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Résumé du livre « Congo, Mythes et réalités » pour le cours d’histoire politique contemporaine de la Belgique : Cette étude couvre un siècle d’histoire(17février 1860-jusqu’à l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960). Une des spécificités de l’histoire du Congo que nous pouvons d’hors et déjà mettre en avant est le contraste qu’il existe entre le début et la fin de l’histoire qui est narrée dans ce livre, entre phénomène individuel et phénomène de masse. CHAPITRE 1 : La genèse d’une pensée coloniale : Léopold II et le modèle hollandais Le premier grand discours de Léopold II remonte au 17 février 1860. Le thème abordé : la nécessité de promouvoir le commerce belge à l’étranger et l’exportation des produits belges. Le duc (donc Léopold II) préconise la création de comptoirs en Orient, d’une manière un peu voilée il aborda aussi la question des acquisition coloniales. Pour Léopold II, les comptoirs et les colonies sont ce qui ont contribuer à la grandeur passée ou présent des peuples. Le soir du discours le duc de Brabant et Gericke (ministre des Pays-Bas à Bruxelles) s’entretiennent. Cet entretien et le discours du même jour peuvent nous servir de point de départ de notre analyse. Le duc est hanté par ses rêves coloniaux, il considère que l’exemple colonial de la Hollande est « le plus propre » à 1

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Résumé du livre « Congo, Mythes et réalités » pour le

cours d’histoire politique contemporaine de la Belgique :

Cette étude couvre un siècle d’histoire(17février 1860-jusqu’à l’indépendance du Congo, le

30 juin 1960). Une des spécificités de l’histoire du Congo que nous pouvons d’hors et déjà

mettre en avant est le contraste qu’il existe entre le début et la fin de l’histoire qui est narrée

dans ce livre, entre phénomène individuel et phénomène de masse.

CHAPITRE 1   : La genèse d’une pensée coloniale : Léopold II et le modèle

hollandais

Le premier grand discours de Léopold II remonte au 17 février 1860. Le thème abordé : la

nécessité de promouvoir le commerce belge à l’étranger et l’exportation des produits belges.

Le duc (donc Léopold II) préconise la création de comptoirs en Orient, d’une manière un peu

voilée il aborda aussi la question des acquisition coloniales. Pour Léopold II, les comptoirs et

les colonies sont ce qui ont contribuer à la grandeur passée ou présent des peuples. Le soir du

discours le duc de Brabant et Gericke (ministre des Pays-Bas à Bruxelles) s’entretiennent. Cet

entretien et le discours du même jour peuvent nous servir de point de départ de notre analyse.

Le duc est hanté par ses rêves coloniaux, il considère que l’exemple colonial de la Hollande

est « le plus propre » à convaincre ses compatriotes, et à ses yeux l’élément essentiel est

évidemment l’excédent colonial. Sa connaissance du système colonial hollandais (le batig

slot) à cette époque, n’est encore qu’assez superficielle. Son enthousiasme va croître lorsque

son information deviendra plus sérieuse. L’effort d’information systématique, l’étude au sens

propre du mot n’est venue chez le duc qu’après qu’il a prit la décision d’agir. La progression

de sa pensée pourrait se résumer ainsi, réflexion-puis- décision, enfin étude. L e duc va

s’intéresser de très près au cas des Indes néerlandaises.

Le duc de Brabant va faire une lecture (en 1861) qui va le marquer profondément, à vie : il va

lire Money, Java or how to manage a colony. Money était un avocat britannique de Calcutta

qui, ayant eut l’occasion de visiter Java, s’était pris de la plus vive admiration pour le système

colonial hollandais, qu’il jugeait infiniment supérieur au régime anglais de l’Inde. Money

critique cependant certaines pratiques hollandaises- par exemple : il reprocha aux hollandais

de ne pas suffisamment inculquer les valeurs européennes, par l’éducation et l’évangélisation

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aux indigènes de Java. L’éloge enflammée du « Cultuurstelsel »(c’est à dire un système des

cultures qui oblige les paysans javanais à consacrer un cinquième de la terre et de leur travail

aux cultures d’exportation (thé, café, épices, sucre, indigo) imposées par le gouvernement.

Les produits ainsi obtenus sont la propriété de l’Etat) noyait les réserves qu’il avait prononcé

ci dessus à l’encontre du système hollandais. Répétons le car ceci est capital, l’exemple de

Java et des Indes néerlandaises est considéré par Léopold II comme la pièce essentielle de son

arsenal.

Sa conviction de l’utilité des colonies est totale, sans réserve, et par conséquent sa méthode de

démonstration consiste à accumuler en les acceptant tous indistinctement, tous les arguments

que l’on peut invoquer en faveur des colonies. Ces arguments sont pratiquement tous d’ordre

économique. On trouve cependant un argument d’un autre ordre : un grand effort commun

entrepris outre-mer permettrait selon lui d’atténuer en Belgique les luttes intérieures qui

déchirent le pays, « cicatrisé l’affreux cancer du libéral et du clérical ». (p.s : faire un lien

avec le cours).

Selon le roi Léopold II les colonies offrent :

Un débouché aux produits de la métropole.

Favorisent les activités commerciales du pays.

Constituent pour la métropole un réservoir de matières premières.

Des emplois nombreux et lucratifs.

Au fur et à mesure que sa pensée coloniale se nourrit et s’épaissit, l’argument en faveur du

revenu fourni par la colonie, donc du batig slot hollandais, devient de plus en plus l’élément

central, dominant. Le batig slot constitue bien le roc auquel s’accroche la conviction du duc

de Brabant.

Le duc est un original, il a fait le Congo uniquement, exclusivement en raison de ses idées, de

sa doctrine. Il a poursuivi la réalisation d’une idée. Java lui a fourni ce qu’il considérait

comme une véritable preuve de la vérité de ses idées. En Belgique même, il importe de le

noter, les opinions sont en général favorables aux Indes Néerlandaises. Cependant quelques

critiques s’élèvent notamment dans le journal libéral anversois le précurseur, on trouve neuf

articles consacrés au « système colonial hollandais », l’auteur y dénonce les abus du

kultuurstelsel, son caractère économiquement arriéré, plaide pour une politique de liberté du

travail et de liberté de commerce aux Indes. Cela dit, même ceux qui dénoncent les abus dans

le système colonial ne touchent pratiquement jamais à cet élément sacro-saint des finances du

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pays qu’est le batig slot(ici nous parlons de la hollande). En fait, le premier homme qui, sur le

plan des principes , élèvera la voix pour contester le bien fondé du batig slot-et qui aura

conscience d’être le premier à le faire- sera Robert Fruin dans son article du Gids de 1865,

Nederland’s rechten en verplichtingen ten opzichte van Indië.

L’admiration du duc de Brabant pour les excédents coloniaux hollandais s’est épanouie à une

époque où, répétons-le, il n’y avait pas encore sur ce point la moindre contestation. Pour

exemple le gouvernement hollandais parvint à couvrir ses dépenses avec ses revenus

ordinaires, mais encore il parvint à rembourser chaque année, une partie de ses dettes avec

l’excédent de ses revenus…ce phénomène financier…est le produit de la prospérité des

finances coloniales. Le nom de Java à l’époque évoque aussi, les controverses entre les

partisans du travail libre et les défenseurs des cultures obligatoires. Le duc de Brabant note de

son coté, en 1863, que la « sorte de travail forcé » qui existe à Java est le « seul moyen de

civiliser et de moraliser ces peuples indolents (c’est à dire fainéants, nonchalant) et corrompus

de l’Extrême Orient ». En 1859, le duc rechercha une participation belge à l’expédition anglo-

française en Chine. Ses mots révèlent bien son intention : « on pourrait pousser une société

belge ou franco-belge à s’établir en Chine et à y faire de l’exploration.

Il est un sentiment qui présent à tout moment, élève les propos du duc au dessus de leur

prosaïsme cynique et leur donne une sorte d’inspiration : c’est l’ardeur patriotique dont ils

sont tous imprégnés. Tout ce que le duc veut, il le veut en fonction de la grandeur et de la

prospérité de son pays, c’est cette ambition patriotique qui, pour les collaborateurs du duc et

pour la plupart de ses interlocuteurs belges, apparaît comme le caractère qui transcende tous

les autres. La volonté coloniale du duc de Brabant peut donc se définir comme une

volonté d’exploitation inspirée par l’amour de son pays. Le plus grand paradoxe que l’on

peut déceler chez le roi Léopold II est le fait qu’il se fonde dans tous ses efforts sur l’intérêt

économique, mais sans se livrer à une véritable analyse économique. Java illustre

parfaitement ce paradoxe, une réussite coloniale de cet ordre tenait à une conjonction

d’éléments particulièrement favorables qui ne se rencontre que rarement : ressources du sol,

ressources en main-d’œuvre et aussi-facteur capital-conjoncture favorable pour la vente des

produits. Le cas de Java donne à Léopold II une confiance aveugle, la démarche logique

qu’il aurait fallu suivre avant toute acquisition coloniale eut été de procéder à une étude

soigneuse à la fois de la production de la colonie envisagée, de ses potentialités de production,

et aussi de l’état du marché pour ses produits. Dans l’aventure du Congo Léopold II s’est

lancé sans aucune étude préalable (cela dit heureusement qu’il a trouvé au Congo une

ressource dont la demande était élevé, sans le caoutchouc son entreprise aurait périclité).

