Rapport Terra Nova - Séparation activités bancaires

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  • 7/30/2019 Rapport Terra Nova - Sparation activits bancaires

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    LA REFORME DE LA STRUCTURE DES BANQUES :UN ENJEU DEMOCRATIQUE MAJEUR

    Par Laurence ScialomProfesseure lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense, EconomiX

    Le 4 octobre 2012

    Avec la publication du rapport Liikanen le 2 octobre 2012, lEurope sempare enfin du dossier majeur

    de la rforme de la structure des banques. Cette note se propose dexpliquer pourquoi cette question

    est cruciale pour la stabilit financire future et pour dlier les mains des Etats en cas de crise

    bancaire afin que ceux-ci ne soient pas contraints de systmatiquement renflouer les banques. En

    effet, les systmes bancaires, particulirement en Europe, sont domins par des banques trop

    grosses, trop complexes et trop connectes pour faire faillite. Cet tat de fait contraint les Etats

    offrir une garantie implicite aux banques qui cre un environnement incitatif des prises de risques

    excessives. Cette note vise montrer que la sparation des activits qui peut prendre diffrentes

    formes est une partie de la solution. De fait, plusieurs grandes options de rforme sont

    envisageables : la sparation pure et simple sur le modle du Glass Steagall Act, le cloisonnement et

    la sanctuarisation de la banque de dtail la Vickers, linterdiction de certaines activits risques

    dans lesprit de la rgle Volcker du Dodd Frank Act ou le cloisonnement des activits de trading les

    plus risques la Liikanen.

    Les arguments en faveur dune rforme bancaire ambitieuse sont multiples. Les banques

    systmiques engagent de fait les contribuables les renflouer en cas de dfaut ou de risque dedfaut. Cette garantie implicite cre des distorsions de concurrence vis--vis des banques non

    systmiques dans la mesure o les banques systmiques se financent plus facilement et moins cher

    sur les marchs de gros de la liquidit. Cet avantage en termes daccs aux financements de march

    renforce leur vulnrabilit au risque de liquidit qui est dj fortement accru du fait de combiner les

    activits bancaires traditionnelles de collecte de dpts et octroi de crdit aux activits de trading. Or,

    la crise a montr que ce risque de liquidit est un risque vritablement systmique. Par ailleurs, plus

    la taille de bilan est importante plus la structure du bilan des banques est dforme en faveur du

    trading et au dtriment de lactivit de prt. Or cette dernire est vitale la socit contrairement

    une partie des activits de trading, notamment celles pour compte propre. Par ailleurs, contrairement

    ce qui est souvent nonc, la sparation des activits nimpliquerait pas de rduction de loffre de

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    prt dans la mesure o les banques commerciales pourraient toujours se financer sur les marchs de

    dette court, moyen et long terme. Par contre, en supprimant la subvention implicite que lEtat offre

    la banque de march du fait de son association la banque commerciale, la sparation aurait pourconsquence daccrotre les cots de financement des activits de march les plus risques. Il en

    rsulterait une meilleure tarification des risques, une baisse de profitabilit de ces activits et donc

    une rduction des incitations aux prises de risques excessives. Mais nest ce pas lun des objectifs

    majeurs de la rforme bancaire ? Enfin, lUnion bancaire europenne, premier pas vers un

    fdralisme salvateur rompant le cercle vicieux entre fragilit des banques et approfondissement de

    la crise des dettes souveraines nest politiquement acceptable que si le contribuable franais ou

    allemand na pas se porter garant de pertes gnres par la banque de march. Malgr tous ces

    atouts, la rforme bancaire ne portera tous ses fruits que si elle est couple des avances

    substantielles concernant les procdures de rtablissement et de rsolution des banques donnant

    aux rgulateurs de vritables pouvoirs sur le continuum allant de la rglementation la dfaillance

    des banques. Le rapport Liikanen met dailleurs en avant cette complmentarit.

