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REMARQUES SUR LA STRUCTURE DE L'ART PLASTIQUE BASQUE Mikel DUVERT Pour Colas et Veyrin la décoration des stèles peut se ramener à des assemblages plus ou moins heureux de motifs géométriques. Pour eux les vieux maîtres sont d'habiles (mais toujours modestes) artisans qui jouent sans trop s'en rendre compte avec le compas et la règle. II est vrai que seuls les hommes chargés de mettre en scène les valeurs des classes possédantes, ou des puissants, ont droit au titre d'artiste. Leurs oeuvres sont dans les musées et diffusées dans des livres «d'art». Le peuple n'a droit qu'à une sous-culture, mais rustique et proche de la nature, fidéle aux traditions... C'est le ghetto du folklore, un mot que l'on a soigneusement tourné en dérision. C'est dans ce cadre que l'on range la culture basque, une culture qui a toujours été niée et piétinée par ceux qui nous gouvernent. C'est Versailles mais aussi Madrid qui véhiculent la civilisation et éclairent les primaires. C'est en dévaluant l'art populaire et en minimisant la culture basque que l'on a laissé dans l'oubli et dans l'abandon bien des oeuvres et des créateurs de ce pays. Cependant en matière de création tout est question de degré; il n'y a pas d'un côté l'enfer et de l'autre le paradis. Bien des oeuvres basques reflétent des univers complexes; c'est ce que nous allons essayer de montrer. Pour cela nous allons examiner des monuments funéraires, ils sont en général d'une puissante originalité. L'art de la stèle basque a été inégalé dans ses chef d'oeuvres des XVI-XVIIIèmes siècles (parmi les stèles d'Europe occidentale au moins). Lorsque l'on examine le dessin de certaines discoidales on est souvent géné par le fait que l'on ne voit pas toujours à première vue quelles sont les parties en relief (Figs. 13, 16, 17...). On est parfois embarrassé lorsque l'on [1] 751

REMARQUES SUR LA STRUCTURE DE L'ART PLASTIQUE BASQUE

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REMARQUES SUR LA STRUCTURE DE L'ARTPLASTIQUE BASQUE

Mikel DUVERT

Pour Colas et Veyrin la décoration des stèles peut se ramener à desassemblages plus ou moins heureux de motifs géométriques. Pour eux lesvieux maîtres sont d'habiles (mais toujours modestes) artisans qui jouent sanstrop s'en rendre compte avec le compas et la règle. II est vrai que seuls leshommes chargés de mettre en scène les valeurs des classes possédantes, oudes puissants, ont droit au titre d'artiste. Leurs oeuvres sont dans les muséeset diffusées dans des livres «d'art». Le peuple n'a droit qu'à une sous-culture,mais rustique et proche de la nature, fidéle aux traditions... C'est le ghetto dufolklore, un mot que l'on a soigneusement tourné en dérision. C'est dans cecadre que l'on range la culture basque, une culture qui a toujours été niée etpiétinée par ceux qui nous gouvernent. C'est Versailles mais aussi Madrid quivéhiculent la civilisation et éclairent les primaires.

C'est en dévaluant l'art populaire et en minimisant la culture basque quel'on a laissé dans l'oubli et dans l'abandon bien des oeuvres et des créateurs dece pays. Cependant en matière de création tout est question de degré; il n'y apas d'un côté l'enfer et de l'autre le paradis. Bien des oeuvres basquesreflétent des univers complexes; c'est ce que nous allons essayer de montrer.Pour cela nous allons examiner des monuments funéraires, ils sont en générald'une puissante originalité. L'art de la stèle basque a été inégalé dans ses chefd'oeuvres des XVI-XVIIIèmes siècles (parmi les stèles d'Europe occidentaleau moins).