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L’Amérique du Sud attira aussi son attention, l’expression « être à l’affût » sera l’une des

expressions favorites du duc, le jeune Léopold concentra ses principaux efforts en Extrême-

Orient et en Océanie. Selon lui « l’Océanie peut encore fournir à la création de plus d’une

colonie comme celle de la hollande », une mission belge sera d’ailleurs envoyé pour prendre

possession des Nouvelles-Hébrides. Le duc en 1862 fût attelé à un autre projet : l’acquisition

de Sarawak (actuellement, l’État du Sarawak est un des deux États malaisiens situés sur l'île

de Bornéo), le sultan blanc de Sarawak, désirait à l’époque trouver soit une protection

européenne, soit même un acquéreur européen. L’île de Bornéo renferme des richesses

minérales et particulièrement du fer et de la houille que les Hollandais ne savaient pas

exploiter, cette possession leur fût ainsi plus onéreuse que fructueuse. Les Pays-Bas

craignaient qu’une puissance redoutable comme la France ou l’Angleterre ne finisse par

prendre pied à coté d’eux ; ils préféraient la Belgique. Leurs propres mots furent les suivants :

« Nous n’en avons que trop (il est question ici des colonies hollandaises) et pourrions vous en

céder une partie ; ce serait même nous rendre service ». Après cette déclaration du

gouvernement hollandais, s’ensuivit une vive réaction populaire considérant la question de la

vente de l’île de Bornéo comme relevant de l’honneur national. Léopold II attachait une

grande importance à ce projet, face à la montée du patriotisme hollandais, le projet tomba à

l’eau. Mais Léopold n’en resta pas là, il avait un autre fer au feu, la Chine le fascinait et plus

particulièrement l’île de Formose. C’est ce projet relatif à Formose qui permet le mieux

d’apercevoir ce qui va être un tournant essentiel dans sa politique. Avant son accession au

trône, le grand rêve du duc de Brabant avait été d’entraîner son pays dans l’expansion

coloniale. C’est la Belgique qu’il voulait convaincre de devenir un Etat colonisateur. Peu

après son avènement, cependant le voile, pour lui se déchire : jamais, il le comprend, il ne

réussira à mettre la Belgique en mouvement. L’indifférence et l’opposition sont trop fortes.

S’il veut donner corps à son rêve colonial, il faut qu’il agisse lui même, en dehors de

l’Etat. Pour Formose et pour la Chine, il reconnaît : « Directement, la Belgique ne peut rien

tenter en Chine et au Japon à cause de son propre gouvernement, des dispositions de l’esprit

public, et à cause de la jalousie des grandes puissances ».

« Mon rêve est de créer une société belge universelle ayant son siège à Bruxelles et qui

deviendrait petit à petit pour la Chine ce que la Compagnie des Indes de Londres est devenue

pour l’immense empire indoustanique ». Le tournant est pris : Le Roi a opté pour

l’action indépendante, « mes idées sont complètement indépendantes de toute

intervention du gouvernement belge ». Le Roi se convainc que lui-même et sa société seront

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bien mieux en mesure que n’importe quel Etat de tirer d’un territoire d’outre-mer les

bénéfices qu’il est possible d’en tirer. « A part la Hollande, il n’y à guère de gouvernements

qui sachent faire produire des colonies ». Nouveau type d’action donc, mais les régions dans

lesquelles elles se déroulent, elles n’ont pas changer : on reste toujours dans le monde qui

entoure Java.

Quelques dates et quelques faits :

1869-1870 et 1873 à 1875 : tentative d’acquisition des Philippines.

Juillet 1875 : le Roi annonce à l’Angleterre qu’il est décidé, sauf objection anglaise,

à coloniser la Nouvelle-Guinée, terre presque inconnue, l’Angleterre le décourage.

Automne de 1875 : le Roi se tourne vers le Tonkin, il cherche à obtenir une

concession pour une société belge, il soumet sa proposition à plusieurs dirigeants

français, le projet sera poursuivi pendant plusieurs années.

1876 : le Roi s’intéresse de nouveau à Bornéo, mais cette fois à une partie de l’île

demeurée politiquement libre, le ministre britannique des colonies le dissuade

fortement de se lancer dans une telle aventure.

C’est devant l’échec de ses tentatives en Extrême-Orient que le Roi, en fin de compte va

tenter sa chance en Afrique. Mais il n’a pas pour autant renoncé à l’Extrême-Orient, tout en

étant installé au Congo, il reviendra à la Chine, aux Philippines, à Bornéo, aux îles du

Pacifique.

Le souvenir de Java va marquer en fait profondément 2 traits essentiels de la politique

du Roi au Congo :

L’établissement du régime domanial.

L’utilisation des bénéfices tirés de l’Afrique.

Il s’agit là de 2 clés de voûte de la politique de Léopold II, c’est à ce moment du

développement de son œuvre que le modèle hollandais a eu en fait pour lui le plus

d’importance.

Il y avait dans le régime instauré par Léopold II un trait fondamental, qui était peut-être le

plus hardi de tous, dont il avait trouvé le modèle à Java : l’Etat se faisait le grand maître

d’œuvre de la récolte et de la vente des produits (c’est ce qu’on appela le système van den

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Bosch). Les bénéfices au Congo ne furent pas immédiats, loin de là ; c’est à partir de 1895

précisément que les récoltes de caoutchouc vont profondément modifier la situation. Le

caoutchouc va être une véritable manne, Léopold II maître absolu du Congo, disposera alors

d’un excédent qui se chiffrera en millions. Que faire de ces sommes considérables ? Léopold

II n’a aucun doute, elles doivent servir avant tout à la Belgique, à son pays pour lequel il a

travaillé, et qui est déjà virtuellement, à ses yeux, la métropole du Congo. Sa grande pensée

est d’embellir son pays, en se servant d’un instrument qu’il a créé tout spécialement à cet

effet, la Fondation de la Couronne, il se lance dans les travaux publics et les constructions

monumentales : Arcades du 50aire, musé de Tervuren, agrandissement du château de Laeken,

Tour japonaise…Il agissait à l’encontre de toute la doctrine coloniale moderne, qui en était

venue à proclamer de manière unanime, à la fin du XIXe siècle, que les finances coloniales

devaient être administrées exclusivement dans l’intérêt des colonies elles-mêmes.

Chapitre II   : Léopold II et la fondation de l’Etat indépendant du Congo

La création du Congo est l’aventure personnelle d’un homme, sans lui on ne voit pas

comment le Congo serait apparu sur la carte de l’Afrique : on n’aperçoit pas, à cet Etat qu’il

fonde à la fin du XIXe siècle, de quelconques soubassements, une quelconque base

autochtone. Sans lui il n’y aurait eut aucune initiative belge en Afrique, au début le Roi eut

toutes les peines du monde à trouver dans les milieux économiques belges quelques

souscripteurs, de plus aux environs de 1860, le vent, spécialement chez les économistes,

souffle nettement à l’anticolonialisme. Eliminons le facteur objectif qui pèsera sur la politique

d’autres pays, et qui est le problème de l’émigration, en Belgique, il ne compte pas, « le Belge

n’émigre point ». Est ce la situation économique générale du pays qui exige des initiatives

coloniales ? Léopold II le pense avec ferveur, ce qu’il faut souligner est qu’il est le seul ,

pratiquement à défendre cette analyse. Dans les milieux dirigeants belges, on considère que le

développement économique de la Belgique est parfaitement satisfaisant, et que les

« aventures » d’outre-mer seraient plus dangereuses qu’utiles.

Tout part donc d’un homme, de lui seul- et tout part, chez cet homme de ses idées : de sa foi

coloniale, absolue, inébranlable. Il y a peu de cas dans l’histoire, où une œuvre s’est bâtie

ainsi entièrement à partir d’une idée. L’Association Internationale du Congo, l’AIC est un être

purement fictif : ce n’est qu’un nom, derrière lequel il n’y a que le seul Léopold II

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Quels sont les atouts de Léopold II ? voyons ceux qui ont été les siens dès le début de son

aventure africaine : (ils s’élèvent aux nombre de 5)

1. Sa personnalité même, son caractère. Il a la foi, pour lui, un domaine d’outre-

mer, par définition, doit être profitable. De plus il a la plume abondante, forte et

élégante, c’est un charmeur, qui sait convaincre et séduire, il a aussi par ailleurs un

formidable talent d’adaptation, est ce un gagnant ? NON, il n’a gagné qu’au Congo,

partout ailleurs dans le monde, ses efforts poussés de tous côtés-et notamment son

formidable effort poursuivi durant de très longues années, et à très grand prix, en

direction du Nil- ont échoué.

2. Il tire de sa qualité de souverain, le prestige et les avantages. Il est non seulement

monarque, mais aussi un monarque unanimement respecté. Partout il est traité avec

respect. Il peut négocier directement, avec aisance, avec les chefs d’Etat et de

gouvernement étrangers. Les années 1876-1885 fût une période où la Belgique

entretient des relations sans nuages avec les grandes puissances, ce fut pour Léopold II

une coïncidence heureuse. Léopold II (et ceci est un paradoxe) tire des avantages

considérables de sa qualité de souverain, mais ne subit aucun des inconvénients qui

pourraient en découler. Si aux yeux de tous, en effet, le créateur du Congo est le roi

des Belges, juridiquement, il agit, non comme roi, mais comme personne privée.

Comme roi des Belges, Léopold II est ligoté par les règles constitutionnelles, qu’il

respecte d’ailleurs scrupuleusement.

3. Le Roi dispose de collaborateurs de 1er ordre. Exemple : Lambermont (rôle majeur),

Emile Banning. A l’étranger, toujours au point de vue des contacts internationaux, le

Roi se sert souvent des diplomates belges. En Afrique il y a Stanley, Léopold II a

manifesté une singulière intelligence, en comprenant que, pour avoir le Congo, il

fallait avoir Stanley, que Stanley était le seul qui pût mener à bien l’entreprise dont il

rêvait. Cela dit en l’enrôlant il prenait un risque : il y avait de très grosses ombres sur

la réputation de Stanley, et spécialement l’ombre de la brutalité. Stanley ne dispose

que d’une liberté d’action limitée. Le Roi, de Bruxelles, lui envoie sans cesse des

instructions détaillées. En gros pour cet atout Léopold II à été remarquablement servi.

