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N°62 DÉCEMBRE 2016 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 EUROS DOSSIER P. 4 POÉSIES CRÉER DE L’ESPOIR EN COMMUN Émilie Lecroq ALEJANDRA PIZARNIK Katherine L. Battaiellie LE FÉMINISME REJOINT LA PENSÉE MARXISTE Nicole-Édith Thévenin P. 32 LE GRAND ENTRETIEN P. 40 FÉMINISME Parti communiste français JUSTICE POUR QUI ET POURQUOI ?

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N°62 DÉCEMBRE 2016 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 EUROS

dossier

P. 4 POÉSIES

CRÉER DE L’ESPOIR EN COMMUNÉmilie Lecroq

ALEJANDRA PIZARNIKKatherine L. Battaiellie

LE FÉMINISME REJOINTLA PENSÉE MARXISTENicole-Édith Thévenin

P. 32 LE GRAND ENTRETIEN P. 40 FÉMINISME

parti communiste français

justicepour qui

et pourquoi ?

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SOMMAIRE

La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur : Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Davy Castel, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariat de rédac-tion : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Aurélien Aramini, Caroline Bardot, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas, MickaëlBouali, Étienne Chosson, Séverine Charret, Pierre Crépel, Camille Ducrot, Alexandre Fleuret, Josua Gräbener, Florian Gulli, NadhiaKacel, Corinne Luxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, Léo Purguette, Marine Roussillon, Bradley Smith• Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, ave-nue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) • Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : décembre 2016 - N°62 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Gérard Streiff

LA rEVuEdu ProjEt

dÉcEmBrE 2016

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3 ÉditoGérard Streiff2016 : premier bilan

4 PoÉsiEsKatherine L. BattaiellieAlejandra Pizarnik

5 rEgArdJules Dunant Excusez-moi de vous avoir dérangés

6 u30 LE dossiErjusticE Pour qui Et Pourquoi ?Pierre Crépel, Igor Martinache just(ic)e, une illusion ? Non, un combat !Fabien Guillaud-BataillePour une réflexion audacieuse sur la sécurité Nicole Borvo Cohen-SeatPour une justice efficace et humaine • Le Pacte d’engagement• glossaireNicole Dockès jalons pour l’histoire du droit Luigi Deliade Beccaria à Foucault, l’évolution des peines en perspective Gaëlle VaillantLe droit est un combat citoyenRoland Weyl droit et justice dans le mondePierre Crépeldes comparutions immédiates

au défilé militaireYulia Fournier« La » fraudeÉvelyne Sire-MarinPour une vaste réflexion publique

sur le sens de la peineAdrien Loquesol, Kahina Merabet Paroles de jeunes avocatsFabien HennebertLa prévention spécialiséeJérôme Fatet, Romuald Josserand « Faire son temps »

au quartier des mineursEmmanuelle Duguet L’art en prisonMargaux CoquetLa justice restaurative

31LEctricEs/LEctEursÀ propos de l’uberisation

32u35trAVAiL dE sEctEursLE grANd ENtrEtiENÉmilie Lecroq créer de l’espoir en commun

36 comBAt d’idÉEsGérard Streiff La cFdt, une conscience hybride

38 critiquE dEs mÉdiAACRIMEDsciences et média : le buzz nuit gravement à la santé

40 FÉMINISMENicole-Édith ThéveninLe féminisme rejoint la pensée marxiste

42 PHILOSOPHIQUESAurélien Aramini Le dialogue des cultures selon Enrique dussel

44 histoirEEmmanuelle CaireAthènes et l’invention de l’oligarchie

46 ProductioN dE tErritoirEsViolette-Ghislaine Lorion-Bouvreuil Le jardin dans la ville

48 sciENcEsSacha EscamezLe double jeu des plantes et son avenir

50 soNdAgEsGérard StreiffLa greffe libérale est difficile

51 stAtistiquEsFanny ChartierPortrait des groupes multinationaux français

52 LirEÉric Guichard jack goody et l’universalisme

54 critiquEs• Pascal Charbonnat Les Inégalités économiques et leurs croyances• Bernard Thibault La troisième guerre mondiale est sociale• Florence WeberPenser la parenté aujourd’hui. La force du quotidien

56dANs LE tExtE (LÉNiNE)Florian Gulli, Aurélien AraminiLe droit des nations à disposer d’elles-mêmes

58organisez des débats

59Bulletin d’abonnement

Le dossier : Jeunesse, regard sur le progrès : dans ce numéro décou-vrez des contributions de jeunes étudiants sur l'avenir et le progrès,ainsi qu'un dossier sur les enjeux du développement industriel enFrance. Et bien sûr, retrouvez toutes les pages traitant de l'écologie et desavancées scientifiques et techniques, avec, entre autres, une contri-bution sur les réacteurs au thorium par Hervé Nifenecker, et surla micropesanteur de roger prud'homme. Vous trouverez éga-lement un article sur le jeu d'échecs de taylan coskun et sur lescompteurs Linky de Valérie Goncalves.

https://revue-progressistes.org

Progressistes n° 13 est disponible

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ÉDITO

2016 : premier bilan

Dans un des romans de la ren-trée 2016, Oscar de Profun-dis (chez sabine Wespie-ser), l’auteure catherine

mavrikakis imagine le monde vers2070. La caste au pouvoir, celle desultra-riches, repliée sur ses terres,prospère ; elle est à la tête d’un Étatmondial, parfaitement uniformisé,servi par une police également uni-verselle, alors que les pauvres han-tent des villes à l’abandon, hordesde gueux vouées à la disparition.Est-ce qu’on irait vers ça ?ou est-ce qu’on retournerait auchaos des années 1930, comme onl’entend dire ici ou là, juste avant lagrande conflagration ? ou encores’offrirait-on un remake du xixe siè-cle, genre germinal 2.0 ?

rien de tout cela très certainement.La cata qui semble s’annoncer, cellequ’appréhendent tant de nos conci-toyens, ne devrait ressembler à riende connu mais exacerberait sansdoute la crise dans toutes ses dimen-sions, économiques, sociales, poli-tiques, morales, humaines.

Écrire cela, est-ce céder à un fata-lisme morbide ? À un air du tempsdéfaitiste ? mais comment ne pasy songer quand la (encore) premièrepuissance mondiale vient de se don-ner comme chef une sorte d’aven-turier ? quand tant de pays d’Europecèdent aux chants de politiciensirresponsables (Brexit), de déma-gogues fascisants (Autriche) ou glis-sent vers la dictature (turquie) ?quand des dizaines de milliers dejeunes gens venus du sud risquenttout, simplement pour tenter de sur-

vivre ? quand des murs s’élèvent unpeu partout, en Palestine, en Europede l’Est, à calais, au mexique ? quandla misère s’installe et qu’on s’y habi-tue ? quand une droite françaiseplébiscite un notable qui prometsans vergogne la suppression d’undemi-million de postes de fonction-naires ? quand la rage identitaire estun mal qui traverse la planète ?quand la police des mœurs pointeson groin en iran, en Pologne, auxÉtats-unis, en France ?Alors, oui, on peut se dire que lemonde dérive. que ça tangue grave.Et que ça inquiète.oui mais. dans le même temps, çarésiste, ça crée, ça invente, ça régé-nère, ça se rebelle, ça tient tête. ona connu en 2016 de beaux momentsd’humanité, comme les jeux olym-piques de rio qui faisaient la niqueà tous les fanatiques de la terre. ona vu la campagne de Bernie sandersaux États-unis, totalement bluffante,et prometteuse. on a assisté, outre-manche, au réveil d’un travaillismepopulaire et réellement de gauche.on a vibré aux batailles épiques dupeuple grec humilié. on a noté quela conscience écologique univer-selle marquait des points. on a par-ticipé ici à un mouvement socialtenace contre la loi travail, mou-vement qui laissera des traces. Lanotion d’engagement a la cote,notamment dans la jeunesse, et ons’en félicite. Le mouvement citoyen,associatif fait preuve d’une belle vita-lité. La générosité n’est pas un vainmot pour nos concitoyens. Et puis,cerise sur le gâteau : on nous adégagé du paysage politique le per-sonnage de Nicolas sarkozy !

Alors on se dit que « le pire n’est passûr », pour citer à peu près clau-del. que tout est question de rap-port de forces. que de bellesbatailles nous attendent. Pour cequi les concerne, les communistes,après un riche débat, ont fait le choixdu rassemblement en 2017 (voirle grand entretien).Le choix 1 retenu par la majorité desvotants est celui d'une campagnecommuniste autonome appelantà voter jean-Luc mélenchon, « consi-dérant qu'un rassemblement peuts'opérer avec cette candidature etqu'elle porte une grande partie despropositions de la gauche alterna-tive à l'austérité ». ce choix indiqueégalement que « les communistespoursuivront leurs efforts pour unecandidature commune, porterontcet appel en conservant leur auto-nomie, critique et constructive, tra-vailleront à un cadre collectif de cam-pagne élargi afin d'œuvrer à laconstruction d'un rassemblementle plus large possible ».

2016 se meurt, vive 2017 ! Et sansplus attendre, au nom de toute larédaction, bonnes fêtes à toutes età tous ! n

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GÉRARD STREIFFRédacteur en chef

de La Revue du projet

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POÉS

IES

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Alejandra Pizarnik

ces os qui brillent dans la nuit,ces mots telles pierres précieusesdans le gosier vivant d’un oiseau pétrifié,ce vert tant aimé,ce lilas chaud,ce cœur qui seul est mystérieux.

Arbre de Diane, traduction de claude couffon, 1962.

elle dit qu’elle ne sait rien de la peur de la mort de l’amourelle dit qu’elle a peur de la mort de l’amourelle dit que l’amour c’est la mort c’est la peurelle dit que la mort c’est la peur c’est l’amourelle dit qu’elle ne sait pas

Arbre de Diane, traduction de claude couffon, 1962.

eNFANce

Heure de l’herbe qui poussedans la mémoire du cheval.Le vent prononce des discours ingénusen l’honneur des lilas,et quelqu’un entre dans la mortavec les yeux ouvertscomme Alice dans le pays du déjà vu.

Les Travaux et les nuits, traduction de silvia Baron supervielle, 1965.

je suis la nuit et nous avons perdu.c’est ainsi que je parle, lâches.La nuit est tombée et on a déjà pensé à tout.

Textes d’ombre et derniers poèmes, traduction de silvia Baron supervielle, septembre 1972.

Poèmes extraits d’Œuvre poétique (postface d’Albertomanguel), éditions Actes sud, 2005.

Alejandra Pizarnik est née en 1936 à Buenos Aires, au seind’une famille d’immigrants juifs d’Europe centrale dont la plu-part des membres ont été exterminés. Elle est en proie dèssa jeunesse à d’intenses angoisses (« Nous vivons ici-bas unemain serrée sur la gorge »), des troubles du langage qui la fontbégayer, de grandes difficultés à faire face au quotidien.Elle commence sans les achever des études supérieures dephilosophie, de lettres, de journalisme, fréquente l’atelierd’un peintre. Elle entreprend une analyse. Elle écrit et publieun premier recueil de poésie, à 19 ans, puis deux autres.

En 1960 elle part à Paris. Elle y demeure quatre ans, se mêlantà la vie littéraire, nouant des liens avec notamment André Bre-ton, qu’elle traduit en espagnol, André Pieyre de mandiargues,octavio Paz, qui préface un de ses livres. Elle y travaille quelquetemps, en dehors de travaux alimentaires, pour une revue cul-turelle. rentrée à Buenos Aires, dans sa toute petite cham-bre elle se consacre exclusivement à la lecture (elle fut unelectrice avide et l’auteur de nombreux articles de critique)et à l’écriture : « Écrire, c’est donner un sens à la souffrance »furent les derniers mots de son journal. journal, correspon-dance et poésie s’évoquent et se répondent, constituantun seul et même texte, une seule et même expérience d’unetrès haute exigence (« je ne veux aller/rien de moins/qu’aufond des choses ») et dont l’enjeu est la possibilité de vivre.Elle publia de son vivant des extraits de son journal, dontelle disait qu’il était « une manière d’essayer de se rappelerqui l’on est ». Les éditions des Busclats viennent de publierla belle correspondance avec Léon ostrov, son premier ana-lyste, à qui elle a dédié son deuxième recueil.

Épuisée par une incessante douleur à vivre, malgré l’alcool,les amphétamines, les amours contingentes, aspirant à lapaix de la mort (« je me consume et me détruis. c’est monbut »), après deux tentatives de suicide et un séjour dansun hôpital psychiatrique, celle qui avait écrit dans son jour-nal dès 1962 : « Ne pas oublier de me suicider » met fin à savie, en septembre 1972.Peu connue en France malgré de premiers poèmes parusdans La Nouvelle Revue française et Les Lettres nouvelles,elle fut très vite célèbre en Argentine, où elle reçut de nom-breux prix, et fut traduite dès 1962 en allemand et en arabe.

hantée par la crainte d’une mauvaise maîtrise de l’espa-gnol (n’ayant pratiqué dans son enfance que le yiddish),elle s’interrogea sans cesse sur le langage. Elle avait danssa chambre un tableau noir sur lequel elle notait ses poèmes,puis s’y battait avec les mots, inlassablement, effaçant, rem-plaçant, jusqu’à dégager les « pierres précieuses », pour copierenfin le texte définitif dans un carnet.L’extraordinaire densité de ses vers magnétiques (« La nuita la forme d’un cri de loup ») irradie.

KATHERINE L. BATTAIELLIE

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REGARD

depuis sa création, l'espace d'exposition Khiasma estun lieu de rencontre entre la création artistique et la

recherche en sciences humaines. La dernière exposition quiy est présentée, Excusez-moi de vous avoir dérangés, est enrapport avec la pensée de donna haraway. théoricienne amé-

ricaine du féminisme, celle-ci a surtout développé une pen-sée dynamique à la croisée des chemins entre la biologie, lesétudes de genre et la science-fiction.

Donna Haraway : Story Telling for Earthly Survival Fabrizio terranova 81’18’’ - 2016

EXCUSEZ-MOI DE VOUS AVOIR DÉRANGÉSAvec : Aliocha imhoff & Kantuta quirós (le peuple qui manque), Pierre michelon,Estefanía Peñafiel Loaiza, Fabrizio terranova, Ana Vazcommissariat : olivier marboeuf du 20 octobre au 17 décembre 2016ESPACE KHIASMA15, rue chassagnolle • 93260 • Les Lilas

Excusez-moi de vous avoir dérangés

JULES DUNANT LA rEVuEdu ProjEt

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« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maîtreet le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit »,disait Lacordaire. Pour les anarchosyndicalistes, le droit mis en œuvrepar l’État est l’instrument des intérêts de la bourgeoisie domi-nante. Alors qui croire ? Aucun et tous les deux à la fois. sans droit,sans lois, il n’y a que la jungle. Pourtant, toutes et tous ne sont paségaux face à la justice. que faire ?

justice, pour qui et pourquoi ?DOSSIER

PRÉSENTATION

just(ic)e, une illusion ? Non, un combat !

blanc, politiciens ou hommes d’affaires,quand ils sont poursuivis, ont de quoiemployer des ténors du barreau passésexperts dans l’art de faire durer laprocédure, voire de trouver le vice deforme qui y met purement et sim -plement fin. Nicolas Sarkozy prônaitd’une part la tolérance zéro vis-à-visdes « incivilités », commençant par lasimple réunion dans une cage d’escalier,et de l’autre il appelait à une dépéna -lisation du droit des affaires… LaCommission européenne condam neApple à rembourser 13 milliardsd’impôts soustraits au gouvernementirlandais et c’est celui-ci qui fait appelde la décision, par peur d’effaroucherles autres « évadés » fiscaux. C’est qu’enmatière fiscale, la frontière entre lafraude et l’optimisation légale est plusque poreuse. Comme le dit Eva Joly :« Les paradis fiscaux ne sont pas undysfonctionnement du système capi -taliste : ils sont la cheville ouvrière dece modèle, où l’argent mène à tout. »On peut avoir cent fois raison, se trouverdu côté de la morale et de l’humanité,et perdre un procès, pour vice de

procédure, par manque de preuves,parce que l’adversaire a un meilleuravocat, ou pour des raisons politiques :des syndicalistes ou des zadistes lesavent bien aujourd’hui, même enFrance. Dans l’Union européenne, avecl’évolution de la Hongrie et de laPologne, un nouveau pas versl’arbitraire se rapproche dangereu -sement de nous. Mumia Abu Jamal auxÉtats-Unis, Marwan Barghouti en Israël,et les dizaines de milliers de fonc -tionnaires, journalistes et autresmilitants prokurdes embastillés parErdogan depuis juillet en Turquie lesavent encore mieux, dans ces paysqu’on qualifie encore de « démocra -tiques ». Et que dire dans les dictaturessanguinaires avérées !

uN combAtEt pourtant, dans le langage courant,le droit et la justice expriment desidéaux nobles. Dans celui de la politiqueet des tribunaux, il s’agit souvent detextes froids dont l’appli cation se révèlefréquemment inquiétante. Le droit estun domaine immense, il ne se réduit

PAR PIERRE CRÉPELET IGOR MARTINACHE*

A llez aux comparutions immé -diates, vous verrez que LaFontaine n’exagérait pas. Les

sociologues ont maintes fois confirméque les infractions attachées aux classeslaborieuses sont traitées impitoya -blement. Dans les transports, à laSécurité sociale, à Pôle emploi ou dansla rue, c’est la chasse aux petits« fraudeurs » ou « délinquants ». Dansle même temps, c’est la clémence pourles gros qui fraudent des millions oudes milliards. Les délinquants en col

Rien que la mort n’était capable D’expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Jean de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste », Fables.

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pas aux tribunaux, cela devrait mêmeêtre l’exception. On doit construire unesociété où le vivre ensemble deviennenaturel et spontané : un arbitre de rugbyn’est jamais plus content que s’il n’aeu qu’à compter les points, à constaterles touches et les en-avant, sans avoireu à faire le gendarme.

Le droit est vieux comme le monde, ilévolue, il faut connaître son histoire,la diversité de ses principes, sesrelations avec les sociétés. Pour lechanger, pour qu’il défende vraimentles faibles, pour qu’il ne soit pasdétourné, il faut l’étudier : l’innocent,l’ignorant est plumé davantage que lesautres. Mais le combat ne se limite pasà la technique juridique, seul le rapportde forces dans la cité, dans l’entreprise,dans la rue, dans l’opinion peut im -poser la vraie justice.

LA Vie quotidieNNeL’insécurité, les incivilités, les vanda -lismes, les nuisances, la consommationet le deal de stupéfiants, les petitslarcins, sans parler des violences contreles personnes empoisonnent la viequotidienne. Le gouvernement, ladroite, l’extrême droite en profitent etne proposent pratiquement que larépression : davantage de prisons, despeines plus lourdes, des conditions dedétention plus dures, moins de droitspour la défense, et haro sur les jugesmodérés ! Par un amalgame voulu,cette répression touche d’un mêmemouve ment les grévistes, les syndicats,les militants associatifs, les solidairesdes étrangers en situation irrégulière,toutes catégories parfois assimilées àdes « terroristes ».

Le Premier ministre a déclaré :« Expliquer, c’est déjà excuser. » Cettemaxime, traduite dans le face-à-faceavec un autre fléau, donnerait ceci.Pour lutter contre le cancer, pas derecherche, pas d’action sur les causesprofondes, rien sur la pollution et lesmaladies professionnelles, pas deprévention, pas de dépistage, pas dediversification de soins, pas d’accom -pagnement : uniquement de la chimioà haute dose ! C’est ridicule. Ne nouslaissons pas enfermer dans le dilemme« répression ou laisser-faire ». Pournous, c’est au contraire la complé -

mentarité du social, de l’éducation, dela sanction – quand elle est justifiée –,de la réinsertion intelligente qui ferareculer les délits et les crimes, de mêmeque les actions préventives, dont laplus efficace réside incontestablementdans le recul des inégalités et desformes de domination en tous genres.

LA prisoNSous l’Ancien Régime (et même plustard), la peine capitale était appliquéesans grands états d’âme. MêmeMontesquieu était pour. QuandBeccaria publia son traité Dei delitti edelle pene, ce premier ouvrage contrela peine de mort, vite traduit en françaisil y a deux cent cinquante ans par lesamis de Voltaire, ce fut une bombe. Laprison a ensuite remplacé leschâtiments corporels et cette peines’est vite imposée comme centrale dansla façon de sanctionner les délits et lescrimes. Expliquer cet avènement n’estpas si simple. 2016 marque le40e anniversaire de Surveiller et punirde Michel Foucault. L’auteur y voit unerupture au tournant du XVIIIe et duXIXe siècle. D’autres historiens estiment,au contraire, qu’il y a une certainecontinuité (mais des différences) avecl’emprisonnement dans le mondereligieux au Moyen-Âge, avec lepurgatoire qui naît à la fin du XIIe siècle.Les spécialistes en débattent, ilsdiscutent aussi des similitudes entrela prison, l’entreprise, voire l’école. (Onse reportera par exemple à l’excellentet récent dossier de la revue L’Irascible,n° 5, L’Harmattan, 2015, Prison et droits :visages de la peine.)Or, aujourd’hui, en France comme dansla plupart des autres pays, la prison est

une calamité, tant du point de vue desconditions inhumaines dans lesquellesy sont « accueillis » condamnés etprévenus, hommes et femmes, queparce qu’elle constitue l’une des« meilleures » écoles du crime. On enressort souvent pire qu’on y est entré,des auteurs peu suspects de sympathiesrévolution naires le constataient déjàen 1830. Alors que le nombre dedétenus ne cesse d’augmenter, et aveclui la surpopulation carcérale, la seuleréponse que les gouvernants semblentdisposés à y apporter réside dans laconstruction de nouvelles prisons.

Outre le coût économique d’une telleoption, qui siphonne les moyens d’uneinstitution judiciaire déjà mal dotée,celle-ci apparaît davantage comme unproblème qu’une solution. Commel’ont rappelé Michel Foucault etnombre de militants (très divers) pourles droits des détenus et de leursproches, il est nécessaire de nousinterroger sur les fonctions et lesfinalités de la prison. Vise-t-elleréellement à protéger la société, endissuadant les crimes et délits ou enempêchant la récidive ? À réinsérersocialement les détenus une fois leurdette envers la société acquittée ? Ouconstitue-t-elle un outil primordialpour asseoir la domination despuissants ? Telle est la thèse que défendpar exemple le sociologue LoïcWacquant à propos des États-Unis enobservant que le recul de l’État socials’y accompagne d’une montée de l’Étatpénal, se traduisant notamment dansl’incarcération massive de jeuneshommes pauvres et noirs.

des cHercHeurs et des GeNs de terrAiN oNt des idées. doNNoNs-Leur LA pAroLe !Il ne s’agit pas seulement ici dedéplorer et de dénoncer, il ne suffitpas d’élaborer des bonnes lois, nid’attendre la révolution et la mise enplace d’une société réellementfraternelle. On peut et on doit marquerdes points tout de suite, même si c’estdifficile, proposer des solutions ou entout cas des avancées concrètes. Nousavons en particulier décidé de donnerla parole à des acteurs de l’humanité,en amont et en aval des tribunaux :éducateurs de rue, jeunes avocatsengagés, magistrats, conseillersjuridiques, intervenants dans lesprisons. Nous avons aussi souhaitéesquisser des alternatives au toutrépressif. Des forces pourl’émancipation existent, elles doivents’unir, se compléter, continuer àchercher, agir. Non seulement pourrendre la justice plus juste, mais aussipour éviter le gâchis humain qu’occa -sionnent tout autant les manquementsaux règles collectives que les modespar lesquels ils sont sanctionnés. LaRevue du Projet a décidé de consacrerun numéro à « la justice », un aux« droits nouveaux » et un au « terro -risme », voici le premier. n

��*Pierre Crépel est responsable de larubrique Sciences de La Revue duProjet.Igor Martinache est membre ducomité de rédaction. Ils ont coordonné ce dossier.

« Le combat ne se limite pas à la techniquejuridique, seul le rapport de forces dans la

cité, dans l’entreprise, dans la rue, dansl’opinion peut imposer la vraie justice. »

JUSTICE, POUR QUI ET PO

URQ

UOI ?

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DOSSIER

et les crimes : il faut revenir à ces mots,avec leurs sens et leurs défi nitionsjuridiques. Aujourd’hui, un mot à lamode, c’est « l’incivilité », cela confondà tort des actions aussi différentesque cracher par terre ou taper unchauffeur de bus.Quant aux évolutions, elles ne sont nilinéaires, ni uniformes. Les politiques« du chiffre » tordent les statistiques,elles visent à faire croire que des affairessont « résolues » ; en outre, on branditsouvent tantôt un chiffre, tantôt unautre pour montrer que ça baisse ouque ça augmente, en fonction desintérêts politiciens de tel ou tel.L’augmentation statistique des volsavec violence est-elle réelle ou liée à

la possibilité d’en élucider davantageà l’aide des caméras de vidéosur -veillance ? Celle du nombre des plaintespour viols et crimes sexuels est-elledue à une croissance de ces actes ouà une évolution (positive) de la sociétéqui les tolère moins et accepte moinsqu’ils soient tus ?

comment sortir du dilemme « répres-sion ou laxisme » ?Le fameux « expliquer, c’est déjàexcuser » de M. Valls est malheu -reusement repris un peu partout, ycompris dans la rue, au bistro. C’estpourtant une absurdité. Les agressionsou, pire, les attentats sont un fléau, ilne s’agit pas d’amoindrir leur gravité ;mais, pour combattre un fléau, quelqu’il soit (tremblement de terre, guerre,maladie, racisme), il faut l’analyser,l’étudier dans toutes ses dimensions,chercher ses causes tant immédiatesqu’à plus long terme ; sinon, comments’y attaquer efficacement ? Lesconditions sociales peuvent être l’un

des facteurs d’explication, mais parmid’autres, il n’y a rien d’automatique,la majorité des gens qui vivent dansdes conditions difficiles ne sombrentpas dans la délinquance ou le crime.Il faut donc affirmer le caractèreexceptionnel des comportementsdélictueux, organiser la préventionsociale, psychologique, l’encadrement.Il faut surtout de la présence humaine :éducateurs, policiers connus dans lequartier, permanences juridiques,écoles de la deuxième chance... (voirl’encadré p. 11).

L’emploi du mot « sécuritaire », pourdésigner les politiques actuelles, nelaisse-t-il pas croire que les gouver-nements récents recherchent sincè-rement la « sécurité » de la popula-tion ?C’est ce qu’on appelle un « mot-valise ». Cela fait vingt ans que lesgouvernements affichent unepolitique dite « sécuritaire » et ils s’envantent maintenant, mais l’insécuriténe diminue pas ; donc leurs politiquesn’ont pas vocation à résoudre leproblème, y compris celui du grandbanditisme.Prenons l’exemple de Marseille, il ya souvent des règlements de comptesen série, on nous a dit : « Là-bas, c’estla culture du banditisme, l’aïoli, lepastis, la mafia ; donc il faut envoyerdes renforts de CRS, de la BAC. » Etcela ne résout rien. Marseille, c’est leplus grand port de commerce etd’échanges de la Méditerranée. C’estdonc par là que passent les mar -chandises des trafics (drogue,contrefaçon, contrebande). Alorsenvoyons plutôt des centaines dedouaniers pour ouvrir les containers,envoyons des agents des impôts pourexaminer les coffres-forts de la Côted’Azur. Où est l’argent ? Où val’argent ? Là se situent les sources etles éléments du crime. Combattre lebanditisme ne se réduit pas à arrêterquelques dealers.

on assiste depuis quelques annéesà une criminalisation de l’action syn-dicale, des manifestations pour l’en-

ENTRETIEN AVECFABIEN GUILLAUD-BATAILLE*

La sécurité est-elle encore une ques-tion qui divise les partis ?Les partis au pouvoir – l’actuel commele précédent – n’ont pas une penséedifférente sur la sécurité, la police etla justice ; ils ne préparent pas à unavenir autre que la répression. Lestimides tentatives de dissonanceproposées par Christiane Taubira ontété immédiatement taxées de« laxisme », y compris dans son camp.Au PCF, nous travaillons à une visionalternative : la sécurité n’est pasqu’une question de délinquance oud’agres sions, il faut parler en mêmetemps de tout ce qui fait du mal à

l’individu, au citoyen, à la société. Cequi nous distingue aussi d’autrescourants politiques, c’est que nousdéfendons les conditions de travailconcrètes des policiers qui sont destravailleurs, des salariés du servicepublic (effectifs, congés, locaux, etc.),mais pas les revendications de certainsde leurs soi-disant leaders auto -proclamés (davan tage d’armes,extension de la légitime défense,pressions sur les juges, etc.). Nouspartageons cela avec de nombreusesassociations humanitaires ou dedéfense des libertés.

est-il pertinent de mettre sur le mêmeplan tous les actes qui relèvent de cequ’on désigne comme « l’insécurité »(vols, violences, trafics, etc.) ? ont-ils tous évolué de la même manièreau cours des dernières années ?Il faut préciser les termes et considérerles statistiques avec précaution. Lajustice distingue, dans l’ordre degravité, les contraventions, les délits

« La sécurité n’est pas qu’une question de délinquance ou d’agressions, il faut

parler en même temps de tout ce qui fait du mal à l’individu, au citoyen, à la société. »

pour uNe réFLexioN AudAcieuse sur LA sécuritéLe problème de la sécurité mérite une réflexion approfondie et non un traite-ment émotionnel, politicien et uniquement répressif. La situation actuelle estintenable, ce qui fait mal à l’individu est divers. Ni l’enfermement généralisé, nile laisser-faire ne sont des solutions.

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vironnement, de la solidarité (avecles migrants, les sans-papiers, lessdF). comment s’y opposer effica-cement ?Il y a un amalgame voulu. Le « troubleà l’ordre public », cela veut dire unpeu n’importe quoi. De plus en plus,

des termes non définis et outréscomme « terrorisme », « prise d’ota -ges » sont systématiquement utilisés

pour qualifier une grève des transports,une chemise déchirée. Il faut com -battre cette dérive sur le fond : un acteisolé qui sert l’intérêt personnel nedoit pas être confondu avec un actede lutte. La lutte des classes n’est pasune « théorie », c’est une réalité cons -tatée (d’ailleurs avant Marx, par desauteurs bourgeois) et la violencesociale est plus dure du côté descapitalistes que des salariés. Seules lamobilisation et l’explication argu -mentée pourront faire reculer cesatteintes aux libertés.

il n’y a pas que les homicides...Un Français voit davantage de mortspar coups de feu à la télévision dansune journée, qu’il n’en voit en réeldurant toute sa vie. C’est uneéducation à la violence, l’omni -présence du crime dans l’outil dedivertissement le plus partagé de lapopulation, on banalise la mortsanguinaire ; en même temps, les

média focalisent sur les attentats etcertains types de crimes. Les homi -cides, c’est moins de 1 000 cas par anen France, mais il existe d’autres typesde mort violente, injuste ou préma -turée : plus de 10 000 suicides, 3 000 à4 000 morts sur les routes, environ500 par accidents du travail (sanscompter toutes les mutilations), lamort plus lente par les drogues,l’alcool, le tabac, la pollution, etc.Pour les faire reculer, il faudraitdépasser l’émotionnel, mener desétudes sérieuses avec une approchescien tifique, sociologique, globale dece qui cause la mortalité brutale ouplus sournoise. n

*Fabien Guillaud-Bataille estmembre du Comité exécutif nationaldu PCF. Il est responsable duSecteur Police/Sécutité du Conseilnational du PCF.

Propos recueillis par Pierre Crépel.

« un acte isolé qui sert l’intérêt

personnel ne doit pas êtreconfondu avec

un acte de lutte. »

sance criante des moyens de la justice.Notre pays y consacre 1,9 % de sonbudget, bien moins que l’Allemagneou le Royaume-Uni ; et la moitié revientaux prisons, d’où un manque depersonnel criant et des délais d’attentedémesurés (304 jours en moyenne enpremière instance), une aide juridic -tionnelle insuffisante, un recul desactions de prévention et de préparationde la réinsertion. Les autorités sontconscientes de ces problèmes mais enrestent à des effets d’annonce.La loi Taubira a suscité un certain espoir,en supprimant les peines plancher àl’américaine, instaurées par la droiteen 2008, et en créant la « contraintepénale » (peine alternative à la prisondès le jugement pour les délits encou -rant une peine inférieure à cinq ans,assortie d’obligations en termes desuivi, de soins). C’est une avancée pourlaquelle nombre de progressistesmilitent depuis longtemps, et que j’ai

souvent défendue pour ma part auSénat. Malheureusement elle est peuappliquée depuis par les magistrats.Les raisons tiennent sans aucun douteà une certaine frilosité des juges, quiestiment en plus à juste titre que lesmoyens d’un suivi judiciaire hors lesmurs sont très insuffisants. Maissurtout, ces mesures ont pâti ducontexte terroriste qui a donné desailes aux partisans des logiquessécuritaires tous azimuts.

Les récentes évolutions législativesrespectent-elles mieux les droits desjusticiables ?Elles sont peu convaincantes sur ceplan. La nouvelle loi « antiterroriste »va très loin puisqu’elle crée une sorted’état d’urgence permanent : les préfetset les procureurs – qui dépen dent dupouvoir exécutif – peuvent se passerde l’autorisation préalable d’un jugepour des actes attentatoires aux libertés

PAR NICOLE BORVO-COHEN-SEAT*

quel regard portes-tu sur l’évolutionde l’institution judiciaire depuis unequinzaine d’années ? La loi taubira de2014 te paraît-elle en particulier allerdans le bon sens ?Globalement ce qui ressort de cettepériode, c’est un durcissement de lalégislation pénale, avec une augmen -tation continue des personnes incar -cérées et un allongement des peines.Le nombre de détenus a presquedoublé depuis 2000, passant de 35 000à 68 900 – un record. Dix mille d’entreeux sont « en surnombre » et plus d’unmillier dorment sur des matelas àmême le sol. La loi pénitentiaire de2009 a (enfin) reconnu les droitsélémentaires des détenus énoncés parles règles pénitentiaires européennesdu Conseil de l’Europe, mais leur miseen œuvre reste à réaliser. Il y a insuffi -

pour uNe justice eFFicAce et HumAiNedurcissement, pressions, manque de moyens. une dirigeante du PcF, parailleurs membre du collège du défenseur des droits chargé de la déontolo-gie dans le domaine de la sécurité et militante associative dans les prisons,nous livre points de vue et propositions. ils rejoignent largement ceux denombreux acteurs opérant dans le monde judiciaire et autour.