Lorsque l'on examine le dessin de certaines discoidales on est souventgéné par le fait que l'on ne voit pas toujours à première vue quelles sont lesparties en relief (Figs. 13, 16, 17...). On est parfois embarrassé lorsque l'on

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fait des relevès,, mais, sur le terrain, lorsque le soleil éclaire convenablementl'oeuvre, il n'y a plus d'équivoque. Cette ambiguité de lecture est essentiellement due à la technique même du champ-levé (et plus particulièrementchaque fois qu'une représentation est figurée par ses seuls contours sur unfond homogéne ou évidé; voir bijoux, entrelacs... de divers peuples). Nouspensons que les vieux maîtres n'ont pas toujours subi cette contrainte, aucontraire.

Considérons la figure 3, exécutée en champ-levé et éclairée de gauche àdroite. Plusieurs combinaisons peuvent être réalisées selon les parties quisont en relief, A et B en illustrent deux. Deux remarques:

—le soleil, et lui seul, permet de lire la représentation,—doit-on accorder plus d'importance à ce qui est en relief ou à ce qui est

évidé, pourquoi?L'interprétation d'une oeuvre peut ne pas étre immédiate.

1. Le Champ-levé:

C'est la technique de base du grand art lapidaire basque. Dans cettetechnique l'espace se répartit sur deux niveaux parallèles; les éléments enrelief se détachent sur un fond plat (que nous avons parfois figuré enpointillés). Trois exceptions sont à noter:

—la ronde-bosse, elle est tout à fait exceptionnelle,

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—la taille en réserve et la gravure qui semblent avoir été utilisées surtouten Navarre,

—le champ-levé á plusieurs plans étagés; cette façon de faire est raremais bien représentée en Labourd, sur les tabulaires des XVII-XVIIlèmessiècles et les discoïdales qui les copient.

La photographie ci-dessous résume certaines de ces caractéristiques. Lechamp-levé á deux niveaux est utilisé sur les deux faces principales, lechamp-levé á plans étagés est utilisé sur les faces latérales où l'on remarqueégalement de puissantes moulures.

2. L'ambiguité de lecture, exemple de l'élément fusiforme:

Les oeuvres illustrée Fig. I et 2 sont á priori fort semblables. Dans lepremier cas six éléments fusiformes sont en relief, dans le second ils sontévidés et soulignent six triangles á côtés courbes qui sont en relief. Remar-quons que dans les deux cas on est en présence d'éléments supportant lerayonnement.

L'oeuvre 4 est par contre ambigue, les deux lectures précédentes sontautorisées. Il en est de méme sur le disque (mais pas sur le socle) de la Fig. 5.En fait les oeuvres 4 et 5 traduisent avant tout un espace rytmé par les pleinset les vides, comme la Fig. 6 qui «représente» aussi une croix.

Une méme exploitation du jeu plein-vide se trouve illustrée sur la croix(Fig. 7) de la couturière Dominik, de Lantabat. Sur le bras horizontal leséléments fusiformes évidés mettent en valeur six triangles accolés par leurbase et leur sommet. En haut du montant vertical les six éléments fusiformessont seuls indiqués; en bas fuseaux et triangles confondus rytment l'espace. Ilnous semble net que le maitre a eu ici une claire consciente des possibilitésoffertes par le dialogue plein-vide. Bien que nous ayons tendance á neconsidérer le plus souvent que les éléments en relief, cette oeuvre offre parendroits plusieurs possibilités de lectute.

La figure 8 ilustre un élément cruciforme formé de quatre éléments enfuseau. Que «représente-t elle? une croix évidée construite sur les axes V etH ou quatre triangles en relief disposés selon les axes secondaires? De mémecoment lire les Fig. 9 A-B, faut-il y voir quatre éléments fusiformes disposéssur les axes secondaires et délimités par la base de quatre (le carré), ou unestylisation de la croix á branches curvilignes? Les maîtres le savaient-ils ou secontentaient ils de reproduire des façons de faire, c'est á dire un style?L'abondance de ces sortes de croix pourrait se comprendre si l'on admetqu'elles traduisent également (et avant tout?) un jeu de rapports entre pleinset vides construits autour de l'élément fusiforme (voir aussi Figs. 10, 17, 26).

