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RAPPORT DE RECHERCHE SUR LA SITUATION DES MAL ET NON VOYANTS DE L’ UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA Accessibilité aux filières de l’enseignement supérieur et perspectives d’autonomisation Casablanca le 31 mars 2014 Direction : Jamal KHALIL Chercheurs : Sana Benbelli ; Wassila Benkirane ; Amal Bousbaa ; Touria Houssam ; Khadija Louridi ; Bouchaib Majdoul ; Abdallah Zouhairi Recherche réalisée pour le compte de : L’ASSOCIATION MAROCAINE POUR LA READAPTATION DES DEFICIENTS VISUELS (AMARDEV) AU SEIN DE: LEQUIPE DE RECHERCHE : OBSERVATIONS SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES ET ETUDES REGIONALES, MEMBRE DU LABORATOIRE DE RECHERCHE SUR LES DIFFERENCIATIONS SOCIALES ET LES IDENTITES SEXUELLES RATTACHE AU CENTRE MAROCAIN DE SCIENCES SOCIALES CM2S. UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA.

Recherche réalisée pour le compte de · Dans ce sens, larticle 12 de la loi n°07-92 relative à la protection sociale des personnes handicapées, promulguée par le Dahir n° 1-92-30

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RAPPORT DE RECHERCHE SUR LA SITUATION DES MAL

ET NON VOYANTS DE L’UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA Accessibilité aux filières de l’enseignement supérieur

et perspectives d’autonomisation

Casablanca le 31 mars 2014

Direction : Jamal KHALIL

Chercheurs : Sana Benbelli ; Wassila Benkirane ; Amal Bousbaa ; Touria Houssam ; Khadija

Louridi ; Bouchaib Majdoul ; Abdallah Zouhairi

Recherche réalisée pour le compte de :

L’ASSOCIATION MAROCAINE POUR LA READAPTATION DES DEFICIENTS

VISUELS (AMARDEV)

AU SEIN DE: L’EQUIPE DE RECHERCHE : OBSERVATIONS SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES ET

ETUDES REGIONALES, MEMBRE DU LABORATOIRE DE RECHERCHE SUR LES

DIFFERENCIATIONS SOCIALES ET LES IDENTITES SEXUELLES RATTACHE AU CENTRE

MAROCAIN DE SCIENCES SOCIALES CM2S. UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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SOMMAIRE :

AVANT-PROPOS: .............................................................................................................................................. 3

LISTE DES ABREVIATIONS ...................................................................................................................... 5

INTRODUCTION ............................................................................................................................................ 6

I- RELATIONS FAMILIALES, AMICALES ET SOCIALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

1) MNV et lien familial ............................................................................................................................ 10

2) L’entourage social des NMV ............................................................................................................... 19

II- PERCEPTIONS PAR L’AUTRE ......................................................................................................... 24

1) Un être étiqueté : entre normal et anormal ........................................................................................ 24

2) De la déficience visuelle à l’infirmité globale .................................................................................... 26

3) Voir ceux qui ne voient pas ................................................................................................................. 29

III- CURSUS UNIVERSITAIRE : LE CHOIX DES FILIERES ..................................................... 33

1) Déficience visuelle :............................................................................................................................... 33

2) Compétences et performances ............................................................................................................ 36

3) Déterminants stratégiques ................................................................................................................... 38

VI- DE L’OAPAM A L’UNIVERSITE : LA TRANSITION DIFFICILE .................................... 46

1) De l’OAPAM à l’université : une transition contrariée .................................................................... 46

2) Montasser : une transition plus au moins rastaquouère ........................................................................... 53

V- UTILISATION DU BRAILLE ET DES NOUVELLES TECHNOLOGIES POUR LES

MNV: DES OUTILS POUR UNE APPROCHE PLUS AUTONOME ............................................ 57

1) L’univers de la communication tactile : les supports de lecture braille et de codage tactile ...... 58

2) L’univers de la communication sonore : les lecteurs d’écran et les logiciels de reconnaissance

vocale ............................................................................................................................................................... 62

VI- PEDAGOGIE ET ENREGISTREMENT DES COURS ............................................................... 67

1) Pédagogie différenciée : une garantie pour l’égalité de l’accès à l’information ........................... 67

2) L’enregistrement sonore : une stratégie d’accès aux apprentissages pour les étudiants-es en

situation de handicap .................................................................................................................................... 71

VII- DE L’AVENIR ET DE SA PERCEPTION CHEZ DES JEUNES MAL OU NON-

VOYANTS ......................................................................................................................................................... 75

1) De l’optimisme : étudier, travailler et vivre normalement ensuite. ............................................... 75

2) Un avenir sombre et incertain malgré le diplôme ............................................................................ 78

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3) A l’ avenir rien de nouveau ou le caractère « stationnaire » du futur ........................................... 81

4) L’avenir n’existe pas : un présent sans futur .................................................................................... 82

CONCLUSION ................................................................................................................................................. 84

ANNEXE : Tableau récapitulatif des MNV .................................................................................................... 87

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AVANT-PROPOS :

En décembre 2013, une première réunion a été organisée avec M. Rachid RIFAI,

Président de l’Association Marocaine pour la Réadaptation des Déficients Visuels

(AMARDEV), ainsi que Mme Catherine Maestraci, Mme Clara ELHAIMER à propos de la

situation des non et mal voyants à l’Université. Par la suite, une seconde réunion, plus élargie,

a été organisée le 17/12/2013 à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH). Elle

a associé M..Saad Lazrak, Mme Moukhabir et des chercheurs universitaires. L’objet étant de

mieux partager les attentes des membres de l’association avec les chercheurs.

Lors de cette réunion plusieurs questions relatives aux personnes en déficience

visuelle ont été soulevées : vécu quotidien, insertion à l’Université, problèmes de

communication, difficultés multiples rencontrées au sein et en dehors de l’Université,

utilisation des nouvelles technologies, absentéisme, relations avec les enseignants...

L’ensemble de ces problèmes rendant difficile l’insertion de ces étudiants dans

l’environnement universitaire, il a été décidé de mener une étude qualitative afin de mieux

comprendre les causes profondes des problèmes que rencontrent les déficients visuels au sein,

voire en dehors de l’Université. Cette recherche a été confiée à l’équipe de recherche :

Observations Socio-anthropologiques et Etudes Régionales (OSER), sous la responsabilité du

professeur Jamal KHALIL.

Une problématique de départ a été adoptée, quitte à l’améliorer par la suite. Elle a été

formulée de la manière suivante « Les non-voyants adoptent une posture d’assistés, puisque

c’est cette posture qui leur a permis et leur permet encore d’avoir un diplôme et un travail.

Est-il possible de les sensibiliser et de les diriger vers d’autres attitudes où ils seront plus

autonomes ? »

Sous la direction de Jamal Khalil une équipe de chercheurs, doctorants et de post

doctorants a été constituée : Sana Benbelli ; Wassila Benkirane ; Amal Bousbaa ; Touria

Houssam ; Khadija Louridi ; Bouchaib Majdoul ; Abdallah Zouhairi. Le travail collectif

organisé consistait en l’élaboration d’un protocole de travail, la construction des différents

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instruments de l’enquête qualitative ainsi que la démarche à suivre pour la rédaction du

présent rapport.

Par la suite il s’agissait d’entrer en relation avec les non et mal voyants (MNV) et

d’organiser les différents aspects de cette recherche.

La sensibilisation des chercheurs à cette problématique de recherche a débuté tout de

suite après. La construction des outils d’analyse s’est terminée le 12 janvier et le travail sur le

terrain a pu commencer le 13/1 en coordination avec Mme Moukhabir Pour la FLSH. Pour la

FSJES les contacts et la collecte des informations ont été établis de façon plus progressive.

Les entretiens avec la population concernée ont commencé le 13 janvier pour se

terminer le 12 février. Au départ 39 rendez-vous ont été pris avec les MNV. Au final 30

entretiens ont été réalisés. Leur retranscription s’est terminée le 8 mars. La production de ce

rapport a tenu compte non seulement de l’analyse des entretiens effectués mais aussi d’une

revue de littérature sur la question.

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LISTE DES ABREVIATIONS

CIDPH : Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées

CIH : Classification Internationale du Handicap

CM2S : CENTRE MAROCAIN DE SCIENCES SOCIALES

E.D.P.A : Etudes en Droit Public Arabe

E.AN : Etudes Anglaises

E.AR : Etudes Arabes

E.I : Etudes Islamiques

FLSH : Faculté des Lettres et Sciences Humaines

FSJES : Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales

Labo-DSIDS : Laboratoire de Recherche sur les Différenciations Sociales et les Identités

Sexuelles

MV : Malvoyant

MNV : Malvoyants et Non-Voyants

NV : Non-Voyant

OAPAM : Organisation Alaouite Pour la Protection des Aveugles

OSER : Observations Socio-anthropologiques et Etudes Régionales

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

UH2C : UNIVERSITE HASSAN II CASABLANCA

V: Voyant

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INTRODUCTION :

L’accès des personnes handicapées à l’enseignement est régi aussi bien par la

législation marocaine que par les conventions internationales ratifiées par le Maroc. La

convention la plus récente est relative à la Convention Internationale des Droits des Personnes

Handicapées (CIDPH) adoptée par le Conseil des Nations Unis le 13 décembre 2006, elle a

été ratifiée avec son Protocole facultatif le 14 avril 2009. Ce cadre normatif universel est une

base juridique permettant de combattre la discrimination fondée sur le handicap et de rendre

effectifs leurs principaux droits comme l’accès à l’enseignement stipulé dans l’article 24 de la

Convention. De plus, la nouvelle constitution marocaine de 2011 donne aux conventions

internationales ratifiées par le Maroc la primauté sur le droit interne du pays, une fois publiées

au Bulletin officiel. Dans son préambule, il est stipulé que le Royaume du Maroc s’engage à

« bannir et combattre toute discrimination à l'encontre de quiconque, en raison du sexe, de la

couleur, des croyances, de la culture, de l'origine sociale ou régionale, de la langue, du

handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit ». La non-discrimination basée

sur le handicap est ainsi encadrée par des normes universelles et nationales.

Et pour définir la notion du handicap, la loi n°07-92 ‘relative à la protection sociale

des personnes handicapées’ a défini le handicapé dans son article 2 comme: « toute personne

se trouvant dans un état d’incapacité ou de gêne permanente ou occasionnelle résultant d’une

déficience ou d’une inaptitude l’empêchant d’accomplir ses fonctions vitales, sans distinction

entre handicapés de naissance et ceux qui souffrent d’un handicap acquis ». Cette loi

différencie les personnes qui souffrent d’un handicap de naissance ou d’un handicap acquis.

Elle présente aussi le handicap comme le résultat d’une déficience permanente ou

occasionnelle qui empêche ces personnes d’accomplir certaines fonctions vitales. Et pour

spécifier les types d’incapacités qui découlent des déficiences, la Convention Internationale

relative aux Droits des Personnes Handicapées a présenté, dans son article premier, la

définition suivante sur les personnes handicapées : « on entend des personnes qui présentent

des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction

avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société

sur la base de l'égalité avec les autres ». Les principales incapacités des personnes

handicapées mises en avant par la Convention sont liées aux déficiences physiques, mentales,

intellectuelles ou sensorielles. Cette définition souligne aussi les barrières d’ordre

environnemental qui pourrait faire préjudice aux personnes handicapées. Afin de mieux

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cerner la notion de handicap, la Classification internationale du handicap (CIH)1, adoptée par

l’OMS en 1981 nous permet de comprendre l’évolution scientifique du handicap selon ces

trois niveaux : la déficience, l’incapacité et le handicap. Ceci dit, la déficience (Ex : lésion

physique) entraîne une incapacité d’assumer une fonction (Ex : fonction motrice). Et cette

incapacité entraîne à son tour un handicap qui est un désavantage social (Ex: ne pas pouvoir

remplir une tâche sociale).

Après avoir défini la notion du handicap en général, nous nous intéressons en

particulier au handicap lié à la déficience visuelle partielle ou totale. Nous rappelons que ce

type de déficience est régi par la loi n°05-81 ‘relative à la protection sociale des aveugles et

des déficients visuels’ qui est entrée en vigueur en 1989, sept ans après le dahir portant sa

promulgation (dahir n° 1-82-246 du 11 rejeb 1402 (6 mai 1982)). L’article 4 extrait de cette

loi informe que les aveugles et assimilés, porteurs d’une carte spéciale délivrée par

l’administration, bénéficient de l’affectation d’institutions publiques à leur éducation et leur

formation professionnelle en vue de les préparer aux métiers qui conviennent à leur état. Cette

protection juridique permet de garantir à ces déficients visuels des institutions publiques qui

leur permettent de se projeter dans un métier d’avenir le mieux adapté à leur déficience.

Toutefois la question de l’insertion de ces handicapés dans des établissements ordinaires ou

spécialisés reste divisée entre une approche favorisant l’égalité des chances à l’accès aux

établissements ordinaires ou la séparation de ces derniers dans des établissements spécialisés.

Dans ce sens, l’article 12 de la loi n°07-92 ‘relative à la protection sociale des personnes

handicapées’, promulguée par le Dahir n° 1-92-30 du 22 Rabie I 1414 (10 septembre 1993),

stipule ce qui suit : « Les handicapés suivent, chaque fois qu’il est possible, l’enseignement et

la formation professionnelle dans les établissements ordinaires d’enseignement et de

formation. L’administration procède, dans les limites de ses possibilités, à la création

d’établissement d’éducation, d’enseignement et de formation professionnelle spécialisés pour

handicapés. » D’après ce dispositif juridique, les personnes handicapées ont accès aux

établissements éducatifs ordinaires ou des structures spécialisées, mais cette orientation

scolaire reste liée à la mention « dans les limites de ses possibilités » qui pourrait

compromettre le choix de l’établissement.

1 Rapport de l’Organisation mondiale de la santé sur le handicap en 2011:

http://www.who.int/disabilities/world_report/2011/report/fr/index.html

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En plus du cadre normatif, le cadre sociologique nous permet de mieux comprendre

les notions de stigmatisation et de liminalité liées aux handicapés en général et aux déficients

visuels en particulier. D’après Goffman, les troubles de vision font partie des stigmates

corporels qui basculent l’individu dans un statut inférieur. La dysmétrie des positions entre les

voyants (les normaux) et les MNV (les stigmatisés) s’accentuent généralement dans les

interactions ‘mixtes’. Cependant, certaines impasses relevées par des chercheurs à partir de

démarches phénoménologiques ou de résultats de terrain ont montré une insuffisance de ce

cadre théorique. Dans certaines situations, il a été signalé que les handicapés ne vivent pas

exactement des situations d’exclusion ou de stigmatisation de la part des non-handicapés.

C’est ainsi que la théorie de la liminalité a été proposée par certains auteurs pour expliquer le

handicap comme une situation transitoire entre deux états de normal et d’anormal. Le concept

de liminalité a été élaboré par l’anthropologue américain Van Gennep (1909)2 dans son

ouvrage qui décrit les rites de passages. Le terme liminalité a son origine du latin limen qui

veut dire seuil. Pour Van Gennep, il existe trois grandes phases du rite : les rites pré liminales

(rites de séparation), les rites liminaires (rites de transition) et les rites post liminaux (rites

d’incorporation). Certains auteurs ont repris ce concept pour l’appliquer à divers objets de

recherche. Le handicap a été l’un des objets auquel ce concept a été appliqué d’abord par des

auteurs américains tels que Murphy(1988) 3

et ensuite en France par Calvez. La

liminalité «qualifie le moment où un individu a perdu un premier statut et n’a pas encore

accédé à un second statut ; il est dans une situation intermédiaire et flotte entre deux états »

(Calvez, 2000)4. Calvez (op.cit) utilise cette notion pour expliquer les situations de handicap à

cause de l’insuffisance du concept de stigmatisation chez Goffman ; tout en se référant aux

travaux de l’anthropologue Murphy qui est devenu tétraplégique. Calvez souligne aussi que la

situation de handicap peut créer aussi bien des sentiments d’exclusion que des sentiments de

compassion envers les personnes handicapées. Devant la possible « impasse » théorique pour

expliquer de telles situations, Calvez propose d’utiliser le concept de liminalité à la place de la

stigmatisation. La situation de liminalité que vit un handicapé peut ainsi être considérée

comme une « intégration inachevée » ou « un état de marge » selon les « variations

socioculturelles » qui concernent aussi bien la personne handicapée que son environnement.

2Gennep, A. V. (1909). Les rites de passage: étude systématique des rites. Librairie Critique Emile Nourry.

Paris. 3Murphy, R. F., Scheer, J., Murphy, Y., & Mack, R. (1988). Physical disability and social liminality: A study in

the rituals of adversity. Social science &medicine, 26(2), 235-242. 4Calvez, M. (2000). La liminalité comme cadre d'analyse du handicap. Prévenir, 39(2), 83-89.

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Dans ce présent rapport nous faisons aussi appel à ces notions théoriques pour

comprendre les rites de passage des MNV de l’institution familiale à l’institution scolaire puis

universitaire, tout en se projetant dans l’institution professionnelle.

La problématique de départ est la suivante : Les non-voyants adoptent une posture

d’assistés, puisque c’est cette posture qui leur a permis et leur permet encore d’avoir un

diplôme et un travail. Est-il possible de les sensibiliser et de les diriger vers d’autres attitudes

où ils seront plus autonomes?

Afin de vérifier si les étudiants MNV de l’université HassanII adoptent une posture

d’assistés, nous avons opté pour la démarche qualitative pour appréhender la logique des rites

de passage ; s’ils perpétuent la posture d’assistance ou au contraire ils favorisent la posture

d’autonomisation. D’ailleurs, les entretiens semi-directifs abordent le passage du cercle

familial au cercle scolaire, puis la transition de l’école à l’université, et finalement les

perspectives d’avenir des MNV du point de vue personnel et professionnel. Nous avons

réparti notre échantillon comme suit : 21 MNV de la Faculté des Lettres et Sciences

Humaines (FLSH) et 9 MNV de la Faculté des Sciences Juridiques et Sociales (FSJES). Le

choix de ces deux facultés est lié au fait que les MNV ont majoritairement un baccalauréat

littéraire qui ne leur offre pas la possibilité d’accès aux facultés des sciences.

Les différentes thématiques abordées traitent des relations des MNV avec leur

environnement familial, amical, scolaire, universitaire et les perspectives d’avenir se

rapportant à leur vie personnelle et professionnelle. Certes, le passage par l’université

constitue une étape intermédiaire importante vers le milieu professionnel, mais l’étude des

rites de passages allant de l’institution familiale, passant par l’institution scolaire et

universitaire s’avère indispensable pour l’orientation du métier d’avenir des MNV. L’objectif

de cette étude est de parvenir à déterminer l’ensemble des facteurs qui permettraient aux

MNV de sortir du cercle vicieux de l’assistance vers le cercle vertueux de l’autonomisation.

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I- RELATIONS FAMILIALES, AMICALES ET SOCIALES

Dans le présent travail, nous nous proposons de remettre en question cette emprise du

groupe sur l’individu (le MNV) en réinterrogeant la nature des rapports sociaux des MNV

avec leur entourage social. Pour ce faire, nous nous référons à la typologie dressée par

Paugam (2008)5 des liens sociaux en nous intéressant particulièrement au lien de filiation (les

origines familiales) et au lien de la participation élective (groupes d’appartenance : amis,

voisins, conjointes)6. L’appréhension de ses liens sociaux sera focalisée autour de la scolarité

des MNV. Plus particulièrement, il s’agit de comprendre en quoi la nature des rapports

sociaux peut-elle influer sur la scolarité des MNV, et dans quelle mesure la fréquentation des

établissements scolaires (OAPAM, faculté) permet-elle une prolifération du réseau social des

MNV. Nous nous proposons aussi de voir comment un MNV réagit face aux obstacles

rencontrés dans ses interactions sociales et interagit au sein des cercles sociaux (famille,

voisinage, relation d’amitié, etc.).

Nous faisons l’hypothèse que l’aide familial prend différentes formes et contribuent à

augmenter les chances des NMV d’avoir un parcours scolaire réussi. De plus, nous supposons

que la scolarité favorise la création et l’implication dans des réseaux sociaux constitué de

MNV, mais aussi de voyants des deux sexes. Enfin, nous présumons que l’effort individuel

fourni par un NMV joue un rôle indispensable dans son intégration sociale.

1) MNV ET LIEN FAMILIAL

1.1- ENTRE DISSOCIATION ET ASSOCIATION DU RAPPORT FAMILIAL : QUELLES

CONDITIONS ?

1.1.1 LE ROLE DES PARENTS : ENTRE INAPTITUDES ET ENCOURAGEMENTS

Des NMV récusent l’ignorance de leurs familles de la bonne manière de se comporter

avec eux. La tendance chez les parents est à se diriger vers deux extrêmes : gâter l’enfant et

créer chez lui un sentiment de dépendance, ou bien le marginaliser à cause de l’incapacité de

5S. Paugam, Le lien social, Paris, PUF "Que sais-je ?", 2008. 6 Paugam (2008) distingue quatre grands types de liens sociaux constituant le tissu social de l’individu : le lien

de filiation, le lien de participation élective, le lien de participation organique (l’apprentissage et l’exercice d’une

fonction déterminée dans l’organisation du travail) et le lien de citoyenneté (la reconnaissance de la souveraineté

du citoyen).

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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s’occuper de lui. Les deux cas de figures tendent à engendrer une désintégration sociale et un

manque d’autonomie chez le NMV, aussi bien durant son enfance qu’à à l’âge adulte. Un

NMV a plus de chance d’évoluer dans une ambiance saine et équilibrée s’il est issu de

parents ayant un niveau d’instruction élevé. Par contre, l’analphabétisme ou le niveau

intellectuel bas des parents sont considérés comme des facteurs compromettant la construction

d’une personnalité autonome chez l’enfant NMV, d’une part, et le bon déroulement de sa

scolarité, d’autre part.

« Imagine que mes parents sont analphabètes et influencés par les superstitions, ils sont préoccupés

par le gain matériel et ont du mal à communiquer même avec les voyants comment communiquer

alors avec les NV. Ces facteurs ont fait que je sois marginalisé dans ma famille. » (NV 15)

Ces facteurs favorisent aussi une tendance chez les parents à se diriger vers les

croyances superstitieuses, d’où le recours aux mausolées et aux charlatans. Les NMV sont

identifiés comme des personnes n’ayant pas joui de leur enfance marquée souvent par une

grande turbulence, vue l’effort incessant des parents pour que leur enfant récupère la vue.

Désespérés, ils frappent la porte de la science en recourant aux structures de santé

(consultations médicales régulières, opérations chirurgicales, etc.), ou encore font appel à des

pratiques superstitieuses, issue de secours susceptible de redonner un espoir que le monde

médical a bafoué.

« Lors de ma naissance, je pouvais voir normalement, mais le fait de tomber un jour m’a fait perdre

la vision. Ma famille a fait l’impossible pour que je puisse voir de nouveau, elle a fait le tour des

hôpitaux et des mausolées (sadat). Il faut que vous sachiez que la période d’enfance d’un NV ait lieu

dans les hôpitaux ou il est plus en contact avec les opérations chirurgicales et les médicaments. Un

NV ne joue pas assez et qu’il commence à fréquenter l’école à un âge avancé. » (NV 15)

Les croyances et les superstitions sont également avancées comme des causes du

manque de communication avec les parents. Ces croyances sont parfois relatives à des valeurs

comme la malédiction divine (balaa) se concrétise par le fait d’avoir un NV au sein de la

famille.

Cette perception négative du handicap de la part de la famille résume tous les aspects

de l’entité de l’individu à la cécité ou la déficience visuelle. Celles-ci sont conçues comme

des imperfections dont les retombées dépassent le côté physique pour impacter même le côté

intellectuel du MNV, condamné inéluctablement à l’échec, notamment scolaire. Les

stéréotypes relatif à l’inutilité des études pour un NV sont souvent présents dans l’entourage

familial des interviewés. Ils sont véhiculés par des proches ou encore intériorisés par les

parents. Croire en l’incapacité du NMV d’avoir un parcours scolaire réussi perpétue

l’invalidité de ce dernier et renforce chez lui l’image dichotomique des voyants (productifs,

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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actifs, ayant un rôle au sein de la famille et la société) et des non-voyants (inutiles, passifs, un

fardeau pour la famille et la société).

« Dans ma famille, plusieurs personnes disent à ma mère « pourquoi tu l’as mis à l’école ? », j’ai

entendu une fois de mes propres oreilles un membre de la famille dire à ma mère en Tachelhit « tu

vas épuiser toute ta santé pour Moustapha l’aveugle, pourquoi tu dépenses toute cette énergie pour

l’instruire, tu n’auras aucun résultats car même les voyants ne réussissent pas les études ». Au début

même mon père ne croyait pas que je pouvais étudier et il a été contre mon inscription à l’OAPAM.

Mes tantes sont également contre mes études car dans leur perception un NV ne peut rien faire, ne

peut rien réussir et ne pourras jamais avoir un statut dans la société. « (NV 26)

Outre le niveau d’instruction des parents, qui peut être qualifié de facteur ‘objectif, un

autre facteur ‘subjectif’ a été également soulevé par les interviewés. Ce facteur est relatif aux

attentes des parents et à l’encouragement familial des MNV. En effet, plus les parents ont des

attentes élevées par rapport à la scolarité de leur enfant, plus le NMV est incité à investir dans

ses études et à déployer des efforts pour réussir.

« C’est la patience et le soutien de mes parents, de mes frères et sœurs et de mes proches qui

m’aide à aller de l’avant et à surmonter les obstacles. C’est leur soutien qui me motive et me

pousse à aller de l’avant, c’est ce qui me pousse à être à la hauteur de leurs attentes et à avoir

leur bénédiction. « (MV 1)

L’engagement des parents marque souvent le projet d’éducation de leurs enfants. Cet

engagement se manifeste tout au long de la scolarité du MNV. Il prend toute son ampleur en

cas de rupture des études par le MNV. Reprendre ses études (retour à l’école, préparation d’un

diplôme libre) est souvent attribué aux encouragements et au soutien parental qui incite les

MNV à aller de l’avant, à surmonter leur handicap, mais aussi de vaincre le pessimisme quant

à leur avenir.

Toutefois, les encouragements seuls n’impliquent pas systématiquement un

développement chez le MNV des habilités de base de l’autonomie, nécessaires non seulement

durant l’enfance, mais également à l’âge adulte (quitter la maison des parents, se marier,

employabilité future). En effet, certains parents font preuve d’une surprotection de leurs

enfants d’où la restriction de leur mobilité spatiale.

« Je viens tôt, mais parfois je ne viens pas. Lorsque mon papa ne m’accompagne pas. Et il ne

me laisse pas venir dans le bus. J’ai peur, et ma famille ne m’encourage pas. Parfois ma mère

m’accompagne. En plus, j’ai deux bus, c’est difficile de venir seule. Je prends le bus parfois

dans le retour lorsque mes amies sont avec moi. (MNV 21)

Je n’ai pas de problèmes avec la famille. C’est vrai, on ne me laisse pas sortir. Je n’essaie pas de

les défier, je préfère respecter ce qu’ils me disent. » (NV 22)

Certains MNV se montrent dociles et ne montrent aucune résistance quant aux

décisions de leurs parents. Ceci se manifeste plus chez les filles non-voyantes dont la mobilité

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est souvent dépendante de l’accompagnement de l’un des membres de leurs familles. Cette

dépendance est inculquée depuis leur petite enfance ce qui la rend évidente même à l’âge

adulte. Dépendre de sa famille pour se déplacer légitime le refus parental quant à l’accès à

l’espace public. Cet accès devient une phobie pour une MNV d’où l’absence d’un réseau

social et l’exclusivité du cercle familial.

