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Ravagée il y a dix ans par la guerre avec la Géorgie, l’Abkhazie, territoire caucasien des bords de la mer Noire, soumise à un embargo par les pays voisins, n’est reconnue par aucun Etat. La communauté internationale considère qu’aucune activité de développement ne peut être entreprise tant qu’une paix durable ne sera pas instaurée… Les personnes âgées dans l’ombre de l’embargo MÉDECINS SANS FRONTIÈRES – DÉCEMBRE 2002 Abkhazie

rapport Abkhazie fr · 2007. 6. 20. · de l’automne 2001. ... géorgienne et à l’est par la région de Krasnodar, où le Caucase laisse peu à peu place aux plaines de la Russie

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Ravagée il y a dix ans par la guerre avec la Géorgie, l’Abkhazie, territoire caucasien des bords de la mer Noire, soumise à un embargopar les pays voisins, n’est reconnue par aucun Etat. La communautéinternationale considère qu’aucune activité de développement ne peutêtre entreprise tant qu’une paix durable ne sera pas instaurée…

Les personnes âgées dans l’ombre de l’embargo

M É D E C I N S S A N S F R O N T I È R E S – D É C E M B R E 2 0 0 2

Abkhazie

…Pourtant, c’est d’une aide humanitaire d’urgence dont ont avanttout besoin les 18000 personnes, soit probablement près de unhabitant sur dix, qui survivent sur le territoire abkhaze dans desconditions de vulnérabilité extrême. Aujourd’hui, l’essentiel dessecours d’urgence est assuré par Médecins Sans Frontières et leComité international de la Croix-Rouge. Une présenceinternationale très insuffisante pour répondre aux besoins vitauxdes personnes les plus démunies et isolées.Ce dossier dresse un état des conditions dans lesquelles viventles personnes indigentes en Abkhazie et de leurs besoins urgents.Il est construit à partir des expériences et des données socialeset médicales récoltées par les équipes de Médecins SansFrontières.Il a pour objectifs de mettre en évidence les conséquencesdésastreuses de l’embargo pour les plus déshérités et de susciterune aide financière et opérationnelle accrue de la part des bailleursde fonds et des organisations de secours.

Texte : Laurence Binet

Toutes les photos de ce document sont signées Serge Sibert et sont datées

de l’automne 2001. Crédit: S. Sibert / Cosmos.

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s o m m a i r e

L’Abkhazie au purgatoireUne géographie avantageuse qui pèse sur l’histoire

Médecins Sans Frontières et les personnes indigentes

Quand on est vulnérable en Abkhazie…10 Se soigner14 Se loger, se nourrir18 Recevoir un soutien psychologique

Conclusion

MSF dans le Caucase

La carte présentée dans ce document ne saurait exprimer aucune opinion politique de la part de MSF sur le statut, les frontières,

les limites ou la dénomination de quelque pays, territoire, ville ou région que ce soit, pas plus que sur leurs autorités.

Territoire Abkhaze

A b k h a z i e – d é c e m b r e 2 0 0 24

LL’’AAbkhaziebkhazieAAU PUU PURRGAGATTOIOIRREE

Etablies dans les premières années de l’Unionsoviétique, les frontières de l’Abkhazie actuelledélimitent un territoire de 8600 km2, bordé aunord par la chaîne du Caucase, au sud par la merNoire, à l’ouest par les plaines de Transcaucasiegéorgienne et à l’est par la région de Krasnodar,où le Caucase laisse peu à peu place aux plainesde la Russie méridionale.Dotée d’un climat méditerranéen, l’Abkhaziejouit d’une réputation de pays de cocagne dansune partie du monde au climat rigoureux. Axede communication privilégié entre la Russie et lesRépubliques du sud du Caucase, disposant d’unlittoral important, d’une ligne de fortificationnaturelle, riche en ressources agricoles, minièreset touristiques, cette région a toujours attiré lesconvoitises.

En juillet 1992, le parlement abkhaze déclareunilatéralement la souveraineté de l’Abkhazie. LaGéorgie, elle-même en proie à une guerre civile,réagit en occupant le territoire abkhaze jusqu’àSukhumi. Les combattants abkhazes repoussentles Géorgiens au-delà de la rivière Ingouri.Un cessez-le-feu est conclu en mai 1994, sous lesauspices des Nations unies. Les accords deMoscou établissent une force d’interpositionconstituée de troupes russes chargées de neutra-liser un territoire de 20 kilomètres autour de lafrontière entre les deux parties en conflit. Desobservateurs des Nations unies sont égalementdéployés.La guerre a causé environ 10000 morts en treizemois, et a entraîné la fuite vers la Géorgie de240 000 Géorgiens qui résidaient jusqu’à cetteépoque en Abkhazie.Un accord est également signé entre lesAbkhazes, les Géorgiens, le Haut-Commissariatdes Nations unies aux réfugiés (UNHCR) et laFédération de Russie afin de faciliter le retourvolontaire des réfugiés vers l’Abkhazie. Il n’estsuivi d’aucun effet durable.

Marquée par des siècles d’invasions, soumise àdes influences politiques culturelles et religieu-ses diverses, cette région, comme l’ensembledu Caucase, se trouve placée, à la fin du XIXe siè-cle, sous la tutelle de l’Empire tsariste. Celui-cis’efforce de gommer les spécificités culturelleset historiques de l’Abkhazie, suscitant de fortes revendications nationalistes. Au mêmemoment, en Géorgie, se développe un fort cou-rant nationaliste luttant contre la tutelle deMoscou.Lorsqu’en 1917 la révolution bolchevique ren-verse le régime tsariste, le Caucase connaît unecourte période d’effervescence politique. Elle setraduit par la naissance de la République deGéorgie, qui entend bien conserver l’Abkhaziedans ses frontières, au détriment des revendica-

tions d’indépendance des Abkhazes. De soncôté, le nouveau régime de Moscou n’a pas l’in-tention de brader les territoires hérités des tsars.En 1922, l’armée Rouge a repris le contrôle del’ensemble du Caucase…En 1931, la constitution soviétique accorde àl’Abkhazie le statut de République autonome,intégrée à la Géorgie. Cet aménagement du ter-ritoire s’accompagne, comme dans tout leCaucase, d’une communautarisation croissantedes élites.En 1991, après la chute du régime soviétique, laGéorgie devient indépendante. Les nomenklatu-ras régionales ne parviennent pas à s’entendresur le statut de l’Abkhazie.

Une géographie avantageuse…

L’indépendanceau prix de la guerre

…qui pèse sur l’histoire

5A b k h a z i e – d é c e m b r e 2 0 0 2

Depuis 1997, un conseil de coordination, dirigépar le représentant spécial du secrétaire del’ONU en Géorgie, constitué de représentants del’OSCE, de la Fédération de Russie, de la France,de l’Allemagne, des Etats-Unis et du Royaume-Uni tente de faciliter les négociations entre lesdeux parties.Dans la région de Gali, l’insécurité qui continue àrégner limite les possibilités d’assistance humani-taire auprès de ses habitants.En octobre 2001, puis en avril 2002, des com-bats éclatent dans la haute vallée de la Kodori,située à une cinquantaine de kilomètres de lacapitale et occupée par les Géorgiens, laissantplaner une menace sur une population qui nes’est pas remise des effets désastreux du précé-dent conflit.