Fig. 10, avant tout chose les croix A et B matérialisent des équilibresentre des vides (élément fusiforme) et des pleins (les triangles qu'ils

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ménagent entre eux), en outre ces vides et ces pleins sont étroitement liés.On peut lire de la méme façon les Fig. C et D et la Fig. 1I attirera l'attention,sois sur les éléments en fuseau (A), soit sur la croix qu'ils délimitent (B).

La différence profonde entre Fig. 8 et 9 d'une part et II A-B et II C-Dd'autre part est la rotation de 45° effectuée par l'élément cruciforme (voirégalement le socle Fig. 12). Les maitres ont manifestement joué avec lespossibilités offertes par les rapports plein-vide et l'élément fusiforme. Ils enavaient conscience. D'autres exemples nous le montrent également.

Fig. 12, mise en scéne d'un espace rythmé par les pleins et les vides oill'élément fusiforme par sa répétition joue un rôle essentiel.

Fig. 13, l'espace est uniquement rythmé par l'élément fusiforme évidé etles parties en relief qu'il laisse apparaitre. Faut-il accorder plus d'importance áces derniéres parce qu'elles sont en relief? que «représente» cette oeuvre?

Les Fig. 16 et 17 autorisent les mêmes ambiguités de lecture, méme siune croix apparait «évidente» Fig. 17.

Fig. 14 et 15, l'élément fusiforme dialogue avec les lignes droites.Chaque fois qu'il est utilisé il soutend un rayonnement; il est tantót évidé,tantót en relief.

II est incontestable que les maîtres ont pris un plaisir réel á jouer avec cetélément fusiforme, méme s'il est né «spontanément» sous leur compas. Cetélément constitue un des motifs de base du langage plastique des basques. Ilest rarement utilisé de façon isolée; sur la Fig. 18 nous le voyons accomplirdes fonctions identiques á celles accomplies par la virgule, le triangle, ledemi-cercle ou la fleur de lys par exemple, qui peuvent étre accolés á touteune série de représentations; nous reviendrons sur ce phénoméne «d'aggluti-nation» .

Compte tenu de ce que nous venons de voir, et en exagérant quelquepeu, on peut penser que la stèle Fig. 19 illustre plus six éléments fusiformessupportant le rayonnement, qu'une construction géométrique maladroite.

3. Continuité et discontinuité;

Les rapports plein-vide s'inscrivent dans un ensemble beaucoup plusvaste.

A- La région 6:

Dans le Labourd le monogramme I. H. S. a été particulièrement utilisé.Lorsque l'on examine ses représentations, dans la vallée de la Nive, on estfrappé par le fait suivant. Les lettres verticales s'articulent d'une manièrecomplexe avec la bordure, dans la région 6 (Fig. 20, 21). Sur les inscriptionsgothiques on voit également que les lettres rejoignent l'encadrement qui les

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délimite; mais chez nous il ne s'agit pas d'un trait de style comme nous allonsle voir.

Fig. 22, 24, le motif situé sur l'axe V est continu, collé à la bordure sur larégion 6 dans le disque. Parfois l'axe V est également affirmé dans le socle etcollé avec la bordure en 6 (Fig. 23).

Si la figure 24 illustre une croix fleurdelisée, elle représente ou met enscéne l'identité des régions 9, 12 et 3 et l'originalité de 6 oú la bordure vientse prolonger dans l'espace du disque.

C'est à travers laxe V, par la région 6, que se fait la fusion. En Labourd lemonogramme a suivi toute une évolution; dans ces séries de transformationstrois tendances se dégagent:

—l'axe V est conservé, il porte la croix,—la barre horizontale du H est supprimée, les parties verticales sont

seules conservées accompagnées parfois de deux autres barres verticales(lettre I redoublée); il apparait donc une série paralléle à l'axe V,

