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RECHERCHE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE CAHIER THÉMATIQUE I LE DEVOIR, LES SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 NOVEMBRE 2015 Fonte des glaces en Arctique: tous les milieux doivent collaborer Page I 5 Entre gestion de l’urgence et planification des risques Page I 3 HAIDAR MOHAMMED ALI AGENCE FRANCE-PRESSE L’anthropocène, la période où ce sont les actions de l’homme qui déterminent l’évolution de la planète, aurait commencé à la révolution industrielle. En effet, l’augmentation de CO 2 dans l’atmosphère a débuté au moment où on s’est mis à exploiter le charbon. La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21), à Paris, tentera justement de limiter les rejets de ces gaz à effet de serre. L’énergie occupe une place prépondérante dans la vie des êtres humains depuis l’avènement de l’ère industrielle au XIX e siècle. À un point tel que, depuis ce temps, la mise en valeur ef- frénée des énergies fossiles, qui contribuent largement à une augmentation des émissions de GES et au réchauffement climatique, a considérablement modifié l’existence de milliards de personnes tout en mettant à mal l’existence de leur planète et de ses espèces. Réflexions de Daniel Rousse, professeur au département de génie mécanique de l’ETS, à ce sujet. Les humains sont devenus largement tributaires de l’énergie RÉGINALD HARVEY I l remonte en des temps lointains pour mieux illustrer sa pensée : « Malgré les Romains, les Grecs et les remous qui se sont produits au Moyen Âge, le mode de vie de l’être humain ne pouvait pas chan- ger beaucoup parce qu’on avait toujours comme puissance maximale à notre disposition, ou comme énergie, selon le mot qui viendra plus tard, celle de l’homme ou des animaux qu’on était capables de domestiquer.» La révolution industrielle apporte un profond chambardement : « C’est l’époque de la machine à vapeur de James Watt. À partir de là, très cu- rieusement, a commencé, selon plusieurs per- sonnes, l’anthropocène, c’est-à-dire cette période du monde où ce sont les actions de l’homme qui déterminent l’évolution de la planète ; et voilà qu’effectivement commence l’augmentation des émissions de CO 2 dans l’atmosphère au moment où on s’est mis à trouver du charbon. » Selon une expression qui lui est chère, « l’énergie prend alors place au cœur de nos vies » . Il y va de cette démonstration percu- tante pour le prouver : « Louis XIV avait 14 chevaux à son carrosse et il était l’homme le plus puissant de la terre à son époque. Au- jourd’hui, dans une Yaris, on a plus que 14 che- vaux et n’importe quel quidam est en mesure d’en posséder une. Depuis un bouton qu’on tourne chez soi, on peut activer 20 kilowatts de chauffage. Et l’énergie, ce n’est plus juste une question de confort : elle nous a donné les moyens de faire des bâtiments différents, de do- mestiquer la nature, d’extraire du sol des res- sources naturelles et de créer toute la panoplie d’objets qu’on retrouve aujourd’hui autour de nous à profusion. » Consommation à outrance Le professeur analyse la situation sous cet angle : « La façon dont les gens issus des pays de l’Organisation de coopération et de développe- ment économiques [OCDE] vivent aujourd’hui dépend de l’énergie. » Et si on aborde cette réa- lité en termes de besoins variables de base à combler pour eux, il considère qu’il « est intéres- sant d’en parler en fonction de ce que la Terre est en mesure de leur fournir. Outre le fait qu’on pleure l’absence dans le prochain siècle du trio fossile [pétrole, gaz et char- bon] , on va manquer de bien d’autres substances absolument extraordinaires, comme le phosphore ou le cuivre ; on les utilise toujours et celles-ci vont finir par manquer, parce que les minerais dans lesquels on les cherche sont de moins en moins riches ». Dans ce sens, il assure qu’il «est clair qu’on surconsomme et qu’on est sur une planète à dimension finie ; on va man- quer de matériaux et il sera compliqué d’aller les chercher dans les dépotoirs où les concen- trations seront tellement faibles que des res- sources importantes devront être consacrées pour aller les récupérer ». Au moment où il était titulaire de la Chaire de recherche industrielle en technologies de l’énergie et en efficacité énergétique, actuelle- ment en mutation et dont il est maintenant de- venu directeur, Daniel Rousse s’exprimait ainsi : « Comme on augmente sans cesse notre consommation, on atteindra inévitablement le fond du baril plus rapidement qu’on ne mettra en service les énergies renouvelables ou des mesures d’efficacité conséquentes. On en est là. Et ça va faire mal. » Dans la foulée de ces propos, quelle solution envisage-t-il ? « Je connais une seule façon de ré- guler le comportement des êtres humains et c’est justement de les prendre par où ça fait mal : c’est du côté de l’argent, des coûts. On habite dans un monde où existe un système de gestion de l’offre et de la demande, pour le meilleur ou pour le pire ; ça fonctionne de cette façon et c’est le libre mar- ché. » Il veut s’en tenir à une histoire simple dans ce contexte : « Je pense qu’il faudrait pro- gressivement augmenter le coût des hydrocar- bures et utiliser les taxes qu’on percevrait de cette manière afin de développer le plus rapidement possible les énergies renouvelables qui vont rem- placer ce qu’on utilise maintenant à 85 % ou à 75 %, dépendamment de l’endroit où on se place dans les pays développés. » Et plus le temps passe, plus le pétrole s’en- vole et risque de devenir rare : « C’est une évi- dence que plus on en consomme, moins il en reste. Ce qui se produit, c’est que collectivement, chaque année, on pompe plus de pétrole et de gaz, et on exploite plus de charbon, ce qui va rendre la chute encore plus difficile quand on va arriver au moment où on devra se serrer la ceinture. » En route vers Paris 2015 À la fin de novembre et durant les premiers jours de décembre se tiendra dans la capitale française la 21 e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21). Daniel Rousse assure une fois de plus que l’effet de serre est un phéno- mène naturel connu depuis très long- temps : « Paradoxalement, cet effet-là a commencé à prendre une place prépondé- rante dans l’esprit des gens surtout autour des années 2000. » Les phénomènes na- turels, qui se produisent avec davantage de violence et qui causent des dégâts ac- crus dans divers endroits du monde, ont sonné l’alarme. De telle sorte «qu’on s’est rendu compte qu’il faut mettre la pédale douce et qu’il faut limiter la croissance de la tem- pérature sur la Terre à 2 degrés Celsius ». La COP21 inspire cette réflexion qui va plus loin à Daniel Rousse : « Il y a plus important que cela si on creuse un peu plus : c’est qu’il faut as- surer une transition énergétique de la manière dont on vit aujourd’hui vers une autre façon de faire, soit en produisant différemment. » Sur un autre plan, « il faut aussi s’interroger au sujet de la surconsommation. Est-ce qu’il n’y aurait pas dans notre mode de vie quelque chose de pernicieux, indépendamment du fait qu’on va manquer d’énergie ou non ? En admettant que l’énergie ne modifie pas le climat, n’est-il pas tout de même bizarre de réduire la vie à une somme d’achats, à un volume de chèques, de factures et de cartes de crédit ? Est-ce là le sens réel de la vie de toujours acheter des objets ? Mais il n’en est pas moins vrai pour autant que les changements climatiques nous menacent eux aussi ». Collaborateur Le Devoir Comme on augmente sans cesse notre consommation, on atteindra inévitablement le fond du baril plus rapidement qu’on nous ne mettra en service les énergies renouvelables ou des mesures d’efficacité conséquentes. On en est là. Et ça va faire mal. Daniel Rousse, professeur au département de génie mécanique de l’ETS « » Daniel Rousse

RECHERCHE - Le Devoir€¦ · RECHERCHE I 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 NOVEMBRE 2015 Pour Catherine Potvin, la Conférence de Paris sur le climat commence dans la jungle

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RECHERCHERÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

C A H I E R T H É M A T I Q U E I › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5

Fonte des glaces en Arctique:tous les milieuxdoivent collaborerPage I 5

Entre gestionde l’urgence et planification des risquesPage I 3

HAIDAR MOHAMMED ALI AGENCE FRANCE-PRESSE

L’anthropocène, la période où ce sont les actions de l’homme qui déterminent l’évolution de laplanète, aurait commencé à la révolution industrielle. En ef fet, l’augmentation de CO2 dansl’atmosphère a débuté au moment où on s’est mis à exploiter le charbon. La Conférence des Nationsunies sur les changements climatiques (COP21), à Paris, tentera justement de limiter les rejets deces gaz à ef fet de serre.

L’énergie occupe une place prépondérante dans la vie des êtres humains depuis l’avènementde l’ère industrielle au XIXe siècle. À un point tel que, depuis ce temps, la mise en valeur ef-frénée des énergies fossiles, qui contribuent largement à une augmentation des émissions deGES et au réchauf fement climatique, a considérablement modifié l’existence de milliards depersonnes tout en mettant à mal l’existence de leur planète et de ses espèces. Réflexions deDaniel Rousse, professeur au département de génie mécanique de l’ETS, à ce sujet.