    Le candidat Hollande a fait de la rforme de la finance un thme central de sa campagne. Lediscours du Bourget a marqu les esprits. Lheure est maintenant la transformation de lessai :passer du lyrisme galvanisant des formules de campagne une rforme vritable.

    Lagenda europen ne laisse pas place lattentisme : ce dbut dautomne a t marqu par lapublication du rapport Liikanen - du nom du prsident de ce groupe dexperts, par ailleurs gouverneurde la banque de Finlande - en charge de faire des propositions visant rduire la probabilit etlimpact dune faillite bancaire, sassurer du maintien des fonctions conomiques vitales et mieuxprotger les clients de la banque de dtail vulnrables . La convergence entre ce mandat et celuique sest fix notre Prsident est frappante, car derrire lapparente technicit du mandat du groupeLiikanen et des propositions quil fera, cest bien lenjeu dune finance plus responsable et enconvergence avec les intrts de la socit qui se profile. Les gouvernements en France et ailleursconsidrent gnralement que lintrt de leurs champions nationaux concide ncessairement aveclintrt national. Cette conviction a conduit les Etats laisser se dvelopper un systme bancaire deplus en plus concentr dont les acteurs ont acquis un tel poids quils nont plus craindre la sanctionultime du march quest la faillite.

    Les systmes bancaires sont donc domins par des banques trop grosses mais galement tropcomplexes et trop connectes pour faire faillite : des banques systmiques. Celles-ci sont souventdes banques universelles regroupant directement ou par des filiales les diffrents mtiers debanques de dtail, de banques de financement et d'investissement et de gestion dactifs. La Francenchappe pas cet tat de fait : nos champions nationaux sont des banques universelles etsystmiques. Les actifs dtenus par BNP Paribas reprsentent environ 100 % du PIB franais, delordre de 80 % pour le Crdit agricole et de 50 % pour la Socit gnrale et BPCE. Ces chiffresparlent deux-mmes : il y a bien en France un problme de banques trop grosses pour faire faillite.

    Dailleurs, sur la liste des 29 banques mondiales systmiques (SiFis, pour Systemically Important

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    Financial Institutions) tablie par le Conseil de stabilit financire, 5 sont des banques franaises(BNP Paribas, Crdit Agricole, Socit Gnrale, BPCE et Dexia virtuellement en faillite).

    Les banquiers franais dfendent pourtant avec force le modle de banque universelle affirmant quila fait preuve de sa solidit. Rappelons nanmoins que parmi les institutions systmiques renfloueslors de la crise financire globale, nombre taient des banques universelles. titre illustratif, on peutciter Citigroup, Fortis, Royal Bank of Scotland, UBS, Bank of America, Lloyds etc. La liste est bienplus longue.

    Comme nous lavions dj voqu avec Christophe Scalbert dans un rapport de juillet 2011 pourTerra Nova intitul dun capitalisme financier global une rgulation financire systmique 1, laquestion des options susceptibles de dlier les mains des Etats de sorte quils ne soient pluscontraints de systmatiquement renflouer les banques systmiques est un enjeu qui, au-del dtretechnique, est avant tout dmocratique. Cette note vise montrer que la sparation des activits quipeut prendre diffrentes formes est une partie de la solution. De fait, plusieurs grandes options derforme sont envisageables : la sparation pure et simple sur le modle du Glass Steagall Act, lecloisonnement et la sanctuarisation de la banque de dtail la Vickers, linterdiction de certainesactivits risques dans lesprit de la rgle Volcker du Dodd Frank Act ou le cloisonnement desactivits de trading les plus risques la Liikanen.

    Chacune de ces options que nous prsenterons plus loin dans cette note doit tre valuerelativement sa capacit rpondre aux problmes que posent les banques systmiques pour lasocit dans son ensemble.

    Le dbat sur la rforme de la structure des banques est lgitime. Il doit tre men dmocratiquementet non captur par les seuls banquiers.

    Quels sont les arguments majeurs favorables une vritable rforme des banques ?

