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Annales de pathologie (2009) 29S, S74—S76 SYMPOSIUM / Prédiction de la réponse aux thérapies ciblées Réponses aux thérapies ciblées : le cancer colorectal Frédéric Bibeau , Hélène Frugier , Florence Boissière-Michot Service de pathologie, centre de lutte contre le cancer Val-d’Aurelle, 208, rue des Apothicaires, 34298 Montpellier cedex 5, France Accepté pour publication le 28 juillet 2009 Disponible sur Internet le 29 septembre 2009 Les thérapeutiques ciblées ont fait leur introduction dans l’arsenal thérapeutique du can- cer colorectal métastatique. Elles correspondent, pour l’instant, à des anticorps monoclo- naux ciblant le facteur de croissance endothélial vasculaire ou vascular endothelial growth factor (VEGF) et le récepteur du facteur de croissance épidermique ou epidermal growth factor receptor (EGFR). Ces deux facteurs, respectivement impliqués dans l’angiogenèse et la croissance tumorale du cancer colorectal, ont, de ce fait, constitué des cibles de choix. Le bevacizumab (Avastin ® ) dirigé contre le VEGF et le cetuximab (Erbitux ® ) et le panitumu- mab (Vectibix ® ), dirigés contre l’EGFR, sont utilisés en pratique clinique [1]. Ils ont permis d’atteindre, en association à la chimiothérapie, des survies prolongées et d’obtenir, dans certains cas, l’exérèse de métastases hépatiques jugées initialement non opérables [1]. Cependant, ces traitements ciblés sont associés à des réponses très variables suivant les individus, un coût élevé et des toxicités potentielles rendant nécessaires la détermination de facteurs prédictifs. Les seuls facteurs disponibles actuellement concernent les anticorps anti-EGFR, pour lesquels le pathologiste est particulièrement impliqué et sollicité. Expression de l’EGFR et analyse du nombre de copies du gène EGFR Initialement, et à l’instar d’HER2 dans le cancer du sein, la cible « EGFR » détectée par immunohistochimie a été envisagée comme possible facteur prédictif. Cependant, cette détection s’est avérée n’avoir aucune valeur prédictive dans la réponse thérapeutique aux anticorps monoclonaux anti-EGFR. L’augmentation du nombre de copies du gène EGFR déterminée par hybridation in situ, qu’il s’agisse de véritables amplifications ou de poly- somies, a été associée, dans certaines études, à une sensibilité au traitement par les anti- corps monoclonaux anti-EGFR [2]. Mais des résultats contradictoires sur l’implication de ce phénomène dans la réponse et l’absence de consensus concernant la détermination de seuils ne permettent pas de réaliser en routine des tests d’hybridation in situ fluorescente (FISH) ou d’hybridation in situ chromogénique (CISH) pour orienter la prescription [2]. Symposium présenté le mardi 17 novembre 2009, de 14 h 30 à 16 h 30 dans le Grand Amphithéâtre. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Bibeau). 0242-6498/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2009.07.034

Réponses aux thérapies ciblées : le cancer colorectal

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YMPOSIUM / Prédiction de la réponse aux thérapies ciblées

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Frédéric Bibeau ∗, Hélène Frugier,Florence Boissière-Michot

Service de pathologie, centre de lutte contre le cancer Val-d’Aurelle,208, rue des Apothicaires, 34298 Montpellier cedex 5, France

Accepté pour publication le 28 juillet 2009Disponible sur Internet le 29 septembre 2009

Les thérapeutiques ciblées ont fait leur introduction dans l’arsenal thérapeutique du can-cer colorectal métastatique. Elles correspondent, pour l’instant, à des anticorps monoclo-naux ciblant le facteur de croissance endothélial vasculaire ou vascular endothelial growthfactor (VEGF) et le récepteur du facteur de croissance épidermique ou epidermal growth

factor receptor (EGFR). Ces deux facteurs, respectivement impliqués dans l’angiogenèse etla croissance tumorale du cancer colorectal, ont, de ce fait, constitué des cibles de choix.Le bevacizumab (Avastin®) dirigé contre le VEGF et le cetuximab (Erbitux®) et le panitumu-mab (Vectibix®), dirigés contre l’EGFR, sont utilisés en pratique clinique [1]. Ils ont permisd’atteindre, en association à la chimiothérapie, des survies prolongées et d’obtenir, danscertains cas, l’exérèse de métastases hépatiques jugées initialement non opérables [1].Cependant, ces traitements ciblés sont associés à des réponses très variables suivant lesindividus, un coût élevé et des toxicités potentielles rendant nécessaires la déterminationde facteurs prédictifs. Les seuls facteurs disponibles actuellement concernent les anticorpsanti-EGFR, pour lesquels le pathologiste est particulièrement impliqué et sollicité.