mais 200000 habitants dont une majoritéd’Abkhazes 2.L’Abkhazie est soumise à un embargo écono-mique naval et terrestre de la part de ses deuxvoisins, la Géorgie et la Russie, qui empêche toutdéveloppement économique. L’absence d’ac-cord de paix et sa non-reconnaissance interna-tionale en tant qu’Etat l’empêchent de bénéfi-cier de toute forme d’aide au développement.Une petite économie semi-clandestine et sai-sonnière de commerce de mandarines et denoisettes… autour de la frontière, pourtanttoujours officiellement fermée, permet à cer-tains de survivre. Le commerce du bois, du feret du charbon se limite également à des trans-actions informelles. Ce qui reste de l’infras-tructure touristique, autre source de revenuavant la guerre, accueille aujourd’hui essen-tiellement des familles russes, regroupées envillégiature dans un complexe résidentiel deSukhumi et dans la ville de Gagra.Si la Russie maintient un embargo surl’Abkhazie, elle accorde dans le même tempsla citoyenneté russe à des milliers d’Abkhazes,entretenant la perspective d’une intégrationdu pays à la Fédération.En attendant, la population, qui n’a pas lesmoyens de quitter le pays, vit pour sa majori-té dans la pauvreté, sans perspectives d’avenir,avec l’aide, forcément limitée, de quelquesorganisations de secours.1 Mais aussi pour les réfugiés en Géorgie qui vivent dans

des conditions inadmissibles huit ans après le conflit.2 Ce chiffre est une approximation généralement admise

par les organisations travaillant en Abkhasie mais ne saurait

exprimer une opinion politique de la part de MSF

La chute du système soviétique, la guerre etl’isolement diplomatique ont des conséquen-ces terribles pour les populations vivant sur lesol abkhaze 1. L’Abkhazie d’avant-guerre étaitpeuplée de 525000 habitants (selon le recen-sement de 1989) dont 46 % de Géorgiens,18 % d’Abkhazes, 16,5 % de Russes, maisaussi des Arméniens, des Adjars,des Juifs, desEstoniens, des Ukrainiens, des Grecs… Desource officielle abkhaze, elle abrite désor-

Un désastresocial etéconomique

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Des personnes âgées vivant seules,handicapées ou grabataires, desmères célibataires sans revenu, souf-

frant de maladies chroniques, des invalidesdes 1er, 2e et 3e groupes 2, des membres deminorités nationales sans soutien familial, desfamilles nombreuses avec des difficultés etquiconque se trouvant confronté à des pro-blèmes socio-économiques inclus dans les cri-tères définis par Médecins Sans Frontières :tels sont les profils des personnes indigentesqui bénéficient du programme d’accès auxsoins (HAP : Health Access Programme) déve-loppé depuis 1993 par MSF 3.Après avoir mis en place un approvisionne-ment régulier en médicaments, MSF a com-mencé par réhabiliter et prendre en chargele dispensaire Pushkine à Sukhumi. Dans cepetit local, deux médecins, une pharma-cienne et une secrétaire prodiguaient soins,écoute et médicaments gratuits à toutes lespersonnes indigentes qui se présentaient, leplus souvent orientés par l’assistante socialeemployée par MSF.En 1999, les mêmes structures ont été misesen place à Gagra, Tkwarcheli et Gali à l’in-tention des personnes qui recevaient l’aide

alimentaire des cantines du Comité interna-tional de la Croix-Rouge.Au printemps 2000, une assistante sociale acommencé à travailler à Gagra. Puis à partirde décembre 2000, et pendant six mois, unedouzaine de travailleurs sociaux de MSF,répartis sur les sept régions d’Abkhazie, ontidentifié les personnes sans accès aux soins.Chacune a reçu une carte lui donnant unaccès aux soins gratuits dans les structuresde santé soutenues par MSF. Ses listes ontété croisées et complétées avec celles éta-blies par le CICR. Ce processus d’échanged’informations entre les deux organisationscontinue à être mené par les équipes aucours de leurs activités quotidiennes.En septembre 2002, MSF et le CICR avaientainsi enregistré plus de 18 700 personnesvivant dans des conditions de vulnérabili-té, soit un habitant d’Abkhazie sur dix,dont 39 % vivent dans la capitale Sukhumi.Plus de 1 400 d’entre elles ne peuvent sedéplacer de leur domicile, beaucoup sont ali-tées, incapables de survivre sans une aideextérieure.2 Classification officielle du système soviétique.3 Profil défini en accord avec le ministère de la Santé abkhaze.

MMSSF F et les personneset les personnesIINNDDIIGGEENTENTESS

Vulnerable identified by ICRC 2001

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10002000

30004000

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70008000

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TOTAL DE PERSONNES IDENTIFIÉES = 18 700

Personnes indigentes identifiées par le CICR et MSF par région d’Abkhazie – 2002

Mieux connaîtreles personnesindigentes

Les expériences des assistantes sociales, infirmiè-res et médecins travaillant au quotidien auprèsde ces populations ont mis en lumière l’extrêmeprécarité de leurs conditions de vie.Afin d’évaluer de façon quantitative les carac-téristiques de cette vulnérabilité, MSF a réaliséune enquête socio-démographique auprès de3370 personnes. Leur situation a été évaluéeà partir de cinq critères : la nourriture, lesvêtements, le logement, la santé et les reve-nus. Pour faciliter l’analyse, les critères « nour-riture », « vêtements » et « logement » ontensuite été regroupés sous un critère globalintitulé « conditions de vie ».Selon les résultats de cette enquête, 70 % despersonnes interrogées ont un revenu trèsbas, sont malades et vivent dans des condi-tions inacceptables.- 70 % des personnes les plus indigentes sontdes femmes.- 60 % sont âgées de plus de 65 ans.- 45 % des plus indigentes sont des femmesâgées de plus de 65 ans.- Plus de 60 % ne sont pas d’origine abkhaze:russe (31,9 %), géorgienne (15,6 %), armé-nienne (14,5 %) et autres (grecque, turque,ukrainienne, biélorusse…).Pour évaluer leurs revenus, l’enquête a pris encompte les salaires, les bénéfices des petitestransactions commerciales (vente de bienspersonnels, de fruits et légumes d’un potager,d’œufs, etc.) et le soutien financier de parentsou d’amis.La pension de retraite abkhaze, qui s’élève à30 roubles 4 (moins de 1 euros/dollars) n’a pasété prise en compte, en raison du pouvoir d’a-chat dérisoire qu’elle octroie : un litre d’huileou 3 kg de pommes de terre ou 2 kg de farineou 500 g de yaourt…Parmi les personnes interrogées- 69,4 % ont un revenu très bas, sans salaire,sans bénéfices de petit commerce, sans sou-tien financier.- 18 % vivent grâce à un soutien financier.- 12 % vivent d’un salaire ou de revenus com-merciaux.4 Son montant est passé à 60 roubles en juillet 2002…

En avril 2002, une autre étude, plus modeste, a été réalisée parles travailleurs sociaux de MSF, qui ont posé une liste de ques-tions aux personnes indigentes au cours de leur travail quoti-dien. Les besoins évoqués par les personnes interrogées ont faitl’objet d’une distinction entre « besoins urgents » et « besoinsnon urgents », ces derniers étant ceux qui rendent la vie diffici-le sans toutefois la mettre en danger. Au cours de cette enquê-te, les soins médicaux, le soutien psychologique et la nourritureont été cités en priorité.La moitié des personnes indigentes de la ville de Sukhumi inter-rogées ont des problèmes d’électricité, d’eau, de nourriture,d’accès aux soins médicaux et demandent un soutien psycholo-gique. Dans les montagnes de la région minière de Tkwarcheliles besoins en vêtements, couvertures et chauffage sont les pluscouramment cités.