Les humains sontdevenus largementtributaires de l’énergie

R É G I N A L D H A R V E Y

I l remonte en des temps lointains pourmieux illustrer sa pensée : « Malgré lesRomains, les Grecs et les remous qui sesont produits au Moyen Âge, le mode devie de l’être humain ne pouvait pas chan-

ger beaucoup parce qu’on avait toujours commepuissance maximale à notre disposition, oucomme énergie, selon le mot qui viendra plustard, celle de l’homme ou des animaux qu’onétait capables de domestiquer. »

La révolution industrielle apporte un profondchambardement : «C’est l’époque de la machineà vapeur de James Watt. À partir de là, très cu-rieusement, a commencé, selon plusieurs per-sonnes, l’anthropocène, c’est-à-dire cette périodedu monde où ce sont les actions de l’homme quidéterminent l’évolution de la planète ; et voilàqu’ef fectivement commence l’augmentation desémissions de CO2 dans l’atmosphère au momentoù on s’est mis à trouver du charbon.»

Selon une expression qui lui est chère,« l’énergie prend alors place au cœur de nosvies ». Il y va de cette démonstration percu-tante pour le prouver : « Louis XIV avait 14chevaux à son carrosse et il était l’homme leplus puissant de la terre à son époque. Au-jourd’hui, dans une Yaris, on a plus que 14 che-vaux et n’importe quel quidam est en mesured’en posséder une. Depuis un bouton qu’ontourne chez soi, on peut activer 20 kilowatts dechauf fage. Et l ’énergie, ce n’est plus justeune question de confort : elle nous a donné lesmoyens de faire des bâtiments dif férents, de do-mestiquer la nature, d’extraire du sol des res-sources naturelles et de créer toute la panoplied’objets qu’on retrouve aujourd’hui autour denous à profusion. »

Consommation à outranceLe professeur analyse la situation sous cet

angle : «La façon dont les gens issus des pays del’Organisation de coopération et de développe-ment économiques [OCDE] vivent aujourd’huidépend de l’énergie. » Et si on aborde cette réa-lité en termes de besoins variables de base àcombler pour eux, il considère qu’il «est intéres-sant d’en parler en fonction de ce que la Terre esten mesure de leur fournir. Outre le faitqu’on pleure l’absence dans le prochainsiècle du trio fossile [pétrole, gaz et char-bon], on va manquer de bien d’autressubstances absolument extraordinaires,comme le phosphore ou le cuivre ; on lesutilise toujours et celles-ci vont finir parmanquer, parce que les minerais danslesquels on les cherche sont de moins enmoins riches».

Dans ce sens, il assure qu’il « estclair qu’on surconsomme et qu’on estsur une planète à dimension finie ; on va man-quer de matériaux et il sera compliqué d’allerles chercher dans les dépotoirs où les concen-trations seront tellement faibles que des res-sources impor tantes devront être consacréespour aller les récupérer ».

Au moment où il était titulaire de la Chairede recherche industrielle en technologies del’énergie et en efficacité énergétique, actuelle-ment en mutation et dont il est maintenant de-venu directeur, Daniel Rousse s’exprimaitainsi : « Comme on augmente sans cesse notreconsommation, on atteindra inévitablement lefond du baril plus rapidement qu’on ne mettra enservice les énergies renouvelables ou des mesuresd’ef ficacité conséquentes. On en est là. Et ça vafaire mal. »

Dans la foulée de ces propos, quelle solutionenvisage-t-il ? « Je connais une seule façon de ré-guler le comportement des êtres humains et c’estjustement de les prendre par où ça fait mal : c’estdu côté de l’argent, des coûts. On habite dans unmonde où existe un système de gestion de l’offre etde la demande, pour le meilleur ou pour le pire ;

ça fonctionne de cette façon et c’est le libre mar-ché. » Il veut s’en tenir à une histoire simpledans ce contexte : « Je pense qu’il faudrait pro-gressivement augmenter le coût des hydrocar-bures et utiliser les taxes qu’on percevrait de cettemanière afin de développer le plus rapidementpossible les énergies renouvelables qui vont rem-placer ce qu’on utilise maintenant à 85 % ou à75%, dépendamment de l’endroit où on se placedans les pays développés. »

Et plus le temps passe, plus le pétrole s’en-vole et risque de devenir rare : « C’est une évi-dence que plus on en consomme, moins il enreste. Ce qui se produit, c’est que collectivement,chaque année, on pompe plus de pétrole et de gaz,et on exploite plus de charbon, ce qui va rendre lachute encore plus difficile quand on va arriver aumoment où on devra se serrer la ceinture.»

En route vers Paris 2015À la fin de novembre et durant les premiers

jours de décembre se tiendra dans la capitalefrançaise la 21e Conférence des Nations unies

sur les changements climatiques(COP21). Daniel Rousse assure une foisde plus que l’effet de serre est un phéno-mène naturel connu depuis très long-temps : « Paradoxalement, cet ef fet-là acommencé à prendre une place prépondé-rante dans l’esprit des gens surtout autourdes années 2000.» Les phénomènes na-turels, qui se produisent avec davantagede violence et qui causent des dégâts ac-crus dans divers endroits du monde, ontsonné l’alarme. De telle sorte « qu’on

s’est rendu compte qu’il faut mettre la pédaledouce et qu’il faut limiter la croissance de la tem-pérature sur la Terre à 2 degrés Celsius».

La COP21 inspire cette réflexion qui va plusloin à Daniel Rousse : « Il y a plus important quecela si on creuse un peu plus : c’est qu’il faut as-surer une transition énergétique de la manièredont on vit aujourd’hui vers une autre façon defaire, soit en produisant différemment. »

Sur un autre plan, « il faut aussi s’interrogerau sujet de la surconsommation. Est-ce qu’il n’yaurait pas dans notre mode de vie quelque chosede pernicieux, indépendamment du fait qu’on vamanquer d’énergie ou non ? En admettant quel’énergie ne modifie pas le climat, n’est-il pas toutde même bizarre de réduire la vie à une sommed’achats, à un volume de chèques, de factures etde cartes de crédit ? Est-ce là le sens réel de la viede toujours acheter des objets ? Mais il n’en estpas moins vrai pour autant que les changementsclimatiques nous menacent eux aussi ».

CollaborateurLe Devoir

Comme on augmentesans cesse notreconsommation, on atteindrainévitablement le fond dubaril plus rapidement qu’onnous ne mettra en service lesénergies renouvelables oudes mesures d’efficacitéconséquentes. On en est là.Et ça va faire mal.Daniel Rousse, professeur au département de génie mécanique de l’ETS

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Daniel Rousse

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RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5I 2

Pour Catherine Potvin, la Conférence de Paris sur le climat commence

dans la jungle du Panama. La professeure de McGill dirige « Dialogues

pour un Canada vert », un mouvement qui regroupe une soixantaine

d’universitaires canadiens et propose des solutions pour limiter les

changements climatiques au Canada. Elle utilise les connaissances

acquises dans des écosystèmes fragiles en régions éloignées afin de

construire un avenir plus durable pour le Québec.

SORTIR DES SENTIERS BATTUS POUR AMELIORER LA VIE DES QUEBECOIS

R É G I N A L D H A R V E Y

L e temps est venu de privilé-gier une approche holis-

tique dans les démarches quisont entreprises pour réduirel’impact des émissions de gazà ef fet de serre (GES). Telleest l’information fournie augouvernement du Québec parun groupe de scientifiquesquébécois dont les travaux ontune portée internationale.

Ces chercheurs appartien-nent au CIRAIG, Centre inter-national de référence sur le cy-cle de vie des produits, procé-dés et services ; ils ont produitun mémoire sur cette ques-tion, qui a été présenté récem-ment devant la Commissionparlementaire des transportset de l’environnement, commele rappor te Réjean Samson,professeur au département degénie chimique de Polytech-nique et directeur général ducentre : «Celle-ci faisait appel àdif férents intervenants de lacommunauté scientifique et in-dustrielle, de même qu’à des or-ganismes non gouvernemen-taux (ONG), pour qu’ils don-nent leur avis sur les cibles deréduction des gaz à ef fet deserre du Québec pour 2030.»

Et qu’en est-il au juste de laproposition de vision globalede la problématique que voussoumettez ? « C’est primordialpour nous parce que c’est tropsimple de fixer un objectif sur unprojet et de regarder unique-ment sa per formance, celled’une idée, d’une politique oud’une technologie, parce quecelles-ci et le milieu lui-mêmesont interconnectés.» Il s’ensuitque si «vous posez une action àun endroit vous allez en occa-sionner une autre ailleurs ; d’au-tant plus que dans le domainede l’énergie il y a encore davan-tage d’interconnexions».

Par conséquent, i l a étéconvenu d’éviter la dispersiondans les moyens d’action à re-tenir pour la raison que, « dela sorte, on ne se ramasse pasavec la gaf fe commise ailleursqui cause un ef fet rebond ; ils’ensuit alors qu’au bout ducompte on n’est pas plusavancé ou encore qu’on a crééplus de problèmes qu’on en arésolu ». Il pose ce regard lu-cide : « On ne dispose plus debeaucoup de temps pour pren-dre des mauvaises décisions etil est impor tant d’utiliser lesoutils scientifiques qui sontdisponibles. Dans ce sens, cen’est peut-être pas à moi de ledire, mais il n’en demeure pas

moins que le CIRAIG est undes très grands centres de re-cherche au monde, qui est, deplus, localisé à Montréal ; ilest capable de faire ce genred’analyse-là pour éviter juste-ment les déplacements d’im-pacts, les mauvaises décisionset les ef fets rebonds. »

Tenir compte du cycle de vie

Le mémoire dégage, à partirde l’approche holistique rete-nue, quatre paramètres d’oùdécoulent cinq recommanda-tions formulées à l’intention dugouvernement. La première decelles-ci consiste, en matièrede prise de décision, à « éva-

luer le potentiel de réduction desémissions de GES des projets enutilisant une approche cycle devie afin d’éviter les déplace-ments d’émissions et de détermi-ner les conséquences potentiellessur d’autres types de probléma-tiques environnementales».