La restriction de la mobilité spatiale n’est qu’un aspect de la soumission et de

l’aliénation à la famille. La dépendance peut être perpétuée par la famille, volontairement ou

involontairement, en empêchant le MNV de remplir certaines tâches. Ceci contribue à étaler

la dépendance sur d’autres aspects de la vie d’un NMV qui se trouve dépossédé du moindre

rôle au sein de la famille.

« Les marocains sont très bons mais c’est à double tranchant, je les excuse, même mon père, en ce

moment, je file avant qu’il me voit, je ne sors pas quand il est là, il n’aime pas savoir que je suis à

l’extérieur seul, je l’excuse, mais au fond de moi, je ne peux rien lui dire, quand je veux ranger ma

couverture il me dit laisse faire ta sœur, je me tais je ne peux rien répondre, (ta nehchem mennou),

quand je veux aller au bain je file le matin. » (NV 2)

1.1.2 REUSSIR SA VIE : C’EST AVANT TOUT UN EFFORT PERSONNEL

Certes, le soutien des parents permet aux NMV d’avoir une image positive d’eux-

mêmes, d’avoir un parcours scolaire réussi et d’être autonomes. Mais les NMV interviewés

soulignent aussi la portée incontournable de leurs efforts personnels dans la concrétisation de

leurs objectifs et leur l’intégration sociale. Cet effort personnel se traduit par une volonté de

surmonter l’image socialement pré-établie attribuant aux MNV un ensemble de stéréotypes

négatifs (passivité, inutilité, paresse, incapacité de réussir sa vie) prédestinant à l’errance ou à

la mendicité, moyen unique de survie.

« Dans la famille comme dans mon entourage, il y a des personnes qui pensent et croient que NV est

une personne normale qui peut vivre comme les autres mais il y a également ceux qui pensent qu’un

NV ne sert à rien, qu’il sera toujours un fardeau sur la famille et la société. »(NV 26)

« Les marocains ont intériorisés l’image du non voyant comme mendiant, une personne qui ne fait

rien, une personne qui doit se contenter d’apprendre le Coran. » (MV 13)

Cette perception stigmatisante est susceptible d’affecter les NMV affectés d’où leur

tendance vers l’isolement, la crainte du rejet, le manque de confiance en soi, etc., Toutefois, la

primauté de la perception des autres sur l’identité sociale est parfois remise en cause. En effet,

des interviewés mettent en avant l’effort fournie pour franchir l’image négative socialement

pré-construite.

« Même si les autres me disent parfois que je serai incapable de faire telle ou telle chose de réaliser

tel ou tel objectif, je ne les écoute pas parce que je sens que je suis capable d’aller très loin, je suis

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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capable de réaliser tout ce que je veux et même plus, il me faut juste la persévérance et la volonté

c’est tout, il est inutile d’avoir un rêve sans essayer de le concrétiser, donc je dois faire en sorte de le

réaliser. Seule la volonté et la persévérance déterminent notre réussite dans la vie. »(MV 1)

La stigmatisation dans l’entourage familial et social amène les NMV à relever le défi

d’infirmer les stéréotypes leur sont attribués. La participation du NMV à des activités

nécessitant une vision (un MNV qui exerce le football), l’instauration de nouvelles relations

sociales permettant de s’ouvrir sur le monde des voyants, la persévérance dans les études sont

autant de comportements qui visent à changer les attitudes et les croyances ancrées dans son

entourage familial.

1.2-DES RAPPORTS FAMILIAUX DIFFERENCIES

1.2.1 UNE RELATION ‘NORMALE’, HARMONIEUSE ET SOUDEE

Le rapport à la famille est souvent décrit comme étant ‘normal’ et basé sur le respect

mutuel entre le MNV et sa famille. les interviewés soulignent que ce respect n’est pas

systématique, il dépend surtout de l’attitude respectueuse du NMV à l’égard de ses proches

qui lui doivent à leur tour une réciprocité du comportement. La stabilité et l’harmonie de la

relation familiale sont fondées également sur la prise de conscience des parents que les NMV

ont des besoins spécifiques, d’une part, et de ces derniers qu’ils ont des devoirs et des

obligations vis-à-vis de sa famille.

La cécité accidentelle ou tardive est vécue comme un événement malheureux et un

moment de crise mobilisant une grande solidarité familiale. Le soutien moral et affectif de la

part de la famille aide fortement le NV à surmonter le choc et à s’adapter à la nouvelle

situation. L’adaptation passe avant tout par une implication du NMV dans un cursus scolaire

destiné exclusivement aux NMV (l’OAPAM).

« Quand j’ai perdu la vue, je suis devenu plus aimé de mon entourage, on a essayé de me

soutenir, c’est vrai que c’est choquant au début mais après je me suis habitué, je trouve cela

ordinaire. » (MV 12)

L’aide familiale prend différentes formes, elle peut se présenter sous formes de

services ou de soutien moral. Pour ce qui est des services, certains sont fournis par les parents

(accompagner le NMV à l’école, faire le trajet avec lui jusqu’à la faculté, l’accompagner aux

arrêts de bus et l’y attendre au retour, le déposer à l’école par le biais d’un moyen de transport

personnel, lui lire les cours, etc.), la fratrie ( déposer le NMV à la faculté, l’accompagner le

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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jour de l’examen comme ‘rédacteur’, lui lire les cours, etc.), ou encore par l’épouse (déposer

le NMV à la faculté).

« «Mon seul problème c’est l’écriture que je ne vois pas, je n’avais pas de problème avant, mais c’est

à la fac ou j’ai senti que j’avais un problème, au collège ma mère m’aidait à lire les leçons ; ma

mère ou mon père prenaient des leçons chez d’autres élèves et me les ramenaient. » (MV8)

« Je me déplace sans grand problème, des fois ma mère m’attends à l’arrêt de bus pour

m’accompagner, des fois je rentre seule. » (NV 10)

« Je me réveille tôt le matin, je fais ma prière, prend mon petit déjeuner, prendre le bus à l’heure

mais dernièrement c’est ma sœur qui me dépose le matin à la faculté parce qu’elle vient d’avoir une

voiture. » (MV1)

« Je demande parfois au prof de passer l’examen sous forme oral sinon je ramène ma sœur qui est

au bac pour me servir d’écrivain durant les examens. « (MV 6)

« Je prépare ici avec les filles ou à la maison, il y’a ma sœur qui m’aide à la maison elle me lit

l’imprimé. » (NV 7)

Outre les services, le réseau familial peut apporter un support affectif et moral pour

que le NMV soit entouré d’amour et d’affection. Ce support se traduit de diverses façons :

écoute, présence effective de la personne aidante, notamment lors des moments difficiles

(cécité tardive, échec scolaire, moment des examens, etc.), réconforter, encourager, conseiller,

etc.

1.2.2 Distance et concurrence dans le rapport familial

Le rapport des NMV avec leurs familles semble être affecté par la distance spéciale

imposée parfois par la scolarité. En effet, pour pouvoir poursuivre leurs études, des MNV sont

contraints de vivre loin de leurs familles, d’évoluer durant une période considérable de leur

vie tout en étant éloignés de son réseau familial. L’internat de l’OAPAM et la cité

universitaire représentent deux lieux où des MNV, durant une longue période, mènent tous les

aspects de leur existence en dehors du giron familial. Le contact avec la famille se limite aux

weekends et parfois aux périodes des vacances scolaires. Cet éloignement dû à la scolarité

influe de façon différenciée sur le rapport entretenu avec la famille. D’un côté, la limitation du

contact peut parfois avoir un effet positif : moins le contact est établi avec les proches, moins

les conflits familiaux surgissent. Par ailleurs, la distance favorise l’affection et l’hospitalité

familiale lors des visites des NMV. D’un autre côté, l’éloignement spécial, peut avoir un

impact sur lien affectif entretenu avec les proches d’où le sentiment chez certains NMV d’être

étrangers au sein de leurs propres familles. Le retour à sa famille après une interruption des

études ou lors du passage de l’OAPAM à la faculté accentue les problèmes familiaux.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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« Moi je suis actuellement dans la cité universitaire ce qui fait que je ne vois ma famille qu’au cours

du Weekend. Ma famille a toujours du mal à accepter que je vive loin d’elle bien qu’elle soit à

Casablanca aussi. Elle apprécie beaucoup les vacances d’été parce que je les passe avec eux. » (MV

13)

« Je ne communiquais pas assez avec les membres de ma famille parce que j’étais un étranger pour

eux au regard de la grande période passée à l’internat. Lorsque j’ai quitté l’internat, je me suis senti

comme un orphelin qui recourt à eux pour m’adopter à contre-gré. » (NV 15)

Entre les deux extrêmes (harmonie/conflits), il existe également une situation

intermédiaire qui neutralise le rapport à la famille en le dépouillant de sa dimension affective

pour le réduire à un espace destiné à la satisfaction des besoins élémentaires. Le contact à la

famille n’est pas subjectif (amour, tendresse, conflit, haine, etc.), il est plutôt pragmatique se

tissant par nécessité. La réalisation de l’individu, ses objectifs, ses interactions, voire même

son existence se concrétisent dans la sphère publique.

« Je me rendais chez ma famille pour manger, boire, dormir, passer les moments de vide, les

moments où je n’ai rien à faire, mais si j’ai quelque chose à faire je sors à l’extérieur, je sors à la

société. » (MV 14)

Le handicap peut aussi créer une sorte de concurrence au sein de la famille, que ce soit

entre le MNV et sa fratrie ou les proches appartenant à la même génération que lui (cousins,

cousines). Une volonté d’être meilleur parfois accompagnée d’un sentiment de supériorité par

rapport aux proches voyants est que les proches voyants. Certains MNV manifestent un

sentiment de concurrence avec la fratrie ou les proches appartenant à la même génération

qu’eux. Le meilleur est celui qui est en mesure d’atteindre ses objectifs, mais surtout d’aboutir

à une satisfaction personnelle de ses propres réalisations. Réussir ses études ou occuper un

poste de travail n’équivaut pas forcément à une réussite de la personne.

« Ma famille était plus ou moins aisée ce qui a permis à mes frères et sœurs d’occuper de bon postes

mais ils ne sentent pas qu’ils sont arrivaient à avoir ce qu’ils veulent, la scolarisation ne leur a

permis pas d’atteindre leurs objectifs. » (MNV 15)

Monotonie et conformisme vont à l’encontre de la passion et la quête de la différence. La

cécité est identifiée comme un vecteur positif qui favorise cette quête et augmente ses

chances d’avoir un parcours distingué de celui des ‘normaux’. Les études prennent le sens du

défi et de la passion dont la finalité dépasse l’intégration professionnelle ultérieure. Elles

visent plutôt un épanouissement personnel.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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1.3-VERS LA VOIE DE L’AFFIRMATION

1.3.1 JE SUIS ‘REVOLUTIONNAIRE’ DONC J’EXISTE

La reconnaissance familiale est souvent favorisée par la conformité des MNV à la

ligne de conduite attendue surtout par leurs parents. Toutefois, la quête de la reconnaissance

peut se traduire autrement. À l’encontre de la soumission traduisant une ‘loyauté ’vis-à-vis

des parents, une autre attitude existe une autre non pas par la soumission mais par la

‘révolution’. Elle traduit ce que Hirschman (1995)7 qualifie de ‘prise de parole traduisant une

réclamation de la différence, une manifestation de l’existence et une revendication du droit

d’expression.

« La marginalisation au sein de ma famille a fait que je sois révolutionnaire (tawri) pour leur dire

que j’existe et que j’ai le droit de m’exprimer au sein de la famille. Ma famille n’a pas apprécié bien

évidemment mes attitudes et a considéré que j’étais une malédiction (bala’a). Elle n’a pas reconnu

qu’elle a une part de responsabilité et qu’elle n’était pas bien préparée pour prendre en charge un

handicapé avec des moyens et un niveau culturel limités. Ils étaient très surpris le jour où ils m’ont

vu sur la télévision lors de ma participation au championnat arabe à Tunisie….Je ne me retrouvais

pas dans la vie et j’étais capable de tout faire pour vivre avec dignité ou ne pas vivre. C’était un défi

pour moi." (NV 15)

La révolution prend toute son ampleur lorsque les parents n’arrivent pas à comprendre

les attitudes des MNV. L’absence de compréhension est relative à l’incapacité des parents à se

rendre compte du ressenti du NMV, sa perception de lui-même, de sa famille et sa perception

des autres. L’agitation/ l’hyperactivité (charab) et la désobéissance des parents sont décrits

comme des comportements normalisés qu’un enfant, voyant ou non, manifeste durant son

jeune âge à l’encontre de l’autorité parentale. Contrairement à ses comportements, ‘la révolte’

(tawra) connote une visée de changement du rapport NMV/ famille, un repositionnement du

NMV au sein de la famille et un changement de la perception et des attitudes adoptées par les

proches à son égard.

‘La révolution’ donne sens à l’existence du NV et refaçonne sa conception des études

jusqu’alors poursuivies par obligation ou interrompues pour heurter les parents. La scolarité

requiert désormais un autre sens et une autre valeur. Elle devient une voie vers l’affirmation

en tant qu’individu à part entière, capable de réussir et défier des obstacles que les voyants

n’affrontent pas. Réussir ses études à l’école ou en candidat libre est une source de fierté

7 Hirschman, A. O. (1995). Défection et prise de parole. Paris : Fayard.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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personnelle mais aussi de valorisation devant la famille. Confiance, respect, reconnaissance

sont autant de propriétés qui s’instaurent au fur et à mesure de l’avancement de ses études

pour mettre en place des rapports harmonieux entre un NMV et sa famille.

1.3.2 DISPOSER DE RESSOURCES FINANCIERES

Les études s’avère être le chemin principal assurant une indépendance financière à

l’âge adulte. Être autonome financièrement permet à un NMV d’avoir une reconnaissance au

sein de sa famille. Deux voies permettent d’accéder à cette autonomie : intégrer le monde du

travail, ou bien bénéficier d’un agrément de transport, octroyé au MNV au regard de son

‘handicap’. Ces deux cas de figure permettent de repositionner la place du NMV au sein de la

famille et de réordonner ses rapports antérieurs avec les membres de sa famille.

« Je connais personnellement des NV qui ont travaillé avec l’échelle 10 et ont eu des agréments. Ils ont

pu avoir un pouvoir et une valeur au sein de leurs familles parce que désormais ils détiennent l’argent

et sont devenus une source financière pour leurs familles. » (NV15)

1.3.3 L’INVESTISSEMENT DE CHAMPS D’INTERET DIVERS

L’affirmation des MNV se concrétise aussi par la pratique du sport, remporter des

prix, l’engagement dans le monde associatif en vue de défendre les droits des MNV, ou

encore en militant pour une intégration professionnelle. Faire des études est un facteur qui

favorise l’implication des MNV dans ces activités sportives, culturelles et associatives

traduisant la volonté des MNV d’aller au-delà de l’image socialement pré-construite. En effet,

la persévérance dans les études est une façon de défier les stéréotypes attribués aux NV et un

moyen permettant d’être traité comme une personne ‘normale’. Elle permet de positiver son

handicap, d’avoir des objectifs dans la vie et une vision optimiste de l’avenir. Une quête de

conquérir le statut de personne ‘normale’ se traduit par le fait d’agir en tant que telle

(diversifier ses cercles, s’impliquer dans des activités diverses, etc.), et de là amener les autres

de se comporter de la sorte.

1.3.4 DE LA FAMILLE A LA CONSTRUCTION D’UNE AUTRE FAMILLE

Les interactions sociales des NMV ne se limitent pas à la sphère de la parenté, elles sont

également nouées dans le cadre des relations conjugales. En effet, nombre de nos interviewés

sont mariés avec des femmes voyantes, certains sont père d’un enfant. L’intérêt porté au

rapport entre le NV et son épouse est relatif plus précisément à l’influence de la relation

conjugale sur la poursuite des études universitaires des NV. Le rapport à l’épouse est

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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caractérisé par le respect mutuel. L’épouse est identifiée comme une personne compréhensive,

mature, encourageant le MNV à poursuivre ses études universitaires.

« Toute personne sur le point de se marier cherche un partenaire qui comble ses défauts et ses

lacunes, chose que j’ai faite moi aussi, je lui demande par exemple de me préparer le dossier mais

c’est moi qui me déplace pour rencontrer les responsables… la maturité de ma femme a contribué à

ce que je lui raconte tout parce que je sais qu’elle est compréhensive. » (NV 15)

« J’ai trouvé des difficultés avec ma femme à cause des appels des étudiantes qui sont avec moi à la

faculté. Parce que moi aussi je les appelle pour me renseigner sur le début des cours, l’inscription, le

résumé des cours mais ma femme n’apprécie pas parfois. Mais malgré cela je comprends qu’elle soit

jalouse mais j’essaye de lui faire comprendre la situation. » (NV 14)

Outre les encouragements, l’aide peut être concrétisée par le bais de services (déposer

le NMV) et l’accord d’être en contact avec des étudiantes. Bien qu’ils soient unis à des

femmes voyantes, la tendance chez les NMV est d’assumer leur part de responsabilité dans la

gestion des tâches relatives à la vie conjugale.

2) L’ENTOURAGE SOCIAL DES NMV

2.1- DU DEDANS AU DEHORS

Une dichotomie est toujours établie entre l’intérieur (le lieu d’habitation) et l’extérieur (le

quartier, l’école, la rue, la faculté, etc.). Toutefois, l’opposition n’est pas relative à l’espace

mais à la nature des interactions caractérisant ces espaces. En effet, si les rapports dans le

réseau familial sont harmonieux, concurrentiels et parfois conflictuels, les rapports dans

l’espace public sont décrits comme étant marqués par une perception de victimisation. Ce

sentiment est récusé par les interviewés parce qu’il perpétue les positions inégalitaires

(supérieur/ inférieur) et renforce la différence entre les individus (normaux/ stigmatisés).

2.1.1 LES RELATIONS DE VOISINAGE : UNE TENDANCE VERS LE RETRAIT

Contrairement à l’école et la faculté, le quartier est un espace où les attitudes à l’égard des

NMV sont fondées sur le sentiment de pitié et de sous-estimation. Le rapport avec les voisins

est souvent distant est marqué par une relation de respect. Ce respect est dit ‘construit’ par le

NMV à travers la gestion de ses relations de voisinage (maintien de relations distanciées avec

les voisins, se limiter aux salutations usuelles, nouer des relations d’amitié en dehors du

quartier, etc.).

« J’ai une bonne relation avec les autres Dieu merci, je n’ai des conflits avec personne…Tout le

monde se comporte bien avec moi, il y a un respect partagé, si je me respecte et je respecte les

autres, je suis convaincu que les autres aussi vont me respecter. » (MV1)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Le respect s’impose aussi aux voisins lorsque le NMV incarne un profil spécifique se

traduisant par des comportements particuliers (bien parler, avoir une bonne démarche, exercer

ses activités sportives en dehors du quartier, etc.), une attention particulière accordée à son

vestimentaire et un engagement dans un parcours scolaire réussi (avoir son Baccalauréat et

poursuivre ses études universitaires). Le retrait des NMV des relations de voisinage est

expliqué par le désir de séparer vie sociale et vie privée en vue de préserver le statut de

personne ‘mystérieuse’ identifiée par les voisins à travers un élément objectif : sa cécité ou sa

déficience visuelle.

« Je ne tisse pas de relation dans le quartier. Les voisins me voient uniquement lorsque je sors ou je

rentre chez moi. Un ami doit être toujours très loin de moi sinon il me cassera la tête en frappant à

ma porte à chaque fois alors que moi lorsque je rentre c’est pour se reposer et dormir…je préfère

rester une personne mystérieuse pour les autres, tout ce que les autres sauront de moi et que je suis

une personne aveugle et le reste, mon emploi, ce que je fais doit demeurer inconnu pour eux…cela

me permet d’être toujours une personne respectée par les autres, personne n’osera m’aborder

(yz’am a’lik). » (MV 14)

Toutefois, il arrive que des NMV soient exposés à des comportements de la part des

voisins en vue de les ridiculiser et les intimider.

« Dans le voisinage, dans mon quartier, même avec ceux qui étaient avant mes copains, avec lesquels

je jouais avant, cela fait maintenant quatre ans que j’évite de parler avec eux ou même de passer

devant eux car ils me ridiculisent, ils peuvent me demander combien de doigts ils ont pointé, où se

trouve telle ou telle personne tout en sachant que je suis NV ou bien me frapper et me dire que ce

n’est pas eux qui l’ont fait. » (NV 26)

2.1.2 L’ECOLE : LE LIEU PRIVILEGIE DES RELATIONS D’AMITIE

Les NMV interviewés déclarent avoir rencontré la plupart de leurs amis à l’école

(OAPAM). Les relations d’amitié nouées perdurent généralement même à la faculté. Les

études universitaires, quant à elles, permettent de faire également de nouvelles connaissance

en s’ouvrant plus sur le monde des voyants. La faculté est identifiée comme un espace

distingué des autres (rue, quartier, etc.) car les NMV y sont traités de la même façon que les

personnes voyantes vu l’absence du regard de victimisation.

2.2 LES RELATIONS D’AMITIE SE CREENT !

2.2.1 FAIRE LE PREMIER PAS : ALLER VERS L’AUTRE

La difficulté d’instaurer des relations d’amitié est relative à un manque de connaissance

chez les voyants de la bonne façon d’aborder les NMV, de se comporter avec eux d’où un

certain malaise qui régit généralement le contact des voyants avec les NMV. Par ailleurs, il

arrive que les voyants associent la cécité ou la déficience visuelle à d’autres imperfections

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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(surdité, mutisme) ou à des stéréotypes attribués aux NMV (agressivité, susceptibilité). La

prise de conscience de cet obstacle chez les personnes voyantes amène un NMV à être le

premier à initier le contact et qui prend l’initiative de se rapprocher de l’autre.

« Si je suis assis seul à une table à la buvette par exemple, je peux vous assurer que personne ne

viendra me parler ou me demander quelque chose, si je ne le fais pas moi, je reste seul. Je peux vous

dire même, quand je suis avec un ami à la buvette et qu’une autre personne arrive, elle ne m’adresse

jamais la parole directement même s’il s’agit d’une question qui m’intéresse ou qui me concerne

personnellement. C'est-à-dire s’il veut savoir ma filière, il demande à celui qui est à côté de moi : » il

étudie dans quelle filière ? » Sans m’adresser la parole car parfois ils ont l’impression qu’on est

incapable aussi de parler. C’est quand je lui réponds et que je lui pose aussi des questions pour briser

ces frontières qu’il commence à me parler directement. Dans mes relations avec mon entourage,

qu’il soit à la faculté ou partout dans la ville, Il faut dire que si j’ai un grand nombre d’amis et amies

à la faculté et ailleurs, c’est dû en premier lieu à un effort personnel. Je suis une personne très

sociable, Je fais toujours le premier pas vers l’autre. Les autres ne viennent pas comme ça pour

parler à un non voyant. » (NV 25)

Le rapprochement s’instaure et se renforce progressivement par le biais du contact

régulier. Un NMV actif se trouve solliciter par les autres pour leur rendre certains services, ce

qui lui procure un sentiment de fierté et lui permet de bénéficier à son tour des services qui lui

sont fournis en cas de besoin. Cette réciprocité dans les services démolie l’image négative

pré-construite sur les NMV pour instaurer une nouvelle dont les principales caractéristiques

sont l’autonomie, la persévérance et la capacité de réaliser ses objectifs.

« Je travaille tout seul ou avec un groupe d’amis mais comme je t’ai dit, pour travailler avec les

autres étudiants, je dois avoir un minimum de savoir à partager aussi. Donc je fais un effort double

de travail et de recherche sur internet pour construire des savoirs à partager car je ne peux baser ma

relation avec les autres étudiants sur la passivité. Je ne peux pas demander d’eux plus que je ne peux

leur donner, par exemple si on a prévu de travailler ensemble une matière, on partage les tâche et

chacun de nous prend la responsabilité d’expliquer aux autres la partie qu’il a pris en charge. » (NV

25)

Aller vers l’autre ne se fait pas uniquement pour changer les perceptions sur les NMV.

C’est un effort qui vise à créer une adaptation chez les autres, à les amener à changer même

leurs comportements vis-à-vis du MNV, et de là assurer son intégration au sein du groupe et

son implication dans les activités sociales. Créer de nouvelles relations sociales passe tout

d’abord par une acceptation du MNV de sa cécité ou sa déficience visuelle pour qu’il puisse

être en mesure d’en parler aux autres, de leur expliquer comment se comporter avec lui et de

les amener à concevoir ce qu’ils font non pas en termes de pitié mais de devoir.

2.2.2 LE RECOURS A DES STRATEGIES

Des NMV recourent à certaines stratégies pour instaurer des relations sociales.

L’objectif est d’élargir son réseau social en vue d’atteindre un objectif : réussir ses études

universitaires. Ces stratégies visent à rendre avantageux le stigmate de la cécité ou la

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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déficience visuelle qui sont utilisées pour tirer certains profits de la relation sociale (un bon

déroulement de sa scolarité, avoir de bonnes notes, etc.). L’une des stratégies adoptée consiste

à tenir caché son statut d’homme marié.

« Les filles sont plus affectueuses, elles s’engagent plus surtout lorsqu’il s’agit d’écrire à un non-

voyant le jour de l’examen. Par contre, les garçons non, ils trouvent toujours des excuses (sommeil,

rendez-vous avec quelqu’un), ils ne s’engagent pas. Une fille lorsqu’elle fait cela, c’est pour faire

une action caritative (khayr) mais en même temps il se peut qu’elle se dise ou qu’elle croit qu’il y a

possibilité que je sois l’homme de sa vie, son mari. Donc si je révèle que je suis marié, je brulerai mes

cartes et personne ne m’aidera par conséquent. Je sais que c’est une tromperie (ihtyal) mais bon, moi

je le fais, comme les personnes voyantes, les non-voyants eux aussi se permettent de cacher des

choses sur eux pour garder le contact avec l’autre. » (MV14)

Le but de cette stratégie est de maintenir l’aide des étudiantes susceptibles d’être

affectée en cas de découverte de son statut matrimonial d’homme marié. La logique de cette

stratégie est fondée sur l’idée que des attentes intéressées (mariage) sous-tendent l’aide des

étudiantes (transmission de l’information sur l’horaire des cours, des examens, des

rattrapages, résumé et explication des cours, enregistrement des cours, etc.). Cette stratégie

vise donc à préserver cette aide ‘féminine’, d’autant plus que les étudiantes sont identifiées

comme sérieuses, ponctuelles et plus engagées dans l’aide des étudiants NMV.

Une autre stratégie consiste à ne pas baser la relation avec autrui sur la passivité.

Autrement dit, la relation peut être crée et maintenue si elle est basée sur un rapport de don et

de contre-don. Des NMV soulignent l’importance de donner pour recevoir, d’aider pour être

aidé. Le premier cas de figure réfère à l’échange des services entre le NMV et les autres,

tandis que le deuxième renvoie à offrir des dons un étudiant voyant (inviter à un café ou à un

déjeuner, lui apporter des cadeaux) en contrepartie de ses services (lecture ou explication des

cours, accepter d’être son rédacteur le jour de l’examen, etc.).