Besoins « urgents » et « non urgents »

% of needs

Illness

Other

Electricity

Psycho supp

Clothes

Water

FoodNourriture

Eau

Accèsaux soins

Vêtements

Soins psychologiques

Electricité

Autres

besoin prioritaire exprimé en %

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Petit à petit l’appartement de Louisa se vide. Situé dans un immeuble décrépi de l’ancienne citéminière de Tkwarcheli, il ne contient plus qu’un lit, un réchaud, une vieille machine à coudre, une pilede linge moisie et quelques livres. La vieille dame, âgée de 81 ans, d’origine grecque, était mariée à unGéorgien décédé pendant la guerre. Ses enfants ont quitté le pays. Elle n’a aucune nouvelle d’eux.« Quand il est parti, mon fils m’a dit de vendre mes affaires pour survivre. C’est ce que j’ai fait. Hier j’aivendu ma couverture. Aujourd’hui je fais sécher ce linge pour le vendre. Je garde la machine à coudreen dernier ressort… et mes quelques livres… j’étais bibliothécaire. Je viens d’une famille aisée, j’aimebien les belles choses. J’étais une bonne maîtresse de maison. Je n’ai jamais été pauvre. » Aujourd’hui Louisa survit grâce au repas quotidien fourni par le CICR. Elle passe une partie de lajournée allongée car elle a des vertiges. « Je n’ai besoin de rien, sauf de lunettes, soupire-t-elle, lesmiennes ne sont plus assez fortes. Je ne peux plus lire. »

A 80 ans, Olga, Russe née en Abkhazie, sans famille, aveugle, les jambes paralysées, survit d’uneécuelle de soupe apportée de temps à autre par un voisin. Lors de la première visite de l’équipe deMédecins Sans Frontières, la porte est close. Olga doit passer la clé par la fenêtre. A l’intérieur, l’odeurest insoutenable, la pièce dans un désordre innommable, le sol plein de boue. Les rats pullulent. Il n’y a ni eau, ni électricité, ni chauffage. Les jambes d’Olga sont enflées et infectées. Elle répète sans cesse que son seul souhait est de mourir. Olga est très consciente de son état. Gynécologueobstétricienne de profession, elle a mis au monde « la moitié de la ville de Sukhumi ». « Mais je n’aipas eu d’enfant, soupire-t-elle, et aujourd’hui, je n’ai personne pour prendre soin de moi. » Les équipes de MSF, du CICR et de Première Urgence s’organisent alors pour prendre soin d’elle.

Louisaet Olga

9A b k h a z i e – d é c e m b r e 2 0 0 2

Quand on est Quand on est vulnérablevulnérable

EEN ABN ABKKHAHAZZIIEESe soigner, se loger, se nourrir, recevoir un soutien psychologique sontdes besoins de première nécessité.

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Il y a neuf ans, à la fin de la guerre et de ses études à l’université de Moscou, le docteur IrinaAchouba est revenue au pays, prendre la barre du département de neurologie du « cityhospital » de Sukhumi, le seul de toute l’Abkhazie. Elle a trouvé le navire dans un piteux état.Il l’est resté, faute de moyens pour le renflouer. Des trous dans les canalisations empêchentl’utilisation des toilettes : les infirmières font circuler les cuvettes en plastique qui servent debassins aux patients. Ces derniers se relaient pour dormir à tour de rôle dans les quelques litséquipés d’un sommier et d’un matelas. Les autres se contentent de matelas hors d’âge poséssur des planches. Un calvaire pour des patients en partie paralysés, dont la majorité, âgée de50 à 80 ans, souffre de graves problèmes cardio-vasculaires.Sans argent pour acheter les traitements prescrits par leur médecin, que l’hôpital n’a pas nonplus les moyens de leur donner, les patients arrivent à la dernière minute, quand la maladie apeu de chances d’être guérie. « Même ceux qui perçoivent la pension russe ne peuvent paspayer les traitements. Ça m’arrive de les acheter moi-même », rapporte le docteur Irina quis’efforce quand même de soigner, sans moyens : « Je fais ce que je peux. Je suis à la foisneurologue, psychologue et généraliste. J’essaie de les soutenir… »Les patients meurent à l’hôpital ou retournent finir leurs jours chez eux. Seuls les trèsindigents, ceux qui n’ont plus aucune famille, trouvent un avantage à rester : l’animation desva-et-vient du personnel et des visiteurs comble leur solitude…

10

Se soigner

11A b k h a z i e – d é c e m b r e 2 0 0 2

Raïssa, 72 ans, est clouée au lit. Elle ne peut plus bougerni les jambes, ni le bras gauche. Il y a dix jours, cettefemme qui vit seule dans un appartement délabréd’Otchamchira a crié « je me sens mal ». Sa voisine l’aretrouvée en partie paralysée, muette, victime d’uneattaque cérébrale. Raïssa est russe. Elle a été mariée à unGéorgien qui est décédé. Son fils unique vit en Russie etne donne plus signe de vie. Sa voisine, qui vit seule àl’étage supérieur avec un fils tuberculeux, prend soind’elle, dans la mesure du possible: « Tant que je suis là,elle ne mourra pas de faim, mais je n’ai ni la force, ni lescompétences pour la soigner. Hier, pour la retourner, j’aidû demander l’aide d’un militaire qui passait dans la rue.Je lui mets de l’huile de table sur ses escarres, pouradoucir… je n’ai rien d’autre. »

Des personnesâgéesmalades…

…face à un système desanté délabré…

Selon l’étude réalisée par MSF, 81 % des person-nes indigentes interrogées souffrent d’une mala-die chronique et ont donc besoin d’un suivimédical régulier.Les pathologies que rencontrent le plus couram-ment les médecins des programmes MSF sont:l’hypertension, les maladies cardio-vasculaires,les maladies respiratoires, les maladies gastro-intestinales, les infections et certaines maladiesdes muscles et du squelette. L’ensemble de cesmaladies représente 70 % des pathologies dia-gnostiquées parmi la population vulnérable.

Déstructuré à la suite de la chute du systèmesoviétique, détruit par la guerre, asphyxié parl’embargo économique, le système de santéabkhaze connaît de graves dysfonctionnements.Une partie des hôpitaux et dispensaires ont étédétériorés, voire détruits par les combats. Peud’entre eux ont été réhabilités. Rares sont ceuxqui sont entretenus, faute de moyens.Le matériel médical et les médicaments fontcruellement défaut. La pharmacie centrale n’estpas approvisionnée. Hormis les donations desorganisations de secours, les seuls médicamentsdisponibles arrivent par quelques circuits privéset sont hors de prix pour les plus pauvres.Le personnel médical est en sous-effectif, souventâgé et mal rémunéré. Les médecins et infirmièresnon abkhazes chassés par la guerre n’ont pas puêtre tous remplacés. Les jeunes en formation àl’extérieur hésitent à revenir dans un pays où leuravenir semble sans issue. Il n’est donc pas rare detrouver à la tête des services hospitaliers desmédecins âgés de plus de 80 ans, dédiés à un tra-vail qui leur permet à peine de survivre. La fai-blesse des salaires et l’irrégularité des versementsobligent le personnel à s’absenter pour tenter degagner sa vie à l’extérieur.Enfin, la régionalisation du système de santé laisse les budgets des hôpitaux à la charge d’ad-ministrations locales, encore plus démunies quel’Etat. Il est ainsi impossible d’accéder aux soins

Les jeunes chirurgiens du « city hospital » de Sukhuminous emmènent dans la chambre de cette patiente qu’ilsont déjà opérée deux fois et pour laquelle ils prévoientune amputation dans la semaine, dès que le matériel etles médicaments fournis par MSF seront à leurdisposition. Taïssia, 73 ans, n’est pas inconnue dans leservice: elle y a travaillé comme infirmière pendantquarante-neuf ans. Souffrant depuis vingt ans de diabèteet d’insuffisance vasculaire, elle se soignait toute seuleavec des médicaments qu’elle achetait. A la retraite avecune pension de 30 roubles, elle n’a plus eu les moyensde les payer. Il y a quelques semaines elle a étéhospitalisée après s’être blessée en se coupant un onglede pied. Les tissus d’une de ses jambes sont nécrosés.Elle souffre et menace de se suicider si on ne lui fournitpas un médicament en perfusion qui la soulagerait. Sesvoisins lui en ont acheté une fois, avant de quitter le pays.Elle ne peut pas rentrer chez elle car elle n’y a personnepour prendre soin d’elle. Son mari, géorgien, est décédé. Sa fille s’est mariée et n’a plus donné signe de vie.

spécialisés hors de Sukhumi. Pour consulter unophtalmologiste, les patients doivent se rendre à la capitale. Une démarche difficile àaccomplir pour les personnes âgées isolées quisont pourtant nombreuses à souffrir de problè-mes de vision, en particulier de cataractes.Au total, pour la population abkhaze, avoir accèsaux soins nécessite des revenus conséquents etun réseau de relations, moyens dont sont totale-ment dépourvues les personnes indigentes.