    1 - Les institutions financires systmiques en raison de la garantie implicite des Etats dont ellesbnficient crent un environnement permissif une prise de risque excessive tout en gnrant unengagement contingent massif pour les Etats et donc les contribuables. Cest largument bien connude lala de moralit, savoir que tout agent conomique bnficiant dune assurance tend prendre

    plus de risques quil nen prendrait sil ntait pas assur.

    2 - Les institutions financires systmiques crent des distorsions de concurrence en termes de cotde financement : niveau de risques donn, elles se financent plus facilement et moins cher sur lesmarchs. Cet avantage concurrentiel est valid par les agences de notation qui mettent deux typesde note : le stand alone credit rating et le support credit rating , la seconde note intgrelvaluation par lagence du soutien gouvernemental. Or, la diffrence entre ces deux notations estsystmatiquement plus grande pour les banques systmiques que pour les plus petites banques, cequi ne fait que conforter les avantages dont elles bnficient quant laccs aux financements demarchs et au cot de celui-ci. Cet avantage peut tre considr comme une subvention puisquil

    1 http://www.tnova.fr/essai/dun-capitalisme-financier-global-une-r-gulation-financi-re-syst-mique

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    rsulte des garanties implicites des Etats auxquelles les agences de notation et les marchs donnentune valeur2.

    3 - Les banques systmiques sont plus vulnrables au risque de liquidit qui est un risquesystmique. En effet, la distorsion entre grandes et petites banques nest pas seulementdommageable du point de vue de la concurrence. Elle cre galement une incitation pour lesbanques systmiques adopter une structure de financement plus dpendante des financements surles marchs de gros de la liquidit, ce qui accroit leur vulnrabilit au risque de liquidit. Or, celui-ciest apparu dans la crise comme un risque demble systmique du fait des spirales dilliquidit : lestarissements de la liquidit de march et de la liquidit de financement sauto-alimententmutuellement. Par ailleurs, au-del mme de cette subvention et des incitations perverses quelleinduit, le fait mme de combiner les activits de banque commerciale et de banque de march est unautre facteur daccroissement de la vulnrabilit des banques universelles au risque de liquidit.Comme le montre une rcente tude dAlphaValue, le ratio prts sur dpts en France est enmoyenne de 115 %, ce qui signifie que pour assurer le financement par prts bancaires les banquesdoivent emprunter sur les marchs hauteur de cette diffrence (15 pour 100 de dpts collects)via des prts interbancaires, les marchs de financement de court terme et obligataires. Mais lesgrandes banques franaises qui combinent activits traditionnelles dintermdiation bancaire etactivits de marchs doivent galement financer leurs activits de trading, ce qui renforceconsidrablement leur dpendance des financements sur des marchs de gros trs instables.Daprs ltude dAlpha Value, au 15 quelles doivent emprunter pour financer la diffrence entre lesprts quelles octroient et les dpts quelles collectent, il faut ajouter 60 lis au financement desactivits de trading. En dautres termes, le fait de mixer les deux types dactivits multiplie par 5 leurs

    besoins de se financer sur les marchs de gros relativement ce quelles doivent emprunter pourleur activit de pur financement de lconomie relle.

    4 - Plus une banque est systmique, plus sa structure dactivit favorise le trading au dtriment desprts. Comme le montre lONG Finance Watch dans sa rponse au groupe Liikanen, plus unebanque accrot sa taille et adopte un modle de banque universelle, plus elle a tendance dformersa structure dactivit en faveur du trading et des activits sur drivs au dtriment de son activit deprts. Ainsi, sur la base dun chantillon de 32 banques europennes cotes, fin 2010, le portefeuillede prts des 10 plus petites banques cotes reprsentaient 75 % de leur total de bilan, alors quepour les 10 plus grandes banques cotes il ne reprsentait que 36 % de leur total de bilan. Si lon

    considre comme le fait Finance Watch que lactivit de prt est une bonne approximation delactivit bancaire directement utile la socit, contrairement au trading pour compte propre qui sertles intrts de la banque elle-mme, il est clair que le modle de banque universelle nest pas lemodle bancaire promouvoir du point de vue de lintrt collectif.