Finalement, l’appréhension du rapport entre scolarité et lien social révèle qu’il s’agit

de deux axes étroitement liés. Le va et vient entre ces deux axes permet, d’une part, de rendre

compte de l’importance du lien social dans la réussite scolaire MNV et dans la prolifération

de leurs cercles sociaux. La scolarité, de sa part, favorise la création de nouveaux rapports

sociaux et le maintien des anciens. Outre l’école, elle favorise aussi une ouverture sur d’autres

espaces : plus un NMV est intégré dans des réseaux d’amis, plus il est mobile dans l’espace

(pratiquer du sport, fréquenter des associations, voyager en groupe, etc.).

La conjonction de ces autonomies repositionne la place du MNV au sein de sa famille

et de son réseau relationnel en lui conférant un pouvoir et une valorisation, d’une part, et en

facilitant son passage de la sphère privée à la sphère publique. Afin de vérifier si la perception

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des autres facilitent l’autonomie des MNV ou au contraire elle pérennise leur assistance, nous

allons étudier dans le chapitre suivant en quoi la perception des autres pourrait compromettre

la vision de l’autonomie chez les déficients visuels.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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II- PERCEPTIONS PAR L’AUTRE

Ce chapitre se propose d’analyser les perceptions sur les personnes souffrant d’un

handicap visuel. Dans les discours recueillis sur les perceptions, nous avons remarqué qu’il

n’y a pas de différence entre un non voyant et un mal voyant. Les perceptions sont construites

face au handicap visuel en général.

1) UN ETRE ETIQUETE : ENTRE NORMAL ET ANORMAL

Le premier point que nous analysons dans la perception de l’autre sur le MNV est la

distinction entre personne normale et personne anormale. Le MNV se sent anormal parce

qu’il est traité comme tel. La personne non voyante est rapportée en contradiction avec

personne normale et non pas avec personne voyante. Le handicap visuel fait du MNV un être

qui n’est pas comme les autres d’où sa qualification d’anormal. Ce préjugé pousse les

étudiants à ne pas aller vers un MNV et donc à garder cette vision stigmatisante à son égard.

Sa différence des étudiants « normaux » dépasse, pour eux, son incapacité de voir. Son

handicap visuel s’étend pour atteindre ses capacités mentales qui sont qualifiées d’

« anormales ». Cette extrapolation du handicap visuel à celui mental sert mieux la

catégorisation du MNV loin du monde des « normaux ».

« Au lycée, nous étions renfermés et non pas ouverts sur notre environnement. De temps en

temps, on nous ramenait des gens de la société civile pour nous visiter, telle une visite dans un

zoo. C’est comme si nous étions une espèce d’animaux protégés. » (MV17)

« A la fac, les étudiants ont des préjugés un peu durs. Ils ont des préjugés qui les empêchent

d’aller, et de faire le premier pas vers le NV. Pour eux un NV n’est pas seulement quelqu’un qui

a un handicap visuel mais ils vont plus loin que cela, ils pensent qu’il peut être anormal et qu’il

peut avoir des capacités mentales anormales. (NV25)

Cette attitude stigmatisante8 envers le MNV le pousse à vouloir s’en démarquer ce qui rend sa

vie plus difficile encore. Ce sentiment d’infériorité par rapport aux étudiants voyants peut

même créer un complexe chez le MNV. Il l’amène à faire des efforts dans le but d’être

considéré comme une personne « normale »9. Quand il s’agit d’un mal voyant, il essaie de ne

pas être reconnu en tant que tel. Il cherche à cacher son handicap pour être perçu en tant que

8 - Goffman, E. (1975). Stigmates. Les usages sociaux des handicaps. trad. Fr. Paris. Ed. Minuit. (Ire éd. 1963). 9 - Becker, H. (1985). Outsiders. Études de sociologie de la déviance, trad. de l'américain par J. P. Briand et J.-

M. Chapoulie, Paris, Métaillé.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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personne capable de voir comme les autres. Ceci fait qu’un MNV en général vit mal son

handicap puisque ce dernier n’est pas socialement accepté ni facilement toléré.

« Je vais vous dire une chose, tout non voyant est complexé, il ne faut pas se faire des illusions en

pensant que le contraire est juste. C’est vrai qu’ils sont parfois extravertis mais chacun a un

complexe spécifique. Les mal voyants par exemple font tout vraiment tout pour se prendre pour des

personnes normales capables de voir comme les autres. Ce comportement en lui-même est un

complexe…moi non plus, je n’apprécie pas le fait que je sois non voyant ». (MV13)

Parmi les facteurs qui accentuent cette distinction entre normal et anormal, il y a le

passage par l’OAPAM. Un MNV y passe la plupart de son temps ce qui l’éloigne de sa

famille. Cet éloignement donne au MNV le sentiment d’être étranger dans sa famille. Ce

sentiment est si fort chez le MNV qu’une fois de retour chez ses parents, il perd le sentiment

d’appartenance à sa famille. D’un côté, il quitte un endroit où il était toujours en présence de

personnes ayant le même handicap que lui et donc qui se comprennent bien et se sentent

« normaux » entre eux. De l’autre côté, il rejoint sa famille qui n’a pas les compétences qu’il

faut pour le comprendre et lui faciliter la vie. Ceci fait que le MNV se sent tel un « étranger »

dans sa famille, voire un « orphelin » qui est « adopté » mais non désiré.

« Je ne communiquais pas assez avec les membres de ma famille parce que j’étais un étranger pour

eux au regard de la grande période passée à l’internat. Lorsque j’ai quitté l’internat, je me suis senti

comme un orphelin qui recourt à eux pour m’adopter contre leur gré. Mais après ils ont compris que

moi aussi je suis un être humain, j’ai un avis et une existence dans la société… ». (NV15)

Un autre facteur faisant que le MNV est considéré comme une personne anormale est

qu’il passe une enfance différente. L’enfant MNV ne joue pas comme les autres enfants

puisque la conception de son handicap dans la société, surtout la famille, est dramatisante. Il

vit son enfance loin des autres enfants « normaux ». À force de veiller sur l’enfant MNV et

de vouloir le protéger, la famille le prive de pouvoir s’intégrer avec les « autres » enfants.

Après cet isolement, il passe à l’OAPAM qui est considéré en tant qu’ « endroit fermé ».

L’organisation est citée en opposition au monde des personnes voyantes. Elle est le monde

des MNV qui les isole de l’autre monde ce qui augmente l’écart entre handicapés et

« normaux ». Lorsque le MNV devient étudiant à la faculté, il se heurte à une nouvelle réalité

qui le met dans le monde des normaux. De ce fait, il se sent différent, inférieur et marginalisé

puisque ce monde n’est pas le sien auquel il s’est habitué. Il se sent comme un intrus qui est

sous le regard des autres. Son handicap lui procure un sentiment d’infériorité qui le pousse à

réagir négativement et à ne pas s’adapter à cette situation à laquelle il n’a pas été habitué ni

même pas initié.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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« Pour que la personnalité de l’enfant soit équilibrée, il est indispensable qu’il dort bien, mange de

façon équilibrée et joue suffisamment. Les NV n’ont pas ces trois facteurs parce qu’ils ne jouent pas

assez et fréquente un endroit fermé par la suite qui est l’organisation. L’accès à la faculté équivaut

l’accès au monde des personnes voyantes ce qui crée chez le NV un sentiment que tout le monde le

regarde, qu’il est marginalisé, qu’il est perçu comme un non humain, qu’il est inférieur par rapport

aux voyants, et du coup il fuit la réalité ou commence à se comporter de façon antipathique ».

(NV15)

La succession des événements non intégrateurs dans la vie du MNV fait de lui une

personne anormale. C’est la vision que lui reflète la société autour de lui. Une vision qu’il

vient justement d’un autre monde chose qu’il reçoit et qui le rend indigné.

« Il n’y a pas de différence entre V et NV. Les NV ne sont pas des extraterrestres! » (NV23)

D’autres réactions visent à montrer aux « autres » que le MNV est aussi une personne

« normale ». Ce sont des actions qui rendent le MNV visible dans la société. Des actions pour

se prouver et prouver à la société qu’un MNV est une personne « capable » de se prendre en

charge et même d’aider les autres y compris les personnes voyantes.

« Un jour moi aussi j’ai aidé personnellement une étudiante qui avait du mal à voir, je lui ai payé les

consultations et les lunettes médicales. Ces gestes te permettent de sentir que tu es capable de donner

et de recevoir, que tu es une personne normale d’une façon plus claire. » (NV15)

Mis à part cette distinction entre personne normale et anormale à laquelle le MNV est

souvent confronté, une autre perception est présente dans son entourage social. Celle de

considérer que le MNV est une personne qui n’est capable de rien faire.

2) DE LA DEFICIENCE VISUELLE A L’INFIRMITE GLOBALE

Le MNV est une personne qui a un handicap visuel mais qui est perçue comme une

personne polyhandicapée. Il souffre physiquement d’un seul handicap et socialement d’une

perception qui conjugue en lui plusieurs handicaps. Le MNV, du fait qu’il est classé

« handicapé », est qualifié de victime « mskin مسكين » qui manque de capacités. Le MNV est

« une personne qui ne voit pas, c’est tout ! » toutefois, cette incapacité de voir est vue en tant

qu’incapacité totale.

« Je suis contre l’appellation d’Handicapé. Je pense qu’il ne faut plus utiliser le mot

Handicapé. Qu’est-ce qu’un non voyant ? C’est une personne qui ne voit pas, c’est tout !

Lorsqu’on monte dans le bus, les gens commencent à parler de nous en menant un discours de

victimisation et en parlant à haute voix comme si on est sourds alors qu’on est uniquement

incapables de voir. Ce discours me fait rire. Je vous assure que 70% des marocains ne savent

rien sur la situation des non-voyants. » (MV13)

Dans ce passage, le MNV est considéré comme ne pouvant ni voir ni bien entendre.

Dans le passage qui suit, son handicap visuel est aussi extrapolé vers d’autres handicaps. Il est

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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considéré comme incapable d’entendre une question et d’y répondre. Ceci est plus frappant

venant d’un étudiant universitaire envers un MNV aussi étudiant universitaire. Cette

perception qui part du handicap visuel pour considérer une personne en tant qu’incapable voir

infirme est donc inconsciemment intériorisée. Le fait de ne pas adresser la parole directement

au MNV alors qu’on parle de lui et en sa présence suscite un grand étonnement de la part de

ce dernier. C’est un incident qui est assez fréquent et qui pousse le MNV à prendre la parole

et à répondre à la question qui est sensée lui être destinée. Sa prise de parole est une façon de

se révolter et de faire savoir qu’un MNV est capable d’entendre, de comprendre et de parler

sans qu’on parle à sa place.

« Par exemple si je suis debout avec un voyant et il y’a quelqu’un qui arrive et ne t’adresse pas la

parole et demande à l’autre « demande lui si elle veut ça »comme si moi je n’entendais pas (rire) ; il

ne te parle pas directement, par exemple quand il y’a un prof qui arrive il demande à l’autre « dis-

lui si elle a compris » » ! (MV6)

« Je peux vous dire même, quand je suis avec un ami à la buvette de la faculté et qu’une autre

personne arrive, elle ne m’adresse jamais la parole directement même s’il s’agit d’une question qui

m’intéresse ou qui me concerne personnellement. C'est-à-dire s’il veut savoir ma filière, il demande à

celui qui est à côté de moi : « il étudie dans quelle filière ? » Sans m’adresser la parole car parfois ils

ont l’impression qu’on est incapable aussi de parler. C’est quand je lui réponds et que je lui pose

aussi des questions pour briser ces frontières qu’il commence à me parler directement. » (NV25)

Pour le MNV, cette perception qui fait de lui un infirme, incapable sur plusieurs plans

n’a pas de raisons d’être. Il ne comprend pas pourquoi les personnes voyantes et surtout les

étudiants n’arrivent pas à bien comprendre la nature et les limites de leur handicap qui ne

dépassent pas la vue. Le MNV déclare avec ironie que perdre la vue ne signifie nullement être

une personne infirme. Cette situation pousse le MNV à vouloir corriger cette perception et à

saisir les occasions pour le faire. Le MNV se trouve souvent à la fois obligé et désireux de

briser l’image qui fait de lui une personne polyhandicapée, dès que l’occasion se présente à

lui.

« Moi quand j’ai une occasion de le faire comme la dernière fois le prof me l’a demandé et j’ai parlé

en public devant mes camarades ça m’a plu, pour qu’ils voient que tu es une personne normale. Tu

n’as plus la vue mais tu as encore une bouche, des oreilles, des jambes… (rires) » (NV2)

A un autre niveau, cette fois-ci en lien avec les capacités mentales, le MNV est

considéré comme n’ayant pas de compétences. Son handicap visuel est extrapolé vers celui

mental. Ceci est d’autant plus difficile à accepter par le MNV quand il émane d’une personne

responsable et en contact direct avec les MNV.

« Ils ont également des stéréotypes, pour certains un non voyant est un attardé mental, ils ne sont pas

habitués à le voir dans l’espace public. » (NV25)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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« En ce qui concerne les comportements, il y avait un professeur au lycée qui répétait tout le temps

que les non-voyants sont tous des débiles, jusqu’à présent je n’arrive pas à comprendre ce

professeur. » (MV13)

« Mais le problème, c’est qu’ils croient que l’OAPAM est une école pour les fous. » (NV24)

Toujours dans cette perception qui fait du MNV une personne infirme et incapable,

nous relevons l’aspect de la prise en charge totale. Face à cette attitude réductrice de ses

capacités, le MNV se sent comme un petit enfant envers qui on adopte un discours simpliste

ou une personne folle qui est sensé peu comprendre.

« Mais pour la perception de la société, tu sens que les autres te facilitent l’information comme si tu

étais un petit enfant ou une personne folle. Mais par rapport à une autre société comme la Tunisie

(suite à un voyage avec les NV du centre de kinésithérapie), ils sont plus ouverts et plus tolérants

envers les NV. Il y avait même des cadres NV qui donnent des directives aux V. » (NV23)

Dans le même sens, quand un MNV fait quelque chose des plus simples et des plus

ordinaires, il est pris pour « un génie ». Ceci révèle que dans les perceptions des autres, il est

sensé ne rien savoir, ni pouvoir faire. Le MNV est une personne qui reste dans un monde à

part et qui ne peut pas faire ce que les « normaux » fassent. C’est une personne qu’on imagine

dans les écoles coraniques et nulle part ailleurs.

« Pour les gens on doit encore poursuivre l’enseignement des écoles coraniques « lmsid لمسيد », des

fois un non voyant fait des choses simples comme la manipulation d’un téléphone et on le prend pour

un génie. » (Entretien 12)

« Ils ont une perception du mal voyant qui étudie et qui reste isolé dans les mosquées et les zaouïas. »

(Entretien 25)

Le MNV est également une personne qui ne mérite pas qu’on « gaspille » de l’argent

et de l’énergie pour elle. On voit en le MNV quelqu’un qui ne peut rien faire et qui n’a pas

d’avenir et donc il serait inutile de vouloir l’inscrire à l’école et de croire qu’il pourrait réussir

ses études. Les gens ne sont pas habitués à voir un MNV étudier et réussir ses études parce

qu’ils manquent d’informations sur le handicap visuel. Ils montrent leur surprise en sachant

qu’un MNV fait des études et des études universitaires en plus.

« Dans ma famille, plusieurs personnes disent à ma mère « pourquoi tu l’as mis à l’école ? », j’ai

entendu une fois de mes propres oreilles un membre de la famille dire à ma mère en Tachelhit « tu

vas épuiser toute ta santé pour l’aveugle, pourquoi tu dépenses toute cette énergie pour l’enseigner,

tu n’auras aucun résultat car même les voyants ne réussissent pas les études ». Au début même mon

père ne croyait pas que je pouvais étudier et il a été contre mon inscription à l’OAPAM. Mes tantes

sont également contre mes études car dans leur perception un NV ne peut rien faire, ne peut rien

réussir et ne pourra jamais avoir un statut dans la société. » (NV 26)

« Je choque les gens en leur disant que je fais des études, c’est un « problème » de te voir manipuler

le téléphone ou l’ordinateur, perdre la vue n’est pas grave » (MV11)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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L’infirmité dans laquelle on imagine le MNV atteint son extrême lorsqu’on croit qu’il

n’est pas capable de manger tout seul. Cette perception montre à quel point la situation de la

personne handicapée n’est pas socialement connue. Cette « ignorance » exprimée au MNV le

choque et le laisse perplexe devant une telle injustice qui le met dans les rangs des infirmes. Il

se sent sous-estimé sans raisons.

« On nous aide, en fait des fois on nous sous-estime en nous aidant à descendre les marches par

exemple, on sent qu’on ne peut rien faire, un non-voyant peut se débrouiller ! (MV11)

« Un exemple pour t’illustrer que nous sommes renfermés et qu’ils nous ont encerclé dans ce monde,

un jour une fille au lycée m’a demandé : Comment faites-vous pour reconnaître l’endroit de la

bouche lorsque vous mangez? La question elle-même te montre que la personne est ignorante. »

(MV17)

« Je ne comprends pas pourquoi la société ne tolère pas le NV ! Ils ont l’impression que le NV est

une personne qui n’est même pas capable de mettre la nourriture dans la bouche. Alors que nous

somme normaux, il y a juste la vue qu’on n’a pas ! » (NV24)

3) VOIR CEUX QUI NE VOIENT PAS

Les images que les personnes voyantes se font des MNV relèvent d’un étiquetage10

plutôt

stigmatisant. Ces images parfois mitigées peuvent se concrétiser en comportements envers le

MNV. Ces comportements révèlent au MNV qu’il est sous-estimé et qu’il suscite des

sentiments tels que la pitié.

« Il y a certains qui ont une vision de pitié (ʃafaqa شفقة ), d’autres une vision satirique (suxrija سخرية ) et une autre catégorie de respect ( iħtiram احترام ). Mais c’est la pitié qui domine. » (NV22)

Selon les perceptions des gens, le MNV est une pauvre personne dont la vie est

malheureuse. C’est une personne qui déclenche tous les sentiments de pitié et de compassion

dès qu’on la voit. Cette image que les personnes voyantes reflètent aux MNV est mal acceptée

et mal vécue par ces derniers. Cette image est en effet réductrice de la personne du MNV.

C’est un étiquetage commun qui ne tient pas compte de la différence entre les MNV et qui a

tendance à les noyer tous dans une réalité unique. Le MNV est contraint de subir cette

pression qui réduit ses capacités et le remet à une place qui n’est pas la sienne. Quand des

expressions de pitié lui sont adressées, il en souffre en silence tout en ayant une forte envie de

réagir et de montrer qu’il n’est pas une pauvre personne.

« Le regard des gens est plein de compassion/pitié et ça fait mal, le truc qu’on appelle « msan lħamd

» tu es dans le bus ,(«! un bruit qu’on fait avec la bouche avant de dire « le pauvre) « مسان الحامد

10 - Becker, H. (1985). Outsiders. Études de sociologie de la déviance, trad. de l'américain par J. P. Briand et J.-

M. Chapoulie, Paris, Métaillé.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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mta, mskin مسكين», moi je ris mais au fond de moi, c’est…j’ai envie de lui dire « qui te dit que je

suis à plaindre? », les marocains sont de bonnes personnes mais c’est à double tranchant » (NV2)

Cette pitié exprimée au MNV le met mal à l’aise, il n’apprécie pas d’être vu de la sorte

et déteste même l’expression avec laquelle on le qualifie de « pauvre personne »

(mskin En plus des paroles que le MNV reçoit et qui montrent qu’on a pitié de lui et .(مسكين

de sa situation, il y a les comportements envers lui. Le MNV, selon les perceptions, est une

personne anormale et donc qui nécessite un comportement « spécial ». Se comporter

différemment avec le MNV lui rappelle sa déficience et accentue son handicap. Il préfère que

les gens se comportent normalement avec lui ce qui l’aiderait à mieux s’intégrer socialement

et à pouvoir développer ses compétences.

« Ma relation avec la famille et les voisins était normale. Mais moi je n’appréciais pas qu’on me

traite avec un comportement spécial, je n’aimais pas cela. Et le mot que je détestais le plus quand je

l’entendais c’était le pauvre ( mskin مسكين ), je détestais entendre ce mot. » (MV16)

La pitié s’avère être un sentiment que le MNV suscite chez toute personne avec qui il

rentre en contact même les professeurs. Il se peut que le comportement d’un professeur avec

un MNV soit caractérisé par une certaine compassion envers lui du fait de son handicap

visuel. Dans ce cas, le MNV se voit avantagé par rapport aux étudiants voyants.

« Il y a des enseignants qui nous traitent avec compassion/de la pitié (lˤaʈifa العاطفة), il peut pendant

l’oral se dire cet étudiant est NV, je vais l’aider un peu. » (NV2)

Un MNV nous confirme que même dans le cas du recrutement des MNV par l’Etat, la

pitié y est pour quelque chose. Offrir un poste de travail à un MNV est souvent un acte de

charité. Ce poste est attribué pour garantir un salaire mensuel et non pas pour que le MNV

effectue un travail donné. Ainsi ce fait est plutôt marginalisant à l’égard du MNV et confirme

encore une fois que les représentations sociales sur les handicapés visuels font circuler sur eux

des images d’impuissance et d’incapacité.

« Quand tu intègres le marché du travail, tu vas t’asseoir, ils te donnent un bureau, Tu y viens

chaque jour sans rien faire (titi nini تيتي نيني ), c'est-à-dire, tu ne fais pas… c'est-à-dire l’Etat te fait

de la charité en t’offrant un poste mais elle te marginalise en même temps, c'est-à-dire, tu ne te sens

pas acteur dans ton domaine ou ta spécialité… » (NV29)

Une autre image attribuée au MNV est celle de la mendicité. Parce qu’on a peut-être

déjà vu un MNV mendier, les gens généralisent à tous les MNV surtout que cela coïncide très

bien avec l’image d’incapable que les gens ont tendance à associer à toute personne non

voyante.

« Les gens pensent que les MNV sont des mendiants » (MV6)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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La mendicité est tellement liée à la situation du MNV qu’elle ne nécessite pas l’action de

mendier. Voir un MNV est une raison suffisante pour penser qu’il est mendiant et pour lui

donner de l’argent comme don de bienfaisance sans même « attendre » qu’il le demande.

Cette charité se fait dans une volonté d’aide et de bienfaisance innocente certes mais blessante

en même temps pour le MNV.

« Je ne sais pas encore comment les gens me voient de loin mais quand ils s’approchent (

lħamdulilah الحمد هلل ) c’est bien, une fois dans le bus, je me suis installé et une dame qui était assise

de l’autre côté a donné un dirham au receveur et lui a demandé de me le donner, je l’ai pris et je l’ai

embrassé et lui ai demandé de le lui rendre, elle m’a dit non tu le prends, j’ai dis non tu le reprends,

moi j’ai pas de problème, j’ai compris mais un autre l’aurait sûrement insulté, oui il l’aurait insulté,

moi je l’excuse car elle ne sait rien mais je voulais lui montrer que ça ne se fait pas comme ça une

autre fois elle doit réfléchir avant, je l’ai excusé car elle est bonne c’est une femme âgée et elle ne sait

rien, elle l’a fait de bonne foi, un autre l’aurait insulté, moi je l’ai excusée. » (NV2)

Une autre image qui ressort des représentations sur les MNV est celle relative à

l’assistanat. Les MNV sont perçus en tant que personnes qui ont besoin d’être assistées en

permanence. Le MNV est confronté à l’aide imposée par les personnes de son entourage. Il

est mis sans cesse en situation de défense pour prouver sa capacité à vivre sans être tout le

temps assisté. Il se trouve contraint à adopter l’attitude « voice »11

pour expliquer et faire

arrêter l’effet de cette perception sur lui. L’aide tout le temps offerte au MNV l’étouffe et le

prive de se sentir libre et autonome. Il doit montrer aux autres que la perte de la vue

n’implique pas autant de dépendance. Ainsi le handicap visuel peut même ne pas marquer de

différences entre un MNV et une personne voyante en termes de compétences.

« Tous les voisins se comportent bien avec moi. Leur contact avec moi est basé surtout sur la

compassion à cause de mon déficit visuel, ils pensent que j’ai besoin d’une aide permanente. En

général, en se rendant compte d’être face à un non voyant, toute personne tendra à se comporter avec

compassion, mais il revient à nous de lui montrer qu’on est capable d’être comme elle et même

meilleure qu’elle. (MV1)

Si le MNV peut expliquer à son entourage qu’il n’a pas besoin d’être assisté, il ne peut

le faire avec les membres de sa famille. La volonté d’assister le MNV par les membres de sa

famille n’est pas motivée seulement par le sentiment de compassion. En famille, le MNV a

une place plus importante qu’avec des voisins ou des connaissances. Ce qui motive les

membres de la famille c’est leur amour envers le MNV et aussi. On ne veut pas que le MNV

ait de la peine à faire quelque chose parce qu’on pense qu’il souffre déjà de son handicap.

C’est une façon aussi de faire attention à lui pour lui éviter tout risque possible. L’attitude du

MNV, dans ce cas, diffère de celle face aux autres personnes de son entourage. Il choisit

11 - Hirschman, A. O. (1970). Exit, voice, and loyalty: Responses to decline in firms, organizations, and states

(Vol. 25). Harvard university press.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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l’ « exit »12

pour éviter la confrontation puisqu’il est conscient que c’est l’aspect affectif

envers lui qui pousse les membres de sa famille à vouloir l’assister.

« Je les excuse, même mon père, en ce moment, je file avant qu’il ne me voit. Je ne sors pas quand il

est là. Il n’aime pas savoir que je suis à l’extérieur seul, je l’excuse, mais au fond de moi, je ne peux

rien lui dire. Quand je veux ranger ma couverture, il me dit laisse faire ta sœur, je me tais je ne peux

rien répondre (ta nħʃam mnu تنحشم منو ). Quand je veux aller au bain je file tôt le matin avant qu’il

ne se réveille. (NV2)

Les perceptions sur les MNV vont dans le sens de l’infériorité par rapport aux

personnes voyantes. Elles révèlent la croyance en l’incapacité physique et mentale d’un

déficient visuel. Ces perceptions jouent un rôle non négligeable dans la vie d’un MNV. Elles

sont responsables de son enfermement sur lui-même et ne permettent pas son intégration saine

au sein de la société ni la compréhension par les membres de cette dernière de la nature de sa

situation de handicap visuel. En plus de ces stigmatisations sociales, nous cherchons à

connaître s’il existe des clichés qui stigmatisent le choix de filières pour les MNV ou ils sont

plutôt libres dans leur choix du cursus universitaire.

12

- Hirschman, Ibid

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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III- CURSUS UNIVERSITAIRE : LE CHOIX DES FILIERES

L’accès aux études supérieures est régi par des lois d’égalité des chances au niveau

international et il est soutenu par les textes relatifs aux droits de l’homme et les conventions

sur les droits des personnes handicapées. Toujours en termes d’accessibilité et de choix des

études, le progrès technologique, au niveau mondial, a changé la donne pour les étudiants en

situation de handicap et un grand nombre d’établissements d’enseignement et de formation,

publics et privés, se sont dotés des moyens nécessaires facilitant l’accès aux études et

élargissant ainsi le choix des filières et des métiers d’avenir. Cependant, le choix de la filière

d’études dans le supérieur n’est pas toujours chose aisée aujourd’hui, surtout que dans ce

cadre de formation plutôt libre, l’étudiant ne peut compter que sur lui-même, ses propres

compétences et ses motivations. A cette étape du cursus, l’étudiant est considéré comme

entrant dans l’âge adulte et donc libre de ses choix et entièrement responsable de ses projets

de formation et à visée professionnelle.