En corollaire suit cette au-tre recommandation : « Pro-mouvoir l’utilisation de l’ana-lyse du cycle de vie lors de laconception des projets afin dedéterminer les étapes les pluscontributrices en matièred’émissions de gaz à ef fet deserre et afin de diminuer de lasor te, dès la conception, leurempreinte carbone. »

Affichage de l’empreinte carbone

En troisième lieu, les cher-cheurs prônent l’affichage en-vironnemental, dont parle decette manière le directeur ducentre : « On trouve un peu ré-ducteur de croire qu’on va ré-gler tout le problème avec lesautos électriques… Il y a des élé-ments aussi importants qu’onretrouve dans l’attitude des gensqui consomment toute une va-riété de produits ; s’ils pouvaientconnaître l’empreinte carbonede ceux qu’ils achètent, ils pour-raient se procurer ceux qui ontun impact carbone moindre. Endéfinitive, en tenant compte dehuit ou de six millions deconsommateurs, cet af fichagepourrait contribuer considéra-blement à atteindre les objectifssans trop chambouler l’écono-mie. » En pareil cas, les cyclesde vie servent à produire lesbilans de carbone de toute unegamme de produits.

Système à revoir et conséquences sociales

En vertu des accords inter-nationaux, il existe actuelle-ment une façon de comptabili-ser les effets des GES sur unebase territoriale ; des figuresillustrent les émissions parpays et par personne. Le CI-RAIG se tourne plutôt vers unsystème parallèle, ce qu’ex-plique Réjean Samson : « C’estrelié en quelque sor te à l’em-preinte carbone : on considèrele lieu de production et le car-bone dans le produit lui-mêmequi est acheté ; on s’attribueainsi la pollution liée à laconsommation. Pour compen-ser, on fait l’inverse pour tousles produits que l’on expor te ;dans ce cas, ce sont les gens quiachètent nos produits qui enprennent l’empreinte carbone. »

Le Québec retirerait un

énorme avantage de cette fa-çon de procéder : « On a étéchoyés des dieux, car on a del’hydroélectricité, ce qui fait quela majorité de nos produits d’icipossèdent une empreinte effecti-vement moins élevée que d’au-tres qui sont similaires et quiviennent de l’extérieur. »

Le rappor t des exper ts vaplus loin : « Il serait même pos-sible de faire venir chez nousdes alumineries pour que lesproduits de l’aluminium quisont expor tés por tent l ’em-preinte carbone Québec à fai-ble impact. Les pays étrangersacheteurs de ceux-ci seraienteux-mêmes capables de baisserleurs émissions de GES. C’estlà tout un volet qui est consi-dérable à envisager dans le ca-dre des cibles très ambitieusesque veut proposer le gouverne-ment ; selon nous, il faut doncy aller d’une manière créativepour y arriver plutôt que deparler uniquement d’électrifi-cation des transports ou d’iso-lation des bâtiments. »

Étant donné que ces ciblessont notamment de l’ordred’une diminution de 80 % parpersonne d’ici 2030, il s’ensuitdes impacts sociaux qui fontl’objet de la dernière recom-mandation du rapport du CI-RAIG. De quel ordre sont cesimpacts-là, M. Samson ? « Parexemple, si le prix de l’essencevient à monter à des prix très,très élevés, il en découlera quebeaucoup de ménages ne pour-ront plus nécessairement voya-ger ou encore qu’il deviendratrès compliqué pour eux de sepayer des automobiles, ce quiva entraîner toutes sortes d’au-tres ef fets pervers qu’il imported’évaluer également dans lesobjectifs de réduction. »

CollaborateurLe Devoir

CIRAIG

Une approche globale pour réduire les GES

PATRICK KOVARIK AGENCE FRANCE-PRESSE

« Si les consommateurs pouvaient connaître l’empreinte carbone de ceux [les produits] qu’ilsachètent, ils pourraient se procurer ceux qui ont un impact carbone moindre. En définitive, en tenantcompte de huit ou de six millions de consommateurs, cet af fichage pourrait contribuerconsidérablement à atteindre les objectifs sans trop chambouler l’économie», assure Réjean Samson,professeur au département de génie chimique de Polytechnique et directeur général du CIRAIG.

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RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5 I 3

La recherche nordique : cinquante ansd’expertise, une mobilisation unique et un leadership reconnu dans le monde.

NOS CERVEAUX NE PERDENT JAMAIS LE NORD

ulaval.ca #FiertéUL© R

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AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Entre gestion de l’urgence et planification des risques

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

L es Montréalais et les banlieusards se sontréveillés lundi avec une nouvelle menace

faite à leur portefeuille, celle de devoir débour-ser quelques dollars à chaque fois qu’ils em-prunteraient un des ponts menant à la métro-pole. Une façon, selon la Commission de l’éco-fiscalité du Canada, un groupe de recherche in-dépendant formé d’économistes de toutes lesrégions du Canada, de réduire la congestion,donc la pollution, donc les gaz à effet de serre,donc le réchauffement climatique, donc les évé-nements extrêmes qui lui sont liés.

Cette analyse, aussi rapide soit-elle, prouveà quel point tous ceux qui ont à se pencher surle développement urbain doivent aujourd’huise préoccuper de l’impact du réchauffementclimatique.

«Si de nombreuses voix s’élèvent depuis plusieursdécennies pour avertir des dangers inhérents à no-tre développement économique et notre urbanisa-tion, les dernières années montrent une conver-gence des analyses et des préoccupations à l’égarddes risques et des changements climatiques», peut-on lire dans le plan du cours donné par IsabelleThomas, intitulé «Aménagement, risques et en-jeux urbains ». « Les modes d’urbanisation, leschangements d’occupation des sols et le développe-ment socio-économique ont accru le potentiel desdommages dus aux risques dans de nombreuses ré-gions urbaines et posent la question des modalitésnécessaires à un aménagement urbain viable.Ainsi, la croissance des événements extrêmes dusaux changements climatiques, l’accroissement pro-gressif des enjeux dus aux territoires urbains densé-ment peuplés conduisent à l’accentuation de la vul-nérabilité des populations face aux risques.»

Réponse globaleAinsi, pour faire face à la menace, la réponse

doit être globale, assure l’universitaire.« Il faut réaliser des diagnostics des grands en-

jeux sur l’ensemble du territoire, explique-t-elle.Comprendre où se situe sa vulnérabilité, où sontles entreprises polluantes par exemple, dévelop-per des outils pour y faire face. Si je reviens à larecommandation de mettre des péages sur tousles ponts… oui, la mobilité fait partie des grandsenjeux. Mais est-ce suf fisant ? Je ne crois pas.C’est peut-être une partie de la solution, mais ilfaut également d’autres initiatives en matière demobilité active, de transport en commun, et biend’autres choses encore. »

Gérer la circulation de la manière la plus fluidepossible, mais aussi travailler sur le territoire.Donner plus d’opportunités aux familles de vivreen ville, sur le plan financier avec des logementsabordables, sur le plan également de la qualité devie et des services.

« Il y aurait alors moins de congestion, carmoins le besoin d’aller grignoter des territoiresà l’extérieur de la ville, poursuit-elle. Moinsd’étalement urbain. Quand on parle de dévelop-pement urbain durable, c’est très complexe.C’est très politique aussi. C’est toute la questiondes services. Si on of fre des services de qualité àla population, que ce soit au quotidien oulorsque survient une catastrophe, ça l’amène àêtre plus résiliente. »

Car s’il y a d’un côté l’aménagement urbain etles nouvelles réglementations qui font au-jourd’hui en sorte de lutter contre la pollution,les îlots de chaleur, les inondations, d’économi-ser l’énergie et les ressources naturelles, de gé-rer les déchets, etc., il y a de l’autre tout un vo-let résilience et éducation de la population.

« La population doit avoir conscience desrisques et donc de sa vulnérabilité, expliqueMme Thomas. Prenons l’exemple des inondationsdans le sud de la France début octobre. Les genssont morts parce qu’ils sont descendus dans leurs

sous-sols pour prendre leur voiture… Si on lesavait le moindrement préparés à ce type derisques, nombre d’entre eux n’auraient pas poséce geste. Or, les chercheurs ont aujourd’hui menéde nombreuses études et on connaît bien ce quenous appelons les “aléas”, à savoir quel typed’événement extrême peut survenir à tel endroit.Mais il faut vraiment travailler sur la vulnérabi-lité des populations. On ne va pas les déplacer.Elles sont bien établies. Il faut donc qu’elles sa-chent quoi faire lorsque ça arrive. »

Intégrer les citoyens dans la solution. Enamont, en les convainquant du bien-fondé desgestes quotidiens — recyclage, compost, mobi-lité active, économies énergétiques — qu’onleur demande de poser. En aval, en les édu-quant sur les attitudes à adopter en cas de ca-tastrophe et en s’assurant qu’ils ne se sentent

pas livrés à eux-mêmes. C’est comme cela quese construirait la résilience. Dans cette formede solidarité.

