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Douleurs, 2006, 7, 5 279 DROIT ET DOULEUR Responsabilités civile, pénale, administrative, quelles différences ? Nathalie Lelièvre* « Être responsable, c’est pouvoir et devoir répondre de ses actes. C’est donc assumer le pouvoir qui est le sien jusque dans les échecs et accep- ter d’en supporter les conséquences » A. Comte Sponville, dictionnaire phi- losophique ; PUF ; 2001. Lorsqu’un patient a subi un dommage résultant d’un acte médical, il s’adresse à la justice pour demander réparation du ou des préjudices subis. La compétence du tribunal dépend alors du statut de l’inter- venant responsable du dommage : – si le professionnel de santé en cause exerce dans un établis- sement public de santé : le tribunal administratif est compé- tent pour statuer sur la demande de dommage et intérêt formulée par la victime sauf si le dommage résulte d’une faute détachable des fonctions du professionnel de santé ; – s’il exerce en clientèle privée ou dans un établissement privé : le tribunal de grande instance est dans ce cas compé- tent pour statuer sur la demande. La responsabilité médicale se définit comme l’obligation pour le soignant de réparer les conséquences dommagea- bles du patient résultant d’une faute lors de la réalisation du geste médical. Il convient alors de distinguer : la responsabilité civile qui se définit comme « L’obliga- tion de réparer un dommage causé, en nature ou par équivalent (versement de dommages et intérêts) » ; la responsabilité pénale se définit comme « L’obliga- tion de répondre de ses actes délictueux en subissant une peine correspondante fixée par la loi » ; Dictionnaire du vocabulaire juridique, Litec ; 2002 ; Objectif droit. QUEL TRIBUNAL EST COMPÉTENT FONDEMENT ET RESPONSABILITÉ ? Voir le tableau I. QUELLES JURIDICTIONS COMPÉTENTES POUR JUGER ? Voir les figures 1 et 2. DÉFINITIONS DES PRINCIPALES NOTIONS DE PROCÉDURE Action en justice Procédure engagée devant une juridiction pour obtenir le respect ou la reconnaissance d’un droit ou d’un intérêt légi- time. Désigne également : – le droit d’une personne de faire valoir une demande devant la justice, d’être entendue et de la faire examiner par le juge ; – et le droit pour l’adversaire d’en discuter le bien-fondé. Acquittement Décision d’une cour d’assises déclarant non coupable un accusé traduit devant elle pour crime. Amende Condamnation à payer une somme d’argent fixée par la loi au Trésor Public. Amende forfaitaire : l’auteur d’une contravention (4 pre- mières classes) condamné à payer une amende peut, pour éviter toute poursuite pénale : – soit la payer immédiatement à l’agent qui l’a verbalisé ; – soit la payer ultérieurement par un timbre-amende. L’amende peut être majorée, si les délais de paiement ne sont pas respectés. Casier judiciaire Relevé des condamnations pénales regroupées au Casier judiciaire national du ministère de la Justice à Nantes. Ces informations sont communiquées sous forme d’extraits appelés "bulletins : Le bulletin n° 1 contient l’ensemble des condamnations (remis seulement à l’auto- rité judiciaire) ; le bulletin n° 2 contient la plupart des condamnations (remis à certaines autorités administratives) ; le bulletin n° 3 contient les condamnations les plus gra- ves pour crime et délit (remis à l’intéressé lui-même à sa demande). * Juriste spécialisée en droit de la santé, AEU droit médical, DESS droit de la santé, Certificat d’aptitude à la Profession d’Avocat, Membre de la commission « Éthique et Douleur », Espace Éthique Méditerranéen.

Responsabilités civile, pénale, administrative, quelles différences ?

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Douleurs, 2006, 7, 5

279

D R O I T E T D O U L E U R

Responsabilités civile, pénale, administrative, quelles différences ?

Nathalie Lelièvre*

«

Être responsable, c’est pouvoir etdevoir répondre de ses actes. C’estdonc assumer le pouvoir qui est lesien jusque dans les échecs et accep-ter d’en supporter les conséquences

»A. Comte Sponville, dictionnaire phi-losophique ; PUF ; 2001.Lorsqu’un patient a subi un dommagerésultant d’un acte médical, il s’adresse

à la justice pour demander réparation du ou des préjudicessubis.La compétence du tribunal dépend alors du statut de l’inter-venant responsable du dommage :– si le professionnel de santé en cause exerce dans un établis-sement public de santé : le tribunal administratif est compé-tent pour statuer sur la demande de dommage et intérêtformulée par la victime

sauf

si le dommage résulte d’unefaute détachable des fonctions du professionnel de santé ;– s’il exerce en clientèle privée ou dans un établissementprivé : le tribunal de grande instance est dans ce cas compé-tent pour statuer sur la demande.La responsabilité médicale se définit comme l’obligationpour le soignant de réparer les conséquences dommagea-bles du patient résultant d’une faute lors de la réalisation dugeste médical.