—la lettre S peut être transformée ou supprimée,durant ces transformations l'axe V reste fusionné avec la bordure en 6;

les lettres I et H (ou les éléments qui en dérivent) peuvent être égalementfusionnées en 6 (Fig. 20, 21), mais jamais les lettres S. Tout se passe comme siles éléments placés directement sur V (croix, Fig. 15, 20, 21, 22, 24, 25, 45)étaient obligatoirement sur le même plan que la bordure, fusionnés avec elle;les éléments qui se disposent en fonction de cet axe, qui lui sont paralléles,tendent également à fusiónner avec la bordure, mais en 6 seulement et plusrarement en 12 (Fig. 20, 21, 27). Les éléments qui échappent à l'emprise del'axe V (lettres S, Fig. 20, 21; base de quatre, Fig. 6, 22; figurations diverses,Fig. 21, 25, ...) tendent par contre à être libres dans le disque, sans attacheavec la bordure.

Ces caractéristiques sont tout à fait générales et la région 6 est avant toutle point d'ancrage de l'axe V; la bordure et la représentation portée par l'axeV tendent à former un ensemble continu.

B- La bordure,:

Cette région peut être un simple liséré ou avoir une structure complexe(répétition de triangles –Fig. 20, 21, 25, 32– ou d'éléments fusiformess'appuyant sur le pourtour de l'oeuvre –Fig. 1, 4, 6, 13, 16...). Dans la grandemajorité des cas elle forme une région bien délimitée.

Fig. 25, la bordure communique largement avec l'axe V. Le couple axeV-bordure forme un ensemble continu délimitant deux espaces (de part etd'autre de la croix) où se déploient en toute liberté divers élémentsdiscontinus.

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Fig. 26, tous les éléments en relief sont fusionnés avec la bordure (demême pour le socle). Cette oeuvre peut être considérée comme étant forméed'un seul ensemble continu avec la bordure et se déployant selon les axesprimaire et secondaires (dans le disque mais aussi dans le socle).

Fig. 27, elle est tout à fait semblable à la précédente. Cette représenta-tion dérive du monogramme (voir au dessus); plus que les lettres I. H. S. elleforme un ensemble d'éléments continus avec la bordure qui se déploie sur lefond du disque (pontillés) qui est discontinu.

De la méme façon on peut lire les Fig. 28 à 32.Les rapports continu-discontinu sont communs à des oeuvres extréme-

ment variées (Fig. 25 à 32); dans ce dialogue la qualité des pleins et des videsqui se mettent mutuellement en valeur peut ne pas être quelconque (Fig. I à17).

C-Un monde où les références n'ont guére d'importance:

Avant d'étre des représentations «objectives» d'élements donnés (rosa-ces, croix, fleurs de lys...) la stèle est un langage plastique. Plus qu'une miseen scéne d'espace structuré (axes, régions...) la stéle est un rapport destructures continues-discontinues auquel le soleil donne vie grâce au jeuplein-vide (c'est à dite à la technique du champ-levé). A San Martin de Unx(Fig. 29 par exemple) plus que l'indication de la région O, de la base de quatreet des axes V et H, c'est ce type de rapport qui s'impose. De même en Soule(Fig. 28), Basse-Navarre (Fig. 31) et Labourd (Fig. 32).

Dans ce contexte les systèmes de représentation (les symboles chrétienspar exemple) tendent à être confondus et agglutinés, ou au contraire éclatés,dans un espace qui privilégie les rapports entre continuité et discontinuité.Les vieux maitres ne sont pas des naïfs qui jouent inconsciemment de la régleet du compas. Dans la figure 25 l'ensemble croix-bordure forme un seul blocqui contraste avec la grande liberté de traitement des autres éléments (voirFig. 20, 21). Fig. 32, le groupe continu bordure-axes V et H (et donc croix)contraste avec la légéreté et la liberté des éléments discontinus sur la base dequatre. Fig. 30 et 31 plus qu'une simple addition d'éléments ces oeuvres sontdes dialogues entre ensembles cohérents, continus, et un fond évidé,discontinu (voir Fig. 26 et 28).

