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DOI : 10.1684/med.2010.0521 VIE PROFESSIONNELLE Claire-Elise Colas 1 Rodolphe Charles Bruno Meyrand Département de médecine générale Faculté de Médecine Jacques Lisfranc de Saint Etienne Mots clés : développement professionnel continu, évaluation, pratiques professionnelles Recherche en soins primaires La crise suicidaire en médecine générale Une revue de morbidité et de mortalité en groupe d’analyse de pratiques Résumé Contexte : Les tentatives de suicide et les suicides ont une prévalence importante en France. Ils apparaissent comme un risque critique évitable (RCE) survenant dans des situations fréquentes en soins primaires. Objectif : Mettre en œuvre une revue de morbi-mortalité et en analyser la faisabilité dans deux groupes d’analyse de pratique en médecine générale. Méthode : Deux groupes (17 généralistes) d’analyse de pratiques professionnelles (GAPP) ont participé à cette étude qui a inclus 2 séances préparatoires, une séance de RMM proprement dite et une séance de restitution. Résultats : L’analyse systémique d’une cinquantaine de cas cliniques a mis en évidence les éléments en jeu dans la crise suicidaire. La confrontation aux données scientifiques actuelles a permis l’élaboration d’un « référentiel » adapté aux médecins concernés. Discussion : Les GAPP paraissent un lieu optimal pour ce type de travail ; la lourdeur apparente du dispositif pourrait être atténuée par une pratique plus habituelle de la méthode. Les thèmes possibles sont aussi nombreux que les champs d’activité des soins primaires. Conclusion : Cette démarche est exigeante et nécessite un apprentissage. La RMM semble permettre au groupe de sortir de son attitude défensive. Elle déculpabilise et propose des solutions. L’Inserm dénombrait 190 000 tentatives et 11 à 13 000 suicides en France en 2003. Les pathologies psychiatriques sont des étiologies fréquentes : 65 % des suicidés présentent une dépression avant le pas- sage à l’acte, 90 % une autre pathologie psychiatrique [1, 2]. Les médecins généralistes sont au premier plan quant à la prévention [3]. En effet, si la prévalence du suicide en médecine générale est relativement faible, un cas sur 5 000 actes en moyenne, 70 % des suici- dants ont consulté un médecin dans le mois précédant l’acte, 36 % dans la semaine. Le suicide est donc un risque critique évitable (RCE), survenant dans des si- tuations fréquentes en soins primaires sur lesquelles des efforts d’amélioration des pratiques profession- nelles peuvent être portés. Selon l’observatoire de la médecine générale de la Société Française de Méde- cine Générale (SFMG), la « réaction à des situations éprouvantes » est en 2007 au quatorzième rang des résultats de consultations (4,2 %) ; « insomnies », « anxiété », « humeur dépressive », « dépression » ont des prévalences respectives de 3,46 %, 3,19 %, 2,60 % et 2,29 % [4]. Ces chiffres confirment la per- tinence d’une action spécifique en soins primaires sur la problématique de la crise suicidaire « point de rup- ture entre vulnérabilité individuelle et évènement de vie douloureux » [2]. Par ailleurs, le suicide de 1. Cet article a fait l’objet de la thèse de Claire Colas : Revue de morbibité et de mortalité en groupe d’analyse de pratiques : la crise suicidaire [thèse]. Saint Etienne : Université Jacques Lisfranc ; 2009. Les principes d’une revue de morbi-mortalité adaptés à la médecine générale ont été publiés dans la première partie de cet article (numéro précédent de Médecine). 78 MÉDECINE février 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un utilisateur anonyme le 09/03/2017.

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Claire-Elise Colas 1

Rodolphe CharlesBruno Meyrand

Départementde médecine générale

Faculté de MédecineJacques Lisfrancde Saint Etienne

Mots clés :développement

professionnel

continu, évaluation,

pratiques

professionnelles

Recherche en soins primaires

La crise suicidaireen médecine généraleUne revue de morbidité et de mortalité

en groupe d’analyse de pratiques

Résumé

Contexte : Les tentatives de suicide et les suicides ont une prévalence importante en

France. Ils apparaissent comme un risque critique évitable (RCE) survenant dans des

situations fréquentes en soins primaires.

Objectif : Mettre en œuvre une revue de morbi-mortalité et en analyser la faisabilité

dans deux groupes d’analyse de pratique en médecine générale.