Il convient alors de distinguer :

la responsabilité civile

qui se définit comme «

L’obliga-tion de réparer un dommage causé, en nature ou paréquivalent (versement de dommages et intérêts) » ;

la responsabilité pénale

se définit comme «

L’obliga-tion de répondre de ses actes délictueux en subissant unepeine correspondante fixée par la loi

» ; Dictionnaire duvocabulaire juridique, Litec ; 2002 ; Objectif droit.

QUEL TRIBUNAL EST COMPÉTENT FONDEMENT ET RESPONSABILITÉ ?

Voir le

tableau I

.

QUELLES JURIDICTIONS COMPÉTENTES POUR JUGER ?

Voir les

figures 1 et 2

.

DÉFINITIONS DES PRINCIPALES NOTIONS DE PROCÉDURE

Action en justice

Procédure engagée devant une juridiction pour obtenir lerespect ou la reconnaissance d’un droit ou d’un intérêt légi-time.Désigne également :– le droit d’une personne de faire valoir une demandedevant la justice, d’être entendue et de la faire examiner parle juge ;– et le droit pour l’adversaire d’en discuter le bien-fondé.

Acquittement

Décision d’une cour d’assises déclarant non coupable unaccusé traduit devant elle pour crime.

AmendeCondamnation

à payer une somme d’argent fixée par laloi au Trésor Public.

Amende forfaitaire

: l’auteur d’une contravention (4 pre-mières classes) condamné à payer une amende peut, pouréviter toute poursuite pénale :– soit la payer immédiatement à l’agent qui l’a verbalisé ;– soit la payer ultérieurement par un timbre-amende.L’amende peut être majorée, si les délais de paiement nesont pas respectés.

Casier judiciaire

Relevé des condamnations pénales regroupées au Casierjudiciaire national du ministère de la Justice à Nantes.Ces informations sont communiquées sous formed’extraits appelés "bulletins :

Le bulletin n

°

1

contientl’ensemble des condamnations (remis seulement à l’auto-rité judiciaire) ;

le bulletin n

°

2

contient la plupart descondamnations (remis à certaines autorités administratives) ;

le bulletin n

°

3

contient les condamnations les plus gra-ves pour crime et délit (remis à l’intéressé lui-même à sademande).

* Juriste spécialisée en droit de la santé, AEU droit médical, DESSdroit de la santé, Certificat d’aptitude à la Profession d’Avocat,Membre de la commission « Éthique et Douleur », Espace ÉthiqueMéditerranéen.

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Dommages et intérêts

Somme d’argent destinée à réparer le préjudice subi par unepersonne du fait des agissements d’une autre personne. Lesdommages et intérêts sont versés à la victime.

Plaider coupable

Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

La loi du 9 mars 2004 instaure en France le plaider-coupable(La « comparution sur reconnaissance préalable de culpabi-lité »). Cette nouvelle procédure permet au procureur deproposer une peine maximale d’un an d’emprisonnement àune personne ayant reconnu avoir commis un délit. La per-sonne évite un procès si elle accepte la peine. Mise enœuvre sous le contrôle du juge et en public, la « comparu-tion sur reconnaissance préalable de culpabilité » est desti-née à accélérer le traitement des affaires en instance devantles tribunaux.

À la différence du système judiciaire américain, le plaidercoupable n’a aucune incidence sur la qualification pénaledes faits. Elle a une incidence uniquement sur le quantumde la peine.

Relaxe

Décision d’un tribunal correctionnel déclarant un prévenunon coupable.

JURISPRUDENCE

* Exemples de décisions d’homicide involontaires : Responsabilité pénale

Faute : absence antibioprophylaxie ; dommage ; décès ; lien de causalité — l’absence de traitement est la cause du décès du patient

Tableau IResponsabilités civile, pénale, administrative : quelles sont les différences ?