4. Léopold II a un moyen d’action puissant : sa fortune personnelle. Cette fortune

était très considérable. On ne la connaît pas dans le détail, mais il paraît bien qu’elle a

été à un moment donné fort supérieure à 50 millions de francs-or. C’est cette fortune

qui lui permit de financer son entreprise africaine. Léopold II va tout payer au Congo,

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et seul, au moyen de sa cassette personnelle. A la fin de 1885, le Roi aura ainsi

dépensé en tout environ 11millions et demi de francs. De plus il a préféré emprunter

plutôt que de devoir vendre des propriétés foncières ou des valeurs de portefeuille. Le

Congo a néanmoins ébréché sa fortune. De là l’acharnement qu’il mettre à réclamer à

la France une indemnité pour l’abandon du Niari-Kwilou, région que le Roi

considérait comme particulièrement riche. L’impression très forte qui se dégage de la

période de création du Congo est que le Roi dépense sans compter, le premier

impératif étant de réussir. Le Roi paie tout ce qui est nécessaire au succès de sa

politique. C’est un élément incontestable de sa supériorité.

5. La réputation de philanthropie (amour de l’humanité) du Roi. C’est un élément

absolu capital, cette réputation du Roi date de ses premières initiatives africaines. Il se

présente comme un souverain généreux, désintéressé, qui, à ses frais, ouvre l’Afrique

centrale à la civilisation. Il développe sans cesse le thème de l’ « œuvre d’humanité et

de civilisation ». Il compare l’Association qu’il dirige à la Croix Rouge. La seule note

critique que nous pouvons relever est qu’on le considère souvent comme un

philanthrope naïf, que sa générosité risque de mener à la ruine. Sinon l’admiration est

générale, le nouvel Etat du Congo, déclare le compte de Launay, est « fondé sous les

auspices d’un Souverain dont le nom figurera dans l’histoire parmi les bienfaiteurs

éminents de l’humanité ». Un des avantages, parmi d’autres, que Léopold II retire de

cette aura, est l’appui très ferme, enthousiaste même, que lui apportent les

missionnaires protestants. Ils plaideront énergiquement pour la reconnaissance de

l’AIC par l’Angleterre.

Emile de Laveleye, professeur à l’Université de Liège, était le plus connu des

économistes belges du temps. De tradition d’économie politique libérale, il professe

une opposition radicale aux colonies. Or l’auteur apporte son aide à Léopold II. Il

entend, dit-il, soutenir de toutes ses forces « une noble et grande œuvre ».

Le mot clé, pour comprendre l’atmosphère de l’époque, est ce mot « œuvre ». Léopold

II l’emploi abondamment. Les contemporains croient à l’ « œuvre ».

D’emblée, lorsqu’il a jeté le regard sur l’Afrique centrale, le Roi a su ce qu’il

voulait : « il faut, écrit-il, nous procurer une part de ce magnifique gâteau africain »,

les mots sont crus et net, c’est le fond de sa pensée. Pour favoriser cette exploration, il

a cru que la formule d’une collaboration internationale était la plus efficace. D’où la

Conférence de Géographie de 1876, d’où la création de l’Association Internationale

Africaine. Comme l’AIA était authentiquement une « œuvre » de caractère

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scientifique et désintéressé, Léopold II a pu parler à propos d’elle le langage du

désintéressement et de la philanthropie. L’AIA, très vite, a sombré, mais le Roi, sur sa

lancée, est resté fidèle au type de discours qui y était lié. Le critère est ici l’utilité

Maintenant, il nous faut discerner les atouts qu’il a acquis dans le cours du développement de

l’entreprise :

1. L’adoption, après un certains temps de la formule politique. Il n’a pas songé au

début à une occupation territoriale. Le premier projet consistait à jeter les bases d’une

grande Société de commerce et de navigation. Si Léopold II aurait persisté dans ce

sens s’eut été la catastrophe. La réussite n’était possible que dans la perspective du

non-partage de l’Afrique centrale, dans la perspective d’une pénétration commerciale

européenne avec maintien des souverainetés indigènes. Chose frappante, c’est bien

dans cette perspective, au début, que Léopold II a travaillé. La mentalité du duc au

début en Afrique centrale est pré-impérialiste. La ratification par la France, à

l’automne de 1882, du traité de Brazza-Makoko, a constitué un tournant à tous points

de vue capital. La ratification signifiait clairement que la France était décidée à

pénétrer en Afrique centrale. Le seul moyen de s’opposer à l’extension de la

souveraineté de la France est d’acquérir soi-même des droits politiques, d’acquérir soi-

même la souveraineté. Léopold II, à la fin de 1882, s’engage dans cette voie avec

décision. En Afrique désormais, c’est un nouveau type de traités que l’on fait signer

aux chefs indigènes : ce sont des traités de cession de souveraineté. Ce que Léopold II

va réclamer, dès lors, est l’ « indépendance ». Il demande d’abord que l’on reconnaisse

ses « villes libres », puis ses « stations et territoires libres », puis les « Etats libre du

Congo, et enfin-stade final-« l’Etat libre du Congo » (janvier 1884).

2. La promesse de la liberté de commerce. Léopold II apparaît comme le champion de

la liberté commerciale en Afrique centrale, ceci est l’atout majeur, la clé de son

succès. Le Roi opère ici une mutation extraordinaire, au début il cherchait à acquérir le

maximum de monopoles, puis ensuite il passe au camp opposé ; la liberté

commerciale. Cette mutation se produisit en avril 1883, politiquement le Roi se

trouva en compétition à la fois avec le Portugal et avec la France, deux pays dont les

droits de douanes faisaient peur. Le meilleur moyen d’obtenir le soutient des autres

pays, n’était-il pas de dire : chez moi, il n’y aura pas de douanes ? Un « Etat sans

douanes », ces simples mots conduisirent Léopold II au triomphe. Quelques

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observations à propos se révèlent nécessaires : 1) Léopold II est le père de la

colonisation sans douanes, sans douanes signifiait sans droit d’entrée. Il restait donc la

possibilité des droits de sortie. 2) La formule fut acclamée dans les milieux

commerçants européens. 3) La liberté du commerce, avec absence de tout droit

d’entrée, est l’appât que Léopold a tendu aux puissances, et auxquelles elles ont

mordu. De là la reconnaissance de l’AIC par les U.S.A, de là-ce qui à été décisif-

l’attitude de Bismarck et la reconnaissance par l’Allemagne. Selon Bismarck, Léopold

II était « l’homme qui travaille à ses frais pour le bénéfice de tous. 4) Nous pourrions

nous poser la question de la sincérité du Roi, a-t-il l’intention de tenir réellement ses

engagements ? On peut en douter, en effet le Roi des belges a procédé d’une manière

extraordinairement habile à tourner ses engagements et à établir au Congo un régime

de quasi-monopole commercial de l’Etat- le régime domanial- qui tua la liberté de

commerce. Le credo qui domine tout, chez lui, est que, bien exploitée, une colonie doit

réussir, et être une source de richesse.

3. Une manœuvre tactique s’est révélée un précieux atout stratégique : l’octroi à la

France du droit de préférence en Avril 1884. L’AIC s’engageait, au cas où elle serait

amenée à vendre ses possessions, à « donner le droit de préférence à la France ». Dans

les relations à la fois avec l’Allemagne et avec la France, le droit de préférence a été

capital. C’est avec l’Allemagne de Bismarck que le duc a traité pour la première fois

de la reconnaissance des frontières de son nouvel Etat. Bismarck reconnaîtra en

novembre 1884, à l’AIC un territoire immense.

Evoquons maintenant l’ handicap du duc :

Son handicap majeur est qu’il ne peut se permettre aucun conflit avec une puissance

étrangère, tout affrontement violent lui est interdit. Au premier signe d’un conflit, l’opinion

belge s’affolerait : elle y verrait une menace pour la neutralité belge, neutralité sacro-sainte à

laquelle les Belges tiennent par dessus tout. C’est une donnée fondamentale avec laquelle il

sait qu’il doit compter. Léopold II a en Afrique des forces militaires, non négligeables, mais

qu’il ne peut pas se permettre d’opposer physiquement à autrui ; il a des droits, mais qu’il ne

peut pas se permettre de faire valoir si, ce faisant, il risque un conflit avec autrui. Nombre de

bons observateurs, tout en applaudissant le Roi, étaient persuadés que ce noble philanthrope,

un peu « chimérique », ne pourrait pas réussir dans son entreprise. A s’en tenir à un

raisonnement logique, ce pessimisme était entièrement justifié : logiquement Léopold II aurait

dû échouer. Il a d’ailleurs été à 2 doigts de sombrer : 1) Il a été sauvé une première fois, en

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1890, par l’aide financière de la Belgique. 2) Il a été sauvé une deuxième fois, lorsqu’il ne

pouvait certainement plus compter sur l’aide de la Belgique, par le « miracle du caoutchouc »,

chose inattendue et imprévisible, la découverte d’une richesse naturelle abondante et

immédiatement exploitable, a transformé sa misère financière en prospérité presque insolente.