12A b k h a z i e – d é c e m b r e 2 0 0 2

…sous perfusiondes organismesde secours

La majorité des personnes indigentes a besoind’un suivi médical. MSF a donc mis en place unprogramme qui s’efforce d’apporter une solu-tion aux trois problèmes majeurs identifiés parses équipes: les difficultés d’accès aux soins(dont la chirurgie), le manque de médicamentset l’absence d’autonomie des patients cloués àdomicile par leur maladie.En 2002, MSF a réorganisé son programmed’accès aux soins pour les personnes indigentes.Deux objectifs principaux lui ont été assignés:offrir des soins médicaux gratuits aux personnesindigentes et réduire la mortalité pour les hospi-talisations d’urgence. Dans les hôpitaux des huitprincipales villes du pays une salle de consulta-tion a été réhabilitée. Un médecin de l’hôpital aété identifié qui consulte gratuitement lespatients indigents et effectue des visites auxdomiciles de ceux qui sont alités.A Sukhumi, où se trouve la plus forte concen-tration de personnes indigentes, les patientspeuvent venir consulter au dispensaireAbasinskaïa réhabilité à cet effet et totale-ment pris en charge par MSF. Une équipemobile composée d’un médecin et d’uneinfirmière, employés par MSF, se consacre à lavisite à domicile des patients indigents qui nepeuvent pas se déplacer. Trois autres dispen-

saires soignent gratuitement les personnesindigentes.Dans toutes ces structures, MSF fournit gratuite-ment les médicaments pour les maladies dontsouffrent le plus couramment les personnesindigentes 5. Aujourd’hui l’essentiel des besoinsen médicaments pour ces pathologies est doncainsi couvert par les donations de MSF.Pour les patients indigents, MSF fournit enmédicaments les hôpitaux régionaux et l’hôpi-tal central « city hospital » de Sukhumi. Unstock médical permettant de stabiliser l’état desanté des nouveaux hospitalisés pendant lesquarante-huit heures suivant leur admissioncomplète ce dispositif.Enfin, MSF effectue chaque mois une donationen médicaments et matériel au départementchirurgie du « city hospital » de Sukhumi, quidoit permettre à l’équipe de réaliser une ving-taine d’opérations chaque mois.L’ensemble du programme est entièrementfinancé sur fonds propres. Le budget prévision-nel pour l’année 2002 est de 221734 euros.De son côté le CICR approvisionne les serviceschirurgicaux de cinq hôpitaux et fournit le maté-riel médical et les médicaments pour les soinsdes personnes indigentes pendant les premièresquarante-huit heures. Il finance également lesquatre banques de sang du pays.Enfin, dans la région de Gali, sous la surveillancedes Nations unies, en raison de l’instabilité parti-culière qui y règne, ces dernières organisent desconsultations gratuites dont bénéficient les per-sonnes indigentes.5 Maladies respiratoires, maladies gastro-intestinales, infec-

tions et certaines maladies des muscles et du squelette.

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Peu de soinshors des villes

Aujourd’hui, la majorité des 18700 personnesindigentes identifiées par MSF et le CICR viventen milieu urbain et a donc un accès aux soinsminimum, mais uniquement à travers les struc-tures de santé soutenues par ces organisationsdans les villes.Hors des villes, l’accès aux soins des personnesindigentes est beaucoup plus aléatoire, en raisondes difficultés de transport. Souhaitant privilégierla qualité des soins et la relation avec les patients,MSF a décidé de concentrer ses efforts là où lespersonnes indigentes sont les plus nombreuses.Faute d’autres partenaires, cette orientation aprivé un peu plus les populations rurales d’unaccès aux soins gratuit et de proximité.L’approvisionnement en médicaments essentielsdes points infirmiers (felcher points) situés enmilieu rural a donc été arrêté. Or, l’infrastructuredes transports étant complètement défaillante,les personnes indigentes vivant dans ces régionsont des difficultés à se rendre dans les capitalesrégionales, et se retrouvent désormais dépour-vues de médicaments.Il est donc urgent que le ministère de laSanté ou une autre organisation médicalesoient financés pour prendre le relais etapprovisionner ces structures en médica-ments.

Akamara, ville fantôme d’un curieux mélange de citéminière et de station thermale, abritant une sourcesulfureuse, au cœur des montagnes abkhazes, à unevingtaine de minutes en voiture de Tkwarcheli, lacapitale régionale. Devant l’immeuble où vit laresponsable de l’infirmerie (felcher point), un hommeen chemise et pantalon sombres, usés mais propreset repassés, aborde les volontaires de MSF. Agé d’une quarantaine d’années, le visage creusé, lesyeux cernés, très maigre, il est très essoufflé etrespire avec peine. En pleine crise d’asthme, il est aubord de l’asphyxie. Il se précipite sur le flacon desalbutamol que le médecin sort de la malle d’urgence.Lorsqu’il reprend son souffle, il nous explique qu’il n’aplus de médicaments et a marché deux kilomètres àpied pour venir en chercher. Mais l’infirmière estabsente et de toute façon son stock est vide.L’angoisse et la colère le gagnent et il reproche àMSF de ne plus alimenter le felcher point enmédicaments. Ancien mineur, asthmatique depuisquinze ans, il doit prendre du salbutamol tous lesjours et des injections d’adrénaline en cas de criseaiguë. Il devra désormais marcher douze kilomètresjusqu’à Tkwarcheli pour se procurer son traitement.

Prise en chargedes pathologieschroniques etlourdes: un luxeinaccessible?

Nasik, 22 ans, a toujours été épileptique. Jusqu’à ce quela guerre éclate, elle prenait chaque jour un médicamentqui avait stabilisé sa maladie. Elle n’avait quasiment plusde crises. L’absence de traitement pendant le conflit aaggravé son état. Aujourd’hui Nasik n’a plus toute sa tête.Elle fait régulièrement des crises, que sa mère tente dejuguler en la prenant dans ses bras, en la calmant. « Je nedois pas la perdre de vue. Si elle fait une crise en monabsence, c’est la catastrophe. Elle a déjà été hospitaliséecinq fois. Mais à l’hôpital non plus ils n’ont pas souventles médicaments. » Le traitement qui permettraitd’empêcher Nasik de faire des crises coûte deux roubles(0,06 euro) par jour…Le système de santé abkhaze n’a pas les moyens

de prendre en charge le suivi médical et si besoinchirurgical des patients atteints de maladies gravescomme les cancers. Les médicaments pour traiterces pathologies ne sont pas fournis par MSF, carleur prescription nécessite un suivi que l’organisa-tion n’est pas en mesure de prodiguer.De même les médicaments pour le traitementde maladies, comme l’épilepsie, qui touchentpeu de personnes, ne sont pas fournis. Pourtantl’absence de traitement est souvent dramatique

pour les personnes atteintes. Enfin, les servicesde chirurgie, qui peinent déjà à prendre en char-ge les interventions en urgence, ne peuventassurer les opérations concernant des patholo-gies qui, sans être vitales, amélioreraient pour-tant considérablement l’état de santé et l’auto-nomie des patients.