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DOSSIER comme l’assignation à résidence ou la

prolongation d’une garde à vue. Enguise de réponse à la surpopulationcarcérale, le garde des Sceaux a parailleurs annoncé la création de 10 000à 16 000 places de prison supplé -mentaires – sans préciser au passagecomment elles seront financées : c’està peu de chose près exactement leprojet annoncé par Sarkozy en 2012…La loi « Justice du XXIe siècle » portéepar Jean-Jacques Urvoas présentecertains aspects positifs, comme parexemple la suppression des tribunauxcorrectionnels pour mineurs, maisdans le même temps la revalorisationde la justice des mineurs annoncée audébut du quinquennat est enter rée…Les autres mesures vien nent surtoutsimplifier les procédures pour lesjusticiables et permettre des économiespour l’appareil judiciaire : amendespour les délits routiers mineurs sansjugement, divorce par consentementmutuel sans juge – mesure dont l’effetn’est pas néces sairement positif à mesyeux –, ou encore la signature des PACSen mairie, ce qui vient satisfaire unereven dication datant de sa création !

Les magistrats font-ils de la politiqueet est-ce une bonne chose ? récipro-quement, les parlementaires et les par-tis doivent-ils se mêler de la justice etalors comment ne pas remettre encause l’indépendance des magistrats ?Ce qui est important pour la justicec’est l’indépendance des juges vis-à-vis du pouvoir exécutif. Les juges dusiège le sont davantage dans la mesureoù leur nomination et leurs mutationsexigent désormais l’avis conforme duConseil supérieur de la magistrature.En revanche, les magistrats du parquetsont complètement sous la tutelle del’exécutif concernant leur nominationet leur avancement. Et la réalisationde leur indépendance a toujoursrencontré beaucoup de résistance dela part des pouvoirs. Pour le reste, lesjuges ont des idées politiques commeles autres citoyens : au niveau syndical(droit qui leur est reconnu a minima),il existe de grandes différences de pointde vue, ce qui m’apparaît être unebonne chose. Il importe égale ment queles jugements soient tou jours renduscollégialement, ce qui n’est pas toujoursle cas en pratique.Les parlementaires, eux, font la loi aunom du peuple français dont ils sontles représentants. Ce sont des majoritésparlementaires qui ont dans la périoderécente aggravé les sanc tions pénalespour la « petite délin quance », tandisque la grande délin quance financièreest, elle, rarement sanctionnée par despeines de prison effectives en raisonde diverses dispositions législatives ou

réglemen taires permettant à sescommettants d’y échapper…

La complexification du droit ne rend-elle pas de plus en plus difficile le tra-vail des parlementaires ? Les groupesde pression et les juristes n’ont-ils pasde ce fait un ascendant de plus en plusgrand sur la « fabrique » des lois ?Les parlementaires sont des repré -sentants du peuple. Ce ne sont pas desspécialistes, même si certains le sontà titre personnel. Ce qui est anormalc’est que les catégories les plus popu -laires soient si peu repré sentées auParlement et c’est bien là – entreautres – que le bât blesse ! En fait, si lacomplexification du droit est uneréalité, elle vient sans doute surtoutde la complexité croissante de la sociétéelle-même, ainsi que de la successionde réformes « opportunistes », dont les

gouvernements sont friands et quisouvent cachent des immobilismes,voire des régressions. Les parlemen -taires disposent de certains moyenspour travailler : ils peuvent consulterdes juristes, des organisations syn -dicales ou encore divers spécialistesdes questions traitées sur le moment.Bien évidemment ils le font en fonctiondes intérêts qu’ils entendent défendre !Les groupes de pression (lobbies)représentent autre chose : ils exercenteux-mêmes une pression de leur propreinitiative afin d’obtenir des parlemen -taires qu’ils votent ou non tel ou teltexte ou encore qu’ils le modifient enfonction de leurs propres intérêts…

Le lecteur trouvera ci-contre les pro-positions du pcF pour la justice, conte-nues dans le « pacte d’engagement ».quelles sont les grandes lignes d’unepolitique communiste en la matière ?1. La garantie des libertés et de l’égalitédes droits implique l’égal accès à lajustice pour tous les citoyens. Il fautdonc de la proximité, des moyens quipermettent d’informer et de recevoirles personnes qui ont besoin d’êtreaidées dans leurs démarches. Toutepersonne a le droit d’être défendue

correctement : aide judiciaire amé -liorée, procédures rapides dans l’intérêtdes auteurs comme des victimes.2. La justice doit être totalementindépendante. Il faut donc couper lecordon ombilical entre les magistratset le pouvoir politique. Pour ma part,je serais favorable à une distinctionentre l’administration de la justice, quirelève du gouvernement respon sabledevant le Parlement, et le pouvoirjudiciaire qui pourrait relever d’unConseil supérieur de la justice.3. Il faut sortir du sécuritaire et du toutcarcéral, ce qui demande du couragepolitique mais aussi un large débatpublic, citoyen et pédagogique, àl’opposé des multiples lois pénalesvotées à la suite d’événements dra -matiques. Les deux tiers des détenussont de petits délinquants, des pauvres,sans qualification et un tiers présentent

des troubles psychia triques. Il estnécessaire de revoir la hiérarchie despeines et de développer avec audaceles peines alternatives. Des moyensimportants doivent être consacrés à laprévention, aux édu cateurs de rue, auxtravailleurs sociaux, à la police deproximité, aux prises en charge théra -peutiques, à la réinsertion, à l’accom -pagnement des personnes sous mainde justice ou récemment libérées.4. La prison doit être considérée commele dernier recours et doit répondre auxcritères inscrits dans les textes inter -nationaux et dans la loi pénitentiairede 2009, à savoir le respect de la dignitédes personnes détenues, de leurs droits,et la recher che de leur réinsertion dansla société.5. Le budget de la justice doit êtreaugmenté au moins d’un tiers pourrépondre aux besoins en personnelsdans tous les domaines, tout en étantréorienté dans ses priorités. n

*Nicole Borvo-Cohen-Seat estsénatrice honoraire de Paris (PCF),responsable du pôle Lois etinstitutions du Conseil national duPCF. Propos recueillis par Igor Martinache.

« ce sont des majorités parlementairesqui ont dans la période récente aggravé les sanctions pénales

pour la “petite délinquance“, tandis que la grande délinquance financière est, elle,

rarement sanctionnée par des peines de prison effectives. »

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LA CONFÉRENCE NATIONALE DU PCF A ADOPTÉ LE 5 NOVEMBRE 2016 UN « PACTE D’ENGAGEMENT»

DONT VOICI LES EXTRAITS CONCERNANT LA sécurité, LA poLice et LA justice

ASSURER NOTRE SÉCURITÉ QUOTIDIENNE• recruter 20 000 policiers, gendarmes et agents administratifs de la fonction publique, ren-

forcer leur formation et revaloriser leurs salaires.

• en finir avec la politique du chiffre et les méthodes de management associées et intégrer toutesles polices de sécurité publique dans un service public unifié.

• renforcer l’action contre le grand banditisme, les organisateurs des trafics et la délinquancefinancière et libérer l’action policière des tâches administratives grâce au recrutement d’agentsadministratifs.

• interdire l’utilisation de flash-balls, tasers et grenades de désencerclement.

• recul des dispositifs de vidéosurveillance au profit de la présence humaine.

• plan de construction de locaux et d’ouverture de commissariats.

GARANTIR LE DROIT À LA JUSTICE, SON INDÉPENDANCEET MODERNISER NOTRE SYSTÈME D’INCARCÉRATION• L’administration gratuite de la justice et la participation des citoyens à son service ( jury

d’Assises, conseils des prud’hommes, tribunaux de commerce…).

• La réouverture d’une partie des tribunaux abusivement fermés dans la dernière décennie pourgarantir une justice de proximité.

• La refonte de l’aide juridictionnelle pour garantir le droit à la défense.

• L’indépendance des tribunaux et des cours et l’interdiction des juridictions d’exception.

• remplacer le conseil supérieur de la magistrature par un conseil supérieur de la justice, garantde l’indépendance des magistrats. La tutelle du pouvoir exécutif sur cette instance serasupprimée. il sera composé pour moitié de magistrats élus par leurs pairs et pour moitié depersonnalités désignées à la proportionnelle sur proposition des groupes parlementaires. ilnommera et décidera de l’avancement des magistrats du siège et du parquet. il statuera commeconseil de discipline. il contrôlera l’administration des cours et des tribunaux de l’ordre judi-ciaire. il sera consulté sur les grâces.

• donner la priorité aux peines alternatives telles que la contrainte pénale pour les courtes peineset à l’aménagement des peines (suppression des peines planchers, aménagement obligatoiredes peines de moins de trois ans, diminution des peines des personnes aux problèmes psy-chiatriques reconnus…) et instaurer un numerus clausus dans les établissements péniten-tiaires afin de diminuer la population carcérale.

• Garantir les droits élémentaires de la personne détenue (travail, vote, expression) et trans-former le système carcéral pour que l’exécution de la peine permette sa réinsertion.

• un plan de recrutement, de renforcement de la formation de personnels de surveillance etde conseillers d’insertion et de probation.

• un plan de rénovation des cellules.

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DOSSIER gLossAirE

Les institutions juridiques emploient souvent un vocabulaire dont une par-tie échappe au commun des mortels. Voici quelques termes expliqués defaçon simplifiée pour permettre de se repérer. on trouvera des précisionssur les sites du gouvernement et dans les dictionnaires spécialisés.

AVocAtL’avocat est un professionnel du droit, considéré comme« auxiliaire de justice » et non comme « magistrat ». Ilassiste les gens qui passent en justice (conseils, actes,plaidoiries, etc.). Après ses études de droit, il doit avoirréussi l’école des avocats et avoir prêté serment ; il peutalors s’inscrire auprès d’un tribunal de grande instance(on dit « au barreau » de telle ville). L’avocat général n’estpas un « avocat », voir Parquet.

BArrEAu (Et cour)L’ensemble des avocats relevant d’un tribunal de grandeinstance (TGI) déterminé. On dira par exemple « un avo-cat au barreau d’Amiens ». L’expression ancienne « avo-cat à la cour » n’a plus de sens juridique.

chANcELLEriEMinistère et administration centrale de la justice. Le minis-tre de la Justice est aussi appelé « garde des Sceaux ».

ÉtABLissEmENtsPÉNitENtiAirEs187 établissements classés en deux catégories : maisonsd’arrêt et établissements pour peines.• MAISONS D’ARRÊT (86). Elles reçoivent les préve-nus en détention provisoire (attente de jugement oucondamnation non définitive) ainsi que les personnescondamnées à une peine d’emprisonnement infé-rieure à deux ans.

• ÉTABLISSEMENTS POUR PEINES (94). Ils reçoiventles condamnés à de plus longues peines.

n 6 « maisons centrales ». Elles reçoivent les détenusles plus dangereux

n 27 « centres de détention ». Ils regroupent les déte-nus présentant les meilleures perspectives de réin-sertion sociale avec un régime de détention adapté.

n 11 « centres de semi-liberté ». Ils accueillent des déte-nus bénéficiant d’un aménagement de peine dans lecadre duquel ils jouissent d’horaires de sortie fixéspar le juge.

n 50 « centres pénitentiaires »mixtes, de grande taille,abritant au moins deux quartiers caractérisés par desrégimes de détention différents (maison d’arrêt, uncentre de détention et/ou une maison centrale).

• ÉTABLISSEMENTS SPÉCIAUX (7).n 6 « établissements pénitentiaires pour mineurs »,ouverts en 2008, où un accent est mis en principe surla dimension éducative et la réinsertion.

n 1 « établissement public de santé national » (Fresnes).Le parc pénitentiaire français compte un peu moins de58000 places pour 68000 détenus. Cette surpopulationtouche plus particulièrement les maisons d’arrêt.

jugEMagistrat chargé de trancher les litiges entre particuliers(justice civile) ou entre un prévenu et la collectivité, repré-sentée par le ministère public (voir « Parquet ») (justicepénale) au cours d’un procès.Il existe différents types de juges, certains généralistes,d’autres spécialisés (juges aux affaires familiales, jugesdes enfants, etc.). Ils peuvent également être investis demissions diverses telles que le suivi de la mise en œuvredes peines prononcées (juges d’application des peines)et même de certaines enquêtes (juges d’instruction).Certains juges ne sont pas des professionnels de lajustice, notamment les conseillers prud’homaux char-gés des litiges en matière de droit du travail, et lesjuges consulaires qui exercent dans les tribunaux decommerce.

mAgistrAtProfessionnel du droit chargé d’exercer le pouvoir judi-ciaire. Il s’agit en France des juges et des procureurs, dési-gnés respectivement comme magistrats du « siège » etmagistrats du « parquet », en référence à leur positionspatiale dans la salle d’audience. Sur un total de quelque77000 agents, le ministère de la Justice français emploie8140 magistrats, soit une proportion de 11,9 juges pro-fessionnels pour 100000 habitants, contre 15 en Belgiqueou 25 en Allemagne.

mANdAt dE dÉPôtDétention (en prison) de la personne mise en examenou prévenue (avant le jugement).

misE EN ExAmENUne personne est mise en examen, par décision du juged’instruction, lorsqu’il existe des indices graves de sa par-ticipation à une infraction. On n’emploie plus le mot« inculpé ».

PArquEtOn dit aussi « ministère public ». Ce sont les magis-trats chargés de veiller au respect de « l’intérêt général »et de « l’ordre public », donc essentiellement les procu-reurs. En d’autres termes, ils dépendent du gouverne-ment, par opposition aux magistrats dits du « siège »qui jugent et sont en principe « indépendants ». Le chefdu parquet d’un tribunal de grande instance (TGI) s’ap-pelle le « procureur de la République ». Celui du par-quet d’une cour d’appel ou de la cour de cassation s’ap-pelle « procureur général », il a sous sa direction les « avo-cats généraux ».

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rÉFÉrÉProcédure (d’urgence) permettant d’ordonner desmesures provisoires mais rapides tendant à préserver lesdroits du demandeur, dans l’attente d’un jugement surle fond.

siègEOn appelle magistrats du « siège » ceux qui jugent, paropposition à ceux du ministère public ou parquet. VoirJuge.

triBuNALLieu où est rendue la justice. Il en existe de différentstypes, suivant

• l’ordre juridictionnel impliqué (judiciaire – civil oupénal –, ou administratif),

• la gravité de l’acte en cause (en matière pénale par exem-ple, les infractions relèvent du tribunal de police, lesdélits du tribunal correctionnel et les crimes de la courd’assises)

• et enfin le degré (première instance, appel ou cassa-tion).

Chaque tribunal exerce sa compétence sur un territoiredonné qui constitue sa « juridiction », ainsi que sur uncertain type d’affaires. Certains tribunaux sont ainsi spé-cialisés pour ce qui relève notamment des affaires finan-cières (Cour des comptes), politiques (Haute Cour de jus-tice, seule à même de juger le président de la Républiqueou Cour de justice de la République pour les ministres)et la Sécurité sociale (Tribunal des affaires de Sécuritésociale). n

jALoNs pour L’Histoire du droitNé à rome, le droit a évolué au cours des siècles avec l’organisation desempires. du code de justinien au code civil.

ENTRETIEN AVEC NICOLE DOCKÈS*

comment le droit est-il né ?Pour les juristes, le droit, tel que nousle connaissons maintenant, dans lacivilisation occidentale, et qui noussemble indispensable à toute sociétéorganisée, est né à Rome. Certes, il aexisté des textes plus anciens, commele code de Hammurabi, à Babylone,au XVIIIe siècle avant J.-C., mais il s’agitau fond de règles nées de l’obligationquasi théologique du roi de faire régnerla paix entre ses sujets et à l’extérieur.L’origine de ces règles était confondue

avec toutes les prérogatives royales,sans distinction précise.À Rome, s’est mis en place très tôt, dèsle Ve siècle avant J.-C., un corpus detextes juridiques. Il s’est formé uneclasse spéciale de jurisconsultes

détenteurs de la science du droit, tandisque les juges sont de simples citoyensqui peuvent s’adresser à eux pourconnaître le droit. Sous la républiqueet sous l’empire, pendant dix siècles,le droit apparaît ainsi comme unescience rationnelle avec un domaineprécis. En 530 après J.-C., Justinien,empereur romain d’Orient, doncbyzantin, espère reconstituer l’Empireromain tel qu’il s’étendait aux sièclesprécédents tout autour de la Méditer -ranée et, pour cela, il s’appuie sur ledroit. Il s’agit d’opérer une renaissancede la science du droit ; avec un certain

désordre politique, le droit était devenu« vulgaire » et largement coutumier.Justinien procède en trois temps.1. Il reprend les anciennes loisromaines, il les toilette et fonde ainsiun Code.

2. Surtout, il fait composer un recueiltrès important des textes des grandsjurisconsultes : le Digeste. 3. Il fait rédiger un manuel de droitromain pour les étudiants : les Institutes.Tout cela est exécuté par une équiped’excellents juristes, avec un vrai débatplanifié. Ce sont plusieurs milliers depages et ce droit romain va constituerle bien commun de toute l’Europe. Onredécouvre cet ensemble au XIIe siècle,lors de la première Renaissance, ditebolonaise, quand on s’émerveilledevant la Rome antique.

droits coutumiers, oral, écrit, canon,romain. Le lecteur non juriste s’y perd.de quoi s’agit-il et comment tout celaa-t-il évolué pour en arriver au droitmoderne ?Au cours des premiers siècles de notreère, les conciles prennent des décisionsde caractère partiellement juridique ;puis, quand les papes ont suffisammentd’autorité, ils rédigent des « décrétalespontificales ». Au milieu du XIIe siècle,le moine Gratien réalise à cet égard untravail analogue à celui de Justinien, ilclasse par matières toutes les sourcesdu droit canonique (canons desconciles, décrétales, écrits des Pèresde l’Église), examine les désaccords,propose des solutions pour concilierles contradictions. On se trouve donc

« Au xiiie siècle, on a redécouvert la torture avec la renaissance du droit

romain, des bulles pontificales, pour sauver les âmes, vont permettre de l’utiliser contre

les hérétiques qui sont alors traités comme les pires criminels. »

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DOSSIER en présence de deux corps de textes

juridiques : les compilations deJustinien et le droit canonique qui sontenseignés dans les universités, fondéespar le pouvoir pontifical, qui appa -raissent au XIIe siècle.

comment le droit romain s’est-il constitué ?Pour maintenir leur autorité, sur leurvaste empire, composé de peuples auxcoutumes diverses (Orientaux, Occi -dentaux, Africains), les Romainsrespectent la plupart des coutumeslocales, les dieux locaux. Lorsqu’ilsconquièrent la Grèce vers 130-120 avantJ.-C., les Romains ont déjà élaboré leurdroit, parfois en reprenant certainsusages commerciaux grecs, ou leursystème d’assurances, domaine où lesGrecs excellaient. Chaque cité grecqueavait son propre droit ; les lois étaientvotées ou approuvées par l’assembléepopulaire ; la justice était rendue parles citoyens ou par un conseil restreint.Mais si les penseurs grecs se sontintéressés à la « constitution politique »des cités, ils n’ont guère été desthéoriciens du droit privé comme ontsu l’être les jurisconsultes romains. Ilne faut pas oublier que Justinien étaitempereur dans l’Empire romaind’Orient ; les compilations qu’il aordonné de rédiger ont été écrites ducôté oriental, plus influencé par lestraditions grecques que l’Empireromain d’Occident ; aussi certainesrègles juridiques grecques y ont étéinsérées. En résumé, le code deJustinien a intégré parfois quelquescoutumes locales, mais l’essentiel vientdes textes des jurisconsultes romainsdes premiers siècles de notre ère. Cedroit redécouvert au Moyen Âge,enseigné dans toutes les universitéseuropéennes, a été suffisammentélaboré pour influencer profondémentles droits européens.

et le droit pénal ?À l’époque républicaine (les cinqsiècles avant notre ère), le droit romainétait très protecteur du citoyen (pasdes esclaves). En principe (saufexception très solennelle), un citoyenromain n’était ni passible de la peinede mort, ni soumis à la torture. Avecl’empire (cinq premiers siècles denotre ère en Occident, beaucoup pluslongtemps en Orient : presque quinzesiècles), le pouvoir qui s’établit aprèsdes guerres civiles devient plusautoritaire ; le citoyen est moins bienprotégé ; on définit de nouveauxcrimes comme le crime de lèse-majesté, crime politique, où lescoupables, même citoyens, sontpassibles de la peine de mort, etpeuvent être soumis à la torture. Une

procédure inquisitoire se met en place.Puis, après la christianisation del’empire, la tolérance religieusedisparaît. Au Moyen Âge, le crime delèse-majesté divine (hérésie d’abord,puis sacrilège) est passible de peinesplus lourdes que celui de lèse-majestéimpériale ou royale. Au XIIIe siècle,on a redécouvert la torture avec larenaissance du droit romain ; desbulles pontificales, pour sauver lesâmes, vont permettre de l’utilisercontre les hérétiques qui sont alorstraités comme les pires criminels. Onen arrive à la situation qui se prolongedans une certaine mesure jusqu’àVoltaire et Beccaria, et dont parle LuigiDelia dans l’article suivant.

et le « code civil » de 1804 ?Il s’appuie sur les travaux des juristesfrançais de la fin du XVIIe siècle et duXVIIIe siècle ; pour le droit des contrats

et de la responsabilité civile, il reprendpresque mot à mot le droit romain.Fort bien rédigé, le code civil, quireprend le plan des Institutes deJustinien, est devenu une sorte demodèle pour l’Europe et même au-delà. Après la Révolution, on se méfiedes juges (les parlements, cours dejustice de l’Ancien Régime, ont laisséde mauvais souvenirs). Aussi, dans lapremière moitié du XIXe siècle, ladoctrine dominante, sur le continenteuropéen, estime que la sourceprincipale du droit se trouve dans leslois, dans les textes écrits. Elle ne veutpas que les juges « créent » du droit,il suffit qu’ils l’appliquent. Au coursdu XIXe siècle, la situation évolue etles décisions des juges (la juris -prudence) apparaissent comme uneseconde source du droit, d’ailleursplus souple.Cela dit, le code civil ne couvre pastout. En particulier, dans les relationsde travail, il n’y avait pas vraiment dedroit écrit, pas de lois spéciales (unseul texte très bref ), on a continuéd’appliquer des coutumes non écrites.La loi de 1841 à propos du travail desenfants est la première loi régle -mentant les relations de travail etconstitue un tournant. Il fallutcependant attendre encore longtempspour que le législateur accepte d’inter -venir dans ce domaine que l’onestimait relevant des accords devolonté individuelle.

et en Angleterre ?Le système juridique anglais estdifférent de celui inspiré par le droitromain. La common lawanglaise s’estélaborée peu à peu par les décisionsdes juges royaux. La principale sourcedu droit se trouve dans les décisionsjudiciaires. Par sa décision, un jugepeut créer un « précédent » et la« théorie du précédent » se formaliseà partir du XIVe siècle ; en principe,pour se prononcer, les juges doiventse référer à un précédent, c’est-à-direà un jugement antérieur. La commonlaw est née de la répétition, ce n’estpas un code, ou ce qu’on appelle dudroit « écrit », c’est un ensemble dedécisions judiciaires, qu’on classe, dontcertaines tombent en désuétude etd’autres apparaissent. Comme cettecommon law s’est un peu rigidifiée,d’autres décisions peuvent être prisesen dehors du précédent ; on parle alors

de jugement en equity. Les deuxsystèmes coexistent. Il faut noter que,de plus en plus, les Anglais trans -forment leur droit par voie législative,certes moins que sur le continent. Cedouble système de la common law etde l’equity se retrouve dans de nombreuxpays du Common wealth. La situationdes États-Unis est complexe ; certainsÉtats sont fidèles au système de lacommon law, d’autres non.

que se passe-t-il dans le droit interna-tional en cas de choc de ces deuxconceptions ?La question se pose surtout en matièrecommerciale. Il se crée alors un droitinternational, plus proche de lacommon law. En cas de conflit, on enréfère à un tribunal arbitral : les partieschoisissent un ou plusieurs « arbitres »,non nécessairement issus des profes -sions judiciaires, qui prononcent unesentence, qu’on a dû accepter d’avanceet qui devient obligatoire. Dans d’autresdomaines du droit, la situation estvariée : par exemple, il existe dessystèmes de droit international privésur le droit de la famille qui concilientdifférentes traditions. n

*Nicole Dockès est historienne du droit. Elle est professeurhonoraire à l’université Jean-MoulinLyon-III.

Propos recueillis par Pierre Crépel.

« La loi de 1841 réglementant le travail desenfants est la première loi réglementant les

relations de travail et constitue un tournant. »

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de beccAriA à FoucAuLt, L’éVoLutioN des peiNes eN perspectiVecette année a été marquée par le 250e anniversaire de l’édition françaisedu Traité des délits et des peines de cesare Beccaria, premier grand ouvragescientifique sur le droit pénal, premier brûlot contre la peine de mort.

ENTRETIEN AVEC LUIGI DELIA*

comment caractériser l’état du droitpénal en italie et en France au milieudu xViiie siècle ?Il y a deux façons de regarder la justicepénale de cette époque, selon que l’onplace la focale sur le discours normatif(les principes législatifs affichés) ousur la pratique judiciaire (la répressionréelle). Selon que l’on regarde l’un oul’autre de ces deux aspects del’ancienne justice, le droit de punir

apparaîtra comme suppliciaire ouindulgent ; le tribunal sera le templed’une déesse armée et aveugle, ou unlieu d’échanges ; et les magistrats, desbourreaux assoiffés de sang ou desmédiateurs. C’est qu’il existe deuxreprésentations fort différentes de lajustice pénale du XVIIIe siècle : cellemilitante, brossée par les philosophes,de Beccaria et Voltaire jusqu’à Foucault ;et celle reflétée par les travaux desanciens praticiens ou proposée parnos historiens de la justice sur la basede recherches d’archives, qui portentun regard davantage descriptif etquantitatif que normatif et qualitatif.Pour les uns, la justice prérévolu -tionnaire est dure, cruelle, archaïque,démesurée. On a parlé d’« éclat dessupplices » (Foucault) ; on a mis l’accentsur les scandales judiciaires des grandesaffaires pénales (Calas, Sirven, La Barre,Lally-Tollendal…) ; on a pointé, dansles supplices infligés aux justiciables,les excès d’une justice irrationnelle,gothique et indigne d’une sociétééclairée. Pour les autres, la réalité estmoins brutale. D’après l’historienBenoît Garnot, par exemple, un fossésépare la réalité pénale de la repré -

sentation un peu caricaturale que lesphilosophes ont construite. Dans sonétude C’est la faute à Voltaire… Uneimposture intellectuelle ? (Belin, 2009),les critiques que Voltaire a prononcéescontre l’organisation de la justicefrançaise sont passées en revue, avantd’être contredites l’une après l’autre.Ainsi, le Voltaire paladin des droits del’homme et pourfendeur éclairé d’unejustice arbitraire et révolue, serait avanttout un pamphlé taire, moins soucieuxde produire des dissertations et desréfutations honnêtes, que d’émouvoir

avec violence le grand public en faisantsonner haut les scandales. Reste quecertaines formes cruelles de peine demort, ainsi que la torture judiciaireétaient partie intégrante de l’anciennelégislation. Je crois que la formulationd’un jugement pondéré sur le droitpénal à l’époque des Lumières se doitde ne pas dissocier le plan de lalégislation, ce que dit la loi, du plande l’application concrète, ce que faitla justice.

Lorsque Des délits et des peines esttraduit par l’abbé morellet en Franceen 1765, Voltaire et d’Alembert se mon-trent d’emblée très enthousiastes. enquoi cet ouvrage correspondait-il auxaspirations des encyclopédistes ?Que ce soient la critique de l’arbitrairejudiciaire, l’affirmation de la légalité

des peines, l’élaboration d’une nouvelleéconomie des peines fondée sur leconcept d’utilité, la distinction entreles idées de crime et de péché, ouencore l’exigence d’adoucir les peinesen vue d’une plus grande humanitédu régime pénal, les thèses de Beccariaretiennent en effet toute l’attentiondes encyclopédistes. L’une desprincipales raisons de ce succès estque le réformisme juridique de Desdélits et des peinesparticipe au combatdes encyclopédistes contre l’absolu -tisme politique. Il ne faut pas oublierque les Lumières conçoivent le droitde punir comme une dimensioncentrale et décisive de la vie politique.Selon certains des penseurs les plusreprésentatifs de cette époque(Bentham, Filangieri, Montesquieu,Sonnenfels, Voltaire…), ce qui est enjeu dans le droit pénal est en effet ladifférence même entre la liberté etl’oppression : la construction de l’Étatde droit se fera d’ailleurs sur le terraindes crimes et des châtiments. Peut-être doit-on chercher l’origine d’unetelle idée chez Montesquieu : « La libertépolitique consiste dans la sûreté, oudu moins dans l’opinion que l’on a desa sûreté. Cette sûreté n’est jamais plusattaquée que dans les accusationspubliques ou privées. C’est donc de labonté des lois criminelles que dépendprincipalement la liberté du citoyen »(Montesquieu, L’Esprit des lois, éd.R. Derathé, Paris, CG, 2011, XII, 2, vol. I,p. 202). Dans ce contexte, le problèmede la qualification des crimes, de la

détermination des peines et des règlesde procédure pénale est alors projetésur le devant de la scène. Dans laseconde moitié du XVIIIe siècle, le droitpénal n’est ainsi plus considéré commeune branche du droit parmi d’autres.La vision émergente de l’ordre politiqueen fait au contraire un segment

« La formulation d’un jugement pondérésur le droit pénal à l’époque des Lumières

se doit de ne pas dissocier le plan de la législation, ce que dit la loi,

du plan de l’application concrète, ce que fait la justice. »

« Le réformisme juridique de Des délits et des peines participe au combat des encyclopédistes contre l’absolutisme politique. »

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essentiel, voire fondateur, des insti -tutions démocratiques assurant laliberté et la sécurité des personnes,comme le montrent un nombreconsidérable d’articles de la Déclarationdes droits de l’homme de 1789, quitraduisent les nouveaux principes dudroit pénal en dispositions normativesde rang constitutionnel.

où en était le débat sur la peine de morten France à cette époque ?L’abolitionnisme de Beccaria enmatière de peine de mort est uneposition extraordinaire dans le paysageintellectuel du second XVIIIe siècle.Violemment contesté par les pénalistestraditionalistes, le fameux chapitreXXVIII (De la peine de mort) de Desdélits et des peinesne fait pas mouchedans le camp des réformateurs dudroit de punir, qui restent sur ce pointattachés à la leçon de Montesquieu :l’homicide d’État est un instrumentpénal qu’il faut administrer rarementet uniquement pour sanctionner lestransgressions les plus graves,commises par des individus tropdangereux pour qu’on puisse les laisservivre, même derrière de solidesbarreaux. Cette thèse fait écho àl’opinion la plus répandue chez lesConstituants de la fin du XVIIIe siècle,majoritairement hostiles à la suppres -sion de l’institution de la peine demort, jugée trop radicale et potentiel -

lement dangereuse pour l’ordre public.Généralement partagée par l’opinionpublique naissante, elle aussi peudisposée à franchir le pas versl’abolitionnisme total, cette convictionémerge dans les cahiers de doléances,rédigés au début de 1789 en vue desÉtats généraux et demandant que lapeine de mort soit réservée aux crimesles plus graves. Finalement maintenuepar la légis lation révolutionnaire, cettepeine sera toutefois « modérée » àl’aide de la technologie du degré zérode la souffrance mise en œuvre avecl’entrée en scène de la guillotine. Cettemachine judiciaire, qui voudrait fairemourir sans faire souffrir, représentela voie française de la « douceurpénale ». La peine de mort ne seraabolie en France qu’en 1981.

on a à peine évoqué la figure de bec-caria en France ces deux dernièresannées. pourquoi ?En France, les média célèbrent d’abordles beaux esprits français… enrevanche, le monde universitairefrançais et européen a multiplié lesrencontres et les publications consa -crées au philosophe italien (nouvelleséditions de Des délits et des peines,livres, articles). Un grand colloqueinternational sur « Les cultures deBeccaria », organisé par des spé -cialistes, dont Philippe Audegean, s’estdéroulé à Paris en décembre 2014. Les

actes paraîtront en 2017 dans unvolume intitulé : Le Bonheur du plusgrand nombre. Beccaria et les Lumières(Lyon, ENS éditions). Au moment oùle monde vient de faire un grand pasen arrière avec l’élection de Trump

aux États-Unis, il n’est pas inutile derappeler l’actualité des combats deBeccaria contre la peine de mort et latorture, et en faveur de l’idée degarantie des droits de la défense etd’humanité du traitement descondamnés. À n’en pas douter, la luttedes Lumières du droit pénal pour unejustice à visage humain est encore lanôtre. n

*Luigi Delia est philosophe. Il estdirecteur de programme au Collègeinternational de philosophie.