La chance a eut également un rôle marquant par exemple dans la fixation des frontières de

l’Etat. Le sujet est capital. Le tracé des frontières que Léopold II a obtenu pour son nouvel

Etat, nous l’avons déjà dit, a été sans aucune commune mesure avec la présence effective de

ses agents sur le terrain.(rappel : c’est avec l’Allemagne de Bismarck aborda pour la première

fois le problème des frontières de son futur Etat). Le 7 août, une carte d’Afrique ouverte

devant eux , le Roi et Stanley, dessinèrent pour la première fois les frontières de l’Etat  ; les

frontières qui y sont tracées englobent les 2/3 grosso modo, de ce qui sera par la suite le

Congo. Bismarck pour sa part s’il accepte fort bien que Léopold II se ruine, n’est pas prêt

pour autant à reconnaître les frontières. Le chancelier accepte le projet d’accord entre

l’Allemagne et l’AIC relatif à la liberté commercial, mais il écarte aimablement les limites du

nouvel Etat. A Bruxelles, on est fort heureux : on a enfin, au terme de ce qui a été une longue

négociation, l’accord de Bismarck (accord non trouvé encore sur les frontières), le Roi dans

son obstination ne lâche pas son idée, il réécrit à Bismarck les 11 et 16 septembre ( ce jour là

il envoie à nouveau au chancelier une carte de ses frontières quasi semblable aux

précédentes), Bismarck ne fléchit pas. Mais soudainement au dernier moment Bismarck eut

des remords, « l’empire allemand est prêt à reconnaître les frontières du territoire de

l’Association et du nouvel Etat à créer, telles qu’elles sont indiquées sur la carte ci-jointe (la

carte envoyé par Léopold II le 16 septembre). Les arguments de Bismarck sont les

suivants : « ce que nous offrons en contrepartie apparaîtrait comme cela comme étant

insignifiant », « en tout état de cause, la France ne fera pas d’objection à une grande extension

du nouvel Etat ». Bismarck eut donc le sentiment que le traité (dans lequel l’Association prit

de nombreux engagements en matière de liberté commerciale) apparaîtrait comme une

convention léonine, imposé par un fort à un faible, qui fait toutes les concessions, le faible

dans ce cas ci était un petit souverain ami, qui à la réputation d’engloutir sa fortune dans une

entreprise philanthropique. La convention avec l’Allemagne fut donc signée le 8novembre

1884. Les frontières du nouvel Etat semblent donc, dans l’esprit du Roi, définitivement

acquises. Le 24 décembre, Léopold II descend au sud du 6ième degré de latitude sud et annexe

le Katanga. Il trace donc une nouvelle ligne frontière sur la carte englobant le Katanga,

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c’est bien le coup de crayon nouveau du 24 décembre 1884 qui est le fait

fondamental. Pourquoi Léopold II, qui n’y songeait pas encore au début de décembre, a-t-il

soudain décidé cette extension ? C’est un problème de psychologie individuelle : le problème

d’un homme qui, d’une manière inattendue, obéit à une impulsion, et dont l’impulsion va

modeler l’histoire. Deux éléments ont pu agir sur l’esprit du Roi :

Tout d’abord, la Conférence de Berlin avait délimité la zone de liberté commerciale en

Afrique, le Roi sait que l’Etat qu’il crée jouera le rôle principal dans la défense et

l’illustration de ce régime de liberté commerciale.

Ce qui, selon toute apparence, l’a influencé beaucoup plus profondément, est la

perspective de perdre, dans un avenir rapproché, une partie de ses possessions à

l’ouest. Le duc en effet est sur le point de devoir abandonner une région à laquelle il

attache beaucoup de prix car il la considère comme fort riche, et qui est le Niari-

Kwilou. Puisqu’il perd d’un côté, il lui faut une compensation d’un autre : sa

compensation sera l’ « ajoute » vers le sud. C’est donc bien l’idée d’une compensation

qui a joué. Le Katanga contient des mines de cuivre.

Ce que Léopold II, par sa nouvelle extension, cherche à acquérir, est avant tout la ligne

complète des grands lacs. Le grand tracé passa sans difficulté aucune. En effet le droit de

préférence (voir plus haut) était sous-jacente à toutes les négociations. La France était

l’héritière présomptive des possessions de l’Association, pourquoi se serait elle insurgée

contre le nouveau tracé ?! Dans la convention signée le 5 février 1885 entre la France et

l’Association Internationale du Congo relatif aux frontières, un intérêt mutuel était en cause.

L’Angleterre par contre plus tard reconnu la souveraineté de l’Association, mais sans mention

de frontières. Comment obtenir de l’Angleterre la reconnaissance des frontières du nouvel

Etat ? Léopold II pour y arriver, va recourir au plus étonnant geste d’audace de son règne : il

va lancer la déclaration de neutralité du 1er août 1885 (c’est à dire qu’il va notifier

unilatéralement ses frontières). Le Roi cependant, avant de lancer sa déclaration, eut soin de

consulter l’Allemagne, Bismarck répondit qu’il ne désira plus s’occuper de cette affaire,

l’Allemagne ne formula donc aucune objection. La déclaration de neutralité fut donc adressée

aux puissances étrangères le 1er août 1885, le jour même où, officiellement, Léopold II

accédait à la souveraineté de l’Etat indépendant du Congo. Elle tirait sa justification, en droit,

de l’acte de Berlin, celui-ci, en son article 10, stipulait que les puissances possessionnées dans

la zone d’Afrique centrale couverte par le traité, auraient la « faculté de se proclamer neutre ».

Sous couleur d’une déclaration de neutralité, c’était donc essentiellement une notification de

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ses frontières que le souverain indépendant adressait aux puissances étrangères. Le 1er

septembre 1885, l’Angleterre accusait réception, sans observation aucune. L’absence

d’observation équivalait, suivant les usages diplomatiques, à une acceptation. La cause était

gagnée. Le mois de l’année- août -est très important à noter. Il constitua même la grande

chance du duc, en effet les hauts fonctionnaires du Foreign Office les plus compétents en

matière africaine étaient partis en vacances. Le Roi basait sa déclaration de neutralité sur

l’article 10, relatif à la neutralité, de l’Acte de Berlin, la réponse fournie par un fonctionnaire

subalterne (les fonctionnaires spécialisés dans les questions d’Afrique centrale étant en

vacance) parle de « limites » « fixées par l’article 10 », or il n’y avait pas de limites fixées par

cet article. Le Foreign Office a donc imaginé, en août 1885, que l’Angleterre ne pouvait

qu’accepter la déclaration de neutralité. On a cru en d’autres termes que l’on devait

nécessairement dire oui, puisque l’Angleterre était déjà liée. Or la réalité était exactement

inverse : loin d’avoir les mains liées, l’Angleterre, en ce qui concerne le Congo, avait encore

les mains entièrement libre. (conseil : relire de la page 79 à 82 car cela ne me semble pas très

clairement expliqué ici)

Supposons que les choses se soient passées normalement (donc à un autre moment, pas en

août) : 1) le gouvernement britannique, en traitant quelque mois auparavant avec l’AIC, avait

précisément évité de reconnaître les frontières revendiquées par cette dernière. 2) Second

motif, plus important encore, qui devait normalement jouer : à la conférence de Berlin, une

des tendances qui avaient prévalu avait été l’hostilité à ce que les Anglais appelaient les

« paper annexations », les annexions sur le papier qui n’étaient fondées sur aucune occupation

réelle. Les annexions auxquelles le Roi procédaient étaient le type même des « paper

annexations ». Logiquement Londres eût dû se rebiffer. 3) Il y avait une raison qui, davantage

que toute autre, devait inciter le gouvernement britannique à la réserve et même au refus :

c’était le droit de préférence de la France, en 1884, les anglais en avaient été littéralement

furieux.

L’Angleterre, avant le 1er septembre, gardait les mains libres ; ses quelques lignes de réponse

à la déclaration de neutralité auront pour effet de la lier complètement. Le Katanga, en 1885

est encore une terre lointaine, lorsqu’on se rapprochera, quelques années plus tard, il

deviendra un objet de convoitise, et même un objet de compétition. Dans la fixation de ses

frontières, Léopold II à dû son succès à des éléments multiples : la promesse de la liberté

commerciale, la réputation même du Roi, de ce petit souverain philanthrope, auquel on

prête un idéalisme un peu naïf, l’existence, dans le cas de la France et de l’Allemagne, du

droit de préférence. Mais nous pouvons également relever 3 éléments accidentels : 1)

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l’accident, c’est la soudaine impulsion qui entraîne Bismarck à ajouter un article 6,

relatif aux frontières, à la convention avec l’Association du Congo. 2) l’accident, c’est

l’impulsion à laquelle Léopold II lui-même obéit en étendant soudain ses frontières, d’un

grand coup de crayon, vers le Sud. 3) l’accident c’est l’ « erreur stupide » commise au

Foreign Office en août 1885. Le Congo (avec un Katanga qui devait assuré sa richesse)

est sorti de là.

Chapitre III   : Les cinq légendes de l’Acte de Berlin

La conférence Africaine de Berlin qui débuta le 15 novembre 1884 et s’acheva le 26 février

1885 intéresse plus les passionnés de l’Afrique aujourd’hui, que les contemporains de la

conférence. Le programme de la conférence du Congo comprenait 3 points : a) la liberté de

commerce dans les bassins et aux bouches du Congo. b) la liberté de navigation sur le

grand fleuve africain. c) l’établissement des règles qui doivent désormais régir toutes les

prises de possession dans les pays nouveaux. Lors de cette conférence, une « ambiance

humanitaire » est facilement décelable, en effet « les 80 millions d’indigènes, livrés jusqu’ici

à toutes les entreprises des trafiquants d’esclaves, sont assurés pour l’avenir de leur habeas

corpus. Leur protecteurs européens sont là, engagés d’honneur et décidés à tenir à distance

les bêtes de proie humaines ». Ce qui est ressorti d’essentiel, des délibérations de Berlin, est la

déclaration sur la liberté de commerce.

A propos de la Conférence et de l’Acte de Berlin (à savoir son aboutissement), subsistent des

légendes, cinq grandes idées fausses.

1ère légende : C’est à Berlin que l’on s’est partagé l’Afrique.

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C’est une conception absolument erronée, cette légende s’épanouira avec l’image, devenue

classique, de diplomates européens penchés avidement sur la carte de l’Afrique. Ce partage

« de l’Afrique » à Berlin est bien une légende puisque les participants à la Conférence

s’étaient expressément interdit toute discussion sur des problèmes territoriaux, et qu’il n’y a

pas la moindre allusion à ces problèmes, dans l’Acte Général. D’où est né des lors la

légende ? Vient-elle du fait que les difficultés entre l’Association d’une part, la France et le

Portugal de l’autre, avaient eut un certain retentissement. Lorsqu’elles ont été réglées, on a pu

avoir l’impression que les « frontières » étaient « régularisées ». On a rattaché le mouvement

à ce que l’on considérait comme son point de départ, la Conférence de Berlin, et l’on a ensuite

confondu le tout dans l’idée du « partage de Berlin ».