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Se loger,se nourrir…

Le bâtiment qui donne sur la rue abrite un centre de musculation. Le porche franchi, il fauttraverser une cour où s’amoncellent carcasses de voitures et tas de détritus. Tout au fond àgauche, trois marches mènent à une pièce sombre dont l’espace est occupé par un lit et unecuisinière rouillée. Au mur des fils déconnectés s’échappent d’un compteur électrique. Une odeurmêlée d’urine et de moisi prend à la gorge. Sous la couverture s’esquisse la forme d’un corpsmenu qui pourrait être celui d’un enfant. Mais c’est une chevelure blanche comme neige qui s’enéchappe et des gémissements empreints de lassitude. Alexandre, le médecin, soulève lacouverture et entame doucement la conversation en tentant d’examiner la vieille dame, trèsamaigrie et souffrant d’escarres. Il y a dix jours, Ludmilla, 90 ans, trottinait encore dans lequartier. Elle est tombée et s’est cassé le col du fémur. Des voisins l’ont ramenée chez elle.L’équipe de MSF n’a été prévenue que ce matin. Ludmilla rechigne à se laisser examiner etpousse des hurlements quand Alexandre et Illana l’infirmière changent son drap. Elle a mal dèsqu’on la touche. Tous deux lui apportent les premiers soins. L’infirmière reviendra demain. Ellelaisse du matériel pour que le bénévole de la Croix-Rouge qui lui apporte son repas chaudquotidien puisse changer les pansements. Alexandre dit qu’elle s’en sortira « si elle a vraimentenvie de vivre ». Sinon, à force d’être alitée, elle risque la pneumonie fatale.

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Organisation médicale, Médecins Sans Fron-tières privilégie l’acte de soin. Ses volontaires setrouvent parfois désemparés lorsqu’ils sontconfrontés à tous les autres problèmes posés parles conditions de vie déplorables des malades,conditions qui ont un impact déterminant surleur état de santé.Selon l’enquête menée par les assistantessociales de MSF auprès de personnes dont lessoins sont déjà pris en charge par l’organisa-tion, un patient sur quatre a besoin d’aidealimentaire et un sur cinq doit affronter desproblèmes tels que le manque d’électricité,d’eau, de vêtements, l’absence de moyens detransport et les difficultés à garder un certainniveau d’hygiène.

Humidité, absence d’aération l’été, de chauffa-ge l’hiver, insectes et rats en abondance sont lelot commun des logements où vivent les per-sonnes indigentes d’Abkhazie, après deux ansde guerre et dix ans sans entretien, crise éco-nomique oblige. Lorsque les réseaux sont enco-re intacts, eau courante et électricité sont four-nies par intermittence. L’impact sur les condi-tions d’hygiène et la santé des habitants estdésastreux.Dans son enquête, Médecins Sans Frontières aévalué les conditions de logement selon quatrecritères: la présence de meubles, l’état intérieur,l’état extérieur, la propreté. 36,8 % des person-nes interrogées vivent dans de « mauvaises »conditions de logement.

LES PROJETS DE RÉHABILITATIONLes habitants d’Abkhazie n’ont pas les moyensde réhabiliter leurs logements. Les organisationsde secours, au gré des financements, sont par-venues à en améliorer quelques-uns.Jusqu’en 2000, l’organisation de secoursPremière Urgence a ainsi réhabilité lestoits, les fenêtres, la plomberie ou le chauf-fage dans les logements de personnes trèsindigentes, en particulier dans les bâti-ments collectifs. Les travaux étaient réali-sés par des ouvriers locaux, vivant eux-mêmes dans des conditions socio-écono-miques difficiles et trouvant là un moyende gagner temporairement leur vie. Maisles financements s’étant taris, ces activitésse sont arrêtées.De plus, l’impact de ces restaurations sur l’amélioration des conditions de vie est restélimité par un accès déficient aux réseauxd’eau et d’électricité.

Se loger

Au-delà de l’amélioration de l’habitat indivi-duel, se pose donc aussi la question de la res-tauration des infrastructures. Ainsi le CICR aentrepris la réhabilitation d’urgence d’unepartie des réseaux d’adduction d’eau des villesde Sukhumi et d’Otchamchira, permettantaux habitants de ces deux villes de recevoirl’eau courante plusieurs heures par jour.

L’appartement est rangé mais ne semble pas habité. Uneforte odeur de moisi imprègne les lieux, le plafond tombepar plaques à cause de l’humidité, le balcon menace des’écrouler. Anna nous emmène aux étages supérieurs. Letoit s’est en partie effondré. L’eau de pluie s’infiltre dansles murs, imbibés comme des éponges, le plafond est enruine, le parquet pourri. Au quatrième, Anna a disposé unattirail de bouteilles et de boîtes de conserve vides pourlimiter les fuites vers son appartement. « Le prochain c’estle nôtre ». Avec son mari Anatoli et leur voisine ils sontles derniers des Mohicans dans cet immeuble situé aubord de la rivière qui traverse l’ancienne ville minièrefantôme d’Akamara. L’hiver, la neige leur arrive auxgenoux. Dans la journée, ils se tiennent dans une petitecabane auprès de la rivière et se réchauffent au poêle. Ilsne montent dans leur appartement, privé d’électricité,d’eau et de chauffage, que pour dormir. Chaque matin à10 heures, ils se rendent à l’ancienne école prendre leurunique repas chaud à la cantine du CICR. Leurs maigrespensions passent dans le remboursement des opérationsdes yeux qu’a subies Anatoli, sans grand résultat.Aujourd’hui, à 70 ans, il est aveugle et Anna, qui a lemême âge, cache derrière une hyperactivité de façadel’angoisse de ne plus voir son fils unique, « bloqué » horsd’Abkhazie depuis la guerre. Toute leur famille enBiélorussie est morte à la suite de l’accident nucléaire deTchernobyl. Ils parlent encore avec horreur de l’état danslequel ils ont trouvé la population, lors de leur dernièrevisite là-bas, avant la guerre. Puis ils sourient et disentqu’ils sont contents de vivre à Akamara… cette villefantôme au milieu des montagnes où la nature regagne le terrain jadis conquis par les hommes.

Plus de 51 % des personnes indigentes interro-gées lors de l’enquête socio-démographiquevivent dans une « mauvaise » situation alimen-taire: sans potager, volaille ni bétail, sans provi-

Se nourrir…

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sions, ils se nourrissent grâce à la solidarité d’a-mis ou de parents ou grâce à l’aide des orga-nisations de secours. 11,4 % survivent dansune situation alimentaire encore plus grave,que l’enquête qualifie de « très mauvaise » : ilsne reçoivent aucune aide de quiconque 6.