« La lutte desLumières du droit

pénal pour unejustice à visage

humain est encore la nôtre. »

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Le droit est uN combAt citoyeNLe droit fait souvent peur aux militants. d’un côté, sa complexité, ses grandsmots, le peu de formation qu’on acquiert à l’école sur le sujet ; d’un autrecôté, la répression et l’hostilité des tribunaux ; bien des raisons retiennentles militants politiques, syndicaux, associatifs de s’investir dans le droit.dans un article écrit pour Droit, solidarité, dont nous nous inspirons, rolandWeyl, vice-président de l’Association internationale des juristes démo-crates, explique pourquoi c’est une grave erreur.

PAR GAËLLE VAILLANT*

Voici trois idées préconçuesassez répandues chez les mili-tants et quelques propositions

pour les dépasser.

« Le droit est impénétrable, seuls lesjuristes le connaissent, ils sont tousissus des classes supérieures, lesmêmes que les personnes qui dirigentle pays, donc laissons tomber. »Entourons-nous, au contraire, dejuristes militants, encourageons undroit intelligible dans les revendica-tions politiques. Les spécialistes dedroit du travail et nos amis syndica-listes, par exemple aux prud’hommes,sont un bon exemple de citoyens éclai-rés dans un domaine juridique pré-cis, il en faudrait spécifiquement pourtous les domaines. Pensons aussi àl’éternelle lutte des intermittents duspectacle. S’ils ne descendaient pasdans la rue environ tous les ans, il y abien longtemps que leur statut n’exis-terait plus et c’est la moitié des tra-vailleurs du spectacle vivant qui nepourraient plus vivre de leur métier.Mais, en même temps, si des juristestrès compétents ne les assistaient pas,ils se feraient laminer (comme en Ita-lie). Encourageons une veille juridiquecitoyenne !

« Le droit est lent à se mettre en place,il prend trop de temps, alors que l’ur-gence de la situation est là. »Bien sûr, il faut lutter dans l’urgence,mais prenons aussi le temps de lut-ter jusqu’au bout, soyons patients, carau final les conditions de demain enseront changées. Le droit des femmesà disposer d’elles-mêmes après Mai68, le droit à l’avortement en 1975,l’abolition de la peine de mort en 1981ont aussi été obtenus avec l’aide dejuristes. Ces acquis ne sont jamaisdéfinitifs, comme on le voit enPologne, où lutte dans la rue et lutteà l’intérieur du droit se complètent.

« Le rapport de force avec l’état esttrop défavorable, alors autant se pas-ser du droit, la répression sera toujourslà. »Si le gouvernement a fait voter l’étatd’urgence, c’est aussi pour s’octroyerplus de droits. Car l’État a peur dessoulèvements populaires légaux, il apeur des syndicats, des grèves, desNuits debout et des militants de ZADqui sont dans leur bon droit, ceux-cilui font bien plus peur que des terro-ristes. Un exemple plus ancien etavéré : le soulèvement des mineursen 1963. Les arrêtés répressifs, le décretde réquisition n’ont pas été appliquéscar l’opinion et même les forces del’ordre penchaient du côté desmineurs.

Un certain délaissement citoyen àpropos du droit débouche aussi surdes conséquences perverses. Si l’onne procède pas à une veille juridiquecitoyenne, alors, souvent, l’État éla-bore un droit injuste et nous nous enapercevons un peu tard. Dans le casde la loi Travail, la conscience de l’in-justice a été éveillée dès le momentde l’élaboration de la loi, grâce auxmises en garde fortes et précoces desyndicalistes, de juristes, d’universi-taires, de parlementaires. Mais ce n’estpas toujours le cas : de nombreuseslois (telle la loi relative aux libertés etresponsabilités des universités, LRU,en 2007) sont passées dans une rela-tive indifférence et les universitairesne se sont mis à protester vraimentqu’en 2009 lorsque les décrets d’ap-plication ont révélé sa nuisance.En d’autres termes, « c’est [aussi] le

Droit qui fait l’État et non l’État quifait le Droit », dit Roland Weyl. Maiscomment faire le droit qui fait l’Étatà l’échelle de nous autres, citoyens etmilitants ? Voici ses propositions.Pour cela, il est capital : 1. de démystifier le droit, de ne pasl’idéaliser et de ne pas le diaboliser,de comprendre qu’il est un élémentessentiel du combat, en étant lui-même en dépendance d’un combat ; 2. de ne pas sous-estimer l’impor-tance du concours de spécialistes donton est en droit d’attendre non seule-ment l’érudition quantitative dans laconnaissance documentaire destextes, mais aussi et surtout l’assis-tance qualitative d’une formation cul-turelle en matière juridique ; 3. de ne pas pour autant abandonnerle combat aux seuls spécialistes, cardès lors qu’il s’agit d’un instrumentde gestion des rapports sociaux, lecombat pour son contenu et son appli-cation est un combat politique, quiincombe aux citoyens.

C’est donc aussi un combat dans ledomaine de l’éducation. La Répu-blique bourgeoise d’autrefois avaitinscrit aux programmes scolaires duplus jeune âge ce qu’on appelait « l’ins-truction civique » où sans doute l’édu-cation morale du « civisme », c’est-à-dire des obligations et devoirs, tenaitune grande place, mais aussi, héritéede la Déclaration de 1789, celle desdroits et de la citoyenneté. Elle a dérivéaujourd’hui en un enseignement prin-cipal des structures techniques d’en-cadrement. Il ne serait pas inutile derestaurer, ce qu’elle était aux tempsrépublicains, la transmission d’uneculture « républicaine » en en enri-chissant le contenu de souverainetépopulaire. n

*Gaëlle Vaillant est médiatriceculturelle, licenciée en droit.

« Encourageonsune veille juridique

citoyenne ! »

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tion de garantir aux citoyens le res-pect du droit contre la loi du plus fortet les abus de pouvoir, et que consa-cre dans les textes internationaux laproclamation du droit à un procèsrégulier. Mais là aussi, elle se répartiten deux sous-catégories : la concep-tion de la common law qui est celledes pays anglo-saxons, où c’est le jugequi dit le droit, en toute indépendancede toute loi, et la conception « romano-germanique », où il doit être indépen-dant du pouvoir politique mais pasde la loi, qu’il doit appliquer.

La conception romano-germanique,qui est celle en vigueur en France,garantit la meilleure sécurité (ou lamoins mauvaise). Elle repose sur leprincipe que la loi est écrite, qu’on laconnaît, et qu’on peut se comporteren fonction de ce qu’elle prévoit. Sielle est mauvaise, il faut la changer,mais on ne peut pas être en dépen-dance de ce que sera l’opinion impré-visible de tel ou tel juge. Sa supério-rité sur la common law s’exprimeparfaitement quand ses partisansarguent de ce que le juge doit proté-ger contre la loi.Sans doute est intervenue dans notrehistoire récente la référence au « bonjuge de Château-Thierry », Magnaud,qui avait acquitté une femme ayantvolé un pain, reconnu aux ouvriersagricoles le droit de faire grève, devancéla protection des accidentés du travail,etc.. Mais si l’on prend les décisions

de Magnaud, elles sont toutes scrupu-leusement motivées en droit, et essen-tiellement sur l’état de nécessité ou levice du consentement (qui sont desnotions inscrites dans la loi).Reste alors à analyser ce que doiventêtre les modes de fonctionnement del’administration de la justice et à enesquisser un bilan.

Le juGe dépeNdANt de LA Loi, mAis iNdépeNdANtde toute AutreiNterVeNtioNL’orthodoxie marxiste fait de la justiceun appareil de domination de classe,pour la simple raison que l’État est unappareil de classe et qu’elle est un deséléments de cet appareil. L’interven-tion des contradictions contempo-raines a mis en devoir de déschéma-tiser le mode de pensée. Il était untemps où Guizot disait des juges, quiétaient tous des propriétaires cossus :« Il n’y a pas de meilleur défenseur dela propriété que les propriétaires eux-mêmes ». Mais la plupart des juges sontdevenus locataires d’HLM. Et l’État lui-même est devenu un enjeu entre saconception régalienne et sa concep-tion citoyenne. Et cela a ses consé-quences sur la fonction de l’appareiljudiciaire et son mode opérationnel.On a vu que le juge doit être dépen-dant de la loi, mais indépendant detoute autre intervention. Cela com-mande son mode de nomination etde promotion, et aussi son mode d’in-tervention. Mais sa conscience n’estpas indépendante, et nous trouvonsici la justification fondamentale del’exigence de contradiction dans sonmode de fonctionnement.On a trop tendance à résumer lesdroits de la défense à une sorte degarantie humanitaire, de protectiondu justiciable. Or elle est aussi uneprotection du juge, et c’est ici que lemarxisme revient en force, toute véritéest contradictoire, surtout quand, dansla justice civile, elle oppose deux plai-deurs, et dans la justice pénale elleoppose le poursuivant et le poursuivi.Par nature, la conscience du juge estsubjective, et seule la pluralité desapproches contribue à une connais-sance objective.Une autre garantie est celle de la publi-cité. Sauf obligation exceptionnellede réserver des possibilités de confi-dentialité dictées par la protection dela personne et de sa vie privée, la jus-tice doit fonctionner publiquementpour que puisse être vérifié qu’ellefonctionne correctement et que soient

PAR ROLAND WEYL*

q uand on traite de la justice,il faut d’abord bien en déli-miter le rôle et la fonction. En

effet, il est fréquent d’y ramener toutela problématique du droit. Or le droitest (ou devrait être) la référence desécurité pour les relations avec l’au-tre, et donc se situer d’abord dans laconscience et la pratique, dont seulsl’échec et la crise appellent recoursà la justice. Sous cette réserve, reste encore la plas-ticité de la conception de la justice etde sa mise en œuvre institutionnelle.Au plan philosophique, la réponse estsimple : c’est ce qui est juste, et lesmoyens d’assurer ce qui est juste.Encore faut-il s’accorder sur ce quiest juste, qui peut être équitable ouadéquat. C’est dire qu’il n’y a pas deréponse universelle à la question dejustice.Certes, il s’est formé, à l’épreuve desavanies subies par l’humanité, uneconscience universelle qui s’exprimedans des textes internationaux, notam-ment la Déclaration universelle desdroits de l’homme en 1948, et les deuxpactes des Nations Unies sur les droitsde l’homme, qui ont cinquante ansce 16 décembre. Mais il ne suffit pasque le droit soit écrit sur le papier etla conception de la justice est biendiverse de par le monde.

Assurer L’Autoritéde L’étAt ou GArANtir Aux citoyeNs Le respectdu droit coNtre LA Loi du pLus Fort Il n’est pas nécessaire, pour en fairel’inventaire, de prendre pays par pays.On peut simplement la répartir engrandes catégories. Il y a d’abord lepartage entre les pays où elle a pourfonction d’assurer l’autorité de l’État,qui peuvent eux-mêmes se classer endeux sous-catégories : les dictatures,dans lesquels elle assure, au besoinpar des décisions terroristes, la disci-pline des sujets, et les pays théocra-tiques où elle assure le respect de lafoi, dans laquelle elle puise ses pro-pres références ; d’autre part, les paysdémocratiques où elle a pour fonc-

« toute vérité estcontradictoire,surtout quand,dans la justice

civile, elle opposedeux plaideurs,

et dans la justicepénale elle oppose

le poursuivant et le poursuivi. »

droit et justice dANs Le moNde

Les principes du droit peuvent être différents selonles cultures, certains sont meilleurs que d’autresmais dans tous les cas la pluralité des approchesest une richesse.

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connus tous les arguments qui lui ontété donnés. Combien de fois n’est-ilpas arrivé de dire : « Vous pouviez nepas savoir ce qu’on vient de vous expli-

quer. Maintenant non seulement vousle savez, mais on sait qu’on vous l’adit, et si vous jugez autrement, on nedira pas que nous avons tort mais quela justice est mauvaise. »En effet, même si la sécurité de la jus-tice est dans celle que doit donner la

loi, il ne suffit pas de donner au jugedes arguments juridiques, car on peuttoujours trouver dans le maniementou la manipulation du droit des réfu-

tations parfaitement juridiques. Il fautdonc d’abord donner envie au jugede vous donner raison, et lui en don-ner les motivations juridiques.C’est d’ailleurs pourquoi, dans lesaffaires sensibles, la défense juridiquedoit être accompagnée d’une expres-

sion politique de soutien, et si le jugey voit une insupportable pression, ilfaut lui faire valoir que c’est aucontraire en quelque sorte unimmense témoignage de moralitécomme il en admet pour le moindrevoleur de bicyclette.C’est aussi pourquoi dans la dernièrepériode, des décisions comme cellede Goodyear ou du refus de libéra-tion de Jacqueline Sauvage continuentà donner une peu glorieuse image dela justice. Mais aujourd’hui cela ren-voie à la crise générale de la consciencecitoyenne. n

*Roland Weyl est avocat au barreaude Paris. Il est vice-président de l’As-sociation internationale des juristesdémocrates.

« des décisions comme celle de goodyearou du refus de libération de jacquelinesauvage continuent à donner une peu

glorieuse image de la justice. »

osseux : résultat, 26 ans minimum (cequ’effectivement il paraît). Donc il estdevant le tribunal pour escroquerieaux frais « du contribuable ».Le président, sarcastique, l’interroge,il se moque de lui à plusieurs reprises.Aucune allusion à sa situation sociale,à ses souffrances, etc. Intervention dela procureure, plutôt polie. Interven-tion de l’avocate. Jugement : trois moisfermes, mandat de dépôt, interdic-tion du territoire pendant cinq ans.2. M. Y, sans doute franco-algérien,19 ans, un enfant de 4 mois. Sa copineet sa mère sont dans la salle. Il est néen 1997, son père (violent) s’en va en2006, il le suit, puis revient chez samère en 2013. Il a au moins une sœur(la vingtaine) et un frère (13 ans) quivivent chez la mère. En juin, pendantle ramadan, il est dans sa chambreavec sa copine. Sa sœur entre et luidit que ça ne se fait pas en périodede ramadan. D’après lui, ils ne fai-saient rien. Furieux, il va chercher uncouteau de cuisine. Sa sœur se réfu-gie dans la salle de bains et s’enferme ;il lacère la porte de coups de couteauet essaie de la défoncer. En vain. Lafamille appelle les flics. Arrivent troispoliciers (dont deux femmes). Leurtête « ne lui revient pas », il prend

l’une d’entre elles par les poignets etlui donne un, deux ou trois coups depied dans le « bas-ventre ». L’employéede police a quelques traces au poi-gnet mais pas au bas-ventre et zérojour d’incapacité temporaire de tra-vail. Le 11 juillet, le téléphone sonne(c’était la police ou le tribunal, je nem’en souviens pas). Le petit frèredécroche, l’accusé lui arrache le télé-phone et le tabasse. Garde à vue. Iln’a pas de casier.Le même président, encore plus sar-castique, lui rappelle que c’est unecomparution immédiate, qu’il peutla refuser : si tel est le cas, le procèsaura lieu dans deux à six semaines etil peut rester au trou pendant cetemps-là. Il accepte la comparutionimmédiate. Le président l’interroge.Plaisanterie sur sa date de naissance :« C’est bien 1997, pas 1987 ? On nesait jamais, on l’a vu tout à l’heure. »Alors qu’il n’y a aucun doute ni dis-cussion sur le sujet. Le président esten représentation, il a à côté de luideux assesseurs plus tout jeunes etavachis, qui ne disent jamais rien. Leprévenu reconnaît tout et s’excuseauprès des victimes. Il dit qu’il est vio-lent et perd souvent le contrôle de sesnerfs. On lui demande s’il se fait soi-

PAR PIERRE CRÉPEL*

13 juiLLet. 15 Heures.cHAmbrecorrectioNNeLLe : deux procès eNcompArutioN immédiAte1. Un Guinéen, M. X est accusé d’es-croquerie viades faux papiers. Il étaiten Guinée, atteint d’une maladie – j’aicru comprendre que c’était la polyo –,et avait du mal à se déplacer. Les tra-vaux qu’il pouvait faire là-bas étaienttrop durs, il est parti et a fini par débar-quer à Lampedusa. De là, il s’est renduà Vintimille, puis des passeurs lui ontfait franchir la frontière. Il comprendà peu près le français (qu’il ne parlepas), mais pas l’italien. Un interprètenous a fait un exposé intéressant surles langues du Sénégal, de la Guinée-Bissau et de la Guinée-Conakry. CeGuinéen n’avait pas de papier, il a alorsdemandé à son frère de lui envoyer unoriginal de son acte de naissance etune copie certifiée de la mairie. Cedocument indiquait qu’il était né en1999, et qu’il avait donc 16 ans. Grâceaux papiers présentés, il a pu obtenirdivers avantages réservés aux mineurs(logement, etc.). On lui a fait des tests

des compArutioNs immédiAtes Au déFiLé miLitAiresaisissants contrastes de deux mondes différents.

s

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DOSSIER s gner, s’il fume des joints. Réponse : «

Je ne me fais pas soigner, mais jedevrais, je suis prêt à le faire. Pour lecannabis, j’essaie d’arrêter, je n’en aipas pris depuis une semaine. » Ilraconte sa vie, ses recherches de tra-vail. Il vient d’avoir un contrat en juinpour la préparation des repas dansles cantines de [ville censurée], cecontrat est reconduit à partir du1er septembre, mais comme l’écoleest en congé, il a le malheur de direqu’il est « en vacances ». Le présidentlui fait une leçon de morale : « com-ment ? Vous dites que vous êtes envacances, avec un enfant de 4 mois,comment le nourrir, etc. ? » Le pré-venu répond qu’il cherche du travailtous les jours, qu’il peut lui montrerses mails, mais que ce n’est pas si facileet que « vacances » signifiait lesvacances scolaires des enfants, nonl’arrêt des démarches. Il explique qu’ilréussissait relativement bien à l’écolejusque vers 15-16 ans, que ensuite çane l’intéressait plus, que c’est là qu’ils’est mis au cannabis. Il voudrait êtreplombier chauffagiste, il a fait quelquesessais en ce sens.Problème : comment protéger les vic-times pour que ça ne se reproduisepas ? Discussion sur un hébergementalternatif, afin de ne plus être encontact avec sa mère, sa sœur et sonfrère avec lesquels il ne s’entend pas.Le président continue ses sarcasmes.On appelle la petite amie à la barrepour confirmer ou infirmer les pro-pos du prévenu selon lesquels la mèrede celle-ci est prête à l’héberger enattendant qu’il gagne suffisammentpour que les deux jeunes et le bébépuissent s’installer. Elle confirme.Réponse du président : « S’il n’y a pasd’engagement écrit, ça ne vaut rien »

(la mère en question n’est pas dans lasalle). La procureure demande douzemois de prison, dont trois fermes, plusun certain nombre de choses. Lafamille n’a pas porté plainte, semble-t-il par crainte de représailles. Plai-doirie de l’avocat de la policière. Plai-doirie de l’avocate du prévenu.Jugement : douze mois de prison, dontsix fermes (plus que la demande dela procureure), mise à l’épreuve, obli-gation de soins, interdiction de contactavec les victimes, obligation de rési-dence chez une autre personne, péri-mètre de sécurité, 150 euros d’amende,300 euros de dommages et intérêts.

Je n’ai pas assisté à l’annonce du juge-ment. Trop tard pour moi. Je suis alléle chercher vendredi au bureau adé-quat (c’est public). Pendant l’attente,j’ai discuté par hasard avec la sta-giaire de l’avocate. On l’avait préve-nue que le président était « spécial ».Discussion sur les dossiers qu’elleavait vus, sur la façon dont les accu-sés se sont défendus. Le second comp-tait, le matin même, refuser la com-parution immédiate. Elle pense qu’ilne l’a acceptée subitement enaudience que par peur d’un mandatde dépôt (mise au trou direct, enattendant le procès) ; ainsi l’avocatea été un peu prise de court. Discus-sion sur la question de la prison : nerisque-t-elle pas de faire plonger lesecond accusé dans la délinquancechronique ? Elle pense que oui. Lastagiaire m’a conseillé d’assister à unprocès en assises.

17 H 30. prise d’Armeset déFiLé du 14 juiLLetJe suis invité dans la tribune officielleen tant qu’érudit local. Environ deux

à trois cents personnes dans la tri-bune, au moins 80% d’hommes. Quedes gens bien mis qui se connaissentun peu tous (sauf moi), contentsd’eux. Le public derrière des barrières(moins de mille personnes). Remisesde décorations (Légion d’honneur,etc.) à des gens qui en ont déjà d’au-tres (l’un d’entre eux, autant que Brej-nev). Remises aussi de médailles ducourage, à quatre pompiers qui sesont exposés et à trois policiers quiont sauvé des candidats au suicide :seuls gens du peuple vus à l’intérieurdes barrières. Ensuite défilés detroupes avec des « Présentez armes »,etc. Musique militaire. Une canta-trice chante La Marseillaise, Le Chantdu départ et Madelon (« Quand on luiprend la taille ou le menton… »). Lamaire, un secrétaire d’État, le géné-ral commandant la place, etc., sontmis en valeur. Tout cela dure uneheure et demie, les officiels descen-dent et papotent entre eux. Commeles noms étaient marqués sur leschaises, j’ai regardé sur Internet quiétaient mes deux voisins : l’un étaitprésident de l’association France-Allemagne, l’autre grand manitou desressources humaines d’une entre-prise.

« La justice flétrit, la prison corromptet la société a les criminels qu’ellemérite. »Alexandre Lacassagne, un des fonda-teurs de la police scientifique et dela médecine légale moderne. n

*Pierre Crépel est historien des sciences. Il est président de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon.

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Lafoux, la directrice de la CPAM duRhône, estime qu’il y a entre 25 et 33 %des personnes qui auraient droit à laCMU-C et qui ne la demandent pas.Comme le démontrent les auteurs del’ouvrage cité, si la fraude à l’ensem-ble des prestations sociales est esti-mée à 4 milliards d’euros par an, sonenvers, à savoir le « non-recours » à cesaides de la part des très nombreusespersonnes qui y ont droit, est bien supé-rieur. Ainsi, chaque année, 5,7 milliardsd’euros de revenu de solidarité active,700 millions d’euros de couverturemaladie universelle complémentaire,378 millions d’euros d’aide à l’acqui-sition d’une complémentaire santé,etc., ne sont pas versés à leurs desti-nataires. Mais personne ne va « au tri-bunal » pour cela ! Ces « économies »pour la Sécu ou l’État représentent nonseulement des renoncements aux soins,donc des souffrances, mais aussi desbombes à retardement pour la santéultérieure des personnes et des coûtsdifférés pour les soigner.

FrAude et pressioNs des GrANdes eNtreprisesRevenons à l’infirmier qui a défrayé lachronique en escroquant 824 000 eurosà la Sécu (et n’a finalement rien gagné,puisqu’il s’est fait prendre) : un petitjoueur. Les laboratoires pharmaceu-tiques font mille fois mieux. Prenonsun exemple parmi d’autres. Sur Media-part, le 15 avril 2015, Michaël Hajden-berg et Pascale Pascariello ont enquêtésur l’histoire du Seroplex, « ce médi-cament qui a permis [au laboratoiredanois] Lundbeck, à coups de contratssecrets, de pression intensive, d’ap-puis troubles dans les cabinets minis-tériels ou encore en recrutant desconsultants phares comme AquilinoMorelle [un proche de Jospin et de Hol-lande], d’obtenir gain de cause puis dedégager un chiffre d’affaires de plusd’un milliard d’euros en dix ans. Avecpour conséquence évidente, non pasl’amélioration de la santé des Français,mais une hausse de leur dette via laSécurité sociale ». Nous conseillonsvivement cet article, où l’on pourraadmirer la « guérilla juridique », lesclassements sans suite, les appels, lesprocédures « toujours en cours ». Lesjournalistes précisent : « Quelle que

soit la décision finale, fortune aura étéfaite. » La « commission de la transpa-rence » a été l’objet d’un nombre incal-culable de pressions, dont certainestotalement contraires à la loi, que lesjournalistes exposent par le détail etavec les noms. D’autre part, « plusieursministres se sont montrés plus sou-ples dans des négociations face à despromesses d’emploi, particulièrement

dans leur circonscription ». Chaquefois qu’on interroge les acteurs de cefeuilleton, ils ne s’en souviennent pas.À l’époque, le groupe communiste auSénat « défend par amendement l’idéeque la Sécurité sociale puisse dispo-ser d’un droit de veto sur certains médi-caments qu’elle jugerait inefficaces.Le gouvernement s’y oppose ».Nous voici au cœur du problème : laporosité entre « la fraude », l’exercicede pressions, « l’optimisation », de lapart des milieux d’affaires. Quant à lafraude fiscale, nous renvoyons au livredes frères Bocquet, Sans domicile fisc,Le Cherche-midi, 2016… Commedisait Condorcet, dans la Vie de Vol-taire, ce sont là « ces politiques decomptoir qui prennent l’intérêt dequelques marchands connus dans lesbureaux pour l’intérêt du commerce,et l’intérêt du commerce pour l’inté-rêt du genre humain ». n

*Yulia Fournier est conseillère juridique.

PAR YULIA FOURNIER*

d ans L’Envers de la « fraudesociale ». Le scandale du nonrecours aux droits sociaux (La

Découverte, 2012), publié par l’Ode-nore (Observatoire des non-recoursaux droits et services), Héléna Revilexamine les fraudes à la couverturemédicale universelle (CMU). Il existeplusieurs prestations voisines, en par-ticulier : la CMU-B (aujourd’hui appe-lée protection universelle maladie,PUMA), qui permet une couverturemaladie universelle de base ; la CMU-C, qui permet une couverture mala-die universelle complémentaire. Ellessont, bien entendu, soumises à diverscritères de ressources ou de résidence.Pour les in frac tions, le code de la Sécu-rité sociale distingue les « fautes »(omission de revenus, obstacle auxcontrôles, absence de conditions derésidence…) et, plus grave, les « frau -des » (falsification d’ordonnance, tra-vail cumulé à une indemnité journa-lière…). Les auteurs encourent despénalités financières (procédure civile)et, dans les cas graves, des plaintesau pénal. La propagande, amplifiéesous Sarkozy et qui s’est poursuivieaprès, fait croire que les contrevenantssont des assurés, mais les chiffres mon-trent que ceux-ci y contribuent pourmoins d’un quart. Des professionnelsde santé (médecins, infirmiers, kinés,ambulanciers, taxis) et des entreprisesliées à la santé fraudent beaucoup pluset parfois pour des sommes considé-rables. Ces contrevenants encourenten général des pénalités moins élevéesque les assurés parce qu’ils sont mieuxprotégés. Bien sûr, la plupart des pro-fessionnels sont honnêtes, mais lapresse a révélé des cas allant jusqu’àun million d’euros. Pour les plaintesau pénal, les montants des fraudes desassurés ne représentent qu’environ10 % de l’ensemble.

Le NoN-recours Aux droitsL’accent mis sur les petites fautes oufraudes des assurés masque en outreun problème inverse, c’est le non-recours à leurs droits de la part desgens dans la détresse. Dans Le Progrèsde Lyon du 17 juillet 2016, Emmanuelle

« LA » FrAudeune campagne est lancée depuis quelques années contre « la fraude » : à lasécurité sociale, dans les transports, etc. Les précaires, les jeunes, les étran-gers, les pauvres sont particulièrement visés, car « frauder, c’est voler » et « quivole un œuf vole un bœuf ». mais la fraude n’est pas ce qu’on nous montre.

« Au cœur du problème :

la porosité entre “la fraude“,l’exercice

de pressions,“l’optimisation”,

de la part desmilieux d’affaires. »

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tion à changer leurs pratiques. Sur lesquelque six cent mille condamnationspénales prononcées chaque année, ondénombre moins d’une centaine decontraintes pénales. Or leur philoso-phie est profondément différente dessursis avec mises à l’épreuve, qui entraî-nent une incarcération quasi automa-tique dès lors que le condamné ne res-pecte pas une des obligations associéesà sa condamnation. La contraintepénale permettait ainsi un suivi pluspersonnalisé. La principale avancée

que l’on peut porter au crédit de Chris-tiane Taubira est la suppression despeines planchers. Instaurées sous Nico-las Sarkozy, celles-ci obligeaient, encas de récidive, les juges à prononcerautomatiquement une peine minimaleen fonction de l’infraction commune,sans tenir compte de l’évolution duprévenu. Autrement, l’action de Chris-tiane Taubira à la place Vendôme s’estlargement résumée au ministère de laparole : beaucoup de discours maispeu d’actions concrètes.

plus récemment, les différentes loisantiterroristes adoptées à la suite desattentats commis sur le sol françaisremettent-elles en cause l’état dedroit ?La loi du 3 juin 2016 sur l’antiterro-risme est venue pérenniser certainesmesures adoptées dans le cadre del’état d’urgence, telles celles qui accor-dent beaucoup d’autonomie à lapolice : perquisitions de nuit, place-ment en rétention administrative, sur-veillance des personnes à leur insu,etc. Le tout sans contrôle préalabled’un juge indépendant. De fait, cesmesures peuvent s’avérer nécessairesdans certaines affaires, mais ellesétaient auparavant soumises à l’au-

torisation préalable d’un juge d’ins-truction ou des libertés, qui dans lapratique l’accordait presque systéma-tiquement. L’argument selon lequelcela permettrait à la police d’être plusefficace ne tient pas, car ces magis-trats sont très réactifs et travaillentsouvent jusqu’à deux ou trois heuresdu matin… L’État de droit tend ainsià être remplacé par un État d’urgencepermanent, sans que les bénéficespour l’ordre public soient évidents.Les nombreuses assignations à rési-

dence prononcées fin 2015-début 2016se sont davantage révélées une remiseen cause des libertés individuellesqu’un outil efficace de prévention dupassage à l’acte.

Vous avez présidé le syndicat de lamagistrature  : pourriez-vous nous présenter cette organisation ? quellevision de la justice défend-elle en par-ticulier ? et quel regard porte-t-on surcette dernière, au sein du monde judi-ciaire comme en dehors ?Le Syndicat de la magistrature a étécréé en 1968, mais n’est pas issu,comme on le pense souvent, du mou-vement de Mai 68. Ses fondateurs ontdavantage été influencés par le catho-licisme social et une vision plusouverte de la peine, une consciencedes limites et des méfaits de l’empri-sonnement. Ils avaient à cœur de ren-forcer les liens de la justice avec lasociété et l’économie en accordantplus d’importance à certains domainescomme le droit du travail. Ils ontnotamment noué des coopérationsavec différents syndicats de salariés,comme la CGT et la CFDT. Ils étaientanimés par une philosophie progres-siste, mais pas par la volonté de révo-lutionner la justice, seulement celle

PAR ÉVELYNE SIRE-MARIN*

en tant que vice-présidente du tGi deparis, quel regard portez-vous sur l’évo-lution générale de l’institution judi-ciaire depuis le début du siècle ?On peut constater une très nette domi-nation du parquet. Non seulementcelui-ci oriente l’ensemble des dos-siers, conformément à son rôle, maisdésormais, il traite un nombre crois-sant d’affaires « en direct » sans pas-ser par une enquête du juge d’instruc-tion. On observe également un nombrecroissant d’affaires réglées en compa-rution immédiate au pénal. Parallèle-ment à cela, l’institution est vidée deses moyens au profit, notamment, dela lutte contre le terrorisme. Beaucoupde magistrats sont ainsi par exemplerequis pour siéger en cour d’assisespour des affaires liées à l’antiterro-risme, au détriment de la justice ordi-naire (droit commun, droit du travail,justice civile, affaires familiales, etc.).La justice souffre en France non seu-lement d’un manque de moyens maté-riels et humains, souvent dénoncé,mais également de leur mauvaise répar-tition. Ceux-ci sont aujourd’hui absor-bés par les affaires extraordinaires, ainsique par l’administration pénitentiaire.En témoigne la récente annonce parle gouvernement d’un nouveau plande construction de prisons…

La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 por-tée par l’ancienne garde des sceaux,christiane taubira, a-t-elle réellementcontribué à « humaniser » la peine ?Ce texte a manqué son ambition ori-ginelle en ne remettant pas à plat l’en-semble de l’échelle des peines. Il anotamment créé la contrainte pénalequi offre une alternative à l’emprison-nement pour les condamnations à cer-tains délits, mais il existait déjà en lamatière les peines de sursis avec miseà l’épreuve qui entrent en concurrenceavec cette mesure nouvellement créée.L’une et l’autre permettent de laisserdes condamnés en liberté avec uncontrôle et un accompagnement parun conseiller d’insertion et de proba-tion, mais les juges ont continué à pri-vilégier les premières, faute d’incita-

« La justice souffre en France non seulement d’un manque de moyens

matériels et humains, souvent dénoncé, mais également

de leur mauvaise répartition. »

pour uNe VAste réFLexioN pubLique sur Le seNs de LA peiNe depuis plus d’une dizaine d’années, l’institution judiciaire a changé, plus enmal qu’en bien, malgré quelques timides tentatives de réforme. une remise àplat s’impose.