Méthode : Deux groupes (17 généralistes) d’analyse de pratiques professionnelles

(GAPP) ont participé à cette étude qui a inclus 2 séances préparatoires, une séance

de RMM proprement dite et une séance de restitution.

Résultats : L’analyse systémique d’une cinquantaine de cas cliniques a mis en évidence

les éléments en jeu dans la crise suicidaire. La confrontation aux données scientifiques

actuelles a permis l’élaboration d’un « référentiel » adapté aux médecins concernés.

Discussion : Les GAPP paraissent un lieu optimal pour ce type de travail ; la lourdeur

apparente du dispositif pourrait être atténuée par une pratique plus habituelle de la

méthode. Les thèmes possibles sont aussi nombreux que les champs d’activité des

soins primaires.

Conclusion : Cette démarche est exigeante et nécessite un apprentissage. La RMM

semble permettre au groupe de sortir de son attitude défensive. Elle déculpabilise et

propose des solutions.

L’Inserm dénombrait 190 000 tentatives et 11 à13 000 suicides en France en 2003. Les pathologiespsychiatriques sont des étiologies fréquentes : 65 %des suicidés présentent une dépression avant le pas-sage à l’acte, 90 % une autre pathologie psychiatrique[1, 2]. Les médecins généralistes sont au premier planquant à la prévention [3]. En effet, si la prévalence dusuicide en médecine générale est relativement faible,un cas sur 5 000 actes en moyenne, 70 % des suici-dants ont consulté un médecin dans le mois précédant

l’acte, 36 % dans la semaine. Le suicide est donc unrisque critique évitable (RCE), survenant dans des si-tuations fréquentes en soins primaires sur lesquellesdes efforts d’amélioration des pratiques profession-nelles peuvent être portés. Selon l’observatoire de lamédecine générale de la Société Française de Méde-cine Générale (SFMG), la « réaction à des situationséprouvantes » est en 2007 au quatorzième rang desrésultats de consultations (4,2 %) ; « insomnies »,« anxiété », « humeur dépressive », « dépression »ont des prévalences respectives de 3,46 %, 3,19 %,2,60 % et 2,29 % [4]. Ces chiffres confirment la per-tinence d’une action spécifique en soins primaires surla problématique de la crise suicidaire « point de rup-ture entre vulnérabilité individuelle et évènement devie douloureux » [2]. Par ailleurs, le suicide de

1. Cet article a fait l’objet de la thèse de Claire Colas : Revue demorbibité et de mortalité en groupe d’analyse de pratiques : la crisesuicidaire [thèse]. Saint Etienne : Université Jacques Lisfranc ; 2009.Les principes d’une revue de morbi-mortalité adaptés à la médecinegénérale ont été publiés dans la première partie de cet article (numéroprécédent de Médecine).

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l’adolescent est préoccupant puisqu’il est la deuxième causede mortalité chez les jeunes de 15 à 19 ans, après les acci-dents de la voie publique parmi lesquels il faut envisager deprobables conduites suicidaires. Notre hypothèse est que larevue de morbi-mortalité (RMM) est l’une des méthodes pos-sibles à utiliser au sein d’un groupe de professionnels (grouped’analyse de pratiques professionnelles : GAPP) pour analy-ser et améliorer les pratiques dans ce domaine. Nous avonsexposé précédemment les définitions et méthodes d’orga-nisation d’un tel travail en médecine générale [5].

Méthode

Nous avons analysé les données qualitatives recueillies aucours d’une RMM en soins primaires au sein de deux GAPP.L’enquêtrice, interne en médecine générale de Saint-Étienne,était « observante participante » dans ces deux groupes, te-nant un carnet de bord depuis la première séance de lance-ment jusqu’à la réalisation de la RMM. Elle a recueilli l’en-semble des écrits et ensuite réalisé des entretiens qualitatifssemi-dirigés auprès de quelques médecins un mois après lafin du travail.À l’occasion des deux séances précédant la RMM, les grou-pes ont reçu de brèves explications écrites et orales sur laméthode et une série d’articles sur la crise suicidaire. Lors dela première séance, l’enquêtrice et son directeur de thèse ontrencontré les deux groupes, présenté et distribué la procédureet la bibliographie à chacun des membres et obtenu l’autorisa-tion pour les enquêtes. Ils ont demandé d’informer l’enquê-trice de toutes les questions et difficultés rencontrées.Les groupes ont été ensuite divisés en binômes : un a reçude la documentation sur les RMM qu’il a analysée et présen-tée lors de la séance suivante ; les autres ont travaillé surtrois articles concernant la crise suicidaire (en général et chezles adolescents en particulier) issus de la conférence deconsensus de 2000, de la recommandation de l’OMS (Ge-nève 2001), ou de revues de soins primaires [2, 3, 6-10].La RMM s’est déroulée, deux mois plus tard, en 3 temps :– une première heure dédiée au tour de table sur les cas decrises suicidaires des 5 dernières années ;