Responsabilité civile Responsabilité pénale Responsabilité administrative

Un soignant Un soignant public ou privé L’hôpital dans lequel les faits se sont produits

Une faute :

– Article 1382 Code Civil responsabilité pour faute du soignant exerçant dans un ser-vice privé ou en libéral ou fonctionnaire si faute détachable de ses fonctions,– Article 1384 Code Civil responsabilité du fait d’autrui : responsabilité de l’employeur le médecin et ou la clinique du fait de ses salariés

Une infraction pénale selon définition du code pénal :

– Coups et blessures involontaires,– Homicide involontaire,– Homicide volontaire,– Violation du secret professionnel,– Faute d’imprudence de négligence…

Une faute

– Lors des soins,– Dysfonctionnement du service

Un préjudice : préjudice physique, pretium doloris, préjudice moral….

Préjudice sauf pour violation du secret professionnel Un préjudice : préjudice physi-que, pretium doloris, préjudice moral….

Tribunal d’Instance ou de Grande Instance Si ITT inférieure à 3 mois : Tribunal de Police (Contra-vention),Si ITT supérieure à 3 mois Tribunal Correctionnel (Délit),Crime : Assises Homicide volontaire par exemple

Tribunal Administratif

La victime sollicite des dommages et inté-rêts en réparation du préjudice subi

En priorité, on sanctionne une atteinte à l’ordre public : atteinte à l’intégrité physique de la personne.Possibilité de greffer son action civile sur l’action pénale (sauf si les faits se sont déroulés dans un établis-sement public de santé).

La victime sollicite des domma-ges et intérêts en réparation du préjudice subi

Versement de dommage et intérêt si responsabilité retenue

Prononcé d’une peine Versement de dommage et intérêt par l’assurance de l’hôpital si responsabilité retenue

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Les médecins anesthésistes ayant pris en charge lepatient ; que, compte tenu de la vraisemblance de la pos-sibilité

d’une contamination exogène, l’absence d’anti-bioprophylaxie peut également être retenue commepouvant justifier les mises en examen de :Sabine F… au titre de l’absence d’antibioprophy-laxie

selon le protocole en cours alors que l’interven-

tion nécessitait l’introduction définitive de corpsétrangers (clips) et a présenté des complications enallongeant la durée et multipliant les risques d’infec-tion ;Stéphane Y… pour l’absence d’antibioprohylaxie alorsque l’intervention a duré plus de 4 heures, a présenté descomplications avec hémorragies et nécessité l’introduc-

Figure 1. Les juridictions judiciaires : présentation (lexique de la justice).

ACCIDENT MÉDICALDANS UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC

SAISINE DES TRIBUNAUX

PAR LA VICTIME

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

ACTION CONTRE HÔPITAL

DEMANDE DE DOMMAGE

ET INTÉRÊT

JUGE PÉNAL

ACTION CONTRE AUTEUR

DU DOMMAGERESPONSABILITÉ PERSONNELLE

SANCTION PÉNALE

Les juridictions judiciaires

Tribunal de GrandeInstance

Tribunal d’Instance

Tribunal deCommerce

Conseil desPrud’hommes

Tribunal paritaire desbaux ruraux

Tribunal des Affairesde Sécurité Sociale

Tribunal de Police

TribunalCorrectionnel

Cour d’Assises

Chambre civile

Chambre commerciale

Chambre de l’instruction

Chambre sociale

Chambre des appels correctionnels

COUR D’APPEL

CIVIL

PÉNAL

PÉNALCour de CASSATION Cour

d’Assises D’APPEL

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282

tion définitive de corps étrangers (clips), Pierre A… et Jac-ques X… du chef de l’absence d’antibioprophylaxiesystématique pour les craniotomies.

Il ressort du rapport des experts judiciaires, cons-tituant un indice en ce sens, que les différents dysfonc-tionnements relevés avaient un caractère fautif ; que,pour chacun des demandeurs, un lien de causalitéentre le décès et une seule des fautes mentionnéesau procès-verbal de première comparution suffit àfonder la mise en examen du chef d’homicide invo-lontaire

(Cour de Cassation, 13 avril2005).

Retard dans les soins et lien de cau-salité avec le décès du patient

L’hospitalisation n’aurait peut-être pasévité le décès de la patiente mais sanon-hospitalisation a empêché toutechance de survie ; […]

que le décès dela patiente est la cause directe de sanon-hospitalisation et de l’absencede traitement ; l’intervention étant rendue impossiblevoire illusoire du fait de la tardiveté de la prise encharge

» (Cour de cassation, chambre criminelle 8 février2005).

À noter

: Les présents cas d’espèces ont été jugés par lesjuridictions pénales comme les faits constituent des infrac-tions pénales :

Homicides involontaires

.