LES SECOURS D’URGENCELe CICR assure aujourd’hui la sécurité alimen-taire de plus de 19000 personnes indigentesen Abkhazie. 5 351 personnes reçoiventchaque jour un repas chaud préparé et distri-bué dans un réseau de 21 cantines répartiesdans tout le pays. Sept équipes mobiles sechargent de les porter à domicile aux 1411personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Cesont les bénévoles de la Croix-Rouge abkhazequi s’acquittent de cette tâche. Ils apportentégalement aux personnes indigentes leur pen-sion, les médicaments, font le ménage… maissurtout brisent leur solitude en assurant unlien avec le monde extérieur. Ces bénévolesvivent eux-mêmes dans des conditions socio-économiques très difficiles.2316 personnes vivant en zone rurale, tropéloignées des lieux de cantines, reçoiventchaque mois un colis de nourriture qui leurapporte le nombre de calories nécessaire à leursurvie. 11355 autres, qui peuvent en partie sub-venir à leurs besoins, reçoivent tous les deuxmois un colis qui complète leur ordinaire.Sans cette assistance, un tiers de ces bénéfi-ciaires, soit plus de 6000 personnes, seraientmortes de faim. Pourtant cette assistancedécisive, si elle empêche des milliers de per-sonnes de mourir de faim, ne couvre pas l’en-semble de leurs besoins alimentaires.Seuls 70 % des bénéficiaires de l’aide médica-le de MSF reçoivent une aide alimentaire desorganisations de secours.Quant à celles qui ne reçoivent rien du tout,c’est en général parce qu’elles peuvent se pro-curer une partie de leur nourriture. Malheu-

Anastasia, 85 ans, dit au médecin qu’elle a faim. Elle se plaint de ne manger qu’une fois par jour, vers10 heures, le plat de haricots ou de porridge que lui apporte le bénévole de la Croix-Rouge. Elle regrette le cornet de papier dans lequel elle recevait du sucre. Une petite douceur supprimée.« C’est tout le plaisir qui me restait. Qu’est-ce que je vais mettre dans mon thé? » Nebia, 80 ans,quasi aveugle, essaie de revendre la ration de haricots, qui lui font mal à l’estomac, pour s’acheter dusucre. Raïssa, clouée au lit, ne peut pas cuisiner les produits du colis mensuel du CICR, son estomacne supporte pas les haricots. De temps en temps, une ex-voisine lui apporte du fromage blanc etquelques œufs durs. Fromage blanc aussi pour Galina, 86 ans, grabataire et aveugle, les jours fastesoù son mari Vladimir, courbé en deux par la poliomyélite, gagne quelques roubles en réparant unependule. Des milliers d’autres personnes indigentes survivent grâce à la ration du CICR, établie pourapporter le nombre de calories quotidiennes nécessaires à un adulte.

reusement elles en ont rarement en quantitéet en qualité suffisante. Ne bénéficiant pas del’aide alimentaire, elles sont donc en perma-nence sous-alimentées ou carencées. La popu-lation vieillissant et la situation économique nes’améliorant pas, il faut s’attendre à ce que lenombre de personnes dans l’impossibilité de senourrir par elles-mêmes continue d’augmenter.

LE SOUTIEN AUX PROJETSDE DÉVELOPPEMENT AGRICOLEEn dehors de l’aide alimentaire d’urgence,d’autres types d’assistance, destinés à péren-niser la sécurité alimentaire, ont été menés enAbkhazie. Ainsi de janvier 1995 à l’automne2000, en plus des distributions quotidiennesde repas et de rations alimentaires à l’inten-tion de 3 700 personnes indigentes, l’organi-sation espagnole Accion contra el Hambre afourni une assistance technique et distribuédes semences pour les jardins potagers. Elle aainsi aidé des familles à remettre en culturedes parcelles de terre attribuées par les auto-rités. Ces programmes se sont arrêtés à l’au-tomne 2000 7, faute de financements. Si denouveaux fonds sont accordés, les activitésagricoles de « sécurité alimentaire » devraientreprendre en 2003, dans le cadre d’un projetqui concernerait 1 500 à 2 000 personnesdans la région de Gali : les fruits d’une pro-duction agricole à petite échelle, réalisée pardes personnes à revenus bas, seraient distri-bués aux personnes les plus indigentes à tra-vers un réseau économique de solidarité.Ce type de projets permettrait aux personnesconcernées d’assurer leur autonomie alimen-taire mais aussi d’entrevoir une possibilitéd’avenir professionnel, de retrouver un projetde vie.6 Identifiées à cette occasion, ces personnes sont sans doute

aujourd’hui prises en charge par le programme du CICR.7 Les 3700 bénéficiaires des distributions de nourriture sont

désormais pris en charge par le programme du CICR.

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Une des solutions pour améliorer les condi-tions de vie des personnes âgées indigenteset isolées consiste à leur proposer de séjour-ner avec d’autres personnes dans un bâti-ment, où nourriture et soins leur sont prodi-gués quotidiennement. Il existe deux rési-dences de ce type en Abkhazie, toutes deuxbasées à Sukhumi.La première, installée dans un bâtiment del’hôpital des maladies infectieuses, accueilleune quinzaine d’hommes et de femmes,dont plus de la moitié ne peuvent plus sedéplacer seuls. Or les toilettes sont à l’étageinférieur à celui des chambres. L’eau cou-

rante ssort d’un robinet situé à l’entrée dubâtiment. Une jeune femme est chargée deprendre soin de tous les pensionnaires pen-dant la journée. La nuit ceux-ci restent seuls,reliés à l’hôpital par téléphone. Le fonction-nement de cet établissement est financé jus-qu’à fin 2002 par le Haut Commissariat desNations unies pour les Réfugiés.L’autre résidence est une maison en rez-de-chaussée, réhabilitée par United NationVolonteers, avec eau courante, cuisine, ter-rasse donnant sur une cour-jardin, toiletteset salle de bains, grande chambre-dortoir oùvivent cinq femmes. Elles reçoivent la nourri-ture du CICR et la visite régulière du méde-cin MSF. Une personne veille sur elles en per-manence.D’autres établissements à dimension humai-ne de ce type pourraient être créés. Une cen-taine de personnes âgées indigentes, quiseraient soulagées de venir y vivre, ont déjàété identifiées par les travailleurs sociaux deMSF et du CICR.

Les résidencespour personnesâgées

C’est une petite maison au milieu d’une cour, agrémentée d’un bout de jardin. On y accède par uneterrasse, suivie d’une véranda dans lesquelles les pensionnaires peuvent se tenir, suivant la saison.Cuisine, salle de bains et toilettes sont propres. Dans la grande pièce principale ensoleillée, cinq litsavec leurs tables de nuit, encombrées du précieux petit fatras de ceux qui n’ont pas grand-chose:photos, icônes, réveil, boîtes de médicaments…Quatre vieilles dames, sagement assises sur leur lit, attendent avec une impatience contenue deraconter leur histoire aux visiteuses qui animent leur routine.Natalia, 80 ans, russe, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, souffre d’une maladie cardiaque et perd la vue. Elle vivait dans un endroit tellement isolé que même le bénévole du CICR ne pouvait luilivrer ses repas. Elle a travaillé toute sa vie dans un orphelinat, mais n’a pas d’enfants pour s’occuperd’elle.L’autre Natalia, 75 ans, n’a pas non plus d’enfants. Par le passé, un médecin lui a déconseillé d’en avoircar elle souffre de rhumatismes cardiaques. Il y a dix jours, elle vivait encore les pieds dans l’eau, dans une cabane en bois, au milieu d’un marécage.Vira, 70 ans, prend ses médicaments mais ne sait pas que la maladie qui lui ronge le ventre est uncancer. Son chagrin est tout entier tourné vers la perte de ses enfants, disparus pendant la guerre. Les services de recherche de la Croix-Rouge n’ont jamais retrouvé leur trace.Marina, 72 ans, agace un peu ses compagnes. Elle fume et boit pour oublier les malheurs de sa vie.Originaire de Leningrad, elle a perdu toute sa famille durant le blocus de la ville de 1941 à 1943.Orpheline à 13 ans, elle échappera aux purges staliniennes, dans lesquelles disparaissent tous sesamis. Puis la diphtérie emporte son unique enfant à l’âge de 3 ans et elle sombre dans la dépression.En 1973 avec son mari, elle reconstruit une vie et une maison en Abkhazie. Les bombardements de la guerre lui enlèveront mari et toit.Alexandra, 97 ans, est déjà partie faire son tour en ville. « Elle ne tient pas en place », remarquent sescompagnes. Ukrainienne, elle a vu mourir ses enfants pendant la famine de 1933, et le reste de safamille pendant la guerre de 39-45. Envoyée au travail dans les plantations de thé en Abkhazie, elle est rattrapée par la faim et les bombes pendant la guerre contre la Géorgie. Une photo d’elle sur la table de nuit la montre en manteau et foulard, un sourire joyeux aux lèvres, vivante.