2ième légende : L’acte de Berlin a posé le principe des sphères d’influence. Toute

puissance européenne établie sur la côte obtient des droits sur l’arrière pays.

La légende dit donc qu’à Berlin, il y a affirmation du principe des sphères d’influence, c’est-

à-dire du principe de l’hinterland. Ceci est d’autant plus extraordinaire que non seulement on

ne trouve rien de semblable ni dans les délibérations de la Conférence ni dans l’Acte Général,

mais que l’esprit et de ces délibérations et de l’Acte Général allait carrément à l’encontre de la

théorie de l’hinterland. La tendance, à Berlin, avait été de répudier les occupations fictives, à

exiger, pour qu’une occupation soit reconnue, qu’elle soit effective. Le traité mettait fin, pour

les côtes africaines au moins, à la pratique des occupations « sur le papier ». Comment

comprendre l’erreur des historiens ? L’explication ici est toute différente de celle de la

première légende, de la légende du « partage ». Dans le cas du partage, la légende s’est

propagée de manière diffuse, sans que l’on puisse discerner nettement les chenaux par

lesquels elle a cheminé. Pour les sphères d’influence, au contraire, nous avons affaire au type

même de la légende savante : l’erreur d’un historien, que les historiens suivants se sont

ensuite pieusement transmise en se recopiant l’un l’autre (le point de départ étant l’ouvrage de

R.Ronze sur La question d’Afrique), signalons une dernière curiosité : le croisement de la

première et de la deuxième légende dans un article du New York Times : La conférence de

Berlin, écrit l’auteur de l’article, « a divisé l’Afrique en sphères d’influence ».

3ième légende : L’Acte de Berlin a reconnu l’Etat Indépendant du Congo.

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Ici, les variantes sont multiples, l’Acte de Berlin « a reconnu la souveraineté de Léopold II sur

le Congo », « a reconnu l’Etat Indépendant du Congo, avec Léopold II ç sa tête »…Dans

l’Acte Général, il n’est fait aucune mention de l’Association, pas plus d’ailleurs que des droits

de Léopold II sur le Congo. La souveraineté de l’AIC avait été reconnue par une série de

traités bilatéraux conclu successivement, à partir d’avril 1884, avec les U.S.A, l’Allemagne, la

Grande-Bretagne, et, en fin de compte, toutes les puissances représentées à la Conférence de

Berlin, à l’exception de la Turquie. C’est en vertu de ces traités que l’Association pouvait

s’affirmer en tant que puissance souveraine. A l’égard de la conférence l’Association a pris

deux initiatives : 1) le 23 février : elle a fait connaître à la Conférence qu’elle était

désormais reconnue comme puissance souveraine 2) le 26 février : en sa qualité de

puissance souveraine, elle a, ainsi que l’Acte Général lui en donnait le droit, adhéré à la

convention nouvelle, dont elle n’était pas signataire. La « reconnaissance » était donc

antérieure : elle était dans les traités bilatéraux conclu entre le 22avril 1884 et le 23 février

1885. Ce sont ces traités qui ont permis à l’Association de «  notifier » à la Conférence « son

entrée dans la vie internationale »

4ième légende : L’Acte de Berlin a fondé, en créant le Congo, une sorte de « colonie

internationale ».

C’est ici une variante de la troisième légende. La Conférence de Berlin est, comme dans la

troisième légende, la source de la souveraineté de Léopold II, mais on considère que la

Conférence a placé le Roi en quelques sorte sous la surveillance des puissances, sous une

surveillance internationale. L’hérésie juridique est ici absolument monstrueuse, mais c’est une

idée qui a eu une certaine force de suggestion. Elle a joué un rôle, qui n’est pas négligeable,

loin de là, dans la genèse du système des mandats. Le mythe a eu, en l’occurrence, un rôle

créateur.

5ième légende : L’Acte de Berlin est resté pratiquement lettre morte :

Il est abusif de parler ici de légende, il s’agit plutôt d’une erreur d’appréciation qui s’est

également encrée dans les esprits. Le jugement désabusé porté sur le caractère éphémère des

décisions arrêtées à Berlin, remonte fort haut. Dès 1900, l’auteur du chapitre sur le partage de

l’Afrique dans l’histoire générale écrivait ceci : «  L’Acte de Berlin est resté presque sur tous

les points une solennelle mais vaine manifestation de bonne volonté diplomatique. Il avait

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stipulé la liberté commerciale absolue dans le bassin du Congo, délimité d’une manière

conventionnelle, mais l’Etat Indépendant y a établit des monopoles de fait…l’Acte de Berlin

édictait diverses procédures pour l’occupation des territoires africains, ou pour l’arbitrage en

cas de disputes, mais en ces diverses matières, il est presque toujours resté lettre morte ».

L’œuvre de Berlin a-t-elle donc été réellement sans lendemain ? En établissant le régime dit

« domanial », c’est-à-dire l’appropriation par l’Etat des produits des terres vacantes, Léopold

II, en fait, a tué la liberté au profit de monopoles d’Etat. Ce que l’on a tendance à oublier est

que, après Léopold II, est venue la Belgique, et que la Belgique, devenue maîtresse du Congo,

a mis son point d’honneur, elle a honorée strictement ces obligations (obligations nées de

l’Acte de Berlin), la Belgique, jusqu’en 1960, a pratiqué au Congo la politique de la porte

ouverte. Jusqu’en 1960, la volonté qui s’était exprimée à Berlin en 1885 a été respectée. Ce

n’est donc pas une faillite.

Chapitre IV   : L’Etat Indépendant du Congo et le Congo Belge

jusqu’en 1914

Le Congo est le type parfait de l’entité politique née sur le sol de l’Afrique de par la seule

volonté de l’Européen. Ses origines on l’a dit, se trouvent tout entières dans la volonté d’un

homme : de Léopold II. De 1885 à 1908, il constitua un Etat indépendant, placé sous le

gouvernement personnel de Léopold II. En 1908, annexé par la Belgique, il devint une

colonie belge, et conserva ce statut colonial jusqu’en 1960, date de l’indépendance . Au

Congo, dans l’administration, dans l’armée, dans la justice, le rôle essentiel était joué par des

Belges, et tout spécialement par des officiers de l’armée belge détachés en Afrique ; même les

missions religieuses avaient un caractère nettement belge. Avant 1908, la Belgique et le

Congo étaient deux Etats absolument distincts, sans aucun organe commun ; leur seul lien

résidait dans le fait qu’ils avaient le même souverain. Mais fait essentiel Léopold II séparait

très nettement ses deux rôles de souverain du Congo et de roi des Belges. En Belgique, il était

un monarque constitutionnel, jouait le jeu de la monarchie constitutionnelle, soumettait à ses

ministres, suivant la règle, le texte de ses discours. Le souverain du Congo a mené la politique

congolaise, jusqu’en 1908, de manière effectivement indépendante, sans que la Belgique y

assume aucune responsabilité.

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Les caractères originaux de l’Etat Indépendant du Congo : (5) 

Les caractères de l’Etat du Congo sont d’une intensité extraordinaire ; ils nous mettent en

présence d’un être à part, unique en son genre.

1) L’Etat du Congo est unique en son genre, tout d’abord, par son organisation

politique :

Ce n’est pas seulement une monarchie absolue, où le souverain détient tous les pouvoirs,

c’est bien plus, c’est un Etat qui, se confond avec son souverain. La souveraineté est

investie dans la personne du souverain, qui considère dès lors l’Etat comme son bien privé.

Léopold II en dispose comme d’un bien privé. Dans son testament, le Roi lègue à la Belgique

ses « ses droits souverains » sur le Congo : ceci équivaut à léguer le Congo lui-même,

exactement comme on transmet par testament une maison ou des terres. Pour trouver un

précédent à une telle situation, il faut remonter en Europe jusqu’au roi mérovingiens. Seules

les conventions passées avec l’AIC, en 1884-1885, et qui sont invoquées par le testament

doivent retenir notre attention. Dans ces conventions conclues successivement avec les U.S.A,

l’Allemagne,… rien, dans ces textes, ne faisait allusion à des droits souverains de Léopold II

lui même, dans la plupart des traités, il n’était même pas cité. Les bases juridiques des droits

de Léopold II demeura ainsi dans une ombre que personne n’essaya de percer. En réalité, les

puissances, en 1884-1885, en traitant avec l’AIC (rappel l’AIC est l’Association

Internationale du Congo), savaient fort bien qu’elles traitaient avec le Roi. C’est le Roi qui, en

réalité, faisait dans ces conventions la promesse capitale qui avait été à la base de son succès :

il promettait à tous une pleine liberté de commerce. Il s’engageait à ouvrir à ses frais l’Afrique

centrale. Dans l’histoire contemporaine, on retrouve un fait aussi unique en son genre : le fait

que les puissances aient délibérément reconnu à un homme le droit de créer un Etat dont il

serait le maître.

2) Les principes d’organisation économique de l’Etat Indépendant du Congo ont été

aussi originaux que ceux de son organisation politique. Ils ont été largement à contre-

courant de ce qui était admis et pratiqué à l’époque.