Expression de l’EGFR et analyse du nombre de copies du gèneEGFR

Initialement, et à l’instar d’HER2 dans le cancer du sein, la cible « EGFR » détectée parimmunohistochimie a été envisagée comme possible facteur prédictif. Cependant, cettedétection s’est avérée n’avoir aucune valeur prédictive dans la réponse thérapeutiqueaux anticorps monoclonaux anti-EGFR. L’augmentation du nombre de copies du gène EGFRdéterminée par hybridation in situ, qu’il s’agisse de véritables amplifications ou de poly-somies, a été associée, dans certaines études, à une sensibilité au traitement par les anti-corps monoclonaux anti-EGFR [2]. Mais des résultats contradictoires sur l’implication dece phénomène dans la réponse et l’absence de consensus concernant la détermination deseuils ne permettent pas de réaliser en routine des tests d’hybridation in situ fluorescente(FISH) ou d’hybridation in situ chromogénique (CISH) pour orienter la prescription [2].

� Symposium présenté le mardi 17 novembre 2009, de 14 h 30 à 16 h 30 dans le Grand Amphithéâtre.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (F. Bibeau).

242-6498/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2009.07.034

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Réponses aux thérapies ciblées : le cancer colorectal

Les mutations du gène KRAS : unbiomarqueur de résistance aux anticorpsanti-EGFR

Les tests morphologiques concernant l’EGFR ont été parla suite supplantés par des tests moléculaires identifiantdes mutations somatiques de gènes codant pour des pro-téines impliquées dans la transduction du signal de la voiede l’EGFR. La voie RAS/RAF/MAP-kinases, conduisant à laprolifération cellulaire en constitue l’exemple le plus repré-sentatif. Le gène KRAS code pour une protéine ancrée à laface interne de la membrane cytoplasmique, qui est impli-quée dans la transduction du signal du milieu extracellulairevers le milieu intracellulaire par l’intermédiaire de récep-teurs de surface tel que l’EGFR. La protéine RAS oscilleentre un état actif où elle est liée au GTP et un état inactifoù elle est liée au GDP [3]. En cas de mutation, la pro-téine RAS subit un changement de conformation et reste liéeau GTP, entraînant une activation constitutive à l’origined’un signal prolifératif exacerbé. Ces mutations « en aval »rendent la tumeur insensible à un blocage du récepteur« en amont » par un anticorps, dont l’action est d’inhiber lafixation du ligand [3]. Les mutations du gène KRAS concer-nent majoritairement les codons 12 et 13 et sont observéesdans 40 % des cancers colorectaux [3]. Il semble, cependant,que des mutations activatrices affectant d’autres codonspuissent être impliquées [3,4]. La quasi-totalité des publi-cations ont montré que les patients ayant une tumeur KRASmutée ne s’accompagnaient jamais de réponses objectives[3]. Par conséquent, le « test KRAS » est devenu un bio-marqueur incontournable de résistance, contre-indiquantl’emploi d’anti-EGFR en cas de mutations. Dans ce cadre, lesservices de pathologie ont la charge d’effectuer un contrôlemorphologique de la tumeur à analyser et de s’assurer queles conditions de fixation répondent aux impératifs de labiologie moléculaire. Leur investissement peut s’étendreégalement jusqu’à la phase d’extraction de l’ADN et àl’analyse moléculaire. Au niveau national, « le test KRAS »fait actuellement l’objet d’un soutien aux techniques inno-vantes et coûteuses (Stic), dont le but est de déterminer

les méthodes de détection les plus sensibles et les moinscoûteuses.