Notre enquête auprès d’un groupe d’étudiants MNV inscrits en licence fondamentale

au sein de la FLSH dans les filières d’études islamiques, études arabes et études anglaises, et

de la FSJES dans la filière de droit public arabe vise à comprendre le comment et le pourquoi

de la transition secondaire-universitaire et à préciser les conditions d’orientation vers les

filières choisies.

Les résultats que nous présenterons dans ce chapitre se basent principalement sur les

questions ciblant les raisons du choix de la filière d’étude. D’autres informations ‘relatives au

profil personnel, au cursus scolaire antérieur et à l’intérêt pour le diplôme universitaire’

apportent des éléments complémentaires qui pourraient renforcer les résultats de l’analyse

et/ou permettre d’autres interprétations. Afin de faciliter l’analyse des informations relevées

dans les questionnaires, nous allons les accompagner de données chiffrées relatives aux points

suivants :

- Type de déficience visuelle vs possibilités d’orientation

- Prérequis et compétences post secondaires vs projets et souhaits d’études

- Stratégies d’orientation vs débouchées métiers possibles

1) DEFICIENCE VISUELLE :

Parmi le groupe d’étudiants enquêtés, il y a des personnes malvoyantes (MV) et d’autres

non-voyantes (NV). D’après Pierre Griffon, formateur et psychologue clinicien spécialisé

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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dans la rééducation des personnes déficientes visuelles (APAM-France), ces deux catégories

sont bien distinctes et ont des conséquences différentes. Pourtant, il a observé que la société et

la loi ne font aucune distinction entre les déficients visuels et utilisent les mots ‘’cécité’’ et

‘’aveugle’’ pour qualifier des personnes qui présentent pourtant différents types d’atteinte de

la vue réparties en catégories selon le degré de déficience.

« Pour un grand nombre de personnes on est voyant ou l ‘on est aveugle, et si l‘on est aveugle cela

veut dire que l'on est un handicapé de la vue, sans que la nature et la gravité de la déficience et du

handicap soient clairement définies » 13

La malvoyance doit être mieux connue afin d’être appréhendée de façon correcte et ne

pas être assimilée à la cécité :

« Si la cécité est le fait de n’avoir aucune perception visuelle, la « mal voyance », pourtant plus

courante, est une notion moins connue et plus complexe. Sous des formes diverses, le plus souvent

évolutives, elle engage l’acuité visuelle et/ou les atteintes du champ visuel. »14

Cette connaissance corrigerait la représentation que les autres se font de la déficience

visuelle et induirait un comportement et un traitement plus juste et moins stigmatisant. Elle

permettrait également la mise en place de moyens adéquats, souvent déjà existants ou intégrée

à la technologie utilisée à l’université mais non exploitée par ignorance comme les

agrandisseurs ou les dessins en relief. Le guide d’accompagnement cité plus-haut (CPU,

2012) expose divers outils et moyens adaptés aux personnes déficientes visuelles et parle de

mesures de compensation auxquelles ont droit les personnes en situation de handicap mises en

place parallèlement aux mesures d’accessibilité qui sont d’ordre plus général et bénéfique

pour tout public.

Ces études permettent d’avancer qu’il existe différentes possibilités pour chaque

catégorie qui ouvrent les portes à des choix plus larges et plus en compatibilité avec leurs

besoins spécifiques et pouvant correspondre à leurs souhaits ou projets d’orientation.

Parmi les 30 étudiants en situation de handicap visuel de notre enquête, il y a presque

autant de MV que de NV (14 malvoyants et 16 non-voyants) mais ils sont tous logés à la

même enseigne.

13 GRIFFON, P. Déficiences visuelles : pour une meilleure intégration. C.T.N.E.R.H.I. 1995 14

CPU. Conférence des présidents d’université. Guide de l’accompagnement de l’étudiant handicapé à

l’université. Paris : CPU/Paris : Crédit coopératif, 2012

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

35

Le non-respect de cette différence représente une situation handicapante pour ce

public. Les étudiants MNV se réorientent suite à des difficultés qui auraient pu être

surmontées si l’environnement et les moyens technologiques le permettaient.

« Au début, je ne voulais pas faire la filière des Etudes Islamiques. Je suis allé à la fac de Ben M’sik

pour faire l’histoire-géo, mais j’ai reçu l’appel d’un ami qui m’a averti qu’un étudiant qui a fait la

même filière n’était pas autorisé à continuer les études, sous prétexte qu’ils vont se baser sur des

documents visuels alors qu’il est NV » (NV26)

Nous pouvons avancer que la déficience visuelle est déterminante dans le choix des

filières mais nous ne pouvons ignorer que l’ignorance et l’absence d’aménagements et de

matériels d’accessibilité ont une grande part de responsabilité et font de l’environnement un

élément handicapant dans la vie universitaire des MNV. Nous remarquons aussi que cette

situation limite le choix bien avant l’université :

« Quand j’étais voyant, je voulais faire Sciences Maths parce que j’étais brillant en Maths. Le

professeur m’avait dit il fallait renforcer le français. Mais quand j’ai perdu la vue, j’ai tout

abandonné. Mais pour l’orientation dans le lycée, on m’a dit qu’il n’y avait pas la possibilité

d’étudier Sciences Maths. Donc, j’ai fait lettres parce que je n’avais pas le choix » (NV 24)

Ainsi l’inexistence d’un équipement matériel et technologique adapté a banni les

études techniques et scientifiques du cursus secondaire de l’unique établissement public

spécialisé pour les déficients visuels, l’OAPAM, d’où sont majoritairement issus ces

étudiants. Le handicap visuel devient discriminant.

47%

53%

Type de déficience visuelle

MV NV

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

36

« […] Il n’y a aucune orientation et très peu d’horizons pour les NV, à part cette dernière ouverture

dans la kinésithérapie ». (NV24)

Cependant, même pour cette branche qui ouvre une autre possibilité aux MNV, à

savoir la kinésithérapie, les obstacles ne manquent pas comme nous le constaterons dans le

témoignage suivant :

« À vrai dire pour le choix de la branche, je voulais faire kinésithérapie. Mais l’école est à Temara,

c’est loin. Je me suis énervée parce que l’école que je voulais faire était loin. » (NV 20)

Le handicap visuel détermine l’orientation dès le secondaire et isole l’individu dans un

système différencié plutôt pénalisant par un programme fortement tronqué et déjà orienté vers

des études à sens unique. L’impact des deux types de déterminants qui suivront n’en sera que

plus fort.

2) COMPETENCES ET PERFORMANCES

Les déterminants relatifs aux compétences et performances scolaires agissent en tant que

processus d’auto-sélection. Le choix des filières d’étude universitaires dépend des scores

obtenus : notes et moyennes de fin d’études secondaires. Ces scores révèlent les compétences

et performances des étudiants et leurs permettent d’exprimer leurs souhaits et leurs projets

d’études supérieures.

2.1- LE MANQUE DE PRE-REQUIS TECHNIQUES ET SCIENTIFIQUES :

Comme nous l’avons vu précédemment, le cursus secondaire des étudiants déficients

visuels au sein de l’OAPAM est littéraire et majoritairement arabisé. Les étudiants ayant suivi

un enseignement commun jusqu’au BAC et ayant eu de très bons résultats dans les matières

scientifiques représentent un nombre minime. C’est ainsi qu’une grande majorité d’entre eux

87%

13%

Etablisement d'étude pré-universitaire

OAPAM ETABLISSEMENT COMMUN

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

37

ont une bonne maîtrise des matières littéraires arabophones et des techniques du braille et de

l’informatique comme outils d’apprentissage.

Sur les 30 MNV enquêtés, 1 seul a obtenu un BAC scientifique. Il a perdu la vue après

et n’a repris ses études que 20 ans plus tard. Il s’est inscrit en études islamiques mais il n’a

aucune connaissance du braille et compte plus sur les ressources auditives.

« Tout d’abord que moi j’ai eu mon bac en 1993, juste après le bac j’ai perdu la vue. J’ai eu des

complications à cause du diabète et la conséquence était la perte de la vision. Donc je n’ai pas

terminer les études car pour moi la première contrainte c’était comment j’allais faire pour le trajet

c'est-à-dire comment je pouvais aller et venir de la fac, deuxièmement comment j’allais écrire les

cours alors que je ne connaissais pas le braille et si je devais enregistrer, comment je pourrais faire

en plus que c’était couteux car il n’y avait pas encore ces nouvelles technologies, on avait besoin

d’un magnétophone qui marchait avec des cassettes et qui nécessitait un budget ce que je n’avais pas.

Donc j’e n’ai pas continué les études. » (NV 27)

Le cas de cet étudiant qui s’est trouvé face à un ensemble de difficultés qui l’ont

découragé et l’ont conduit à abandonner ses études faute de moyens, soulève un bon nombre

de questions concernant l’information, l’orientation et l’accompagnement face à un drame de

vie aussi important que la perte de la vue.

La situation de cet étudiant n’est pas un cas isolé car d’autres ont perdu la vue juste

avant le secondaire et avaient des compétences prometteuses mais ont été orientés vers le

système spécifique à formation unique pour MNV et ont été contraints, faute de moyens, à

suivre une voie autre que celle souhaitée et que leurs compétences leur permettait.

« En fait au lycée j’étais scientifique mais comme je suis allé dans l’OAPAM, un enseignant de lycée

a appelé mon père et lui a dit qu’il fallait mieux qu’il m’amène à l’OAPAM ; en classe de première

j’avais des difficultés avec les matières scientifiques, et comme dans l’OAPAM il n’y avait que le bac

lettres j’ai alors changé en lettres. »(MV8)

«Quand j’étais voyant, je voulais faire Sciences Maths parce que j’étais brillant en Maths. Le

professeur m’avait dit il fallait renforcer le français. Mais quand j’ai perdu la vue, j’ai tout

abandonné. Mais pour l’orientation dans le lycée, on m’a dit qu’il n’y avait pas la possibilité

d’étudier Sciences Maths. Donc, j’ai fait lettres parce que je n’avais pas le choix et je n’avais pas les

moyens pour partir faire une branche scientifique en France. » (NV24)

La maîtrise de connaissances en matières littéraires arabophones s’avère être la

compétence majeure post-secondaire des étudiants MNV et une orientation vers des études

supérieures de même nature se présente alors comme une évidence :

«Dès le début j’étais décidé à poursuivre mes études universitaires dans la filière des études arabes,

c’était évident pour moi de venir à la faculté et de choisir cette filière. » (MV1)

2-2- LA DEFICIENCE EN COMPETENCE LINGUISTIQUE DE LANGUE ETRANGERE : FRANÇAIS

ET ANGLAIS

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

38

L’enseignement des langues étrangères dans le programme du secondaire est plutôt

complémentaire et limité en termes de taux horaire. C’est la raison pour laquelle nous

observons plus d’orientation vers des études de langues arabes que françaises ou anglaises.

Sur les 30 étudiants MNV, deux se sont inscrits en études anglaises. L’un d’eux a

obtenu une licence en études islamiques et constatant son inefficacité sur le marché du travail,

s’est réorienté vers l’anglais. Le second a choisi cette filière plus par défi de son handicap.

Une 3ème

personne a jugé avoir les compétences nécessaires pour s’inscrire dans cette filière

mais n’a pas pu réaliser son souhait à cause d’un problème de l’audition :

« Je voulais faire les études anglaises. Mais, j’ai un problème au niveau de l’écoute. Comme vous le

savez je porte un appareil de détection de son car j’ai un problème au niveau de l’ouïe » (NV24)

Ainsi, le choix d’études sur compétences linguistiques est rare parmi le public des

MNV qui se voit conditionné par la prédominance de la langue arabe dans le cursus antérieur

et le manque de ressources matérielles et techniques à l’université pouvant faciliter

l’amélioration de leur compétences en langues.

3) DETERMINANTS STRATEGIQUES

Le choix final de la filière d’études se concrétise par l’inscription. C’est ainsi que le

groupe d’étudiants MNV enquêté s’est retrouvé dans ces trois filières dominantes, par ordre

d’importance : les études islamiques (E.I.), les études en droit arabe public (E.DAP.) et les

études arabes (E.AR.). Le choix de la filière anglaise (E.AN) reste assez exceptionnel.

93%

7%

Compétence en langues

ARABE ANGLAIS

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

39

L’un des étudiant se trouve être inscrit dans deux de ces filières : les E.I. et les E.DAP.

Comme on peut le constater, la filière la plus cotée est celle des études islamiques qui

représente 50% du choix d’études. Vient ensuite la filière du droit public arabe puis les études

arabes et, en dernier lieu, les études anglaises.

Les raisons de ces choix corrélés à des variables d’intérêt du diplôme et de vision

d’avenir révèlent un mélange de crainte, d’appréhension, d’espoir et de doute communs à tous

les étudiants souhaitant aller vers l’indépendance et les projets de vie autonome mais encore

plus présents chez un public d’avance discriminé et stigmatisé par la déficience visuelle.

Dans le graphique suivant, nous allons observer les raisons de choix communes aux

filières recensées.

50%

27%

17%

6%

CHOIX DES FILIERES

E.I. E.DPA. E.AR. E.AN.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

40

La plupart de ces étudiants se sont orientés vers ces études plus pour la facilité et

l’accessibilité de la langue arabe, raison n°1 du choix de ces filières. En termes

d’investissement, de risque et de gain, ce choix paraît censé vu les déterminants de

compétences et performances observées précédemment orientés vers la maîtrise de la langue

arabe. Se lancer dans des études qui demanderaient plus d’efforts et de moyens présenterait un

risque d’échec ou de difficultés qui pourrait prolonger cette étape universitaire et mener à

l’abandon alors que l’objectif est d’exploiter ses propres compétences pour réussir ses études.

La disponibilité des ressources, l’accès au travail et la fuite de la solitude sont trois

raisons qui se retrouvent dans le même ordre d’importance chez nos enquêtés MNV et qui

arrivent en 2ème

position :

La disponibilité des ressources en langue arabe vient consolider la 1ère

raison du choix

de la filière et constituerait ainsi un élément positif et rassurant pouvant compenser la

déficience dû au handicap visuel. C’est un élément qui favorise l’égalité des chances dans des

études qui se basent plus sur l’acquisition des savoirs.

En outre, pour les MNV, poursuivre des études supérieures paraît déjà comme un

grand effort et un combat personnel, psychologique et social visant à sortir de l’isolement où

les a enfermé leur handicap et qui s’est trouvé renforcé par leur intégration d’un établissement

différencié. Ainsi, « Fuir l’oisiveté et la solitude/ s’occuper » révèle la situation angoissante

de ce public :

« Au début, je trouvais beaucoup de difficultés parce que c’était une nouvelle expérience pour moi,

une expérience bizarre : connaître de nouveaux étudiants, de nouveaux professeurs, même la faculté

0 5 10 15 20 25 30

Accessibilité de la langue arabe

Disponibilité des ressources en langue arabe

Eviter l’isolation/ la solitude/ s’occuper

Accéder à un travail à l’Etat

Faire pareil que les amis

Accessibilité du transport

Accéder au salaire de l’échelle 10

Sur conseil

Raisons communes du choix des filières recensées

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

41

en tant que lieux spacieux représentait un obstacle pour moi, il m’était difficile au début que j’y sois

à l’aise » (MV1)

« En fait cette expérience nous a beaucoup servi, tu t’intègres avec les gens normaux ; l’idée que tu

avais avant au sein des autres élèves non-voyants, tu dois changer, l’environnement ou tu étais est

différent dans l’OAPAM » (MV5)

« Après l’obtention de ma première licence, il y avait un vide dans ma vie, je le remplissais avec

facebook, twitter, aljazeera. Donc, je voulais combler ce vide » (MV17)

« Je voulais faire études islamiques, mais mes amis étaient avec moi dans les études arabes, je ne

voulais pas rester seul dans les études islamiques » (NV21)

« J’ai pensé à reprendre les études pour échapper à l’oisiveté et pour le bénéfice intellectuel » (NV27)

Facilité, accessibilité de la langue arabe et disponibilité des ressources dans un

domaine limité (uniquement les filières littéraires et de langue arabe), semblent un bon moyen

de faire face à son handicap et ses conséquences psychologiques et sociales ainsi qu’au

manque de moyens au sein de l’université :

« C’est une expérience un peu difficile surtout en ces moments des examens, même si on veut

étudier on ne trouve pas comment, tu veux étudier tu dois chercher quelqu’un qui lit pour toi, pour

enregistrer, tu dois trouver quelqu’un qui te dicte, si tu veux résumer tu dois trouver quelqu’un qui te

dicte pour que tu puisses écrire avec le braille. Tout ça n’est pas disponible, même si tu veux le faire ;

C’est tout ce qu’il y a, c’est le choix qui correspond à ton niveau, tu ne peux pas faire une autre

branche et toi tu ne peux pas le faire» (MV4)

« J’ai fait les études islamiques car il y’a un beaucoup d’enregistrements disponibles même sur le

marché, par exemple j’achète des CD et ça marche, mais dans les études anglaises il n y’a pas ça, j’ai

fait cette licence en anglais juste pour passer le temps » (MV8)

Aussi rejoindre ses ‘’semblables’’ pour se sentir moins seul et mener le même combat

afin d’obtenir son diplôme et d’accéder rapidement à un travail sécurisant, de préférence avec

l’Etat :

« Je voulais faire études islamiques, mais mes amis étaient avec moi dans les études arabes, je ne

voulais pas rester seul dans les études islamiques » (NV21)

« J’ai réfléchi et j’ai demandé conseil à mes amis qui m’ont précédé et j’ai choisi la filière études

islamiques. Je compte devenir fonctionnaire, enseignant ou quelque chose comme ça » (MV9)

«Avec la licence c’est échelle 10, j’étudie pour décrocher un diplôme » (MV11)

« Je ne regrette pas mon choix. Il représente pour moi l’échelle 10 peu importe le domaine. » (MV13)

Les raisons relevant de l’accessibilité du transport ont également été évoquées mais

semblent ne préoccuper qu’un petit nombre d’étudiants car la plupart bénéficient du logement

à la cité universitaire et ont choisi la faculté à proximité ou ont un accès facile à la faculté.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Ceux pour qui le transport pose problème souhaitaient suivre des études qui n’offraient pas

ces avantages :

« Je voulais m’inscrire en Histoire mais j’ai opté pour Droit Arabe pour une seule raison : la

proximité de la cité universitaire. Les étudiants qui font leurs études à Ain Chock et qui sont ici à la

cité universitaire ont beaucoup de difficultés. Le soir, ils nous racontent des histoires terribles

relatives au risque d’être écrasé par un bus, tomer dans la boue par exemple. Le non-voyant ne doit

pas vivre ce genre de situations, il faut qu’il y ait un moyen de transport de la cité aux facultés »

(MV13)

« Je voulais faire kinésithérapie. Mais l’école est à Temara, c’est loin. Je me suis énervée parce que

l’école que je voulais faire était loin. Donc, je me suis inscrite en études arabes sans réfléchir »

(NV20)

D’autre part, certains MNV ont été obligé d’abandonner leurs souhaits initiaux ou de

se réorienter suite aux difficultés rencontrées. Le graphique suivant en présente les raisons :

En termes de stratégies, ces étudiants ont donc évité des orientations incertaines aussi

bien au niveau de la formation qu’au niveau de l’emploi.

Concernant, la compétence en langues étrangères, les deux cas recensés sont ceux qui

l’ont exprimé explicitement mais si on compte aussi tous les étudiants qui ont fait leur choix

pour l’accessibilité de la langue arabe, le pourcentage serait beaucoup plus grand.

A côté de ces déterminants stratégiques d’ordre général qui expliquent la prévalence

des filières littéraires et de langue arabe, il en existe d’autres d’ordre spécifique à chacune des

filières. Ces déterminants stratégiques spécifiques tournent plus autour de l’activité future et

des opportunités du marché du travail :

6

3

2

Non accessibilités d’autres formations et études TECH/KINE/H.Géo

Non disponibilité des ressources en braille et audio-visuelles

Pas de compétences en langues étrangères

Raisons d'abandon d'autres choix

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

43

Etudes islamiques Etudes arabes Etudes anglaises Droit public en

langue arabe

Intérêt personnel/

culture et

connaissance

Chemin d’Allah/

filière bénite/ bonne

voie

Possibilité de devenir

‘’Mourchid’’

prédicateur

Accessibilité du

métier

d’enseignement

Disponibilité des

ressources audio-

visuelles

Suivre les amis Plus de chance de

trouver un emploi

Par défi

Utilité

Intérêt associatif/

militantisme

Débouchés emplois

multiples

Etudes pratiques/

culture et

connaissance des

droits

Proximité de la cité

universitaire

Ainsi la majorité des choix sont pensés en termes de possibilité de trouver un emploi

et les filières qui semblent offrir cette opportunité sont, par ordre d’importance, les études

islamiques et les études en droit arabe privé. Les études anglaises semblent être un recours de

2ème

choix comme on le lira dans l’un des témoignages ci-après. Ces témoignages sont des

exemples de ce que la plupart des MNV enquêtés ont exprimé sur leur crainte de l’avenir et

l’adéquation de leur choix avec les possibilités du marché de l’emploi. Leur désir

d’autonomie et d’indépendance financière est leur 1ère

motivation :

« Ma motivation est double : personnelle mais aussi j’ai pensé que le droit a plusieurs débouchés

professionnels même si aujourd’hui et avant on ne donne pas de l’importance aux NV, tu obtiens la

licence et tout et tu ne travailles pas. Je me suis dit que le droit m’aidera à m’en sortir à 25%, mais

ces 25% est le taux le plus élevé » (NV3)

« J’ai déjà une licence en Etudes Islamiques, je n’ai pas trouvé de travail après et ensuite je me suis

dit de préparer une autre licence en anglais » (MV8)

« L’un de mes enseignants m’a conseillé de faire les études arabes ou les études islamiques parce

que j’avais un bon niveau en arabe, pour que mon CV soit riche, me facilite l’accès au travail »

(NV10)

Le métier qui leur semble le plus accessible actuellement étant celui de prédicateur ou

‘’imam’’, la majorité s’inscrit en études islamiques (50%). En effet, depuis le lancement

officiel de cette formation à Rabat par le ministère des Habous et des affaires islamiques en

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

44

2005, une nouvelle possibilité d’emploi en tant que prédicateurs et prédicatrices et imams

s’est ouverte à tout le public y compris les MNV à condition qu’ils répondent aux conditions

de sélection dont l’obtention d’une licence. Cette filière les motive doublement car, en plus de

la possibilité d’emploi, ils s’y sentent valorisés et s’y ressourcent spirituellement :

« Les études islamiques […] c’est le chemin d’Allah c’est bien de le connaître bien, je m’y suis

trouvé […] Je peux postuler pour mourchid religieux (prédicateur), les mourchidin (prédicateurs)

ont besoin d’une licence » (NV2)

«J’ai choisi les études islamiques parce qu’à mon âge on doit retourner vers la bonne voie » (MV12)

« C’est une branche (EI) bénite moubaraka, c’est Dieu qui nous a facilité l’accès à cette filière »

(NV 23)

Parallèlement, l’accès à des métiers du domaine juridique encourage les études en

droit public arabe mais à moindre échelle (27%). Les autres choix répondent plus à un besoin

de s’occuper ou de faire comme les autres que par ambition. Le seul choix qui sort du lot et

qui défie les orientations traditionnelles des MNV ne représente que 6% et concerne le choix

de la filière anglaise. Ainsi, étudier avec les possibilités qu’offre le handicap visuel, à moindre

coût, en profitant des ressources disponibles et en visant les possibilités d’emplois offertes à

un public MNV semble la meilleure stratégie adoptée par notre échantillon d’étudiants MNV.

Et pour conclure, l’enquête auprès des NMV a montré une prévalence des filières

littéraires et de langue arabe dans le choix d’études : les études islamiques, le droit public

arabe et les études arabes. Cette prévalence répond à trois grands déterminants : le handicap

visuel, les compétences et performances post-secondaires et les stratégies d’investissement en

termes de risque et de gain.

L’étude des compétences et des performances scolaires au terme des études

secondaires ont un historique assez complexe. Le milieu social et culturel ainsi que le type de

système éducatif d’intégration jouent des rôles déterminants. Les processus d’auto-exclusion

et d’auto-sélection se mettent en marche dans la famille déjà et se poursuivent dans

l’établissement scolaire différencié avec des programmes différenciés. Dans de telles

conditions on ne peut parler d’égalité des chances ou de choix vu que ces choix sont déjà pris

et systématisés.

Enfin, les stratégies d’investissement, intégrant les deux déterminants précédents,

évaluent les risques et gains au cours et au terme d’une formation universitaire et ne

permettent pas de dire que les MNV ont les mêmes possibilités que les étudiants ‘’normaux’’.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

45

Avec un capital aussi minime que la compétence en langue arabe, la maîtrise du braille et de

certains logiciels de lecture, il n’y a qu’une seule possibilité : c’est le choix des filières

littéraires et de langue arabe. Et parmi ces filières, les MNV doivent évaluer celle qui leur

permettra de réussir à moindre coût et d’intégrer le monde du travail rapidement ; ce qui

soulève une autre problématique sur l’efficacité de cette stratégie à atteindre cet objectif.

Les résultats de cette étude sur le choix des filières nous poussent à admettre que les

MNV semblent acculés plutôt que face à un choix. Devant un choix de filière assez limité,

nous cherchons à connaître comment se passe la transition universitaire malgré toutes les

contraintes précitées.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

46

VI- DE L’OAPAM A L’UNIVERSITE : LA TRANSITION DIFFICILE

Entrer dans le monde universitaire c’est apprendre à vivre autrement, apprendre à faire

des choix, apprendre à devenir plus indépendant et plus autonome. C’est à l’université que se

forge réellement une bonne partie de la personnalité de l’étudiant. Mais en l’absence d’un

accompagnement adéquat, institutionnalisé et adapté aux besoins de tout un chacun, les

nouveaux élèves se retrouvent seuls confrontés à une multitude de changements, notamment

en ce qui concerne le rythme de travail. En effet, l’élève se retrouve face à un nouveau rythme

qui semble largement moins soutenu qu’au lycée : des journées d’étude moins remplies,

considérablement moins d’heures de cours, et pas de compte à rendre à qui que ce soit.

L’étudiant a souvent du mal à retrouver un rythme de travail régulier surtout au début

puisqu’il n’est plus supervisé ni par ses professeurs, ni par le corps administratif étant donné

le climat assez laxiste qui caractérise la vie à l’université.

Le présent chapitre traitera la problématique des entraves liées au vécu et à

l’expérience de la transition du monde du lycée, avec ses conditions propres, dédié

exclusivement aux non et mal voyants à un monde universitaire hétérogène, qui, pour

reprendre les propos de certains étudiants, « n’est pas fait pour les non-voyants ». A travers

une série d’entretiens semi-directifs auprès des étudiants en déficiences visuelles, on a pu

mettre le doigt sur quelques problèmes liés en partie au changement du cadre pédagogique,

spatial et relationnel.