– une deuxième heure avec présentation, par chaque bi-nôme, des points forts des articles dans le sens d’une amé-lioration de la qualité des soins ;– une troisième heure consacrée à la rédaction d’un texteconsensuel sur les objectifs pour la pratique ultérieure, te-nant compte des écarts révélés par la RMM en comparaisonavec les référentiels.Les groupes étaient invités à s’autogérer sans respecter tropstrictement le cadre.L’enquêtrice a participé à la séance suivante pour réaliserquelques sondages et vérifier si le groupe avait encore desidées à apporter sur les thématiques de la crise suicidaire oudes RMM. Quelques médecins des deux groupes, tirés ausort ont été interrogés (encadré 1). Les entretiens ont cesséà saturation des réponses.

Encadré 1.

Guide de l'enquête

– Présentation de l’enquêté.– Connaissait-il les RMM, en avait-il déjà fait ?– A-t-il rencontré des difficultés (sur le recensement descas, leur description, la lecture et la synthèse des articles,le temps consacré...) ?– Quels profits en a-t-il retirés : impact sur sa pratique (meil-leure prise en charge des personnes à risques sur le plantechnique, relationnel ou psychologique), profits plus per-sonnels (partage de situations difficiles avec d’autres mé-decins) ?– A-t-il une conclusion plus générale sur son ressenti aprèset lors de la séance ?– A-t-il eu en consultation depuis la séance de RMM à gérerdes cas de crises suicidaires ?Il a été effectué a posteriori une triangulation par des mem-bres des groupes et des médecins du département de mé-decine générale de l’université de Saint-Étienne intéresséspar les questions d’EPP.

Résultats

Séances préparatoires

Les médecins se sont interrogés sur la définition même decrise suicidaire (le protocole prévoyait : gestion en soins pri-maires d’un suicide, d’une tentative, ou d’un patient à trèshaut risque suicidaire). Quelques-uns relevaient la difficulté àrecenser les cas (oubli, trop de cas, pas de cas, pas de moteurde recherche pour leur base de données de patientèle). Cer-tains suggéraient de choisir un autre sujet tel que l’erreurmédicale ou la iatrogénie aux AVK. Lors de la deuxièmeséance, un mois après la première, quelques médecinsavaient déjà lu les articles et recensé leurs cas de crise suici-daire. Certains ont estimé que la lecture des articles – jugéstrop « longs » – prenait trop de temps, d’autres qu’il était diffi-cile de recenser les cas. Un médecin a témoigné de son ma-laise, la RMM faisant resurgir un sentiment de culpabilité.

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Séance de RMM

Les groupes ont pris une orientation différente : les 9 méde-cins du premier groupe ont commencé par la lecture critiquedes articles. L’animateur dirigeait les discussions et un se-crétaire prenait des notes. Les 8 du deuxième groupe ontd’abord fait un tour de table des cas recueillis. Tous ont évo-qué leur difficulté à résumer des articles longs, quelques ar-ticles jugés inintéressants pour la pratique quotidiennen’ayant pas été lus en totalité, d’autres au contraire appréciéset aidant les médecins dans leurs histoires cliniques. Les mé-decins présents avaient en moyenne 3 dossiers (1 à 7) à l’ex-ception d’un seul dont le dossier concernait la prise en chargede l’entourage. Dans un groupe, il a été décidé d’intégrerrapidement les histoires à la discussion des articles. Dansl’autre groupe, l’analyse des articles a été succincte. Le texteconsensuel a été élaboré ensuite par échanges de courriels.Plusieurs thèmes récurrents ont été abordés de façon simi-laire dans les deux groupes. Le relevé proprement ditconcerne une cinquantaine de cas de crises suicidaires.