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de la réformer dans un sens plushumaniste. Ses membres sont parfoisétiquetés comme des « juges rouges »,ce qui est un véritable contresens. Plu-sieurs d’entre eux ont ainsi rejoint lescabinets ministériels lors des diffé-rents gouvernements socialistes ettous sont des magistrats de terrain,dont une des tâches essentielles estde condamner et d’emprisonner desgens ! Ce qui différencie les membresdu Syndicat de la magistrature de leurscollègues est peut-être qu’ils accor-dent plus d’attention au développe-ment des services sociaux, notam-ment ceux de santé psychiatrique,d’insertion et de probation. Enfin, ilest curieux que l’organisation majo-ritaire – et dont la majorité aux élec-tions professionnelles tend à s’accroî-tre –, l’Union syndicale des magistrats,s’arc-boute sur la proclamation deson apolitisme, alors que ses mem-bres ont des pratiques juridiction-nelles qui ne les distinguent guère deleurs confrères du Syndicat de lamagistrature.

ces attaques récurrentes contre lesyndicat de la magistrature ne mar-queraient-elles pas une volonté deremettre en cause l’indépendance desmagistrats ?Je ne le crois pas. Cette indépendanceest revendiquée par l’ensemble desmagistrats, y compris ceux du par-quet, alors même qu’ils appartien-nent à une chaîne judiciaire qui lessubordonne de fait au garde desSceaux. Ces critiques relèvent selon

moi d’un projet porté initialementpar le Front national et reprisaujourd’hui par certains représen-tants des Républicains, comme Chris-tian Estrosi ou Éric Ciotti, visant à sup-primer le droit de se syndiquer dansla magistrature. Les attaques contrel’indépendance des juges relèvent plu-tôt, à mon sens, de logiques person-

nelles visant tel ou tel juge en parti-culier, tels le juge Gentil dans l’affaireBettencourt ou le juge Van Ruymbekeenquêtant sur Nicolas Sarkozy.

quelles sont les principales mesuresqui pourraient être prises afin de ren-dre la justice plus juste ?En matière pénale, il faudrait lancerun vaste chantier de réflexion et d’en-quête sur les peines : leur sens, leuréchelle et leurs modalités. Il suffiraitde s’inspirer de ce qui a été menédepuis un certain nombre d’années,en la matière, dans les pays scandi-naves. S’agissant de la justice civile,il faudrait également revoir certains

contentieux qui pourraient s’affran-chir du passage devant le juge, commece qui a été initié concernant le divorcepar consentement mutuel. De manièreplus générale, il faut enfin revoir lesmoyens alloués à la justice : une tropgrande part est accaparée par l’admi-nistration pénitentiaire et la justicefrançaise apparaît singulièrement

sous-dotée comparée aux pays voi-sins. Le nombre de magistrats rap-portés à la population est sensible-ment inférieur à ce que l’on observeen Allemagne ou en Espagne parexemple, ce qui joue au détriment durespect des droits de l’ensemble descitoyens. n

*Évelyne Sire-Marin est vice-présidente du Tribunal de grandeinstance de Paris, en charge desaffaires économiques et financières.

Propos recueillis par Igor Martinache.

« Les nombreuses assignations àrésidence prononcées fin 2015-début 2016

se sont davantage révélées une remise en cause des libertésindividuelles qu’un outil efficace

de prévention du passage à l’acte. »

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DOSSIER pAroLes de jeuNes AVocAts

certains ont choisi ce métier par hasard, par tradition familiale ou parcequ’ils ont cru que c’était un créneau porteur. il y en a d’autres qui l’ontchoisi par conviction, en voulant s’engager pour une cause. deux d’entreeux, qui ont prêté serment fin 2015, nous parlent de leurs aspirations, deleurs premières expériences, de leurs craintes et de leurs espoirs.

ENTRETIEN AVEC ADRIEN LOQUESOLET KAHINA MERABET*

pourquoi et comment se lancer danscette carrière ?A.L. J’ai toujours été intéressé par lesquestions environnementales (agri-culture paysanne, AMAP pour étu-diants, etc.), mais je ne me suis passenti la vocation d’avocat dès l’en-fance. J’ai choisi une filière de droitavec un programme assez ouvert : dela philosophie, des sciences politiques.En master 1, lors d’une année decésure aux Pays-Bas, en droit inter-national, j’ai eu la chance d’être encontact avec un professeur engagédans le droit de l’environnement.C’était une belle expérience, impli-quant des jeunes très actifs, travail-lant avec les associations. Ensuite enmaster 2, j’ai fait mon stage à FranceNature Environnement et j’ai doncpu mieux apprécier le monde asso-ciatif, la puissance du collectif.Les mobilisations qui partent de labase, les associations, c’est primor-

dial, les partis politiques peuvent ren-dre les revendications plus institu-tionnelles, leur donner plus derésonance, mais ils ne sont pas tou-jours très efficaces ; le droit peut êtreun outil. Le droit de l’environnement,c’est très manichéen : soit tu défendsles gens, soit tu défends les pollueurs,il faut choisir un camp. Certes, avecun master de droit, on peut aussi deve-nir juriste associatif, on peut plaiderdes causes sans être avocat, certainsle font très bien, mais un avocat a unesorte de légitimité supplémentairevis-à-vis des juges. Et puis, les asso-

ciations n’ont en général pas lesmoyens d’embaucher.Donc je fais du droit avec une finalité,en m’interrogeant sur les ressources,l’espace, l’humain, la santé, sur l’idéalde démocratie, les modes de prise dedécision, le collectif, l’intérêt général,sur ce que peut être une légitimité.J’avoue que je me suis beaucoup ques-tionné sur les formes de mon engage-ment juridique : il n’y a pas que la pro-fession d’avocat, mais finalement jeme suis lancé dans la préparation del’école et j’ai eu la chance que ça aitmarché du premier coup.

K.m. Je cherchais un emploi et unrevenu (ce qui n’est pas si simple),mais pas en faisant n’importe quoi.Certes, il y a une tradition familiale,puisque ma mère est une avocate algé-rienne féministe, bien connue ici, maisau départ je ne voulais pas faire lamême chose qu’elle. J’ai suivi desétudes de droit, mais aussi socio-éco-nomiques. Dans les enseignementsjuridiques, on t’assène : voici ce quedit la loi, voici comment on l’applique,

mais on ne t’explique pas pourquoion en est arrivé là . Or, quand onfouille, l’économique et le social sonttoujours sous-jacents. J’avais la pos-sibilité de travailler pour une sociétéde recouvrement, c’est facile et ongagne bien sa vie. Si on veut être huis-sier, c’est un peu plus sélectif, maison ne galère absolument pas. Commerien de tout cela ne me correspond,j’ai décidé, après tâtonnement, dem’installer en libérale, de ne pas avoirde patron. Cela dit, je ne défends pas« une cause », par exemple le fémi-nisme, je défends l’intérêt du client

qui se présente à moi, c’est-à-dire depresque tout le monde : « presque »,parce qu’il y a la clause de conscience,je n’irais pas défendre un patron decombat contre un salarié. Mais se can-tonner à un seul type de cause, c’estillusoire. Exercer à Vaulx-en-Velin,pour moi, c’est un choix : j’ai affaireà des gens pas fortunés, plus fragili-sés que d’autres, cela me semble utile.

tes premières expériences sont-ellesconformes à ce que tu attendais ?K.m. Plus conformes à mes craintesqu’à mes aspirations ! D’abord, au boutde quelques semaines, on se rendcompte de la difficulté de la tâche,d’une responsabilité que je n’imagi-nais pas. Même sur une « petite » affaire,tu peux tout rater, parfois à 24 heuresprès. Un exemple : je défends un mon-sieur âgé, issu de l’immigration, quine sait ni lire ni écrire, qui vient de sefaire arnaquer de 1 600 euros par unassureur pour une complémentaire.Rien à voir avec les sommes qu’on traitedans un cabinet d’affaires, mais pourlui ces 1 600 euros, c’est énorme.D’après moi, c’était une cause évi-dente ; eh bien, le juge a considéré quecet homme n’avait qu’à faire attentionet on a été débouté ; j’ai passé des nuitsblanches.

A.L. Les annonces de places d’avo-cat, c’est aux trois quarts du droit desaffaires et du droit fiscal. Pour le droitde l’environnement, c’est plutôt rare,il y a peu de cabinets spécialisés. Biensûr, le jeune avocat a en général cequ’on pourrait appeler un statut d’in-dépendant aménagé, mieux protégéque celui d’auto entrepreneur ; quandil travaille dans un « cabinet », il gardece statut, il est rarement « salarié ».Mais certains barreaux sont encom-brés : dans ma promotion, il y a beau-coup de jeunes diplômés qui ontgaléré six mois, un an, pour trouverune place, même avec un bon CV, sur-tout s’ils ne choisissaient pas le droitdes affaires.À Amiens, où j’ai passé moins d’unan, et aujourd’hui à La Rochelle, je mesuis forcément retrouvé dans des cabi-nets qui traitent d’affaires diverses et

« dans ma promotion, il y a beaucoup de jeunes diplômés qui ont galéré six mois,

un an, pour trouver une place, même avec un bon cV, surtout s’ils

ne choisissaient pas le droit des affaires. »

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pas seulement d’environnement : du« civil », de l’administratif, de l’urba-nisme, de la construction, etc. Évi-demment, au départ, j’aurais souhaiténe faire que du droit de l’environne-ment et n’avoir que des causes exal-tantes à défendre ; mais finalement,je suis content de pouvoir élargir monspectre, d’apprendre la diversité dumétier. D’après ce que j’ai compris, ilfaut bien cinq/six ans pour acquérirde l’assurance. En outre, certainescauses, sans être strictement « envi-ronnementales », sont indirectementliées à ce domaine et enrichissent laréflexion (par exemple dans l’urba-nisme). Un cabinet d’avocats peutêtre plus ou moins « engagé », je n’iraispas n’importe où, mais à partir dumoment où il y a une ouverture, unbon état d’esprit, où j’ai la liberté dedéfendre des causes qui correspon-dent à mes idéaux, cela me convient.On a une certaine latitude pour choi-sir ses affaires ; bien sûr, je ne défen-drais pas Monsanto ou la ferme desmille vaches, mais, de toute façon, ilsn’ont pas besoin de moi, ils ont desdéfenseurs bien payés et prêts à allerdans leur sens.Il faut dédramatiser les plaidoiries :dans les média, on met en avant lesgrands orateurs des procès criminels,mais, au tribunal administratif, aucivil dans les petites affaires deconstruction, il n’y a pas cette culturede la belle plaidoirie. Le style dépendbeaucoup du type de juridiction et delitige. L’essentiel est de prendreconscience de la nécessité de travail-ler sur le fond.

comment vois-tu l’avenir ?K.m. Plutôt sombre. En matière civile,sur les questions de famille, deconsommation, on peut, dans une cer-taine mesure, faire son travail. Au pénal,c’est beaucoup plus dur. Les textes, lajurisprudence nous clament que l’avo-cat a le principe de la liberté de paroleà la barre, mais ce n’est pas vrai. Si tucherches à comprendre comment la

personne en est arrivée là, à voler unepaire de baskets, par exemple, le jugete répond avec mépris : « Vous rigo-lez, Maître. Enfin, il a volé, il n’a qu’àaller travailler. » On doit se contenterde chercher des circonstances atté-nuantes en enrobant, sans dire la vérité.Les juges et les procureurs sont répres-

sifs, les réquisitions sont très dures,surtout à Lyon. Bien sûr, il y a le Syn-dicat de la magistrature, qui est actifet prend de bonnes positions, maisson implantation est limitée, même àl’échelle de la France. Et, en plus,aujourd’hui, avec l’« extrême droiti-sation » de l’opinion, les juges humainssont accusés de « laxisme ». En matièrede droit des étrangers, de contrôle aufaciès, d’expulsion des logements, lasituation s’aggrave.Il est vrai qu’il y a eu des avancées surcertains points : la reconnaissance desorientations sexuelles, la lutte contreles violences faites aux femmes. Maiscela peut être remis en cause et il y ades risques de perversion, par exem-ple si l’on débouche sur le commercedes mères porteuses, ce qui est unedomination supplémentaire sur lesfemmes. D’autre part, la répressioncontre un mari violent est certaine-ment nécessaire, mais il ne faudraitpas croire que c’est la solution sur lefond. Les violences aux femmes n’ontpas diminué, il est vrai qu’elles por-tent plainte davantage, du fait de la loi.A.L. La priorité, c’est d’apprendre, de

progresser, de travailler consciencieu-sement, de garder un lien avec lemonde associatif. Je ne suis plus dansl’illusion d’avoir exclusivement à trai-ter de grands et beaux dossiers en droitde l’environnement. J’ai toujours aiméle droit public, comprendre commentla collectivité fonctionne. D’autre part,le droit social et le droit à l’environne-ment sont liés. Le droit social, c’est lasanté, la sécurité au travail ; quand ily a des procédés industriels dange-reux, les premières victimes ce sont lestravailleurs, donc, pour moi, le droitenvironnemental, c’est aussi celui dusalarié. Quand une entreprise est négli-gente sur l’environnement, elle traitemal ses salariés, parce qu’en fait, c’estqu’elle cherche à rogner sur tous lesplans.De ce côté-là, il va y avoir du travail,il y a de quoi être inquiet, beaucoupde réformes ne vont pas dans le bonsens. Elles renoncent souvent au prin-cipe « pollueur-payeur », la nomen-clature des installations classées sedégrade, on « allège » certaines normesde protection des ouvriers et des rive-rains, on assiste à un discours dansl’air du temps du type : « La réglemen-tation sociale et environnementaleentrave l’activité économique et lacompétitivité. »Je souhaiterais aussi que les partispolitiques qui ont pour vocation dedéfendre les salariés, les travailleurs,les petites gens, améliorent leurréflexion sur la prétendue « crois-sance », le productivisme, qu’ils anti-cipent mieux les conséquences descrises environnementales, les « évé-nements climatiques », car ceux-ci nefont que commencer. n

*Adrien Loquesol est avocat au barreau de La Rochelle.Kahina Merabet est avocate au barreau de Lyon.

Propos recueillis par Pierre Crépel etMarie-France Marcaud.

« Aujourd’hui, avec l’“extrême

droitisation” de l’opinion,

les juges humainssont accusés

de “laxisme”. »

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ce travail d’éducateur à Ambérieu, àvingt minutes de train de Lyon. C’estun autre monde. En Colombie, mêmesi la violence avait beaucoup dimi-nué en 2010 par rapport aux deuxdécennies précédentes, la mort rôdepartout, non seulement autour destrafics, mais aussi contre les gens hon-nêtes, syndicalistes, journalistes, juges,etc. Ambérieu est certes une petiteville sinistrée, mais il n’y a pas deghetto, la population est mélangéedans tous les quartiers, on n’est pasdans un pays qui a connu des dizainesde milliers d’assassinats.

tu venais de faire des études d’anthro-pologie et de sciences politiques, quellien y avait-il avec le travail d’éduca-teur de rue ?À l’université, on a quand même unecertaine liberté de pensée et d’action,beaucoup plus que dans les grandesécoles, tu peux travailler sur toutesles dominations informelles, déve-lopper les capacités d’autonomie.C’était le cas dans les filières que j’aisuivies à l’université Lyon 2. On peutouvrir les yeux, s’initier à desdémarches peu connues. Par exem-ple, l’œuvre et l’action de MurrayBookchin (1921-2006), sorte d’anar-cho communiste américain, sont inté-ressantes à cet égard. Cela dit, saufexceptions, mes camarades de pro-motion ne se sont pas lancés dans letravail social.

est-ce que ces expériences ont cor-respondu à tes espérances, à tescraintes ? As-tu l’impression d’avoirété utile à quelque chose ?Les espérances, c’étaient la liberté etl’autonomie dans le travail, elles ontété partiellement satisfaites pendantces deux ans et demi : une souplessede fonctionnement, une proximité dela personne. Les craintes : aujourd’hui,il y a une mise au pas de cette « pré-vention spécialisée ».Disons que je me suis senti utile pourune douzaine de jeunes, c’était pluspar des discussions ou des actions(sportives, culturelles) que par desdémarches vers les administrations.Pour être reconnu par les jeunes, unéducateur de rue a besoin de deuxans environ ; pour bien maîtriser son

métier, il lui en faut quatre ou cinq.Ce n’est pas du tout en adéquationavec la culture du chiffre immédiat,on est dans une démarche différentedes missions locales, de Pôle emploi,des assistantes sociales, où l’on exigedes professionnels qu’ils insèrent lesjeunes dans des cases préétablies. Situ veux que les jeunes ne rechutentpas six mois après, il faut travailler surle fond et non sur les symptômes, ilfaut donc du temps. On peut y arri-ver avec les plus jeunes. Avec les 25-30 ans, c’est très difficile, ils sont tropaigris, trop loin d’une confiance dansla société, tu passes souvent pour unguignol parce que tu viens de l’exté-rieur et que tu n’as jamais été « commeeux », il faut former alors des nou-veaux « qui s’en sont sortis ». Maisattention, il y a deux écueils : la répres-sion (méthode de la droite et du gou-

vernement actuel) et l’excuse géné-ralisée au nom des conditions de viedésastreuses ; la voie à suivre est doncétroite et exigeante.

quels sont les obstacles aujourd’hui ?En plus de la diminution alarmantedu nombre d’éducateurs et des sub-ventions, il y a une évolution du sensmême, le travail n’est plus à l’échellede la personne mais du résultat.Jusqu’aux années 1980, l’action socialerelevait du service public ; mainte-nant on est passé à une logique de

ENTRETIEN AVEC FABIEN HENNEBERT*

tu as été éducateur de rue à bogotá encolombie, puis à Ambérieu-en-bugeydans l’Ain. pourquoi avoir choisi cetteactivité délicate et s’agit-il dans lesdeux cas d’expériences analogues ?J’ai toujours souhaité m’investir dansl’éducatif et le social, peut-être l’hu-manitaire, mais non aider pour aider,il s’agit de permettre aux jeunes d’ac-quérir de l’autonomie, non de vivredans la dépendance. L’éducationconditionne tout. J’ai adhéré à la Jeu-nesse communiste de l’Ain dès 16 ans,pour moi tout cela était en cohérence.

En Colombie, j’avais 21 ans, c’était unstage de master dans le cadre d’unéchange universitaire, pas une activitémilitante (qui aurait été là-bas plusque risquée !). Je suis arrivé à Bogotáen septembre 2009, mon stage a duréde janvier à juin 2010, j’étais avec d’au-tres éducateurs colombiens et je maî-trisais bien la langue, y compris l’ar-got des jeunes. C’était au sein de l’ONGProcrear, aidée par Handicap Interna-tional et Caritas. Les trois publics visésétaient les sans-abri, les consomma-teurs de drogues et les transsexuels(souvent prostitués) ; j’ai plutôt suiviles consommateurs de drogues.Quand je suis rentré en France, j’aienvisagé de préparer une thèse ou dedevenir enseignant, mais finalementj’ai préféré exercer tout de suite,notamment comme surveillant etassistant pédagogique à Vaulx-en-Velin et à Vénissieux, puis j’ai trouvé

« si tu veux que les jeunes ne

rechutent pas sixmois après, il faut

travailler sur le fondet non sur les

symptômes, il fautdonc du temps. »

« jusqu’auxannées 1980,

l’action socialerelevait du service

public ; maintenanton est passé à une logique

de compétitionavec des appels

d’offres accordésau moins-disant. »

LA préVeNtioN spéciALiséePour combattre l’insécurité, la délinquance, il existe autre chose que la sanc-tion. dans cette société d’exploitation, de chômage et d’injustices – quenous essayons de changer, mais qui n’excuse pas tout –, il y a des voies pos-sibles, cependant elles sont étroites et difficiles.

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compétition avec des appels d’offresaccordés au moins-disant. Il y a pres-sion de la hiérarchie pour ne plusconsidérer les jeunes comme des êtreshumains, mais comme du chiffre, pourtomber dans le culte de l’efficacitéstatistique. L’essentiel n’est plus « ceque tu as fait » mais « comment tudonnes à voir ton travail », pour conti-nuer à exister. Donc, le cadre institu-tionnel s’assombrit, l’aspect revendi-catif décline souvent. Alors que lesassociations ont des valeurs noblesdans leurs statuts, leur fonctionne-ment s’adapte progressivement auxobjectifs de leurs financeurs. C’estcomme dans la plupart des anciensservices publics, de plus en plus mar-chandisés et gérés comme des entre-prises privées.Malheureusement, la résignation atouché beaucoup de travailleurssociaux eux-mêmes.Ils ont d’abordrésisté, mais nombreux sont ceux quifinissent par penser selon les nou-velles normes ; bien sûr, il y a des pro-testations et des luttes, mais les marges

de manœuvre sont faibles. Cet étatd’esprit touche aussi d’autres asso-ciations et des partis politiques bienintentionnés, on se replie trop sou-vent sur la volonté de conserver sesacquis, son organisation, en oublianten partie les objectifs.Mais je ne veux pas désespérer lesbonnes volontés, il ne s’agit pas d’aban-donner, il faut que la réflexion rebon-disse. Face à la destruction des solida-rités voulue par les gouvernants, onpeut en reconstruire par en bas, retrou-ver des lieux de vie communs, grâceaux repas populaires, aux ateliers delangues, aux activités culturelles etsportives, etc., en ayant toujours envue l’acquisition d’autonomie. Il s’estpassé des choses intéressantes enEspagne à cet égard. En d’autrestermes : inverser la logique de construc-tion de l’action, pour que la sponta-néité conduise à quelque chose dedurable. À mon avis, pour le moment,il y a davantage de marge d’action dansune association libre que dans le tra-vail social institutionnalisé.

en conclusion, revenons au dossier dece numéro, comment places-tu cesactivités éducatives et sociales dansle cadre de la prévention et des alter-natives au pénitentiaire ?L’arrêté interministériel du 4 juillet1972 sur la « prévention spécialisée »et ses textes d’application s’inscriventexplicitement comme l’une de cesmissions de protection de la jeunesse.Il était excellent et n’a jamais été aboli.Il s’agit en particulier de mener desactions auprès des « mineurs dont lasanté, la sécurité et la moralité sonten danger ou risquent de l’être, oudont l’éducation ou le développementsont compromis ou risquent de l’être,et [de] participer à leur protection ».Si cela est bien fait et dans le bon esprit,c’est clairement une alternative audérapage, à l’exclusion, puis à larépression. n

*Fabien Hennebert a été éducateurde rue (2013-2016).

Propos recueillis par Pierre Crépel.

en journée, temps de détention noc-turne, temps de parloir, temps d’école.Chacun est déconnecté des autres. Ce

morcellement ne permet ni la miseen projet, ni la construction d’uneidentité.De plus, la première insécurité, aprèscelle de l’incarcération, pour ces élèves,

est celle liée à l’apprentissage : s’avan-cer et s’engager dans un domaine peuou mal connu, bousculer des repères

familiers, tout ça ne va pas sans créerquelques angoisses et résistances. Ilnous faut donc enrôler nos élèves, leurproposer des défis réalisables maiscomplexes ; c’est ici que l’histoire des

PAR JÉRÔME FATETET ROMUALD JOSSERAND*

Le coNstAtL’action pédagogique en milieu car-céral est rendue difficile par le fonc-tionnement institutionnel lui-même.À l’extrême hétérogénéité des niveauxscolaires et aux parasitages liés à lasituation carcérale, il faut ajouter queni l’enseignant ni les élèves ne maî-trisent complètement le déroulementdu temps. Nous sommes confrontésà un mouvement permanent, chaquejeune étant pris en charge pour unedurée prévisible mais non définitive.Les jeunes, qui n’ont souvent connuque l’immédiateté et l’impulsivité,attendent. Ils vivent plusieurs dimen-sions du temps : temps de détention

« L’histoire des sciences joue son rôle, elle rappelle à des adolescents

la permanence des grandes questions de l’humanité, et pose les jalons d’une démarche scientifique. »

« FAire soN temps » Au quArtier des miNeursLa construction de l’expérimentation pédagogique décrite ci-dessous, miseen place dans l’école du quartier des mineurs d’un centre pénitentiaire portesur la construction personnelle de la notion de temps. Elle est renduepossible par l’étroite collaboration, avant la classe et dans la classe, d’un his-torien des sciences et d’un enseignant du centre pénitentiaire.

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en attente de jugement. L’interven-tion artistique s’inscrit ensuite géné-ralement dans le cadre des protocolesinitiés en France dès les années 1980entre le ministère de la Justice et leministère de la Culture, visant avanttout l’accès de tous à la culture. Biensouvent, l’intervention est parallè-lement portée par une structure asso-ciative, engagée dans l’accompagne-ment des personnes détenues, la réin-sertion ou le maintien des relations,

et motrice de réflexions sociales.Enfin, il s’agit aussi de permettre à despersonnes incarcérées, non seule-ment de se saisir de l’activité artis-tique pour suspendre un instant lalourdeur de la détention, mais sur-tout d’en faire le moyen d’une recons-truction personnelle passant notam-ment par le réapprentissage – ou l’ap-prentissage – de la liberté.Tous ces acteurs sont amenés à se ren-contrer lors de la mise en œuvre d’une

PAR EMMANUELLE DUGUET*

intervenir en prison, en tant qu’ar-tiste, oblige à articuler son actionà plusieurs visées qui dépassent

largement celle de l’artistique. Il s’agitd’abord de s’accorder au fonctionne-ment des établissements péniten-tiaires, dont la mission première estde détenir, placer sous main de jus-tice des personnes condamnées ou

L’Art eN prisoNL’intervention artistique en milieu pénitentiaire, c’est apporter une respi-ration dans l’institution. il faut changer le regard sur la prison et concevoirle réapprentissage de la liberté.

sciences joue son rôle, elle rappelle àdes adolescents la permanence desgrandes questions de l’humanité, etpose les jalons d’une démarche scien-tifique.

L’expérieNce teNtéeNous utilisons deux outils de gestiondu temps. Le premier est une organi-sation pédagogique modulaire. Unmodule court aux objectifs annoncés,limités et gérés à flux tendus permetà l’élève, dans le cadre d’un travail engroupe, de se projeter dans le tempsà venir. Un module ouvert basé sur ladifférenciation pédagogique facilitela gestion des entrées et sorties per-manentes et les absences du temps

présent. Un module orienté vers lesstratégies cognitives de l’élève déve-loppe des attitudes réflexives et per-met ainsi un retour sur le temps passé.Le second outil consiste à entraînerl’élève à penser le temps comme unsystème global. La manipulation expé-rimentale et la contractualisation del’emploi du temps, participant à l’ins-tauration d’un cadre hors menace,peuvent engager l’élève dans unedémarche d’anticipation et de prépa-

ration aux apprentissages. L’enjeu estde faire de l’école en prison un lieusocialisant de stabilité, de perma-nence et de progression dans le temps,donc un lieu de contenance et nonde contention.Cette organisation du temps d’ap-prentissage permet à l’élève incarcéréde s’emparer de son temps, subjec-tif, de le mettre à distance et de le pen-ser. Mais la prise de conscience dutemps universel, objectif, constituel’essence même des contenus abor-dés dans le module expérimenté.

Les contenus scientifiques de l’appren-tissage se centrent sur les spécificitésutiles au projet de l’école en prison :

ils sont réfutables, découlent d’obser-vations et d’analyses de phénomènesconcrets, et sont reproductibles dansdivers espaces et à différentes époques.Ils permettent alors ce qu’aucun autrechamp de la connaissance humainene permet, de faire des prévisions surle déroulement d’un événement futur.L’approche historique permet derépondre au besoin de ces élèves d’unetemporalité structurée. Découvrirqu’une connaissance qu’ils construi-

sent a été élaborée plusieurs sièclesavant eux, avec des protocoles trèsproches de celui qu’ils proposent, per-met de penser que certains élémentsdu monde ont une stabilité au-delà del’échelle humaine et sont toujoursreproductibles.

La plupart de nos élèves présententdes difficultés de lecture et d’écriturequi pourraient freiner leur engage-ment. Nous avons donc choisi de leur« raconter de l’histoire », illustrée parde nombreux supports visuels. Le pas-sage par l’anecdote historique et lalégende, si elles sont présentées sousce statut, stimule l’intérêt et la curio-sité. Décrire l’homme derrière lesdécouvertes rend à la science sa placed’activité humaine, ne nécessitant nigénie, ni chance, et fait prendreconscience aux élèves que les princi-paux facteurs de réussite d’un scien-tifique sont sa méthode, son travailet sa persévérance.On fait le pari qu’une telle activité cog-nitive les autoriserait à rompre avecun temps carcéral cyclique. Connec-ter les temps, c’est rendre possible laconstruction d’une histoire person-nelle et des projets d’avenir. n

*Jérôme Fatet est historiendes sciences. Il est maître deconférences à l’université deLimoges.Romuald Josserand est enseignantspécialisé au quartier des mineurs,centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand (71).

« L’enjeu est de faire de l’école en prisonun lieu socialisant de stabilité,

de permanence et de progression dans le temps, donc un lieu

de contenance et non de contention. »

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par la forme qu’elle prend, qui peutêtre variable et fonction des besoinsde chaque personne concernée, quepar son ambition : la restauration dela paix sociale au sein des commu-nautés touchées par la commissiond’une infraction.

La justice pénale diffère de la justicerestaurative par son but, puisque dansle cas de la première, il ne s’agit pas detrouver des solutions à un conflit entrel’auteur de l’infraction et la victime. Ils’agit de punir l’auteur en raison de satransgression, de le neutraliser parl’emprisonnement et, éven tuel lement,

d’essayer, par l’entremise de la peine,de le réhabiliter. Le droit pénal inter-vient donc dans le cadre d’un rapportsociété/délinquant. La justice restau-rative agit quant à elle à une échelleindividuelle et se concentre moins surla faute que sur ses conséquences etsa réparation.Les acteurs de cette forme de justiceeux-mêmes ne s’accordent pas toussur sa place vis-à-vis de la justice pénale.Certains pensent qu’elle ne peut êtrequ’un complément qui viserait à « cor-riger » les travers de la justice pénale,à offrir aux personnes directementconcernées le suivi et l’écoute dont

PAR MARGAUX COQUET*

uN processus de réHAbiLitAtioNLa justice restaurative est un proces-sus par le biais duquel les personnesqui se sentent directement concer-nées par une infraction, soit qu’ellesen soient à l’origine, soient qu’ellesse sentent blessées par celle-ci, se réu-nissent d’un commun accord pouressayer de trouver, ensemble, unmoyen de gérer les conséquences pra-tiques et émotionnelles qui en décou-lent. Ce type de justice se définit moins

LA justice restAurAtiVePour sortir de l’impasse du tout répressif, il faut aussi étudier les expériencesvenues du monde entier et faire marcher son imagination.

intervention artistique. L’artiste inter-venant doit alors prendre consciencequ’il a les moyens d’agir en concilia-tion avec chacun d’entre eux et qu’ilpeut, ce faisant, favoriser leur dia-logue. Intervenir, en ce sens, doit êtreentendu au sens littéral du terme, àsavoir : « venir entre ». Tierce personne,l’artiste peut éveiller des questionsutiles pour faire évoluer l’institutionprison, ses fonctionnements et sonrôle dans la société, tant du côté dupersonnel des établissements, descitoyens, que des personnes détenues.

Les reGArds sur LA prisoN L’enjeu est alors de pouvoir faire évo-luer les regards sur ce que représentela prison. Pour les personnes incar-cérées, c’est là un moyen de prendredu recul sur la situation et de la vivrede la manière la plus utile possible.Pour le personnel pénitentiaire, lapossibilité de considérer avec un autreregard les personnes détenues etmême d’envisager son métier autre-ment. Pour les citoyens enfin, parfoiséloignés de cette réalité qu’est la pri-son, de prendre conscience de sonrôle politique et social. Tels sont lesmouvements que peut apporter lamise en place d’interventions artis-tiques en prison, lorsqu’elles ont pourétape la tenue d’un atelier composéde plusieurs séances pratiques : uneprésentation, au sein même de l’éta-blissement pénitentiaire, des créa-tions réalisées pendant l’atelier, uneprésentation hors de l’établissement,dans un espace ouvert à tous, et la

réalisation d’un objet de restitution(livre, CD, DVD…) conservable etpotentiellement diffusable – quoiqueles droits d’auteurs des personnes réa-

lisant des créations dans un tel cadre,encore trop peu considérés, fassentl’objet de questions épineuses.

L’AppreNtissAGe de LA LibertéQu’il s’agisse de théâtre, d’arts plas-tiques, d’écriture ou de musique, lesactivités artistiques apportent desoutils d’expression dont chacun peutse saisir d’une façon personnelle. Ellessont aussi divers moyens d’appren-tissage de la liberté, d’une liberté vécuesocialement. L’atelier de pratique artis-tique offre un cadre bienveillant pourexpérimenter et se découvrir soi-même : les pratiques artistiques sonten effet des outils de médiation ou,pour le dire autrement, des moyenspour entrer librement en contact avec

les autres autour de soi et l’environ-nement extérieur. Chacun peut y cher-cher sa propre créativité, son proprelangage. Pour les personnes incarcé-

rées, constamment tenues de s’adap-ter au fonctionnement contraignantde la prison, sujettes à une surveil-lance continuelle, l’atelier représentedonc un espace-temps où il est pos-sible de retrouver des modes de com-munication apaisés avec les autres etde se réapproprier une place dans ungroupe. Ce qui est en jeu, c’est alorsd’apprendre à user d’outils d’expres-sion pour entretenir son existence entant que personne à part entière, ausein d’une communauté. La libertéest là, dans la possibilité d’exister ensociété. n

*Emmanuelle Duguet est docteureen arts, artiste plasticienne,cofondatrice de l’associationL’inter(s)tisse (Lille).

« tierce personne, l’artiste peut éveiller des questions utiles pour faire

évoluer l’institution prison, sesfonctionnements et son rôle dans la société, tant du côté

du personnel des établissements, des citoyens, que

des personnes détenues. »

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DOSSIER elles ne bénéficient pas lors du procès.

