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RePONSE A QUELQUES CRITIQUES Henri-L. MIEVILLE C’est avec le plus vif intkret que j’ai pris connaissance des cri- tiques que mon article sur les Constituants formels de l’idde de verite‘ (Diafecfica 26) a suscitkes dans cette revue hospitalikre l. Elles m’ont kclairk sur plus d’un point et elles me permettront de prkciser ma pensee. Qu’il me soit permis tout d’abord de rappeler que rnon ktude n’avait pas pour objet l’examen de la doctrine idonkiste, mais visait A elucider une question qui se pose dks qu’on juge que l’kpistemo- logie ne peut se borner a ktre une phknomknologie de la pensee ou une gknktique de ses operations et de ses normes. Tel &ant mon objectif, je n’ai pas juge nkcessaire de donner dans mon travail un expose complet de la position idoneiste dans une revue qui est son principal organe et dont les lecteurs la connaissent fort bien. Les observations de M. Gonseth m’ont fait voir que les points sur lesquels je puis me dkclarer d’accord avec les conceptions qu’il a dkiinies sont plus nombreux et plus importants encore que je ne l’avais pensk. Je vais essayer de serrer de plus prks les questions au sujet desquelles des divergences d’une certaine importance subsistent nkanmoins. M. Gonseth kcrit que je me suis donne pour adversaire un ido- nbisme (( qui n’a pas de vkritable solidarite avec l’idonkisme rkel )). Et pourquoi? Parce que j’aurais (( passe sous silence H, c’est-a-dire mkconnu le fait que (( la connaissance idoine, les notions et les prin- cipes idoines doivent sortir d’un arbitrage actif et constamment en kveil entre les exigences contraires de l’inaliknable et celles du devenir D. Cependant, j’avais eu soin de rappeler que la science con- temporaine admet (( la rkvisibilite des systemes d’axiomes qui p r 4 Nous citerons cet article et les reponses qu’il a provoquees et qui ont paru dans le mCme fascicule en indiquant seulement la page du fascicule oh se trouve le texte en question.

RÉPONSE A QUELQUES CRITIQUES

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R e P O N S E A QUELQUES CRITIQUES Henri-L. MIEVILLE

C’est avec le plus vif intkret que j’ai pris connaissance des cri- tiques que mon article sur les Constituants formels de l’idde de verite‘ (Diafecfica 26) a suscitkes dans cette revue hospitalikre l. Elles m’ont kclairk sur plus d’un point et elles me permettront de prkciser ma pensee.

Qu’il me soit permis tout d’abord de rappeler que rnon ktude n’avait pas pour objet l’examen de la doctrine idonkiste, mais visait A elucider une question qui se pose dks qu’on juge que l’kpistemo- logie ne peut se borner a ktre une phknomknologie de la pensee ou une gknktique de ses operations et de ses normes. Tel &ant mon objectif, je n’ai pas juge nkcessaire de donner dans mon travail un expose complet de la position idoneiste dans une revue qui est son principal organe et dont les lecteurs la connaissent fort bien.

Les observations de M. Gonseth m’ont fait voir que les points sur lesquels je puis me dkclarer d’accord avec les conceptions qu’il a dkiinies sont plus nombreux et plus importants encore que je ne l’avais pensk. J e vais essayer de serrer de plus prks les questions au sujet desquelles des divergences d’une certaine importance subsistent nkanmoins.

M. Gonseth kcrit que je me suis donne pour adversaire un ido- nbisme (( qui n’a pas de vkritable solidarite avec l’idonkisme rkel )).

Et pourquoi? Parce que j’aurais (( passe sous silence H, c’est-a-dire mkconnu le fait que (( la connaissance idoine, les notions et les prin- cipes idoines doivent sortir d’un arbitrage actif e t constamment en kveil entre les exigences contraires de l’inaliknable et celles du devenir D. Cependant, j’avais eu soin de rappeler que la science con- temporaine admet (( la rkvisibilite des systemes d’axiomes qui p r 4

Nous citerons cet article e t les reponses qu’il a provoquees et qui ont paru dans le mCme fascicule en indiquant seulement la page du fascicule oh se trouve le texte en question.

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sident a l’klaboration des sciences mathematiques et physiques ))

(p. 108), parce qu’elle recherche (( une systematisation plus com- plete et plus satisfaisante des bases theoriques d’une science qui a conquis de nouveaux territoires )). Voila qui implique (( l’arbitrage vigilant B dont on me fait grief de n’avoir pas parle. J e n’avais pas A detailler les procedures inventees a cet effet, car je me suis attache (n’en avais-je pas le droit?) a l’idke directrice a laquelle elles obdissent et qui ne change pas, alors qu’elles varient selon la nature des problemes et le degrk de perfection de l’outillage scientifique dont nous disposons. L’kchec d’un certain dogmatisme (ou rea- lisme) logique contre lequel, avec beaucoup de force, s’eleve a son tour l’idonkisme se marque dkja, au cours de l’histoire de la pensee humaine, dans le scandale logique de la decouverte de l’irrationnel, dans les antinomies de Zenon; il Cclatera dans la creation de la differentielle et il se perpktuera de nos jours dans ce que M. Bou- ligand appelle le (( declin des absolus mathkmatico-logiques )). Les (( situations dialectiques )) dont parle M. Gonseth, je ne les ai pas meconnues, mais je me suis applique 6 degager de l’activitk qu’elles provoquent du cat6 de la penske et qui se traduit par l’invention de symbolismes nouveaux les normes constantes auxquelles l’en- tendement obkit invariablement dans ses efforts vers l’intelligence du reel.

