pour rendre possible, bref dlai, une grve gnrale victo-rieuse.

    Cette motion a t distribue au Congrs Socialiste Interna-tional d'Amsterdam