Une des idées fortes de l’économie occidentale, à la fin du XIXe siècle, est que la prospérité

de l’Etat est directement liée à celle des entreprises privées. L’Etat du Congo, né sous l’égide

de la liberté économique la plus large aurait dû logiquement, plus que tout autre, pratiquer une

politique d’encouragement à la libre entreprise. Or bien au contraire, ses mesures

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économiques les plus importantes eurent pour effet de l’entraver, en plaçant devant elle

la barrière infranchissable de monopoles d’Etat. Ces mesures prisent à partir de 1891-1892

aboutirent à l’instauration du « régime domanial », l’Etat s’était déclarer propriétaire de

toutes les terres vacantes (toutes les terres qui n’étaient ni occupées, ni exploitées par les

indigènes), qui allaient constituer désormais son domaine. Presque partout dans le pays, les

deux produits les plus rémunérateurs ; l’ivoire et le caoutchouc, provenaient des terres

décrétées vacantes, ces produits devaient donc être regardés comme des « produits

domaniaux », appartenant à l’Etat et que lui seul pouvait récolter. Un commerçant ne

pouvait plus acheter d’ivoire ou de caoutchouc aux indigènes sans se rendre coupable de

recel, puisqu’il achetait un produit appartenant à l’Etat. Pratiquant largement le monopole en

matière commerciale, l’Etat, cependant, se garda bien d’appliquer le même système à d’autres

secteurs de l’économie, par ex : pour la construction des chemins de fer, il continua comme il

l’avait fait dès le début, à recourir de manière classique à l’entreprise privée, en matière

d’exploitation minière également. Les secteurs que l’Etat laissait à l’entreprise privée étaient

ceux, qui d’une part exigeaient 1) les investissements les plus considérables, et qui d’autre

part 2) présentaient le plus de risque.

3) Troisième caractère original de l’Etat du Congo : c’est que pour tirer un

maximum de profit de la monopolisation des produits domaniaux, il établit un système

d’exploitation qui, fatalement, devait mener à de graves abus dans le traitement des

indigènes.   :

Dans le cas du Congo, l’occupation du territoire se fit d’une manière plus pacifique que dans

la plupart des autres colonies. Stanley, qui la dirigea au début, mis son point d’honneur à ne

pas user de la force. Ils réussirent à soumettre les populations sans grandes effusions de sang.

La période de violence au Congo fut celle de l’exploitation économique, les abus furent

causés par le système dans lequel les hommes se trouvèrent pris comme dans un engrenage.

La récolte de caoutchouc, se fit par les indigènes, ils se la voyait imposé au titre de l’impôt en

travail. Les agents de l’Etat étaient chargés de veiller à ce que le travail se fasse. L’ instruction

envoyée aux agents était : Il faut pousser la « production » au maximum. C’était la

préoccupation majeure de l’Etat, c’est d’après le niveau de production que les agents de l’Etat

étaient jugés et payés. Les prestations à exiger des indigènes ne feront l’objet d’aucune

définition légale, l’important était qu’ils soient productifs. Si la contrainte et la répression

étaient prévues, les violences, elles, en principe, étaient évidemment proscrites (défendu). Le

Code pénal les punissait, et là justice était là pour veiller au respect du Code. La justice

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congolaise était loin d’être inactive, le problème résidait dans le fait que les effectifs étaient

ridiculement réduits par rapport à l’étendue du territoire qu’elle devait contrôler. L’agent, en

pratique, échappait donc dans la majorité des cas à toutes surveillance efficace de la justice.

Aux souffrances du travail forcé, s’ajoutaient celle dues aux méthodes de coercition, les

« sentinelles » (soldats détachés sur place) allaient beaucoup plus loin : dans les villages où

elles étaient placées, et où elles régnaient en despotes, elles maltraitaient (mains coupées) et

tuaient. Le Casement Report (du nom du consul britannique au Congo : Casement) dénonça

tout cela en septembre 1903. Ce tableau fort sombre ne doit cependant pas être appliqué en

bloc au Congo de Léopold II, ce serait une généralisation grossière. D’un point de vue

chronologique, le système d’exploitation domaniale ne fut introduit qu’à partir de 1891-1892

et dans certaines régions, de manières nettement plus tardive. Par la suite l’Etat limitera de

plus en plus strictement le recours aux moyens de coercition qui avaient engendré le plus de

violences(cela aura pour effet d’éliminer la plus grosse partie des abus).

D’un point de vue géographique, seules les zones riches en caoutchouc où le régime domanial

était appliqué, connurent ces années sombres. Le tableau doit donc souvent être nuancé, il ne

saurait l’être lorsque l’on évoque le cas particuliers des sociétés concessionnaires.

Particulièrement pour l’ABIR et l’ANVERSOISE, les agents de ces sociétés firent preuve d’une

conduite qui ne différa guerre de celles des « sentinelles » indigènes qu’ils employaient.

En gros nous pourrions dire que les hommes, quels qu’ils fussent, quelles que fussent leur

vertus ou leur déficiences, étaient tous dominés, écrasés par le système, qui exerçait sur eux

une pression irrésistible. C’était le système qui fatalement devait engendrer de graves abus.

Après l’annexion à la Belgique, en 1908, le travail forcé fut supprimé. La situation des

indigènes s’améliora très rapidement alors que, c’était l’ancien personnel de l’Etat

Indépendant qui était demeuré en place ; mais il avait échappé à l’engrenage du système.

4) L’Etat du Congo nous offre aussi le spectacle unique d’un pays d’outre-mer pauvre

dont une partie des ressources publiques va être mise à la disposition d’un pays

européen riche. Le Congo apportera ainsi une contribution financière au pays

considéré comme sa métropole virtuelle : la Belgique.

Dans le régime colonial tel qu’il est pratiqué à la fin du XIXe siècle, ce que l’on considère

désormais comme inadmissible est que la métropole tente de tirer des avantages financiers

directs. Un accord pratiquement unanime s’est fait sur l’idée que les finances coloniales

doivent être gérées dans le seul intérêt des colonies elles-même. Seul l’Etat du Congo, en son

temps, a rompu cet accord. L’Etat du Congo aurait sombrer si une sorte de miracle ne s’était

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produit : le miracle du caoutchouc. Lorsque cette richesse se révéla, la manière rigoureuse

dont les récoltes étaient organisées fit que la production, en un temps très bref monta en

flèche. L’Etat grâce au régime domanial était le principal bénéficiaire de cette manne (en

1890 : l’Etat avait tiré de son domaine environ 150 000 francs, en 1901 : il en tira 18

millions). Grâce aux ressources domaniales, grâce aussi aux ressources de l’emprunt, le

Congo va disposer bientôt d’excédent budgétaires et c’est en Belgique et au profit de la

Belgique, que, systématiquement, à partir de 1900, Léopold II va les utiliser. Une grandiose

politique de travaux publics et d’urbanisme va être entreprise sur le sol belge, aux frais du

Congo ; la construction de l’Arcade du 50aire, le musée de Tervuren…Cette transfusion de

ressources du Congo à la Belgique prend même dès 1901, une forme institutionnelle. Un

organisme spécial sera créer en 1901, la célèbre Fondation de la Couronne.

5) Dernière caractéristique frappante de l’Etat du Congo, est que l’on peut dire que,

tant dans sa genèse que dans sa politique d’extension, il a représenté l’impérialisme à

l’état pur.

Dans la grande ruée européenne sur l’Afrique à la fin du XIXe siècle, l’esprit impérialiste est

partout présent, on trouve aussi des raisons particulières qui ont poussé à l’occupation de tel

territoire ou à la conquête de tel autre. Dans le cas de l’Etat du Congo, rien n’a guidé

l’impérialisme, il a agi à l’Etat pure en tant que tel. Le seul moteur de l’action est la « voracité

territoriale », elle n’est pas aveugle, elle ne s’inspire de rien d’autre que de la valeur politique

ou économique de ce qu’il lui est possible d’absorber ou d’atteindre ; ses seuls principes sont

des principes de voracité. Le Roi cherche à s’étendre au maximum. Léopold II persistera (et

cela jusqu’à la fin de l’Etat indépendant) sa poussée en direction du Nil.

Quelques étapes essentielles :

En 1890 : grâce à l’aide financière apportée par au Congo par la Belgique, Léopold II

organise et dirige vers le Nil la plus grosse expédition qu’il ait montée jusqu’alors en

Afrique : l’expédition Van Kerckhoven.

Dès 1892 : l’expédition atteint le Haut-Nil

En 1894 : l’Angleterre accepte l’occupation du Soudan méridional par Léopold II, elle

conclut un traité par lequel elle lui accorde à bail, tout le sud du bassin du Nil, au sud

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du 10ième degré de latitude. L’avantage que l’Angleterre en retire est que ce

« locataire » écartera du Haut-Nil un compétiteur beaucoup plus redoutable qui est la

France. Mais la France va forcer Léopold II à renoncer au bénéfice de son accord avec

l’Angleterre.

En août 1894 : Léopold II s’engage à renoncer à toute occupation du territoire qui lui a

été donné à bail et ne garde le droit d’occuper que la partie la plus méridionale du bail,

à savoir l’enclave de Lado.

En 1896 : on assiste à une concentration dans l’est du Congo à une expédition qui est

sans doute la plus considérable que l’Afrique centrale ait jamais connue eu XIXe

siècle. Cette expédition est placée sous la direction de Dhanis, et a pour objectif

officiel l’enclave de Lado, objectif parfaitement légitime, car le Roi a gardé le droit de

l’occuper. Mais l’objectif véritable de cette expédition, planter sur les bords du Nil (au

nord du parallèle de Fashoda en direction de Khartoum) le drapeau congolais. Les

ambitions de Léopold II ne s’arrêteront d’ailleurs pas à Khartoum, au delà de

Khartoum il y a l’Erythrée. Il mena même des négociations secrètes avec le

gouvernement italien, à qui il offre de reprendre l’Erythrée à bail. Des rives du Congo,

l’Empire africain de Léopold II s’étendrait ainsi jusqu’à la mer Rouge. La réalisation

de ces projets grandioses dépendait du succès de l’expédition de Dhanis. Ils vont

s’écrouler lorsque l’expédition elle-même va s’effondrer.

Les caractères originaux de l’Etat indépendant du Congo : recherche d’une explication

1) Pour l’organisation politique de l’Etat on peut être fort bref : Léopold II seul est

ici en cause.

Sa mentalité de chef d’entreprise se combinait d’ailleurs en l’occurrence avec son idéal

patriotique. Le Roi au Congo, avait travaillé en songeant constamment aux intérêts de son

pays.