La these que je defends, c’est que les constituants formels de l’idke de vkrite qui caractkrisent la vise‘e permanente de l’esprit kchappent nkcessairement au travail de rkvision auquel il peut &tre (( idoine o de soumettre les instruments conceptuels que la pensee a forgks pour l’investigation de tel ou tel domaine particulier de la connaissance. C’est la le point oh mes idees divergent de celles que dkfend M. Gonseth. Ce n’est donc pas l’idonkisme en bloc auquel je contredis, car l’idoneisme n’est pas - il s’en faut - tout entier dans la these de la reformabilitk possible des principes for- mels qui sont les composantes de l’idCe de veritk. Pour M. Gonseth ces principes sont (( inalienables )), en ce sens qu’ils sont promus a validite tant qu’ils continuent a &tre (( idoines B. Leur irreformabi- lit6 ne doit pas &tre affirmke ; elle n’est que possible, tant qu’aucune dkmonstration n’en aura C t C fournie. Ainsi le principe de rCvi- sibilitk n’est pas pose comme absolu par l’idoneisme : (( I1 conseille

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seulement, declare M. Gonseth, la prudence dans les affirmations (p. 176).

Mais on avouera que ce langage ne se comprend que si une demonstration d’irreformabilite est jugke possible, les regles de prudence etant observkes. Or ces regles de prudence veulent pre- cisement que pour operer la demonstration dont il est question on ne s’appuie sur aucun principe dont l’irreformabilite n’ait ett5 demontree ! La conclusion s’impose : le langage que parle M. Gon- seth, lorsqu’il a l’air d’admettre qu’il puisse y avoir des affirmations legitimes d’irreformabilite, fait illusion : un (( inalihable B a beau se conserver tel en passant (( d’horizon en horizon )) (je rectifie sur ce point une definition inexacte de l’inalienable qui s’est glissee dans mon article et que M. Gonseth signale dans sa critique), on ne pourra jamais le considerer Zdgitimement comme irreformable.

On est ainsi conduit - qu’on le veuille ou non - A ce que M. Bouligand appelle plaisamment un (( inextinguible revision- nisme B, c’est-a-dire a un revisionnisme &ig6 (contradictoirement) en principe absolu. Ce revisionnisme-la, M. Gonseth ne le professe pas explicitement, mais il s’y rallie en fait, lorsqu’il s’en sert pour ruiner (comme nous venons de le montrer) toute argumentation qui voudrait etablir qu’il y a des irreformables. Remarquons a ce sujet que le revisionnisme dont nous parlons aurait pour effet, si I’on voulait &re logique, de rendre vaine la recherche des (( fonde- ments)) des sciences. I1 n’y a pas de fondement determinable, ou il n’y a jamais que du provisoire, c’est-a-dire, si le principe de rkvisi- bilite s’applique de droit et cela inddFniment a tous principes quels qu’ils soient, qui pourraient (( fonder )) ou contribuer a fonder la science.

Nous avons au contraire essay6 de montrer que nous possedons un critere qui permet de decider de l’irreformabilite des principes formels constitutifs de l’idke de verite. Doivent &re consider& comme irreformables et comme dbfinitivement acquis, comme (( pre- miers )), du c6te de la pensee, tous principes qu’on est oblige de supposer valables pour pouvoir les mettre en question, cette mise

G. BOULIGAND et J. DESGRANGES, Le de‘clin des absolus mathe‘matico- logiques. Paris 1949, p. 14. (( Qucl intCr&t, a dit Alain, yuis-je trouver dam une preuve, si je ne crois pas ferme qu’elle sera bonne encore dcmain. ))

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en question n’ktant plus alors qu’une sorte de fiction, un jeu pure- ment verbal.

C’est l’argument du cercle que M. Gonseth appelle de (( rktor- sion )) (voir A ce sujet notre article, p. 135, note 1). M. Gonseth estime que cet argument (( n’est pas necessairement applicable A des principes dont la signification est encore susceptible d’etre prk- cisee et approfondie )). Et il ajoute: a La rktorsion ne peut jamais dkmontrer d’un principe qu’il est irrkformable : elle ne peut que Ie presupposer )) (p. 175). Nous pensons que cette seconde supposition s’accorde ma1 avec la premiere qui n’exclut pas un emploi emcace de la retorsion. (( Pas ndcessairement applicable laisse supposer que dans certains cas la rktorsion peut s’appliquer et fournir une dk- monstration.

C’est 18 prkciskment notre opinion. Nous dirons (avec M. Gon- Seth selon le premier texte cite) que l’argument du cercle est appli- cable mkme dans certains cas ou le principe dont on tenterait de mettre la validitk en question posskde le caractere de 1’(( ouvert D. Nous en avons parlk dans notre article. I1 y a par exemple, disions- nous (dans la note citke), une autocritique de la pensee : nous pou- vons nous servir d’opkrations intellectuelles pour rectifier ou decla- rer nulles d’autres opkrations de la pensee. Mais nous ne saurions, sans qu’il y ait cercle vicieux, nous servir de la penske pour mettre en question le pouvoir de la penske d’knoncer des jugements valables. Quant aux constituants formels de l’idke de vkritk, leur fonction n’ktant que d’expliciter ce qui est implicitement prdsup- posk, dks lors qu’on se sert de la pensee pour discerner le vrai du faux, I’argument du cercle leur sera applicable du moment qu’il l’est a la penske. Leur signification est sufisamment prkcise pour que l’argument du cercle puisse jouer sans equivoque.