À la recherche de facteurs prédictifssupplémentaires aux mutations de KRAS

La recherche de mutations de KRAS est indispensable, maisinsuffisante car 50 % des patients sans mutation de KRASvont demeurer non répondeurs [5]. La détermination defacteurs prédictifs supplémentaires devient ainsi un enjeumajeur pour encore mieux sélectionner les patients sus-ceptibles de bénéficier des anti-EGFR. Dans ce cadre, lesmutations activatrices du gène BRAF, mutuellement exclu-sives de celles de KRAS, pourraient constituer un autrebiomarqueur de résistance [6]. La voie PI3KC/AKT pourraitégalement fournir de nouveaux facteurs prédictifs. Situéeen aval de l’EGFR, cette voie est impliquée dans la sur-vie cellulaire, normalement contrebalancée par la fonctionpro-apoptotique de PTEN. Le rôle des mutations activa-trices de PI3KC est controversé mais la perte d’expressionde PTEN, objectivée par immunohistochimie, est associéeà de moins bonnes réponses et survies après traitement paranti-EGFR [7]. L’augmentation d’expression de l’épirégulineet l’amphiréguline, deux ligands de l’EGFR, traduirait une

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addiction oncogénique des cancers colorectaux à la voiede l’EGFR, les rendant particulièrement sensibles aux anti-EGFR [8]. Cependant, l’étude de ces ligands n’est pas d’unabord aisé, nécessitant le plus souvent du matériel congelé.Les mutations de TP53, qui s’inscriraient également dans lecadre d’une addiction oncogénique de la tumeur à la voiede l’EGFR, ont permis d’individualiser des tumeurs égale-ment particulièrement sensibles aux anti-EGFR [9]. D’autresfacteurs prédictifs potentiels pourraient être individualisésà partir de données issues du transcriptome, en étudiantles phosphoprotéines situées en aval des voies d’activationde l’EGFR, ou en intégrant des facteurs interagissant avecla voie de l’EGFR tels que l’insulin growth factor (IGF)et l’insulin growth factor receptor (IGFR), aux fonctionsanti-apoptotiques. Enfin, certains paramètres de réponseau traitement pourraient s’appuyer sur des facteurs liés àl’hôte correspondant à certains polymorphismes génétiques.Les polymorphismes des récepteurs Fc�R modulant le phé-nomène d’antibody dependent cell cytoxicity (ADCC) ontrécemment été mis en évidence dans l’efficacité du cetuxi-mab [10].

Facteurs prédictifs et cancer colorectal :quelle place pour les services depathologie en 2009 ?

En 2009, la contribution des services de pathologie est deve-nue essentielle dans la détermination de facteurs prédictifsde réponse aux thérapeutiques ciblées anti-EGFR dans lecancer colorectal. Ces services gèrent, en effet, les res-sources biologiques nécessaires à la réalisation optimale desinvestigations moléculaires et s’inscrivent de facon incon-tournable dans une démarche qualité, associant tracabilitéet maîtrise technique de la phase pré-analytique [3]. Dansce cadre, l’évaluation de la cellularité du prélèvementtumoral s’avère déterminante, car des prélèvements pauci-cellulaires, tels que ceux parfois observés dans des cancersdu rectum ou des métastases hépatiques après radiothéra-pie ou chimiothérapie, peuvent conduire à des faux négatifs

en termes de mutations somatiques [3]. Suivant les struc-tures, le service de pathologie est même responsable de laphase d’extraction des acides nucléiques et de la détectiondes mutations somatiques telles que celles des gènes KRASet BRAF. Il peut être sollicité pour évaluer l’homogénéitéd’un biomarqueur donné entre tumeur primitive et méta-stase. Cette corrélation est importante à déterminer car latumeur primitive est plus souvent histologiquement docu-mentée que la métastase pour des patients traités à unstade métastatique. L’incrémentation de nouveaux facteursprédictifs pour mieux sélectionner les patients bénéfi-ciaires de traitements ciblés ne peut donc se concevoirsans l’appui des services de pathologie. Cet investissementdoit cependant être intégré à un réseau sanitaire et sefaire de facon multidisciplinaire, en impliquant biologistes,oncologues médicaux et chirurgiens. Par ailleurs, il fautsouligner que certains facteurs prédictifs émergents pour-raient être à nouveau évaluables par immunohistochimie[7].

Références

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