Dans ce type d'univers qu'elle est la valeur intrinséque de chaquereprésentation? que «représente» une stèle? Que signifie par exemplel'abondance des croix et surtout de celles du type illustré Fig. 10 A et B? plusqu'un monde chrétien la stèle est un monde christianisé. Derrière chaquecroix on trouve trés vite:

—les axes V et H avec leurs propriétés essentielles,—les régions 9-3-12 et la région 6,

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—les rapports entre les pleins et les vides (les bras des croix du type 10 Arappelent avec insistance les triangles aux côtés courbes des Fig. 2, 13...),

—les rapports de continuité et de discontinuité.De plus, comme n'importe quel autre élément de vocabulaire esthétique

la croix est agglutinée à d'autres éléments (Fig. 18 b ou 15, 22, 45...).La stéle est un espace fondamentalement abstrait (qui exclut le portrait et

l'anecdote), ce n'est ni un livre d'images ni un échafaudage habile de dessinsgéométriques. Elle est le fruit d'une recherche collective, elle figure des typesde sensibilité que les vieux maîtres traduisaient dans la pierre. Chaque stèleest une tranche de vie où, à la suite de ceux qui nous ont précédés, nousaimons nous reconnaître.

Fondamentalement la stèle n'est pas un support où s'additionnent desreprésentations; elle est espace et rythmes que le soleil fait vivre différemment tout au long de chaque journée. Sans soleil il n'y a pas de stèle, et c'estégalement dans cette perspective qu'il faut situer les rapports continu -discontinu.

4. La stèle est un espace mouvant:

Axes et régions n'ont pas de limites fixes dans une discoidale, ce sontsimplement des repères qui canalisent des forces en mouvement. Nous avonsdéjá étudié celà à propos de. la région O (Duvert, 1976). Nous allons revenirsur ce théme en les situant dans les rapports entre plein et vide.

Fig. 33, la base de quatre s'oppose au déploiement du rayonnement issude la région centrale O.

Fig. 34, seule la base de quatre est affirmée par un jeu plein-vide qui sedéveloppe en continuité avec la bordure. Ces quatre éléments laissentinoccupées les régions 9, 12, 3, 6 et la région centrale qui a une forme enlosange, comme sur la figure précédente.

Fig. 35, comme la figure précédente elle est construite à partir de quatrestructures évidées, sur les axes secondaires, et dont les parties pleines sontcontinues avec la bordure. De méme, les régions 9, 12, 3 et 6 sont inoccupéeset la région centrale a une forme en losange. On peut dite aussi que cette stèle«représente» une croix.

Fig. 36, c'est la méme structure à nouveau mais la base de quatre a undéveloppement intermèdiaire entre celui des Fig. 34 et 35; les régions 9, 12,3 et 6 sont pleines mais la région centrale conserve toujours la trace del'affrontement de la base de quatre, sous forme d'un losange. Cette stèle«représente-t-elle» une croix?

Jusqu'ici nous avons vu des éléments circulaires placés sur les axessecondaires. Voyons maintenant des éléments fusiformes à cet endroit.

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Fig. 37, quatre demi fuseaux évidés convergent vers O, de la méme façonque quatre éléments évidés sont places de part et d'autre de O sur la Fig. 36.L'espace inoccupé représente une croix.

Fig. 38, cette fois ci les quatre éléments qui convergent vers O sont encontact (mais non fusionnés). Ils ménagent des vides en 9, 12, 3 et 6 qui sontreliés entre eux. On peut lire sur cette oeuvre une «fleur à quatre pétales»mais aussi une croix, c'est bien la lecture qu'en donne Tabar Sarrias (1979)qui rapporte cette oeuvre navarraise. Faut-il apporter plus d'importance à cequi est en creux ou à ce qui est en relief?

Fig. 39, nous avons déjá analysé ce type de représentation (voir 10 A etII A et B), la différence avec la figure 37 est la présence des fuseaux en 9, 12,3 et 6 (sur les Fig. 35 et 38 par exemple, sur cet emplacement on avait figurédes triangles et non des fuseaux).

Fig. 41, alors que sur la figure 37 les éléments en fuseau étaient reliésentre eux (et l'on pouvait croire que le maitre avait «voulu représenter unecroix»), ici rien de tel. C'est un jeu pur de plein et de vide où la continuité dela surface de la stèle est rompue par quatre demi fuseaux. Que «représente»cette oeuvre?