Voyez l’identite‘ logique. Tout contenu de la conscience que la penske fixe sous la forme d’une representation, d’une idee (par exemple, quand nous disons : j’eprouve ou j’ai kprouvk tel senti- ment ; je pense ou j’ai pens6 ceci ou cela) est ce qu’il est ou ce qu’il a ktk, et l’idke que je m’en fais - qu’elle soit Claire, ou confuse ou fausse - est ce qu’elle est et sera toujours ce qu’elle aura etk, dusse-je ne pas m’en souvenir ou n’en avoir qu’un souvenir confus ou inexact. Ainsi l’identite, en tant que (( forme H de tout ce qui

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peut &tre pens& de tout le pensable )), n’est pas, comme le veut M. Gagnebin, cette qualite de perfection, de determination totale qui n’appartient qu’aux idees claires et distinctes, a la pensee (( achevee o. Nous avons donne A ce terme un autre sens parfaite- ment clair d’ailleurs. Car c’est la une idee simple qui n’est suscep- tible d’aucune definition, une de ces idkes premi6res dont nous prenons conscience par une operation ritflexive de la pensee reve- nant sur elle-m&me.

M. Gagnebin objecte que c’est du degrk de clarte et de distinc- tion d’une idee que ditpend la possibilitk de lui reconnaitre une identitk, de l’a identifier )) en la circonscrivant. Mais n’allons pas commettre ici une confusion. La clarte et la distinction d’une idke sont susceptibles d’augmenter ou de diminuer. I1 n’en est pas ainsi de l’identite. L’identification, qui est une opkration de la pensite, peut reussir ou ne pas reussir, il serait absurde de dire cela de l’iden- tite ! Les conditions de Z’identification ne sont donc pas des dttermi- nations de Z’identitt. L’identite n’est pas susceptible de degrks : elle appartient a tout ce qu’a un titre quelconque nous pensons, d6s lors que nous en prenons conscience comme d’un (( pens6 o.

On voit pourquoi l’identite formelle ne se presente pas a la conscience comme capable de se transformer, de se preciser ou de s’approfondir au fur et a mesure que l’idee que nous nous faisons d’une chose (par exemple celle de la vie) s’enrichit et se transforme. On peut dire que I’idee de la vie, en se modifiant, ne reste pas iden- tique a elle-meme tout en demeurant la m&me idke, puisqu’elle ne cesse de (( viser )) le m&me objet. Est-ce a dire que l’identite for- melle qui affecte chacune des significations qu’elle peut prendre successivement change de sens et se transforme elle aussi? Qui ne voit l’absurdite d’une pareille affirmation ? Les teneurs successives d’une m&me idite qui prend des acceptions nouvelles sont chacune ce qu’elles sont et le resteront, e t si nous pretendions le contraire, si nous tentions de mettre en question le principe d’identite en tant que forme logique du pens6 ou du pensable, notre affirmation ne pourrait avoir de sens et ne subsisterait comme telle que par la vertu de l’identite dont elle pretendrait pouvoir faire abstraction. Nous re trouvons ici l’argument du cercle et constatons son irrecu- sable validitk.

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Forme et matikre, objecte encore M. Gagnebin, ne peuvent s’iso- ler l’une de l’autre ; l’une ne se determine pas sans l’autre. Vouloir definir le formel une fois pour toutes a priori , c’est dogmatiser. - Nous repondrons qu’assurkment il en serait ainsi dans le cas ou l’elCment formel aurait pour fonction de se composer avec le contenu des id6es pour y ajouter des determinations materielles qui pour- raient varier selon l’ktat de nos connaissances. Mais si l’on a retenu ce que nous venons d’exposer concernant l’identite logique, on com- prendra qu’il n’en est rien et que, comme forme du logique en genkral, I’identite demeure indifferente aux contenus qu’elle a pour fonction non d’influencer, de completer ou de transformer, mais de fixer dans la pensee selon ce qu’a chaque fois ils peuvent &re.

Autre question relativement a l’identite logique. Peut-on sou- tenir avec M. Piaget que cette notion n’a pas la valeur d’un prin- cipe d’ordre transcendantal et qu’elle derive de la rkversibilite cons- tatke des op6rations effectuees sur les elements d’un ensemble, laquelle permet de reconnaitre l’identite des elements en jeu? Ce n’est, en effet, que graduellement que ces deux notions correlatives se precisent pour l’intelligence. A une semi-rkversibilite correspon- dra une identite (( approchke o.

L’interessante et pknetrante analyse g6nCtique que m’oppose M. Piaget me laisse cependant un doute en l’esprit ; ou plutdt, elle me parait situee sur un plan qui n’est pas celui ou pourrait se resoudre le problkme kpistemologique proprement dit. Depuis que Kant s’est heurte aux paradoxes qui resultaient du psychologisme de Hume, ce problkme ne concerne pas seulement le mode d’acqui- sition des notions fondamentales qui permettent de construire une science. I1 s’agit de remonter, s’il se peut, aux conditions ultimes qui rendent la connaissance possible et qui permettent de com- prendre l’audace des infkrences et tout particulikrement celle de l’induction anticipatrice.