1) DE L’OAPAM A L’UNIVERSITE : UNE TRANSITION CONTRARIEE

« A la faculté, c’est une nouvelle vie, tu dois lier de nouvelles amitiés, de nouvelles relations, tu dois

trouver le moyen pour s’adapter à ce nouveau monde. Tu trouves que les autres ont sur toi un regard

différent, ils te perçoivent d’une façon différente. Ils ne voient pas en toi une personne normale donc

ils ont un regard un peu personnel. Au départ nous étions à l’OAPAM, c’était un monde restreint car

nous étions que des non-voyants, on vit entre nous dans un monde clos et restreint. Le contact avec le

monde extérieur ne constituait que 50% des contacts. Mais après le Bac, quand on arrive à la faculté,

on se trouve confrontés à une réalité tout à fait différente, à un monde différent de celui où nous

avons vécu jusque-là. Nous étions tous des amis, on se connaissait tous, c’était une petite société. La

plupart du temps ils ont un regard de pitié, si quelqu’un passe à côté de toi tu entends « meskine » (le

pauvre) et autres mots. Mais on essaye de créer une atmosphère d’adaptation. C’est le début qui est

difficile. ». (NV26)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

47

1.1- L’OAPAM COMME CHOIX UNIQUE : UN ENSEIGNEMENT INDULGENT

« DIAL LKHATER »

L’Article 4 de la Loi n° 5-81 relative à la protection sociale des aveugles et des faibles

de vue stipule que « Les aveugles et assimilés, porteurs d’une carte spéciale délivrée par

l’administration, bénéficient des avantages suivants : 1. Affectation d’institutions publiques à

leur éducation et leur formation professionnelle en vue de les préparer aux métiers qui

conviennent à leur état ».15

Il faut signaler d’abord que cette loi date des années 80 et venait encadrer le droit à la

scolarisation des personnes en déficience visuelle, mais, allant de cette date jusqu’à nos jours,

le Maroc n’a pas réalisé de progression considérable au titre de la promotion de la

scolarisation de cette catégorie de citoyens.

Les écoles publiques n’ont jamais été adaptées aux besoins des élèves aveugles - et

elles ne le sont toujours pas d’ailleurs. Elles ne disposent pas d’équipements spécialisés et peu

de professeurs sont formés à enseigner les aveugles. Et étant donné que les enseignants et les

écoles ne sont pas préparés, ils refusent souvent de prendre en charge les élèves aveugles dans

leurs classes sous prétexte que dans les écoles intégrées, les aveugles se perdent souvent dans

le système : il vaut mieux aller chercher des institutions spécialisées qui ont les moyens et les

compétences pour subvenir aux besoins de ces élèves.

Lorsqu’elles en ont les moyens, les familles dont les enfants sont aveugles ou

malvoyants tentent de leur faire intégrer des établissements privés, des établissements

médico-sociaux, ou de solliciter l’aide des organismes d’aide aux aveugles. Mais l’écrasante

majorité des familles des enfants aveugles ou malvoyants vivent dans des situations précaires,

et si la volonté d’étudier est bien là, que ce soit chez l’enfant lui-même ou bien un membre de

sa famille qui tient à sa scolarisation, les familles n’ont souvent d’autre alternative que de

solliciter les services de l’OAPAM (Organisation Alaouite de la Protection des Aveugles au

Maroc). Créée en 1967, l'Organisation Alaouite pour la protection des aveugles au Maroc

(OAPAM) est le seul établissement à Casablanca qui s’occupe des aveugles et des

malvoyants.

15B.O. n° 3636 du 13 Ramadan 1402 (7 Juillet 1982).

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

48

Le choix de l’OAPAM n’est pas dicté simplement par sa présence en exclusivité sur la

scène thématique des aveugles dans la région ; le recours au service de l’organisation peut

être expliqué par la présence d’une prise en charge totale de la personne en déficience

visuelle, un atout non négligeable pour l’ensemble de ces familles. L'aide apportée aux non-

voyants à l’OAPAM concerne deux volets principaux : pédagogique (formation) et social

(prise en charge totale des pensionnaires). L'OAPAM est pour ainsi dire plus qu'un

établissement scolaire, c'est aussi un lieu où ces les élèves sont censés apprendre à vivre avec

leur handicap.

Et loin de ces considérations de choix, nombreux sont les témoignages qui pointent le

doigt sur la dégradation au niveau des services fournis aux élèves au sein de l’organisation

depuis sa création. Selon les propos des étudiants interviewés, cette dégradation est due, d’une

part, à un manque de qualification du personnel et des éducateurs sur place :

« … Le professeur ne donne pas grand-chose, et puis c’était un enseignement (dial lkhater), tu

pouvais facilement avoir 13, sans peine, vous comprenez ? Nous sommes restés fainéants jusqu’en

sixième et en bac, nous avons su que nous allions passer hors l’OAPAM » (NV30)

Par manque de professeurs, et pour assurer la pérennité des cours dans les différentes

matières, l’organisation fait appel à l’appui d’autres professeurs qui viennent d’autres

établissements scolaires. Ces professeurs ne sont ni initiés, ni habitués, ni qualifiés pour

assurer des cours pour des NV/MV.

« En arrivant au secondaire collégial, le niveau des études a commencé à régresser, imaginez avec

moi, un professeur qui voit, juste pour savoir comment le niveau régresse, parce l’élève surtout au

collège, à cette période de l’adolescence, si tu ne le pousses pas (lama waraktich alih) à étudier, il

peut ne pas étudier. Nous, parmi les choses qui arrivaient, comment ? Le professeur qui nous

enseigne arrive à voir, nous avons une production écrite, il nous dit par exemple : « faites cet

exercice » en classe, chacun le fait, ceux qui ont appris et ceux qui n’ont pas appris, celui qui a

appris fait ce qu’il sait, celui qui n’a pas appris, gribouille et c’est tout. Le professeur qui voit, bien

sûr, ne corrigera pas le Braille, donc il doit choisir un élève qui lui lira, il lui dit : « tiens, à qui est

cette copie ? Lis- moi » et cet élève… si je sais que c’est ta copie et que je te connais, je corrige tes

fautes en lisant. L’élève sert son ami mais en même temps il cause sa perte (kaykhrouj alih), nous, on

n’avait pas cette idée, la personne travaille bien ça y est, parce que tu as 14, 16 et là le niveau a

commencé à régresser ». (NV30)

D’autre part cette dégradation est flagrante au niveau de l’état du matériel, sachant

qu’à la base de l’intégration des élèves, l’acquisition et l’entretien régulier d’un matériel

spécifique sont supposés leur permettre de suivre correctement leurs cours. Entre absence des

moyens et les conditions d’études précaires, le résultat inévitable est d’avoir un élève qui,

même s’il arrive à décrocher son bac, va se retrouver en définitive avec un déficit et des

lacunes sur plusieurs niveaux, à l’exception de ceux et celles dont le désir de réussite

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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académique est suffisamment fort pour les inciter à multiplier les efforts fournis et à

surmonter les obstacles malgré les conditions qui ne jouent pas en leur faveur.

1.2- D’UN ESPACE ORDONNE A UN LABYRINTHE : VIVRE SANS

S’APPROPRIER L’ESPACE

Si nous voulons dépasser les reproches mis en avant par certains étudiants et qui

portent actuellement un regard plus au moins distant sur les conditions à l’organisation, il est

impératif de prendre en considération les points positifs que les étudiants souhaiteraient voir

mis en œuvre à l’université, à l’instar de ce qui se passait à l’OAPAM. A l’arrivée à

l’organisation, les gens donnent d’abord l’occasion à l’élève, lors de sa première rentrée, de

découvrir les lieux où il évoluera pour lui permettre de se familiariser avec son nouvel

environnement. L’élève arrive rapidement à se diriger seul dans les classes ou dans les autres

parties de l’organisation. Les gens veillent aussi à prévenir les élèves de tout changement

(aménagement de la classe) ou obstacle nouveau.

L’élève aveugle ou malvoyant s’approprie son espace puisqu’il parvient à une

autonomie de mouvements et déplacements dans un environnement familier d’autant qu’il

arrive à investir tous les espaces disponibles, qu’il soit un espace de loisir ou de distraction,

ou un espace de travail.

La quête de cette autonomie de mouvement et de déplacement dans un espace comme

celui de la faculté semble pour un étudiant en déficience visuelle une aventure dangereuse.

« …C’est difficile, il y a les escaliers, les jardins, les pentes, les passages étroits. » (NV21)

Nous pouvons comprendre déjà pourquoi l’espace investi par les étudiants NV ou MV reste

limité et réduit aux classes de cours et à cet espace qui leur était dédié pour faire des révisions

ou échanger des informations. L’espace comme il a été construit et aménagé n’accuse

nullement le souci et la prise en considération des besoins spécifiques des étudiants en

déficience visuelle. Dès l’entrée, l’étudiant NV ou MV se trouve en situation de besoin d’aide.

Et malgré les efforts qu’il déploie pour se monter autonome, des situations parfois délicates le

dépassent ; par exemple, rien que le changement de salle de cours, qui implique parfois un

changement de bâtiment, rend l'aventure difficile sans être accompagné.

« Je vais vous donner un exemple que la fac ne pense pas aux NV, par exemple cette salle où nous

nous trouvons (Les nouveaux locaux du Master) pourquoi n’a-t-elle pas une porte d’entrée pour les

NV, pourquoi sommes obligé de faire le tour de l’établissement avec tous les escaliers, les allées, les

personnes auxquelles on se heurte » (NV27).

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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« …oui, surtout à la faculté de droit qui est très grande, une personne qui voit peut s’y perdre, qu’en

est-il alors d’une personne qui ne sait pas, cette histoire de transport est très importante » (NV30)

Les étudiants NV ou MV ont un sentiment de mépris vis-à-vis de l’espace à la faculté

(particulièrement la faculté des lettres). Ils ne sont jamais arrivés à l’exploiter comme ils le

désirent, ni à aborder les espaces de socialisation communs (bibliothèque, espace de sport,

buvette, etc.) qui ne sont pas disponibles à la base. Les étudiants NV/MV sont privés de ce

sentiment d’appropriation de l’espace et gardent toujours le statut d’étrangers.

1.3- DU « COLLECTIF » A « L’INDIVIDUEL »

Comme le disent les spécialistes, pour assurer la bonne intégration de l’élève en

situation d’handicap, soit le placer seul dans une classe ordinaire, et nous parlons ici

« d'intégration individuelle », soit le placer dans des classes dites « annexées » ou

« intégrées » (des classes attachées à un établissement spécialisé mais qui fonctionnent dans

une école ordinaire), soit lui permettre de profiter du palier adaptatif constitué par la CLIS.

Pour un élève qui présente des difficultés scolaires liées à un handicap (visuel dans notre cas),

en primaire ou plus exceptionnellement en maternelle, l'affectation à une CLIS doit se faire le

plus tôt possible pour permettre à l’élève d’en tirer le plus grand profit avant de rejoindre, à

temps partiel ou complet, une classe ordinaire16

. L’effectif de telles classes ne dépasse pas 12

élèves et chacun d'entre eux est pris en charge autour d'un projet global actualisé au minimum

tous les ans. Ce projet concerne autant les aspects scolaires que rééducatifs ou éventuellement

matériels. Et si le projet à l’OAPAM se veut une tentative d’alignement aux normes

reconnues au sujet de la scolarisation et la prise en charge des personnes en déficience

visuelle, il n’en est pas moins que la projection dans le futur reste un sujet occulté. Les élèves

évoluent pendant de longues années dans des classes avec leurs semblables, avec une

pédagogie commune, un nombre très restreint, pour se retrouver après le bac devant un mode

très différent :

« Il est bien, normal, c’est juste que nous avons fait des études dans l’OAPAM, on était enfermé entre

nous MNV, on a vécu entre nous depuis le primaire, de 07 heures jusqu’à 18H00, c’est comme ta

famille, mais après tu sors et tu dois t’intégrer avec les autres, c’est pour ca que c’est difficile, mais

lhamdulillah » (NV7)

Classe d’Intégration Scolaire dans laquelle l’élève en déficience peut passer quelque temps pour confirmer ses

acquis de base et ses stratégies de compensation du handicap. 16

Forestier D. (1 992). Les classes d'intégration scolaire, Réadaptation, 395,221 -22

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Evoluer dans un groupe restreint en classe est une occasion de bénéficier de plus

d’attention de la part des professeurs et du cadre administratif. C’est permettre aussi au staff

des enseignants de s’arrêter de près sur les besoins spécifiques de tout un chacun et de faire du

mieux pour y répondre. L'enseignant attentif au comportement de l'élève qui présente un

handicap visuel ainsi qu’aux moyens de compensation qu’il utilise favorise la réussite de son

intégration.

La présence d’un étudiant à déficience visuelle au milieu d’un groupe dominé par des

voyants, peut provoquer chez lui un sentiment de discrimination. Les professeurs oublient, le

plus souvent par inattention, que les NV les MV ne peuvent pas capter les informations à

distance, ni tenir compte des gestes, des regards...Ils oublient aussi de les nommer

expressément pour les questionner, de lire à haute voix lorsqu’ils écrivent au tableau.

« Le seul problème qui se pose c’est lorsque le professeur explique le cours sur le tableau, on sent

qu’il ne s’adresse pas à nous mais aux étudiants voyants, nous on se base sur l’ouïe donc si le

professeur utilise le tableau il doit au moins utiliser le micro notamment lorsqu’il s’agit de

l’amphi ». (MV1)

Dans la foule des interactions et parfois pris par l’ambiance du cours, le professeur

perd de vue qu’il s’adresse aussi à des étudiants qui ne peuvent suivre toute les modalités

d’explication utilisées :

« … quand le professeur donne son cours, il utilise un micro, mais parfois, inconsciemment, il s’en

éloigne pour écrire quelque chose au tableau, alors si je ne suis pas dans les premières rangées je

n’entends plus rien et le dictaphone ne capte rien. Le prof écrit au tableau ce que je ne vois pas et

parfois ce qu’il écrit il ne l’explique pas au tableau ou bien il dit juste la moitié. Le prof n’a pas

constamment en tête qu’il a des étudiants NV. » (NV27).

Les autres étudiants voyants ont leur part de responsabilité dans le mauvais

déroulement des cours du fait qu’ils oublient la présence des étudiants NV/MV et leur besoin

de silence. Le silence en classe est très sollicité par l’ensemble des étudiants NV/MV afin

d’assurer un bon suivi du discours émis par les différents intervenants et des discussions

menées. Mais surtout, le silence est primordial pour permettre un enregistrement efficace des

cours par dictaphone.

«Pour le déroulement des cours, sincèrement, ils sont parfois perturbés à cause de certains étudiants

qui parlent, et du coup dérangent les autres. Nous, on est les plus touchés par ces perturbations parce

qu’elles nuisent à l’enregistrement que l’on fait des cours. Ils dérangent le professeur et nous

dérangent aussi. Parfois je m’énerve beaucoup à cause de cela. ». (MV1)

Une classe hétérogène régie par des normes et des règles des dominants ne sert pas

l’intérêt des minorités, et sans prise de conscience de la présence de cette minorité à besoins

spécifiques, on risque de compromettre la réussite de son intégration.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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1.4- DE L’ORAL A L’ECRIT, CHANGEMENT D’ATTITUDE PEDAGOGIQUE

« En fait cette expérience nous a beaucoup servi, tu t’intègres avec les gens normaux ; l’idée que tu

avais avant au sein des autres élèves non-voyants, tu dois changer, l’environnement ou tu étais est

différent dans l’OAPAM là-bas il y avait le braille, ici tu rencontres d’autres personnes, là-bas tu

étudiais oralement, ici il y’a l’écrit. Ici on manque l’intérêt pour les NV, ils ne font pas de différence

entre les autres et nous » (MV5)

Il est à noter que l'enseignement au sien de l'Organisation alaouite pour la protection

des aveugles au Maroc est conforme aux programmes du ministère de l'éducation nationale.

Pour les livres scolaires, l'OAPAM de Casablanca assure pour l'ensemble des élèves des livres

en braille. Dès lors le braille est à la base de toute l’opération d’apprentissage à l’OAPAM.

Tous les élèves ont reçu un enseignement régulier sur l’écriture et le calcul en Braille,

dispensé par des enseignants spécialisés, que ce soit au cours du primaire ou du secondaire.

Les élèves communiquent en utilisant essentiellement ce système d’écriture fondé sur le

toucher.

Les études à la faculté des lettres et de droit nécessitent des compétences un peu

spécifiques basées essentiellement sur l’écoute, la prise de note. Et avec un peu de chance on

peut tomber sur un enseignant qui met ses cours à disposition sous forme de polycopié.

« Pour les NV nous avons un problème, les professeurs se basent sur certains ouvrages qui n’existent

pas en braille, les livres qui se composent de 300/400 pages n’existent pas en format audio, aussi il

n’y a pas des personnes qui peuvent nous faire la lecture. Il y a un problème de la disponibilité des

outils et du matériel d’apprentissage pour les NV. Quand le professeur demande aux étudiants de

faire le résumé d’un ouvrage, il ne prend pas en considération qu’il a également des étudiants NV

qui ne trouvent personne pour faire la lecture et s’il se trouve, il doit avoir assez de temps, les mêmes

préférences d’apprentissage, le même niveau et la même orientation. Il doit avoir également l’envie

de faire une lecture. Donc les problèmes des NV ne sont pas pris en charge dans les enseignements. »

(NV27)

Pour s’adapter à cette nouvelle situation l’étudiant en déficience visuelle se trouve

dans l’obligation de procéder à un changement d’attitude pédagogique. Enregistrer, écouter et

réécouter ou bien photocopier, chercher quelqu’un pour te lire, puis enregistrer pour écouter et

réécouter, c’est le leitmotiv de tous les étudiants NV/MV. Et si les étudiants ont relevé le défi

de changer leur attitude pédagogique, il reste d’autres contraintes à surmonter.

Beaucoup d’enseignants refusent d’être enregistrés :

« Les professeurs doivent se mettre d’accord pour le [l’élève NV/MV] laisser enregistrer parce qu’il y

en a certains qui refusent, il [le professeur] peut être du parti communiste et veut parler sans retenue

donc il n’accepte pas qu’on enregistre, en droit, mais dans d’autres branches, je ne sais pas, qu’ils le

laissent enregistrer et qu’ils lui donnent les leçons sur clé ou enregistrées pour le dispenser de

l’enregistrement… » (NV30)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Dans des cas similaires, les étudiants NV/MV n’ont pas d’autres alternatives que

solliciter l’aide d’autres étudiants voyants. Ainsi, il doit constituer un réseau de personnes, le

plus souvent bénévoles, qui interviendront à différents moments pour la lecture, la photocopie

et la numérisation de documents. Entre le temps perdu dans l’enregistrement et la recherche

d’une tierce personne pour le faire et celui consacré aux autres activités, le temps dévolu au

travail se retrouve gravement amputé. En effet, un cours enregistré et réécouté implique de

passer 3 fois plus de temps sur ce seul enseignement.

« Moi j’avais un problème cette année concernant les examens, sachant que le cours dure environ

1heure et demi, on a deux cours par jour c'est-à-dire 3 heures auxquelles j’assiste, et puisque je

n’écris pas en braille donc j’enregistre et pour réécouter les enregistrements ça me prend 3 autres

heures tout en cherchent quelqu’un autre pour lui dicter la synthèse si je ne trouve personne c’est un

problème car je dois écrire la synthèse pour éviter d’écouter tout l’enregistrement. Enregistrer la

synthèse est impossible car cela demande la présence de deux dictaphones le premier en marche et le

deuxième pour enregistrer ma voix et qui doit être de bonne qualité. Déjà le dictaphone que j’utilise

pour enregistrer n’est pas d’une bonne qualité » (NV27)

En référence à ce cadre que nous avons essayé d’établir en se basant sur les propos des

étudiants en déficience visuelle, il est manifeste que les évolutions en profondeur et allant

dans le sens d'une intégration plus large et plus aisée de ces étudiants sont lentes et difficiles.

Un manque de cohérence apparaît entre l'enseignement spécialisé (OAPAM) et

l'enseignement ordinaire (l’université) et ricoche sur le devenir des étudiants qui ont relevé ce

défi. La transition est jouée à l’individuel sans une stratégie claire et déterminée à l’avance, et

chaque étudiant utilise ses moyens de bord pour s’affranchir des différentes contraintes.

2) MONTASSER : UNE TRANSITION PLUS AU MOINS RASTAQUOUERE

« …moi, je ne vais pas vous mentir, je… je... moi, j’essaie de sortir de… parce que les non-voyants

ont leur propre monde, ils ont une société qui leur est propre, moi… et d’autres personnes

commencent à penser à cela, c’est que nous devons sortir de cette carcasse (kawka’a), nous devons

sortir, et j’ai commencé à essayer de travailler, le pic de mon travail a commencé à la faculté, en

deuxième année, même la première année je l’ai passée… j’ai triché un peu et tout ça, mais en

deuxième année, c’est comme si j’ai apprécié, quand j’ai passé l’année entière, le premier et le

deuxième semestre, j’ai apprécié, j’ai commencé à apprendre et j’ai commencé à travailler. Je

partais… je me suis intégré avec des étudiants qui voient parce que nous étions trois non-voyants et

l’amphi contenait plus d’une centaine de personnes, donc tu étais contraint de t’intégrer. On partait

à Al Saoud, on révisait ensemble, on étudiait, eux aussi, ils nous aident, ils me lisent, on révise

ensemble, ils m’enregistrent si je veux enregistrer, ils me dictent des choses en Braille de temps en

temps si je dois faire un exposé et qu’il est long et technique, je ne peux pas l’apprendre en entier,

parce que les exposés, je les passais après les avoir appris, je prenais l’exposé, je l’apprenais et je le

Pour des raisons éthiques on a procédé à un changement de prénom

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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disais oralement, parce qu’en droit général, tu peux prendre une idée et la développer, ce n’est pas

technique, ce n’est pas un plus un égalent à deux, si tu veux parler une heure tu dois maîtriser cela,

et si j’avais un exposé technique je l’écrivais en Braille, si c’est un exposé qui comporte beaucoup de

chiffres et tout ce qui est technique, je l’écris, les étudiants me dictaient c'est-à-dire les personnes qui

voient nous ont beaucoup aidé… Il n’a pas une formation et ne connaît pas ses droits et ses devoirs,

il ne sait pas quelle loi le concerne, il y a des non-voyants qui arrivent à la fac, cherchent des

scripteurs, obtiennent la licence et montent à Rabat faire des manifestations devant le parlement pour

qu’ils leur trouvent un emploi. Il est embauché, il ne fait rien au travail ou s’il peut même trébucher

devant la porte pour qu’on lui dise de ne plus venir, c’est mieux même, vous me comprenez ? C’est

tout, c’est tout ce qu’il peut faire, il n’y a pas une vision, parce que même les responsables, on les

comprend parfois, si un bébé ne pleure pas pour réclamer sa nourriture, tu ne le nourriras pas. Si

j’étais à la fac, ce sont les décisions fondamentales à prendre. »

Montasser est un jeune malvoyant de 26 ans, récemment marié. Etudiant à la faculté

de droit, il a pu décrocher son bac, sa licence et son Master avec mention, et se prépare pour

postuler au doctorat. Les propos de Montasser font preuve d’une maturité exprimée par le

regard critique qu’il a pu développer sur son vécu comme élève et puis comme étudiant, mais

aussi un regard critique sur le parcours de ces collègues. Il a rejoint l’OAPAM à un âge

précoce. A 5ans il était déjà en classe avec ces camarades en statut d’écoutant. Il a commencé

à apprendre le braille avant d’intégrer officiellement la première année du primaire. Le coup

de chance dont Montasser a profité, c’est d’avoir vécu à L’OAPAM pendant ses moments de

gloire, quand il y avait encore des encadrants étrangers.

« C’est la formation basique, c’était une formation excellente, les personnes qui avaient travaillé

avec nous l’ont bien fait, comme je vous ai dit … Je voulais vous dire, nous, à l’enseignement

primaire, au CP, en première et deuxième années, nous avons eu une formation excellente, on a eu

de bonnes connaissances, nous avons connu les animaux, que ce soit ceux qui ne voient absolument

rien ou moi, parce que moi aussi même si je vois un peu je ne connais pas exactement l’aigle, je peux

confondre entre un aigle et une cigogne, vous comprenez, parce que pour moi, ils me paraissent tous

les deux avoir des ailes, une tête et des pattes… »

Le parcours de Montasser est la preuve que la réussite scolaire est possible avec un

peu de volonté, et ce malgré les fardeaux qui pèsent sur le dos des personnes en déficience

visuelle.

2.1- INITIATIVE PERSONNELLE : ANTICIPER L’INTEGRATION

Conscient du climat ambiant à l’OAPAM et qui dénote un délaissement et un manque

de rigueur, Montasser a eu la volonté de prendre l’initiative de chercher un moyen pour

combler le déficit au niveau de la qualité de l’enseignement dispensé à l’OAPAM.

« … qu’est ce qu’on a commencé à faire ? On étudiait à l’OAPAM et les matières qu’on avait à

l’examen, on avait le français, l’éducation islamique et les mathématiques, on allait les étudier en

dehors de l’organisation. Nous avions une institution à côté qui s’appelle « Al KHANSAA » et une

autre « ZIRYAB », on allait étudier avec eux… ils étaient obligeants avec nous (kaytaawnou maana),

ils nous laissent entrer, assister, parce que nous savions que pour combler les lacunes que nous

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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avions à l’OAPAM, nous allions étudier dans ces institutions…des initiatives individuelles, parce que

nous savions, pourquoi je vous disais que quelqu’un qui a la base peut faire des efforts plus tard,

nous, nous savions que l’enseignement était insuffisant, on sortait hors de l’OAPAM et on allait

assister à une séance de philosophie, deux séances par semaine, les mathématiques…»

Le recours à des institutions publiques a bien servi Montasser non seulement au

niveau des connaissances acquises mais également pour se familiariser à l’expérience avec les

étudiants voyants. Le rapport établi entre NV/MV au sein de l’OAPAM peut être qualifié de

rapport « normal » entre élèves où il peut y avoir des valeurs de concurrence et de conflit. Le

rapport aux élèves voyants peut prendre d’autres formes, fondées cette fois-ci sur la pitié mais

parfois aussi sur le mépris. Montasser voulait échapper à ce genre de rapports (pitié, mépris)

qui nuit à l’image de soi et cherchait à instaurer un nouveau rapport dont il pourrait tirer profit

et qui préserverait en même temps sa dignité.

2.2- INSTAURER UN RAPPORT GAGNANT-GAGNANT AVEC LES

VOYANTS

Si pour réussir, certains étudiants NV/MV n’hésitent pas à profiter de leur handicap, à

supplier, à tricher s’il le faut, Montasser est convaincu que le retour de manivelle fait très mal

et la réputation malheureuse qui en découle colle à la peau pour longtemps.

« Tu le retardes, il ne t’aidera pas, et c’est ce qui arrive à la plupart des étudiants maintenant, ils

veulent s’intégrer mais…, il y en a certains qui sont submergés par la religion, (lwazi’i edini ghaleb

a’alih), même si je vais perdre du temps, je fais une bonne action (ndir khir)… tu deviens une charge

(a’ala) pour lui »

Et pour éviter les situations l’embarras, manifesté chez les autres étudiants par la fuite,

l’esquive et la mise en avant de prétextes pour se débarrasser de l’étudiant à déficience

visuelle, Montasser s’impose comme étant un étudiant qui a son mot à dire, qui a des

compétences désirées, recherchées par les autres :

« … Et pour qu’ils t’aident, c’est à toi de t’intégrer parmi eux, tu dois t’imposer, parce que lorsque

quelqu’un te voit, … quelqu’un qui voit ne peut pas venir, te déposer, te lire s’il ne sent pas qu’il en

profite aussi (kaystafed menek) /ça doit être une relation gagnant-gagnant… »

Le NV/MV doit fournir un effort pour dépasser la méconnaissance des déficients

visuels, en présence d’une représentation sociale qui fonctionne à un haut niveau de

généralité. Elle se traduit par des sentiments complexes de peur, de fascination et de rejet

renvoyant beaucoup plus à un objet psychique de type phobique, qu'à l'objet réel que constitue

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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le handicapé. Le sujet handicapé est décrit comme : "plus renfermé, timoré, timide, anxieux

dépendant, émotif…"17

Les prérequis à la réussite de la transition et de l’intégration de l’étudiant déficient

visuel résident en tout premier lieu dans sa propre motivation comme dans les conditions

psychologiques et fonctionnelles qu'il a réunies pour y parvenir. C'est en effet d'elle que va

dépendre sa capacité à réagir et par là à modifier les comportements et les attitudes spontanées

et réfléchis du milieu estudiantin à son égard. Il est normal que les membres de son nouvel

entourage ressentent vis-à-vis de sa déficience, comme dans leur relation avec lui, de la gêne,

de l'angoisse, et manifestent une volonté soit d'assistance et de protection exagérée soit de

fuite et d’ignorance.