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Recevoir une aide psychologique

Au bout d’un chemin, une maison au milieu d’un champ, dans un hameau proche de la vallée de laKodori, où les armes parlent encore régulièrement. Nous venons rendre visite à des personnes âgéesque nous a signalées l’administrateur du village. Une femme d’une trentaine d’années, les cheveuxen bataille, le regard anxieux, visiblement nerveuse, nous accueille à la barrière. Elle explique qu’elleest une ancienne voisine, qu’elle est seulement venue passer l’été pour aider ces deux vieillespersonnes dont le père a autrefois beaucoup soutenu sa propre famille. Ces gens vivent dans unepièce qui ressemble à une étable, à l’arrière de la maison. Une table avec une toile cirée crasseuse.Un canapé défoncé sur lequel un vieil homme épluche des noisettes. Il est handicapé physique etmental.Assise sur une chaise, ses pieds nus posés sur le sol de terre battue, sa sœur reste silencieuse et nesemble pas bien comprendre ce qui se passe. La jeune femme, quant à elle, n’arrête pas de parler,très vite. Elle est très en colère parce qu’une représentante d’une organisation de secours a décidéque ces personnes âgées ne recevraient pas d’aide alimentaire. Ses propos deviennent confus:« Cette femme a vu un épi de maïs sur la table et a dit qu’ils avaient de quoi manger. Elle estsûrement mingrèle, elle n’aime pas les Arméniens. » Soudain elle éclate en sanglots et parle de sesdeux enfants: ils ont été tués pendant la guerre…

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Une populationtraumatisée

La détressepsychologique

« UN MOT DE RÉCONFORT BIEN CHOISI, UNEVISITE AU BON MOMENT, LE SENTIMENT QUEQUELQU’UN N’EST PAS INDIFFÉRENT À VOSPROBLÈMES, TOUT CELA PEUT ÊTRE PARFOISPLUS UTILE QUE DES MÉDICAMENTS. »Asida Lomia, assistante sociale MSF, Sukhumi 8.

« Il y a dix ans, la population souffrait essentiel-lement des traumatismes de la guerre.Aujourd’hui s’y ajoutent le désespoir causé parla détresse sociale et l’absence de perspectivesd’avenir », constate la psychologue abkhazeArda Inal-Ida.La peur que la guerre reprenne, alimentée parles différents épisodes conflictuels de ces der-nières années, entretient les traumatismes.Lorsque le bruit des tirs parvient de la vallée dela Kodori, située à une cinquantaine de kilomè-tres de Sukhumi, les habitants redoutent le pire.« La maîtresse d’école de mon fils n’a pas pusupporter cette situation angoissante. Elle aquitté le pays, laissant désemparés des enfantsauxquels son activité apportait pourtant un pré-cieux équilibre », regrette Arda.« Les anciens combattants, qui étaient des gensimportants pendant la guerre, se retrouvent àmendier pour s’acheter des cigarettes », regret-te la psychologue. Sans travail, privés de toutcontrôle sur leur avenir et celui de leur famille,ils dépendent économiquement des femmes.Ce sont elles qui font vivre les familles grâce aupetit commerce à la frontière avec la Russie.Les hommes âgés de 25 à 30 ans, qui ont véculeur adolescence pendant la guerre, sont parti-culièrement touchés. « A cet âge, le systèmepsychique n’est pas encore très solide,remarque Arda. Or le traumatisme causé par laguerre l’empêche de se construire. Devenusadultes, beaucoup souffrent de désordrespsychologiques. » Les hommes sont ceux quisouffrent le plus de problèmes psychologiquesmais ne vont pas consulter, question de cultureet par manque de moyens. Ce sont les femmesqui vont parler de leurs problèmes familiaux.La dérive vers la consommation de drogues etd’alcool, pour tenter de soulager les souffrancescausées par ces désordres post-traumatiques,crée des conflits dans les familles et renforce laspirale de détresse psychologique.La toxicomanie est souvent pratiquée de façoncollective. S’en libérer nécessite donc, au-delàdu traitement médical, un soutien psycholo-gique renforcé.

La misère socio-économique s’ajoute au trau-matisme de la guerre et renforce la détressepsychologique des plus indigents.Les personnes âgées indigentes, qui ont menéune vie relativement protégée par le systèmesocial soviétique, sont celles qui ont le plus demal à s’adapter aux changements imposés parla chute du système soviétique, la guerre, puisl’embargo.La plupart d’entre elles se sentent abandon-nées non seulement par leur famille mais aussipar la société qui ne les prend plus en charge.Dans l’enquête menée en avril 2002 par les assistantes sociales de Médecins SansFrontières auprès des personnes indigentes, lademande de soutien dans ce domaine arriveen deuxième position, juste après les soinsmédicaux.Après la ville de Sukhumi qui concentre le plusgrand nombre de personnes indigentes dupays, les régions de Gagra et Goudaouta sontcelles où la demande de ces dernières en sou-tien psychologique est la plus forte. Tradition-nellement opulentes, ces anciennes stationsbalnéaires restent aujourd’hui relativementmoins atteintes par la pauvreté que les autres.Moins nombreuses, les personnes indigentess’y sentent donc plus isolées et abandonnées.8 « The right world of comfort, a visit in right moment, a feel-

ing that there is someone not indifferent to your problems

can do more use sometimes than drugs. »

Yeva est dans un état dépressif. Elle vit dans un village àune dizaine de kilomètres de Sukhumi. Lorsque nousvenons lui rendre visite avec l’assistante sociale deMédecins Sans Frontières, elle se met en colère puiséclate en sanglots. Elle s’est vue refuser l’aide alimentaireparce qu’elle est censée pouvoir se nourrir avec le produitde son jardin. Mais elle dit qu’elle souffre d’hypertensionet n’a pas la force de cultiver. Son mari est mort d’uncancer. Elle vit avec ses trois enfants. L’aînée estépileptique et doit être sans cesse sous surveillance, carle traitement qui la stabiliserait coûte trop cher. Lors d’unecrise elle est tombée dans le feu et s’est gravement brûléla cuisse. Le cadet est aveugle et le benjamin estasthmatique. « Vous voyez comment nous vivons! Je voissouffrir mes enfants et je ne peux rien faire pour eux. Jevoudrais mourir pour arrêter mes souffrances. »

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Un système de soinspsychologiquesindigent