Or voici ce qu’on peut remarquer au sujet de l’identite logique et de la reversibilite. J e suppose que dans une skrie d’objets ou d’klt5ments a b c d e, percue tout d’abord globalement, j’aie opCr6 le dkplacement de b substituC a d et de d substituk a b. Les deux elements skpares de leur contexte acquerront ainsi une individua- lit6 plus marquke (identite (( approchke )), si l’on veut s’exprimer

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ainsi), Mais il faudra une serie d’opkrations analogues et d’opkra- tions inverses de chacune d’elles (rhersibilitk), pour que, les nou- velles connexions dans lesquelles se trouvera chaque dement ktant a chaque fois rompues, son identit6 soit pleinement reconnue. On voit, par cet exemple trBs simple, comment Z’identifieation (non l’identitk) dkpend de certaines opkrations et de leur reversibilitk. Mais on se rend compte kgalement que de pareilles opkrations ne peuvent conduire A une prise de conscience de la notion d’identitk que si leurs resultats successifs sont compares les uns aux autres, un invariant ne se laissant repkrer que par rapport 9 du changeant. I1 faut que chacune des opkrations qui portent sur l’ensemble tout d’abord globalement perqu se conserve dans le souvenir, telle qu’elle a k t e avec son resultat. Autrement dit, il faut qu’elle soit consue comme affectke de l’identitk. Qu’est-ce a dire, si ce n’est que l’iden- tit6 (non le jugement A = A des logiciens qui l’ont tardivement formaliske) est impliquke dkja en tant que (( forme )) du pens6 dans toutes les opkrations, klkmentaires ou plus complexes, dont le sujet prend plus ou moins vaguement ou plus ou moins nettement cons- cience et qui prkparent le surgissement de la notion d’identitk en pleine clarte d’intelligence l.

Dans le chapitre XI1 ( Q 7) M. Piaget montre que la logiquc nait de la cooperation, c’est-a-dire d’un echange de penske re‘gle‘ p a r des norrnes admises d’un commun accord et qui se substitue a un kchange quelconque d’idkes. La rkgle qui intervient pour rendre pos- sible un pareil kchange est l’obligation, pour les partenaires, de conserver aux propositions qu’ils enoncent les validites (ou non- validiles) qu’ils leur reconnaissent, ce qui kquivaut pratiquement a l’admission des principes d’identite et de contradiction. La vali- ditk de ces principes rksulterait de la mise en ceuvre d’une sorte de convention.

Mais cet essai d’explication gknktique des principes logiques fondamentaux suscite la question suivante : la communication faite par le sujet 2 au sujet z’ de la proposition p et la conserva- tion, par les deux partenaires, de la validite (ou non-validite) des

Rappelons B ce sujet que nous avons conqu la (1 forme D de l’identite non comme une entite en soi, mais comme l’acte d’une pensbe qui fixe la signification de ses demarches (p. 104).

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propositions 6noncees par l’un et par l’autre tout au long de leur dialogue ont-elles pour effet de pourvoir la proposition p d’une identitk qui ne lui appartiendrait pas intrinsequement ? Ce serait le cas, si l’on prktendait faire deriver l’identitk de la coopkration. Mais qui ne voit l’arbitraire de cette supposition? C’est au contraire la coopkration qui devient possible g r h e au fait qu’une proposition knoncke (avec ou sans apprkciation de validite) est cette proposi- tion ayant telle teneur e t non une autre. Cela n’8te rien a la neces- sit6 de l’kchange, d’un kchange qui se voudra rkglk, pour que s’ac- tualisent dans la vie sociale des hommes les pouvoirs de la raison qu’ils portent en eux, sans que nous puissions expliquer ce fait par aucun processus ge‘ne‘tique.

M. Piaget nous dira sans doute que l’identite ainsi comprise (( qui serait la condition de toute pensee D, ne l’interesse pas. Nous le croyons volontiers, mais pourquoi la constatation de ce fait d’une importance tout de m&me primordiale nous jetterait-elle dans un n o man’s land oh n’importe quelles affirmations pourraient &re enonckes sans qu’il y ait de critere pour en apprecier la valeur? Le contr6le par les faits observables est-il donc la seule instance valable? Nous nous sommes appliqu6 a montrer que ce positivisme mkthodologique ne se justifie pas, lorsqu’on considere le probleme epistdmologique sous certains de ses aspects qu’on ne saurait nkgliger.

Qu’en est-il d’autre part de l’unicifd du vrai dont nous avons traite comme d’un autre constituant formel de l’idke de vkritk?

Remarquons tout d’abord que le principe de l’unicitk du vrai, comme d’ailleurs celui de concordance que nous lui avons associe, ne ressortit pas A la logique formelle et que nous ne pretendons pas l’y faire rentrer. L’analysc des constituants formels de l’idee de vkrite ne tend pas a (( perfectionner o, en la complktant, la logique formelle dont l’objet est d’etablir les conditions et les regles d’un (( discours cohkrent D. Elle relkve de la thkorie de la connaissance.

Ecartons encore un autre malentendu de nature plus grave, semble-t-il. Dans ses observations critiques, M. Gagnebin se dksole a l’idke que (( affirmant categoriquement o l’unicitk du vrai, je pour- rais contribuer a fanatiser nos contemporains oublieux des grandes

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leqons de nos ancetres intellectuels, les penseurs du XVIIIe sikcle qui, parait-il, nous avaient appris A ne pas (( universaliser D. Ni Rousseau, ni Voltaire, ni Diderot, ni Leibniz, ni Kant n’universa- lisaient ? Tous etaient persuades que leurs adversaires avaient peut- &re autant raison qu’eux-memes? Quel tableau idyllique ! Tous, ils eussent merite le prix Nobel de la paix philosophique?