«C’est un travail de longue haleine, assure laprofesseure. On a chacun un rôle à jouer. Simoi, citoyenne de Montréal, j’imperméabilise maparcelle parce que je détruis la végétation, parexemple, j’amplifie le ruissellement et l’érosion, jene lutte pas contre le réchauffement climatique,ni contre les îlots de chaleur. Ainsi, le travail sefait du citoyen à l’élu local et au gouvernementprovincial, ici au Québec. Mais également dansl’autre sens, dans une sorte de va-et-vient perma-nent entre la gestion de l’urgence et la planifica-tion des risques. »

CollaboratriceLe Devoir

Ces dernières années, les événements climatiques extrêmes se sont multipliés d’un bout à l’au-tre de la planète. Il n’y a qu’à repenser à l’ouragan Katrina qui emporta la digue protégeant unquartier populaire de La Nouvelle-Orléans il y a dix ans de ça. Ou encore, plus récemment, auxinondations meurtrières dans le sud de la France, il y a tout juste quelques semaines. Plusprès de nous, ce sont les rives du fleuve Saint-Laurent qui s’érodent un peu plus chaque année.Des phénomènes qui poussent inévitablement les acteurs du développement urbain à repenserla ville. Le Devoir s’est entretenu avec Isabelle Thomas, professeure à la faculté de l’aménage-ment de l’Université de Montréal et spécialiste des questions de développement durable.

JEAN-CHRISTOPHE MAGNENET AGENCE FRANCE-PRESSE

Des personnes nettoient la rue dans le village de Biot, dans le sud-est de la France, où de violentesinondations ont eu lieu au début du mois d’octobre 2015.

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RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5I 4

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Churchill, près de la baie d’Hudson, dans la province du Manitoba

É M I L I E C O R R I V E A U

P our sa stratégie de recherche transdiscipli-naire Sentinelle Nord, l’Université Laval ob-

tenait en juillet dernier la confirmation d’unesubvention historique de 98 millions de dollars.Accordée par le programme fédéral Apogée Ca-nada et octroyée sur une période de sept ans,celle-ci permettra à de nombreux scientifiqueset chercheurs d’étudier le Nord canadien sousdes angles aussi variés que l’environnement, leclimat, l’économie et la santé.

Né d’une initiative commune du Conseil de re-cherches en sciences humaines (CRSH), duConseil de recherches en sciences naturelles eten génie (CRSNG) et des Instituts de rechercheen santé du Canada (IRSC), le programme Apo-gée Canada, financé à la hauteur de 350 millionsde dollars, est le premier fonds d’excellence enrecherche lancé par le gouvernement fédéral.S’adressant à des établissements canadiens d’en-seignement postsecondaire, il a pour objectif d’ai-der des institutions à traduire leurs plus grandesforces en compétences de calibre mondial et, parle fait même, de leur permettre de briller dansdes domaines de recherche susceptibles decréer des avantages économiques à long termepour le pays.

Parce qu’elle s’appuie sur une confluencede domaines de recherche stratégiques danslesquels l’Université Laval excelle depuis denombreuses années, soit les sciences del’Arctique, l’optique-photonique, la cardiomé-tabolique et la santé mentale, il est compré-hensible que Sentinelle Nord ait obtenu la fa-

veur du comité de sélection d’Apogée Canada.Mais d’après Yves de Koninck, codirecteur

scientifique de la stratégie Sentinelle Nord, di-recteur scientifique de l’Institut universitaire ensanté mentale de Québec et directeur de la re-cherche du Centre intégré universitaire desanté et de services sociaux de la Capitale-Na-tionale, c’est aussi beaucoup en raison de soncaractère foncièrement transdisciplinaire quela stratégie de recherche de l’Université Laval aobtenu une subvention aussi importante.

« À l’Université Laval, on a tendance à tisserpas mal de liens entre les disciplines, ça fait par-tie de nos habitudes, indique-t-il. Nos chairesd’excellences actuelles en sont la démonstration.Mais Sentinelle Nord, c’est autre chose. Il s’agitd’une approche fondamentalement transdiscipli-naire et c’est ce qui semble avoir vraiment inté-ressé le comité d’Apogée Canada.»

Au-delà de la multidisciplinaritéPlus qu’un simple projet scientifique, Senti-

nelle Nord se veut une stratégie de rechercheholiste dont la visée est de permettre d’affinernotre compréhension de l’humain, de son envi-ronnement et des conséquences des change-ments climatiques sur les populations et leursanté. Comme c’est dans l’Arctique que le ré-chauffement climatique fera le plus agressive-ment sentir ses ef fets et que la région seraaussi soumise à d’importantes transformationssocioéconomiques au cours des prochaines dé-cennies, l’Université Laval a jugé pertinent d’yconcentrer ses efforts.

« Le grand objectif de cette stratégie de re-

cherche, c’est de comprendre le système coupléhomme-environnement dans le Nord, et ce, parti-culièrement au moyen de technologies optiques.Ce que l’on souhaite, c’est d’être capables de me-surer à tout moment un certain nombre de va-riables importantes de l’environnement et de lasanté. Pour y parvenir, on va notamment déve-lopper un réseau de capteurs intelligents. Ça vanous permettre d’abord de savoir où on en est,mais également d’élaborer des outils de diagnos-tics précoces et de prédiction. Le tout servira en-suite à alimenter des stratégies de développementdurable, ou encore des stratégies de gestion decrise environnementale ou sanitaire », préciseMarcel Babin, codirecteur scientifique de Sen-tinelle Nord, titulaire de la Chaire d’excellenceen recherche du Canada sur la télédétection dela nouvelle frontière arctique du Canada et di-recteur scientifique du centre Takuvik.

Pour par venir à ce résultat, de nombreuxchercheurs seront mobilisés. « Je m’attends àdes approches extrêmement innovantes, parceque la vraie transdisciplinarité est extrêmementfertile, signale M. de Koninck. Lorsqu’on invitedes gens issus de domaines aussi différents que lasanté mentale et l’environnement à collaborer,on se retrouve inévitablement avec des proposi-tions très créatives. »

C’est ce que croit aussi M. Babin, qui rap-pelle que les chercheurs tendent souvent àcréer des partenariats avec des pairs œuvrantdans des institutions alliées, mais que de façongénérale ils interagissent assez peu avec descollègues immédiats dont les champs d’exper-tise diffèrent des leurs.

« Prenons l’exemple de ce que nous faisons àl’Université Laval. On peut supposer qu’en croi-sant ce que savent faire nos chercheurs du cer-veau avec ce que nous, on fait en environnement,donc en pratiquant de la fertilisation croisée, onpuisse développer des idées extrêmement intéres-santes pour améliorer notre connaissance desécosystèmes. Par exemple, nos collègues de neu-rosciences travaillent à développer des méthodesextrêmement précises pour faire de l’imagerie cel-lulaire. Parmi les organismes modèles qu’ils uti-lisent, il y a les diatomées, qui sont le groupe dephytoplancton le plus commun dans l’océan. En

environnement, nous nous intéressons aussi aucomportement et à la structure intracellulairedes diatomées. Il m’apparaît évident qu’en com-binant nos expertises, on augmente nos chancesde faire des découvertes intéressantes. C’est préci-sément l’idée derrière Sentinelle Nord. »

Premiers balbutiementsBien que Sentinelle Nord n’en soit encore

qu’aux premiers balbutiements de son déploie-ment, déjà, l’établissement d’une structure degouvernance s’avère une priorité pour l’Univer-sité Laval. La prochaine étape de cet ambitieuxprojet sera la mise sur pied d’un panel scienti-fique international et de comités-conseils. Desappels à propositions de recherche axées sur ladécouverte seront aussi bientôt lancés. Suivra lacréation de nouvelles chaires de recherche, denouvelles unités mixtes de recherche, d’un pro-gramme de bourses et d’écoles internationales.

« Évidemment, nous allons devoir recruter,note M. de Koninck. Nous allons approcherd’autres chercheurs de renommée mondiale. Onva aussi continuer à développer notre infrastruc-ture d’optique-photonique pour pouvoir répondreaux besoins de développement technologique queles projets vont présenter. »

Cela signifie notamment qu’un nouveau pro-gramme de doctorat transsectoriel au croise-ment de l’environnement, de l’optique-photo-nique et des sciences de la vie sera créé. Égale-ment, un centre de conception d’instrumentssera mis sur pied.

Manifestement, Sentinelle Nord consoliderala position de chef de file de l’Université Lavalen matière d’études nordiques et propulseraencore plus loin l’établissement sur la scèneinternationale.

« Nous espérons mener ce type de recherchestransdisciplinaires depuis longtemps, mais nousn’avons jamais eu accès à des structures finan-cières adéquates pour que ce soit possible, sou-ligne M. Babin. Maintenant, nous avons le ca-dre pour le faire et c’est extrêmement stimulantpour tout le monde !»