MANQUE DE PLANIFICATION DE TRANSITION ET DEFAILLANCE DES

SERVICES DE SOUTIEN

Nous pouvons avancer qu’il est souhaitable de penser à mettre en place un processus

complet de planification de la transition au profit des nouveaux étudiants pour permettre de

bien cerner les compétences dont les étudiants ont besoin pour bien évoluer dans le contexte

de l’université. A ce titre, un travail de coordination entre l’OAPAM, l’université et

l’association sur place ainsi que les représentants des étudiants en déficience visuelle s’avère

impératif pour aider les étudiants à mener à bien leur intégration.

La tendance qui semble se développer est la mise en place, au sein de chaque

université ou de façon interuniversitaire, de services spécialisés d'aide à l'intégration doté d'un

"responsable de l'accueil des handicapés" en lui assignant le rôle de soutenir, accueillir,

orienter, suivre et aider les étudiants handicapés qui le désirent. Et si l’idée semble porteuse

en matière d’aide et d’accompagnement aux étudiants, beaucoup de choses restent à modifier

et à coordonner. Mais c'est surtout le manque de moyens, humains et matériels, qui se fait le

plus cruellement sentir. Nous allons ainsi voir dans le chapitre suivant les outils qui s’adaptent

le mieux aux MNV afin de mieux s’intégrer dans le milieu universitaire.

17Pierre GNFFON, DÉFICIENCES VISUELLES : pour une meilleure intégration Les personnes handicapées

en France : données sociales 2ème édition 1995, @Annie Triomphe Co-édition INSERM-CTNERHI

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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V- UTILISATION DU BRAILLE ET DES NOUVELLES TECHNOLOGIES POUR LES MNV: DES

OUTILS POUR UNE APPROCHE PLUS AUTONOME

La déficience visuelle partielle ou totale pourrait handicaper les MNV de lire et écrire

sans la présence d’outils qui pourraient compenser cette déficience. D’ailleurs le Conseil

Economique et Social recommande l’utilisation des outils adaptés aux déficients visuels au

Maroc, nous citons entre autres mesures:

« -Adapter les programmes pédagogiques et les outils didactiques aux différents types de handicap,

notamment les bibliothèques parlantes pour les déficients visuels…

- Renforcer l’accessibilité aux systèmes publics ordinaires de la formation professionnelle et des

études supérieures, par le réaménagement de classes préparatoires, l’adaptation des programmes et

outils pédagogiques aux différents types de handicap et les bourses d’étude» 18

Dans le but de compenser une déficience sensorielle majeure telle que la vue ; il est

nécessaire de développer d’autres outils de communication qui s’adaptent le mieux aux

facultés sensorielles des MNV comme l’ouïe et le toucher. Ceci dit, nous allons étudier les

codes tactiles et sonores qui favorisent l’autonomie dans la communication chez les MNV.

Avant le développement des nouveaux moyens de communication, le braille19

était le

principal moyen de décodage tactile. Alors que de nos jours, les nombreux logiciels de

conversion sonore ont offert une nouvelle alternative aux MNV pour le décodage sonore de

nombreux fichiers textuels. Suite à l’émergence des nouveaux lecteurs d’écran qui effectuent

la conversion sonore comme le JAWS et le NVDA, pouvons-nous parler du déclin du

décodage tactile et l’essor du décodage sonore, ou s’agit-il d’une complémentarité entre les

modes de communication tactile et sonore ?

Les entretiens réalisés avec les étudiants NV et MV de l’Université Hassan II

Casablanca nous permettront de connaître les principaux moyens de communication tactile et

sonore utilisés pour accéder à l’information et aux études.

18 Rapport du Conseil Economique et Social, Respect des droits et inclusion des personnes en situation de

handicap, Auto-Saisine n°5 / 2012, p : 18, juillet 2012 19

Le braille est un système d’écriture à l’usage des personnes non-voyantes ou malvoyantes. Cette méthode de

lecture tactile a été inventée par Louis Braille (1809-1852) qui avait perdu la vue à la suite d'un accident.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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1) L’UNIVERS DE LA COMMUNICATION TACTILE : LES SUPPORTS DE LECTURE

BRAILLE ET DE CODAGE TACTILE

Le braille est universellement connu comme une méthode de décodage tactile, ce qui

n’empêche pas les NV et les MV d’utiliser le clavier braille pour le codage de l’information

en vue d’une sauvegarde numérique ou d’une copie imprimée en braille. Nous allons ainsi

découvrir les principaux moyens de décodage et de codage tactile.

1.2- LE DECODAGE TACTILE : LES SUPPORTS DE LECTURE EN BRAILLE

Nous entendons par le décodage tactile, l’ensemble des textes imprimés ou des codes

numériques en braille pouvant faire l’objet d’une lecture tactile sur papier ou sur des appareils

numériques pour les MNV. Dans ce sens, nous allons énumérer les différentes possibilités qui

s’offrent aux MNV pour le décodage de l’écriture braille. Parmi les supports en braille, nous

citons les livres imprimés en braille dans le cadre d’une bibliothèque braille, ou l’impression

des fichiers format « texte » d’une base numérique à une imprimante braille, et finalement les

appareils numériques de conversion en braille. Suite à l’analyse des entretiens, nous avons

remarqué que le décodage braille se fait uniquement par la lecture des imprimés ou des livres

en braille. Ceci dit, les étudiants n’utilisent pas les appareils numériques de conversion tactile

comme le Top-Braille20

ou le Braille Sense21

. Ces outils technologiques restent inaccessibles

pour les étudiants MNV soit parce qu’ils méconnaissent ces appareils, soit parce qu’ils n’ont

pas les moyens économiques pour se les procurer.

Afin de vérifier la fréquence d’utilisation des imprimés par les MNV de l’université

HassanII Casablanca, nous les avons interrogés sur l’utilisation de ces méthodes avant

l’obtention du baccalauréat et après l’accès à l’université. Nous avons ainsi constaté que la

lecture des imprimés en braille était plus utilisée au sein de l’organisation des NV (l’OAPAM

20

Le Top-Braille : c’est une machine inventée par Raoul Parienti qui lui a permis de remporter le premier prix du

concours Lépine en 2010. Il s’agit d’un appareil qui peut transformer les textes tapuscrits (livres, imprimés et

journaux) en points tactiles (braille) ou encore en sons. Cet appareil a la forme d’une souris métallique dotée

d’une caméra liée à un microprocesseur qui convertit les caractères en son ou en forme braille accessible au

toucher en haut de la souris du Top-Braille. Cet appareil peut reconnaître même les couleurs au toucher. 21

Braille Sense : appareil qui accomplit plusieurs fonctions, parmi ces fonctions: la transcription et la conversion

des fichiers numérisés en braille décodables au toucher (avec la possibilité d’impression), la lecture sonore, le

traitement de texte et la gestion des fichiers dans la mémoire de l’appareil. Pour la fonction tactile, cet appareil

est équipé d'une plage Braille intégrée de 32 caractères permettant de lire les caractères en braille suite à la

conversion des données textuelles d’un PC ou d’un smartphone connecté par Bluetooth. Pour la deuxième

fonction, il s’agit de la synthèse vocale permettant d’orienter ou de convertir les fichiers textuels en fichiers

sonores. Et finalement, il permet de créer des documents ou des fichiers pouvant être stockés dans la mémoire de

l’appareil.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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est l’organisation de provenance de la majorité des bacheliers qui accèdent à l’université)

grâce à la prise en charge de l’établissement des imprimés en braille. Alors que dans le cadre

universitaire, les étudiants utilisent rarement les imprimés en braille faute d’une bibliothèque

braille ou à cause de la cherté des imprimés en braille non pris en charge par l’université.

D’ailleurs parmi les points qui sont les plus revendiqués dans la liste de recommandations,

nous citons la nécessité d’une bibliothèque braille ou une bibliothèque parlante :

« Créer une bibliothèque exclusivement pour les MNV là où les étudiants peuvent retrouver les cours

écrits en braille ou enregistré en audio. Et mettre en place tous les outils qui peuvent faciliter les

études pour les MNV.» (MV1)

« Mettre à disposition une bibliothèque qui contient toutes les leçons imprimées en braille ou des

documents numérisés convertibles en fichier sonore, et ce pour toutes les branches. En plus, des

livres, des dictionnaires et des encyclopédies en braille. » (MV20)

D’après les principales recommandations des étudiants MNV de l’université Hassan

II, nous soulignons l’importance d’une bibliothèque braille ou une bibliothèque parlante

comme alternative ; ce qui démontre la pénurie des imprimés en braille et l’inaccessibilité des

outils adaptés aux MNV. D’après certains MNV, les centres copies pour imprimer en braille

sont très rares et l’imprimante braille ou l’embosseuse est extrêmement chère. Certains l’ont

même souligné dans le cadre des besoins spécifiques des MNV :

« Pour les besoins des MNV : une imprimante Braille et des livres en braille. » (MV9)

Ceci dit, la rareté des ouvrages imprimés en braille ou encore le coût élevé de

l’impression en braille contraint l’étudiant à opter pour une méthode moins couteuse comme

les moyens de communication sonore.

En plus des limites logistiques, il y a certains étudiants NMV qui ne maîtrisent pas

cette méthode de reconnaissance tactile, soit parce qu’ils sont MV22

et ils peuvent lire et écrire

les caractères de l’alphabet ou parce qu’ils ont perdu la vue à un âge tardif. Après cet état des

lieux concernant les imprimés en braille, nous allons vérifier si les étudiants utilisent des

appareils pour coder le braille.

22

Les MV qui n’utilisent pas le braille font souvent recours aux logiciels d’agrandissement de l’écriture.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

60

1.2- LE CODAGE TACTILE : LE CLAVIER BRAILLE ET LE CLAVIER ALPHANUMERIQUE

Nous avons observé antérieurement que l’usage du décodage tactile à travers le braille est

très limité à la faculté. La question qui reste est de voir si la méthode du codage tactile est

maîtrisée ou utilisée par les MNV.

Nous entendons par le codage tactile l’ensemble des appareils permettant aux MNV de

sauvegarder les données à travers l’utilisation d’un clavier braille ou d’un clavier

alphanumérique. D’après le témoignage de certains étudiants, les appareils d’écriture en

braille comme la machine à écrire braille ou le natebraille23

font beaucoup de bruit, et certains

professeurs ne l’acceptent pas.

« Il fait du bruit et c’est trop lent. En plus, parfois on dérange les autres avec le bruit ; j’essaie seulement

d’enregistrer. » (MV4)

« Durant les cours, les professeurs ne laissent pas les MNV écrire en Braille, ils disent que ça fait du

bruit et que ça dérange. » (MV8)

La technique de codage tactile en braille durant les cours est rarement utilisée à cause du

bruit et la lenteur dans la prise des notes avec le clavier braille. Afin d’éviter le dérangement

provoqué par le bruit de l’appareil, certains MNV enregistrent les cours magistraux ‘si les

professeurs sont consentants’ afin de les réécouter ou pour les retaper en braille après les

cours. Le travail de codage ou de retranscription en braille est par conséquent reporté par

certains MNV, voici les techniques utilisées pour lire le cours avant de le retranscrire :

«Parfois j’imprime (les polycops tapuscrits ou manuscrits), ou je les prends de la librairie. Après, je

demande à quelqu’un (V) pour me les lire, puis il me dicte pour je puisse écrire en braille, ou bien je

l’enregistre pour l’écouter chez moi. » (MV4)

« Avec l’enregistrement ou bien les filles me dictent et j’écris en Braille…» (NV7)

Si les cours magistraux sont déjà enregistrés sur le dictaphone, les MNV demandent

rarement aux V de leur lire les polycops pour les enregistrer. Mais dans le cas où ces cours ne

sont pas enregistrés, les MNV demandent souvent aux V de leur lire les cours car ces cours

tapuscrits ou manuscrits sont rarement décodés par les logiciels de reconnaissance visuelle

comme les OCR. Donc, les MNV se voient obligés de mobiliser un V pour lire les cours avant

la retranscription. En plus de cette dépendance vis-à-vis du V, ce processus de codage tactile

prend beaucoup de temps comme le soulignent certains MNV :

23 Le BrailleNote : c’est un petit appareil qui a la principale fonction de prendre des notes en braille, et il y a

même la possibilité dans certains appareils sophistiquées de lire en braille les informations stockées.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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« Il faut acheter le cours (le polycop) composé de 300 pages et l’écrire en braille ; ceci demande presque

un mois de travail chose qui n’est pas facile, la seule solution c’est d’enregistrer les cours ... » (MV13)

« Si le jour dure 24 heures (pour les voyants), je dirais qu’il nous faudrait (non-voyants) 48 heures… Je

dois enregistrer sur le dictaphone, écouter les différents points du cours, puis écrire en braille, finalement

je révise.» (MV16)

Nous avons remarqué que cette technique nécessite beaucoup de temps pour les

étudiants qui reportent la transcription. En plus, l’énumération des différentes étapes avant le

codage tactile démontre que les MNV mobilisent plus de temps que les V pour pouvoir

écouter et écrire les cours. D’ailleurs l’étudiant MV16 exprime sa souffrance à cause de la

longue période passée pour convertir ses notes sonores en notes tactiles. En plus de la

contrainte temporelle, une autre contrainte d’ordre matérielle s’impose car l’impression d’une

feuille braille est plus volumineuse qu’une feuille avec des caractères textuels.

« Par exemple : pour une feuille écrite au stylo, il faudrait à peu près 5 feuilles imprimées en braille,

donc ça prend plus de temps.. » (MV19)

Pour le cas des MNV arabisants, Les documents écrits en arabe demandent plus de

volume lors de la transcription en braille ; et cela dépend aussi des lettres (consonnes) arabes

si elles sont retranscrites avec les mouvements ḥarakat (voyelles) ou pas. Devant

l’engagement temporel et matériel pour l’impression des documents en braille, les étudiants

ne sont pas très motivés par la méthode de codage tactile en braille, sachant que l’impression

des documents en braille est très couteuse.

Comme autre alternative, certains étudiants utilisent le clavier de l’ordinateur

(alphanumérique) pour prendre leurs notes et sauvegarder leurs fichiers et documents

numérisés. Cet étudiant expose les limites de l’utilisation de cette technique :

« Pour moi, je tape mes notes sur le clavier de l’ordinateur car je connais l’emplacement des touches

alphanumériques avec précision, et après je convertis le fichier tapé en notes sonores. Pour la prise

de notes en classe, il faudrait avoir un ordinateur avec une bonne batterie, et il faudrait être très

rapide dans la saisie. » (NV24)

Parmi les étudiants qui gèrent les données numériques, nous avons remarqué que

l'exploitation du PC est très faible en classe ; faute de moyens financiers pour se procurer un

PC portable ou faute de batterie de longue durée. Malgré les ressources financières limitées de

certains étudiants qui ne possèdent pas de PC, nous pouvons dire que l’utilisation de la

transcription numérique constitue une nouvelle alternative de codage tactile grâce au clavier

alphanumérique où l’emplacement des touches est maîtrisé par certains MNV. En guise

d’éclairage, certains MV font même appel aux logiciels d’agrandissement comme ces MV :

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

62

« Il y a un centre de copies où les professeurs déposent leurs cours, et s’il en manque je peux demander à

des amis. Donc, je les scanne et je les insère dans des fichiers sur ordinateur pour agrandir l’écriture. »

(MV11)

« Et dans d’autres matières, il y a une fille qui a une écriture acceptable qui dépose ses prises de notes

dans le centre copie, je les photocopie… Après, je peux lire après agrandissement » (MV18)

Ces témoignages démontrent que certains MV ont la possibilité de recoder l’écriture

après avoir scanné les cours et agrandi grâce à des logiciels d’agrandissement sur l’ordinateur.

En plus de cette méthode qui concerne une minorité de MV qui peuvent lire, la possibilité du

codage tactile numérique permet à un grand nombre de MNV de créer des fichiers «format

texte » décodables grâce à la conversion tactile24

ou sonore25

; cette technique est réalisable

grâce aux lecteurs d’écran que nous allons développer dans cette deuxième sous-partie.

2) L’UNIVERS DE LA COMMUNICATION SONORE : LES LECTEURS D’ECRAN ET LES

LOGICIELS DE RECONNAISSANCE VOCALE

Les nouvelles technologies de l’information présentent plus de perspectives

d’autonomisation pour les MNV et ce, principalement grâce aux lecteurs d’écran qui ont

favorisé l’accès aux moteurs de recherche dans différentes langues. Ces nouveaux moyens de

communication ont aussi contribué au développement des réseaux relationnels entre MNV ;

surtout à travers les réseaux sociaux ou les messageries électroniques qui leur permettent de

partager les informations ou les documents textuels convertibles en données sonores. Malgré

l’efficacité de ces logiciels de conversion sonore au niveau des smartphones ou des

ordinateurs, ces logiciels pour MNV ne sont pas généralisés pour différentes raisons ; allant

des contraintes économiques au manque d’intérêt porté à ces outils durant les cours

d’informatique à la faculté. Dans ce sens, nous avons demandé aux étudiants MNV de

l’université HassanII de nous citer les différents logiciels de décodage sonore, leur fréquence

d’utilisation ainsi que leurs finalités.

2.1- Le décodage sonore

Nous entendons par le décodage sonore, les logiciels ou les lecteurs d’écran qui

permettent de convertir les données textuelles en données sonores. D’après les étudiants

interrogés, les logiciels les plus utilisés par les MNV sont : JAWS, NVDA, Ibsar, Leila,

Selma et Mehdi. Et comme logiciel utilisé en parallèle, nous citons des logiciels comme

24

Conversion tactile grâce à l’impression ; faute d’outils technologiques de lecture sur des appareils comme le

Braille Sense ou le Top-Braille. 25

Conversion sonore réalisable grâce aux lecteurs d’écran comme le JAWS, le NVDA, IBSAR, Leila et Selma

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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l’Acapella26

pour le choix de la voix féminine ou masculine. En plus, certains étudiants MNV

utilisent des logiciels intermédiaires pour convertir certains textes scannées à des formats

reconnus comme le word. Ces logiciels nommés OCR pour la reconnaissance optique des

caractères, ou encore appelé vidéocodage facilitent la conversion des données textuelles

scannés. Cependant, ces derniers logiciels ne permettent pas de traduire les textes avec

précision, et l’accès à la reconnaissance des images est encore en cours de développement. En

plus des logiciels adaptés aux ordinateurs, il existe d’autres logiciels intégrés comme

application de lecture sonore dans certains smartphone comme l’IPhone ou autres

smartphones qui introduisent l’option du narrateur pour lire les applications et les messages.

D’après les entretiens réalisés avec les étudiants de l’université Hassan II, nous avons

constaté que la majorité connait les logiciels et les utilise souvent. Pour ceux qui ont une

connaissance limitée des logiciels ou l’utilisent parfois, nous avons appris que ces derniers

n’avaient pas les moyens économiques ou ils n’avaient pas eu l’occasion de les étudier durant

les cours d’informatique. Et parmi ceux qui l’utilisent souvent, la plupart d’entre eux

priorisent les études puis ils laissent la distraction en deuxième plan et la communication en

dernier plan. Voici les témoignages de certains MNV à ce propos :

« Tu peux tout faire avec JAWS, tu peux écrire et tout, il peut aussi enregistrer les cours sur le PC.

La technologie est développée ce sont les mentalités qui doivent changer. » (MV8)

« J’apprécie le fait que certains professeurs travaillent avec l’ordinateur et les outils de technologie.

Je les aborde en leur demandant de me donner les cours sur une clé USB, chose qu’ils acceptent.

Après, je lis les cours par le logiciel JAWS. » (MV14)

Le logiciel JAWS est le lecteur d’écran le plus utilisé par les MNV de l’université.

Cependant la nécessité d’avoir des documents numérisés s’impose car le JAWS ou les autres

logiciels de conversion sonore ne peuvent lire que les documents tapuscrits et numérisés ;

c’est pour cette raison que la collaboration des professeurs est souhaitable afin d’obtenir les

cours numérisés. Parmi les autres supports numériques, nous citons les moteurs de recherche

où les étudiants peuvent réaliser leurs recherches sans demander aux V la lecture des polycops

manuscrits, comme le relate ce NV :

« Je m’en passe des cours, je prends connaissance des matières, des chapitres à étudier puis je fais

mes propres recherches sur internet, je trouve que c’est plus intéressant. Car si je prends le polycop,

26 Logiciel acapela virtual speaker : logiciel sonore développé par le groupe Acapela (expert européen de la voix)

pour faire parler les contenus dans 25 langues y compris l’arabe.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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je ne sais quoi faire, je dois chercher quelqu’un pour me lire, ce qui n’est pas toujours possible. Donc

je préfère travailler sur internet et de temps en temps travailler avec les amis. » (NV25)

En plus des moteurs de recherche, nous citons les pages des réseaux sociaux ou encore

les sites internet de partage de documents. Les témoignages suivants relatent l’efficacité de

ces techniques de partage:

« Il s’agit d’un groupe (sur le réseau social Facebook) auquel les étudiants de 1ère année ont accès.

Tu peux y accéder en intégrant ton nom d’utilisateur, puis l’administrateur t’accepte. Les membres

de ce groupe partagent les documents du cours ; ils sont par conséquent téléchargeables sur le net.

Dans d’autres cas, je demande à un intermédiaire de m’enregistrer les documents sur une clé USB

ou sur un CD… » (NV2)

« Il y a une initiative que les étudiants ont déjà mis en marche et que j’ai appréciée et encouragée,

c’est un étudiant qui a proposé de créer un site internet destiné aux étudiants et dans lequel les cours

seront publiés. Je l’ai contacté et j’ai proposé que tous les cours soient enregistrés et publiés dans le

site et que l’enregistrement et la diffusion soient instantanés pour que l’étudiant absent soit à jour.

Cette idée marche très bien sauf quelques retards dans la diffusion. » (NV27)

L’efficacité de ces modes de diffusion s’explique par la facilité d’accès aux documents

numériques (textuels ou sonores) et la rapidité dans l’accès à l’information. Malgré certains

retards dans la diffusion de l’information ou dans l’envoi des documents, cette technique de

partage des documents s’avère très utile surtout que les documents numérisés sont facilement

lus par les lecteurs d’écran ou les logiciels de conversion sonore.

Il parait évident que l’utilisation de ces logiciels de conversion sonore atténuent la

dépendance ou l’assistance demandée aux voyants concernant la lecture des documents

tapuscrits numérisés, sachant que les documents manuscrits ne sont pas toujours décodables

par les OCR. Nous avons aussi déduit que les contraintes financières empêchent certains

étudiants MNV de disposer d’un ordinateur avec ces logiciels sonores ; ce qui entrave leur

autonomie et perpétue leur recours à l’aide des voyants pour la lecture des documents, ou

encore ils cèdent à la facilité du codage sonore grâce aux enregistrements des cours après la

demande du consentement de l’enseignant.

2.2- LE CODAGE SONORE :

Nous entendons par le codage sonore l’ensemble des outils utilisés pour sauvegarder

les données sonores. Grâce aux nouveaux logiciels de reconnaissance vocale comme Speech

and Recognition et Dragon Naturally speaking ou encore les applications de reconnaissance

vocale « Talk » sur ordinateurs, tablettes et smartphones, il y a la possibilité de dicter les

données sonores qui peuvent être converties en texte. Cependant cette démarche de codage

reste méconnue ou inaccessible pour les étudiants de l’université Hassan II. La méthode

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

65

classique pour sauvegarder les données est l’enregistrement à travers le dictaphone. Par

conséquent, la technique d’enregistrement comme moyen de codage sonore reste la principale

technique de codage de l’information pour les MNV. Les raisons derrière l’utilisation massive

de cette technique de codage sonore sera développée dans le chapitre suivant.

En définitive, les logiciels les plus utilisés sont ceux liés au décodage sonore comme

les lecteurs d’écran JAWS et NVDA. Par contre les logiciels de reconnaissance vocale ne sont

pas très développés dans toutes les langues et difficilement accessibles. Il est clair que

l’éventail de logiciels offerts par les nouvelles technologies offrent de nouveaux moyens

d’autonomisation pour les MNV, mais il y a d’autres axes d’amélioration au niveau des

logiciels pour développer certains codes qui ne sont pas toujours convertibles par les OCR

comme : l’image ou les textes manuscrits.

En guise de conclusion, les moyens de communication tactiles et sonores ‘adaptés aux

MNV’ permettent de réduire le handicap de communication. En l’absence d’œil électronique

qui puisse rétablir la déficience visuelle, les outils précités sont les seuls capables de favoriser

l’autonomie dans la lecture et l’écriture chez les déficients visuels. À part les logiciels de

conversion tactile et sonores, certains MV utilisent les logiciels d’agrandissement de

caractères, mais cette technique reste très rare et relative au degré d’atteinte visuelle de

chaque MV.

Finalement, la prévalence de l’usage des moyens de communication sonore au

détriment des moyens de communication tactile s’explique par la facilité d’accès à certains

logiciels sonores par opposition aux outils tactiles qui sont difficilement accessibles. Cette

inaccessibilité est justifiée par la non disponibilité d’une imprimante braille chez les étudiants

ou faute d’une bibliothèque braille ou d’un centre copie braille. Bien qu’il existe des outils de

haute technologie qui permettent de convertir les données textuelles en données tactiles

comme la souris Top-Braille ou l’appareil Braille Sense, ces derniers sont méconnus ou

inaccessibles pour les étudiants de l’université HassanII Casablanca. D’autres projets pour les

MNV sont en cours de développement à différente échelle à travers le monde, il s’agit d’outils

de haute technologie comme la canne roulante munie d'un GPS ou les appareils de conversion

des données graphiques et textuelles en surface tactile grâce à des supports gonflables qui

permettent de transformer les images et les textes sélectionnés en formes et reliefs imprimés

en 3D. L’évolution de tous ces outils tactiles et sonores favorise non seulement l’accessibilité

de l’information mais elle contribue aussi à l’autonomisation progressive des MNV.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Vu l’accessibilité limitée ou réduite des outils technologiques pour les étudiants MNV

de l’université Hassan II, nous allons citer dans le chapitre suivant les méthodes et les outils

traditionnels pour l’apprentissage comme le dictaphone.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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VI- PEDAGOGIE ET ENREGISTREMENT DES COURS

Parmi les divers pratiques et outils utilisés par les étudiants MNV à l’université, nous

nous sommes intéressés plus particulièrement à l’enregistrement sonore ; une pratique

courante et privilégiée chez la totalité des étudiants aussi bien de la FLSH que ceux de la

FSJES. En effet, cette pratique garantit l’accès aux apprentissages avec une certaine

autonomie. Cependant, elle se heurte à deux problèmes majeurs: le refus de certains

enseignants d’être enregistrés pendant le cours, et le besoin d’une autre personne (étudiant

voyant, ami, membre de la famille) pour faire l’enregistrement des cours, chose que plusieurs

étudiants en situation de handicap visuel considèrent comme un frein à leurs apprentissages.