Mais treve de plaisanteries ! Nous n’avons jamais dit que (( ce qui n’est pas logique n’est pas de la pensee )), mais bien que ce qui est contradictoire n’est pas de la connaissance, en quoi nous n’avons rien dit de dangereux ni, certes, de remarquable ! Si M. Gagnebin juge qu’il ne faut pas (( universaliser o, pourquoi prend-il la peine de proposer ses idkes comme plus vraies que celles qui les contre- disent ? Pourquoi rejette-t-il ces idkes-la avec une Cnergie qui pour- rait faire croire qu’il voue un culte secret a la pernicieuse idole de l’unicitk du vrai? C’est qu’il n’est pas possible a un homme qui pense de ne pas se laisser guider par l’idbe que le vrai ne peut s’op- poser au vrai e t qu’il exclut ce qui le contredit, la question de savoir si sur certaines matihres nous pouvons formuler des jugements vrais et non pas seulement probables ou hypothetiques demeurant rkservke. M. Gagnebin en a aux affirmations absolues qui n’ont pas cite eprouvkes au feu de la critique. I1 a raison. Oh nous h i don- nons tort, c’est quand il professe ou parait professer un idoneisme integral, n’admettant pas de principes formels qui ne soient rkfor- mables.

L’unicitk du vrai nous a paru &re un (( inalihable H irrkformable (pour parler le langage de M. Gonseth). Et c’est pourquoi nous avans cru pouvoir affirmer cafe‘goriguemenf que ce principe oriente ne‘cessairement toute recherche de la pensee connaissante. En de nombreux passages nous avons dkfini I’unicite du vrai comme un ide‘al (p. 110, 119 et 134), comme un pos fu la f (p. 106 et 135), comme une ezigence de la pens& en qu&e de veritk (p. 137). Or nous cons- tatons avec plaisir que M. Gagnebin n’hksite pas de son c6te A affirmer categoriquement (( que l’unicite du vrai est un ideal H (p. 160). Nous n’avons pas dit ou voulu dire autre chose l. M. Gagne-

Nous avons eu soin d’ailleurs de distinguer entre diverses modalit& du vrai (p. 110) ; nous avons par16 du (( conditionncllement vrai )) et du valable B par convention.

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bin ajoute : un idkal (( qui comporte une action entre personnes et dans le temps v - pleinement d’accord. Et encore: Cet id6al implique la considkration non de l’intemporel seulement, mais de l’actuel toujours singulier n. Sans doute, et nous ne pensons pas y avoir contredit, puisque nous nous sommes appliquk a montrer que l’activitk des chercheurs dans le hic et nunc de la vie humaine trouve dans les constituants formels de l’idee de vkritk l’appui dont elle a besoin pour que se definisse et se maintienne sa constante orien- tation (p. 136, 137). Est-ce la (( postuler la possibilitk d’une science parfaite, idkale, actuellement inconcevable a ? Non, e t nous avons eu soin de declarer qu’une (( science achevke )) nous paraissait (( exclue dans un monde oc le temps est une rkalite o. Enfin, nous n’avons pas nie que l’instrument intellectuel dont la science dispose doive se transformer et se perfectionner parce que le donn6 n’est pas le rationnel, tel que nous pouvons le construire, et qu’il oblige l’esprit a renouveler sans cesse ses efforts d’invention et d’adapta- tion (p. 129). La notion de loi - pour prendre un exemple trait6 magistralement par M. Gonseth - s’assouplit progressivement jus- qu’a integrer dans un certain sens le jeu du hasard avec la (( variable aleatoire )) (la probabilite). Mais cet assouplissement ne se fait pas au hasard ; il rkpond aux exigences des composantes formelles de la notion de verite. C’est le point qu’il nous importait de relever.

I1 reste que nous nous serions contredit et qu’en croyant avoir ktabli par la methode rkgressive le caractkre non seulement inali4 nable, mais irrkformable des constituants formels de l’idee de veritk, nous aurions suppose possible une science parfaite, alors que, cedant a des evidences d’un autre ordre, nous aurions affirm6 le contraire dans des passages comme ceux qu’on vient de rap- peler. Mais ce raisonnement repose sur une prkmisse que nous contestons absolument. Affirmer que, pour qu’il y ait connais- sance et plus specialement connaissance de l’ordre scientifique, il est nCcessaire que les exigences qui se traduisent dans les consti- tuants formels de l’idke de vkritd soient respectees, concevoir ces exigences comme decoulant invariablemenl de l’idke de vkritc, ce n’est pas la m&me chose que de dkclarer possible dans le hic et nunc de l’histoire une science parfaite. Que cet idkal d’une science par- faite soit le guide constant de l’esprit, M. Gagnebin l’admet, puis-

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qu’il dkclare, lui aussi, que l’unicit6 du vrai est un idkal et qu’il y a (( un progrks vers cet idkal )) (p. 160). Mais il ajoute que ce progrks n’est concevable, que les (( dilemmes R en presence desquels nous place le desaccord toujours renaissant entre le reel et les logifica- tions effectukes par la science ne pourront &re surmontks que si nous cessons de concevoir l’esprit comme composk de (( principes intemporels, impersonnels, intkgralement invariants )). Seule une science souple peut triompher des obstacles.