D’autres estiment encore que la posi-tion de la justice restaurative dépenddu type de conflit et des personnesconcernées, des liens qui les unissentau moment où le préjudice est causéet de la nature de celui-ci. D’autrespensent au contraire qu’il doit s’agir,à terme, d’une alternative définitiveau système pénal, une réconciliationdurable et spontanée ne pouvant avoirlieu, selon ces derniers, tant que pla-nera sur les individus le spectre de larépression étatique.

expérieNces à L’étrANGerIl ne s’agit pas de « techniques » pro-pres à un État, mais de façons d’apai-ser les conflits inhérents à la vie ensociété, aussi anciennes et variées queles sociétés elles-mêmes. La justicerestaurative trouve son inspirationdans les traditions des premières civi-lisations, qui, des Inuits du Québecaux aborigènes de Nouvelle-Zélandeen passant par l’Afrique, ont toujourspermis aux peuples du monde entierde vivre en harmonie au sein de com-munautés établies. L’exemple le plussouvent mis en avant est celui del’Amérique du Nord et notammentdu Canada, qui a expérimenté relati-vement tôt la procédure des « cerclesde conciliation ». Structures de dia-logue et d’apaisement des conflits,héritées des populations autochtones,ceux-ci consistent à inclure, dans ledébat relatif à la réparation du préju-dice, l’ensemble de la communautétouchée par l’infraction.Aujourd’hui, le Canada connaît denombreuses formes de processus res-tauratifs, particulièrement en ce quiconcerne la justice des mineurs. Très

souvent extrajudiciaires, ces instancesinterviennent donc à la place du sys-tème pénal, après que les acteurs tra-ditionnels de celui-ci — police, pro-cureur, juge… — ont renvoyé le dossierà des instances communautaires.Alors, la justice restaurative est une

véritable alternative au système dejustice criminelle, lequel peut toute-fois toujours être mobilisé s’il y a échecde la mesure, comme dans le cas d’unemédiation entre victime et auteur del’infraction qui n’aboutirait pas à unesolution satisfaisante pour les deuxparties. Dans d’autres hypothèses, lajustice restaurative peut n’intervenirqu’en complément du système pénal,lors de l’exécution par l’auteur de sapeine, afin de l’encourager à prendreconscience de ses actes.

LA Loi du 15 Août 2014En France, avant 2014, le seul proces-sus de justice restaurative visé par laloi était celui de la médiation pénaleentre l’auteur et la victime, envisagéalors comme une alternative aux pour-suites. Il s’agit pour le procureur,lorsqu’il est informé de la commis-sion d’une infraction, de proposer àl’auteur et à la victime de se tournervers un organisme extérieur suscep-

tible de les aider à communiquer. Dansle cas où la médiation aboutit, le pro-cureur peut décider de classer sanssuite l’affaire, et donc de ne pas pour-suivre l’auteur. Toutefois, en casd’échec de la médiation, le procureurpeut toujours décider d’engager des

poursuites qui déboucheront éven-tuellement sur une condamnation del’auteur à une peine classique.Depuis la loi du 15 août 2014 relativeà l’individualisation des peines et ren-forçant l’efficacité des sanctionspénales, connue sous le nom de « loiTaubira », le nouvel article 10-1 ducode de procédure pénale prévoit quedes mesures de justice restaurativepeuvent être instaurées « à l’occasionde toute procédure pénale et à tousles stades de la procédure » ou de l’exé-cution de la peine. Ce même articleoffre une définition finaliste desmesures de justice restaurative et enindique les principes directeurs, telsque la reconnaissance des faits, leconsentement exprès des participants,la présence obligatoire d’un tiers indé-pendant et formé sur ces mesures ouencore le contrôle de l’autorité judi-ciaire. Elle n’est toutefois conçue qu’encomplément du système pénal, le jugeétant le seul à pouvoir prononcer lamesure, sans pour autant dépendrede son exécution lors de sa décisionde condamnation. Mobilisant un vastetissu associatif, la justice restaurativeconnaît en France une multitude deformes. Les évaluations tendant àrechercher la satisfaction des per-sonnes qui bénéficient de ce modèlesont relativement unanimes quant àleur efficacité. Toutefois, l’accord despersonnes concernées étant néces-saire au déclenchement du proces-sus, certains auteurs relativisent laportée des résultats qui seraient biai-sés par la bonne disposition des par-ticipants. Les programmes de justicerestaurative demeurent néanmoins,et sans aucun doute, beaucoup moinscoûteux et bien plus humains que laprocédure pénale classique. n

*Margaux Coquet est juriste. Elle est doctorante à l'universitéJean-Moulin Lyon-III.

« La justice restaurative agit quant à elle à une échelle individuelle et

se concentre moins sur la fauteque sur ses conséquences

et sa réparation. »

DROITS ET CONSEILS EN CAS D’INTERPELLATIONchacun sait aujourd’hui que, lors d’une manifestation pacifique, en raisondes agissements des provocateurs ou de la police, on peut se faire arrêter.de nombreuses associations ont publié des conseils à ce sujet : quelles pré-cautions prendre ? quelle attitude avoir en cas d’interpellation ? Faut-il refu-ser la comparution immédiate ? Nous conseillons par exemple la double pagetrès claire préparée par le syndicat des avocats de France.http://lesaf.org/manifestantes-droits-et-conseils-en-cas-dinterpellation/Voici, à titre d’exempLe, Le résumé des premiers coNseiLs qui s’y trouVeNt :- Ayez toujours une pièce d’identité sur vous,- si vous connaissez déjà une avocate ou un avocat, ne partez pas mani-

fester sans avoir inscrit son nom et son numéro de portable sur votre avant-bras,

- demandez l’avocat commis d’office si vous ne connaissez pas d’avocat,- Ne parlez pas tant que l’avocat n’est pas arrivé,- relisez bien tout procès-verbal avant de le signer (s’il est incomplet ou

inexact, ne le signez pas).

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V ous soulignez avec raison quela révolution numérique menacemoins la place du travail dans la

société que l’évolution de l’emploi etdes formes de celui-ci. cependant, c’estparce que le patronat a investi la ques-tion des conséquences de cette révo-lution que l’on retrouve principalementses arguments et sesconclusions dans le débatpublic.de ce fait, on associe à unerévolution technique uneconséquence juridiqueavec « l’uberisation de lasociété ». certes, il estindéniable que les plate-formes transforment lesmodèles économiques,questionnent les positionsacquises des monopolesprivées, mais in fine, ubern’a finalement lancé qu’unmouvement de redécouverte d’unestructure juridique répandu en France :le système de franchises. on peut recon-naître qu’à ce système, somme touteclassique, uber ajoute un zeste d’exo-tisme lié à son système d’optimisationfiscale particulièrement agressif et unecapacité à surfer sur l’accès facile auxliquidités et à la spéculation boursièreen cours sur les entreprises du numé-rique (qui ont des valorisations sans rap-

port avec leur modèle économiqueactuel dont les doutes commencent às’accumuler sur la viabilité de leurmodèle futur).

Avant de débattre de l’effet de l’uberi-sation de tel ou tel métier ou de tel, outel secteur, nous ferions mieux de rap-

peler, probablement avec plus de péda-gogie, probablement avec plus de talentsqu’ici, ces premiers principes pour leverle voile et distinguer réellement ce quirelève d’une évolution/révolution tech-nologique et ce qui relève d’un habil-lage, aussi habile soit-il.

il ne tient d’ailleurs qu’à nous, militantscommunistes et plus largement acteursdu mouvement progressiste, de faire du

numérique un vecteur de changement.Le numérique pourrait être un vecteurde réindustrialisation de notre écono-mie (relocalisation de la production),à condition qu’on refasse de l’investis-sement un débat sérieux dans le pays.La notion d’« usine du futur » pourraitnous permettre de sortir de l’injonction

au moins-disant social, maiselle en constitue en réalitéaujourd’hui un prétexte pourlibéraux de tout poil ! il en va de même pour les effetsdu numérique sur les condi-tions de travail. on ne peut secontenter aujourd’hui dedénoncer l’arnaque intellec-tuelle des méthodes de mana-gement aboutissant auconcept d’« entreprises libé-rées », dont on affuble n’im-porte quelle société à n’im-porte quel titre même le plus

oppressant sur le plan des méthodes.il est tout à fait vrai que le numériquepeut aboutir (et semble aboutir) à unenouvelle intensification du travail, mais,si le rapport de force social était toutautre, il pourrait permettre d’amélio-rer la sécurité, la santé, voire même l’or-ganisation démocratique au travail. n

Sébastien, économiste.

« uber n’a finalement lancé qu’un mouvement de

redécouverte d’une structurejuridique répandu en France :

le système de franchises. »

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À propos de l’uberisation

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PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO PURGUETTE

Le GrANd eNtretieN

que dit le vote des 24, 25 et 26 novem-bre de l’organisation du parti (par-ticipation, cotisants, etc.) ?À la suite de débats locaux, départe-mentaux et nationaux riches, les com-munistes ont répondu aux questionsqui leur étaient posées par deux élé-ments :• volonté de faire vivre notre concep-

tion d’un rassemblement populaireavec la résolution votée à près de 94 %

• nécessité de rendre notre parti utiledans une période politique, présenteet à venir, complexe face aux dangersque chacun ressent.

ils n’ont pas tous eu les mêmes argu-ments et n’ont pas tous fait le mêmechoix pour donner force à ces deux élé-ments. Et c’est bien normal.cette consultation a également été mar-quée par une forte participation quitémoigne de l’intérêt important qu’onteu les adhérents de notre parti pourrépondre à ces questions. Le nombre

de cotisants à jour, qui continue dereprésenter environ la moitié de nosadhérents, montre qu’un potentieldémocratique important reste sous-utilisé et c’est un sujet d’organisationqui mérite toute notre attention.Nous le savons, le choix du candidat àla présidentielle est toujours un momentparticulier dans la vie du parti. c’est un

moment qui interroge un grand nom-bre de concitoyens, et donc un grandnombre de communistes. Et malgré tous

nos efforts pour dénoncer l’hyper-pré-sidentialisme, nous voyons que noussommes complètement immergés danscette situation politique comme le restede la société.Loin de nous flageller, il va falloir pren-dre le temps de la réflexion pour mieuxmettre en adéquation nos discours etnos propositions avec nos actes.

cependant, parce que rien n’est ni toutblanc ni tout noir, le nombre de partici-pants à cette consultation (41 061) mon-

émilie Lecroq est membre du comité exécutif national du PcF, coordinatricedu pôle Vie du parti. Pour La Revue du projet elle tire les premiers enseigne-ments du vote des communistes et expose les enjeux dans la séquence pré-sidentielle-législatives. rôle du PcF dans une gauche en plein bouleversement,mobilisation militante en 2017, liens avec la France insoumise, bataille contrele présidentialisme, Émilie Lecroq résume la feuille de route des communistespour la période qui s’ouvre.

« Face à la montée des colères populairescontre les effets de ce système capitaliste

et à la crise des réponses libérales, des alternatives piégées sont tendues

aux peuples qui cherchent une issue. »

créer de l’espoir en commun

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futures, du projet national dans ce qu’ila de plus fondamental, qu’il est ques-tion avec les échéances électorales de2017. L’annonce de la non-candidaturede hollande vient jeter un peu plus detrouble dans cette situation politiquedont le débouché semble de plus enplus incertain.

Face à cette situation et au scénario quis’écrit sous nos yeux, une question per-siste : les Français auront-ils réellementle choix, un choix sérieux, une possibi-lité crédible d’opposer au programme-réactionnaire un projet progressiste ?Le danger qu’ils en soient tout simple-ment privés est réel.

tout est fait pour cela, notamment enmarginalisant les réponses réellementalternatives. tout est mis en œuvredepuis le début du quinquennat pour

confisquer ce choix aux Français. ilsorganisent une offre où seules lesvariantes du social-libéralisme à l’ultra-libéralisme en passant par le national-libéralisme, ont le droit de cité au rangdes favoris médiatiques. toutes lesréponses, même les pires, sont toléréespar les forces dominantes du capital du

moment qu’elles ne touchent pas à leursintérêts fondamentaux. Face à la mon-tée des colères populaires contre leseffets de ce système capitaliste et à lacrise des réponses libérales, des alter-natives piégées sont tendues aux peu-ples qui cherchent une issue. L’électionde trump aux États-unis en est unexemple, tout comme le Brexit engrande-Bretagne.

dans cette confusion savamment entre-tenue, le premier objectif de notre cam-

tre également une grande disponibilitéde notre parti. c’est un élément dansnotre volonté de faire participer unepart toujours plus importante des adhé-rents aux décisions et à l’activité de notreparti.À tous les niveaux de direction, il va fal-loir prendre le temps de recontacter lesadhérents qui ont participé à cetteconsultation, comme les autres, afin deles intégrer à notre activité, à nos cam-pagnes dans la prochaine période pourfaire connaître en grand, dans la proxi-mité, nos propositions comme les septaxes de la grande consultation pour leslégislatives et la présidentielle.si nous savons tisser ou retisser du lienavec les adhérents les plus éloignés denos cadres collectifs, et si nous savonsleur donner des perspectives de débatset d’actions, sans nier les doutes et lesquestionnements qui persistent, nousserons en mesure de faire vivre unedynamique populaire.

La situation politique est très mou-vante, l’avenir incertain… commentle pcF entend-il peser en 2017 ? quelrôle veut-il jouer ?d’abord sur l’avenir incertain, chacunvient d’en prendre mieux conscienceavec la désignation de François Filloncomme candidat de la droite : c’est biende l’avenir de la France, de la société quenous allons laisser aux générations

« Permettre à la parole populaireprogressiste, aux solutions qui s’attaquent

réellement aux pouvoirs financiers de faire irruption pour redonner de l’espace

et de l’espoir aux forces démocratiques et progressistes »

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pagne doit être clair : permettre à laparole populaire progressiste, aux solu-tions qui s’attaquent réellement auxpouvoirs financiers de faire irruptionpour redonner de l’espace et de l’espoiraux forces démocratiques et progres-sistes. Nous devons travailler à rendreà nouveau possible, dans le débat public,la discussion sur les alternatives socialeset solidaires aux politiques d’austérité.L’espace d’un débat réellement démo-cratique, projet contre projet, où nosidées ont leur place, reste dans cesconditions à conquérir. ce doit être l’ob-jet de notre campagne.

Le choix majoritaire des adhérents(appel à voter jean-Luc mélenchonà 53,50 %) implique de mener unecampagne autonome. quel sera soncontenu ? quels seront ses contours ?une partie de la réponse est dans la réso-lution adoptée à l’issue du vote des com-munistes. Elle fixe le cap général de nosbatailles pour 2017 en trois grandspoints :• face aux dangereux projets de la droite

et de l’extrême droite et à la faillite duquinquennat hollande-Valls, porter unautre projet pour la France, un pacted’engagements pour une nouvelle poli-tique de progrès social, démocratique,écologique, à même de sortir notrepays de la crise dans laquelle il estplongé et de répondre à l’énormeattente de changements qu’exprimenotre peuple ;

• pour faire avancer ce projet, construirele rassemblement, le rassemblementdu maximum de forces jusqu’à rendrepossible une nouvelle majorité poli-tique de gauche alternative à l’austé-rité ;

• nous engager dans l’élection présiden-tielle en portant ces objectifs et pré-senter ou soutenir, dans toutes les cir-conscriptions législatives de France,des candidates et candidats à la dépu-tation utiles pour faire progresser ceprojet et cette démarche de rassem-blement.

Le conseil national du 1er décembre acomplété ces éléments avec de pre-miers matériels :• l’édition à un million d’exemplaires

d’une adresse nationale à notre peu-ple pour lui présenter les enjeuxmajeurs de la campagne qui s’annonce

et déclarer le sens de notre engage-ment contre la droite et l’extrêmedroite, pour un véritable projet de pro-grès à gauche, pour le vote jean-Lucmélenchon à la présidentielle et le votepour nos candidats aux législatives ;

• une affiche nationale du Parti commu-niste, un bandeau du PcF appelant auvote jean-Luc mélenchon qui instal-

lera notre signature de campa -gne durant la présidentielle et les légis-latives : « 2017, pour l’humain d’abord.PcF-Front de gauche » ;

• une brochure vendue 2 euros : « LaFrance en commun, sept axes pour unpacte d’engagements pour la France »pour faire connaître nos propositions.

cette brochure devra être complétéede gestes forts afin de soumettre aupays un pacte d’engagements pour unenouvelle majorité. Nous ne voulons passeulement distribuer ces propositionsaux Français, nous voulons engager ungrand débat et des mobilisations popu-

laires de masse autour d’elles. Pour enga-ger ce grand débat populaire, nous orga-niserons, durant le premier trimestre2017, 577 débats, un par circonscrip-tion. ces débats seront prolongés parla création d’ateliers législatifs, ou desactions sur un des thèmes de nos pro-positions en lien avec les préoccupa-tions du terrain.Pour être efficace et exister face au rou-leau compresseur médiatique sur la pré-sidentielle, notre campagne doit êtreune campagne de proximité, en lien avecles luttes. Nos moyens, notre commu-nication, nos actes de campagne doi-vent permettre de tisser ou retisser desliens directs et de proximité durablesavec la population. Le nombre d’adhé-rents que nous serons capables de lierà la dynamique sera déterminant dansce combat. Alors profitons des éché -

ances à venir pour lancer une grandecampagne de renforcement. En 2012,plus de 7 200 adhésions ont été faitesau PcF. Nous pouvons en faire beau-coup d’autres à l’occasion des cam-pagnes à venir. travaillons à définir desobjectifs fédération par fédération, sec-tion par section. un bulletin sera éditéprochainement pour permettre de poser

massivement la question de l’adhésion.Notre nombre sera un élément impor-tant pour les échéances à venir commepour l’après-2017.

à ce jour, comment continuer à fairevivre notre conception du rassem-blement ? quel lien avec La Franceinsoumise ?Pour atteindre nos objectifs, c’est untrès large mouvement de rassemble-ment qu’il convient de remettre en mou-vement autour des idées que je viensd’énoncer. Le travail de reconstructionest immense tant les dégâts causés parle quinquennat de François hollandedans les consciences et les repères poli-tiques de millions de nos concitoyenssont considérables.

Face à la situation inédite que nous vivons,nous avons alerté et tenté de rassemblerl’ensemble des forces d’alternative sansy parvenir à ce jour. Notre engagementdans la présidentielle a tenu compte decet état de fait. Et c’est ce qui a fait débatentre nous : comment persévérer danscette voie malgré les obstacles ?

Notre choix a donc été fait pour les deuxélections d’un même mouvement. dansl’élection présidentielle, nous appelonsà voter jean-Luc mélenchon. Nous lefaisons sans intégrer et sans signer lacharte de La France insoumise. Nous lefaisons en mettant notre autonomie deparole et d’initiative au service de l’élar-gissement de ce rassemblement. Nouscontinuons de nous adresser à toutesles forces qui ne nous ont pas rejointsdans cet effort de construction alter-native, pour l’élargir encore. Pour lesélections législatives, nous présentonsou soutenons partout des candidaturessusceptibles de favoriser le rassemble-ment le plus large et le plus conforme ànos objectifs.

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« L’espace d’un débat réellementdémocratique, projet contre projet,

où nos idées ont leur place, reste dans ces conditions à conquérir.

ce doit être l’objet de notre campagne. ».

« Nous ne voulons pas seulement distribuerces propositions aux Français, nous voulonsengager un grand débat et des mobilisationspopulaires de masse sur ces propositions. ».

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malgré les obstacles, nous pensons quel’idée et l’exigence du rassemblementsur une politique de gauche alternativeà l’austérité peuvent encore grandir dansl’électorat.

c’est pourquoi nous lançons le10 décembre, avec d’autres, une invita-tion à la Bellevilloise, à Paris, à cent cin-quante personnalités avec lesquellesnous avons eu l’occasion d’échangerdepuis le début de l’année, pour conti-nuer à évoquer la situation du pays, àlever les obstacles à l’unité de la gauche,sur les axes prioritaires d’une politiquetransformatrice, expliciter nos choix etentendre leurs propositions.

dans le même esprit, nous nous adres-sons à tous les syndicalistes de France,en dialoguant avec eux sur le thème« Après la loi travail, avec Fillon et LePen, on fait quoi ? », en construisantpartout avec eux des débats et desappels au monde du travail sur lesenjeux de 2017.

Au-delà, nous continuerons l’effort dedialogue avec toutes les forces quenous avons cherché à rassembler surdes bases alternatives depuis le débutde l’année.tout ce travail doit évidemment sedéployer, dans les conditions spéci-fiques de nos départements et des cir-conscriptions.il est même essentiel de considérerqu’aujourd’hui c’est localement quenous sommes en état d’aller le plus loin.Voilà pourquoi l’enracinement et laconstruction de nos campagnes prési-

dentielle et législatives à l’échelle descirconscriptions sont essentiels. Labataille des législatives n’est pas pournous la bataille d’après, mais elle est labataille pour tout de suite.

dans de nombreuses circonscriptionsla campagne des législatives est déjàlancée. quels sont les enjeux pour lescommunistes ?Les enjeux sont clairs : nous voulonsstopper la dérive présidentielle autori-taire de nos institutions. Le rôle duParlement devient une question démo-cratique centrale avec la dérive de l’uti-lisation du 49-3 et la prétention de Fillonde gouverner par ordonnances. ilimporte de faire de ces questions un

débat populaire à part entière, un sujetde mobilisation démocratique. il fautdès à présent en faire une question cen-trale. La constitution d’une nouvellemajorité politique en 2017 passe toutautant par les élections législatives quepar l’élection présidentielle.

il faut donc redonner aux législatives leurfonction politique et démocratique, celled’élire des députés, représentants dupeuple, chargés d’écrire et de voter les

lois sous le contrôle et pour les citoyens.Le danger est immense de voir élire uneAssemblée nationale dominée par ladroite et le FN. si le scénario pronosti-qué à l’élection présidentielle seconfirme en juin 2017, la droite sera ultra-majoritaire à l’Assemblée. Le FN, quantà lui, pourrait espérer entre trente et cin-quante députés, peut-être plus, se posi-tionnant comme principale force d’op-position à la droite filloniste, tout enouvrant la porte à des alliances avec ladroite au sein de l’Assemblée.

il est donc nécessaire de présenter par-tout des candidats qui donnent aux élec-teurs la possibilité de se doter de dépu-tés de gauche/PcF/Fdg face à la droiteet au FN et en faveur d’une gauche fièreet respectueuse de ses valeurs. c’estun enjeu majeur.

Nous devons travailler partout à dési-gner la candidature la mieux à même dedéfendre les populations, d’écouter lescitoyennes et les citoyens, de se battreavec eux, de créer de l’espoir en com-

mun.  En dialoguant avec toutes lesforces disponibles, les communistesdoivent décider de la candidature la plusapte à rassembler le plus largement surces objectifs.

Le 28 janvier, nous rassemblerons noscandidats devant l’Assemblée nationalepour une initiative de lancement publicspectaculaire sur le thème : « Non à lamonarchie présidentielle, démocratiecitoyenne ! ». n

« Nous continuerons l’effort de dialogue avec toutes les forces que nous avons

cherché à rassembler sur des basesalternatives depuis le début de l’année. ».

« L’enracinement et la construction de nos campagnes présidentielle

et législatives à l’échelle des circonscriptions sont essentiels. ».

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La cFdt entretient des liens

étroits et anciens avec le Ps.certes, la centrale a ses réfé-rences, sa logique propre ; seschoix ne peuvent se résumerà un décalque syndical des

postures socialistes. N’empêche. L’his-toire des relations entre ces deux orga-nisations est éloquente. sans remonterà André jeanson, ancien leader de la cen-trale, et aux Assises du socialisme de1974, ni à 1981, avec l’entrée massivede cadres cédétistes dans les cabinetsmauroy (jeannette Laot, hubert Lesire-ogrel, rené decaillon), on dira que la dateimportante est 1988, et l’homme-clémichel rocard.La fameuse « deuxième gauche », quithéorise et organise le social-libéralisme,cible le mouvement syndical et pousseà une recomposition idéologique de lacFdt. on va voir jacques chérèque, pèrede François, nommé ministre délégué àl’Aménagement du territoire et à la recon-version industrielle. c’est à chérèque ier

qu’on doit cette phrase forte : « il fautretirer les hauts fourneaux de la tête dessidérurgistes lorrains. »Au milieu des années 1990, les rocar-diens, qui se sentent confortés par lefiasco des pays de l’Est, et qui appré-hendent en même temps un regain du

La cFdt,une conscience hybridedans le conflit sur la loi travail, la cFdt s’est alignée largement sur les choixgouvernementaux. serait-elle devenue un syndicat « officiel » ? Pourquoi ?comment ? Petit historique des liens cFdt/Ps et bref rappel de l’idéologiecédétiste et de l’ambivalence des adhérents de la centrale.

mouvement social en France (1995) quileur échapperait, poussent les feux. ilscontribuent à la venue de Nicole Notatà la tête de la cFdt, laquelle prend lepouvoir dans des conditions complexes :sa ligne est alors à peine majoritaire aucongrès et son élection aurait bénéficiéd’un sérieux coup de pouce, selon lesanciens de la maison. c’est un peu unenouvelle cFdt qui s’installe. Exit les rêve-ries d’autogestion, bonjour « le dialogue

social ». Exit la confrontation, bonjour le« partenariat ». Les contestataires sontmis sur la touche. c’est cette ligne queprolongeront chérèque fils puis LaurentBerger, l’actuel secrétaire.La campagne présidentielle de 2012 mar-quera une nouvelle étape des rapportsPs/cFdt. des dirigeants notoires du syn-dicat vont soutenir François hollande,lors des primaires de 2011. c’est notam-ment le cas de jacky Bontems, qui futnuméro 2 de la centrale (secrétaire géné-ral adjoint) durant dix-sept ans, bras droitde Nicole Notat puis de François ché-rèque. il va apporter au candidat socia-liste ses hommes (michel Yahiel, josephLe corre…), ses réseaux et son savoir-

PAR GÉRARD STREIFF

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faire, puis deviendra un conseiller écoutédu pouvoir.il est aujourd’hui chargé de mission àFrance stratégie, un commissariat géné-ral à la prospective auprès du Premierministre. son réseau « 812 » produit noteset conseils.Les passerelles sont nombreuses, et lesrenvois d’ascenseur importants. Fran-çois chérèque quitte la tête de la cFdtpour finalement remplacer en 2013 mar-

tin hirsch à la direction de l’Agence deservice civique. Laurence Laigo, ex-numéro 3 de la centrale, passe par lecabinet de Najat Vallaud-Belkacem, avantd’intégrer matignon, chargée de « l’inno-vation sociale ». on se souvient, sur unautre mode, du cadre cédétiste lorrainÉdouard martin, d’Arcelormittal, devenudéputé européen Ps du grand Est.Les liens sont donc nombreux, étroits,installés de longue date, malgré les déné-gations officielles. ils sont « organiques »mais surtout idéologiques. La crise pousseà la colère et à la résignation. La nouvellecFdt joue de cette acceptation. Elle prôneun syndicalisme d’accompagnement dela crise. Les éléments de langage, comme

« Ps/cFdt: les liens sont nombreux,étroits, installés de longue date. »

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on dit, du cadre cédétiste sont le « prag-matisme », terme ambigu qui balanceentre réalisme et corporatisme, l’« apai-sement », le « dialogue ».

dANs Les premiers cercLesdu pouVoirdans un entretien avec Francis Brochet,du groupe de presse Ebra, Laurent Ber-ger dit sa manière de voir le monde.« Nous avons le choix entre une sociétéautoritaire, qui sera dans le ” y a qu’à, fautqu’on ” et la recherche du bouc émis-saire, et une société plus apaisée, du dia-logue et de l’écoute. c’est plus compli-qué, mais ce sera toujours mon choix. »il ne précise pas si la manière dont hol-lande, Valls et El Khomri ont géré la loitravail (autoritarisme, criminalisationdes syndicats, 49.3) est une façon conve-nable d’aller vers une société apaisée etouverte au dialogue.La direction de la centrale, influente dansles premiers cercles du pouvoir, a doncfait ses choix. En même temps, elle doittenir compte d’une certaine ambiva-lence des militants et adhérents cédé-tistes, ce qu’une étude du cEViPoFappelle « une conscience hybride ».cette étude d’octobre 2010, intitulée« Les adhérents de la cFdt aujourd’hui.Valeurs, pratiques à l’entreprise, rapportsau politique » des politologues claudedargent, guy groux et henri rey est inté-ressante. Elle montre des positionne-ments progressistes des militants cédé-tistes.s’ils soutiennent l’économie de marché,ils sont très attachés au droit de grève,au rôle de l’État. Lorsqu’on leur pose laquestion : « En voyant ce qui se passeautour de vous, avez-vous l’impressionque nous vivons dans une société carac-térisée par la lutte des classes ? », lestrois quarts des adhérents répondentoui. de la même manière, on ne peut pasoublier que lors du référendum euro-péen, où la direction de la centrale n’apas ménagé ses efforts pour le oui, cetteposition (ne) fut soutenue (que) par 60 %des membres, 40 % des adhérents cFdtoptant pour le Non.d’où l’importance accordée par la cen-trale à la bataille d’idées. Et ce n’est sansdoute pas un hasard si François ché-rèque, entre deux « pantouflages », pré-side aussi le laboratoire d’idées socia-liste terra Nova. n

eNtreprise, cApitALismeet coNtestAtioN :

uNe coNscieNceHybride

[...] L’enquête révèle un autre aspect important, à savoir le rap-port des adhérents [cFdt] à l’entreprise. L’acception de l’en-treprise par les adhérents n’est pas seulement liée aux problèmesde la crise économique ou du chômage. [...] L’acception de l’en-treprise par les adhérents de la cFdt passe aussi par une recon-naissance parfois presque unanime de certaines valeurs propresau capitalisme, comme le profit ou les capacités d’entreprendre,l’une des qualités essentielles de l’entrepreneur. rupture par rap-port au passé ? Nouvelle tendance à l’œuvre ? durant les « trenteGlorieuses », [l’entreprise] était souvent considérée comme unlieu d’exploitation de l’homme par l’homme, s’attirant ainsi laméfiance ou l’hostilité de divers milieux : marxistes, socialistes,une partie de l’église catholique ou réformée, intellectuels, etc.de ce point de vue, l’enquête sur les adhérents de la cFdt ne révèlepas seulement de profonds changements. elle montre aussi lesévolutions qui ont touché ce que l’on nommait, hier, la « conscienceouvrière ». [...] Les thèses de [Alain] touraine (sur l’effacementde la conscience de classe, NdA) influencèrent longtemps la cFdtou encore la “deuxième gauche”. [...] reste qu’elles se définis-saient toujours selon l’un des postulats centraux de la théorie desmouvements sociaux. [...] en l’occurrence, un mouvement socialne peut se situer qu’en situation de refus et d’antagonisme. end’autres termes, une mobilisation collective ou un mode deconscience liés au monde du travail ou provenant d’autres acteurssocialement dominés, ne peuvent se situer qu’en position cri-tique et de rejet face au patronat, au capitalisme, à l’entrepriseou à d’autres types de domination sociale. [...] ici, tout se passecomme si l’existence du conflit [...] ne peut procéder que de ladésignation d’un ennemi voire de la culture de l’ennemi. [...]Aujourd’hui, [cela] est mis en cause par les pratiques mêmes desadhérents de la cFdt, leur rapport à l’entreprise et l’acceptionde ses valeurs. on dira que les modes de conscience qui caracté-risent, à la base, l’univers de la cFdt n’opposent plus de façonexclusive le travail et le capital ou le travail et l’entreprise [...].pour beaucoup d’adhérents, la reconnaissance de conflits d’in-térêts entre travail et capital n’induit plus forcément un rap-port antagonique face à l’employeur, bien au contraire ; elle coexisteavec un autre type de reconnaissance, celle de l’entreprise etde ses propres valeurs (symboliques). ensemble, le travail et lecapital s’inscrivent désormais dans un contexte particulier :par la négociation, le compromis, l’accord collectif et l’action juri-dique, le travail et le capital sont appelés à produire des règlescommunes [...].

étude ceVipoF/cFdt, octobre 2010, p. 51-53.

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CRITIQUE DES

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sciences et média : le buzz nuit gravement à la santé

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PAR ACRIMED

armi les centaines d’étudespubliées dans les revuesmédicales chaque mois,celle menée par l’université alle mande de marburg,concernant les effets

secondaires de médicaments utilisés dansle traitement du cancer du sein, a fait l’objetd’une couverture médiatique significativeà la fin de l’été. mais la corrélation entrel’intérêt scientifique d’une recherche etsa reprise médiatique est en général, aumieux, aléatoire. En l’occurrence, l’intérêtdes média avait été efficacement stimulépar une commu nication trompeuseautour des résultats de l’étude, au méprisde l’honnêteté intellectuelle la plusélémentaire, et peut-être même de lasanté des patientes qui auraient lafaiblesse de croire ce que leur journalrapporte des progrès de la recherche.

uNe cAmpAGNe tous AzimutsLorsque des chercheurs d’une universitéde marburg tentent de montrer que lespatientes traitées pour un cancer du seinsubissent d’autant plus les effetssecondaires qu’elles les redoutent avantle début de la thérapie, il n’est pas évidentque leurs travaux feront l’objet d’articlesde publications aussi diverses que LeFigaro, rtL, Europe 1, allodocteurs.fr (lesite de l’émission de France 5), repris surle site de Francetvinfo, Femme actuelle,

20 minutes, La Nouvelle République, LaDépêche, Le Républicain lorrain, LaRépublique du centre, Ouest-France,France Soir, Sciences et avenir, doctissimo.fr,feminactu.com, topsante.com, e-santé.fr,actusante.net, pourquoidocteur.fr,24matins.fr et speedylife.fr.L’article scientifique relatant cette étude,intitulé « Is it best to expect the worst ?Influence of patients’ side-effectexpectations on endocrine treatmentoutcome in a 2-year prospective clinicalcohort study » (« Est-il préférable des’attendre au pire  ? L’influence del’anticipation des effets secondaires parles patientes sur l’issue d’un traitementpar hormonothérapie dans une étudeprospective de deux ans ») et publié dansla revue Annals of Oncology au moisd’octobre, est disponible en ligne depuisle mois d’août. c’est à ce moment-là qu’ontété publiés au moins vingt et un articlesen ligne rapportant les résultats de cetteétude. ou plus exactement : rapportantce que le communiqué de presse,concocté par une habile communicante,rapportait des résultats de l’étude.

uNe commuNicAtioNdécompLexéePour comprendre en détail la différenceentre les véritables résultats et lesextrapolations douteuses, si ce n’estmensongères, que l’on trouve dans lecommuniqué de presse puis dans lesarticles de presse généraliste ou « devulgarisation », le lecteur féru de littératurescientifique pourra se référer à l’analyse

publiée sur le site du Formindep, associationpromouvant une formation et uneinformation médicales indépendantes.Nous nous contenterons ici d’en tracerles grandes lignes. L’étude retrouvait deseffets secondaires un peu plus fréquentsdans le groupe des patientes qui redou -taient le plus la survenue d’effetssecondaires avant le début du traitement ;mais cette corrélation ne permet pasd’affirmer que c’est l’anticipation deseffets secondaires qui en augmente lafréquence ; les auteurs peuvent avanceravoir mis au jour une corrélation de faibleampleur, mais pas de relation de causeà effet. Par ailleurs, cette étude présentede grandes faiblesses méthodologiques,à tel point que ces résultats (faiblesrappelons-le), sont possiblement faux ;trois des sept auteurs de l’étude sont enoutre en situation de conflit d’intérêtsavec une firme commercialisant un destraitements de l’étude.compte tenu de ces données qui sont,précisons-le, présentées dans l’articleoriginel, il est pour le moins troublant deconstater que le communiqué de presseévoque une causalité entre les anticipationsdes patientes et la survenue d’effets secon -daires, qui seraient « presque doublés »chez les patientes les redoutant le plus –un « presque doublement » relevant enréalité d’une analyse statistique défaillanteet trompeuse. Le Formindep rappelle ainsiles résultats de l’étude tels que rapportésdans l’article d’Annals of Oncology : « Aprèsprise en compte des autres facteurs,l’étude conclut que anticiper des effets

chaque mois, La Revue du projet donne carte blanche à l’association Acrimed(Action-critique-médias) qui, par sa veille attentive et sa critique indépendante,est l’incontournable observatoire des média.