Fig. 42, l'espace laissé libre précédemment (Fig. 41) par les quatre demifuseaux est évidé selon les axes V et H. Cette oeuvre est formée de quatretriangles évidés convergeant vers O, issus de la bordure, en continuité avecelle. Nous avons déjà vu des situations semblables où la bordure se déploiedans le disque le long d'axes (Fig. 26, 28). Cette discoïdale figure égalementune croix évidée encadrée par quatre éléments «difficiles à identifier»pourrait-on dire, mais est-ce uniquement en ces termes qu'il faut lire cetteoeuvre?

Fig. 43, cette fois ci les quatre éléments en triangle qui convergent versO sont en relief, ils sont isolés, comme la structure qui figure en O. Par contreles parties évidées selon V et H sont reliées entre elles au niveau de labordure et autour de la région centrale. Curieuse représentation pour uneoeuvre qui provient de la nécropole paléochrétienne de Soracoiz (Navarre).Les parties évidées suggérent une croix aux branches évasées inscrite dans uncercle, mais les 'Jarcies en relief? Faut-il accorder plus d'importance à ce quiest en relief ou a ce qui est évidé?

A travers ces exemples nous voyons l'importance des axes secondaires.Ils servent à construire des éléments dirigés vers O, source du rayonnement.Dans cette optique la discoïdale peut se concevoir comme:

—un equilibre entre les forces centrifuges, rayonnantes, issues de O etles contraintes plus ou moins fortes qui se développent sur les axessecondaires (Fig. 40).

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—un dialogue plein-vide, où la bordure joue un grand rõle, entre leséléments disposés sur les axes secondaires et le reste de l'oeuvre.

La figure 40 qui se dégage de ces considérations tout á fait théoriquessuggére quatre <dignes de front» face au rayonnement et ménageant l'empla-cement des axes primaires V et H (axes où la croix peut tout naturellementprendre place). C'est trés exactement la situation que nous voyons Fig. 44, qui«représente» aussi une croix dans un losange... Cette figure 44 illustrel'archétype même de dizaines de stèles labourdines et bas-navarraise (voir Fig.45 á 47 par exemple). Dans ces oeuvres les bases de quatre sont libres etdiscontinues, le groupe V-H forme un ensemble qui, en Basse - Navarresurtout, est á peine relié á la bordure en 9, 12, 3 mais solidement ancré en 6.

5. La stèle n'est pas un espace neutre:

Compte tenu de ce que nous venons de voir nous pouvons penser que ladiscoïdale:

—refléte la confrontation entre ensembles pleins et évidés qui peuventêtre étroitement liés (la forme de l'un entrainant celle de l'autre),

—refléte la confrontation entre ensembles continus et discontinus (quipeuvent être, au moins sur le plan esthétique, très différents),

—dans ces types de relation les parties en relief comptent autant que lesparties en creux,

la technique du champ-levé est le moyen de choix qui permet dedévelopper un tel univers. L'abondance du champ-levé dans l'art basque n'estpas un signe de faiblesse ou de primitivisme; il reléve d'un choix.

Ces quelques tendances que nous venons de dégager illustrent en faitautant de contraintes qui servent á articuler un langage mettant en scéne unespace repéré et hiérarchisé (voir Duvert, 1976). Les divers symboles ouéléments qui seront acceptés et intégrés au cours des temps á la stèle, devrontse soumettre á toute une série d'impératifs. Certains seront méme trèstransformés (comme le monogramme I. H. S. par exemple). Enfin... unsymbole ou un élément quelconque aura d'autant plus de chances d'êtrelargement utilisé qu'il pourra facilement se plier á ces types de contraintes,c'est le cas du monogramme I.H.S. dans la vallée de la Nive par exemple, enLabourd; c'est également le cas de la croix qui se développe sur V et H, (maisqui sera modifiée en 9, 12, 3 et 6; toutes les «rosaces» et autres élémentscomme le «sceau de Salomon», le lauburu... qui peuvent affirmer lerayonnement sans subir aucune contrainte, etc.). L'évolution de la stèle n'estpas due au hasard non plus. La discoïdale est un espace vivant, malgrés lessiécles et les modes, du XVème siécle au moins, á nos jours, elle a conservéses traits fondamentaux. Preuve qu'elle n'est pas un jeu inconscient avec desrégles et des compas (et cet art est trés riche et varié, comme jamais des stèles