Mais qui ne voit que l’idee m&me d’une science souple ne peut garder son sens que si les constituants formels de l’idee de vbritk sont des invariants absolus. Car la souplesse de la penske ne con- cerne pas sa viske fondamentale toujours la m&me que traduit et que guide l’idke de vkritk, elle ne concerne que les instruments conceptuels et les techniques opkratoires qu’elle se crke au contact du donnk pour le mieux percevoir et pknktrer Ce (( mouvement de l’intelligence vers le rkel D suppose, comme dit fort bien M. Gagne- bin, (( la considkration non de l’intemporel seulement, mais de l’ac- tuel B. Nous ne l’avons pas nik, bien que notre effort ait consist6 plus spkcialement a dkterminer la nature de cet intemporel que nous voyons impliquk dans le projet constant de la penske qui s’ap- plique a connaitre. Avons-nous eu le tort de skparer artificiellement l’intemporel de l’actuel ? Mais distinguer et definir les fonctions de l’intemporel, ce n’est pas l’isoler artificiellement, si cette distinc- tion est prkciskment ce qui permet de comprendre que l’efTort de la penske pour s’assimiler le donnk la conduit a varier ses moyens constamment assouplis pour satisfaire des exigences gui demeurent immuablement les mimes.

Car l’activitk de la penske n’est pas une spontaneitk quelconque, c’est une activite dirige‘e. Pour que l’esprit obeisse a une direction constante, a des normes fixes, point n’est besoin qu’il en ait une conscience Claire. (( Si la connaissance des normes, kcrit M. Gagne- bin, evolue, quelles seront les vraies normes? r) Nous croyons avoir rkpondu par avance a cette objection (pp. 119, 123 et 127). I1 peut

Le (( donn6 u que nous pouvons atteindre par la rCflexion et soumetlre B une prospection scientifique est toujours m&lC & du <( construit )). Nous n’avons pas cru qu’il f t i t n6cessaire dc le rappeler. Et ce fait ne change rien aux considCrations que nous avons pr6sentCes.

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y avoir graduelle prise de conscience d’une norme ou d’un idkal e t de ses exigences. C’est d’ailleurs le point ou une certaine opposition semble se dessiner entre l’kpistkmologie gknktique de M. Piaget et l’idonkisme.

Pour M. Piaget la (( loi )) ou (( vection B selon laquelle kvolue la penske qui construit la science est une marche vers des ktats d’kqui- libre de plus en plus riches en possibilites opdratoires. Cette marche de la pensee semble obdir a un principe directeur constant de nature fonctionnelle (M. Piaget parle d’une (( loi d’kquilibre )) et aussi d’un (( ideal d’kquilibre o) dont la pense‘e n’a pas ne‘cessairement conscience. La prise de conscience (par la rkflexion kpistdmologique) de cette a loi fonctionnelle P (qui a la valeur d’une norme informulee agissant aux divers stades de l’kvolution intellectuelle), ne change rien a sa nature. Nous pensons qu’il est lkgitime d’en conclure qu’il doit en &re de mBme des constituants formels de l’idee de verit6, cette idke n’ktant, apres tou t , qu’une traduction, en termes de conscience Claire, du jeu constant de la penske en qu&te de connaissance.

Ni l’identitk, ni l’unicitk du vrai, ni le principe de coherence qui n’en est qu’un autre aspect, ni l’idkal de la concordance avec l’objet visk par la penske ne changent de nature du fait que nous en prenons plus ou moins clairement conscience et cherchons a les traduire dans le langage des concepts. Nous ne concevons pas le principe d’identitk ou celui de contradiction, ni le jugement ana- lytique qu’ils commandent autrement que ParmCnide. Ce que nous voyons autrement, c’est le rapport entre le logique et le rkel, car pour nous le reel ne se laisse pas ramener a l’identitk, ni meme a un systeme de concepts, quelque perfectionnk qu’il soit. Meme remarque pour la contradiction logique dont l’exclusion, au sein d’un sys- teme de jugements, dkfinit la condition sine qua non de la cohkrence. On a pu dire que les recherches des logiciens modernes ont, d’une faqon genkrale, confirm6 et m6nie renforck la these d’Aristote, selon laquelle la nkgation du principe de contradiction conduirait au scepticisme l. La contradiction peut &re dkfinie formellement par

I. M. BOCHENSKI, Der sowjetrussische dialektische Materialismus. Berne 1950, p. 177.

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la relation d’incompatibilite qui implique la nkgation. Mais en tant qu’incompatibilitk d’une proposition avec sa negation, elle n’en reste pas moins - comme I’identitk logique - l’objet de ce que M. Piaget nomme quelque part (( une prise de conscience adequate D. Elle est l’idke simple de l’impossibilite vecue d’un acte par lequel la penske se dktruirait elle-mbme, en detruisant son ceuvre

Quant au principe de concordance, peu importent ici encore les formulations diverses plus ou moins aptes a traduire l’intention de la pensee connaissante et les modalites sous lesquelles I’accord pro- jete pourra se rkaliser. La formule que nous avions employee en parlant d’un rapport de signiiiant a signifik etait trop large h i - demment, puisqu’elle deborde le domaine de la connaissance et pourrait designer le symbolisme graphique ou artistique. Voici, sous la plume de Francis Mauge, une formulation plus precise: (( Un ordre impose (constat6 par nous et independant de notre volonte), un ordre construit et propose rejoignant le premier, et un choix plus ou moins large des principes d’identification suscep- tibles d’animer toute la construction selon le but ou I’idkal fix6 )), telle est la triple racine de la veritit mathkmatico-physique (ensemble complexe de relations entre des processus opkratoires) (( et sans doute, poursuit M. Mauge, avec les varietes que comporte la diver- site des objets, de toute verite H. L’analyse des composantes for- melles de I’idee de verite ne fait autre chose que determiner les principes directeurs selon lesquels opere ce que M. Mauge appelle B le dynamisme interne de l’intelligence )). La simple spontaneitb ne produit que du contingent. I1 n’en est pas ainsi de la pensee qui cherche a discerner le vrai d’avec le faux. Ce faisant, elle s’oriente vers la realisation d’un ideal de connaissance qui ne lui est pas