L’hôpital psychiatrique de Sukhumi est occu-pé essentiellement par des patients qui étaientbien suivis avant la guerre et qui ont vu depuisleur état s’aggraver, faute de traitement.Comme dans tous les autres hôpitaux, lesmédicaments y font défaut.Une petite clinique de désintoxication, crééepar un psychiatre, accueille une dizaine depatients dépendants de l’alcool ou des dro-gues. Elle est financée par l’Etat, mais chaquepatient doit payer ses médicaments, quicoûtent extrêmement cher.Seulement trois professionnels, formés en sou-tien et thérapie psychologique sont actuelle-ment en activité auprès des 180000 person-nes résidant en Abkhazie. Quelques étudiantssont actuellement en formation en Russiemais reviendront pratiquer leur métier enAbkhazie… à condition de pouvoir y gagnerleur vie.Aujourd’hui, les équipes MSF réfèrent lespatients ayant besoin d’un soutien psycholo-gique à Arda Inal-Ida, débordée, qui donne

des consultations dans le cadre des rares orga-nisations actives dans ce domaine :- Le Centre pour la jeunesse de Sukhumi s’a-dresse exclusivement aux enfants.- Le Centre pour les programmes humanitai-res, outre des consultations classiques, propo-se un service d’écoute psychologique par télé-phone. Quatre « écoutants » ont été formésen Russie à cet effet. Ils ont reçu plus de 2400appels et donné plus de 500 consultations.Malheureusement les financements de ce pro-gramme doivent cesser fin 2002.- L’association des femmes de Gali se consacreplus particulièrement aux étudiants de cetterégion encore particulièrement fragile car trèsinstable sur le plan politique et militaire.Arda Inal-Ida suggère qu’en attendant leretour de la prochaine génération de psycho-thérapeutes diplômés, des intervenants soientformés à aider les personnes en détressepsychologique à exprimer leurs traumatismeset à se relaxer.Elle ajoute : « Mais aucun soin psychologiquene pourra apprendre aux gens à ne plus sepréoccuper de leurs problèmes d’argent. »Redonner à la population les moyens d’avoirdes projets, des activités, des succès, lui sem-ble donc un moyen de soulager notablementla détresse psychologique qui mine le pays.Un système de microcrédits, permettant auxindividus de monter de petites affaires, répon-drait en partie à cet objectif, tout en ébau-chant une trame de tissu économique.

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Conclusion

Aujourd’hui, le Comité International de la Croix-Rouge et Médecins Sans Frontières sont seuls à s’occuper dela survie alimentaire et de la santé de plus de 18000 personnes indigentes. Leur collaboration étroite nepermet pourtant pas de couvrir l’ensemble des besoins vitaux d’une population qui vit dans une extrêmedétresse socio-économique et psychologique. Logements insalubres, manque de chauffage, de vêtements,aggravent leur situation sanitaire.Depuis dix ans, la survie d’une personne sur dix résidant en Abkhazie n’est assurée que grâce à l’action desorganisations de secours. Mais les organisations locales ou internationales, susceptibles de leur portersecours dans ces domaines ont dû cesser leurs activités, faute de financements internationaux.Théoriquement, toutes ces activités devraient être mises en place par l’Etat et faire l’objet d’une aide audéveloppement. Mais tant que l’Abkhazie reste au ban de la communauté internationale, dans une situationde « non-guerre/non-paix », cette aide reste hypothétique.Aujourd’hui, à défaut de développement, les populations indigentes d’Abkhazie ont besoin de secoursd’urgence. Mais faute de projets et de financements d’envergure, leurs problèmes sont peu connus, lesévaluations indépendantes peu nombreuses.Une situation qui finalement s’apparente à un embargo humanitaire de fait, qui s’ajoute à l’embargocommercial et militaire imposé par les Etats voisins. Cependant, depuis le cessez-le-feu, le gouvernementgéorgien a toujours soutenu les opérations humanitaires de MSF pour l’Abkhazie.Des projets relevant de l’aide humanitaire d’urgence, qui amélioreraient le sort de cette population, ont étéidentifiés et des organisations sont prêtes à les mener à bien, à condition d’en avoir les moyens…Dans les infirmeries de la campagne abkhaze, l’approvisionnement en médicaments essentiels, pourrait êtrerepris par une organisation médicale, qui renforcerait le travail de Médecins Sans Frontières. Un réseaud’agents pourrait être formé pour apporter un soutien psychologique aux personnes indigentes. D’autresorganisations pourraient reprendre et développer la réhabilitation des logements les plus insalubres. Plusieurspetites résidences à taille humaine pourraient être ainsi réhabilitées qui abriteraient les personnes âgées lesplus en détresse, et dans lesquelles elles recevraient également nourriture et soins de la part de différentesorganisations.20000 personnes au moins vivent comme si le conflit n’avait jamais cessé depuis 1992. Précarisées, sansaucune aide gouvernementale ni étrangère pour faire face à des besoins vitaux, elles ont aujourd’hui besoind’une attention accrue et de secours. De toute urgence.

MSF dans le CaucaseMédecins Sans Frontières (MSF) est une organi-sation de secours privée et sans but lucratif dontl’objectif est d’apporter une aide médicale à despopulations éprouvées par des crises. Fondée surle volontariat, l’association est indépendante detout Etat ou institution, ainsi que de touteinfluence politique, économique ou religieuse.L’association a été créée en 1971 par des méde-cins décidés à intervenir en urgence dans ledomaine de la santé partout dans le monde oùsurviennent des guerres, des catastrophes d’ori-gines naturelle ou humaine. L’assistance est four-nie aux populations en détresse sans aucune dis-crimination de race, de religion, de philosophieou d’opinion politique.Chaque année plus de 2000 volontaires partentavec l’association. Actuellement plus de 1000expatriés travaillent dans plus de 80 pays. Lamajorité des financements de MSF est constituéepar des dons privés. L’autre partie provient dedonateurs institutionnels (ECHO, UNHCR).En 1999, MSF a reçu le prix Nobel de la Paix.

Les sections hollandaise, grecque et espagnolede MSF ont travaillé en Géorgie jusqu’en 2000.En 2002, la section française de MSF y mènedeux programmes:- consultation médicale pour la population vul-nérable d’un quartier de Tbilissi.- soutien au département chirurgie de l’hôpitald’Akhmeta, proche de la vallée de la Pankissi.

MSF est intervenu pour la première fois enAbkhazie pendant la guerre, en 1992, avec desactivités chirurgicales. Depuis, plusieurs autresprogrammes ont été mis en place. Certains sontaujourd’hui achevés, d’autres encore en cours:- Le programme de vaccination (PEV) com-mencé en 1994, s’est achevé en 1997.- Le programme de lutte contre la tuberculose,lancé en 1995, accueille 200 patients à l’hôpitalde Guliripchi dont une dizaine sont traités pourune tuberculose multirésistante.- Mis en place en 1993, le programme de dis-tribution de médicaments et matériel médicalet d’appui aux soins dans les structures desanté a été réorienté en janvier 2002 pourrépondre essentiellement aux besoins médicauxdes personnes indigentes. Il offre des consulta-tions médicales gratuites en dispensaire et àdomicile, des références hospitalières et desmédicaments gratuits.

MSF a mené une première opération de secoursdans la région du Caucase après le tremblementde terre de Leninakan en Arménie en 1988.Depuis, l’organisation est intervenue auprèsdes blessés de guerre, réfugiés et déplacés, vic-times des conflits qui ont secoué cette région,opposant Géorgiens et Ossètes du Sud,Géorgiens et Abkhazes, Ossètes du Nord etIngouches, Arméniens et Azéris, Russes etTchétchènes…Depuis 1994, à l’exception de la Tchétchénie, cesconflits ont cessé ou sont contenus. Mais aujour-d’hui encore, des centaines de milliers de victimesde guerre, de réfugiés, de personnes sans res-sources vivent dans une situation d’extrême pré-

Médecins Sans Frontières en Géorgie19a, Taboukachvili Street380008 Tbilissi00.995.32.99.95.1600.995.32.99.94.19msff-tbilissi@access.sanet.ge

Médecins Sans Frontières à ParisDocteur Christopher Brasher8, rue Saint-Sabin75011 [email protected]

carité, dans des pays exsangues dont les institu-tions sont incapables de répondre aux besoins lesplus vitaux des populations.Aujourd’hui MSF est toujours présent enArménie et au Nagorno-Karabagh, en Ingouchieet en Tchétchénie, en Géorgie et en Abkhazie.

En Géorgie

En Abkhazie

Dans le Caucase