Pour analyser les récits des « étudiants en situation de handicap visuel » concernant

l’utilisation des enregistrements sonores et les difficultés qu’ils rencontrent, nous allons faire

appel à la notion de « coopération »27

qui intervient dans la relation de l’étudiant en situation

de handicap visuel avec ses pairs, son entourage familial et affectif qui agissent comme des

« tuteurs ». Avant de jeter la lumière sur la méthode d’enregistrement des cours, nous allons

présenter le rôle de la pédagogie différenciée pour les MNV.

1) PEDAGOGIE DIFFERENCIEE : UNE GARANTIE POUR L’EGALITE DE L’ACCES A

L’INFORMATION

La pédagogie différenciée est une pédagogie qui permet à des personnes qui n’ont pas

les mêmes capacités ni les mêmes compétences de bénéficier d’une façon égale des mêmes

enseignements. C’est une pédagogie qui reconnait les multiples différences qui existent entre

les étudiants-es. Dans ce cadre, elle s’oppose fortement à la pédagogie traditionnelle qui

déploie un enseignement « uniforme » en utilisant les mêmes outils et les mêmes contenus.

Ainsi les étudiants-es en situation de handicap visuel (MV et NV) à l’université souffrent de

l’inadaptation des enseignements qui répondent pas à leurs besoins. Le fait qu’ils n’aient pas

accès aux informations visuelles les écarte en quelque sorte du processus d’apprentissage.

27 DEJOURS (1993) définit la notion de « coopération » comme les liens qu’établissent des individus ensemble

afin d’accomplir volontairement un travail commun. Il ajoute que cette définition s’attache au fait que : « la

notion de liens qui associent les agents entre eux, implique des relations d’intercompréhension,

d’interdépendance et d’obligation ». Dejours, Christophe., (1993) « Coopération et construction de l’identité en

situation de travail » consultation en ligne

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

68

« Je pense qu’on est trop nombreux dans cette branche, 2ème problème c’est qu’on ne prend pas en

considération les niveaux des étudiants, il y a certains qui ont fait ta’lim assil qui sont plus avancés,

et en plus il n’y a pas de classification selon les niveaux, soit en fonction du bac ou en fonction de

ceux qui ne voient pas bien, tout est mélangé. » (MV18)

«Le seul problème qui se pose c’est lorsque le professeur explique le cours sur le tableau, on sent

qu’il ne s’adresse pas à nous mais aux étudiants voyants, nous on se base sur l’ouïe donc si le

professeur utilise le tableau il doit au moins utiliser le micro notamment lorsqu’il s’agit d’amphi »

(MV1)

Les études à l’Université posent tout d’abord le problème de l’effectif. La présence des

étudiants-es en situation de handicap visuel en nombre limité dans des amphis avec des

centaines d’étudiants-es voyant fait triompher les principes de l’uniformité et de la normalité.

Ainsi les apprentissages sont dispensés en fonction des étudiants les plus représentatifs.

Ensuite, les étudiants dans le même groupe n’ont pas le même niveau de connaissances. Les

étudiants-es en situation de handicap visuel se trouvent dans l’obligation de compenser avec

un travail et des recherches personnelles, chose qui n’est pas facile en l’absence d’outils de

travail appropriés à leur handicap.

« Le problème que j’ai trouvé dans cette filière c’est que chaque professeur nous demande de lire un

ouvrage de référence, mais ces ouvrages n’existent pas en braille donc nous nous limitons au cours

donné. » (NV26)

Enfin, les supports utilisés pour les enseignements au sein de l’université sont

généralement des supports traditionnels qui se basent sur le visuel. Et ce, malgré l’effort de

quelques enseignants-es d’introduire l’usage du Power Point comme nouvelle technique. Il

reste que les enseignements ne répondent pas aux besoins des étudiants-es en situation de

handicap visuel.

1.1- LA RELATION ENSEIGNANT -E/ETUDIANT -E :

L’interaction enseignant -e/ étudiant -e reste au cœur de tout enseignement, qu’il

s’agisse d’un modèle d’apprentissage traditionnel, d’une pédagogie intégrée ou différenciée.

La relation tissée entre l’enseignant -e et l’étudiant -e en situation de handicap visuel permet

de créer de nouvelles passerelles d’apprentissage à travers l’échange, le dialogue et surtout la

proposition et la négociation de nouvelles méthodes.

Ainsi l’absence d’interaction peut accentuer le problème d’accès aux apprentissages.

Les enseignants ne sont pas sensibilisés aux problèmes d’apprentissages des étudiants-es en

situation de handicap visuel. Le manque de disponibilité et d’écoute des enseignants-es et le

renoncement des étudiants à faire part de leurs obstacles d’apprentissage convaincu de

l’inutilité de leur démarche, laisse certainement échapper l’opportunité de faire des

remédiations et de chercher des solutions adéquates.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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« Je ne pense pas qu’il y ait un professeur qui ait adressé la parole un jour à un étudiant non voyant.

Il n’y a pas de contact entre les deux.

Parfois c’est dû à l’étudiant qui est intraverti mais d’autres fois, c’est dû aussi au professeur qui

veut juste assurer son heure et demi de travail et partir rapidement après. Il n’a pas le temps de régler

ou d’entendre les problèmes d’un non voyant. » NV13

L’analyse des récits recueillis auprès des étudiants-es en situation de handicap visuel,

non-voyants et mal voyants, montre que dans le cas où ces derniers communiquent leurs

obstacles aux professeurs, deux réactions sont à enregistrer : L’indifférence ou la coopération.

1.2- LA NOTION DE « COOPERATION » ENTRE ENSEIGNANT-E/ ETUDIANT-E :

Travailler avec une pédagogie différenciée, rappelons-le, signifie individualiser les

enseignements et les adapter aux besoins des étudiants –es en situation de handicap visuel.

Une approche qui ne peut se réaliser sans passer par l’écoute, l’interaction et le dialogue

mutuel afin de trouver d’éventuelles solutions aux obstacles d’apprentissage.

Véronique CARRIERE remarque que « même si certains enseignants refusent

d’adapter leur support, la plupart d’entre eux apportent volontiers leur soutien aux

étudiants »28

ce qu’elle qualifie par « coopération », notion qui nait de l’interaction entre

enseignants-es et étudiants-es. Pour définir cette notion, elle adopte la définition de

Montangero et Maurice Naville « la coopération au sens général consiste dans l’ajustement

de la pensée ou des actions personnelles à celles des autres, avec une mise en relation

réciproque des perspectives »29

.

Les étudiants en situation de handicap visuel interviewés ont relevé également ce

genre de « coopération » de la part de certains professeurs. Le cas le plus marquant est celui

du professeur des Etudes Islamiques qui a fait l’enregistrement d’un ouvrage de référence de

sa propre voix sur CD, spécialement pour les étudiants-es en situation de handicap visuel afin

de leur faciliter l’accès au contenu.

« Il y a un professeur que j’aimerais bien remercier car il a fait une bonne initiative. Il nous a fait

(« nous » renvoie aux étudiants non-voyants), l’enregistrement du livre sur lequel nous allons

travailler avec sa propre voix afin de nous faciliter l’accès, il l’a fait exprès pour les étudiants NV. » (NV 26)

28 CARRIERE, V., Apprentissage médié par les TICE :le cas des étudiants déficients visuels, thèse de doctorat,

8 juin 2012, p 182 29 CARRIERE, V., La pédagogie différenciée : un processus coopératif entre enseignant et étudiant déficient

visuel, p. 4, consultation en ligne le 10/03/2014

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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La «coopération » entre Professeurs et Etudiants peut contribuer à faciliter l’accès aux

apprentissages puisqu’elle ouvre la voie vers des initiatives, même individuelles, qui

répondent aux besoins fondamentaux des étudiants-es en situation de handicap visuel.

Il faut noter que la notion de « coopération » intervient également dans les relations de

pairs (Etudiant-e en situation de handicap visuel à Etudiant-e voyant) quand il s’agit de

convertir les polycopiés en Word ou notamment pour l’enregistrement des cours format audio.

1.3- DE L’INDIFFERENCE AUX DIFFERENCES, AUX INEGALITES D’APPRENTISSAGES30

Les enseignants -es ignorent parfois la présence de ces étudiants-es en situation de

handicap visuel dans leur classes vu le grand nombre d’étudiants par groupe (surtout dans les

filières de littérature Arabe et des Etudes Islamiques à la FLSH et la filière du Droits à la

FSJES où le nombre d’étudiants dépasse parfois les 300 par groupe). Mais, quand ils sont

avertis de leur présence par le contact direct de ces derniers, les enseignants-es restent

indifférents à cette situation.

« On aurait aimé avoir une cellule spéciale dans l’administration pour les étudiants NV. Cette cellule

sera responsable de la relation entre l’étudiant et le professeur. Elle peut prévenir le professeur à

l’avance de la présence de l’étudiant NV dans son groupe pour qu’il te permette au moins de suivre

les cours avec un peu plus d’intérêt de la part du professeur » (NV26)

« Tu parles au professeur mais il te répond qu’il ne peut rien pour toi, il te dit « qu’est-ce que tu veux

que je fasse pour toi ? Tu es comme les autres (bhalek bhal lakhrin) » » (NV28)

L’indifférence des enseignants-es peut être expliquée selon les étudiants-es en

situation de handicap visuel par deux faits : la méconnaissance des implications didactiques à

la déficience visuelle et l’utilisation limitée des TICE.

En effet, certains étudiants interviewés relèvent l’absence de formation des professeurs

en matière de communication et d’implication didactique en faveur des personnes en situation

de handicap visuel. Les professeurs habitués à des classes de personnes normales, ne sont pas

sensibilisés aux méthodes d’enseignement adaptées à cette catégorie.

« Il faut que les professeurs soient conscients des différences des étudiants, il faut consacrer des

séances de formation pour les professeurs car c’est difficile pour un professeur qui n’a jamais eu

contact avec un NV de lui dispenser un enseignement. Certains se trouvent dans une situation où ils

ne savent pas comment faire et c’est à l’étudiant NV de chercher une stratégie pour s’adapter au

professeur. » (NV26)

En outre, L’absence ou l’utilisation limitée des TICE freine le processus

d’apprentissage chez les étudiants -es en situation de handicap visuel qui utilisent de plus en

30 « L’indifférence aux différences transforme les inégalités initiales devant la culture en inégalités

d’apprentissage, puis de réussite scolaire comme l’a montré Pierre Bourdieu [1966] » Perrenoud,

Philippe, Pédagogie différenciée, Issy-les-Moulineaux, ESF éditeur, 1997, p. 9

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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plus l’outil informatique (plage braille, synthèse vocale, logiciel de navigation internet,

dictaphone…).

L’enseignement à l’université se fait généralement à travers les explications orales ou/

et écrites données en cours, les polycopiés quelquefois manuscrits et les lectures (Livres-

revues- ouvrages généraux…). Sauf pour l’explication orale, il est basé sur des supports

visuels non adaptés aux besoins des étudiants –es à déficience visuelle ; cependant même les

explications orales qui posent autrement le problème de prise de note. Ce décalage entre les

méthodes utilisées par les enseignants-es à l’université et les besoins des étudiants-es en

situation de handicap visuel en matière d’adaptation des contenus aux nouvelles techniques

informatiques constitue un obstacle majeur pour ces derniers, et accentue les inégalités

d’apprentissage.

« Tout enseignement est intéressant, mais pour un NV, il doit faire beaucoup d'effort, un double

effort pour y arriver et pouvoir être au niveau des autres, des Voyants car c'est un enseignement

basé sur l'écrit c'est-à-dire le visuel, alors que nous nous basons sur l'écoute. » (NV 25)

« On trouve des difficultés pour l’accès aux livres. Si tu veux juste valider les modules, tu peux te

contenter des polycops. Mais si tu veux améliorer ton niveau, il faudrait lire plusieurs ouvrages. Il

faudrait les scanner et les agrandir dans le PC » (MV 18)

« On demande qu’ils (les professeurs) nous enregistrent le contenu en version Word sur une clé

USB, ils refusent sous prétexte qu’ils ne disposent pas des contenus en Word. » (NV28)

Face à cette situation, la totalité des étudiants –es en situation de handicap visuel

adoptent la méthode d’enregistrement des cours à l’aide d’un dictaphone, seul moyen en leur

possession pour assurer le suivi des cours d’une façon régulière mais qui se heurte à d’autres

problèmes.

2) L’ENREGISTREMENT SONORE, UNE STRATEGIE D ’ACCES AUX APPRENTISSAGES

POUR LES ETUDIANTS-ES EN SITUATION DE HANDICAP

L’absence d’une pédagogie d’enseignement adaptée aux besoins des étudiants-es en

situation de handicap visuel, à laquelle s’ajoute le manque d’initiation aux nouvelles

techniques en informatique font de l’enregistrement sonore l’outil le plus utilisé par la

totalité de ces derniers.

Cependant, l’utilisation de cet outil avec tout ce qu’il présente comme opportunités

d’apprentissage n’est pas sans inconvénients pour les étudiants-es en situation de handicap

visuel. Des inconvénients liés non seulement au matériel et à la logistique mais également

d’ordre interactionnel et social.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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2.1- LES DIVERSES UTIL ISATIONS DE L’ENREGISTREMENT SONORE:

Le recours des étudiants en situation de handicap visuel à l’enregistrement sonore des

cours rentre dans un mode de compensation du déficit visuel par le développement de la

capacité auditive ce qui nous renvoie à la notion de « résilience ».

La résilience dans le cas de ces étudiants-es consiste en leur capacité de s’adapter et

adapter leurs moyens biologiques, psychologiques et matériels afin d’affronter leur

difficultés31

. La notion de résilience ne s’arrête pas sur les déterminants biologiques et

psychologiques mais elle intervient aussi pour l’adaptation des moyens matériels.

L’analyse des récits des étudiants-es en situation de handicap visuel autour de la

question de l’enregistrement sonore montre qu’ils utilisent tous cet outil. Certains le

combinent avec le braille ou avec des logiciels informatiques Jaws, Tucks, Laila ou Salma.

« Je dois enregistrer dans le dictaphone, écouter les différents points du cours, écrire le braille après

je révise. » (MV16)

« Comme j’ai dit, moi je ne me base pas sur les cours, je fais mes recherches via internet avec des

logiciels de navigation et j’essaye en classe d’enregistrer le maximum d’explications mais je travaille

beaucoup hors classe. » (NV27)

D’autres font de lui le seul élément d’apprentissage. En effet, tous les étudiants-es de

notre enquête ne maîtrisent pas le braille surtout ceux qui ont perdu la vue à l’âge adulte et qui

n’ont pas passé par l’OAPAM. En plus, plusieurs étudiants-es ne sont pas initiés à l’utilisation

des techniques informatiques. Pour cette catégorie, le seul moyen de prendre des notes en

classe ou en amphis est de faire un enregistrement sonore.

« Il n’y a pas de version audio des livres et en plus si on trouve le livre sur internet et si quelqu’un

met une recherche sur internet, c’est en version PDF et non en Word, alors que les logiciels dont

nous disposons ne font pas la lecture des documents PDF. Ensuite, il y a plusieurs NV qui ne

maitrisent pas les logiciels ils ont l’habitude d’étudier à travers l’écoute, ils ont appris cela dès leur

jeune âge » (NV18)

L’enregistrement est un moyen de convertir les supports visuels écrits (polycopiés,

livres, synthèses) en supports auditives plus accessibles aux étudiants-es en situation de

handicap visuel, ce qui permet d’y revenir plus tard pour la préparation aux examens.

« Je prépare également avec ma fiancée, elle s’est adaptée à mon rythme de travail et on travaille

bien ensemble, elle me lit les polycopiés on fait ensemble les synthèses puis je les enregistre, après je

les réécoute une fois seul » (NV28)

Outre la possibilité de l’accès par audition aux cours, l’enregistrement sonore est très

courant chez les étudiants-es en situation de handicap visuel grâce à son coût matériel réduit.

31 ANAUT, M., La résilience, Surmonter les traumatismes, Paris, Nathan, 2003, p.33

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Les étudiants peuvent utiliser un dictaphone, un magnétophone et dans certains cas ils

utilisent leurs téléphones portables ce qu’on peut qualifier comme « résilience matérielle » qui

réduit le coût des apprentissages et encourage les étudiants NV et MV à s’engager dans les

études universitaires.

« Donc je n’ai pas terminé les études car pour moi la première contrainte c’était comment j’allais

faire pour le trajet c'est-à-dire comment je pouvais aller et venir de la fac, deuxièmement comment

j’allais écrire les cours alors que je ne connaissais pas le braille et si je devais enregistrer, comment

je pourrais faire en plus que c’était couteux car il n’y avait pas encore ces nouvelles technologies, on

avait besoin d’un magnétophone qui marchait avec des cassettes et qui nécessitait un budget ce que

je n’avais pas. » (NV27)

2.2- LES LIMITES DE L’UTILISATION DE L’ENREGISTREMENT SONORE :

L’enregistrement sonore est un outil qui permet aux étudiants-es en situation de

handicap visuel l’accès aux apprentissages. Cependant, cette méthode se heurte à plusieurs

obstacles dont le plus exprimé dans les récits est le refus de certains professeurs qu’ils soient

enregistrés pendant les séances.

« Il y a un professeur qui n’a pas apprécié d’être enregistré pendant les cours et quand on lui a

expliqué que cet enregistrement sera au profit des NV, il a dit aux étudiants « vous pouvez les aider

vous-mêmes et coopérer avec eux pour l’accès aux cours sans enregistrement », je ne sais pas

pourquoi, peut être que ça le dérange ou quoi ! » (NV27)

Les étudiants-es expliquent les causes du refus par le fait que certains professeurs

abordent, selon la matière enseignée, des sujets sensibles, ainsi ils refusent de laisser une trace

sonore de leurs propos. D’autres trouvent que c’est par manque d’intérêt de la part de ces

professeurs à la situation de l’étudiant en situation de handicap visuel.

« Il y a des professeurs qui refusent d’être enregistrés et l’expliquent cela par le fait que le contenu

des cours est sensible, il peut toucher le gouvernement, la législation…ils refusent que cela fait

l’objet d’un enregistrement vocal et nous demandent de prendre les notes des autres étudiants à côté

du polycop déposé déjà au centre de copie » (NV28)

« J’ai également l’enregistrement d’un professeur qui a refusé que le dictaphone soit mis devant lui,

il a dit que cela perturbe ses idées. » (NV28)

Le refus de certains professeurs des enregistrements sonore entrave la relation avec

l’étudiant-e, limite l’interaction et accentue la dépendance de ce dernier. Cependant,

l’enregistrement sonore n’est pas vraiment un outil favorable à l’autonomie des étudiants-es

en situation de handicap visuel puisqu’ils ont toujours besoin de personnes voyantes

(Camarades, amis-es, membres de la famille) pour leur faire la lecture ou l’enregistrement des

polycops ce qui nous renvoie encore une fois à la notion de « coopération » mais cette fois

dans le cercle familial ou celui de pairs.

« La plupart des profs peuvent te laisser le cours chez des centre de photocopie, je prends ces cours et

je les ramène chez moi, il y’a mes frères et sœurs qui me les lisent et je les enregistre sur le

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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dictaphone. J’ai deux sœurs et un frère ; ma sœur à une licence en anglais et mon frère bachelier et

qui travaille dans une société, ma sœur a un niveau baccalauréat, parfois ce sont mes amis dans la

cité universitaire qui m’aident à enregistrer. » (NV9)

Le fait d’avoir besoin de personne disponible pour assurer la lecture et

l’enregistrement impose aux étudiants en situation de handicap visuel d’entretenir

continuellement des relations avec les amis-es et parfois crée un sentiment de redevabilité.

« Il y a des NV qui refusent de partager les enregistrements avec les voyants. Moi j’essaye d’être

compréhensif vis-à-vis de tout le monde, je cultive mes relations avec le bon comportement, je

m’excuse toujours auprès des personnes qui me rendent des services et je multiplie les

remerciements, et si j’ai l’occasion de rendre le service je le fais même en payant un café » (NV28)

Il faut noter que le niveau scolaire des frères et des sœurs influe parfois le choix de la

filière des étudiants-es en situation de handicap visuel. Ainsi plusieurs d’entre eux n’optent

pas pour les filières de langue étrangères à cause de cet obstacle.

Finalement, l’enregistrement sonore demande aux étudiants-es en situation de

handicap visuel beaucoup de temps pour écouter les enregistrements, faire les synthèses

enregistrer les synthèses, les réécouter encore une fois sans oublier les enregistrements

réalisés peuvent être de très mauvaise qualité.

« Le cours dure environ 1heure et demi, on a deux cours par jour c'est-à-dire 3 heures de suite et

puisque je n’écris pas en braille donc j’enregistre et pour réécouter les enregistrements ça me prend

3 autres heures tout en cherchant quelqu’un d'autre pour lui dictée la synthèse si je ne trouve

personne c’est un problème car je dois écrire la synthèse pour éviter d’écouter tout l’enregistrement.

Enregistrer la synthèse est impossible car cela demande la présence de deux dictaphones le premier

en marche et le deuxième pour enregistrer ma voix et qui doit être de bonne qualité. » (NV27)

« Mais là, je me base sur l’enregistrement mais parfois la qualité de l’enregistrement est très

mauvaise si le dictaphone n’est pas mis juste à côté du prof, ensuite écouter les enregistrements est

une tâche qui n’est pas facile cela demande beaucoup de temps et d’effort de concentration (…)

parfois j’enregistre également les discussion en aparté des personnes à côté de moi, deux filles qui

parlent du maquillage, des catalogues de beauté alors que je n’ai pas le droit de leur demander de se

taire pendant le cours » (NV28)

L’absence d’une pédagogie différenciée adaptée aux besoins des étudiants en situation

de handicap visuel font de l’enregistrement sonore des cours le moyen d’apprentissage le plus

utilisé à l’université. Cependant, c’est un outil à la fois apprécié et critiqué de la part des

étudiants-es qui doivent chercher continuellement des personnes qui acceptent de faire la

lecture ; ce qui accentue le sentiment de dépendance et crée des conflits. Pourtant, certains

étudiants-es non-voyants relève le fait que beaucoup d’étudiants voyants viennent solliciter

leurs enregistrements, un acte qui renforce le sentiment d’inégalité.

Après avoir étudié la pédagogie différenciée qui pourrait renforcer l’égalité des

chances des MNV à l’accès aux méthodes et aux outils adaptés à leur déficience, nous nous

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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projetons dans les perspectives d’avenir et plus particulièrement dans le métier d’avenir

adapté aux MNV.

VII- DE L’AVENIR ET DE SA PERCEPTION CHEZ DES JEUNES MAL OU NON-

VOYANTS

Dans cette partie, nous lions la situation des MNV au concept de « pont et porte »32

de

Simmel pour décrire la situation de passage ou de transit. La liminalité peut être utilisée

comme un concept descriptif d’une situation intermédiaire mais cette description est plutôt

statique. Tandis que la métaphore du « pont et porte » permet d’apporter une description plus

dynamique de cette situation. Le pont implique un parcours et un mouvement. La porte

implique l’existence d’un seuil, concept utilisé d’ailleurs au sein de la théorie de la liminalité,

et d’une action d’ouverture de cette porte ou au moins une tentative de le faire. Pour Simmel

« le pont va montrer comment l’homme unifie la scission de l’être purement naturel, et la

porte, au contraire comment de cet être naturel il scinde l’uniformité continue » (Simmel,

1909). Nous essayons ainsi de montrer comment des MNV se représentent l’avenir à partir de

cette métaphore.

L’analyse des récits des MNV autour de leur perception de l’avenir montre que ces

perceptions peuvent être analysées aussi bien comme étant une situation liminaire et un

passage ou non réussi du Pont vers la Porte. Nous avons regroupé ces perceptions selon quatre

typologies. D’abord une vision optimiste de l’avenir, une autre pessimiste, une autre qui le

voit stationnaire et enfin une autre qui ne souhaite même pas y penser et s’attache fortement

au présent.

1) DE L’OPTIMISME : ETUDIER, TRAVAILLER ET VIVRE NORMALEMENT

ENSUITE.

1.1- ETUDIER ET PREPARER UN DIPLOME : UN PROJET INCONTOURNABLE

Chez les étudiants MNV la préparation d’un diplôme est considérée comme un projet

très important pour améliorer les chances d’avoir un emploi une fois le diplôme obtenu. Des

32Simmel (Georg), « Pont et porte » (1909), in Simmel (Georg), La tragédie de la culture et autres essais, Paris,

Rivages, 1988, p. 161-168.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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études menées avec sérieux permettent aussi bien l’obtention de ce diplôme qu’une bonne

formation académique qui servira pour bien exercer son futur emploi.

« Dieu merci ( Alhamdulillahالحمد هلل ) , étant comme chacun Dieu merci ( الحمد Alhamdulillah) qui a étudié et a eu un diplôme, l’emploi pour moi est la récompense de ceهلل

que j’ai vécu, quand il y’aura l’emploi tout ça va être récompensé, c’est le souhait de chacun »

(MV9)

« Je suis optimiste Dieu merci (Alhamdulillahالحمد هلل ) , si je garde le même niveau je

réaliserai tout ce que je veux, avec l’aide de Dieu, certes, il y aura des obstacles mais je suis

optimiste et je me dis que je suis capable de surmonter ou d’éviter ces obstacles » (MV1)

Pour les MNV les études diplomantes sont considérées comme le seul moyen de

garantir un avenir meilleur. Etudier est la voie presque unique qui permet à un MNV de se

frayer un chemin malgré la difficulté et les contraintes rencontrées à cause de sa situation de

handicap.

« Ils n’ont pas beaucoup de perspectives s’ils n’étudient pas. Si tu n’étudies pas (silence),

c’est comme (silence) c’est comme si tu vas sortir dans la rue pour demander l’aumône. »

(NV20)

« Pour nous les NV la seule chance c’est les études, un voyant il peut faire d’autres

choses» (NV7)

Le diplôme considéré à la fois comme un document officiel et entant que symbole

d’une maitrise de savoirs. Dans la métaphore du « Pont et porte» (Simmel, 1909), le diplôme

est comme une clé capable d’ouvrir la porte de l’avenir pour passer vers une vie meilleure. La

sortie de la situation de liminalité vers la post-liminalité est possible grâce au diplôme qui

permet d’ouvrir cette porte. Le rôle du diplôme en tant que « clé » pour accéder à un emploi

est explicitement exprimé. Non seulement le diplôme est une clé mais c’est une clé qui peut

être une clé « passe-partout ».

« Il (le diplôme) représente pour moi l’échelle10, peu importe le domaine. » (MV14)

L’objectif est donc clairement exprimé et le diplôme ne représente qu’un outil et non

pas un objectif en lui-même. C’est surtout dans le cas des MNV qui comptent trouver un

travail avec l’Etat que l’importance du diplôme en tant que gage d’entrée dans la fonction

publique est clairement montrée.

1.2- UN AVENIR QUI PASSE OBLIGATOIREMENT PAR LE TRAVAIL

L’objectif principal de l’obtention d’un diplôme est le « travail ». Par le terme

« travail » les MNV veulent souvent dire un emploi salarié ou fonctionnaire au sein de l’Etat.

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Mais parfois le travail réfère aussi à certains métiers manuels ou intellectuels. Trouver un bon

travail est une ouverture de la porte et une entrée dans un monde plus stable et normale.