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indésirables pourrait expliquer seulement3 % de leur variance à trois mois, et 6 % aubout de deux ans » ; c’est-à-dire quel’anticipation des patientes n’expliqueraitque 3 % à 6 % de la différence constatéesur la fréquence des effets secondaires.ces différences, qui vont bien au-delà dela simplification inhérente à la « vulga -risation », sont évidentes lorsqu’on comparel’article originel et le communiqué depresse, et donc disponibles pour tous lesjournalistes qui auraient voulu se faire uneopinion par eux-mêmes.

jourNALisme ou recopiAGe ?munis de ces quelques informations,penchons-nous à présent sur les nombreuxarticles ayant relayé les résultats de cetteétude. tous ceux que nous avons repérésreprennent l’angle du communiqué depresse en présentant la crainte des effetssecondaires comme une cause possibleou avérée de survenue de ceux-ci, avecun maniement variable du conditionnelselon les articles, utilisé dans le titre etdans le corps de l’article, seulement dansl’un ou l’autre, ou nulle part : « cancer dusein : redouter les effets secondaires dutraitement favorise leur apparition » (FranceSoir) ; « traitement du cancer : la peurmultiplie les effets secondaires » (LeFigaro) ; « quand les craintes des patientesaugmentent les mauvais effets destraitements » (Europe 1), etc.Aucun de ces articles ne mentionne lesfaiblesses méthodologiques « rédhibi -toires » (selon le Formindep) ni les conflitsd’intérêts des auteurs. sur les vingt et unereprises recensées dans la presse françaiseen ligne, seules quatre sont des articlesfournissant des informations sur le sujetau-delà de la description de l’étude fourniepar le communiqué de presse. Les dix-sept autres se limitent donc à une strictereprise des éléments du commu niqué,trompeur comme nous l’avons vu. celui-ci comprend notamment une citationcruciale de l’auteure principale, reprisepar tous les articles que nous avons trouvés,et qui cadre la présentation de l’étude,masquant ses faiblesses et exagérantlargement la portée de ses résultats.La conclusion générale à tirer de l’étude,selon son auteure principale, est la suivante :«  Nos résultats montrent que lesanticipations constituent un facteurcliniquement pertinent qui influence lerésultat à long terme de l’hormono -thérapie. » si tel était le cas, l’étude seraitvraiment très intéressante à lire, et àrapporter. mais rien n’est vraiment vraidans cette phrase : l’étude comporte tropde biais pour « montrer » sérieu sementquoi que ce soit, elle n’évalue pas « lerésultat de l’hormonothérapie » mais lasurvenue d’effets secondaires et la qualitéde vie, et elle le fait pendant deux ans aprèsle traitement, ce qui est un long terme très

relatif. relevant donc d’une interprétationau minimum excessive des résultats del’étude, cette déclaration figure pourtantdans tous les articles analysés.

de LA presse scieNtiFiqueAu FiL « LiFestyLe » de L’AFpdans le champ scientifique, la course à lapublication est un problème bien connu.L’obtention de postes et de financementsdépendant souvent du nombre d’articlespubliés et de la renommée des revues quiles publient, les chercheurs sont incitésà vendre leurs travaux, ou plus exactementà faire de la recherche « vendable ». dansle domaine médical, l’influence des firmespharmaceutiques, qui financent largement

la recherche, pèse lourdement en ce sens.c’est dans ce contexte que le rédacteuren chef de la prestigieuse revue médicaleThe Lancet s’inquiétait, dans un éditoriald’avril 2015, de la faible qualité desrecherches publiées : « une part importantede la littérature scientifique, peut-être lamoitié, pourrait bien être fausse. grevéepar des études aux petits effectifs, auxeffets minuscules, aux analyses explo -ratoires invalides, et des conflits d’intérêtsflagrants associés à l’obsession de suivredes modes d’un intérêt douteux, la sciencea pris un virage vers l’obscurité. »cela semble largement aggravé lorsqueles chercheurs, ou les institutions qui lesemploient (firmes pharmaceutiques,laboratoires, universités) cherchent àdonner un effet « grand public » à leurstravaux : dès lors, il n’est plus questionde détailler les protocoles ou de nuancerles résultats, mais bien d’appâter lechaland, quitte à tromper sur lamarchandise. Pour cela, rien ne vaut unecampagne de presse bien menée, parune agence de communi cation chargéede s’assurer de reprises nombreuses –et fidèles. Pourtant, nous l’avons déjànoté : toutes les données permettant decontester la présentation trompeuse ducommuniqué de presse étaient dispo -nibles dans l’article originel d’Annals ofOncology. mais cela suppose bien sûrque les journalistes qui rédigent cesarticles aient la formation et le tempsnécessaires à sa lecture.

or les articles que nous avons recensésont de toute évidence été rédigés pardes journalistes n’ayant pas lu l’étudeoriginelle et qui se sont contentés ducommuniqué de presse, partiel et partial.Pis : il n’est pas certain que la lecture ducommuniqué ait été nécessaire à larédaction des articles de reprise, dontla moitié (9 sur 17) sont signés « avecagences » ou « avec AFP ». on retrouveégalement la mention « relaxNews », parexemple dans l’article de La Dépêche.sur le site de l’AFP, on apprend que « leFil AFP relaxnews est le premier fil d’infosrich media (textes, photos, vidéos)consacré à l’actualité des loisirs et dulifestyle ». ce fil, lancé en 2010, propose

à ses clients des dépêches, vidéos,diaporamas, ainsi qu’un agenda d’événe -ments culturels. tous ces éléments sontproduits à 30 % par l’AFP et à 70 % parrelaxNews, qui est une agence de pressedétenue depuis 2015 par le groupePublicis. Les « contenus » proposés surce fil sont donc indifféremment produitspar des journalistes de l’AFP ou desjournalistes travaillant pour une agencede presse détenue par un groupe decommunication d’envergure mondiale.Et l’on retrouve ce mélange trouble dejournalisme et de communication dansle communiqué de presse qui sert debase à la dépêche abondamment reprise,puisque la rédactrice de ce communiquéest à la fois « consultante en commu -nication et journaliste indépendante ».des chercheurs (ou leurs employeurs)tentant de légitimer leurs travaux enobtenant des reprises dans la pressegénérale ou « de vulgarisation », auxméde cins et aux patientes exposés àune présen tation trompeuse de cestravaux, le chemin passe donc par des« communi cants journalistes » et unpartenariat entre une agence de presse,propriété d’un géant des « relationspubliques », et une agence de pressepublique. mais ce chemin ne vaut queparce qu’il répond à une exigenceprimordiale de la presse en ligne : lafabrication rapide d’articles bon marchégénérant le plus de clics possible. unécosystème indéniablement toxique. n

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« cette étude présente de grandesfaiblesses méthodologiques, à tel point

que ces résultats [...], sont possiblementfaux ; trois des sept auteurs de l’étude sont en situation de conflit d’intérêts

avec une firme commercialisant un des traitements de l’étude. »

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on réduit souvent le féminisme à laseule défense des droits des femmes.N’est-ce pas révélateur d’une mécon-naissance de la pensée féministe ?Nicole-édith thévenin. Au commen-cement du mouvement, le féminismene dissociait pas revendication des droitset lutte pour une totale émancipation.En s’en tenant à la simple revendicationdes droits, on recule idéologiquementet politiquement. Aujourd’hui, le mou-vement féministe tourne en rond, s’agitesans se poser la question de ce qu’il estdevenu. il lui manque la prise qui lui per-met non seulement de résister dans lecourant, mais, surtout, de résister aucourant. il est nécessaire de se battrepour les droits fondamentaux, aussi bienpour l’égalité que pour être sujet de droità part entière. L’ambiguïté de ce com-bat est d’être obligé de passer par le droit

de propriété de soi-même – mon corpsm’appartient – pour pouvoir revendiquerla capacité de dire « oui » ou « non » etdécider ainsi de son propre destin. il doitdonc s’inscrire dans le système juridiquedominant. comme le mouvementouvrier, le mouvement féministe est mar-qué par la contradiction consistant àrevendiquer des droits nécessaires, et

Le féminisme rejointla pensée marxiste

en même temps d’avoir une position poli-tique de remise en question de toutestructure politique et idéologique dedomination et d’exploitation.

Le mouvement féministe ne sait plus,aujourd’hui, dépasser cette contradic-tion ?N.-é. t. La « démocratie » n’est pas unsimple concept. c’est une structure depouvoir qui se fonde sur un système dereprésentation qui assure la reproductiond’un appareil d’État. celui-ci est là pourmaintenir et la soumission des classesexploitées et la soumission des femmesau système patriarcal, tout en leur assu-rant des modes d’expression qui ne met-tent pas en cause la reproduction de l’en-semble. Les partis et syndicats se sontconstruits sur ce modèle et malgré leursoutien au « féminisme », rien ne bouge

quant à la reproduction idéologique d’un« machisme » inhérent à leur fonctionne-ment, donc invisible. il y a certes des avan-cées, grâce aux luttes des femmes, maisil reste que la structure générale ne changepas. si bien que, selon les rapports de forcesen cours, cette structure peut revenirsur les droits acquis. c’est pour cela queje dénonce l’illusion étatique et démocra-

tique. Les féministes elles-mêmes sontprises dans cette illusion juridique consis-tant à croire qu’une fois les droits ins-crits, elles ont gagné. dans cette lutte, touteavancée est précaire et nous oblige doncà constituer un mouvement politique.

La structure patriarcale est, selon vous,à la base de toute forme sociale de ladomination ?N.-é. t. une structure modèle le champpolitique et social, et donc la subjecti-vité. La forme patriarcale de la dominationdans la famille est la première forme dedomination et soutient toutes les autresformes. Elle vient articuler jusque dansle privé les formes subjectives et structu-relles du pouvoir. Aujourd’hui, on ne théo-rise plus la question du pouvoir commeappareil d’État, comme a tenté de le faireLouis Althusser, à la suite de marx, en met-tant l’accent sur les formes de sa repro-duction, entre autres dans sa théorie desappareils idéologiques d’État. si bien quel’on a tendance à s’en remettre à l’État etau droit comme ultimes recours et mêmeà vouloir reconstruire la famille, c’est-à-dire à vouloir reconstruire l’absolu juridiquede la protection au détriment de sa pro-pre prise en charge politique. ce qui nousfragilise face à un pouvoir qui peut revenirsur ce qu’il accorde.

pour vous, le recul du poids idéolo-gique des féministes est un signal quela bataille idéologique est perdue pourtout le mouvement social ?N.-é. t. Elle est perdue pour le mouve-

Philosophe et psychanalyste, Nicole-édith thévenin dresse un constat sansconcession sur le mouvement féministe qu’elle estime, aujourd’hui, cantonnéà la seule revendication des droits des femmes et à la réclamation. Elle appelleà la création d’une puissance politique capable de s’ancrer dans la lutte desclasses, contre le capitalisme et le patriarcat.*

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« dans cette lutte, toute avancée est précaire et nous oblige donc

à constituer un mouvement politique. »

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« je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de fémi-niste chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson. »

rebecca West, écrivaine et essayiste anglo-irlandaise.

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ment social radical. Elle est perdue pourtous ceux, progressistes ou révolution-naires, qui veulent abolir les systèmesde pouvoir, que ce soit au niveau de lastructure patriarcale, capitaliste, duracisme, de l’homophobie… en fait, toutsystème de pouvoir qui engendre lamainmise sur les groupes, les classes oules individus. je ne vois pas comment onpeut s’émanciper en laissant les struc-tures de domination en place. La struc-ture patriarcale ne se réduit pas au sys-tème capitaliste, elle a existé bien avant.mais ce dernier l’a incorporée pour sapropre reproduction. ce qui fait quel’idéologie de la libération des femmesrejoint la libération de l’individu. mais enn’allant pas dans le sens de la destruc-tion du capitalisme, les femmes luttent,de fait, pour leur propre pomme et reven-diquent d’être dans le pouvoir commeles hommes. Elles s’intègrent dans le sys-tème tel qu’il existe. or, comme le mou-vement prolétarien, le mouvement fémi-niste a trouvé dans l’exploitation et ladomination des femmes les forces desa radicalité. Le féminisme radical rejointla pensée marxiste, plus même, un telradicalisme est le moteur de la révolu-tion.

Le féminisme et le marxisme ne peu-vent donc être que liés, selon vous ?N.-é. t. Évidemment. Le marxisme estla seule théorisation qui s’entête à mon-trer comment fonctionne un appareild’État et que donc, pour s’en libérer, ilfaut le détruire. Le capitalisme commele patriarcat peuvent intégrer des avan-cées qui leur permettent de survivre. onne peut se libérer de l’un sans se libé-rer de l’autre.

pourquoi affirmez-vous que le fémi-nisme, en tant que mouvement, doitse confronter à la « duperie de soi »pour saisir le processus de la repro-duction ?N.-é. t. je parle là du processus d’as-sujettissement qui concerne tout unchacun. Être dans l’opposition peut nousfaire croire que nous échappons à l’idéo-logie que nous combattons. or tout sujetest divisé entre son désir de se libérer etun désir inconscient d’être « assujetti »à un pouvoir structurel qui en mêmetemps nous donne de quoi êtrereconnus. Nous reproduisons tous doncà notre insu la pensée dominante, sesformes sociales et politiques. Noussommes pris dans cette contradiction.s’opposer, réclamer nous donne bonneconscience et circonscrit un terrain bienbalisé. c’est nécessaire, mais c’est enmême temps une duperie, car on nese met pas à ce travail de déliaison inces-

sant qu’il nous faut mener pour nousséparer de notre propre aspiration aupouvoir. d’où, d’ailleurs, l’éclatement dumouvement où tout le monde veut avoirson « chez soi » associatif, institution-nel. c’est là où la psychanalyse nous est

précieuse. Elle interroge l’être qui nese sent pas bien avec lui-même. Ellesignale qu’il y a un malaise qui est dansla duperie de soi. on reproduit quelquechose qui ne va pas avec nos exigencesinternes. La psychanalyse nous permetde faire la différence entre ce qu’il en estdu besoin immédiat et ce qu’est un « je »qui ne renvoie pas au narcissisme mais,comme le dit Lacan, au mouvement dene pas céder sur son désir. La psycha-nalyse consiste à libérer des faussesidentités, du moi idéal, comme dit Freud.[...]

Le mouvement féministe doit-il dres-ser un bilan sans concession sur lui-même et analyser sa stratégie faceaux rapports de forces ?N.-é. t. Le féminisme s’est intégré dansles institutions. il se contente aujourd’huide réclamer. il a perdu sa force d’op-position radicale. marie-josèphe Bon-net, dans son dernier livre, Adieu lesrebelles ! (éditions Flammarion, « caféVoltaire », 2014), analyse lucidement laconfusion idéologique dans laquelle lesféministes (et les homosexuels) se sontenfermées en abandonnant l’idéald’émancipation pour un idéal juridiqued’intégration des petits moi au nom detous… il faut former une puissance si onveut éviter que l’histoire ne soit éternellerépétition. on ne peut s’en tenir au bilandes « acquis » perdus. on ne récupérerapas sur la base de l’ancien, sur l’État enl’améliorant. il faut faire un bond en avant.Le mode de production capitaliste seperpétue en construisant les sujets dontil a besoin. mais, comme le dit Foucault,sa domination n’est aussi dominationque par rapport à un sujet ou des massessupposés capables de se soulever. maisau lieu d’accentuer l’écart, nous nousefforçons de coller à ce qui nous assu-jettit, d’en réclamer la reconnaissance.Et la protection. or, s’il nous faut déployerune dialectique entre conquêtes immé-diates et processus révolutionnaire, cene peut être que du point de vue du com-munisme, comme surdétermination

idéologique et politique. ce n’est pasla révolution française, qui s’est bâtiesur l’exclusion des femmes, qui doit êtrenotre filiation, mais la commune de Paris.Là-dessus, Badiou a raison et on ne sau-rait lui reprocher de cultiver le mythe du

grand soir. Le mouvement doit être com-muniste ou ne pas être.

à vous entendre, on croirait que leféminisme et le communisme sont desimples synonymes.N.-é. t. La structure de domination surles femmes est un impensé de la lutterévolutionnaire. c’est un impensé de touthomme et de toute femme, car on a tousété élevés dans ce bain. si on reproduitpar nous-mêmes l’évidence qu’il y auraitune inégalité naturelle entre les sexes,qu’il y a une nature femme, appelée àêtre naturellement dominée et appeléeà faire certaines tâches et à reproduireles rôles, eh bien un processus révolu-tionnaire échoue à se concrétiser. Lathéorie féministe vient interroger nonseulement la structure, mais aussi bienl’idéologie qui modèle notre subjectivité.Et la « guerre des sexes », ce ne sont pasles femmes qui la mènent, mais bien leshommes… ce n’est pas pour rien queEngels déclarait que le niveau d’une civi-lisation se jugeait à la place qu’occupentles femmes dans la société !

Le féminisme et le communisme sontles deux pieds du même corps ?N.-é. t. on ne peut penser le com -munisme sans penser le féminisme. Leféminisme fait partie intrinsèque du mou-vement communiste. il conditionne ledevenir révolutionnaire de la révolu-tion qui, sinon, se transforme en contre-révolution. si le mouvement féministene se réveille pas au niveau politique etne retrouve pas sa radicalité et son auto-nomie, s’il ne se forme pas au niveaude la lutte idéologique et théorique, il enreprend pour mille ans, et le mouvementrévolutionnaire avec. mais, après tout,n’avons-nous pas dit que rien n’estacquis ? mais à quel prix ! n

*Extraits de « Le féminisme rejoint lapensée marxiste » entretien réalisépar Mina Kaci, L’Humanité, 7 mars2014, publiés avec l’aimableautorisation de l’auteur.

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« je ne vois pas comment on peuts’émanciper en laissant les structures

de domination en place. »

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PHILOSO

PHIQUES

Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résul-tent des prémisses actuellement existantes. » Karl marx, Friedrich Engels - L’Idéologie allemande.

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PAR AURÉLIEN ARAMINI*

Malheureusement, seule

une infime partie de sestravaux est traduite enfrançais. Pourtant, laréflexion politique fran-çaise contemporaine

aurait tout intérêt à découvrir la pen-sée de l’initiateur de la « philosophie dela libération ». d’abord, parce que ce phi-losophe est un représentant majeur dela pensée foisonnante d’un continent enpleine ébullition sociale. Ensuite, parcequ’il développe une conception du « dia-logue interculturel » bien différente decelle promue par le multiculturalismelibéral, qui s’accommode très biend’échanger « conceptuellement » avecles cultures qu’il écrase. Aux antipodes(au sens propre et figuré) de la penséeeuropéenne postmoderne, le proposd’Enrique dussel cherche à poser lesconditions d’un dialogue interculturel« transmoderne ». il s’agit là d’un dialoguephilosophique de libération du « blocsocial des opprimés » (conception dupeuple empruntée à gramsci), qui partde « cette radicale nouveauté que signi-fie l’irruption, comme du néant, depuisl’extériorité alternative du toujours “dis-tinct”, de cultures universelles en coursde développement, qui assument lesdéfis de la modernité, et aussi de la post-modernité européo-nord-américainemais qui répondent depuis un autre lieu ».

Le dialogue des culturesselon enrique dussel

La lecture de l’article « transmodernitéet interculturalité (interprétation du pointde vue de la philosophie de la libération) »permet de retracer dans ses grandeslignes la genèse de la conception du dia-logue des cultures développée parEnrique dussel – à travers l’étude puis lacritique de la philosophie de la culture– depuis les conceptions « européocen-tristes » qu’il découvre à l’université, enArgentine, dans les années 1950, jusqu’auconcept de « transmodernité » qu’il déve-loppe dans le sillage des mouvementspopulaires sud-américains.

LA coNceptioNeuropéoceNtriste de LA cuLtureNé en 1934, Enrique dussel fait ses étudesà une époque où, rappelle-t-il, il va desoi, en Argentine, que ce pays appartientà « l’occident ». dans les années 1950,la philosophie de la culture qu’il décou-vre à l’université se fonde sur une visionsubstantialiste des cultures où celles-cise succèdent, dans une chronologieorientée téléologiquement, de l’Est àl’ouest, selon un schéma linéaire cor-respondant à une vision de l’histoire uni-verselle héritée du modèle hégélien. danscette perspective, une culture se déve-loppe tel un organisme et s’identifie au« contenu éthico-mythique d’une nation(ou d’une conjonction de nations) ».mobilisant ces catégories conceptuelles,les travaux du jeune philosophe dans lesannées 1960 s’orientent dans une direc-tion qu’il récusera ensuite : s’efforçantde comprendre l’origine, le développe-ment et le contenu de la culture latino-

américaine, la philosophie de la cultureconsistait alors avant tout à rechercher« l’identité culturelle » d’un continentdont il faut dégager les traits essentielset qu’il faut situer relativement à la moder-nité européenne.

LA critique du coNcept de « cuLture »À la fin des années 1960, Enrique dus-sel change radicalement de perspective.trois influences majeures vont contri-buer à réorienter sa conception philo-sophique de la culture. d’abord, le déve-loppement des sciences sociales critiqueslatino-américaines qui reposent en grandepartie sur la « théorie de la dépendance »selon laquelle le développement du « cen-tre » a pour condition la dépendance despériphéries. Ensuite, la lecture de Tota-lité et infini de Levinas où il découvre,contre la philosophie hégélienne ou car-tésienne, une pensée de l’altérité radi-cale qui s’affirme, de manière irréducti-ble, à travers le visage de l’Asiatique, del’Africain ou du sud-Américain. Enfin, laforce des mouvements populaires etétudiants de 1968 qui se développèrentdans le monde entier mais connurentune ampleur toute particulière en Amé-rique latine. « centre et périphérie », « Levisage de l’autre » et « révolution », autantde concepts que la philosophie de la cul-ture doit intégrer.or, si la définition de la culture se construità partir des « classes sociales commeacteurs intersubjectifs », cela conduit à« scinder le concept “substantialiste” deculture et […] [à] commencer à décou-vrir les fractures internes à chaque cul-

Philosophe mexicain d’origine argentine et professeur de philosophie à l’uni-versidad Autónoma metropolitana (uAm, iztapalapa, ciudad de méxico),Enrique dussel est l’auteur d’une œuvre immense.

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PHIQUES

ture et les fractures entre les cultures(non seulement comme “dialogue” ou“choc” interculturel mais plus strictementcomme domination et exploitation del’une par l’autre). À tous les niveaux, il fauttenir compte de l’asymétrie des acteurs ».Par conséquent, les discours et, plus géné-ralement, les productions culturelles s’ins-crivent moins dans une « structure » quedans une lutte des classes. Ainsi, toutepensée doit être immédiatement locali-sée car elle est « articulée depuis les inté-rêts de classes déterminées, de groupes,de sexes, de races ».L’idée même de « philosophie de la libé-ration » développée par Enrique dusselconsiste justement dans sa localisation.cela suppose de s’affranchir d’un typede dialogue philosophique répandu dansle monde postcolonial : les élites éclai-rées du tiers-monde ont perpétué un dia-logue asymétrique où la « culture » – pen-sée à travers les catégories de la modernitéoccidentale – domine la majorité de lapopulation qui « s’appuie sur ses tradi-tions et défend (fréquemment de manièrefondamentaliste) ce qui lui appartientcontre ce qui est imposé par une culturetechnique économiquement capitaliste ».La philosophie de la libération prétend« générer une nouvelle élite dont “les

lumières” s’articuleront aux intérêts dubloc social des opprimés ». c’est doncl’extériorité de la théorie philosophiqueet de la culture populaire que la philoso-phie de la libération veut dépasser. maisla perspective d’Enrique dussel n’est paspluraliste : il est avant tout question delibérer la « culture populaire ».

LA cuLture popuLAireLe concept de « culture populaire » (nidémagogique, ni nationale) est centraldans la pensée du philosophe sud-amé-ricain : « La culture populaire n’était paspopuliste. “Populiste” indiquait l’inclu-sion dans la culture “nationale” de la cul-ture bourgeoise ou oligarchique de son

élite et la culture du prolétaire, du pay-san et de tous les habitants du sol orga-nisé par un État (ce qui se nomme enFrance le “bonapartisme”). Le populaire,à l’inverse, était tout un secteur sociald’une nation exploité et opprimé maisqui gardait une certaine extériorité –comme nous le verrons plus loin. oppri-més dans le système étatique, alterna-tifs et libres en ces moments culturelsdépréciés purement et simplement parle dominateur, tels que le folklore, lamusique, la nourriture, les vêtements,les fêtes, la mémoire de ses héros, les“gestes” émancipatrices, les organisa-tions sociales et politiques ».se défiant des approches postcolonialesqui mobilisent les concepts des Lumièreseuropéennes, la philosophie de la libéra-tion telle que la défend Enrique dusselconstruit son discours de « l’extérieur »de l’Europe en refusant de « définir » l’Amé-rique latine relativement à la modernitéou à la postmodernité européenne. il estquestion de partir de l’immanence despratiques populaires amérindiennes. L’ex-périence des luttes paysannes montreque les cultures paysannes ont des res-sources propres ; il existe des modes d’or-ganisation sociales alternatives quant àleur inscription dans l’environnement,

modes d’organisation en partie héritésdu monde précolombien. mais ces formesde vie ne se perpétuent que parce qu’ellesrésistent face à l’impérialisme. ce sontces formes alternatives qui émergent dansla pensée philosophique de la cultureentendue comme libération de la culturepopulaire.Loin d’être une survivance archaïqueconservant sa pureté à l’ombre de lamodernité, l’extériorité dont parle Enriquedussel est celle de « ces cultures uni-verselles, asymétriques du point de vue deleurs conditions économiques, scienti-fiques, technologiques, militaires [qui]gardent pour cela une altérité respecti-vement à la modernité européenne avec

laquelle elles ont vécu et qui ont apprisà répondre, à leur manière, à ses défis ».cette conception de l’asymétrie consti-tutive des relations au sein d’une culturese retrouve aussi dans le dialogue inter-culturel : l’asymétrie est un fait premierqu’il n’est pas légitime de vouloir voiler.

diALoGue iNtercuLtureLtrANsmoderNecomment penser un dialogue entre lescultures musulmane, andine, chinoise,européenne et étasunienne ? Non dansle cadre du multiculturalisme libéral quirepose, selon Enrique dussel, sur « l’op-timisme superficiel d’une prétendue faci-lité avec laquelle s’expose la possibilitéde la communication et du dialogue mul-ticulturel en supposant ingénument (oucyniquement) une symétrie inexistanteen réalité entre les personnes qui argu-mentent ». Le point de départ d’une libé-ration du bloc social des opprimés résidedans le fait indépassable que lescultures qui seraient censées dialoguer« s’affrontent aujourd’hui à tous les niveauxde la vie quotidienne, de la communica-tion, l’éducation, la recherche, les poli-tiques d’expansion et de résistance cul-turelle jusqu’à militaire ».contre l’idée de dialogue multiculturel,Enrique dussel insiste, d’une part, surl’asymétrie des relations concrètes queprétend « voiler » l’acceptation de cer-tains principes procéduriers et, d’autrepart, sur le fait que les principes procé-duriers en question relèvent d’une formed’État appartenant à la culture occiden-tale qui, de fait, « restreint la possibilitéde survie de toutes les autres cultures »de par sa technologie militaire et sa domi-nation économique. À l’overlappingconsensus  de john rawls, le philosophemexicain oppose le projet d’une futureculture « transmoderne » valorisant, touten évaluant la modernité européenne,les aspects culturels qui se situent « au-delà » ou qui sont « antérieurs » aux struc-tures de la culture moderne européenneet nord-américaine. Loin d’être une glo-balisation indifférenciée et vide, la cul-ture « transmoderne » tendra à un « plu-riversalisme » qui « doit clairement prendreen compte les asymétries existantes ».quand commencera ce dialogue inter-culturel ? Et où ? selon Enrique dussel,ce dialogue a déjà commencé, au sud… n

reproduction d’extraits de Transmoder-nidad e interculturalidad (Interpretacióndesde la Filosofía de la Liberación) », tra-duit par Aurélien Aramini.

*Aurélien Aramini est responsablede la rubrique Dans le texte de La Revue du projet.

« se défiant des approches postcolonialesqui mobilisent les concepts des Lumières

européennes, la philosophie de la libérationtelle que la défend Enrique dussel construit

son discours de “l’extérieur” de l’Europe en refusant de “définir” l’Amérique latine

relativement à la modernité ou à la postmodernité européenne. »

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » jean jaurès

PAR EMMANUÈLE CAIRE*

Aux oriGiNesdu VocAbuLAire poLitiqueLa réflexion politique grecque s’est trèstôt intéressée à la description des modesde gouvernement et d’exercice du pou-voir avec un double objectif : identifier toutd’abord des formes de « régimes », ce queles grecs appelaient des politeiai – c’est-à-dire les différentes façons qu’ont leshommes de vivre ensemble dans une cité,d’organiser les rapports publics et privésentre les citoyens, d’élever les enfants, deboire et de manger, de se vêtir, d’hono-rer les dieux… –, déterminer ensuite éven-tuellement parmi ces formes la meilleurepossible, soit dans l’absolu, soit pour telleou telle cité. clisthène est souvent, dans les livres d’his-toire, présenté comme le père de la démo-cratie athénienne. Et de fait les institu-tions qu’il donna à Athènes en 508 av.j.-c. sont celles qui tout au long des Ve

et iVe siècles, avec un certain nombred’évolutions certes, ont servi de base àl’organisation politique de la cité athé-nienne. mais en 508 le terme de démo-cratie n’existe pas. quant à la revendi-cation d’égalité qu’implique le mot isono-mie, elle peut s’entendre à différentsniveaux. dans son contexte d’origine, faceà la tyrannie qui, étant le « gouvernementd’un seul », peut aussi être appelée mon-archia, l’isonomie exige une répartitionégale, mais de quoi, et entre qui ? du pou-voir entre les chefs des grandes famillespour les uns, des droits politiques entretous les citoyens pour les autres. Le slo-

Athènes et l’invention de l’oligarchieLe vocabulaire politique et tout particulièrement les termes désignant les formesde régimes trouvent leur origine dans le monde grec antique, non seulement dupoint de vue étymologique par la formation des mots mais aussi du point de vuepolitique par le contexte qui a suscité leur naissance. revenir aux origines de cevocabulaire et aux conditions de son émergence montre que les questions quese posaient les Athéniens du Ve siècle avant j.-c. ne sont pas sans écho dans lemonde contemporain.

gan, peut-être initialement inventé par lespremiers contre les tyrans, n’a pas tardéà devenir celui du plus grand nombre, pré-cisément contre ces chefs de grandesfamilles.c’est vraisemblablement quelquesdécennies plus tard, quand, dans la citéathénienne, des luttes politiques intensesdivisent les citoyens autour de la ques-tion de l’extension de l’exercice des magis-tratures, l’archè (pour ouvrir par exem-ple la charge d’archonte aux citoyens dela troisième classe censitaire, alors qu’elleétait jusque-là réservée à ceux des deuxpremières classes, ou pour instaurer destribunaux populaires où tous les citoyens

peuvent également siéger), qu’apparais-sent deux nouveaux termes, appelés àconnaître un long avenir, mais qui sontsans doute à l’origine, eux aussi, de sim-ples slogans politiques : démocratie etoligarchie. il est possible que tous deuxproviennent de termes négatifs inventéschaque fois par les adversaires de la situa-tion politique qu’ils caractérisent : face àce que les uns dénoncent comme « legouvernement du petit nombre » (olig-archia), les autres stigmatisent « la domi-nation du peuple » (démo-kratia).mais c’est avec le Ve siècle et l’intense

réflexion intellectuelle initiée par lessophistes à Athènes que le vocabulaires’est diversifié, et tandis que les philo-sophes tendaient d’établir une typologiedes régimes, la propagande politiquebrouillait les pistes en faisant évoluer levocabulaire.

