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Réalités et perspectives des allotransplantations laryngées Past and future of human laryngeal allotransplantation C. Guédon Service de chirurgie cervicofaciale, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France Service de chirurgie vasculaire et thoracique, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France MOTS CLÉS Allotransplantation ; Larynx ; Sténose laryngée Résumé L absence de fonction laryngée, secondaire à une sténose ou à une amputation chi- rurgicale du larynx, comporte dénormes conséquences sur la qualité de vie qui ont incité à entreprendre depuis près de 40 ans des transplantations laryngées expérimentales dans lespoir de pouvoir réaliser un jour une allogreffe humaine. La première allogreffe vasculari- sée a été réalisée il y a près de dix ans, chez un homme de 40 ans aux antécédents de sténose laryngée en échec de traitement chirurgical. Celle-ci fut un succès marqué par le retour dune phonation et dune déglutition normales. Bien que toujours porteur dune canule de trachéo- tomie et dépendant dun traitement immunosuppresseur, ce patient a incontestablement bénéficié dune réelle amélioration de sa qualité de vie. La somme des connaissances acquises sur le sujet au cours de toutes ces années indique que lallotransplantation laryngée est non seulement réalisable, mais quelle représente vraisemblablement lunique espoir de réhabili- tation pour bon nombre de patients privés de leurs fonctions laryngées. L induction dune tolérance fonctionnelle facilitera lévaluation tant attendue des allogreffes laryngées en cli- nique humaine. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Allotranplantation; Larynx; Laryngeal stenosis Abstract Laryngeal stenosis or amputation for tumor definitely impairs laryngeal functions with negative impact on quality of life. Experimental laryngeal transplantation has been car- ried out for nearly 40 years hoping that human transplantation would become feasible in the near future. Nearly 10 years ago, a 40 years old man with a long-standing history of recalci- trant laryngeal stenosis, benefited from a vascularized laryngeal allotransplantation. Speech and deglutition resumed quickly making of this first attempt a success. Although a tracheost- omy canula and immunosuppressive regimen are still necessary, this man enjoyed a tremen- dous improvement in this quality of life. Cumulated experiences tend to demonstrate that lar- yngeal transplantation in human is not only feasible, but may represents the only chance for Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 494497 Adresse e-mail : [email protected] (C. Guédon). 0294-1260/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2007.07.011 available at www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/annpla

Réalités et perspectives des allotransplantations laryngées

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Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 494–497

ava i lab le at www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.e l sev ier.com/locate/annp la

Réalités et perspectives des allotransplantationslaryngées

Past and future of human laryngealallotransplantation

C. Guédon

Service de chirurgie cervicofaciale, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France

Service de chirurgie vasculaire et thoracique, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France

MOTS CLÉSAllotransplantation ;Larynx ;Sténose laryngée

Adresse e-mail : orl.sec@b

0294-1260/$ - see front mattedoi:10.1016/j.anplas.2007.07.

ch.ap-h

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Résumé L’absence de fonction laryngée, secondaire à une sténose ou à une amputation chi-rurgicale du larynx, comporte d’énormes conséquences sur la qualité de vie qui ont incité àentreprendre depuis près de 40 ans des transplantations laryngées expérimentales dansl’espoir de pouvoir réaliser un jour une allogreffe humaine. La première allogreffe vasculari-sée a été réalisée il y a près de dix ans, chez un homme de 40 ans aux antécédents de sténoselaryngée en échec de traitement chirurgical. Celle-ci fut un succès marqué par le retour d’unephonation et d’une déglutition normales. Bien que toujours porteur d’une canule de trachéo-tomie et dépendant d’un traitement immunosuppresseur, ce patient a incontestablementbénéficié d’une réelle amélioration de sa qualité de vie. La somme des connaissances acquisessur le sujet au cours de toutes ces années indique que l’allotransplantation laryngée est nonseulement réalisable, mais qu’elle représente vraisemblablement l’unique espoir de réhabili-tation pour bon nombre de patients privés de leurs fonctions laryngées. L’induction d’unetolérance fonctionnelle facilitera l’évaluation tant attendue des allogreffes laryngées en cli-nique humaine.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAllotranplantation;Larynx;Laryngeal stenosis