CollaboratriceLe Devoir

SENTINELLE NORD

Stratégie de recherche pour mieux comprendre le Nord

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RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5 I 5

FONTE DES GLACES EN ARCTIQUE

Renverser la vapeur nécessitel’étroite collaboration de tous les milieux

C A T H E R I N E G I R O U A R D

C’ est entre autres ce quiressort de l’étude «White

Arctic vs. Blue Arctic : A casestudy of diverging stakeholderresponses to environmentalchange », dont Le Devoir a ob-tenu copie et qui devrait êtrepubliée dans The Earth’s His-tory en décembre. Une étudequi ratisse très large, abordantla question des enjeux environ-nementaux en tenant comptedu contexte politique, écono-mique et social.

«On dit souvent dans les mé-dias qu’on perd les glaces et qu’ilfaut diminuer nos émissions deCO2, mais ça s’arrête là, relateBruno Tremblay, l’un des sixcosignataires de l’étude, profes-seur associé du départementdes sciences atmosphériqueset océaniques de l’UniversitéMcGill et professeur associé del’Université Colombia. On a en-tendu 1000 fois ce qu’on dit,mais on ne parle pas des bonnesaf faires. Avec cette étude, on avoulu être sur le mode solution,regarder ce qu’on peut fairepour ramener les glaces et ceque ça implique dans le tempssur une échelle politique, écono-mique et climatique.»

Cette étude est le résultatd’un atelier qui a réuni autourde la même table au printemps2012 divers experts, dont desscientifiques, des politiciens,des économistes et des ingé-nieurs. Une première expé-rience qui sera réitérée à la finde 2016 ou au début de 2017,affirme M. Tremblay.

« En tant que scientifiques,c’est la science qui nous inté-resse et on tenait pour acquisque les politiciens compre-naient ce qu’on leur dit, ex-plique le chercheur. Mais lesintervenants des dif férents do-maines ne parlent pas le mêmelangage. En nous assoyant en-semble, nous avons mutuelle-ment mieux compris le langageet les préoccupations de chacunet nous nous sommes posé desquestions pratico-pratiques aux-quelles nous n’avons jamaispris le temps de répondre. »

La séquestration de carbone nécessaire

Pour atteindre un étatd’équilibre dans l’Arctiqueavec des glaces recouvrant àpeu près 4 millions de kilomè-tres car rés à la fin de l’été(comme c’était le cas en 2007),il faudrait retourner au seuild’émissions de CO2 de l’èrepréindustrielle d’ici 30 ans,soit une concentration de 350ppm. Actuellement, la concen-tration est d’environ 400 à 410ppm et nos émissions conti-nuent d’augmenter malgréplus de 30 ans d’aver tisse-ments répétés.

«D’un point de vue techniqueet économique, cet objectif estpresque impossible à atteindresi on considère les questions po-litiques et sociales qui sous-ten-dent une telle réorientationmassive des technologies indus-trielles et grand public », peut-on lire dans l’étude d’une ving-taine de pages.

Il sera donc nécessaire de ju-meler des politiques de réduc-tions de nos émissions à une so-lution de géo-ingénierie commela séquestration de carbone,avance-t-on, qui consiste à cap-ter et stocker le dioxyde de car-bone à long terme en le transfor-mant en carbonate. Des proto-types existent et plusieurs re-cherches sont déjà menées surle sujet, entre autres par l’Uni-versité Colombia à New York.

D’autres méthodes de bio-ingénierie pourraient aussiêtre utilisées, comme la ges-tion du rayonnement solairepour réduire la températuremoyenne globale, mais lesauteurs de l’étude préfèrentde loin la séquestration decarbone aux autres, p luscontestées.

Bruno Tremblay soulignepar ailleurs le danger de fairereposer toutes les solutionsaux changements climatiquessur la bio-ingénierie. « Il est

important qu’on s’occupe de fa-çon agressive de nos émissionset qu’on complète notre actionavec la bio-ingénierie », af-firme le chercheur, mettant engarde contre la tentation devoir la bio-ingénierie commeun exercice de récupérationnous permettant de continuerà produire autant de CO2.

Il sera alors primordial decesser de travailler en vaseclos. « Il est impossible pour lesscientifiques […] de développerces modèles dans l’isolement lesuns des autres, peut-on y lire.Les conséquences de quelquesfaux pas (et il est impossibled ’ a v a n c e r s a n s e n f a i r equelques-uns) seront graves. Ilest donc inapproprié de dévelop-per ces modèles sans prêter at-tention aux implicationséthiques des résultats, ce qui né-cessite l’interaction de nom-breux intervenants. »

En considérant le temps né-

cessaire pour tout mettre enbranle et pour que les ef fetsd’une réduction des émissionsse fassent sentir, le groupe de

chercheurs estime qu’il faudraenviron 80 ans, voire trois gé-nérations, avant que le sys-tème retrouve un équilibre.

Une période durant laquelle lapopulation locale et mondiale

La disparition de la glace de mer pendant l’été en Arctique estimminente, mais il sera possible de la faire revenir en dimi-nuant nos émissions de CO2. Les mesures de réduction quipourraient être mises en place par les dif férents paliers degouvernements ne seront toutefois pas suf fisantes à ellesseules, et les très nombreux défis environnementaux, poli-tiques, économiques et sociaux associés demanderont unecollaboration mondiale étroite de tous les milieux.

SOURCE ANNE PÉLOUAS

Pour atteindre un état d’équilibre dans l’Arctique avec des glaces recouvrant à peu près 4 millionsde kilomètres carrés à la fin de l’été (comme c’était le cas en 2007), il faudrait retourner au seuild’émissions de CO2 de l’ère préindustrielle d’ici 30 ans, soit une concentration de 350 ppm.

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RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5I 6

• Université du Québec à Montréal

• Université du Québec à Trois-Rivières

• Université du Québec à Chicoutimi

• Université du Québec à Rimouski

• Université du Québec en Outaouais

• Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

• nstitut national de la recherche scienti ue

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L’aérospatiale prend le virage vert

P I E R R E V A L L É E

L es recherches menées ausein de l’ICIA ont deux ori-

gines. Elles peuvent êtremises en place par les profes-seurs-chercheurs, accompa-gnés de leurs étudiants, ouelles peuvent répondre à desdemandes spécifiques des ac-teurs du secteur de l’aérospa-tiale. « Lorsque les recherchesrépondent à des demandes del’industrie, elles sont financéespar le Consortium de rechercheet d’innovation en aérospatialeau Québec, un partenariat en-tre les entreprises de l’aérospa-tiale et les universités québé-coises, explique Christian Mo-reau, directeur de l’ICIA. Parcontre, lorsque les recherchessont initiées par un de nos pro-fesseurs-chercheurs, ce sont desrecherches de premier niveauque l’on peut financer par nosfonds propres. Mais dès que cesrecherches prennent de l’am-pleur, nous cherchons toujoursà les réaliser en par tenariatavec l’industrie aérospatiale. »

La seconde mission del’ICIA est celle de la forma-tion. « Nous cherchons à recru-ter les étudiants en génie quiprésentent un bon potentielpour travailler enaérospatiale, explique NadiaBhuiyan, directrice de l’éduca-tion à l’ICIA. Les étudiants quise joignent à l’ICIA participentaux recherches menées par nosprofesseurs-chercheurs. Maisils ont aussi la possibilité d’ef-fectuer des stages en entreprise,où ils sont appelés à travaillersur des projets de recherche etde développement en aérospa-tiale. Ainsi, ils acquièrent uneconnaissance pratique du do-maine de l’aérospatiale. Notrevolonté, à Concordia, c’est deformer les futurs spécialistes del’industrie aérospatiale québé-coise. »

Une vision plus largeRécemment, l’ICIA a décidé

d’élargir son mandat afin de sedonner une perspective pluslarge. «Traditionnellement, lesétudiants à l’ICIA étaient recru-tés au sein de notre Faculté degénie et d’informatique, sou-ligne Christian Moreau. Maismaintenant, nous avons choiside nous ouvrir aux autres facul-tés. Ce choix nous permet désor-mais d’approcher l’aérospatialedans une perspective plus large

que les seuls domaines du génieet de l’informatique. Par exem-ple, un étudiant en administra-tion des af faires pourrait sejoindre à l’ICIA parce qu’il s’in-téresse à la gestion de la chaîned’approvisionnement en aéros-patiale. Un étudiant en sciencesenvironnementales pourraits’intéresser à la pollution so-nore générée par les aéroportsen milieu urbain. »

Cette approche a l’avantagede présenter une vision pluscomplète des enjeux reliés àl’industrie aérospatiale. « Biensûr, à la base, il y a le design,poursuit Christian Moreau, etensuite la fabrication et la pro-duction d’un aéronef. Maisune fois l’aéronef produit, quefait-on ? Comment le gérer unefois en vol ? Comment gérer lesaéroports ? Que faire avec l’aé-ronef une fois son cycle de vieutile terminé ? L’industrie aé-rospatiale ne se limite pas à laproduction d’aéronefs. Il y a cequ’on fait avant et ce que l’onfait après. C’est cette réalitéque veut refléter la nouvelleorientation que l’on a donnéeà l’ICIA. »