    5 - Contrairement ce que prtendent les banquiers, scinder les activits des banques ne rduiraitpas leur capacit de prt car les banques commerciales conserveraient videmment laccs aumarch interbancaire, et comme toutes les entreprises elles pourraient galement se financer sur les

    2 LONG Finance Watch synthtise dans sa rponse au groupe Liikanen les travaux empiriques quantifiant cette

    subvention de financement :http://www.finance-watch.org/wp-content/uploads/2012/03/Finance-Watch-on-E.U.-banking-structure-analysis-and-possible-solutions1.pdf

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    marchs de dette montaire et obligataire. En revanche, cela limiterait leur vulnrabilit au risque deliquidit.

    6 - Une telle rforme ne signerait pas lacte de dcs de la banque de march mais simplement la finde la subvention que la collectivit lui accorde du fait de son association la banque commerciale.Les risques pris seraient alors mieux tarifs. On peut en effet en attendre une baisse de volumedactivit et de rentabilit de la banque de march, mais est-ce vritablement dommageable auregard des cots considrables induits par les prises de risques excessives et supports parlconomie dans son ensemble ?

    7 - Enfin, comme le souligne ltude dAlpha Value prcdemment cite, le fait de combiner dans unmme groupe bancaire les deux types dactivit gnre une dcote conglomrale, cest--dire unedcote en termes de valorisation boursire du groupe financier relativement une cotation sparede la banque commerciale et de la banque dinvestissement. Les actionnaires seraient doncgagnants une sparation.

    Pourtant, le lobby bancaire franais dfend bec et ongles le modle de banque universelle enaffirmant que celui-ci a fait preuve de son efficacit et de sa solidit.

    Quels sont donc les arguments des tenants de la banque universelle ? Les rappeler et valuer leurpertinence permet en creux dapprofondir la rflexion sur la sparation des activits. Deux grandsarguments sont gnralement mobiliss :

    - Le premier reprend un enseignement basique de tout cours de finance, savoir que ladiversification permet de limiter la vulnrabilit au risque idiosyncratique, ce qui rduit la probabilitde faillite. En principe, laccroissement de la taille va de paire avec lapprofondissement de ladiversification et donc devrait protger contre les risques. Cependant, quand les tablissementsfinanciers deviennent si gros que leur portefeuille est finalement une approximation du march, lesexpositions communes deviennent excessives et ils deviennent trs vulnrables au risquesystmatique. Le systme manque alors de diversit. Le paradoxe est donc que la diversificationexcessive par lhomognisation des portefeuilles quelle implique gnre de la fragilit systmique.

    - Le second grand argument des tenants de la banque universelle est le suivant : les restrictions sur

    la taille et les activits des banques les empchent de pleinement bnficier des conomies dchelleet denvergure propres aux firmes multi-produits et multi-services, ce qui plaide videmment pour labanque universelle. On parle d'conomies d'chelle lorsqu'une entreprise est plus efficace quand levolume de ses activits s'accrot, cest--dire que le cot moyen dcrot quand la quantit produiteaugmente. On parle d'conomies d'envergure lorsquil est moins coteux de produire plusieurs biensou de fournir plusieurs services dans une mme entreprise plutt que dans des firmes spares. Cetargument des conomies dchelle et denvergure nest pas pleinement corrobor par les tudesempiriques. En effet, dans le secteur bancaire, la courbe de cot moyen a la forme dun Urelativement cras ce qui signifie quau-del dune certaine taille - trs infrieure celle desinstitutions financires systmiques - les dsconomies dominent. Ces dsconomies sont

    imputables aux difficults de gestion des firmes de trs grande taille.

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    Il est alors lgitime de sinterroger sur les motivations la course la taille des banques... Dautantplus que les travaux sur la rsilience des systmes mettent en avant deux caractristiques

    essentielles qui favorisent la rsilience, cest--dire la capacit dun systme absorber un choc et se rorganiser suite ce choc : la diversit et la modularit. Or, un systme financier domin par desmastodontes financiers manque de diversit et de modularit.