Abstract Laryngeal stenosis or amputation for tumor definitely impairs laryngeal functionswith negative impact on quality of life. Experimental laryngeal transplantation has been car-ried out for nearly 40 years hoping that human transplantation would become feasible in thenear future. Nearly 10 years ago, a 40 years old man with a long-standing history of recalci-trant laryngeal stenosis, benefited from a vascularized laryngeal allotransplantation. Speechand deglutition resumed quickly making of this first attempt a success. Although a tracheost-omy canula and immunosuppressive regimen are still necessary, this man enjoyed a tremen-dous improvement in this quality of life. Cumulated experiences tend to demonstrate that lar-yngeal transplantation in human is not only feasible, but may represents the only chance for

op-paris.fr (C. Guédon).

7 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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rehabilitation of number of laryngeal cripple. Induction of a functional tolerance may allowthe necessary evaluation of laryngeal allotransplantation in humans.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Introduction

L’ablation totale du larynx avec trachéostomie terminale apour conséquence l’absence de toute respiration nasaleavec une diminution de l’odorat et du goût, l’augmentationde l’incidence des infections respiratoires et la survenue detrachéite croûteuse, l’impossibilité de bloquer la respira-tion lors des efforts et surtout la perte de la phonation,essentielle à toute vie de relation. L’impact de ces modifi-cations irrémédiables sur la qualité de vie a fait envisager,dès les années 1960, le problème du remplacement laryngé,date des premières transplantations canines expérimenta-les [1–3].

Réalités des allogreffes de larynx en cliniquehumaine

En février 1969, Kluyskens et Ringoir [4] réalisèrent uneallogreffe humaine de larynx après laryngectomie sous-périchondrale pour cancer glottique. Il s’agissait d’unegreffe laryngée néovascularisée par l’enveloppe musculo-périostée du receveur gardée intacte, sans anastomose vas-culaire ni réinnervation. La perméabilité du greffon laryngéétait maintenue par une simple aryténoïdopexie. Le traite-ment immunosuppresseur associait prednisolone, azatio-prime et actinomycine dont l’arrêt au deuxième mois,devant un aspect normal de la muqueuse, avait été marquépar un épisode de rejet régressif à la reprise du traitement.La voix du patient était devenue rapidement acceptable etla déglutition jugée subnormale au 70e jour. Une récidivetumorale emporta le malade huit mois plus tard.

Après une pause d’une vingtaine d’années dans les pro-grammes de transplantations laryngées expérimentales, unrenouveau d’intérêt pour la transplantation laryngée amè-nera l’équipe de Cleveland [5] à mettre sur pied, à partir de1987, un programme de recherche sur le rat, étudiant tousles aspects de la transplantation laryngée qui conduiraStrome et al. [6] à réaliser en 1998 la première allotrans-plantation laryngée revascularisée en clinique humaine.

Le receveur était un homme de 40 ans, ayant développéune sténose totale du larynx avec sténose pharyngée par-tielle dans les suites d’un accident de moto survenu 20 ansauparavant. Le donneur était un homme de 40 ans, mortd’une rupture d’anévrisme cérébral et resté intubé moinsde 48 heures, dont la compatibilité HLA était totale. Untraitement préalable associant cyclosporine, azathioprineet méthylprednisolone avait été préalablement instituéchez le receveur. Le transplant, conservé dans de la solu-tion de Wisconsin, comportait la totalité du larynx, 70 %du pharynx et cinq anneaux trachéaux ainsi que la thyroïdeet les parathyroïdes.

Au terme d’une dizaine d’heures d’ischémie, la revascu-larisation du greffon laryngé du donneur avait précédé lalaryngectomie totale du receveur. C’est ainsi que l’artère

thyroïdienne supérieure droite, prélevée en amont del’origine de l’artère laryngée supérieure, ainsi qu’un seg-ment de veine jugulaire interne comportant les veines thy-roïdiennes supérieures et moyennes droites du donneuravaient été réciproquement anastomosés à l’artère thyroï-dienne supérieure droite et à l’origine du tronc veineux thy-rolinguofacial droit du receveur avec fermeture du moignondistal du greffon jugulaire interne.

Une laryngectomie totale en champ étroit, préservantthyroïde et parathyroïdes, avait alors été réalisée, suiviede la suture pharyngée et de la suspension du larynx trans-planté à l’os hyoïde du receveur resté en place.