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discoïdales d'Europe l'ont été). Chaque stèle est une solution proposée, unéquilibre ou une somme d'équilibres, dans un espace fondamentalementabstrait c'est à dire qui ne fait pas explicitement référence au monde visible.C'est en ce sens que la discoïdale a été acceptée par le monde basque, c'est ence sens qu'elle a pu être basque, C'est une oeuvre collective et non le fruit duhasard né sous les doigts noueux et rustiques de quelques naïfs.

Nous ne prétendons par avoir mis ici en évidence des caractéristiquesspécifiquement basques, on les retrouve dans d'autres productions provenantde diverses civilisations. Il serait par contre intéressant de voir si l'onretrouve le même ensemble de caractéristiques dans d'autres oeuvres qui nesont pas basques ou qui ont pu l'être (le long de la chaîne pyrénéenne). Nouspensons en effet que ce qui peut caractériser une culture c'est plus unensemble cohérent de caractéres que tel ou tel trait isolé «à l'état pur» (et quien tant que tel n'a pu exister, comme la croix dite basque qui est aussi unensemble continu formé par l'articulation d'un élément de base, la virgule,répété quatre fois autour d'un point central; c'est peut être pour cela quecette belle structure rayonnante a connu un tel succés...).

Les idées présentées dans ce travail peuvent paraitre comme autant dethéories purement intellectuelles, sans aucune prise sur la réalité. Nous avonsen effet développé notre étude à partir de rapprochements théoriques sanstenir compte de la chronologie et sans replacer les oeuvres dans leur contexte(et ce sont autant de données qui nous échappent largement ici). Quelles quesoient les critiques adressées à ce travail il n'en demeure pas moins vrai quenotre art funéraire ne peut se comprendre, se situer, dans le cadre des seulsacadémismes ou des caractéristiques qui régissent l'art «officiel» en France ouen Espagne. En ce qui conceme Euskadi nord au moins, c'est un art de paysan,nous le savons. On comprend Colas quand il dit: «fine faut pas demander auxstèles basques même aux plus belles, l'impression que nous donnent lesmétopes du Parthénon, l'oeuvre d'un Michel-Ange, d'un Falguière ou d'unRodin». De même l'art basque n'est pas plus l'art de provinces françaises qu'iln'est celui de provinces espagnoles; il est l'art d'un peuple, d'un pays et d'unecivilisation qui ont leur histoire. Ceux qui nous dominent nous ont toujoursmaintenu dans des situations inférieures et c'est eux qui écrivent «l'Histoire».Celle de notre art funéraire reste à faire, Colas, Veyrin, Gallop... n'ont riendit d'intéressant à ce sujet. Tout reste à faire.

Dans la mesúre où il existe un peuple basque et une langue basqueparticulière on est en droit de penser qu'il peut exister un art plastiqueoriginal, ou qui présente suffisamment de traits homogénes. Une tele étudereste à faire. II nous parait utile de rechercher dans cet art plastique descaractéres qui soient en accord avec d'autres valeurs du monde basque. On

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peut penser qu'une telle démarche nous permettra de donner au mot«basque» une meilleure densité, mais surtout qu' elle nous permettra defournir des matériaux fondamentaux pour continuer une expression origi-nale, c'est à dire pour vivre, pour créer dans la continuité.