Les mots de LA propAGANdeLa première classification et la plus simpleconsistait à nommer un régime d’après lenombre des gouvernants : un seul gou-verne, c’est une « monarchie », quelques-uns gouvernent, c’est une « oligarchie »,l’ensemble du peuple gouverne… ce devraitêtre une « dèm-archie », mais puisque leterme dèmokratia avait introduit dans levocabulaire des régimes la notion de pou-voir (kratos) et qu’en réalité la questionde fond était bien de savoir qui détient lepouvoir dans la cité, l’invention verbale allaitde pair avec les affrontements politiques.tout d’abord, comment comprendre lanotion de dèmo-kratia ? Les démocratesen forgent une définition positive : le dèmos,le peuple, c’est l’ensemble des citoyens,c’est la totalité de la cité, et la démocratiedoit donc être définie comme le pouvoirde tous, dans l’intérêt de tous. Les chefsdémocrates ne cessent de l’affirmer. Àsyra-cuse, Athénagoras déclare : « je dis, moi,pour commencer, que la totalité est appe-lée “peuple”. » ÀAthènes, Périclès renché-rit : « Pour le nom, on l’appelle démocra-tie parce qu’elle n’est pas administrée dansl’intérêt du petit nombre, mais de la majo-rité. » mais, on le voit, des glissements sontpossibles : d’une part, parce que le termedèmos est associé à la notion de grandnombre (polloi) et parce que le fonction-

« L’inventionverbale allait de pair avec

les affrontementspolitiques. »

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nement de la démocratie repose sur la règlede la majorité, le dèmos devient l’antithèsedu petit nombre (oligoi) et de la minorité.dès lors il est loisible pour les adversairesde la démocratie de dénoncer ce régimecomme la domination du grand nombresur le petit nombre ou de la majorité surla minorité et, comme le LacédémonienBrasidas, d’affirmer leur préférence pourdes régimes « dans lesquels ce n’est pas legrand nombre qui gouverne le petit nom-bre, mais bien plutôt une minorité qui gou-verne une majorité », c’est-à-dire pourles oligarchies. d’autre part, en grec commeen français, le dèmos, le « peuple », peutaussi être utilisé pour désigner une caté-gorie de la population, d’abord par oppo-sition aux chefs, aux gouvernants, puis plusgénéralement aux élites. c’est cetteseconde acception que retiennent les par-tisans de l’oligarchie, et leur propagandepolitique utilise toutes les ressources duvocabulaire pour stigmatiser ce dèmosqu’ils posent en adversaire, voire en ennemide classe.

Ainsi un pamphlétaire anonyme décritdans la seconde moitié du Ve siècle ladémocratie athénienne comme le régimequi « favorise les mauvaises gens au détri-ment des honnêtes gens ». mais il ne s’entient pas là. Le dèmos trouve toute unesérie d’équivalents : il est « la masse »ou «  la foule  », il est constitué des«  hommes du peuple  », qui sont des« coquins », des « inférieurs », des « pau-vres », des « fous furieux », manquantd’éducation et de connaissances. majo-ritaires, ceux-ci constituent « la part laplus mauvaise », la lie de la cité. de façongénérale, «  ceux du dèmos » sont, àquelques exceptions près, issus du dèmos,servent les intérêts du dèmos et sont favo-rables à la démocratie. ils agissent toutparticulièrement à l’assemblée (en tôdèmô). de l’autre côté, les « honnêtesgens » se confondent avec les « nobles »,les « meilleurs », les « gens de bien », les« plus habiles », les « plus capables » (oules « puissants ». s’ils sont capables etpuissants, c’est en vertu de leurs qualitéspropres mais aussi parce qu’ils sont les« riches », les « gens fortunés ». ces hon-nêtes gens sont les « hoplites », « ceux quicultivent la terre », « ceux qui s’entraînentdans les gymnases et pratiquent lamusique ». ils constituent le « petit nom-bre » et représentent la « part la meil-leure », l’élite de la cité.

La stratégie du vocabulaire vise donc à iden-tifier une catégorie socio-économique,le dèmos, caractérisée par son inférioritéen tous domaines, à l’exception notable deson nombre et de sa place dans les insti-tutions athéniennes. La cité quant à elle, lapolis, est le lieu où s’affrontent deux caté-gories radicalement hétérogènes, que leursintérêts opposent sans conciliation possi-ble. Le choix d’un régime politique sanc-tionne le triomphe de l’une ou l’autre deces catégories, et l’auteur fait de cette affir-mation un axiome politique universel enécrivant : « il n’est aucune cité où l’élite soitfavorable au peuple (au régime populaire),mais, dans chaque cité, c’est la racaillequi est favorable au peuple. En effet lessemblables sont favorables aux sembla-bles… » Les rapports politiques ne sontqu’une lutte pour le pouvoir dans laquelleil n’est pas d’autre alternative : soit la mino-rité domine la majorité, soit la majoritédomine la minorité. Ainsi, les partisans del’oligarchie peuvent présenter ce régimecomme une aristo-kratia, le « pouvoir desmeilleurs », et dénoncer la démocratiecomme une kako-kratia, le « pouvoir desmauvaises gens », ou encore une plétho-kratia, le « pouvoir de la masse » ou uneochlo-kratia, le « pouvoir de la foule ». Faceà eux, leurs adversaires ne manquèrent pasde relever la signification profonde de cejeu de vocabulaire en qualifiant l’oligarchiede plouto-kratia, le « pouvoir des riches ».

Les écHecs de L’oLiGArcHiede fait lorsque par deux fois, à la fin du Ve

siècle, les oligarques parvinrent, à la faveurde la guerre, à s’emparer du pouvoir àAthènes, et qu’ils durent, au-delà de la pro-pagande, définir ce que devait réellementêtre l’oligarchie, ils débouchèrent sur uneimpasse et sur des dissensions internesqui causèrent rapidement la chute durégime. car les divergences étaientgrandes, dans les faits, entre les concep-tions qu’ils avaient de la définition et deslimites du « petit nombre » (nombre fixe,minorité étroite ou majorité restreinte,proportion variable entre gouvernantset gouvernés…). tout aussi grandes étaientleurs divergences sur la manière de com-prendre la limitation de l’archè. il pouvaits’agir de restreindre l’accès à l’ensembledes magistratures par l’établissement d’unseuil censitaire (ce qui ne faisait qu’éten-dre les restrictions déjà présentes dans ladémocratie pour les fonctions de stratègeou les magistratures financières) ; il pou-vait s’agir de transférer les fonctions déli-bératives et judiciaires de l’Assemblée auconseil, voire à un corps plus étroit encore ;il pouvait s’agir de limiter le statut mêmede citoyen en réservant ce statut à unepartie seulement de la population. Les oli-garques ne s’accordaient donc sur la signi-fication, ni de la première, ni de la secondepartie du mot « oligarchie ». ils ne se retrou-vaient que dans leur hostilité commune à

la démocratie, contre laquelle ils pouvaientcependant brandir une même revendica-tion : l’établissement d’une « aristocratie ».mais défini comme « le pouvoir des meil-leurs », le régime soulevait un questionne-ment sur le critère d’excellence à retenir,qu’il s’agisse de la naissance, de l’éduca-tion, ou du « droit du plus fort » – qu’il sedécline selon le critère de la force phy-sique ou de la supériorité intellectuelle.Lorsque enfin le critère retenu était celuide la richesse économique et que l’oligar-chie s’identifiait au « gouvernement desriches », il restait là aussi à expliciter lecritère censitaire : possessions foncières,évaluation d’un revenu ou encore appar-tenance à l’une des trois premières classessoloniennes à Athènes, ce qui permettaitalors de justifier la restriction du corpscivique actif aux seuls citoyens capablesde servir comme hoplites.Le régime oligarchique des trente qui,en 404-403, s’empara du pouvoir àAthènes fit éclater au grand jour ces contra-dictions. Entre critias, partisan d’une oli-garchie étroite, qui voulait restreindre àtrois mille le nombre des citoyens et décla-rait à son collègue théramène : « si, parceque nous sommes trente et non un seul,tu penses que nous devons moins nouspréoccuper d’user de ce pouvoir commed’une tyrannie, tu es naïf ! » Et ce mêmethéramène, partisan d’une oligarchie aris-tocratique, qui jugeait absurde que « lesgens de bien soient au nombre de troismille et qu’il soit impossible que figurentdes gens de qualité en dehors d’eux oudes coquins parmi eux » et se disait l’ad-versaire de « ceux qui pensent qu’il ne sau-rait exister de bonne oligarchie avant qu’ilsaient soumis la cité à la tyrannie du petitnombre », le conflit se durcit au point des’achever par l’élimination brutale dusecond et l’exécution de masse de tousles opposants avérés ou supposés.déconsidéré par les violences, les excès,les massacres et l’échec final du régimeoligarchique de 403, le mot oligarchiedevint au iVe siècle un terme honteuxque les adversaires de la démocratien’osaient plus revendiquer. il leur restaittoujours la possibilité de prôner une aris-tocratie définie comme le pouvoir dela vertu (arètè), ou celui d’utiliser despériphrases aussi séduisantes quevagues, en prônant le retour au « régimedes ancêtres » ou à la « démocratie d’au-trefois », celle d’avant Périclès, d’avantsolon, celle du temps où la «  bonnedémocratie » ne confondait pas éga-lité arithmétique et égalité géométriqueet n’était pas encore devenue une ochlocratie. n

*Emmanuèle Caire est historienne.Elle est professeur de langue etlittérature grecques à l’universitéd’Aix-Marseille.

« Le dèmosdevient l’antithèse

du petit nombre(oligoi) et

de la minorité. »

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PRODUCTION DE TE

RRITOIRES

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PAR VIOLETTE-GHISLAINELORION-BOUVREUIL*

Dans les villes occidentales, le

seul lieu encore ouvert surl’horizon est le jardin, le parc.cela devient révélateur duquotidien, d’une fragmenta-tion du quotidien vécu. Le

jardin serait la compensation d’une villeagressive, ce serait un rattrapage duvivant dans l’urbain, au point que l’onréinstalle, l’on réenferme, l’on résiden-tialise le jardin à l’usage d’un faible nom-

bre, comme la bourgeoisie enfermaitson parc derrière de hautes clôtures – ill’est dans les gated communities (rési-dences fermées), dans certains projetsde tours écologiques – comme un élé-ment de richesse à l’inverse du jardinpotager dont l’engouement actuel estautant lié à la nécessité de s’assurer dela qualité de l’alimentation qu’à la possi-bilité de s’alimenter en réduisant lesdépenses.ici, le choix est celui d’appréhender lejardin, et en particulier le jardin potager,par l’angle de la discontinuité entre pra-tiques et espaces privés et publics, entrece qui est invisible et ce que l’on donneà voir, discontinuité où les variations tem-porelles qui sont celles du jardin et des

Au fil du temps, le jardin, espace privé au départ est devenu lieu de pro-duction alimentaire dans l’espace public ( jardins ouvriers) et lieu de socia-bilisation ( jardins partagés et jardins publics).

sociétés viennent à leur tour accentuerla juxtaposition d’espaces et les enche-vêtrer.Le jardin est donc un lieu clos, clôture pré-sente dans son étymologie persane, latine,gallo-romane, tout comme dans sa défi-nition spatialisée : le jardin est fermé. Yest placé ce qui est précieux, réellementou symboliquement : la connaissancepour les uns, des collections végétalesd’ornement pour d’autres, le potager etle verger enfin… Extrêmement construit,maîtrisé, le jardin existe par l’illustrationdu rapport du corps à son environnement,au soin porté à l’un comme à l’autre. jardin

thérapeutique ou jardin de sorcière, jar-din d’agrément ou de production nourri-cière, il est civilisé, ordonné, mais il estd’abord privé. il est lié à la propriété et àce titre il est peu démocratisé, jusqu’à ceque la ville puisse être conçue commeune cité-jardin.

Les jArdiNs ouVriersLa création des jardins ouvriers libèrele jardin. L’attribution d’un lopin de terreaux ouvriers au début du xxe siècle ouvreà la démocratisation. Le jardin, jusque-là réservé aux classes privilégiées, estpeu à peu accessible à toutes les classessociales. Pendant longtemps, il est unélément extérieur de l’habitation, puispeu à peu conçu comme une pièce sup-

plémentaire, aménagée. Les trenteglorieuses s’illustrent par l’accession àla propriété des classes populaires et latransformation du jardin en terrasse,cuisine et salon d’été. on installe desdallages, des pelouses, les végétaux sontà la fois agréables à contempler et sim-ples d’entretien. dans le même tempsque les pavillons du périurbain se stan-dardisent au profit de promoteurs, lesjardineries organisent les rythmes desmodes végétales. Les modèles restenttoutefois identiques, recopiant enformes réduites des univers architec-turaux et paysagers inventés par la bour-geoisie, eux-mêmes inspirés des pro-priétés aristocratiques.Ainsi la production alimentaire est-ellerepoussée à l’arrière de la maison, quandle devant du domicile est mis en valeurcomme une vitrine. Le jardin pavillon-naire de la fin des années 1970 cache lespotagers et les vergers, comme lesdemeures bourgeoises de la fin duxixe siècle.Entre les deux, entre les demeures bour-geoises du xixe siècle et les pavillonspériurbains de la fin du dernier quart duxxe siècle, naissent les jardins ouvriers.ils accompagnent l’urbanisation de larévolution industrielle et l’exode rural.En 1876, la démarche de l’abbé Lemire,député-maire chrétien de la villed’hazebrouck, créant les conditions pourque se développent des jardins ouvriers,dans le but d’améliorer la situation desfamilles ouvrières, prend sa place dansla mouvance hygiéniste à destinationdes populations ouvrières. L’enjeu estalors d’extraire l’ouvrier des taudis oùsévit la tuberculose, de l’éloigner du bis-trot, de lui insuffler une certaine idée dufoyer, et d’éviter qu’il s’imprègne d’idéauxrévolutionnaires.ces jardins ouvriers survivent à la dés-

Le jardin dans la ville

« L’enjeu est d’extraire l’ouvrier des taudis où sévit la tuberculose,

de l’éloigner du bistrot, de lui insuffler une certaine idée du foyer, et d’éviter qu’il

s’imprègne d’idéaux révolutionnaires.»

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rap-ports de l’Homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

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industrialisation et, la politique paterna-liste en moins, deviennent des jardinsfamiliaux : parcelles closes mais souventvisibles, au moins depuis les autres par-celles sinon de la rue. Le travail de pro-duction alimentaire revient par ce biaisdans l’espace public.

LA prAtique du jArdiNAGeLes formes jardinées publiques suiventune évolution parallèle. dans la ville dela modernité de l’immédiat après-guerre,la rue est minérale. Le zoning fonction-nel urbain issu des réflexions des congrèsinternationaux d’architecture moderne(ciAm) a enfermé dans les intersticesplus ou moins périphériques les« espaces verts » au profil de pelouseséternellement vertes, condamnant du

même coup les parcs et jardins publicset leur diversité de milieux.de ce point de vue, le paysage et le jar-din, ensemble ou distinctement, sontun outil éminemment politique au sensoù ils influent considérablement sur lesdynamiques de peuplement, sur l’amé-nagement et donc sur la gestion de laville. c’est d’autant plus vrai lorsque l’es-pace public est à nouveau pensé pour

être comestible. Le retour en grâce desjardins de production alimentaire, leurréapparition dans l’espace public ren-dent possibles des actions de dévelop-pement d’agriculture urbaine, certaines

à l’initiative d’habitants (sous forme d’as-sociations comme les incroyablescomestibles ou d’associations de quar-tier d’aménagement de jardins parta-gés). ces initiatives se vivent comme unengagement à individualiser cet urbain,comme un geste de résistance à l’ho-mogénéisation (et donc à la suppres-sion) du paysage.une abondante littérature montre quele jardin (privé comme familial ou par-tagé) et la pratique du jardinage possè-dent des effets bénéfiques sur la santédes individus. Alors que les organismeset institutions de promotion des jardinspartagés comme de l’agriculture urbainemettent en avant les éventuels béné-fices de l’activité de jardinage commede ses résultats (la consommation deproduits locaux, frais, sains), les partici-pants et participantes semblent retenirle bien-être mental et physique qu’ils enretirent. Les jardins partagés apparais-sent comme des lieux de valorisation etd’estime de soi. ce rôle thérapeutique dujardin peut également être appréhendé

à l’échelle du corps social et à ce titredonne au profil hétérotopique une diver-sité de fonctions dont l’une, et non desmoindres, pourrait être d’utiliser la dis-continuité physique du jardin pour

dépasser les discontinuités sociales. Eneffet, les jardins partagés constituentdes lieux de rencontre, des lieux (re)créa-teurs de liens sociaux de différentesnatures. cette fonction sociale du jar-din est utilisée depuis des décennies parles travailleurs sociaux. En France, lesjardins de réinsertion se sont en effetmassivement développés depuis lesannées 1990.cet ensemble d’éléments illustre lecaractère multidimensionnel des notionsde santé et de bien-être. En effet, àl’image de la définition retenue parl’organisation mondiale de la santé dansla charte d’ottawa, la santé apparaît nonpas comme la présence ou l’absence demaladie mais comme un état de bien-être physique, mental et social. dans cecas, le rôle des jardins collectifs urbains,et, parmi eux, des jardins partagés, par-ticipe de la production d’urbanités. n

* Violette-Ghislaine Lorion-Bouvreuil est cartographe.

« ces jardins ouvriers survivent à la désindustrialisation et,

la politique paternaliste en moins, deviennent des jardins familiaux. »

« Les jardins partagés apparais-

sent comme deslieux de valorisationet d’estime de soi. »

PRODUCTION DE TE

RRITOIRES

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SCIENCES

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la construc-tion du projet communiste. chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. et nous pen-sons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sans science n’estsouvent qu’une impasse.

PAR SACHA ESCAMEZ*

ces pLANtes quic(r)AcHeNt de L’eAuAntoine de saint-Exupéry ne croyait proba-blement pas si bien dire, lorsqu’il écrivit : « Eau,tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peutpas te définir, on te goûte, sans te connaî-tre… » saviez-vous que nous sommes entou-rés de colonnes d’eau qui coulent de bas enhaut, semblant défier la gravité et pouvantatteindre plusieurs dizaines de mètres ? celaparaît incroyable et pourtant il existe bel etbien, tout autour de nous, des colonnesaqueuses qui s’élèvent comme des cordestractées vers le haut. si vous ne les avez jamaisremarquées, c’est probablement parce quece phénomène se produit au sein du corpsdes plantes dites « vasculaires », c’est-à-direpourvues de vaisseaux par lesquels circule

Le double jeu des planteset son avenir

l’eau puisée par les racines. ces plantes sontcelles les plus connues du grand public, tellesque celles à fleurs, les arbres (qu’ils soient àfleurs ou non), ainsi que les fougères. commeelles ont un système efficace de transportd’eau, elles sont particulièrement bien adap-tées à la vie terrestre et donc très présentesà la surface de notre planète. mais attention,toutes les plantes ne sont pas vasculaires :par exemple, les mousses ne le sont pas.

LA « pLomberie » : Les deux réseAuxcomme nous, les plantes vasculaires sontdes organismes vivants constitués de nom-breuses cellules, elles-mêmes organisées entissus, en organes et en systèmes. commenous, la plupart des plantes terrestres dispo-sent d’un système de vaisseaux, mais l’ana-logie s’arrête là. En effet, les plantes ont unmode de vie bien différent du nôtre, et leur

Le système vasculaire des plantes : une force écologique qui soulève des mon-tagnes (d’eau), un pilier de l’évolution des êtres vivants, une source promet-teuse de développement(s).

« Les plantes ont un mode de vie bien différent du nôtre, et leur système

vasculaire ressemble moins à nos circuits d’artères et de veines

qu’à de la plomberie. »

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système vasculaire ressemble moins à noscircuits d’artères et de veines qu’à de la plom-berie. mais quelle plomberie ! situé au centrede leur corps, ce système se compose dedeux types de tuyaux formant deux réseauxparallèles.

Le réseAu de LA sèVeLe premier réseau est un tissu appelé« phloème » et qui transporte ce que l’onappelle la « sève élaborée ». La sève élabo-rée, c’est celle à laquelle on pense lorsquel’on a les doigts qui collent après avoir cueillides fleurs. Pourtant, ce n’est pas pour nous

agacer que la sève élaborée colle, c’est parcequ’elle contient des sucres issus de la pho-tosynthèse réalisée dans les feuilles, et quidoivent être répartis au sein de la plante pouren nourrir toutes les parties. Par conséquent,le phloème peut être vu comme un réseaufascinant de redistribution entre les diffé-rents organes végétaux. Pourtant, même s’ily aurait beaucoup à dire sur le phloème, lecœur de cet article est consacré à l’autreréseau vasculaire, qui permet aux plantes detransporter l’eau vers le haut.

Le réseAu de L’eAuce second réseau s’appelle « xylème », dugrec xylon qui signifie « bois ». c’est lui quitransporte l’eau et les minéraux puisés dansle sol par les racines jusqu’aux feuilles où del’eau s’évapore par transpiration. En effet, lesplantes vasculaires sont capables de trans-pirer, grâce à des cellules associées en cou-ples, appelées « stomates », et capables d’ou-vrir un espace entre elles, ou de le refermer,pour contrôler la quantité d’eau évaporée. Laquantité d’évapotranspiration, au niveau desstomates, contrôle en grande partie la quan-tité d’eau qui circule dans le xylème. En effet,il existe une théorie (attribuée aux travaux dejosef Böhm en 1893, à ceux d’henry h. dixonet de john joly en 1894 ainsi qu’à EugenAskenasy en 1896), dite de la « cohésion-ten-sion », qui analyse le phénomène. Elle expliqueque l’eau puisse circuler de bas en haut, sansqu’un cœur, ou quelque autre genre demoteur, ne lui fournisse de l’énergie pour s’éle-ver. cette théorie repose sur les propriétésde l’eau qui lui garantissent une forte cohé-sion dans un espace réduit, par exemple ausein des vaisseaux du xylème, dont le diamè-tre varie de quelques dixièmes de millimètreà quelques millièmes de millimètre seule-ment. Ainsi, lorsque de l’eau s’évapore depuisles feuilles des plantes, sa cohésion, dans l’es-pace étriqué des vaisseaux du xylème, génère

une tension qui tire la colonne d’eau vers lehaut, d’où le nom « théorie de la cohésion-tension ». ces idées ont, bien sûr, été préci-sées et complexifiées depuis la fin du xixe siè-cle, mais la cohésion de l’eau associée àl’évapotranspiration demeure la principaleexplication de son ascension au sein desplantes.

Le coNtiNuum soL-pLANte-AtmospHèreLa quantité d’eau transportée dans un vais-seau du xylème pourrait nous sembler déri-soire en raison du diamètre minuscule où elle

passe. Pourtant, multipliée par le nombre devaisseaux dans une unique plante et par lenombre de plantes vasculaires sur terre, ilapparaît clairement que la quantité d’eau éle-vée par les plantes est réellement impres-sionnante. Ainsi, ces végétaux soulèvent-ilsdes montagnes d’eau qu’ils transfèrent depuisle sol jusque dans l’atmosphère, participantgrandement au cycle de l’eau à travers ce quele scientifique t. h. van den honert a décriten 1948 comme le « continuum sol-plante-

atmosphère ». il va donc sans dire que lexylème des plantes est une force majeure dedéplacement de l’eau, qui façonne notre envi-ronnement, notre écologie.

Les pLANtes VAscuLAires et LA Vie sur terreLa vie a vraisemblablement commencé dansl’eau, puis l’évolution des êtres vivants leur apermis de coloniser l’immense majorité de lasurface terrestre. Pourtant, l’étude des fos-siles indique que les premières plantes ter-restres – différentes sortes de mousses –étaient relativement mal adaptées pour sup-porter la sécheresse de ces milieux, compa-rés aux milieux aquatiques. Ainsi, ces plantesvivaient-elles généralement à proximité depoints d’eau, jusqu’à ce que l’évolution lesdote d’outils plus adaptés à la vie terrestre,tels que les racines et le système vasculaire.ces nouvelles plantes purent alors croître en

taille (comparez les mousses et les arbres,par exemple), en aires d’habitation et en diver-sité, au point que, de nos jours, les plantesvasculaires couvrent la majorité des surfacesterrestres et représentent plus de 90 % desespèces des plantes qui s’y trouvent. cettecolonisation des terres par les plantes vas-culaires a provoqué d’énormes changementsenvironnementaux, notamment la modifica-tion du taux d’oxygène dans l’atmosphère,elle a grandement contribué au développe-ment d’autres formes de vie en milieux ter-restres, comme les animaux (dont nous fai-sons partie). À ce titre, le système vasculairedes plantes peut être considéré comme undes piliers de l’évolution de la vie terrestretelle que nous la connaissons, et demeure unélément essentiel de son fonctionnement !

Le système VAscuLAire des pLANtes commesource de déVeLoppemeNtLe système que nous venons de présenter,en plus de son immense importance pourl’évolution de la vie et pour le fonctionnementde l’environnement, représente une sourceprometteuse de développement. En effet, lexylème, qui forme le bois chez les arbres, estune abondante source de biomasse, c’est-à-dire de matière vivante, produite de façonrenouvelable grâce à la photosynthèse. cettebiomasse du xylème peut donc être vuecomme une forme de stockage de l’énergiesolaire captée par la photosynthèse. il serait

donc possible de produire des carburants,dits « biocarburants de deuxième généra-tion », à partir du bois des arbres, de manièrerenouvelable, à condition de replanter aumoins autant que ce qui est consommé et depréserver la biodiversité. d’autres produitstels que des huiles et des substituts pour lesmatières plastiques pourraient aussi êtregénérés à partir de la biomasse du xylème.Enfin, des ingénieurs tentent depuis plusieursannées de reproduire la façon dont le xylèmetransporte l’eau sans apports d’énergie. sicette stratégie aboutissait, la consommationd’énergie de nos sociétés, liée à l’achemine-ment de l’eau, s’en verrait grandement dimi-nuée. n

*Sacha Escamez est biologiste. Il estpostdoctorant à l'université d’Umeå(Suède).

« Les plantes vasculaires couvrent la majorité des surfaces terrestres et

représentent plus de 90 % des espèces des plantes qui s’y trouvent. »

« Le système vasculaire des plantes peutêtre considéré comme un des piliers de

l’évolution de la vie terrestre telle que nousla connaissons, et demeure un élément

essentiel de son fonctionnement ! »

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PAR GÉRARD STREIFFSO

NDAG

E

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La greffe libérale est difficileL’offensive libérale, ces dernières années, est massive. Lediscours dominant est libéral. de macron à Fillon, on se veutlibéral. Les média nous vendent à longueur de temps unmessage libéral. La plupart des candidats à la future prési-dentielle se la jouent libéral. un même argumentaire répèteque la libre concurrence est la panacée, que la place de l’Étatdoit se restreindre, que l’entreprise est l’alpha et l’oméga,que le libre-échange, c’est l’avenir. or l’opinion, elle, résiste.Elle a bien du mérite mais elle résiste. L’image majoritaire

du libéralisme dans la population est mauvaise. dans biendes domaines d’activité, les concitoyens voient le futurassuré par le secteur public ; ils attendent une forte pré-sence de l’État ; et ils rejettent catégoriquement les trai-tés de libre-échange genre tAFtA. Bref, comme l’écrit, dépité,le journal libéral Le Figaro : « En France, le slogan jE suisLiBÉrAL n’existe pas. [...] manifestement, à droite commeà gauche, la “greffe libérale”, selon l’expression de PascalPerrineau, reste difficile. » n

Vous persoNNeLLemeNt AVez-Vous uNe boNNe ou uNe mAuVAise opiNioN du LibérALisme ? (ODOXA, avril 2016)

BONNE ................ 41 %MAUVAISE ......... 58%

coNcerNANt cHAcuNe de ces ActiVités, coNsidérez-Vous qu’eLLedeVrAit à L’AVeNir Être Assurée pAr Le secteur pubLic ou priVé ? (IFOP, avril 2016)

ÉDUCATION, ......................... 83% PUBLICSANTÉ, .................................... 83% PUBLICEAU, ......................................... 74% PUBLICTRANSPORTS EN COMMUN...69% PUBLICPOSTE .................................... 66% PUBLIC

diriez-Vous qu’eN mAtière écoNomique, L’étAt deVrAit iNterVeNir(IFOP/L’Opinion/avril 2016) :

DAVANTAGE ......................................... 53%AUTANT .................................................. 31 %MOINS ..................................................... 16%

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PAR FANNY CHARTIER

STATISTIQUES

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un groupe multinational français est un groupe dont le cen-tre de décision est situé en France et qui contrôle au moinsune filiale à l’étranger. En fonction du nombre de personnesemployées et de leur chiffre d’affaires annuel, on parlera dePmE, de groupes de taille intermédiaire ou de grands groupes.on recense 2 493 groupes multinationaux français : 150 grandsgroupes, 931 groupes de taille intermédiaire et 1 412 groupesde taille PmE.En 2013, les groupes français multinationaux (hors secteurbancaire) contrôlent 37 000 filiales à l’étranger. ces filialesréalisent un chiffre d’affaires de 1 240 milliards d’euros, soitlégèrement plus de la moitié du chiffre d’affaires total desgroupes. Les employés des filiales (5,4 millions de personnes)représentent également environ la moitié des effectifs desgroupes. Les plus grands groupes se distinguent en revancheen réalisant la majeure partie de leur chiffre d’affaires (84 %)et en ayant la plupart de leurs salariés dans leurs filiales étran-gères (80,2 %). À l’inverse, l’activité des groupes de taille inter-médiaire ou de taille PmE reste davantage localisée en France.La majeure partie des salariés des groupes français multina-tionaux qui travaillent à l’étranger sont employés dans le sec-teur tertiaire (57 %, dont 22 % dans le commerce et 35 % dansles services). ils sont tout de même 39 % à travailler dans desfiliales industrielles. Néanmoins, le secteur d’activité de cesemplois dépend du pays dans lequel les filiales sont implan-tées. Par exemple, 57 % des salariés des groupes multinatio-naux qui travaillent en Allemagne sont employés dans le sec-teur industriel, alors que 70 % de ceux qui sont au Brésiltravaillent dans le tertiaire.La particularité des groupes multinationaux est qu’ils ont desfiliales pouvant être réparties partout dans le monde. La moi-tié des groupes est ainsi implantée dans au moins trois pays,

et plus de la moitié des grands groupes l’est dans au moinsdix-sept pays. Avec 2,1 millions de salariés, soit 38 % des effec-tifs, l’union européenne demeure la première zone d’implan-tation des groupes français multinationaux. Le royaume-uni,l’Allemagne et l’Espagne regroupent à eux seuls plus d’un mil-lion de salariés. derrière l’uE, les Bric (Brésil, russie, inde,chine) et les États-unis arrivent en deuxième et troisièmepositions, avec respectivement 24 % et 11 % des effectifs.Entre 2012 et 2013, le nombre d’emplois à l’étranger des groupesfrançais multinationaux a augmenté de 90 000. cette pro-gression est beaucoup moins importante que celle des annéesprécédentes. Pour la première fois, entre 2012 et 2013, lesgroupes français multinationaux ont davantage accru leurseffectifs en France (+ 130 000) qu’à l’étranger. hors uE,entre  2012 et  2013, ceux-ci augmentent aux États-unis(+ 36 000 ), mais aussi en russie (+ 21 000), en inde (+ 19 000)et au Brésil (+ 12 000). À l’inverse, ils diminuent en chine(- 27 000).

toutes tailles confondues, les groupes français multinatio-naux ont réalisé 58 milliards d’euros d’investissements horsde France en 2013, soit 5 % de leur chiffre d’affaires à l’étran-ger. ils effectuent 63 % de ces investissements à l’étrangerhors de l’union européenne (36,5 milliards d’euros). sur l’en-semble des pays (uE et hors uE), l’investissement est réaliséà 97 % par les grands groupes ou ceux de taille intermédiaire.Vingt pays reçoivent plus des trois quarts des investissementsdes groupes multinationaux à l’étranger (44,2 milliards d’eu-ros). ces vingt pays sont aussi bien dans l’uE qu’en dehors.comme en 2012, le pays qui reçoit le plus d’investissementsest les États-unis (4,7 milliards), mais l’écart se réduit avec leroyaume-uni (4,6 milliards). n

portrait des groupesmultinationaux français

Catégorie des groupesEffectifs à l’étrangerdes groupes français

(en milliers)

Part des effectifsselon la catégorie

d’entreprise

Chiffre d’affairesconsolidé* à l’étranger

Part du chiffre d’affaires consolidéselon la catégorie

Nombre médian depays d’implantation

Grands groupes 4 311 80,2 1 038 83,7 17Groupes de taille intermédiaire 915 17,0 182 14,7 4

Groupes de taille PME 146 2,7 19 1,6 2Ensemble 5 373 100,0 1 240 100,0 3*

2. Il s’agit du chiffre d’affaires généré par les filiales présentes danscette zone et non pas des ventes réalisées par le groupe dans cette zone.Source : INSEE, OFATS 2013.

1. Pays d’Europe centrale et orientale : Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie,Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, République tchèque.

Chiffre d’affaires réalisé par les groupes multinationaux français2

Effectifs salariés à l’étranger desgroupes multinationaux français

Nombre de filiales à l’étranger desgroupes françaisZone géographique Montants Part de la zone Effectifs Part de la zone

Union européenne (UE), dont : 566 45,6 2 069 38,5 17,6PECO1 51 4,1 408 7,6 2,7

Hors UE, dont : 674 54,4 3 304 61,5 19,4États-Unis 191 15,4 590 11,0 3,2BRIC 167 13,5 1 271 23,7 4,3Total 1 240 100,0 5 373 100,0 37,0

* C’est la somme des chiffres d’affaires des unités légales d’un groupe, auquel on enlève le chiffre d’affaires réalisé entre filiales du groupe.Note : la somme des lignes peut être légèrement différente du total du fait des arrondis.Source : INSEE, OFATS 2013.