La deuxième étape de la revascularisation comportaitl’anastomose terminoterminale de l’artère thyroïdiennesupérieure gauche du donneur à l’artère homologue dureceveur et l’anastomose terminoterminale de la seuleveine thyroïdienne moyenne gauche à la veine jugulaireinterne gauche du receveur, la veine thyroïdienne supé-rieure gauche n’ayant pu être identifiée chez le receveur.La revascularisation du larynx transplanté était complètedans les 30 minutes suivant le déclampage. Enfin, étaientréalisées les anastomoses des nerfs laryngés supérieursdroit et gauche ainsi que du seul nerf récurrent droit, lenerf récurrent gauche n’ayant pu être identifié chez lereceveur. L’alimentation liquide aussi bien que solide avaitété reprise au troisième mois sans fausse route alors qu’unevoix proche de la normale était acquise au 16e mois. Letraitement immunosuppresseur fut progressivement dimi-nué sans signe histologique de rejet, la cyclosporine étantmaintenue à la concentration de 400 ng/ml. Six mois aprèsl’allogreffe, la tension artérielle et la créatininémies’étaient élevées, nécessitant une diminution de la dosede cyclosporine qui fut suivie d’une normalisation dans lessix mois. Un épisode de rejet, marqué par une aphoniesecondaire à un œdème laryngé apparu au 15e mois aprèsl’allogreffe, nécessita l’administration de doses élevées deprednisolone. Finalement, le tacrolimus remplaça la cyclos-porine et plus aucun épisode de rejet ne fut observé.

Actuellement, ce patient sous tacrolimus est toujourstrachéotomisé, mais parle normalement [7] sans toutefoispouvoir bénéficier d’une canule « mains libres ». Sansemploi avant l’intervention, il travaille depuis comme ani-mateur commercial.

Quel enseignement tirer de cette premièreallotransplantation laryngée ?

La faisabilité d’allotransplantation orthotopique de larynxlargement démontrée expérimentalement a donc étéconfirmée dans un cas humain, permettant de tirer certainsenseignements essentiels de ces travaux.

● La vascularisation de la totalité du larynx et de la partieproximale de la trachée peut être prise en charge par les

Figure 1 Allotransplant de larynx.

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seules artères thyroïdiennes supérieures droites et gau-ches alors que le drainage nécessite un double retour parl’intermédiaire des veines thyroïdiennes supérieures etthyroïdiennes moyennes droites et gauches qui peuventêtre transférées séparément ou par l’intermédiaire d’unsegment de veine jugulaire interne (Figs. 1,2).

Figure 2 Revascularisation de l’allotranspla

● Il semble nécessaire de préserver les lobes thyroïdienset les glandes parathyroïdes du receveur in situ, en res-pectant les artères thyroïdiennes inférieures comptetenu des risques majeurs d’hyposécrétion hormonalesecondaire à l’ischémie du greffon.

● L’élévation du larynx jouant un rôle essentiel lors de ladéglutition, il s’avère indispensable de réaliser unesuspension de l’allogreffe laryngée interposée sur l’axeviscéral du receveur en suturant le cartilage thyroïde dutransplant à l’os hyoïde du receveur qu’il faut doncpréserver (Fig. 3).

● La réinnervation sensitive du greffon par les deux nerfslaryngés supérieurs du receveur est indispensable à uneresensibilisation du larynx sans laquelle, il ne peut yavoir de reprise d’une déglutition normale.

● La réinnervation des muscles intrinsèques du larynxquant à elle reste un des écueils principaux des allo-transplantations laryngées et fait toujours débat. Sché-matiquement, la suture des troncs des nerfs récurrentspermet de restituer un tonus laryngé utile, mais sanscommande élective, alors que seule la suture nerveusesélective des deux branches de division du nerf récurrent[8] peut permettre de restituer les mouvements d’ouver-ture et de fermeture glottique physiologiques, ce quinécessite une dissection délicate qui peut s’avérerimpossible en cas de fracas laryngé, de chirurgie préa-lable ou d’envahissement de la partie postérieure dularynx.

● Une tolérance dite fonctionnelle, c’est-à-dire non spéci-fique du donneur et non liée à un compromis immunolo-gique, pourrait être induite grâce au protocole de Cleve-land associant sur une courte période le tacrolimus et un

nt sur le site receveur (premier temps).