Nous distinguons - est-il besoin de le dire? - l’incompatibilitk comme prise de conscience d’un acte simple de l’esprit et la fonction d’incompa- tibilitC exprimke symboliquement par le formalisme logique. Notre analyse concerne ce que RenC Poirier appelle les 0 normes logiques primaires D (Le nombre, Paris 1938, p. 18) qui se dCcrivent et ne se posent pas )) comme de simples conventions (p. 58). Elks constituent la mdtalogique non formali- sable (( rCelle, concrkte, fondamentale )) qui se fonde sur (( une expCrience partiellement spontanke, partiellement rCflexive que l’esprit a de hi-msme et des conditions de son exercice )).

2 L’esprit el le re‘el dans les l imites du nombre e f de la grandeur, p. 315. Paris 1937.

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impose du dehors (6vea6iv, dirait Aristote), mais qui est I’acte m&me par lequel elle se constitue selon sa plus haute perfection.

Notons enfin que si la pensee connaissante ne peut se definir que par la permanence de son projet que signifient et que precisent les constituants formels de l’idee de verite, il en resulte certaines consequences de l’ordre ontologique que nous avons tent6 d’es- quisser. M. Piaget defend son epistkmologie g h 6 tique contre toute collusion metaphysique qu’on voudrait lui imputer. Comme le mort cite au tribunal d’osiris, l’epistkmologie genetique declare devant le tribunal de la science : (( J e suis pure, je suis pure ! J e ne veux connaitre que des faits et le mkcanisme operatoire des implications logico-mathematiques. H Mais la purete d’intention n’entraine pas necessairement la purete de fait. Nous y reviendrons tout a l’heure.

Que M. Piaget nous permette de h i faire remarquer que la methode dont nous nous sommes inspire ne consiste pas a (( justifier ce dont personne ne doute w par des speculations qui seraient des lors totalement superfetatoires. Elle prend son point de depart (( dans l’exercice de la pensee jugee capable de discerner le vrai du faux )) (p. 132). Elle constate qu’il y a une (( foi rationnelle H qui a fait ses preuves, puisque la science existe et reussit dans une cer- taine mesure, et elle se demande non pas comment on pourrait la justifier (pp. 125 et 126), mais quelles presuppositions d’ordre meta- scientifique nous faisons tacifernent et ntcessairernent, lorsque la tenant pour jusfifie‘e, c’est-a-dire pour eficace, nous decidons de nous servir - de continuer de nous servir - de l’instrument de la pensee rationnelle pour prospecter notre univers. La mkthode gene- tique en epistemologie s’attaque A un autre problkme ; elle n’exclut pas celui qu’on peut essayer de rksoudre par l’emploi de la methode regressive.

Mais ne vaudrait-il pas mieux, objecte M. Piaget, s’en tenir A des methodes (( qui ne divisent pas immkdiatement les esprits o, quitte a (( renoncer a vouloir resoudre tous les problemes o ? Pru- dence trks comprehensible, mais peut-&tre excessive. Le crititre de la division des esprits pour juger de la valeur d’une methode est decidement insufisant. Une methode qui tout d’abord divise peut, en se perfectionnant, rallier plus d’adherents qu’elle ne suscite d’op- posants. Et l’on peut d’ailleurs se demander si ces divisions n’ont

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pas leur utilite, si, sous certains rapports, elles ne sont pas sugges- tives et fkcondes. Songez a l’opposition sans cesse renaissante sur le terrain de la philosophie des mathkmatiques entre rationalistes et intuitionnistes. I1 semble que l’expkrience nous enseigne a n’&tre pas trop intransigeants a cet egard. Un positivisme par trop ferme paraitrait aujourd’hui un peu dimode.

Cela dit, nous n’kchappons pas a l’impression que l’kpistkmo- logie genetique de M. Piaget, que nous tenons pour une euvre de grande valeur, n’est pas aussi exempte qu’il le pense de tout recours a du mktaphysique. M. Piaget veut en rester a de simples consta- tations de fait : l’idke d’une (( vection de la raison D n’a strictement dans sa pensee que la valeur d’un fait ; il constate que (( les nou- velles structures tendent a s’integrer les prkcedentes a titre de cas particuliers et en retenant d’elles le maximum possible d’inva- riants B. I1 y a une a direction )), puisque la reversibilite des opkra- tions s’accroit a chaque fois avec l’ampleur du champ de connais- sance qu’il embrasse. Cette direction s’exerce A l’intkrieur du sujet e t de la collectivitk en laquelle il s’integre. Vue du dehors, elle appa- rait a l’observateur psychologue comme une (( loi u. Vue du dedans, du point de vue du sujet, elle est activife‘ orientke vers certaines valeurs, (( recherche de cohkrence et d’organisation )) tendant a la constitution d’une logique dont la reversibilitk des operations garantit la valeur intemporelle d’universalitk l.

L’ingenieuse combinaison de ces deux points de vue qui tente d’operer la liaison de la causalitk et de l’implication logique, voila ce qui caractkrise la mkthode de M. Piaget. En elle se ferme le (( cercle des sciences o, de sorte qu’il n’est besoin, semble-t-il, d’au- cun inconditionne )) de l’ordre transcendantal pour (( fonder R la connaissance.