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LIRE

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Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faire connaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projet des communistes.

jack Goody et l’universalisme

PAR ÉRIC GUICHARD

et anthropologue a donné un fondementrationnel à l’universalisme : il a montré leslimites de la théorie du grand partage, quipourtant supposait déjà l’absence de diffé-rences entre les humains mais qui mainte-nait en partie la dichotomie « primitifs/civi-

lisés » que les média et les politiques alimentent si fré-quemment. En bref, avant Goody, les « sauvages » res-taient toujours un peu sauvages, même s’ils nous res-semblaient beaucoup : le monde se partageait entre le« nous » et le « eux » sans que nous sachions trop où seglissait la frontière. Jack Goody a démontré que nousavons tous les mêmes qualités, défauts, capacités. Lesdifférences que nous croyons voir sont en fait dues à laprésence ou à l’absence de techniques, qui circulent etse transmettent sans frein de type culturel. Goody nous propose donc un point de vue original : lestechniques sont à l’origine de faits culturels que nouscroyons souvent caractéristiques des différences (et deshiérarchies) entre les sociétés. Une fois qu’elles pénètrentlargement une société, elles deviennent source de tant dequestions et de perspectives que la société se mobilisepour trouver des réponses et des usages qui vont pro-fondément transformer ces techniques. Celles-ci ne trans-forment donc pas la société d’un coup de baguettemagique, comme le croient les adeptes du déterminismetechnique, elles en sont partie prenante et prennent d’ail-leurs des configurations différentes suivant les lieux et lesmondes dans lesquels elles se déploient. Parmi ces tech-niques, l’écriture nous importe particulièrement : un autreapport de Jack Goody a consisté à la définir comme unetechnologie de l’intellect. À l’heure de l’Internet, cette audaceintellectuelle s’avère fort féconde.

tecHNoLoGies de L’iNteLLect réFLexiVesUne technique intellectuelle est un ensemble d’outils etde méthodes (de recettes) qui aident à penser, c’est-à-direà élaborer ou à faciliter un raisonnement, à déployer unerationalité rigoureuse. Nous en connaissons beaucoup :des tables de multiplication aux cartes, des dictionnaires

aux moteurs de recherche. Comment les classer ? JackGoody distingue les technologies de l’intellect qui peu-vent s’expliquer par leur seul usage et les autres. Il défi-nit les premières comme « réflexives » et n’en repère quedeux : le langage et l’écriture. Par exemple, nous ne pou-vons expliquer ce qu’est un algorithme par la seule jux-taposition d’algorithmes mais nous ne manquons pasde mots pour expliquer ce qu’est le langage, même dansun régime exclusif d’oralité. C’est d’ailleurs le critère quenous utilisons pour distinguer les humains des animaux.Ces derniers, même s’ils peuvent disposer d’un langage,n’ont pas a priori la capacité à expliquer avec ce langagece qu’il est. De même, au bout d’un temps long, nous réus-sissons à expliquer par écrit ce qu’est l’écriture. Pourtant, l’écriture fonctionne mal : supposée transcriredes idées ou des fragments de mémoire, elle est faitede signes parfois en relation avec des sons, d’autresfois non. Elle voudrait capter la langue, elle la rend incom-préhensible. En bref, sans la ponctuation, sans une sériecomplémentaire de signes (en français : des guillemetsaux tirets en passant par les accents) qu’il faut assimiler,socialiser, affiner, l’écriture est moins maniable que lelangage, d’usage délicat car difficile à partager. En Europeet en Méditerranée, il a fallu quatre mille cinq centsans pour disposer d’un système de signes à peu prèscohérent, efficace et bien compris.

pAr-deLà LANGue et mémoireAinsi, l’écriture devient une gigantesque machineriesociale dédiée à son fonctionnement : il s’agit de mini-miser les problèmes d’interprétation, de trouver des solu-tions aux questions induites par la traduction, le com-mentaire ou le déchiffrement de textes. Il s’agit ausside tirer profit des perspectives et des inventions renduespossibles par l’écriture et de prendre ces dernières commeobjets de réflexion. La compréhension de la langue (syn-taxe, structure), le développement de la logique (avecla possibilité de comparer plusieurs textes) et de raison-nements élaborés (de la critique au tri des listes en pas-sant par l’invention de formes synthétiques, commeen mathématique) résultent de l’écriture. Autant de pra-tiques motivées par la curiosité intellectuelle, les besoinsde la gestion ou le goût du pouvoir, qui nécessitent à leurtour des méthodes, des apprentissages, des… techniques.

jack goody est mort il y a un an, le 16 juillet 2015. À l’heure où les massacresignobles d’innocents en France et partout dans le monde pourraient nous invi-ter à rejeter autrui, l’œuvre de jack goody nous rappelle que nous sommestous pareils.

C

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Cette technique, comme bien d’autres, n’a plus de rap-port avec ses origines, tant les figures de l’écriture, de sesusages et des réflexions qu’elle induit ont changé depuisson invention : lentement transformée, sans cesse remisesur la forge par les humains – sans qu’il y ait évolutionlinéaire ou progressive – avec des évolutions oubliées,tardives ou peu socialisées (pensons à l’algèbre, formespécifique d’écriture si fréquemment rejetée). Elle est untravail permanent et collectif qui finit par structurer nosmodes de pensée.L’écriture, comme toute technique, a un grand avantage :elle se moque des frontières et, une fois largement socia-lisée, n’a pas vraiment de propriétaire. Jack Goody rap-pelait avec malice que les Européens, qui ont construitleur domination du monde à partir de leurs savoirs, deleurs conquêtes militaires et de leurs explorations, n’au-raient pu avancer sans le papier, la poudre et la bous-sole, trois techniques inventées par les Chinois.

que reteNir de jAcK Goody ?Il n’y a pas de formes collectives de la pensée supérieuresà d’autres ou plus évoluées que d’autres. Notre façonde considérer les sociétés (les cultures) comme des enti-tés autonomes, qui auraient des difficultés spécifiquesà disposer de capacités intellectuelles que peuvent acqué-rir certains de leurs membres n’est donc pas tenablerationnellement car elle oublie le fait technique, qui d’unepart signale des échanges, des dialogues là où l’approcheculturelle simpliste voit des murs et d’autre part condi-tionne des aptitudes intellectuelles que nous croyonsindividuelles et propres au champ de l’esprit.Si nous élargissons le débat à l’heure de l’Internet, nouscomprenons que nous vivons un double leurre collectif.Une technique, fût-elle intellectuelle, n’est pas qu’unerecette qui, appliquée aux sociétés, va les transformer,comme le croient les partisans du déterminisme technique,si répandu aujourd’hui avec sa variante qu’est le déter-minisme de l’innovation (« les nouvelles technologies vonttransformer les sociétés et accroître nos richesses »). Ellen’est pas non plus secondaire (vis-à-vis d’une religion, d’unhéritage culturel) puisqu’elle induit et questionne dessavoir-faire, des classes de savoir qui structurent ce quenous appelons la culture, comme nous le voyons avec l’écri-ture qui se confond avec ce qui en permet l’usage : la cul-ture de l’écrit. Les relations entre technique et culture sontdonc plus intimes qu’on ne l’imagine.

pouVoir de L’écritLes personnes qui maîtrisent au mieux l’écriture peu-vent rapidement imposer leurs représentations du monde,leurs goûts, leurs croyances à celles qui ne la maîtrisentpas, surtout quand les premières sont minoritaires. Celavalait pour l’Angleterre au XVIIe siècle (le goût pour Sha-kespeare), pour les colonisateurs au XIXe : l’écriture faci-lite grandement l’imposition d’une culture. Cela vaut avecl’écriture actuelle. Pour repérer alors les formes dominantesdu contemporain dans les domaines de l’esthétique, dela politique et plus largement de l’idéologie, il suffit de com-prendre qui sont les « lettrés du numérique », c’est-à-direde l’écriture électronique et en réseau, en accordant à « let-tré » la dimension de technicien qui fut toujours la sienne.Ces lettrés sont majoritairement présents au sein des mul-tinationales de l’Internet qui nous imposent aujourd’huiles machines, logiciels, formats, sans lesquels nous ne pou-vons plus lire ni écrire ni nous documenter. Car l’écritureest en voie d’être massivement privatisée. Nos instrumentsintellectuels et leurs succédanés communicationnels sontcotés en bourse, ils évoluent au gré de l’intérêt de leursactionnaires, qui recherchent le maximum de clients. Dif-

ficile dans ce contexte nouveau d’espérer qu’ils facilitentle déploiement de la rationalité et de l’esprit critique. Et il n’est pas impossible qu’au-delà des appétits déré-gulés et décomplexés du capitalisme et de la finance,qu’au-delà des populismes et des rejets de l’autre quifleurissent en Europe, le désintérêt de nos gouverne-ments pour l’éducation publique (universelle) en cestemps de privatisation de l’écriture contribue en partieà l’essor des irrationalismes de tout type, variantes extré-mistes et meurtrières incluses.En effet, l’école et l’université sont de plus en plus contrac-tualisées avec les entreprises précédentes, comme le mon-tre le « Plan numérique à l’école », source d’un accord entrele ministère de l’Éducation et Microsoft. À l’université,nombre d’enseignants et d’étudiants s’inquiètent de cequ’on n’y apprend plus à compter, dessiner, écrire avec lesoutils de l’écriture actuelle. L’esprit critique, hier richessedes sciences sociales, se dilue dans la religion du numé-rique. C’est compréhensible, aurait pu répondre JackGoody : puisqu’il faut tant de décennies pour stabiliser uneculture de l’écrit, avec son lot de socialisation des tech-niques et des recettes, d’édification des institutions et desédimentation des problématiques réflexives, la trans-formation de l’écriture venue de l’informatique et l’In-ternet bouscule nos habitudes intellectuelles, nos archi-tectures rationnelles et leurs pendants collectifs.Restent quelques petits groupes qui développent ou par-tagent des outils d’écriture gratuits, autogérés, sourcesde réflexivité et donc d’esprit critique. Mais ils ne sontpas en position d’écrire le monde au sens politique nid’infléchir les orientations de la technique.

optimismeL’universalisme de Jack Goody l’a toujours empêchéde céder au catastrophisme. En ces temps troublés pardes violences multiformes et des discours univo -ques (There is no alternative), autoritaires et pétris decontradictions, il aurait certainement rappelé que la cul-ture est construite sur des « contradictions cognitives »et que nos représentations à son sujet gagneraient à inté-grer la technique.Néanmoins, celui qui s’est volontairement engagé dansl’armée britannique en 1939 pour lutter contre le nazismeaurait certainement insisté sur le besoin de consoliderune éducation populaire et exigeante sur les bases d’uneécriture et de savoirs publics, gratuits, accessibles à tous. Jack Goody avait sur le monde un regard étonnammentdébarrassé de préjugés. Il allait au bout de ses raisonne-ments. Il gardait l’idée que les humains et leurs pratiquessont toujours comparables, quels que soient les lieux etles époques. Ce qu’il a abondamment démontré. Gardonsce point en mémoire, restons circonspects face aux notionsde culture, de communauté et n’oublions pas que noussommes parents et enfants de la technique. n

*Éric Guichard est maître de conférences à l'ENSSIB.

DEUX OUVRAGES DE JACK GOODY • Pouvoir et savoir de l’écrit, La Dispute, 2007.• Mythe, rite & oralité, Presses universitairesde Lorraine, 2015.

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sources » (p. 91), et la méthode pour cela est une « tech-nologie éthique » pour faire « vivre effectivement la réci-procité économique », en « assumant les tâtonnements,les essais, les erreurs ou encore les scénarios probabili-sés » (p. 94). Cela nous semble assez vague et, en fin decompte, l’auteur n’est-il pas lui aussi dans la même situa-tion que tous ceux qui luttent et ont du mal à éviter lesdéfaites, c’est-à-dire ce qu’il appelle un « hollandais » ?Au-delà des critiques que nous avons pu formuler, il fautrendre grâce à l’auteur d’avoir attiré notre attentionsur le fait suivant : si nous sommes 99 % et qu’en faceils sont 1 % et si nous n’arrivons pas à changer ce sys-tème, c’est peut-être (en reprenant l’expression de LaBoétie) que nous tombons souvent dans « la servitudevolontaire ». n

La troisièmeguerre mondialeest socialeÉditions de l’Atelier,2016BERNARD THIBAULTavec le concours dePierre Coutaz

PAR CAMILLE DUCROT

Après avoir arrêté sonmandat de secrétaire national de la CGT, Bernard Thi-bault a été élu au conseil d’administration de l’Organi-sation internationale du travail (OIT). La troisième guerremondiale est sociale est un retour de cette expérienceinternationale qui a duré deux ans. Il construit son livreà la fois comme un compte rendu de ce qu’il a vu et faità l’OIT, estimant de son devoir de rendre des comptesaux personnes qui ont voté pour lui, et comme une ana-lyse du fonctionnement et des valeurs de l’OIT.Cette organisation, affiliée à l’ONU, est en effet large-ment inconnue et mise à l’écart alors qu’elle rassem-ble patrons, syndiqués et ouvriers, ce qui fait d’elle unedes rares institutions réellement mixte. L’OIT a été conçueen 1919, lorsque les États ont pensé que la promotion dela justice sociale à l’échelle du monde permettrait d’em-pêcher les catastrophes comme celle de la PremièreGuerre mondiale. Après 1945 son rôle est renforcé, maisaujourd’hui le patronat conteste certains de ses avisqui dénoncent la mise en concurrence permanente destravailleurs. Il critique l’organisation interne de l’OIT quis’appuie sur des experts internationaux indépendantspour produire des rapports.Ce travail d’écriture permet aussi à Bernard Thibaultde présenter des chiffres qu’il juge importants pour com-prendre le monde d’aujourd’hui et des propositions pourdiminuer les inégalités entre les habitants d’un mêmepays et entre les habitants de différents pays : contrô-ler les multinationales, pouvoir bénéficier de déroga-

Les Inégalités économiques et leurs croyances

ÉditionsMatériologiques, 2016

PASCALCHARBONNAT

PAR PIERRE CRÉPEL

L’auteur explore le mys-tère suivant : « Pourquoiles diverses stratégiespour lutter contre les iné-galités, explicitement pré-sentées comme telles,

ont-elles été jusqu’à main tenant im puis santes ? » Il necherche pas à étudier si ces inégalités économiques, dontl’existence est évidente, sont bonnes (comme le préten-dent la plupart des dominants) ou mauvaises (de l’avisdes dominés et visiblement de l’auteur). Pour éclairerson énigme, il distingue des raisons objectives (puissancedu marché, rapports de forces, corruption, individua-lisme, etc.) et subjectives (croyances) et défend cettethèse : « Si nous ne parvenons pas à changer des rap-ports sociaux marqués par une inégalité économiquetoujours plus grandissante, cela dépend de raisons sub-jectives, idéologiques. » Il constate l’existence d’une dua-lité très répandue chez de nombreux acteurs : « (i) undiscours présentant quelque vœu de lutte contre l’iné-galité sociale ; (ii) un échec objectif à remédier à cetteinjustice ». Il appelle cela « l’idéologie hollandaise »(par allusion à qui vous savez) et estime qu’elle est pré-sente autant chez des gens dont « la sincérité est au moinssuspecte » que chez les militants les plus dévoués. Ildécompose alors cette idéologie « en ses croyances élé-mentaires », à savoir « au devoir de certitude politique »(chap. 1), « au marché » (2), « à l’égoïsme et à l’altruisme »(3), « à la vertu des inégalités » (4), « à une transforma-tion sociale douloureuse » (5).Ses points de vue nous paraissent souvent un peu outréset unilatéraux, manquant d’esprit dialectique, mais ilsn’en sont pas moins intéressants à soumettre à la cri-tique. Décortiquer les apparences et les pièges dans les-quels les gens doués des meilleures intentions peuventtomber est toujours méritoire. Citons à titre d’exemplela discussion du chapitre 5 sur le caractère nécessaire-ment « douloureux » ou non de toute transition versun système meilleur. On ressent tout de même plusieursmalaises. Ceux qui, des syndicats au NPA en passant parle PCF, luttent chaque jour contre la politique de Hol-lande apprécieront sans doute d’être qualifiés, à lon-gueur de pages, de « variétés de hollandais », à savoirles « hollandais radicaux ». Mais, surtout, pourquoi oppo-ser les raisons objectives et subjectives ? N’est-ce pasla conjonction de ces deux types qui nous maintient dansla défaite ?L’auteur propose comme issue « l’exploration de tous lesmoyens pour donner à chacun un accès égal aux res-

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deuxième Damien, élève et amant de sa mère qui l’a miseenceinte, et enfin Nathan, dernier compagnon de sa mèrequi a élevé concrètement la jeune fille. En retraçant endétail cette histoire du point de vue de différents pro-tagonistes, Florence Weber montre ainsi comment s’yarticulent de manière complexe dimensions matérielles,symboliques et affectives. De même, elle analyse ensuitele cas de Violette, prise en charge peu après sa naissancepar le second mari de sa mère, un peintre renommé, maisqui va par la suite lui dénier son nom et l’appartenanceà sa propre lignée, avec toute la souffrance que celaimplique jusqu’à aujourd’hui pour la femme, quadragé-naire au moment de l’enquête. De souffrances, il en estégalement question dans le cas d’Helena Parva, céliba-taire, mère de deux enfants, pauvre matériellement, maisrelativement bien dotée sur le plan culturel, ce qui luipermet de contester les décisions des services sociauxcomme de sa propre sœur. Enfin, la prise en charge dansses vieux jours de Teresa en Catalogne – province où laliberté de tester est assez grande – est pour sa part révé-latrice des reconfigurations de la parenté lorsqu’il s’agitd’assumer la dépendance des personnes âgées. L’auteuremontre ainsi comment deux femmes, l’une de ses niècesconsanguines, l’autre nièce de sa défunte compagne,toutes deux travaillant dans le secteur sanitaire, vont par-ticulièrement s’investir dans cette assistance quotidienneaprès avoir écarté une gouvernante abusive, mais nonsans être soupçonnées elles-mêmes de chercher à cap-ter l’héritage. À partir d’autres cas moins détaillés (le filsd’un couple d’employés de maison pratiquement adoptécomme le leur par leurs patrons sans enfants par exem-ple), l’auteure met en évidence l’incapacité du cadrelégislatif existant à reconnaître l’ensemble et l’ampleurdes formes de solidarité au sein d’une maisonnée et lecloisonnement des débats entourant d’une part les ques-tions de filiation, et de l’autre les politiques sanitaireset sociales. Son travail invite à poser clairement la ques-tion de savoir « qui doit travailler à la survie quotidiennede ceux qui ne peuvent pas se suffire matériellement(enfants, vieillards, malades) ? » et « qui doit supporterle coût de ce travail : le travailleur lui-même dès lors queson travail est gratuit, le dépendant et sa famille, la col-lectivité ? ». Un débat crucial s’il en est, notamment pourrenverser le creusement des inégalités induites par lesystème actuel sans tomber pour autant dans le salairematernel promu par l’extrême droite et sous-tendu parune vision essentialisante de la famille. Car une choseest sûre : loin d’être un simple état de fait « naturel »,la, ou plutôt les familles sont avant tout ce que nous enfaisons, collectivement et individuellement. n

tions sur les règles du commerce international ou encoreobliger l’Union européenne à respecter les avis de l’OIT.Bernard Thibault invite à se saisir de cet outil qu’est l’OITpour faire progresser les droits sociaux sur la planète.C’est donc un ouvrage technique sur le travail et le syn-dicalisme qui est édité par les Éditions de l’Atelier. Unouvrage à lire pour visualiser les rouages des rapportséconomiques et politiques actuels. n

Penser la parentéaujourd’hui.La force du quotidienÉditions Rued’Ulm, 2013

FLORENCE WEBER

PAR IGOR MARTINACHE

« La » famille arriveaujourd’hui largement

en tête des valeurs de nos concitoyens si l’on en croitles enquêtes d’opinion. Qu’il paraît loin le « familles, jevous hais » de mai 1968. Il n’y a cependant pas que surle plan moral que cette institution a profondément évo-lué au cours des dernières décennies, mais dans sa phy-sionomie même. En effet, nombreux ont été les textesqui, de la réintroduction du divorce par consentementmutuel à la reconnaissance du mariage pour tous, enpassant par la légalisation de l’IVG, l’encadrement del’adoption, de la procréation médicalement assistée etla création de l’allocation personnalisée d’autonomie(APA), ont tenté d’accompagner ces transformations desmanières de faire famille, non sans porter des définitionsimplicites du « bon » parent, et donc en creux du « mau-vais ». Ces politiques, sociales notamment, sont-ellespour autant adaptées à la réalité des solidarités impli-quées par ces liens de filiation, d’alliance ou simplementde cohabitation ? C’est cette question, cruciale s’il en est,que se propose d’éclairer l’anthropologue Florence Weberdans cet ouvrage – qui constitue en réalité une version« augmentée » de son livre déjà devenu classique, Le Sang,le nom et le quotidien (Aux Lieux d’être, 2003). À partirde plusieurs études de cas approfondies, elle se propo-sait alors d’étudier la manière dont pouvaient se disso-cier et s’articuler les trois dimensions principales de laparenté que son titre indique : la reproduction biolo-gique (le sang), l’institution juridique (le nom) et les soinsliés à une cohabitation durable (le quotidien) – cette der-nière étant le plus souvent oubliée par le législateur (sice n’est à travers la notion de « possession d’état ») commepar les anthropologues eux-mêmes. Ainsi, Bérénice, dontl’histoire est détaillée dans le premier chapitre, possède-t-elle trois pères : le premier, Simon, époux de sa mèreau moment de sa naissance qui a intenté un procès encontestation de paternité au début des années 2000, le

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Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairages contem-porains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

PAR FLORIAN GULLIET AURÉLIEN ARAMINI

que siGNiFie Le « droit des NAtioNs à disposer d’eLLes-mÊmes » ?Le droit à l’autodétermination desnations consiste dans la possibilitépour les nations de pouvoir librementse séparer de la nation qui les opprimepour former un État indépendant. Cedroit à l’autodétermination est unerevendication démocratique élémen-taire : l’accès à la souveraineté. Loind’être une revendication réactionnaire,le droit à l’autodétermination est doncune revendication démocratiquecontre l’oppression nationale. Le« nationalisme » des opprimés n’estdonc pas celui des oppresseurs.

Entendu dans ce sens précis, le droitdes nations à l’autodétermination neconduit pas à défendre le morcelle-ment d’un État en une infinité de petitsÉtats dont la faiblesse militaire et éco-nomique en fait des proies faciles pourles politiques impérialistes. Léninene considère pas non plus le fédéra-lisme comme l’aboutissement d’unepolitique internationale. L’éventuelledivision en nations particulières nesaurait en aucun cas être un état finalet définitif, bien au contraire. Le droità la sécession défendu par Lénines’inscrit dans une vision dynamiquedes rapports de force internationauxafin de garantir la possibilité pourles nations de s’unir ensuite, une foisleur liberté reconnue, au sein degrands États démocratiques centra-lisés : ce n’est qu’en reconnaissant

Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes signifie exclusivement leurdroit à l’indépendance politique, à la libre séparation politique d’avec lanation qui les opprime. Concrètement, cette revendication de la démocra-tie politique signifie l’entière liberté de propagande en faveur de la sépara-tion et la solution de ce problème par la voie d’un référendum au sein de lanation qui se sépare. Ainsi, cette revendication n’a pas du tout le mêmesens que celle de la séparation, du morcellement, de la formation de petitsÉtats. Elle n’est que l’expression conséquente de la lutte contre toute oppres-sion nationale. Plus le régime démocratique d’un État est proche de l’en-tière liberté de séparation, plus seront rares et faibles, en pratique, les ten-dances à la séparation, car les avantages des grands États, au point de vueaussi bien du progrès économique que des intérêts de la masse, sont indu-bitables, et ils augmentent sans cesse avec le développement du capita-lisme. Reconnaître le droit d’autodétermination n’équivaut pas à reconnaî-tre le principe de la fédération. On peut être un adversaire résolu de ceprincipe et être partisan du centralisme démocratique, mais préférer la fédé-ration à l’inégalité nationale, comme la seule voie menant au centralismedémocratique intégral. C’est précisément de ce point de vue que Marx, touten étant centraliste, préférait même la fédération de l’Irlande avec l’Angle-terre à l’assujettissement forcé de l’Irlande par les Anglais.Le socialisme a pour but, non seulement de mettre fin au morcellement del’humanité en petits États et à tout particularisme des nations, non seule-ment de rapprocher les nations, mais aussi de réaliser leur fusion. Et, pré-cisément pour atteindre ce but, nous devons, d’une part, expliquer aux massesle caractère réactionnaire de l’idée de Renner et de O. Bauer

1 sur ce qu’ilsappellent « l’autonomie nationale culturelle » et, d’autre part, revendiquerla libération des nations opprimées, non pas en alignant des phrases vagueset générales, des déclamations vides de sens, non pas en « ajournant » laquestion jusqu’à l’avènement du socialisme, mais en proposant un programmepolitique clairement et exactement formulé, qui tienne tout particulièrementcompte de l’hypocrisie et de la lâcheté des socialistes des nations oppressives.De même que l’humanité ne peut aboutir à l’abolition des classes qu’enpassant par la période de transition de la dictature de la classe opprimée,de même elle ne peut aboutir à la fusion inévitable des nations qu’en pas-sant par la période de transition de la libération complète de toutes les nationsopprimées, c’est-à-dire de la liberté pour elles de se séparer.

Lénine, « La révolution socialiste et le droit des nations

à disposer d’elles-mêmes », avril 1916, Œuvres complètes, tome 22,

Éditions sociales, Paris, Éditions du Progrès, Moscou, 1960, p. 158-159.

Le droit des nations àdisposer d’elles-mêmesLa question des revendications nationales est délicate dans le cadre d’une stratégie socia-liste visant l’union des prolétaires au-delà de leur appartenance nationale. La perspectiveinternationaliste semble en effet conduire à condamner les mots d’ordre « nationalistes »qui sont utilisés par la bourgeoisie pour diviser le prolétariat en nationaux et étrangers. maisdans l’État tsariste d’alors, qualifié de « prison des peuples », les revendications des nationsopprimées sont-elles nécessairement réactionnaires ou doivent-elles être soutenues parles révolutionnaires ? Lénine défend le « droit des nations à disposer d’elles-mêmes » enl’inscrivant cependant dans un horizon internationaliste.

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Lénine, quant à lui, reconnaît la légiti-mité des luttes nationales lors qu’ellesconcernent les nations opprimées. Detelles luttes ne sont pas socialistes, ilest vrai, mais elles ne détournent pasdu socialisme. Il s’agit de luttes pour ladémocratie, pour la souveraineté popu-laire et l’égalité entre les nations. Ellessont des étapes sur le chemin de la révo-lution socialiste, et non des obstacles.Un parti socialiste n’aurait de socialisteque le nom s’il refusait d’entendre lesaspirations d’une nation opprimée ausein d’un État multinational et s’il reje-tait, au nom de l’internationalisme,les mots d’ordre nationaux dans lescolonies. L’internationalisme n’estdonc pas nécessairement hostile auxrevendications nationales. Il estimeleur légitimité selon qu’elles contri-buent ou non à l’horizon d’une fusiondes nations. n

1. Hommes politiques autrichiens, KarlRenner (1870-1950) et Otto Bauer(1881-1938), sont des théoriciens de« l’austro-marxisme ».

2. Mesure de longueur utilisée en Rus-sie autrefois. Une verste correspondà un peu plus d’un kilomètre.

3. « De l’autonomie nationale cultu-relle », Œuvres complètes, tome 19,p. 542.

4. « La composition nationale des élèvesdans les écoles russes », Œuvres com-plètes, tome 19, p. 570.

5. Josef Strasser, Anton Pannekoek,Nation et lutte de classe, 10/18, 1977,p. 177.

Notes de La Revue du projet

des nations n’est cependant pas unobjectif politique immédiat. Il est l’ho-rizon lointain, mais « inévitable », dudéveloppement historique.Lénine inscrit donc la revendicationnationale dans un horizon interna-tionaliste. Une revendication natio-nale n’est donc pas toujours légitime.Elle ne l’est qu’à la condition de pré-parer d’une manière ou d’une autrela fusion des nations. Le prolétariat« soutient tout ce qui aide à effacerles distinctions nationales et à fairetomber les barrières nationales, toutce qui rend la liaison entre nationa-lités de plus en plus étroite, tout cequi mène à la fusion des nations ».Raison pour laquelle Lénine critiquel’idée d’« autonomie nationale cul-turelle » formulée dans le cadre de lasocial-démocratie autrichienne. Loinde contribuer à l’effacement des dif-férences nationales, cette revendica-tion les renforce considérablement.Dans un État multinational, commel’Autriche-Hongrie, il s’agit d’accor-der à chaque nationalité la possibi-lité de s’administrer elle-même, maissans aller jusqu’à reconnaître un droitde séparation. Il s’agit en particulierde laisser à chaque nationalité laliberté d’organiser ses institutionsscolaires. Ainsi, dans l’Empire aus-tro-hongrois, on trouverait danschaque localité, en fonction des natio-nalités présentes, des écoles alle-mandes, des écoles tchèques, desécoles ruthènes, etc.Pour Lénine, « l’autonomie nationaleculturelle » est inadmissible. Cette doc-trine est un « nationalisme raffiné3 »puisqu’elle renforce les différencesentre nationalités, affaiblissant parlà même la conscience de classe desouvriers. Tout à l’opposé, Lénine pré-conise de « rechercher la fusion desenfants de toutes les nationalités ausein d’écoles uniques dans une loca-lité donnée4 ». Fusion des élèves quianticipe la fusion des nations.Lénine s’oppose à un autre courantà l’intérieur de la social-démocratie,diamétralement opposé au précé-dent : l’internationalisme intransi-geant. Ce dernier préfère ajourner laquestion nationale qui ferait toujoursobstacle à la lutte des classes. AntonPannekoek, l’un de ses chefs de file,écrit : « Si l’on commence à en par-ler [de la nation], l’esprit de l’auditeurest immédiatement orienté vers ledomaine national et ne pense qu’entermes de nationalisme. Par consé-quent, il vaut mieux ne pas en parlerdu tout, ne pas s’en mêler. À tous lesslogans comme à tous les argumentsnationalistes, on répondra : exploi-tation, plus-value, bourgeoisie, domi-nation de classe, lutte des classes5. »

la liberté des nations que la formationde grands États se produira nécessai-rement et volontairement, et non vio-lemment comme dans le cadre de l’Em-pire tsariste. Tel sera le cas pour Lénineparce que la formation de grands Étatsdémocratiques correspond autant auxintérêts économiques qu’à ceux desmasses populaires. Reconnaître le droitde se séparer est donc indissociable dela perspective de constituer librementde grands États ; la sécession, si séces-sion il y a, n’est donc qu’une étape tran-sitoire mais parfois nécessaire de lalutte contre l’oppression.Concernant la relation entre les nations,Lénine s’inscrit dans la perspective dela constitution de grands États uni-taires organisés selon le principe du« centralisme démocratique » : contrele principe fédératif où chaque nationconserve une autonomie d’action plusou moins forte, le centralisme démo-cratique – d’abord envisagé par Lénineau sein du parti – doit garantir à cha-cun une totale liberté de discussiontout en exigeant de chacun l’unité d’ac-tion lorsque celle-ci a été déterminéedémocratiquement. Cette position deLénine rejoint celle de Marx vis-à-visde la revendication séparatiste de l’Ir-lande. Dans une lettre datée du29 novembre 1869, il écrit à Kugelmanque la classe ouvrière anglaise doitrompre avec « la politique des classesdominantes », non seulement en fai-sant « cause commune avec les Irlan-dais » - c’est-à-dire en soutenant leurrevendication nationale – mais aussien prenant « l’initiative de dissoudrel’Union décidée en 1801 pour la rem-placer par des liens fédéraux librementconsentis ». Une fois le peuple irlan-dais devenu maître de son destin, salutte contre l’aristocratie foncière irlan-daise sera bien plus aisée et la classeouvrière anglaise sera, quant à elle,d’autant plus en mesure de renverserle pouvoir capitaliste britannique. Libreensuite aux Irlandais et aux Anglais,lorsque la révolution socialiste auratriomphé, de s’unir dans un grand Étatdémocratique centralisé.

LA FusioN des NAtioNsToute la réflexion de Lénine sur le droitdes nations à disposer d’elles-mêmess’inscrit dans un cadre internationa-liste. La revendication nationale estbien prise en compte, mais elle estsubordonnée au but du socialisme : lafusion des nations. « Fusion de toutesles nations dans une unité suprêmequi se développe sous nos yeux avecchaque nouvelle verste2 de chemin defer, chaque nouveau trust internatio-nal, chaque association ouvrière », pré-cise Lénine dans ses Notes critiques surla question nationale (1913). La fusion

Lors de la première Guerre mondiale,l’affrontement des grands empiresd’europe centrale ravive de nom-breuses aspirations à l’indépendancenationale. Notamment en pologne,dont la partie russe est occupée parl’armée allemande dès 1915. des socia-listes russes développent le mot d’or-dre de « paix sans annexion », sloganpacifiste qui refuse que la pologne soitannexée par l’Allemagne. mais ce slo-gan signifie concrètement : retour dela pologne russe sous domination tsa-riste et refus de reconnaître la reven-dication nationale polonaise. Léninepublie « La révolution socialiste et ledroit des nations à disposer d’elles-mêmes », en avril 1916 dans Le Social-démocrate, pour substituer à ce slo-gan conforme aux intérêts de l’empirecelui du « droit des nations à disposerd’elles-mêmes » qui donne leur placeaux luttes nationales.

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Hélène Bidard

Guillaume Roubaud-Quashie

Directeur

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de secteurs

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Stéphanie Loncle

Mickaël BoualiHistoire

Florian GulliDans le texte

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Pierre CrépelSciences

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