Les facteurs de risques de la crise suicidaire

Parmi les cas cliniques rapportés sont signalés :– la présence d’abus sexuels antérieurs ;– la fréquence d’antécédents familiaux de suicide ;– la dépression et l’alcoolisme chronique : l’alcool a un effetdépressogène, certains médecins se demandant si le risquen’était pas supérieur en cas d’alcoolisme aigu qu’en cas d’al-coolisme chronique ;– un évènement de vie, une rupture ou une crise familiale, lamaladie somatique ou l’annonce d’un diagnostic grave (exem-ple du cas d’un patient sans antécédents psychiatriques quis’est suicidé après l’annonce d’un résultat de PSA élevé). Unmédecin a expliqué sa vigilance devant un patient « pascomme d’habitude », notion subjective qui n’a de sens quepour des patients consultant au cabinet depuis des années.

« Fantasmes suicidaires » et moyens létaux

Les divers guides de pratique recommandent de ne pas crain-dre de les rechercher en posant la question explicitement.Un médecin a déclaré avoir déjà changé sa pratique depuisla lecture des recommandations. Un autre a soulevé le pro-blème de la relation médecin-patient : il est plus ou moinsfacile d’aborder le thème du suicide. En réalité, la réponsedu patient fait peur au médecin : que faire quand il exprimeclairement des idées suicidaires ?

Le cas clinique d’un patient chasseur qui s’est suicidé avecson fusil selon un comportement apparemment impulsif alancé le débat sur les moyens létaux à portée : l’absence decette arme n’aurait peut-être pas permis ce geste. Des mem-bres du groupe proposaient déjà de confier transitoirementles armes à feu, les médicaments à la famille.

Les personnes âgées

À partir de l’exemple du suicide à l’insuline d’une patiente de85 ans, sans antécédents psychiatriques, diabétique, veuvevivant seule à domicile, qui avait auparavant demandé solen-nellement au médecin une aide pour mourir, les participantsont abordé les situations frontières où le suicide deviendraitune position philosophique qui jouxterait la question de l’eu-thanasie. Dans l’ensemble, ces dernières années, les méde-cins ont constaté dans leur pratique une augmentation dessuicides s’inscrivant dans ce cadre.

La relation médecin généraliste et psychiatre hospitalier

De nombreux cas cliniques ont alimenté le vif débat sur lemanque de communication entre psychiatres et médecinsgénéralistes. La majorité des participants déplorait l’absencede comptes-rendus d’hospitalisation, la difficulté d’un ren-dez-vous dans l’urgence avec un psychiatre. Pour tous, il étaitprimordial d’hospitaliser toute tentative de suicide et d’adres-ser rapidement les patients exprimant des projets suicidai-res, mais certains ont signifié leur incompréhension quandleurs patients ressortaient le jour même de l’hôpital, ycompris après réalisation d’un certificat d’hospitalisation à lademande d’un tiers (HDT). Le simple fait de consulter le psy-chiatre des urgences et de rester quelques heures suffirait-il ? Habitué à gérer au cabinet d’autres urgences (cardiologi-ques, pneumologiques...), le médecin généraliste échangeau téléphone avec son confrère spécialiste. Cette rencontren’est que très rarement possible avec le psychiatre.

La gestion de la crise suicidaire

Un médecin a cité le cas d’un patient divorcé qui s’est suicidédix jours après l’avoir consulté. Il s’est interrogé sur la relationqui s’est nouée. A-t-il induit quelque chose qui a précipité legeste ? L’attitude du médecin doit être rassurante car le pa-tient peut percevoir le désarroi de son médecin. Par un« contrat moral » certains médecins se rendent disponibles24 heures sur 24 en donnant leur numéro de téléphone per-sonnel en échange du non suicide de leur patient. Cette pra-tique semble apaiser le médecin et le patient !

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Autres thèmes abordés

– Le test « TS-TS-cafard » utilisé pour ouvrir une discussionen particulier en face d’une plainte mal formalisée.– Le désarroi de certains devant les suicides impulsifs (assezrares).– Le caractère évitable de la crise suicidaire : l’expérience del’Ile de Götland a été longuement analysée puisqu’il y appa-raissait que le fait de former des médecins généralistes surla dépression permet de réduire le risque suicidaire.– L’intérêt des antidépresseurs IRS, l’inutilité des benzodia-zépines, le bon usage du lithium dans la maladie bipolaire.– La difficulté de trouver une personne acceptant de signerla demande d’hospitalisation à la demande d’un tiers (un mé-decin a rappelé la possibilité de réaliser un certificat d’HDTen urgence sans la présence de ce tiers).