    Ds lors comment recrer de la diversit et de la modularit dans le systme financier sans remettreen cause les services que les banques assurent ?

    Loption qui vient immdiatement lesprit serait de limiter la taille des tablissements. En clairempcher les banques de devenir trop grosses pour faire faillite, via des limites imposes leur tailleen termes de pourcentage de PIB ou de taille maximale des actifs. Cette solution nestmalheureusement pas raliste court terme au niveau mondial en raison des degrs deconcentration trs diffrencis de lindustrie bancaire dans les diffrents pays du monde. Une telleoption impliquerait de dmanteler les gros acteurs bancaires des pays dont le secteur bancaire esttrs concentr, en particulier en Europe, et prserverait lintgrit de la majorit des banques de paysdont lindustrie bancaire est moins concentre.

    Le tableau ci-dessous illustre limpossibilit de cette solution et souligne par l mme que leproblme des banques systmiques est beaucoup plus aigu en Europe quaux Etats-Unis. Lacomparaison des colonnes 1990 et 2009 tmoigne par ailleurs que ce problme de concentrationextrme de lindustrie bancaire, notamment en Europe, est finalement relativement rcent.

    Actifs combins des trois et cinq plus grandes banques en % du PIB

    Pays Trois plus grandes banques Cinq plus grandes banques

    1990 2006 2009 1990 2006 2009

    Allemagne 38 117 118 55 161 151

    Royaume-Uni 68 226 336 87 301 466

    France 70 212 250 95 277 344

    Italie 29 110 121 44 127 138

    Espagne 45 155 189 66 179 220

    Pays-Bas 154 538 406 159 594 464

    Japon 36 76 92 59 96 115

    Etats-Unis 8 35 43 11 45 58

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    Source : M. Goldstein et N. Vron, 2011, Too big to fail : the transatlantic debate , Bruegel

    Working Paper, February.

    Ds lors, quelles sont les solutions pour traiter cette question des institutions financiressystmiques et dlier les mains des Etats dans les crises bancaires ? Comment largir la gamme desrponses possibles de la puissance publique, autre que le renflouement pur et simple ?

    Cest l que loption de sparation entre les services bancaires indispensables la socit et lesautres services que fournissent les banques universelles trouve tout son sens. La distinction entreutile et vital la socit doit tre mobilise pour tablir la frontire. Les banquiers affirment - raison - que beaucoup de services fournis par la banque de financement sont utiles la socit. Celane fait aucun doute. Pour autant, est-ce que toutes ces activits sont vitales pour lconomie, au sensfort du qualificatif vital ? La rponse est indiscutablement non. A contrario, certains services fournispar les banques ne sont pas seulement utiles mais fondamentaux, au sens o sils ne sont plusassurs, lconomie seffondre. On peut alors les dsigner comme un service public bancaire. Cestle cas de laccs aux dpts, de la gestion des moyens de paiements, des prts aux mnages enraison de labsence de sources de financement alternatives, et des prts finanant lactivitproductive, sans quil soit ncessaire de distinguer entre petites et grandes entreprises clientes. Lesautres services bancaires incluant les activits de march (cration de produits financiers complexes,spculation pour compte propre, etc.) et les prts pour achats de titres peuvent tre utiles mais nonvitaux au fonctionnement de lconomie. Seules les premires activits doivent bnficier du soutienexplicite de lEtat, et la sparation permet ce cantonnement de la garantie publique.

    Plusieurs options sont envisageables pour rpondre au problme des banques universellessystmiques : la sparation stricte, le cloisonnement soit de la banque de dtail soit des

    activits de trading les plus risques, ou linterdiction de certaines activits aux banques

    commerciales.

    1 - La sparation stricte ou scission sur le modle du Glass Steagall Act de 1933 consiste dmanteler les groupes bancaires tels quils existent actuellement en sparant strictement lesbanques de march des banques commerciales qui deviendraient alors des entits juridiquesindpendantes. Il y a donc rupture des liens capitalistiques entre les deux types de banques, ce quipermet dviter totalement le risque de transfert de capitaux propres et de liquidits entre les deux

    entits.