C’est ici que nous persistons a &tre d’un autre avis. Hypothese pour hypothese, dira M. Piaget, celle d’une aloi

fonctionnelle d’kquilibre )) qui peut &re interprktke comme une (( vection immanente de la raison )), m&me si elle depasse par gknk- ralisation les donnkes observabIes, tire des faits une grande pro- babilite. Sa negation est (( ditficilement concevable H. I1 est donc

1 J. PIAGET, Le jugement moral chez l’enfanf, Paris 1932, p. 464.

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inutile d’en appeler a (( l’universalitk du vrai )), autre hypothkse (( qui ne vaut que jusqu’a plus ample inform6 o.

Nous demanderons a M. Piaget pourquoi la nkgation de l’hypo- thkse d’une orientation constante de la raison vers un equilibre est dificilement concevable. Sans doute veut-il dire que c’est au regard des faits. Mais les faits, en tant que constates, ne concernent que le pass6 immediat ou plus eloignk, ils ne peuvent engager l’avenir. Appuyer sur des faits un calcul de probabilite (fat-ce de probabilitk (( ordinale )), selon l’expression de Cournot), ce serait (( tirer une traite sur l’avenir )) et M. Piaget declare s’y refuser absolument. Mais alors, comment peut-il presenter sa thkorie comme une hypo- thkse soumise (comme toute hypothkse) a 1’6preuve du plus ample informe? I1 ne saurait y avoir de plus ample inform6 ni de vkrifi- cation d’une hypothkse dans un univers sans liaisons d’aucune sorte, sans intelligibilitk. Le plus ample informe n’est qu’un mot vide de sens, si on ne lui donne pour appui une (( hypothkse B meta- physique qui va au dela de tout ce que nous pouvons observer. Car l’existence d’un passe et d’une expkrience acquise ne signifie et ne prepare un avenir que si nous supposons tacitement qu’il existe un ordre universe1 qui englobe ce pass6 et cet avenir ouvert devant nous, un ordre dont nous percevons et entrevoyons certains linea- ments, certaines structures permanentes lie‘es aux lois de l’esprif .

Ce qu’il importe de souligner, c’est que l’affirmation d’un ordre universe1 n’est pas une hypothese comme une autre qui pourrait &re dkmentie par les faits, car un pareil dkmenti ne se conGoit que dans un univers ordonne de telle faqon que la penske puisse continuer de s’exercer. L’erreur d’un certain positivisme hantk par la phobie du mktaphysique, c’est de croire que l’exercice de la pen- see, la foi en la validitk de ses opkrations, ne comporte pas de prk- suppositions mkta-scientifiques. On a, certes, le droit de s’abstenir de tenter de les degager, mais il nous parait incontestable que, m&me en affectant de les ignorer, on s’y appuie encore.

Nous soutenons la these que l’universalite du vrai (qui n’est que le corollaire de l’unicitk, car elle ne re‘sulfe pas des echanges d’idkes, elle ne fait que se reveler par leur moyen a la conscience du sujet) n’est pas une hypothkse a mettre en balance avec celle qui pr&te a la raison une tendance a creer un kquilibre operatoire.

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Nous pensons que la description de cette marche progressive de la pensee, quel que soit son inter&, ne sufit pas pour rksoudre le problkme du fondement de la connaissance. Comme l’a fort bien vu M. Piaget, le psychologue qui prockde a cette analyse est oblige de se servir pour cela de la logique dont il essaie de comprendre la genkse, d’une logique opkratoire dont les axiomes prktendent a une validite universelle et absolue. I1 ne fait pas que constater le jeu de I’intelligence et en suivre le dkveloppement B travers l’histoire, il en assume pour lui-m&me et pour sa science les principes direc- teurs. Dks lors qu’il le fait, son attitude de chercheur de vCritC pose un problkme que la gknktique kpistemologique et son ingknieux cercle des sciences ne semblent pas pouvoir rksoudre. Car l’isomor- phisme relatif qui permet de rapprocher des integrations synop- tiques du systkme nerveux et des conduites sensori-motrices les procedes operatoires de la logique qu’elles prkparent ne rend pas compte du fait que l’implication logique puisse pretendre a une validite universelle et absolue. Le saut dans l’universel, c’est-a-dire dans le possible illimitk dkpasse en effet et l’individuel et le collectif toujours limitks a un hic et n m c determines. Qu’il soit prepare par une skrie de conduites scientifiquement analysables n’8te rien a son caractkre surprenant ni surtout au fait que du moment qu’on assume les principes d’une logique universelle, l’attitude que l’on adopte equivaut a la reconnaissance d’un inconditionne‘. Car en ce qui concerne cette logique, on se rend compte que la reserve d’un plus ample inform6 est exclue, parce qu’en la formulant, on prk- supposerait la validitk des principes qu’on se donnerait l’air de mettre en question.

En dkpit des objections qui nous ont ete adresskes et dont nous avons essay6 de faire notre profit, on voit pourquoi nous persistons a penser que l’ktude du problkme epistkmologique, envisage sous un certain angle, conduit a trouver dans le formel de l’idke de verit6 le nceud vital de la pensee, en m6me temps que son point de jonc- tion avec I’Ctre, puisque Ies constituants formels de I’idee de veritk conditionnent toute connaissance et tout progrks dans la connais- sance du reel. Le psychologue pourra se dksintkresser de cet aspect du probleme epistkmologique, le philosophe ne le pourra pas.