Le développementdurable

Et dans cette nouvelle réa-lité élargie de l’aérospatiale,la quest ion du développe-ment durable se pose. Et l’in-dustrie y répond en propo-sant une aérospatiale plusver te. « Les recherches en dé-veloppement durable en aéros-patiale ont jusqu’à présentprincipalement por té sur laréduction de la consomma-tion de carburant, souligneChristian Moreau. L’indus-trie a réussi à fabriquer desmoteurs d’avion moins énergi-vores, et l’utilisation plus fré-quente de matériaux compo-sites plus légers a permis uneréduction de la consomma-tion de carburant. Des re -cherches ont été aussi menéespour fabriquer des moteursplus silencieux, réduisant lapollution sonore lors du décol-lage. La CSeries de Bombar-dier est un exemple de ce nou-veau type d’aéronefs. »

Mais cela ne s’arrête pas àla seule réduction de laconsommation de carburant.D’autres éléments du déve-loppement durable se poin-tent le nez. « Que faire avecun aéronef une fois celui-ci ar-

rivé à la fin de son cycle devie ? Aujourd’hui, le dépotoirn’est pas une solution viable,il faut envisager plutôt le recy-clage, avance Christian Mo-reau. C’est la raison pour la-quelle l’écoconception prendde plus en plus d’impor tanceen aérospatiale. Il faut s’assu-rer dès les premiers dessinsque les éléments qui entrerontdans la fabrication de l’aéro-nef sont le plus largement pos-sible recyclables. »

Et la gestion des aéroportspose aussi des défis en matièrede développement durable.L’achalandage est tel que lesavions doivent tourner en rondde longues minutes avant d’ob-tenir la permission d’atterrir,ce qui entraîne une consomma-tion inutile de carburant et uneaugmentation des GES. « Lefonctionnement en vigueur au-jourd’hui est celui de la descentepar étapes, précise NadiaB h u i y a n . P a r c o n t r e , a uRoyaume-Uni, plusieurs aéro-

ports font des expériences avecla descente en continu, ce quiminimise les ef fets polluants dela descente par étapes.»

Une conférenceinternationale

Le For um aéronautiquemondial de l’Organisation del’aviation civile internationale(OACI), qui se t iendra àMontréal du 23 au 25 novem-bre, portera justement sur ledéveloppement durable en aé-rospatiale. L’ICIA y par tici-pera, tout comme il était pré-sent au der nier Salon duBourget. « Nous avons pris ladécision d’être présents lorsdes grands événements inter-nationaux en aérospatiale, ex-plique Christian Moreau.C’est une façon pour nous denous faire connaître et surtoutde cibler de nouveaux par te-naires de recherche potentiels,que ce soient les grands don-neurs d’ouvrages ou des parte-naires internationaux. Et

même de nouveaux par te-naires canadiens, et mêmequébécois, puisque tous les ac-teurs d’une cer taine impor-tance en aérospatiale se re-

trouvent à ces grands événe-ments internationaux. »

CollaborateurLe Devoir

L’Institut de conception et d’innovation en aérospatiale (ICIA)de l’Université Concordia a pour mission d’ef fectuer des re-cherches en aérospatiale et de former les futurs spécialistesdu domaine. Récemment, l’ICIA a choisi d’élargir son mandatet de mettre l’accent sur l’aérospatiale verte.

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L’ICIA a décidé d’approcher l’aérospatiale dans une perspective plus large que les seuls domaines du génie et de l’informatique. Unétudiant en sciences environnementales pourrait s’intéresser à pollution sonore générée par les aéroports en milieu urbain.

MICHAËL MONNIER LE DEVOIR

L’Université Concordia prend un virage vert dans le domaine del’aérospatiale.

se sera habituée à vivre avecun Arctique bleu. Les intérêtsdivergents des dif férentsgroupes d’intervenants pour-raient alors grandement in-fluencer la lutte contre le ré-chauffement climatique, sou-lève l’étude.

«Même les Premières Nationsde l’Arctique, après trois généra-tions à vivre sans glace avec uneéconomie qui en aura fort pro-bablement bénéficié, ne vou-dront peut-être pas revenir enarrière avec un Arctique glacé»,soulève Bruno Tremblay.

Des pays, dont la Russie, lesÉtats-Unis et le Canada — quiont tous trois augmenté leursinvestissements militairesdans l’Arctique —, pourraientaussi trouver des bénéficesdans le réchauf fement del’Arctique, l’exploitation de sesnombreuses ressources et letransport étant entre autres fa-cilités. Le plan pour l’Arctiquede la Fédération de Russie dé-clare d’ailleurs que le dévelop-pement de ses territoires arc-tiques sera agressif et servirade larges intérêts écono-miques nationaux.

Les nations et les industriesqui profiteront des conditionslibres de glace de mer en Arc-tique seront-elles d’accordpour faire reculer le réchauffe-ment climatique ? Est-il possi-ble d’établir le droit d’annulerle développement de l’Arc-tique avant même qu’il aitlieu ? Comment s’établira la

compétition commerciale etmilitaire en Arctique et quellesstructures seront nécessairespour la gérer ? Est-ce possiblede traiter la banquise arctiquecomme un patrimoine mon-dial, fournisseur de servicesclimatologiques essentiels à lac o m m u n a u t é m o n d i a l e ?L’étude de cas soulève ungrand nombre de questionsfondamentales qui sont encoresans réponses.

M a i s a u s s i c o m p l e x e ssoient-elles, ces questionsdoivent être étudiées sérieu-sement. Car la per te de laglace de mer en été au Nordengendrera entre autreschoses des changements ma-jeurs à la fois dans l’Arctiqueet au-delà, des impacts impor-tants sur les infrastructures,la déstabilisation des régimesclimatiques dans les latitudesmoyennes, l’augmentation duréchauf fement de la planèteet l’accroissement des pro-blèmes de sécurité.

« Ce qui arrive maintenanten Arctique arrivera aussi auxlatitudes plus basses dans un fu-tur proche, avec des consé-quences beaucoup plus graves,fait valoir M. Tremblay. Onpeut voir la situation actuelleen Arctique comme un bancd’essai pour tester la capacitédes pays du Sud à collaborer etrégler des problèmes d’enver-gure. » Il est donc urgent decréer des structures organisa-tionnelles pour stabiliser etamplifier ces activités et d’enfaire des priorités politiques,affirme enfin l’étude.

CollaboratriceLe Devoir

SUITE DE LA PAGE I 5

VAPEUR

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RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5 I 7

Pour mieux comprendre les changements cli-matiques, des chercheurs de l’UQAM s’inté-ressent à ce qu’était le climat il y a des di-zaines de milliers d’années de cela et à cequ’il sera d’ici la fin du siècle.

M A R I E L A M B E R T - C H A N

P endant que Philippe Gachon s’emploie à si-muler les conditions climatiques qui pré-

vaudront dans quelques décennies au Québec,sa collègue Anne de Vernal étudie des sédi-ments récupérés au fond des océans qui lui ré-vèlent le climat qui régnait dans les hautes lati-tudes de l’hémisphère nord il y a des dizainesde milliers d’années. Bien qu’éloignés dans letemps et l’espace, les objets de recherche deces professeurs de l’UQAM n’en sont pasmoins complémentaires et démontrent à quelpoint le système climatique est complexe.

« Plus on en apprend sur le climat, plus onprend la mesure de notre ignorance », constatePhilippe Gachon, professeur au départementde géographie et membre du Centre pourl’étude et la simulation du climat à l’échelle ré-gionale. Il rappelle que l’histoire de l’observa-tion du climat est assez courte. Les scienti-fiques ne peuvent s’appuyer que sur quelquesdécennies de données satellitaires. Le reste desarchives climatiques se cache dans les cernesdes arbres, les pollens fossiles et les carottes ti-rées des fonds océaniques ou des glaciers.« C’est ce qui nous permet de documenter la va-riabilité naturelle du climat qui est par défini-tion instable », remarque Anne de Vernal, pro-fesseure spécialisée en micropaléontologie etpaléoclimatologie et membre du Centre de re-cherche en géochimie et géodynamique.

« Le travail des paléoclimatologuescomme Anne contribue à mettre en pers-pective les changements climatiquesd’aujourd’hui et ceux de demain, estimeM. Gachon. C’est grâce à eux, par exem-ple, que nous avons pu reconstituer lecontenu en gaz à ef fet de serre empri-sonné dans de petites bulles d’air logéesdans de la glace datant de centaines demilliers d’années. Nous avons ainsi dé-couvert que la quantité actuelle de gaz àef fet de serre est sans commune mesureavec celle observée au cours des 400 000 der-nières années. Cela nous permet de voir à quelpoint l’activité humaine a contribué à l’augmen-tation importante du CO2 et du méthane dansl’atmosphère. »

Un avenir tout en extrêmesPhilippe Gachon est un expert des extrêmes,

comme les tempêtes et les ouragans, des phéno-mènes inextricablement associés aux change-ments climatiques. « Depuis les 30 ou 40 der-nières années, on observe une augmentation d’en-viron 10 à 20% des désastres d’origine climatique.Ceux qui engendrent le plus de pertes humaines etéconomiques sont les tempêtes, les inondations etles sécheresses », indique celui dont les travauxont été cités à plusieurs reprises dans le cin-quième rapport du Groupe d’experts intergou-vernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

«Le Forum économique mondial a signé un arti-cle dans la revue Nature dans lequel il suggèrequ’après les guerres civiles, ce sont les désastres cli-matiques qui causeront le plus de dommages dansles prochaines décennies», rappelle-t-il.