Séance suivanteUn groupe a élaboré un référentiel

Dans la perspective initialement prévue de réalisation d’unaudit, le groupe a élaboré une liste de facteurs de risques àrechercher (antécédents familiaux, solitude, dépression, pa-thologies psychiatriques, grand âge, pathologies somatiquesgraves, facteurs socio-environnementaux, conduites addicti-ves, prise de certains médicaments). Il a insisté sur l’impor-tance d’interroger clairement le patient sur ses intentions sui-cidaires. Au fil de la discussion, il s’est avéré très difficile deréaliser l’audit en raison de la rareté des consultations à ris-que. Le groupe a conclu que la RMM correspondait bien à la

meilleure méthode d’évaluation des pratiques professionnel-les pour ce type de pathologie.

L'autre groupe a fait l'objet d'une analyse du ressenti

Deux membres seulement de ce groupe avaient déjà prati-qué l’exercice. Tous étaient volontaires pour faire d’autresséances sous réserve du choix du thème. Ce travail, contrai-rement aux séances traditionnelles de GAPP, a permis d’ex-plorer à fond un sujet grâce à la bibliographie fournie.Les médecins ont été dans l’ensemble satisfaits du thèmemalgré les quelques réticences initiales. Il s’agissait pour euxen définitive d’une question de médecine générale, ce qui asuscité l’intérêt pour ce travail. Un médecin a été surpris devoir à quel point la prise en charge de la crise suicidaire étaitcodifiée.La lecture et la synthèse des articles ont été dans l’ensembleestimées fastidieuses, un article étant même jugé incompré-hensible. Il a été revendiqué de donner moins d’articles : « Lamédecine générale est tellement variée qu’un médecin nepeut passer tant de temps sur un sujet aussi peu fréquent. »Un praticien a apprécié le travail en binôme tirant profit del’avis de son collègue, un autre a affirmé avoir trouvé lesarticles passionnants et très pratiques.Tous les cas recensés l’ont été par simple souvenir, ce quia entraîné une certaine frustration chez un médecin qui a eule sentiment de « travailler à la légère ». Un seul participantdisposait d’un logiciel adapté à la recherche par mots-clés.Un autre a été surpris par le grand nombre de situations.Dans l’ensemble, les praticiens n’ont éprouvé aucune gêneà exposer leurs histoires cliniques. L’un d’eux a témoigné deson réconfort en entendant ses pairs décrire leurs difficultéset leurs échecs. Il s’est senti « moins seul ». Un autre a re-gretté le manque de temps pour la description des cas clini-ques.La moitié des médecins a rencontré des situations de crisessuicidaires le mois suivant la séance de RMM ! La majoritédes participants ont confirmé le rôle bénéfique de la RMMsur leur pratique : l’un a affirmé qu’« il gère maintenant lacrise suicidaire avec plus de confiance », un autre a déjà uti-lisé le résumé de la séance, un troisième pris conscience durôle fondamental du généraliste dans la crise suicidaire (ildisait avoir appris en formation initiale à dépister des situa-tions à risque mais jamais à les prendre en charge ; la RMMlui a permis d’acquérir des connaissances sur le sujet). Seulun médecin a regretté le manque de structuration de laséance empêchant tout impact sur sa pratique. Un dernier,plus enthousiaste, s’est posé la question de l’utilité de RMMorganisées à l’échelle nationale.

Discussion

Le cadre : les GAPP

L’appartenance à un GAPP est une forme de FMC extrême-ment exigeante, propice à la mise en place de RMM : assi-duité mensuelle aux rencontres, respect de l’hétérogénéitédes pratiques, habitude de l’analyse systémique et de la réa-lisation de recherche documentaire. La réalisation de ce tra-vail avec des médecins non initiés aurait sans doute été plus

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difficile quand on constate comme ici « l’irritation » de cer-tains participants à la lecture de trois articles en deux mois,les difficultés à tenir les timings et le dépit à consacrer tropde temps à l’analyse de situations accidentelles à prévalencefaible...Une RMM pourrait être mise en œuvre dans un cadre diffé-rent tel que des structures d’hospitalisation à domicile, desmaisons de santé... Des groupes dédiés aux RMM permet-traient de lever un certain nombre d’écueils tout simplementpar expérimentation successive. Mais comment trouver en-core du temps dans l’agenda déjà chargé du médecin ? Unesolution crédible serait de consacrer en GAPP 6 à 8 séancestous les deux ans à des RMM.