* L’obligation d’information : Responsabilité civile

La preuve du respect de l’obligation d’information :Cour de cassation ; 4 janvier 2005

La loi du 4 mars 2002 a rappelé le principe fondamental :

l’obligation d’informer son patient des risques liés àl’acte médical

. En cas de litige, il appartient au profession-nel de rapporter la preuve qu’il a correctement exécuté sonobligation. Toute la question est de savoir comment le méde-cin peut prouver qu’il a bien informé son patient et que le

patient a bien compris l’informationdonnée.

Une patiente accouche d’un enfant tri-somique et forme un recours contreson gynécologue pour défaut d’infor-mation au motif que le médecin nel’aurait pas informé de la nécessitéd’une amniocentèse. La Cour de cassa-tion rappelle que s’agissant d’un faitjuridique « Le médecin prouve par tousmoyens la délivrance de l’information

permettant au patient d’émettre un consentement ou unrefus éclairé quant aux investigations ou aux soins aux-quels il est possible de recourir […]. La cour a relevé qu’ilrésultait des attestations produites par la patiente, de sespropres déclarations au cours de l’expertise

et du dossiermédical tenu par le médecin qu’elle avait été réguliè-rement sensibilisée à l’éventualité de l’examen en

Figure 2. La procédure pénale (conseil départemental de l’accès au droit, Eure).

La loi du 4 mars 2002a rappelé

le principe fondamental : l’obligation d’informer

son patient des risques liés à l’acte médical.

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cause

[…] et

que son refus figurait dans la lettre queson médecin avait alors adressée pour ce motif à uneconsœur en vue d’une échographie de substitution.

Document remis au médecin expert pour justifier de labonne exécution de son devoir d’information envers sapatiente.

Dans cette espèce il est important de noter que c’estl’ensemble du dossier (notes des entretiens lors des consul-tations, échange de courriers avec un autre confrère) et desdéclarations de la patiente à l’expert judiciaire qui ont per-mis de prouver que le médecin avait correctement informéla patiente des risques encourus du refus de pratiquer uneamniocentèse.Le contenu des écrits doit être tel qu’il permette au juged’acquérir la conviction que le patient a bien été informé(Rapport de la Cour de Cassation 1999).

L’information écrite est-elle devenue obligatoire ?

Ni la loi ni la jurisprudence n’imposent un docu-ment écrit et signé par le patient.

La Cour de Cassation dans son arrêt du 14 octobre1997 a précisé que cette preuve pouvait résulter d’unensemble de présomptions, c’est-à-dire « d’un faisceaud’indices ».

– Le CCNE a d’ailleurs souligné l’importance du dossiermédical et l’importance de bien mentionner l’informationdonnée au patient.– Le Conseil d’État dans un arrêt du

5 janvier 2000 a rap-pelé que

: « le document signé

n’est pas de nature à éta-blir que les praticiens se sont acquittés de leurobligation d’information

. »– L’ANAES considère l’information écrite comme étant pourl’essentiel «

un complément possible à l’informationorale

».

CONCLUSION

Les trois conditions indispensables pour que la responsabi-lité du professionnel de santé soit retenue sont décritesdans la

figure 3

.

On ne peut priver une personne de son droit d’ester en jus-tice mais saisir la justice ne signifie pas que le demandeuraura gain de cause. C’est au juge de trancher et de juger àl’appui des documents transmis et entre autre le dossiermédical (pour preuve la décision de la cour de cassation de4 janvier 2005 !).

Résumé

La responsabilité médicale constitue un ensemble être responsablecivilement c’est indemniser la victime d’une faute médicale ; êtreresponsable pénalement c’est répondre personnellement de sesfautes devant la justice pénale.

Mots-clés :

responsabilité médicale civile, pénale, information,preuve, lien de causalité, homicide involontaire.

Summary: Civil and penal responsitiliby: what’s the dif-ference?

Medical responsibility combines civil responsibility, where thevictim of a medical error receives compensation, and penal re-sponsibility, where the medial professional is personally respon-sible for his-her acts in penal court.

Key-words:

civil medical responsibility, penal, information,proof, attribution of cause, involuntary homicide.

RÉFÉRENCES

1.

C. Corgas- Bernard. Chronique de jurisprudence de responsabilité civilemédicale ; Médecine et droit 2006;25-34.

2.

C. Rougé-Maillart. Influence de la loi du 4 mars 2002 sur la jurisprudencerécente en matière d’information du patient.

Médecine et droit 2006;64-70.

3.

Lexique de la justice, justice.gouv.fr.

Figure 3. La responsabilité pour faute.

FAUTELIEN DE

CAUSALITÉDOMMAGE

RESPONSABILITÉ

Correspondance : N. LELIÈVRE,e-mail : [email protected]