    2 - Le cloisonnement et la sanctuarisation de la banque de dtail qui a t prconis en septembre2011 par le rapport Vickers (Independant Commission on Banking) prserve quant lui lintgrit desgroupes financiers. Il sagit de cloisonner (ring fencing) les activits de banque commerciale au seindes groupes bancaires. En dautres termes, on regroupe les activits traditionnelles de banque dedtail (dpts et prts) dans une entit juridique cloisonne (ring fenced) disposant dunegouvernance propre, notamment un conseil dadministration indpendant et des exigences decapitalisation accrues. Dans le rapport Vickers, toute entit cloisonne est autorise collecter

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    des dpts et fournir des services aux entreprises de lespace conomique europen 3 mais estinterdite de toute activit de march4. Seule la banque cloisonne continue bnficier de

    garanties des pouvoirs publics, ce qui thoriquement doit accrotre les cots de financement de labanque non cloisonne via llimination de la subvention de financement dont bnficient lesbanques dinvestissement intgres dans des groupes bancaires universels. Une question reste ensuspens : est-ce que lintgralit des activits de banque de financement et dinvestissement (BFI)doit tre du ct non cloisonn ? En dautres termes, o placer la banque de financement dansce dispositif ? En effet, lactivit de financement est beaucoup plus stable et ne prsente pas du toutle mme profil de risque que lactivit de march. Cest dailleurs la raison pour laquelle John Vickersestime que les activits de financement peuvent tre loges dun cot ou de lautre.

    3 - Le cloisonnement des activits de trading sur titres et drivs, de teneur de march, des crditsaux hedge fundset des SIV est la voie choisie par le rapport Liikanen. A noter que la couverture desrisques pour les clients non bancaires ne fait pas partie des activits devant tre transfres danscette filiale spare. Par ailleurs, la liste des activits devant tre cloisonnes peut tre largie au caspar cas au gr des rgulateurs sils le jugent ncessaire lefficacit du plan de rtablissement et dersolution propre ltablissement. Ce cloisonnement nest obligatoire que si les activits concernesreprsentent une part substantielle des activits de la banque ou un volume susceptible daffecter lastabilit financire. Le rapport Liikanen insiste particulirement sur le fait que les structures desgroupes bancaires doivent tre telles quelles facilitent leur rsolution. Le couplage du cloisonnementdes activits de march les plus risques et de plans de rtablissement et de rsolution vritablementcontraignants pour les banques systmiques et incluant la gnralisation des bail-in bonds(titres dedette convertibles en actions), instruments financiers permettant dimpliquer les cranciers privs

    dans les oprations de renflouement des banques, doit bien sinterprter comme un ensemble demesures dont lefficacit vient de leur combinaison.

    4 - Linterdiction de certaines activits risques sur le modle de la rgle Volcker . La section 619du Dodd Frank Act, rforme financire promulgue aux Etats-Unis en juillet 2010, est connue sous lenom de rgle Volcker . Elle vise sparer certaines activits risques de celles couvertes par lesgaranties publiques. Ainsi, les banques bnficiant de lassurance-dpts du FDIC et de laccs laliquidit durgence du Fed nont pas le droit deffectuer des oprations de trading pour compte propreds lors que ces activits ne visent pas couvrir des transactions effectues pour le compte de leursclients et ne sont pas lies leurs activits de teneurs de march (notamment lanimation du march

    des titres publics). Les investissements et le sponsoring des banques garanties dans les hedgefundset fonds de private equitysont plafonns 3 % du capital des fonds et 3 % du capital tier onedes banques.