Le thème : la crise suicidaire

Les médecins ont dans l’ensemble apprécié car ils ont ainsiapprofondi un sujet sur lequel ils ne se seraient pas orientésnaturellement. Cette situation potentiellement létale survientrarement en soins primaires, mais reste le risque critiqueévitable de nombreuses consultations. Les indicateurs desanté publique en Rhône-Alpes publiés par l’Observatoire Ré-gional de la Santé confirment la forte prévalence de ce pro-blème dans la Loire [11] et ont été l’objet, après la RMM, durenouvellement des débats dans les groupes. Cependant,des participants ont remis en cause le caractère évitable decertaines situations comme les suicides « impulsifs », pourd’autres, l’éloignement des moyens létaux (armes, médica-ments) peut être un moyen préventif.Cette étude montre à quel point le suicide est tabou, commenous l’avons exposé dans l’article précédent [5] et pose desquestions difficiles. La RMM semble une bonne méthodepour sortir de ce déni. En témoignent plusieurs items : uneforte minorité était déjà prête le jour de la deuxième séancepréparatoire ; les médecins étaient surpris par l’apport del’exercice et en tiraient profit dès le premier mois... et lorsdes entretiens individuels la moitié d’entre eux disait avoirdéjà rencontré des situations à risque ce qui dément cette

fois l’idée d’une prévalence faible. Quant aux articles [2, 3,6-10] si difficiles à lire pour certains, ils occupent tellementle premier groupe qu’il est contraint de négliger l’analyse sys-témique de ses cas pour ne s’en servir que d’illustration desaffirmations bibliographiques... Façon d’éluder l’expositiondes cas (position défensive) ou désir de comprendre (positionréflexive) ? Il y a souvent oscillation entre les deux.

L'organisation

La RMM est une analyse systémique prenant en comptetous les éléments (organisationnels, techniques et humains)en interaction, ayant contribué à la prise en charge du patient.Les RMM hospitalières font appel à tous les professionnels(secrétaires, psychologues, médecins, infirmières, biologis-tes, urgentistes, etc.) qui travaillent habituellement ensem-ble au quotidien.Dans notre étude en soins primaires, beaucoup de partici-pants ont évoqué le manque de communication entre psy-chiatres et généralistes et leur mauvaise compréhension desdécisions hospitalières. Une deuxième phase aurait puconsister en une rencontre des deux spécialités pour clarifierl’itinéraire thérapeutique des patients, chacun montrant àl’autre ses offres et ses contraintes pour tenter d’améliorerla qualité des soins. Cette approche est toutefois bien théo-rique et, dans la pratique, il est très difficile de réunir plu-sieurs intervenants. Il est crédible que l’article 36 de la loiHPST définissant le « médecin généraliste de premier re-cours », l’article 59 de cette même loi définissant les nouvel-les modalités de FMC-EPP (appelé désormais « Développe-ment Professionnel Continu ») permette grâce à l’AgenceRégionale de Santé (ARS) d’envisager des RMM de type « ré-seau de quartier » entre médecins généralistes, pharma-ciens, infirmières, kinésithérapeutes...

Déroulement

La plupart des médecins de notre étude avaient déjà réalisédes audits, ce qui a plutôt joué comme facteur de confusion,limitant peut-être une véritable analyse systémique en privi-légiant les axes retrouvés dans les recommandations aux hy-pothèses spontanées. Il semble quand même que les deuxchamps d’investigation aient été utilisés : en témoignent lemédecin « stupéfait de la codification de la prise en charge »et à l’opposé celui « désapprouvant le manque de structura-tion de l’exercice ». Ils faisaient pourtant partie du mêmegroupe !Des séances ultérieures réduites à 3 cas cliniques (un parheure) auparavant sélectionnés par l’organisateur pourraientse dérouler selon le plan défini par la HAS [12] :– Présentation du cas : qu’est-ce qui est arrivé ?– Recherche et identification de problèmes de soins :comment est-ce arrivé ?– Recherche de causes et analyse de la récupération : pour-quoi cela est-il arrivé ?– Synthèse et proposition d’un plan d’action : qu’avons-nousappris ? Quels changements mettre en œuvre ?

Retentissement sur le soignant

Réduire le retentissement à la culpabilité et au burn out seraitincomplet. Il ne faut pas oublier d’analyser toutes les

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stratégies défensives résultant des situations accidentellesque rencontre le professionnel : déni, évitement, hyperacti-visme, addictions.