Le professeur examine plus spécifiquementles répercussions des extrêmesclimatiques au Québec et au Ca-nada. Par exemple, il a étudié lesrépercussions potentielles despluies torrentielles sur le sys-tème d’égout combiné de la Villede Longueuil, de même quecelles des régimes de tempêtesur les infrastr uctures por-tuaires dans la baie d’Hudson.

Après avoir compilé tous lesmodèles régionaux à leur dispo-

sition, Philippe Gachon et ses collègues en sontvenus à la conclusion que le Canada connaîtradans le futur des précipitations plus intenses,mais moins nombreuses en été. Les précipita-tions hivernales seront quant à elles plus nom-breuses et plus fortes. «L’occurrence et l’inten-sité des précipitations auront des conséquencesimportantes, dit-il. Prenez le mois d’août dernier.On a connu plusieurs jours sans pluie, maisquand il a plu, ce fut si fort que ç’a causé des ac-cidents sur la route. Et ce n’est qu’un impactparmi d’autres. »

Voyage vers le passéEn 2014, Anne de Vernal a participé à une ex-

pédition géologique en eaux arctiques. «C’étaitspectaculaire ! » se souvient la spécialiste. Aucours de son périple, elle a récolté une foule desédiments qui, aujourd’hui, lui en apprennent

un peu plus sur l’évolution de l’environnementdu centre de l’océan Arctique. « Les premièresanalyses démontrent que l’accumulation de restesd’organismes vivants s’y déroule très lentement,sur des dizaines de milliers d’années en fait, si-gnale-t-elle. Par contre, je ne sais toujours pas si

cette microfaune s’accumule par inter-valles réguliers ou si sa présence évoquedes moments d’ouverture de la glace demer qui se seraient produits de manièrepassagère au cours de centaines de mil-liers d’années. »

Bien que la glace de mer se reformetous les ans, quel que soit le climat, «onse rend compte, en remontant dans letemps, que certains endroits sont plus sen-sibles, comme la mer de Barents et la merde Laptev», indique Anne de Vernal, éga-

lement citée dans le dernier rapport du GIEC.«Un océan Arctique libre de glace est quelque chosed’exceptionnel et, pour en retrouver des traces, ilfaut faire un très long voyage dans le temps.»

Il n’en va pas de même pour l’inlandsis duGroenland. «Cette calotte glaciaire est plus vul-nérable qu’on ne le croit, affirme Anne de Ver-nal, qui a réalisé des travaux à ce sujet. On a dé-montré que le Groenland n’a pas toujours été re-couvert de glace ; une forêt a déjà occupé ce terri-toire il y a 400 000 ans. Au départ, la variabilitéde cet environnement est naturelle, mais présen-tement, elle est amplifiée par le réchauf fementclimatique. »

Encore optimiste il y a quelques années,Anne de Vernal se dit désormais plutôt pessi-miste au regard des données sur les change-ments climatiques «qui ne s’améliorent absolu-ment pas ». « Il y a des phénomènes qui sont en-clenchés et pour lesquels il n’y a pas de retourpossible, à commencer par l’acidification desocéans et la fonte de la calotte groenlandaise, sedésespère-t-elle. Ce n’est guère encourageant. »

CollaboratriceLe Devoir

Le climat conjugué au passé, au présent et au futur

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

C’est grâce au travail des paléoclimatologues sur les bulles d’air emprisonnées dans les glaces que l’on a découvert que la quantité actuelle de gaz àef fet de serre est sans commune mesure avec celle observée au cours des 400 000 dernières années.

L’ÉTS est une constituante du réseau de l’Université du Québec

AU-DELÀ DE LA RECHERCHE DES RÉSULTATS CONCRETS

École de technologie supérieure

ÉNERGIE

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CRÉATRICE DE VALEUR POUR LA SOCIÉTÉ

EXPLOITER LE BIG DATA POUR DE MEILLEURES DÉCISIONS D’AFFAIRES EN TEMPS RÉEL

Avec sa Chaire d'excellence en recherche du Canada sur la science des données pour la prise de décision en temps réel, le Pr Andrea Lodi développe des solutions permettant aux entreprises d'interpréter les mégadon-nées générées en ligne par tous les acteurs de leur environnement économique, afin de prendre les meilleures décisions en temps réel.

RÉPONDRE AUX DÉFIS DE L’EAU POTABLE, DE LA SOURCE AU ROBINET

La Chaire industrielle CRSNG en traitement des eaux potables des Prs Michèle Prévost et Benoit Barbeau produit des résultats scientifiques utilisables par l'industrie afin d'améliorer le traitement et la distribu-tion des eaux potables, tout en minimisant les risques pour la santé humaine.

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La Chaire de recherche industrielle CRSNG/Medtronic en biomécanique de la colonne vertébrale du Pr Carl-Éric Aubin développe de nouveaux outils pour l’étude biomé-canique des traitements orthopédiques, la simulation et le design de traitements personnalisés. Ces innovations permettent aux chirurgiens, orthopédistes et orthésistes de tester virtuellement leurs interventions avant d’opérer ou de poser un corset.

LA COLLABORATION RECHERCHE-INDUSTRIE À POLYTECHNIQUE

PhilippeGachon

Anne de Vernal

Page 8: RECHERCHE - Le Devoir€¦ · RECHERCHE I 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 NOVEMBRE 2015 Pour Catherine Potvin, la Conférence de Paris sur le climat commence dans la jungle

RECHERCHEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 N O V E M B R E 2 0 1 5I 8

C L A U D E L A F L E U R

Pour sûr que nous voyonsdéjà les conséquences des

changements climatiques et quecelles-ci se feront sentir de plusen plus intensément. Mais quelsseront leurs impacts ici commeailleurs et dans diverses sphèresde la société, en matière écono-mique, sociale, politique, etc.?Voilà les notions que couvre lenouveau min ipr o -gramme sur les chan-gements climatiquesque propose l’Univer-sité Bishop’s en colla-boration avec l’Univer-sité de Sherbrooke.

Ce miniprogrammes’adresse aux étu-diants qui poursui-vent des études demaîtrise, mais prove-nant de différents ho-rizons. « Nous espé-rons rassembler desétudiants qui pour-raient avoir étudier en sciences,bien sûr, mais également en éco-nomie, en politique, en sciencessociales, etc., indique MatthewPeros, professeur en étudesenvironnementales et de géo-graphie à l’Université Bishop’set parrain du programme.

Nous voulons former de petitsgroupes de dix à quinze étu-diants qui interagiront avec lesprofesseurs, qui par tagerontdonc leur savoir et s’enrichirontles uns les autres.»

Comment réagit-on?Comme le souhaite Matthew

Peros, « nous voulons qu’auterme de ce miniprogrammel’étudiant soit en mesure de dé-terminer les enjeux sociaux, éco-

nomiques, politiquesqu’entraînent les chan-gements climatiques etqu’il soit bien au faitdes données scienti-fiques et de la manièredont on pourra y faireface».

Le Pr Peros est lui-même un spécialistede ces questions, luiqui dirige une Chairede recherche du Ca-nada sur les change-ments climatiques et

environnementaux à l’Univer-sité Bishop’s. « J’étudie leschangements climatiques surve-nus par le passé, dit-il, afin devoir comment les sociétés ontréagi à ceux-ci. » Grâce à sestravaux, il obser ve entre au-tres que, dans le passé, l’hu-

manité a été confrontée à plu-sieurs épisodes de change-ments climatiques, des épi-sodes par fois même très ra-pides et d’origine naturelle ouprovoqués par l’homme.

«Ce qu’on constate, dit-il, c’estque les sociétés réagissent sou-vent très lentement face auxchangements climatiques et il estdifficile de prévoir comment ellesréagiront.» Bien sûr, poursuit-il,nous bénéficions à présent d’ungrand avantage par rapport auxsociétés anciennes puisquenous avons les outils pour com-prendre ce qui se passe et pourfaire face aux changements cli-matiques, «mais… encore faut-il avoir la volonté d’agir enconséquence!» laisse-t-il filer.

Or, c’est justement l’un desobjectifs du miniprogrammeproposé par le dépar tementd’études environnementales etde géographie de l’UniversitéBishop’s. Il s’agit en ef fet deformer des étudiants de di-verses disciplines aux enjeuxdes changements climatiquesafin que, par la suite, ils agis-sent dans leur domaine oudans le milieu où ils œuvrerontplus tard, que ce soit enscience, dans le monde des af-faires, en politique ou dans

toute autre sphère d’activité dela société.

Association avec l’Université de Sherbrooke

Le miniprogramme s’amorceen janvier prochain et se dé-roule sur un semestre (les ins-criptions prennent fin le 13 no-vembre). Les étudiants choisis-sent trois cours (parmi un éven-tail de quatre) qui comptentpour neuf crédits de maîtrise.

«L’un des cours porte sur l’im-pact des changements clima-tiques sur les régions polaires, in-dique Matthew Peros. Com-ment les écosystèmes de l’Arc-tique et de l’Antarctique réagis-sent-ils aux changementsclimatiques et comment les po-pulations locales — flore, fauneet humaine — s’y adaptent-elles? En d’autres mots: qu’est-ceque cela signifie pour nous etpour l’avenir?»