    La rgle Volcker est indiscutablement moins efficace que les trois autres options en raisonnotamment dun dfaut de clarification quant la frontire entre activits permises et interdites, qui

    3 La banque cloisonne peut notamment fournir des prts aux mnages et socits non financires sur basegarantie ou non garantie, faire du financement de projet et trade finance, et mener des activits de conseils sur lavente de produits financiers proposs par la banque non cloisonne ds lors quaucune exposition nen rsulte.4

    La banque cloisonne ne peut notamment effectuer les activits suivantes : structuration, arrangement ouexcution de transactions sur produits drivs, investissement en actions, dette corporate, ou titres de dettechangeables / convertibles, origination, trading et tenue de march, etc.

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    ouvre de nombreuses possibilits juridiques de contournement. En dautres termes, la difficult distinguer prcisment les activits risques et interdites des activits non risques, notamment dans

    un environnement mouvant marqu par des innovations financires permanentes, offre desopportunits de contournement de la rgle qui rapidement en limitent lefficacit.

    Seules les rformes touchant la structure de lindustrie bancaire sont la hauteur du dfi pos par lestablissements systmiques, mais elles ne se suffisent pas elles-mmes. Elles doivent trecouples des avances institutionnelles et juridiques concernant les procdures appliquer auxinstitutions financires en difficult.

    En effet, les institutions financires systmiques ne sont pas seulement trop grosses, mais aussi tropcomplexes et trop connectes pour faire faillite. Or, la sparation des activits rpond ces troiscaractristiques qui conditionnent le caractre systmique des intermdiaires financiers. Elle aide larduction de la taille hypertrophie des bilans, elle limite la complexit et lopacit des groupes et ellerduit galement le degr dinterconnexion dans le systme financier. Cependant, la sparation a elleseule ne suffit pas rendre crdible le non-renflouement systmatique des banques. Comme lerappelle lenvi les tenants de la banque universelle, plusieurs cas emblmatiques de banquesystmique taient des banques daffaires comme Bear Stearns ou Lehman, lune ayant trenfloue, lautre non, avec tous les effets systmiques que lon connat. La reconnaissance de cettat de fait justifie que la sparation - quelle que soit sa forme - soit couple la cration un cadreinstitutionnel et lgal faisant que toutes les institutions financires puissent faire faillite ou trerestructures ou dmanteles. Idalement, ce cadre juridique devrait comprendre les living willset unrgime spcifique de dfaillance et de rsolution des institutions financires systmiques pouvant

    inclure des bail-in bonds.

    Dans le rapport que nous avions crit pour Terra Nova5, nous avions dj dvelopp les argumentsen faveur des plans de rsolution et dun rgime spcifique de rsolution de la dfaillance desinstitutions financires systmiques. Nous nous contenterons donc den rappeler les lmentsessentiels.

    Les plans de rtablissement et de rsolution devraient :

    Fournir au rgulateur un ensemble dinformations prcises expliquant comment linstitution

    peut tre lgalement dmantele. Dcrire les principales tapes requises pour rsoudre la dfaillance de linstitution et

    souligner les difficults pouvant potentiellement ralentir le processus. Evaluer les dlais requis pour la rsolution. Etablir diffrents scnarios de stress associs chacun des procdures de rsolution

    spcifiques, cest--dire des plans contingents de rsolution. En clair, il sagit dlaborerdes scnarios dans lesquels certains composants du groupe financier peuvent tre vendusou mis en liquidation, les parties systmiques devant tre prserves.

    5 C. Scalbert et L. Scialom, dun capitalisme financier global une rgulation financire systmique , juillet 2011 :http://www.tnova.fr/essai/dun-capitalisme-financier-global-une-r-gulation-financi-re-syst-mique

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    Ils rpondent trois objectifs majeurs :

    Mettre en place ex anteles conditions devant permettre dactiver un large ventail doptionsde rsolutions autres que le simple renflouement total de la banque. Pour ce faire, les livingwillsdoivent tre coupls des instruments lgaux spcifiques donnant une assise lgaleaux diffrentes options mobilisables, do limportance du rgime de dfaillance et dersolution des institutions financires systmiques.

    Permettre aux rgulateurs dimposer une simplification des structures lgales des banques.Les living willsauraient donc un rle disciplinant et incitant la simplification de structurescomplexes et opaques. De nouveau, limportance de lassise juridique des pouvoirs ainsiconfrs au rgulateur est cruciale.