Traçabilité

Les RMM débouchent sur la production de documents écrits.Il pourrait être envisagé par des organismes nationaux (AFS-SAPS, pharmacovigilance, etc.) de mettre en œuvre des ba-ses de données sécurisées et anonymes dans une optiqueconstructive de recherche de solution préventive. A poste-riori, il faudra s’assurer que les solutions proposées ne sontpas plus nocives que les dangers qu’elles voulaient éviter.

Conclusion

Cette étude montre que le suicide est un risque critique évita-ble (RCE) survenant dans des situations fréquentes en soinsprimaires sur lesquelles des efforts d’amélioration des prati-ques professionnelles peuvent être portés. Cette démarcheest exigeante et nécessite un apprentissage. L’exemple de lacrise suicidaire, en tant que risque critique évitable courant ensoins primaires reste tabou malgré le développement de sé-minaires de formation continue. La RMM, en proposant departir de la pratique, en passant par l’analyse systémiqueconfrontée aux recommandations de prise en charge, semblepermettre au groupe de sortir de son attitude défensive. Elledéculpabilise et propose des solutions. Les questions restan-tes pourraient être traitées en RMM pluridisciplinaire avec lespsychiatres, les urgentistes et les médecins légistes.

Conflits d’intérêts : aucun

Références :

1. DREES Suicides et tentatives de suicide en France – DREES – coll. Études et résultats, no 488, mai 2006 : http://www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er488/er488.pdf2. Mazet P, Darcourt G La crise suicidaire, reconnaitre et prendre en charge, John Libbey Eurotext, 2002, 488 p.3. OMS la prévention du suicide indication pour les médecins généralistes, Genève 2001, http://www.who.int/mental_health/media/en/57.pdf4. OMG Observatoire de la médecine générale : http://omg.sfmg.org/5. Colas CE, Charles R, Meyrand B. Les revues de morbi-mortalité sont-elles utilisables en soins primaires ? Première partie : approche méthodologique d’une expérience. Médecine.2010;6(1):???.6. La rédaction de Médecine : crise suicidaire et médecine générale. Rappel des 5 points-clés de la conférence de consensus de 2000. Médecine. 2008;4(6);265-8.7. Nicot P, Bouet R. Risque suicidaire : peut-on mieux faire ? Le système de soins français entre paradoxes et tabous. Médecine. 2008;4(6):244-6.8. Alvin P, Bellaton E. Adolescents, comment amorcer le dialogue. Rev Prat Med Gen. 2003;19:1174-7.9. Binder P, Chaubaud F. Accueil des adolescents en Médecine générale, validation d’un référentiel. Rev Prat Med Gen. 2005;17:1307-13.10. Aubin-Auger I, Mercier A, Baumann-Coblentz L, Zerr P. La consultation du patient à risque suicidaire en médecine générale. Généralistes et psychiatres : une relation compliquée.Médecine. 2008;4(6):279-83.11. Observatoire de la Santé Rhône Alpes Indicateurs territoriaux pour la santé publique en Rhône Alpes 2008. Sur http://www.prsp-ra.com/pdf/pdf_documentation/rapport_indicateurs_territoriaux_ORS.pdf12. HAS revue de morbidité et de mortalité (RMM) et Médecine Générale, en cours de publication : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-02/rmm_et_mg_4_pages_11_02_2010.pdf

La crise suicidaire : une revue de morbi-mortalité en médecine générale

Ce qui était connu

– La prévalence importante des tentatives de suicide et suicides en France.– La fréquence des consultations médicales dans les semaines qui précèdent le passage à l'acte.– La méthodologie des RMM (et leur intérêt) en secteur hospitalier.

Ce que cette étude apporte

– La faisabilité d'une RMM sur le thème « crise suicidaire » en médecine générale, au sein de groupes constitués pourune évaluation des pratiques professionnelles.– L'estimation d'une relative « lourdeur » de la méthode, notamment pour ce qui concerne la lecture des articles deréférence.– L'intérêt d'une analyse systémique de la crise et des possibilités d'amélioration.

Les zones d'incertitude

– Les réticences possibles à une méthode considérée – à juste titre – comme exigeante pour les participants.– La place à privilégier ou non de ces méthodes dans le cadre du futur « DPC obligatoire ».– Des données analogues dans d'autres populations médicales, notamment les généralistes de métropole.

83février 2010MÉDECINE

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