2) L’instauration du régime domanial porte aussi la marque personnelle de Léopold

II.

Léopold II n’a ni convictions doctrinales, ni scrupules juridiques. Il a pour soutenir sa théorie

du domaine, obtenu des consultations de plusieurs juristes éminents ; sa conscience est en

paix. Il aperçoit les avantages financiers immédiats que l’Etat tirera de l’application du régime

domanial, il considère ces avantages comme plus importants que les principes. Le souverain a

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donc seul et en dépit de l’opposition qu’il rencontrait de toutes parts conçu et imposé la

politique domaniale.

3) Le régime d’exploitation à outrance auquel ont été soumises les populations

congolaises résulte à la fois d’un ordre, et de son exécution. L’ordre a été celui,

venu d’en haut, de pousser l’exploitation au maximum ; les moyens permettant

d’atteindre cet objectif ont été ensuite mis en oeuvre.

L’injonction initiale de est venue de Léopold II personnellement, l’Etat devait tirer de son

domaine le maximum de profit. Lorsque les premiers accusateurs se sont levés pour dénoncer

les abus commis dans le traitement des indigènes, le Roi en a été violemment ému, « nous

sommes mis au ban de la civilisation », « je suis las d’être souillé de sang et de boue » disait-

il. Le Roi réitère des ordres stricts : les cruautés à l’égard des indigènes doivent être

sévèrement réprimées. En réalité c’est l’administration qui est la maîtresse du jeu. Elle a

élaboré un système, et elle s’y tient. Elle se refuse à admettre que le système par lui même

sois générateur d’abus ; l’admettre serait reconnaître sa propre faute. Elle mesure aussi les

dangers qu’il y aurait à affaiblir le système, en l’amendant ; car un affaiblissement de la

pression exercée sur les indigènes signifierait nécessairement une diminution des recettes, et

dans ce cas, elle le sait, c’est bien plus qu’un orage qu’elle aurait à subir de la part du Roi.

4) D’une influence du milieu il n’est pas question, par contre, dans la politique

d’utilisation des ressources du Congo au profit de la Belgique ; nous retrouvons à

nouveau ici, Léopold II tout seul.

C’est la pensée la plus ancienne du Roi, et à laquelle il est demeuré le plus invariablement

attaché. Dans sa jeunesse, le Roi avait été un admirateur passionné du système hollandais. Ce

système faisait passer chaque année dans les caisses de l’Etat hollandais d’abondantes

ressources provenant des colonies. À l’extrême fin du XIXe siècle, le Congo devient, à

l’instar du Java de sa jeunesse, un pays où l’on peut tirer des ressources considérables, sans

hésitation le Roi va en faire apport à la Belgique sous forme de constructions monumentales.

Le Congo selon le Roi apportera sa « juste contribution à l’embellissement de notre

territoire ». « Juste participation », ces mots sont révélateurs. Ils nous montrent que Léopold II

n’est pas seulement un bâtisseur enivré, ni un patriote qui songe à enrichir son pays, il est

aussi profondément convaincu de la légitimité de la politique qu’il mène. Aux yeux du Roi,

un pays qui apporte dans une contrée nouvelle sa civilisation, son travail, ses capitaux, a

droit à une « légitime compensation ». La Fondation de la Couronne constituait, au terme de

sa vie, la concrétisation de ses rêves de toujours.

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5) Nous avons parlé, à propos du Congo, d’Etat impérialiste. Mais l’Etat n’est ici

qu’un instrument. L’impérialisme est tout entier, une fois encore dans le cerveau

d’un homme.

Le point de vue économique, chez Léopold II, est fondamental : il n’y a pas de doute pour lui

qu’une possession d’outre-mer, si elle est bien gérée, ne doive toujours être profitable. À force

d’admirer Java et les Indes Néerlandaises, qui avaient été la source de ses premiers

éblouissements, à force d’étudier le bilan des colonies qui avaient réussi, le Roi, très jeune,

en était venu à la conviction que toute colonie est économiquement bonne. Cette

conviction ne le quittera jamais, et elle guidera toute son action. La flamme chez Léopold II ,

n’aurait pas eut cette ardeur, si à côté, des intérêts et des ambitions économique, elle ne s’était

nourrie d’autre éléments : la vision et le rêve. Le Congo et l’Afrique n’ont pas été le seul

champ des ambitions de Léopold II. C’est sur le monde entier qu’il a les yeux fixés, cherchant

l’occasion à saisir. Presque toutes ses tentatives, en dehors de l’Afrique, ont avorté, mais sa

quête n’en a pas moins été incessante. L’Afrique centrale, néanmoins, demeure au cœur de ses

préoccupations. Nous disons l’Afrique centrale, et non le Congo. À certains moments dans

l’esprit du Roi, le Nil a eut nettement la priorité sur le Congo. Le Nil exerçait sur lui une

véritable fascination. La politique du Nil permet d’apercevoir fort bien combien

l’impérialisme du Roi constitue la politique d’un homme seul ( en effet personne dans

l’entourage du Roi ne l’encouragea dans une poussée aventureuse vers le Nil). Tous les

caractères originaux de l’Etat Indépendant nous ramènent invariablement, lorsqu’on cherche à

en éclairer l’origine, au Souverain de l’Etat. L’influence du milieu africain, en tout cela, est

presque nulle. Il n’y a pas d’autre exemple, du moins dans les temps contemporains, d’un Etat

dont l’histoire se soit autant identifiée avec le portrait d’un homme.

L’annexion du Congo par la Belgique et ses conséquences

C’est le 15 novembre, que l’Etat indépendant fut annexé par la Belgique, et devint ainsi une

colonie belge. Quels sont les raisons pour lesquelles la Belgique l’a décidée ? La reprise par la

Belgique lui a été imposée par une pression extérieure. Les deux éléments essentiels, à

l’origine de la reprise sont :

1. la virulence croissante de la campagne anti-congolaise.

2. la prise de conscience par l’opinion belge de la gravité de la situation au Congo.

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Les Belges, dans leur grande majorité, étaient restés extrêmement méfiants à l’égard de la

campagne anglaise, à laquelle ils attribuaient des mobiles intéressés. Ce qui ouvrira les yeux à

l’opinion publique belge fut le rapport déposé à la fin 1905, par une commission d’Enquête

internationale envoyée au Congo, cette commission d’enquête se voulait impartiale. Ce

rapport confirma ce que Casement et la Congo Reform Association avaient affirmé : les abus,

au Congo, étaient d’une extrême gravité. Ce rapport va faire naître dans les milieux

dirigeants belges, le sentiment qu’une réforme radicale du régime congolais s’impose, et que

seul la Belgique sera capable de l’opérer ; la reprise s’impose donc elle aussi. Lors de la

reprise du Congo par la Belgique, on pu observer un retour à l’orthodoxie coloniale.

Au régime politique unique en son genre de l’Etat Indépendant se substitue, en

1908, un régime colonial absolument classique. L’absolutisme royal, d’un seul

coup, est déraciné. Le Roi, au Congo, comme en Belgique, sera politiquement

irresponsable ; ses actes n’auront de valeur que pour autant qu’ils seront

contresignés par un ministre qui, seul, en portera la responsabilité. Les règles

de la monarchie constitutionnelle vaudront donc désormais au Congo comme

en Belgique. Le responsable de la politique coloniale sera désormais le

ministre des Colonies.

Entre 1910 et 1912, Jules Renkin (ministre des Colonies de l’époque),

supprimera le régime domanial successivement dans les différentes régions du

pays, rétablissant ainsi dans tout le Congo une pleine liberté commerciale.

Les mesures prisent consisteront à abandonner aux indigènes le droit de

récolter et de vendre à leur profit les produits naturel du domaine. Les récoltes

obligatoires au profit de l’Etat étaient supprimées.

Cinq ans après l’annexion : la suppression du travail forcé, et les efforts

déterminés des autorités belges pour éliminer les abus, ont abouti à une

situation normale.

Léopold II aurait voulu qu’au moment de la reprise, la Fondation de la

Couronne fût maintenue, il ne se trouvait pas de majorité parlementaire, en

Belgique, pour accepter un pareil système de transfusions des ressources de la

colonie à la métropole. Léopold II devra se résigner, en 1908, à ce que la

Fondation de la Couronne disparaisse. Dans le régime colonial nouveau, à

partir de 1908, finances coloniales et finances métropolitaines seront

strictement séparées, selon les meilleurs règles de l’orthodoxie.

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La Belgique, après 1908, a le Congo et elle s’en satisfait pleinement. Elle ne

songe pas à acquérir quoi que ce soit d’autre. L’acquisition du Ruanda-Urundi,

après la Première Guerre Mondiale (est un mandat de la SDN) ne sera

nullement le résultat d’une volonté expansionniste. Ce sera un accident non

prémédité. Léopold II avait crée le Congo, un Congo à lui, la Belgique en a fait

une colonie classique.

CHAPITRE V   : Les accusations anglaises contre le Congo : E.D Morel, le

fondateur de la Congo Reform Association, et la Belgique.

Morel fût violemment attaqué en Belgique, c’était un polémiste ardent. Il fût jugé en Belgique

non pour ce qu’il était, mais d’après l’image que l’on se faisait de lui. Morel est apparu aux

yeux des Belges sous trois incarnations successives :

1. comme le protagoniste d’une campagne suspecte qui s’en prenait au Congo pour des

motifs intéressés.

2. comme un ennemi de la Belgique portant atteinte, de manière injurieuse, à son

honneur national.

3. comme un individu douteux ayant partie liée avec l’Allemagne.