Dans le même esprit, un au-tre cours porte sur les régionstropicales, qui sont grande-ment affectées par les change-ments climatiques. Commel’explique le Pr Peros, lui-même expert en la matière, ils’agit des régions d’où pro-viennent les ouragans et la

mousson et où vit une bonnepar tie de l’humanité. Nuldoute, donc, que les change-ments climatiques se ferontfortement sentir dans les ré-gions tropicales et auront desconséquences jusqu’ici, sou-ligne-t-il.

Le troisième cours traite desocéans, tout aussi importantspour le devenir de l’humanité,et le quatrième, des enjeuxénergétiques. « Nous analyse-rons les diverses formes d’éner-gie — des énergies fossiles auxénergies renouvelables —, leursimpacts ainsi que notre dépen-dance aux carburants fossiles »,précise le Pr Peros.

Le miniprogramme se com-pose d’un mélange de sémi-naires, de cours magistraux,d’enseignement sur le terrainet en laboratoire. Il permettraainsi aux étudiants d’acquérirune solide compréhension desaspects scientifiques et nonscientifiques des changementsclimatiques. « Nous espéronsinspirer nos étudiants, et même,qui sait, que cer tains d’entreeux choisiront par la suite d’ap-profondir cer taines des ques-tions que nous aurons abor-dées», souhaite le chercheur.

Un autre aspect intéressant

du miniprogramme est le faitqu’il a été élaboré en collabo-ration avec le CUFE de l’Uni-versité de Sherbrooke — leCentre universitaire de forma-tion en environnement et dé-veloppement durable. « LeCUFE of fre depuis longtempsdes programmes de maîtrise enenv i r onnemen t , r a p p e l l eM. Peros. Et nous, nous son-gions à développer notre propreprogramme. Nous avons doncuni nos forces pour permettreaux étudiants de Sherbrooke devenir suivre un semestre cheznous afin que, tout en poursui-vant leurs études de maîtrise,ils par fassent leur anglais »,puisque le programme estdonné dans cette langue.

En pratique, le micropro-gramme est l’un des chemine-ments proposés par le CUFE.Ainsi, les étudiants à la maî-trise pourront intégrer cescrédits à leur diplôme del’Université de Sherbrooketout en perfectionnant leur an-glais. « Je pense que c’est uneformule gagnant-gagnant pourles deux universités », résumele Pr Peros.

CollaborateurLe Devoir

UNIVERSITÉ BISHOP’S

Introduction aux changements climatiques

Les taux de réussite pour les demandes desubvention de recherche sont en chute libreau Canada. Or, ce sont les chercheuses etles jeunes chercheurs qui risquent surtoutd’en faire les frais. C’est du moins l’inquié-tude qui a été manifestée par certains obser-vateurs du milieu universitaire, lors d’un fo-rum sur la recherche organisé par la Fédéra-tion québécoise des professeures et profes-seurs d’université (FQPPU), le 23 octobredernier, à l’Institut de tourisme et d’hôtelle-rie du Québec.

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

L a baisse significative des taux de réussitepour les demandes de subvention constitue

un enjeu « fort préoccupant de la recherche uni-versitaire », a affirmé Louis Maheu, professeurémérite de l’Université de Montréal et coauteurdu livre Les grandes universités de recherche, pu-blié aux Presses de l’Université de Montréal(PUM). «Cette dimension est plus problématiquedans un contexte où il y a eu une croissance desef fectifs nationaux de professeurs-chercheurs de10% (entre 2007 et 2011), mais où il n’y a pasde croissance réelle, voire une décroissance du fi-nancement de la recherche universitaire. »

Des chiffres éloquentsEn 2005-2006, les Instituts canadiens de re-

cherche en santé (ICRS) avaient accordé unesubvention à un peu plus de la moitié des 2124demandes cotées 3,5 ou plus sur 5. Or, en 2014-2015, c’est seulement le quar t des 3991 de-mandes de même catégorie qui se sont vu oc-troyer un financement de la part des ICRS.

Au Conseil de recherche en sciences natu-relles et en génie (CRSNG), environ 84 % desquelque 3000 demandes de subvention à la dé-couver te ont reçu une réponse positive en2002, tandis que seulement près de 58 % des3500 demandes ont eu cette chance en 2011. Letaux de réussite pour les subventions ordi-naires de recherche du Conseil de recherchesen sciences humaines (CRSH) ont quant à euxchuté de 43 % en 2004 à 33 % en 2008, avant detomber à 27% en 2013, a constaté M. Maheu encroisant les données de différents rapports.

Les jeunes chercheurs pénalisés« Il y a un phénomène caché derrière ça qui est

très important : est-ce que ce phénomène atteint

toutes les générations et toutes les catégories deprofesseurs également ? On peut se poser de trèssérieuses questions », a-t-il commenté. En 2008-2009, le taux de réussite, pour les demandes desubvention ordinaire à la recherche auprès duCRSH, était de 40% chez les chercheurs confir-més et de 23 % chez les jeunes chercheurs. S’iladmet qu’il n’a pas réussi à trouver l’informa-tion similaire pour d’autres conseils subven-tionnaires ou d’autres années, cet indice lui faitcraindre le pire. « Le problème qui est derrièreça, c’est la question de la relève scientifique et dela vitalité du milieu», a-t-il souligné.

M. Maheu redoute de voir se reproduire auCanada un phénomène déjà observé aux États-Unis, où le soutien aux jeunes chercheurs s’estréduit comme peau de chagrin. Il a rappelé leschif fres issus d’un article publié dans le Pro-ceedings of the National Academy of Sciences ofthe United States of America (PNAS), qui dé-montrait que la proportion de chercheurs demoins de 36 ans, parmi les chercheurs finan-cés là-bas par les National Institutes of Health(NIH), est passée de 18 % à 3 % dans les deuxdernières décennies, alors que le nombre dechercheurs subventionnés de 66 ans et plus aaugmenté sur la même période. Les signa-taires de cet ar ticle, parmi lesquels on re-trouve un ancien président de la National Aca-demy of Science, une ancienne présidente del’Université Princeton et un ancien directeurdes NIH nobélisé, militent au sud de la fron-tière pour revendiquer un meilleur soutien dela relève.

« Il faut faire un ef for t majeur de ce côté,aler te M. Maheu. Il faut consolider la relèvescientifique en améliorant la condition des cher-cheurs en début de carrière. Pour ça, il faut allerbien au-delà des programmes ou des initiativesde lancement et d’installation de nouveaux cher-cheurs. On les lance, on les installe, mais à unmoment donné, il n’y a plus de ressources pourleur permettre de fonctionner dans la période deleur carrière où ils peuvent être très structurantspour le milieu. »

Les femmes désavantagéesNon seulement les jeunes professeurs se re-

trouveraient désavantagés, mais les jeuneschercheuses le seraient doublement, a ensuiteaffirmé Françoise Naudillon, vice-présidente del’Association des professeurs de l’UniversitéConcordia (APUC-CUFA). La professeuremène actuellement une étude sur la rechercheet le genre pour le compte de la FQPPU. En en-trevue avec Le Devoir, elle a précisé que, à la

suite d’un sondage qualitatif mené pour cetteétude, les jeunes femmes témoignaient, dansleurs réponses, de difficultés supplémentairespour avoir accès à des fonds pour financer leursrecherches.

Mais il y a plus. Lorsqu’on sépare « à lamain» les subventions accordées dans les cinqdernières années selon le genre des cher-cheurs qui les ont obtenues, les résultats préli-minaires montrent une tendance claire selon la-quelle ce sont « les chercheuses femmes qui sontle plus touchées par la baisse dans l’octroi dessubventions de recherche », principalementlorsqu’il est question des conseils subvention-naires allouant des sommes à la recherchedans le domaine des sciences pures.

« Il y a un effet cumulatif : les femmes sont déjàmoins nombreuses dans le corps professoral dansces domaines. En plus, le nombre de subventionsqu’elles reçoivent par rapport à leur nombre estencore plus diminué en pourcentage que celuides hommes. Il y a une espèce de plafond qui s’ag-grave quand on est en manque d’argent. »

En 2010, selon les dernières données de la

défunte CREPUQ, environ 34 % de l’ensembledes professeurs d’université étaient desfemmes. Elles ne constituaient par contre que18 % des professeurs en sciences pures, 19 %de ceux en génie et 23 % de ceux en sciencesappliquées. Or, avec la médecine, ces der-niers domaines reçoivent généralement unegrande part du gâteau dans le financement dela recherche.

Selon une étude du Comité sur le finance-ment des universités (CFU) de la FQPPU, 34 %du financement de la recherche universitaireau Québec, toutes sources confondues, allaitaux sciences pures et appliquées en 2009-2010.Quelque 42 % étaient versés aux sciences de lasanté durant la même année. Les arts, les let-tres, les sciences humaines et les sciences so-ciales, des disciplines où les femmes représen-tent une part relativement importante du corpsprofessoral, ne touchaient que 15 % des enve-loppes distribuées.

CollaborateurLe Devoir

FORUM SUR LA RECHERCHE

La relève scientifique fait les frais de la baisse des subventions

ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

«L’un descours portesur l’impactdeschangementsclimatiquessur les régionspolaires»