« A l’avenir, je pense que le regard des autres changera si je réalise beaucoup de choses

si je travail et je produis. N’importe où quand une personne travaille et produit les gens

la respectent. Et maintenant, les NV qui par exemple, gagnent des concours de psalmodie

du Coran « التجويدtajwid » ou les métiers d’artisanat, par exemple, ce regard négatif est

brisé petit à petit, même dans le bus les NV ne mendient pas, ils vendent des choses, du

« kleenex », et les choses vont changer. Si on voit un NV orateur de la prière du vendredi

da’iya », un NV animateur à la radio, ce regard داعية» Imam », un NV prêcheur إمام »

négatif va se briser, les mass médias aident dans ce sens, les NV doivent prendre

l’initiative et produire, réaliser des choses, et à chaque fois qu’il en a l’occasion montrer

ses compétences, il sera respecté par les gens » (NV2)

L’étape de la faculté se termine par une intégration de la vie professionnelle qui veut

aussi dire vie sociale. Le travail permet de sortir de la liminalité et de quitter le Pont. Cette

sortie se fait vers le monde « normal ». Cette expression est reprise par un MNV qui décrit le

fait de trouver un travail comme une façon de redevenir normal comme les autres.

« Avec la volonté de Dieu, je suis optimiste. Il ne faudrait pas se lamenter sur son

sort et attendre que l’autre fasse quelque chose pour toi. Il faudrait commencer le

changement par soi-même et ne pas attendre l’Etat. Il faut compter sur soi et ne

jamais montrer que tu es n’est pas normal « sawi » sinon jamais ils vont te

considérer comme personne normale « sawi » » (NV23)

La vision de ce qui vient après la porte est construite à partir des expériences et des

parcours d’autres MNV qui sont passés par le pont de la faculté notamment. Non seulement

ces MNV qui ont réussi ont trouvé du travail mais en plus ils sont excellents dans leurs

domaines d’activité.

1.3- SE MARIER ET AVOIR DES ENFANTS

Fonder une famille et avoir des enfants qui vivront dans de bonnes conditions sont des

étapes projetées mais qui se trouvent aussi au-delà de la porte. Une fois la « porte » ouverte

sur un emploi, les ressources financières mais aussi symboliques faciliteront en principe la

fondation d’une famille.

« Pour l’avenir si Dieu le veut (إن شاء هللا Inchallah) , j’espère que ce sera bien, je

me vois comme chef de famille, avec des enfants, je me comporterai normalement

avec eux, je leur montrerai que je ne vois pas, d’ailleurs ils vont le savoir dès leur

jeune âge, ils vont trouver ça normal et quand ils grandiront ce sera toujours

normal, tu comprends ? C’est une vision positive ; il me faut une seule chose : le

travail, c’est ce dont j’ai besoin, ni plus ni moins. » (NV3)

Après l’ouverture de la porte, c’est le travail qui est la première étape. Ce n’est que

après que le projet de se marier et fonder une famille peut voir le jour. Pour commencer une

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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nouvelle vie après le passage de la porte, les MNV mettent toutes les chances de leurs côtés.

En plus des ressources financières, le choix du conjoint n’est pas aléatoire mais suit une

logique de préférence pour une personne non-handicapée. Les MNV donnent explicitement

une raison « fonctionnelle » de ce choix et celui-ci peut être expliqué par une volonté de finir

avec la période liminale. Le passage par le pont doit être oublié et fonder une famille avec une

personne « normale » est aussi une façon de vivre normalement.

« Je suis optimiste, Je veux aller en France, je veux faire un tour là bas et à propos du

mariage, j’ai un projet maintenant, il est voyant ; une fois il y’avait un mal-voyant qui voulait

se marier avec moi mais j’ai refusé, il te faut quelqu’un qui t’aide dans la vie. » (MV6)

« Je voudrais me marier avec une fille qui a un permis de conduire pour ne pas mettre mes

pieds dans les nombreuses flaques de la ville de Casablanca. Imagine, je suis parfumé et je

porte un costume et une cravate, ça serait honteux de mettre mes pieds dans une flaque

d’eau ! »(MV17)

La vision de l’avenir de ces MNV est assez claire : les études permettent d’obtenir un

diplôme qui ouvrira une porte sur l’avenir. Avoir un travail est le but principal escompté de

l’ouverture de cette porte. Le diplôme est une clé qui en permet une ouverture pacifique.

L’importance du diplôme n’est pas uniquement administrative mais elle est aussi académique.

Le diplôme obtenu avec mérite et après un travail sérieux permet l’acquisition de

connaissances et de savoirs faire utiles pour trouver ce travail. La preuve en est les MNV qui

ont réussi et excellé dans les divers domaines professionnels non obligatoirement dans des

emplois avec l’Etat.

Cependant, cette vision optimiste de l’avenir n’est pas présente chez d’autres MNV

qui eux ne perçoivent pas de la même façon le passage à travers la porte de l’avenir. L’avenir

pour d’autres MNV nécessite une lutte et un effort important pour ouvrir cette porte.

2) UN AVENIR SOMBRE ET INCERTAIN MALGRE LE DIPLOME

2.1- LE CHOMAGE COMME DESTINEE APRES LA FIN DES ETUDES

Pour d’autres MNV Il y’a des opportunités pour travailler et vivre correctement mais

les opportunités offertes aux MNV sont très limités voire absentes. L’Etat comme employeur

n’offre plus l’occasion aux MNV pour devenir fonctionnaires. Il y’a même une discrimination

envers les MNV pour les recrutements directs et les concours de la fonction publique. Malgré

le quota institué pour le recrutement des handicapés, l’accès des MNV en tant que handicapés

est devenu impossible. Le discours des MNV est assez pessimiste voire accusateur concernant

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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certaines pratiques durant les concours de la fonction publique qui ont pour but de les

empêcher d’être sélectionnés. Comme le montre Simmel la fermeture de la porte « sa

fermeture donne le sentiment d’une clôture bien plus forte, face à tout cet espace au-delà, que

ne le peut la simple paroi inarticulée » (Simmel, 1909). Les concours et le recrutement direct

peuvent être assimilés à des portes mais qui sont très fermés selon les MNV.

« Je le vois flou et ambigu « غامض Ghamid » , quand j’obtiens la licence je vais candidater

pour un poste avec l’Etat, et je vais voir, est ce que c’est l’enseignement, ou je ne sais pas. les

concours c’est un autre sujet, parfois il y’a des pistons, tu dois ramener aussi un écrivain, c’est

toi qui dois le ramener avec toi mais parfois quand il n’est pas bon tu dois lui dicter comment

s’écrit chaque mot , c’est comme ça. » (MV5)

La discrimination basée sur leur handicap est un sentiment souvent exprimé par ces

MNV. Que ce soit à partir de leurs propres expériences ou d’autres MNV qu’ils connaissent,

ils décrivent des comportements éliminatoires envers eux. Malgré le discours officiel de l’Etat

stipulant une prise en considération de leur situation de handicap, les MNV rapportent des

agissements contraires à ce discours. La description de la stigmatisation est très explicite et

exprimée avec beaucoup d’amertume.

«J’ai passé le concours, disqualification organisée, je l’ai passé alors, lorsque j’ai passé le

concours, je l’ai passé brillamment, vous comprenez ? Et je savais ce que je faisais et j’avais

bien préparé et en fin de compte, je suis venu et je n’ai pas trouvé mon nom affiché. Alors

quand tu fais comme ça, comment te sentiras-tu professeur ? Je dialogue avec vous, excusez-

moi je vais entrer avec vous dans une discussion. (…) comment te sentiras-tu ? Tu ne te sentiras

pas marginalisé ? Que…que tu es dans ton pays et que tu es disqualifié. Alors ce gouvernement,

cet Etat lorsqu’ils te traiteront ainsi, que te restera-t-il, tu ne verras plus que la rue, alors tu iras

mendier, donc ils vont nous faire revenir aux jours des ténèbres. Le non voyant lorsqu‘il allait

apprendre le Coran et qu’il allait le lire sur les cimetières ou alors il allait mendier dans les

mosquées ou dans les autobus. » (NV29)

Les MNV se sentent ainsi victimes d’une attitude contradictoire de la part de l’Etat. A

la fois celui-ci véhicule un discours valorisant et favorable envers les MNV mais en même

temps les institutions de l’Etat capable de recruter des fonctionnaires ne veulent pas des

MNV. Ceux-ci considèrent d’ailleurs ces institutions comme un employeur principal voire

unique. C’est cette attente mal ou pas du tout satisfaite qui génère un sentiment d’exclusion et

de déception parmi les MNV.

2.2- SANS TRAVAIL, IL N’Y A RIEN

Sans emploi avec l’Etat ces MNV considèrent qu’ils ne peuvent pas changer leur

situation liminaire et passer d’un statut incertain et instable vers un autre qui est plus sûr.

L’absence d’un travail fonctionnaire est surtout une occasion ratée pour devenir autonome au

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moins financièrement par rapport à la famille notamment. La porte de l’emploi avec l‘Etat est

l’unique entrée vers le futur et la sortie d’une mauvaise situation sur tous les plans.

« Je n’ai pas d’avenir, Il est inconnu (مجهول Majhoul), ça fait trois and que j’ai une licence en

études islamiques, j’ai postulé pour tous les ministères, les Habous, la Justice, et tout, bien qu’il

y’ait le quota de 7% pour les handicapés, ils ont dit qu’il n y’a pas le recrutement direct et qu’il

fallait passer des concours et quand nous allons passer les concours ils ne nous acceptent pas

qu’est ce qu’on va faire ? Je ne te cache rien, j’ai fait cette licence en anglais juste pour passer

le temps, si seulement ils nous ont donné l’accord d’aller tenter notre chance ailleurs, ils ne

vont pas te donner de visa, sachant que j’ai mes frères à l’étranger et on ne me donne pas le

visa » (MV8)

Dans ce cas les MNV considèrent que la seule porte à ouvrir est celle de l’Etat. Tandis

que les MNV précédents voient devant eux plusieurs « portes » à ouvrir (Etat, secteur privé,

métiers artistiques, métiers religieux), les autres considèrent qu’il n’existe que la porte de

l’emploi avec l’Etat. Or, devant cette porte se trouve un obstacle artificiel et spécifiquement

entravant les MNV et qui les empêche de l’ouvrir à travers le diplôme ou les concours.

2.3- LA REVENDICATION UNIQUE MOYEN POUR UN EMPLOI AVEC L’ETAT

Arrivés au seuil d’une porte qui ne s’ouvre pas à travers les moyens dont ils disposent

(diplôme, concours, quota pour handicapés), ces MNV estiment que c’est avec d’autres

manières que la porte devra être franchie. La revendication reste une voie privilégiée et même

incontournable pour décrocher un emploi avec l’Etat. A l’instar des mouvements de

protestations des diplômés chômeurs voyants, les MNV diplômés mènent des mouvements de

revendication en vue d’accéder à la fonction publique. Les MNV qui sont en cours de

préparation d’un diplôme ou ceux qui en préparent un deuxième sont déjà dans l’esprit de

cette revendication.

« Mon avenir si Dieu le veut (إن شاء هللاInchallah) , c’est que j’espère travailler et rendre à mes

parents ce qu’ils ont fait avec moi, c’est mon objectif, depuis mon enfance et ils sont avec moi, le

médecin, l’école. Pour travailler, il y’aura surement des difficultés, les sit-in «اعتصامات i‘tissamates» , les grèves «إضرابات idrabates » et tout ça. Tu te sentiras alors déçu et déprimé

mouħbat ». Ça sera difficile de réaliser tes objectifs. » (NV7) محبط»

Des MNV parlent déjà du fait que ce sont des manifestations et des sit-in qui les

attendent pour décrocher un emploi. C’est comme si la contestation devient une action et une

étape planifiée consciemment ou inconsciemment dans le parcours futur des MNV. Elle peut

au moins être considérée comme une stratégie de remplacement en cas de la non ouverture de

la porte avec les moyens réguliers (diplôme, concours, quota).

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Si des MNV perçoivent la porte du travail ou l’emploi et y tentent d’y accéder de

manières différentes, d’autres MNV ne considèrent pas que le travail est capable d’apporter

un changement par rapport à leur vie actuelle.

3) A L’ AVENIR RIEN DE NOUVEAU OU LE CARACTÈRE

« STATIONNAIRE » DU FUTUR

3.1- LA PORTE EXISTE MAIS ELLE EST INVISIBLE :

Certains MNV considèrent que leur situation ne changera pas. C’est comme si

n’importe quel changement tel que le fait d’avoir un travail ou un emploi n’est pas capable de

changer leurs vécu présent. Ces MNV considèrent le futur comme une continuité d’un présent

mal vécu. La perception de ce caractère « stationnaire » du futur montre aussi une conception

linéaire et monotone du temps.

« Je vois l’avenir stationnaire, pas d’avenir. Sauf si tu as les moyens, ou tu es riche. C’est le

seul moyen pour être autonome. » (NV22)

Les indices du présent ne montrent pas des changements et des variations importantes

pour le futur. En utilisant la métaphore de la porte et du pont on peut décrire ces MNV comme

évoluant sur un pont qui continue à être le même après un possible franchissement de la porte

du travail ou de l’emploi. Les MNV ne font que marcher sur ce pont sans aucune perspective

de sortir d’une situation liminaire. L’effet du passage de la porte sur eux est neutre au

contraire des deux précédents.

3.2- UN AVENIR IDENTIQUE AU PRESENT

Comme une troisième forme de l’avenir, ces MNV parlent d’un avenir sans goût. C’est

un avenir qui n’apportera rien de nouveau. Le futur est perçu à partir du présent. Il est perçu

d’une manière froide et « normale », et à la limite d’une équivalence entre l’optimisme et le

pessimisme.

« Je l’imagine de façon normale (silence), je le perçois de façon normale » (MV13)

Même si la porte sera traversée rien ne changera dans la vie de ces MNV. Le travail et

même le mariage ne sont pas capables de changer les choses. Le handicap sera toujours là et

les changements contingents ne sont pas capables d’améliorer les choses.

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Bien que l’avenir pour ces MNV soit sans nouveauté il existe quand même.

Cependant, pour d’autres MNV l’avenir n’existe même pas et sa perception est impossible. Le

présent l’emporte comme temps de vie et de représentation.

4) L’AVENIR N’EXISTE PAS : UN PRESENT SANS FUTUR

4.1- UN AVENIR INCONCEVABLE

Dans le cas d’autres MNV c’est une négation de l’avenir qui est avancée. Pour eux

l’avenir n’existe pas et « ils ne veulent même pas » y penser. Bien qu’ils suivent des études

diplômantes ces MNV ne considèrent pas que ce qu’ils font soit en relation avec une situation

future.

« Pour le moment, je n’arrive pas à imaginer l’avenir, je suis tout simplement la vague,

c’est tout. Je vois que je fais un effort, j’avance mais dans l’incertitude car j’ai repris

les études avec beaucoup de retard, j’ai perdu 20 de ma vie alors que je vois maintenant

que je pouvais le faire bien avant. C’est vrai que les choses ont vraiment changé depuis

le temps que j’ai perdu la vue et maintenant au niveau des transports, des moyens

technologiques, et même pour moi psychiquement et mentalement. Mais il reste que j’ai

perdu beaucoup de temps. » (NV27)

Cette situation montre que le sentiment d’incertitude et d’ambigüité chez ces MNV est

si important qu’il empêche toute perception du futur. Cette position liminaire ferme les MNV

sur le présent et oriente même ce qu’ils font vers une position de « ici et maintenant ».

L’expérience douloureuse du passé et même du présent rend ces MNV incapable de concevoir

un temps mobile. Ils préfèrent un temps statique et immédiat. Au plus, c’est un futur

pragmatique traduisible en objectifs pratiques.

4.2- UNE EMPRISE DU PRESENT

Le présent semble peser lourd dans le récit de ces MNV. L’ancrage dans la situation

actuelle avec ses inconvénients rend opaque jusqu’à le faire disparaître toute image du futur.

L’effort important est déployé dans le présent.

« Je n’essaye pas de l’imaginer et je ne veux pas l’imaginer. Moi j’avance dans ce

que je fais maintenant, j’ai des objectifs et des stratégies que je suis, je ne laisse

rien au hasard. Par exemple, mon seul souci cette année et d’obtenir mon DEUG

avec une bonne mention. Je ne m’occupe pas de ce qui va venir après, je vis le

moment mais avec une stratégie, un plan A, plan B. je vais faire un bac libre cette

année pour faire une autre filière » (NV25)

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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Cette conception puissante du présent au dépend de l’absence de toute idée du futur

permet à ces MNV de mettre en place des objectifs à court terme. Les actions sont précises et

plus centrées sur le présent. C’est une situation vécu comme s’il n’y avait pas de grande porte

à ouvrir pour ces MNV et que tout doit se faire sur le pont. Le pont est perçu d’une manière

circulaire et fermé sur lui-même.

En définitive, ces quatre descriptions de l’avenir selon les MNV ne sont pas

exhaustives ni même peut être exclusives. Elles permettent cependant un point de vue

analytique de leurs perceptions du futur. L’état de liminalité dans lequel se trouvent les MNV

est différemment vécu. Certains pensent qu’ils s’en sortiront avec les outils réguliers qu’ils

sont en train d’acquérir durant leurs cursus à la faculté. Avec le diplôme obtenu et les

connaissances théoriques et pratiques acquises à la faculté ils pensent qu’ils pourront avoir un

travail ou un emploi. Ce travail est une « porte » de sortie de cette situation liminale vers une

autre situation plus « normale ». D’autres MNV considèrent cependant que pour avoir un

travail ils auront à utiliser la revendication comme moyen pour « ouvrir » voire défoncer la

porte. Cette porte qui ne s’ouvre pas avec des « clés » tels que le recrutement sur diplôme ou

les concours. D’autres MNV n’ont confiance dans aucuns de ces moyens pour sortir de leurs

situations. Ils voient l’avenir en tant que tel, inchangé et semblable à un présent mal vécu.

Enfin d’autres MNV ne conçoivent pas une idée de l’avenir. Pour eux c’est le présent qui

compte et qui pèse le plus. Le présent est ainsi tellement envahissant qu’il occulte toute idée

du futur.

Devant le manque de perspectives d’avenir ou les limites dans la projection du métier

d’avenir, nous avons recueilli les recommandations des MNV que nous allons présenter dans

la conclusion du rapport.

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CONCLUSION

Les récits de vie des MNV ont révélé la persistance de la posture d’assistés chez la

majorité des étudiants déficients visuels de l’université Hassan II. Toutefois, certains MNV

tendent vers une approche plus autonome en utilisant les nouvelles technologies afin d’éviter

l’assistance des personnes V, et ils refusent aussi l’ensemble des stéréotypes péjoratifs des

MNV assistés, dépendants des V ou encore le cliché de mendiant.

L’étude des rites de passage du cercle familial au cercle scolaire nous a permis de

déduire que la surprotection des MNV par les parents se perpétue à l’école puisque

l’enseignant adopte la même approche protectionniste. La relation Enfant-Adulte peut

persister dans le milieu universitaire dans le cas où certains professeurs assistent tellement les

MNV que ces derniers ne fournissent pas beaucoup d’efforts. Cette aide par compassion ou

par « bonne action » ne leur rend pas service dans la mesure où les enseignants contribuent à

la pérennité de l’assistance. Donc, il serait souhaitable de renforcer leur autonomie en évitant

le protectionnisme et opter davantage pour la relation Adulte-Adulte.

Faute de sensibilisation de la famille et des formateurs sur le comportement non

discriminatoire des MNV, il est important de prévoir des actions comme des journées de

sensibilisation par les acteurs associatifs ou des activités culturelles et artistiques organisées

par les MNV à la faculté. Afin d’atténuer l’image stigmatisante des MNV, il est aussi

souhaitable de mettre à disposition des proches et des formateurs des guides ou des manuels

pour mieux se comporter avec les MNV.

Et dans la perspective d’élargir les choix des filières pour les MNV et de les orienter

vers des métiers d’avenir qui s’adaptent à leurs spécificités, l’étude des mathématiques et le

renforcement des langues et des matières scientifiques paraît nécessaire dans leur formation

de base au sein de l’école spécialisée OAPAM ou dans les établissements ordinaires qui

accueillent rarement les déficients visuels. Au niveau de l’université, il est recommandé de

renforcer les langues étrangères parce que les MNV optent en général pour les filières de

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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langue arabe (les études islamiques, le droit public arabe et les études arabes) à cause des

leurs limites linguistiques.

Cette transition de l’OAPAM (établissement de provenance de la majorité des MNV) à

l’université ne pourrait être réussie sans la coordination des acteurs de l’OAPAM, de

l’université et de l’association. Il ressort aussi que la représentativité des étudiants MNV, lors

de la coordination entre les différents responsables, s’avère importante pour déterminer leurs

besoins spécifiques. Nous avons aussi noté le rôle joué par la cellule informatique au niveau

la FLSH qui a permis aux MNV de se familiariser avec les logiciels de conversion sonore ;

contrairement aux MNV de la FSJES qui restent défavorisés en termes de formation

spécialisée en informatique. En plus de la cellule informatiques pour les MNV, il est aussi

recommandé de mettre en place, au sein de chaque université ou au niveau interuniversitaire,

des services spécialisés d'intégration dotés d'un responsable de "l'accueil des personnes aux

besoins spécifiques" ; dont le rôle est de soutenir, d’accueillir, d’orienter, et de suivre les

étudiants qui ont des besoins spécifiques. Il est vrai que le capital humain est important pour

l’accompagnement, mais les ressources matérielles sont aussi indispensables pour utiliser les

outils qui s’adaptent le mieux aux types de déficience.

Afin d’assurer l’autonomie dans l’apprentissage chez les MNV, il est essentiel de

sensibiliser les formateurs à l’adoption une approche différenciée selon les prérequis des

apprenants. Cette pédagogie différenciée consiste à atteindre le même objectif de

l’apprentissage tout en veillant à utiliser les méthodes et les outils d’enseignement les mieux

adaptés aux capacités et aux degrés de déficiences de ces étudiants. Cette approche

différenciée devrait être appliquée aussi bien au niveau des écoles primaire-secondaire qu’au

sein de l’université.

D’après les récits des MNV de l’Université Hassan II, les outils les plus utilisés sont le

dictaphone et les logiciels de conversion sonore ou les lecteurs d’écran comme le JAWS et le

NVDA. La prévalence des moyens de communication sonore au détriment des moyens de

conversion tactile, comme le clavier Braille Sense ou les imprimés en braille, s’explique par

leur coût plus réduit et leur accessibilité. Faute d’accessibilité des outils de conversion tactile,

les étudiants MNV sont contraints d’opter pour des stratégies d’apprentissages limitées aux

moyens de communication sonore. Nous avons retenu ainsi des recommandations ; la mise à

disposition des MNV d’un centre copie en braille pour imprimer les polycops en braille, ou

2014/Rapport pour AMARDEV/Equipe de recherche : OSER/LABO-DSIDS/CM2S/FLSH/UH2C

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l’accès au clavier Braille Sense lié à l’ordinateur afin de lire les documents numérisés grâce à

la technique tactile.

L’accès aux livres numériques figure aussi parmi les principales revendications des

MNV. Ils ont ainsi souligné le rôle du professeur pour leur fournir les documents numérisés

pouvant être décodés par ordinateur. La lecture sonore de ces documents grâce aux logiciels

installés sur ordinateur permet de réduire la dépendance des MNV envers les V pour la lecture

des polycops. Le recours des MNV aux V pour lire les cours est justifié par le fait que ces

documents ne sont pas toujours lisibles ou reconnus par les logiciels de reconnaissance

optiques des caractères OCR.

Et en guise d’égalité des chances à l’accès aux livres des bibliothèques, nous avons

repéré à maintes reprises la réclamation d’une bibliothèque braille et sonore. Dans ce sens,

l’université pourrait établir des partenariats avec des bibliothèques numériques et sonores afin

de faciliter l’accès aux livres numériques et aux livres audio. En cas d’indisponibilité des

livres imprimés en braille, la lecture des livres numériques ‘grâce aux logiciels de conversion

sonore ou la technique de décodage tactile grâce au clavier Braille Sense’ pourrait fonctionner

comme alternative. Finalement l’accès aux ressources et aux outils tactiles et sonores ‘adaptés

aux MNV’ permet de réduire le handicap de communication.

En plus de l’autonomie dans la communication, il est important de sensibiliser tous les

NV d’utiliser la canne pour l’autonomie dans le déplacement car la loi ne les protège pas en

cas de non-recours à cet outil. Il serait aussi souhaitable de munir les déficients visuels de

montres parlantes munies d’un GPS dans le but de mieux les guider, et de réduire le handicap

du positionnement dans les repères spatiotemporels.

La prise de conscience de l’importance de l’utilisation des méthodes et des outils les

mieux adaptés aux déficients visuels n’est pas seulement une question de solidarité mais une

stratégie d’autonomisation pour éviter la posture de la révolte des MNV qui bénéficient de la

protection de la CIDPH. Ceci dit, il est recommandé de prendre la question de l’autonomie

des MNV et de leurs débouchés au sérieux afin de prévenir les revendications de masse qui

est très présente dans les récits des MNV interviewés. Enfin, cette stratégie ou orientation

d’avenir permettra aux MNV de sortir du cercle vicieux de l’assistance et de rentrer dans le

cercle vertueux de l’autonomisation.

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ANNEXE : TABLEAU RECAPITULATIF DES MNV

N°MNV Etablissement Sexe Âge Situation

matrimoniale

Filière Cycle LMD

MV1 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.AR Licence

NV2 FLSH MASCULIN 33 ans Célibataire E.I Licence

NV3 FSJES MASCULIN 27 ans Marié E.D.P.A Licence

MV4 FLSH MASCULIN 25 ans Célibataire E.I Licence

MV5 FLSH MASCULIN 24 ans Célibataire E.I Licence

MV6 FLSH FÉMININ 20 ans Célibataire E.AR Licence

NV7 FLSH FÉMININ 24 ans Célibataire E.AR Licence

MV8 FLSH FÉMININ 26 ans Célibataire E.AN Licence

MV9 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence

NV10 FLSH FÉMININ 25 ans Célibataire E.I Licence

MV11 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence

MV12 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence

MV13 FSJES MASCULIN 23 ans Célibataire E.D.P.A Licence

MV14 FSJES MASCULIN 31 ans Marié et père

d'un enfant

E.D.P.A Licence

NV15 FSJES MASCULIN 46 ans Marié et père

d'un enfant

E.D.P.A Licence

MV16 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.I Licence

MV17 FSJES MASCULIN 25 ans Célibataire E.D.P.A Licence

MV18 FLSH MASCULIN 27 ans Célibataire E.I Licence

MV19 FLSH et

FSJES

FÉMININ 24 ans Célibataire E.I et

E.D.P.A

Licence

NV20 FLSH FÉMININ 29 ans Célibataire E.AR Licence

NV21 FLSH FÉMININ 26ans Célibataire E.AR Licence

NV22 FSJES MASCULIN 22 ans Célibataire E.D.P.A Licence

NV23 FLSH MASCULIN 22 ans Célibataire E.I Licence

NV24 FLSH MASCULIN 33 ans Célibataire E.I Licence

NV25 FLSH MASCULIN 23 ans Célibataire E.AN Licence

NV26 FLSH MASCULIN 20 ans Célibataire E.I Licence

NV27 FLSH MASCULIN 41 ans Célibataire E.I Licence

NV28 FSEJ MASCULIN 29 ans Célibataire E.D.P.A Licence

NV29 FSJES MASCULIN 36 ans Marié E.I Licence

NV30 FSJES MASCULIN 26 ans Marié E.D.P.A Master

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