Dans la mesure où les faits que nous avons cru dégager sont bien réels etnon le fruit de notre imagination, né d'un amour immodéré pour ce pays, onpeut essayer d'ébaucher quelques paralléles. La stèle discoïdale se présente ànous comme étant un langage plastique cohérent. Les éléments de base de celangage, ses sujets motifs (comme l'élément fusiforme, la virgule, le demicercle, le triangle, la croix, les diverses «rosaces»...) pourraient être comparésà des sons ou des lettres.dont le mode d'enchainement (le jeu plein-vide), lesmots (système continu-discontinu) constituent des «messages» agencés selondes logiques et selon une hiérarchie de valeurs (axes, régions... voir Duvert,1976). Un tel message plastique doit être en harmonie avec l'univers basque.Par exemple l'euskara renferme d'innombrables concepts bâtis par agglutination de mots simples, les oeuvres illustrées Fig. 28 à 31 et bien d'autresencore, en sont peut être l'équivalent dans la pierre? De la même façon, la

manière d'articuler les pleins avec les vides, selon un mode continu etdiscontinu, fait que l'information n'existe pas en soi mais est tributaire de toutun contexte où elle prend sa réelle signification.

Par le biais de ces quelques remarques nous saluons affectueusementMonsieur le Chanoine Laffitte qui a contribué avec tant de talent à la vie denotre culture.

Sources des illustrations et références

Fig. 1, 4, 7, 9 A, 15, 30, 31: I. Thévenon, Contribution à l'étude de l'esthétiquebasque à travers l'art lapidaire funéraire: analyse des stèles discoïdales des croix et des dallesdes XVI, XVII et XVIII siècles dans la vallée de Lantabat en Basse-Navarre, Maitrised'enseignement des arts plastiques. Université de Paris, Faculté des Lettres et SciencesHumaines. Sorbonne. 1978, 236p. 164 pl.

Fig. 9 B, 13, 17, 27, 33, 39: L. Colas, La tombe basque. Recueil d'inscriptionsfunéraires et domestiques du Pays Basque français, 1906-1924. Bayonne et Paris, Foltzeret Champion Ed. 1924, 404 P.

Fig. 19, 41: R. M. de Urrutia, «Noticia de dieciocho estelas discoideas en lostérminos de Lizoain, Arriasgoiti y Urroz», Cuadernos de etnología y etnografía deNavarra, Pamplona, 1971, n.° 8, p. 227 -243.

Fig. 29: F. J. Zubiaur Carreño, «Estelas discoideas de la iglesia parroquial de SanMartín de Unx (Navarra)», Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra, Pamplona,1977, n.° 25, p. 123-152.

Fig. 35 et 37: R. M. de Urrutia, «Estudio de las estelas discoideas de los valles deIzagaondoa y Lónguida», Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra, Pamplona,1971, n.° 9, p. 363-395.

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Fig. 42: R M. de Urrutia, «Nuevas estelas discoideas del valle Arce y de OrozBetelu», Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra, Pamplona, 1974, n.° 17, p.311-344.

Fig. 43: R. M. de Urrutia et F. F. García, «Las estelas de Soracoiz (notas para elestudio de una necrópolis)», Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra, Pamplona,1973, n.° 13, p. 89-115.

Fig. 38: M.I Tabas Sarrías, «Aportaciones al conocimiento de las estelasdiscoideas de Navarra», Cuadernos de etnología y etnografía de Navarra, Pamplona,1979, n.° 33, p. 537-552.

Fig. 34, 36, 44: E. Frankowski, Estelas discoideas de la península ibérica, Madrid,Comisión de investigaciones paleontológicas y prehistóricas. 1920, 192 p.

Les autres figures sont extraites des releves de l'association Lauburu; Fig: 5,Milafranga; 6, Arbona; 8, Itsasu; 12, Arbona; 14, Larrasoro; 16, Arrosa; 20, 21,Haltsu; 22, Makea; 23, Hiriburu; 24, Martxuta; 25, Jatsu; 26, Makea; 28, Lechantzu;32, Basusarri; 45, Airosa; 46, Mugerre. La photographie illustre une stèle tabulaire àHaltsu.

M Duvert, «Contribution á I'étude de la stèle discoïdale basque», Bulletin duMusée Basque, Bayonne, 1976, n.° 71 et 72.

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