Figure 3 Aspect final de l’allotransplantation laryngée.

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anticorps monoclonal simulant l’alpha bêta T-cell-recep-tor du receveur [9].

Indications potentielles

On pense avant tout aux sténoses laryngotrachéalesd’origine post-traumatique ou iatrogène, d’évolution leplus souvent désespérante malgré les nombreuses tentati-ves de reconstruction chirurgicales, ainsi qu’à certainschondromes laryngés.

Les bénéficiaires potentiels les plus nombreux seraientbien sûr certains laryngectomisés totaux [10], au-delà decinq ans de survie sans récidive, ainsi que certains échecsde laryngectomie partielle.

L’indication pourrait être étendue aux larynx non fonc-tionnels après stérilisation tumorale par chimioradiothéra-pie exclusive. Soulignons néanmoins les difficultés prévisi-bles d’une telle intervention après chirurgie et/ouchimioradiothérapie.

Acceptabilité des allogreffes laryngées

La restauration d’une phonation proche de la normale parsa fluidité, sa tonalité et son intensité est possible chez lelaryngectomisé total, grâce à la création d’une fistuletrachéo-œsophagienne équipée d’un implant phonatoire,ce qui, dans cette population, diminue l’acceptation durisque lié au traitement immunosuppresseur nécessaire-ment associé à une éventuelle allogreffe laryngée. Diversesenquêtes menées dans cette population placent d’ailleurs

le niveau d’acceptation d’une telle allogreffe après cellede la greffe de rein, de la double transplantation de mainet de la transplantation partielle ou totale de la face [11].

Perspectives actuelles

out semble indiquer que les allogreffes laryngées sont pos-sibles en clinique humaine malgré les incertitudes concer-nant les possibilités de réinnervation sélective des musclesintrinsèques du larynx.

Dans l’état actuel des connaissances, ce sont les sténo-ses laryngotrachéales en impasse thérapeutique, sansaucun espoir de réhabilitation fonctionnelle, qui présententle meilleur indice bénéfice/risque pour une allotransplanta-tion laryngée qu’il pourrait bien devenir licite de leur pro-poser dans un proche avenir.

L’allotransplantation laryngée, jusqu’alors dans ses pré-mices, va connaître prochainement une nouvelle actualitépuisque 17 allotransplantations de larynx ont été récem-ment réalisées en Colombie. L’analyse de cette série serad’une importance cruciale pour le développement futur decette allotransplantation [12].

Remerciements

À Jean-Luc Cariou qui a colorisé les figures.

Références

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[3] Mounier-Kuhn P, Haguenauer JP, Inuyama Y, Descottes J. Lapossibilité de greffe autologue du larynx chez le chien. AnnOto-laryngol (Paris) 1968;85:637–54.

[4] Kluysken SP, Ringoir S. Follows-up of human larynx transplan-tation. Laryngoscope 1970;80:1244–50.

[5] Strome S, Sloman-Moll E, Samonte BR, Wu J, Strome M. Ratmodel for a vasularized laryngeal allograft. Ann Oto-Rhinol1992;101:950–3.

[6] Strome M, Stein J, Esclamato R, Hicks D, Lorenz RR, Braun W,et al. Laryngeal transplantation and 40-month follow-up. NEngl J Med 2001;351:539–40.

[7] Monaco AP. Transplantation of the larynx. A case report thatspeaks for itself. N Engl J Med 2001;344:1712–4.

[8] Andrew RJ, Berke GS, Blackwell KE, Jacobsen M, Wang MB,Sercarz JA. Hemilaryngeal transplantation in the caninemodel: technique and implication. Am J Otol 2000;21:85–91.

[9] Akst LM, Seimonow M, Dan O, Izycki D, Strome M. Induction oftolerance in a rat model of laryngeal transplantation. Trans-plantation 2003;76:1763–70.

[10] Strome M. Human laryngeal transplantation: considerationand implication. Microsurgery 2000;20:372–4.

[11] Reynolds CC, Martinez SA, Furr A, Cunningham M, Bumpous M,Lentsch EJ, et al. Risk acceptance in laryngeal transplanta-tion. Laryngoscope 2006;116:1770–5.

[12] Tintinago LF. Communication personnelle.