    Fournir une base au partage des pertes en cas de dfaillance dun groupe financiertransfrontire, cest--dire agir comme un instrument de coordination internationale ex ante.

    Concernant le rgime spcifique de rsolution de la dfaillance des institutions financiressystmiques, il doit permettre de ne plus grer leur dfaillance dans le cadre gnral du code desfaillites qui sapplique aux entreprises. Il doit offrir des instruments ayant en commun dimpliquer lesecteur priv, cest--dire dimposer une forte dilution des actionnaires en place et des dcotes ouconversion en action pour les dtenteurs de dette. En particulier, les recapitalisations, si elles se font,doivent avoir lieu aprs une pleine reconnaissance des pertes. Ce nouveau cadre juridique doitrduire les dlais de rsolution qui sont troitement corrls avec les cots finaux des rsolutions.Lexprience historique montre en effet que lattentisme des rgulateurs va le plus souvent de pairavec un fort accroissement des cots finaux nets. Plus on attend pour agir, plus les cots collectifs

    sont lourds. Cest pourquoi il faut doter les rgulateurs de pouvoirs leur permettant dagirprcocement et de manire beaucoup plus intrusive. Ils doivent disposer dune palette dinstrumentsjuridiques facilitant un dmantlement ordonn des institutions financires systmiques, tout enprservant la stabilit financire et en protgeant les intrts des contribuables et pas seulement lesintrts financiers privs. Cest le principe de rsolution moindre cot dj prsent aux Etats-Unisdepuis 1991.

    Enfin, lexprience historique ne doit pas tre oublie et nous fournit un dernier argument majeur enfaveur de la sparation.

    Lorsque lon voque aujourdhui cette question, on se rfre communment au Glass Steagall Act,mais gnralement en occultant une partie de celui-ci. Le Glass-Steagall Act est en fait le BankingAct (loi bancaire) de juin 1933. Il instaura certes cette sparation, mais surtout cra le FDIC, cest--dire lassurance-dpts fdrale, et lui confra les pouvoirs de superviseur et dadministrateur desdfaillances bancaires. Le Glass Steagall Act marque donc lavnement dun vritable rgulateurbancaire dans la plnitude de ses pouvoirs lchelle fdrale. La rsonance avec le projet dUnionbancaire europenne aujourdhui et ses diffrentes composantes est tout fait frappante. Le projetdUnion bancaire europenne vise en effet instaurer une responsabilit centralise en matire degarantie des dpts, de supervision bancaire et de rsolution des crises. Cest une rponseinstitutionnelle ambitieuse au cercle vicieux qui lie aujourdhui la solvabilit des banques

    europennes la question de la dette souveraine. Or, il est difficilement imaginable quuneassurance-dpts proprement europenne, cest--dire une mutualisation de lindemnisation des

  • 7/30/2019 Rapport Terra Nova - Sparation activits bancaires

    11/11

    Terra Nova Note - 11/11

    www.tnova.fr

    dposants lchelle de lUnion, soit politiquement acceptable sans quau pralable la banque quicollecte et gre les dpts soit spare de la banque de march. En effet, mme si le fonds de

    rsolution et lassurance-dpts sont pr-financs par lindustrie bancaire elle-mme, lexpriencehistorique montre quun fonds dassurance-dpts peut lui-mme devenir insolvable, comme ce fut lecas pour le FDIC en 1991 aprs la crise des Savings & Loans, et comme cela aurait t le cas en2008 si le Fed et le gouvernement amricain avec le TARP ntaient pas intervenus. Les Trsorspublics de la zone seront donc in fine les garants en dernier ressort des dpts. Le Glass SteagallAct en associant la sparation des activits, la cration dune assurance-dpts fdrale et en ladotant des pouvoirs de superviseur et dadministrateur des dfaillances bancaires tait donc un projetdune grande cohrence.

    LEurope aujourdhui est confronte au mme dfi et la sparation est un composant incontournablede la solution.