La première image est le produit direct de l’hostilité avec laquelle les Belges on accueilli,

surtout à ses débuts, la campagne anglaise contre le Congo. L’année cruciale, est 1903, c’est à

ce moment que l’opinion belge a eut la révélation de l’ampleur qu’avait prise une campagne

dont presque personne, dont presque personne jusqu’alors n’avait saisit l’importance. Ce que

chacun connaissais c’était le caractère dévorant de l’impérialisme britannique ; c’est cet

impérialisme, conclut-on, qui se manifeste. Si l’opinion belge se braque aussitôt de la sorte,

c’est avant tout, à cause du souvenir très proche et aigu de la guerre des Boers. Dans la

question d’Afrique du Sud, les Belges avaient épousé avec enthousiasme, la cause des

vaillants petits Boers. Après avoir attaqué les Boers pour les dépouiller de leur richesses, les

Anglais s’en prenaient maintenant au Congo. D’emblée donc, l’on va attribuer à la campagne

anglaise des mobiles intéressés. Le grand leader libéral Paul Janson traduit une opinion

presque générale lorsqu’il s’écrie en juillet 1903 dans un discours à la Chambre : « Je ne puis

admettre que l’Etat du Congo soit mis spécialement en suspicion. Je ne puis m’associer à une

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campagne dont le dernier mot semble être : Ôte-toi de là que je m’y mette ». Paul Janson et la

Gazette (journal honnête et indépendant) changeront d’opinion par la suite lorsque leurs yeux

s’ouvriront à la réalité des abus congolais, dans le grand public, l’idée simpliste de la

convoitise britannique restera longtemps ancrée. Une campagne comme celle-ci, devait avoir

un centre, d’où partait l’impulsion, et qui était aussi le centre des pensées de convoitise. Ce

centre fut vite connu et dénoncé par la plupart des journaux belges : c’était le groupe des

«   marchands de Liverpool   » avaient de toute évidence, juré la perte du Congo. Les mobiles,

comme aussi les desseins, des « marchands de Liverpool » paraissaient d’autant plus sinistres

qu’ils demeuraient-et pour cause-mal définis. Mais tout le monde parlait d’eux : c’est que leur

rôle devait être grand. C’est à propos des « marchands de Liverpool » que Morel entre en

scène. Il est clair en effet que si l’attention de ceux qui cherchaient à découvrir les instigateurs

de la campagne anglaise se concentra sur Liverpool, ce fut dans une large mesure à cause de

Morel. Il avait joué un rôle déterminant dans la campagne de protestation contre le régime

commercial du Congo français, et il était par ailleurs le polémiste en question, cumulant le

rôle de critique le plus âpre de l’Etat indépendant, avec celui de directeur d’un organe qu’il

avait fondé, et destiné au commerce ; le West African Mail. Morel apparaîtra en Belgique

comme l’instrument et comme le porte-parole des redoutables individus de Liverpool.

Progressivement, en Belgique, la vision que l’on avait de la campagne anglaise devint un peu

plus nuancée à mesure que le voile se levait sur la situation réelle au Congo, et que des

sources non suspectes, comme le rapport de la Commission d’Enquête publié à la fin de 1905,

apportaient la révélation des abus commis et de leur gravité. Il faut également mettre en

évidence le fait que la position officielle de l’Angleterre, depuis 1905, à l’instar de la position

officielle de la Congo Reform Association, consistait à recommander l’annexion du Congo,

par la Belgique (ce qui ne semblait en fin de compte pas indiquer une volonté directe de

spoliation). Morel en tant que leader de la Congo Reform Association, est resté jusqu’à

l’annexion du Congo sous le coup de suspicions. Comment savoir, lorsqu’on voyait Morel

fonder un organe commercial comme la West African Mail ; que l’on avait affaire à un

homme d’affaire d’une farouche indépendance d’esprit, qui s’était voué à une cause et luttait

pour elle sans considérations pour ses intérêts matériels ? Le malentendu, au départ, pouvait

donc se produire assez aisément. S’il a persisté, c’est essentiellement pour une double raison :

Par la suite de la médiocrité de l’information, dans l’opinion et surtout dans la

presse, au sujet de l’Angleterre.

Par suite de l’intoxication organisée par l’Etat Indépendant du Congo.

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Des antidotes à cette intoxication, il y en eut, mais d’une efficacité limitée. Le journal

socialiste Le Peuple qui au début cédait à l’ambiance générale, avait eut quelques mots fort

durs pour les Anglais, par la suite il affiche sous l’influence d’Emile Vandervelde une nette

sympathie pour la campagne anglaise. Le gouvernement belge lui même, n’avait pas une vue

beaucoup plus juste que celle du grand public. Ses informations d’ailleurs, n’étaient guère

meilleures.

C’est à une nouvelle flambée d’hostilité contre Morel et la Congo Reform Association que

l’on va assister au lendemain de l’annexion. Pour comprendre il faut nous représenter une fois

de plus la psychologie des Belges. Ils ont repris le Congo des mains de Léopold II, qui n’y

jouera plus désormais que le rôle d’un monarque constitutionnel. La Belgique est un pays

démocratique et libre, qui a le sentiment de pouvoir être donné en modèle. Les Belges ont

aussi le sentiment d’être un peuple civilisé. Gouverner par eux, le Congo sera donc bien

gouverné. La Belgique a promis de manière formelle qu’elle procèderait à toutes les réformes

nécessaires : cet engagement sera tenu, puisqu’il est l’engagement d’un pays honnête, et qui

tiendra parole. Après 1908, les dirigeants de la campagne anglaise continueront à agiter

l’opinion en soutenant que la Belgique ne remplit pas ses obligations. Cela soulèvera en

Belgique les plus vive indignation : les Belges, qui n’admettent pas que l’on puisse douter de

leurs intentions, se sentent atteints dans leur honneur national. La seconde image de Morel

apparaît ici, image qui est celle d’un ennemi de la Belgique, et qui l’outrage. Après cette

nouvelle période de tension, l’apaisement peu à peu se fit. Morel, progressivement, fut amené

à reconnaître que les réformes opérées par la Belgique avaient un caractère sérieux. En 1913,

la Congo Reform Association, considérant que ses objectifs essentiels étaient atteints, décide

de se dissoudre. La troisième image de Morel vient du fait que pendant la guerre cet ancien

adversaire de la Belgique allait se montrer germanophile. Cette germanophilie de l’ancien

secrétaire de la Congo Reform Association incitait à des réflexions rétrospectives : Morel

n’avait-il pas déjà, à l’époque où il menait sa campagne anti-congolaise agi dans l’intérêt de

l’Allemagne ? En Angleterre ces accusations extravagantes prirent fin avec la guerre elle-

même : après 1918, le crédit de Morel se rétablit rapidement. Mais en Belgique, la légende,

une fois lancée, ne mourut pas. Le mythe de Morel et Casement, dans sa phase initiale, eut un

caractère assez riche et fleuri : certains auteurs firent des efforts d’imagination pour

reconstituer le ténébreux complot dont Morel et Casement avaient été les instruments. Très

vite il y eut une simplification : on retint moins la thèse du complot que celle du caractère taré

des deux héros. La guerre avait montré ce qu’ils valaient du point de vue moral, et par

conséquent ce qu’avait dût valoir leur campagne. La Belgique avait été calomniée par « deux

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tristes personnages ». C’est sous cette forme simplifiée, schématique, que le mythe allait

finalement s’imposer. Il aura une très longue vie. L’élément essentiel du mythe, est l’infamie,

l’ignominie morale de Morel et Casement. Quant à savoir quels étaient les tireurs de ficelles

dans la campagne anti-congolaise, on citera de moins en moins l’Allemagne, et on reviendra

de plus en plus aux vieux coupables bien connus : les marchands de Liverpool. Le thème

ancien et traditionnel des marchands de Liverpool opérera ainsi sa jonction avec le mythe de

Morel et Casement. La courbe de l’impopularité posthume de Morel a été très largement

fonction de la courbe de la gloire posthume de Léopold II. En 1909, au moment où le Roi

mourut son prestige était tombé au plus bas, 15 ans plus tard tout cela fût balayé et oublié.

Dans le ciel belge montait désormais, éblouissante, l’auréole de gloire du Grand Roi, du

prodigieux créateur du Congo. Ceux là même qui en Belgique avaient été parmi les critiques

les plus impitoyables, du régime léopoldien, se laissaient prendre par la grandeur de l’homme,

et ne voulaient plus voir qu’elle. Cette élévation du Souverain devait obligatoirement amener

l’abaissement de ses adversaires. Les étrangers qui le critiquaient n’avaient pu être que des

esprits malveillants, inspirés par de mobiles douteux. Les Belges, faute de savoir ce qu’était sa

véritable personnalité, ont été fort peu équitables pour Morel. On peut se demander si Morel,

de son côté, a bien été équitable pour les Belges (autant de la métropole, que ceux qui au

Congo servaient l’entreprise coloniale). En 1897, Morel s’était montré fort bienveillant pour

les Belges et leur œuvre au Congo (ce Morel à l’époque est passé complètement inaperçu).

Morel donne en juillet 1897 à la Pall Mall Gazette un très curieux article, intitulé A word for

the congo state dans lequel il met l’accent sur le fait 1)qu’il importe de se garder de toute

généralisation abusive. 2) qu’il faut songer aux cas semblables qui existent dans d’autres pays.

3) qu’il faille tenir compte des conditions particulières expliquant pour une bonne part la

conduite de certains Blancs. Le climat, notamment, peut jouer un grand rôle. 4) que le

spectacle de certains crimes, ne peut faire oublier tout ce qui a été fait de grand, et qui mérite

d’être mis en relief. Ce texte du point de vue psychologique, est précieux. Il montre que, au

départ, chez le jeune Morel, en 1897 (il n’a que 20 ans) on trouve un préjugé nettement

favorable à la Belgique et au régime congolais. Les découvertes que Morel fera par la suite-et

surtout sa découverte essentielle : celle de la nature du système en vigueur au Congo-

provoqueront en lui un complet bouleversement. Sous l’emprise de l’indignation, Morel,

oubliera les saints principes de critique et de, jugement qu’il énonçait ci-dessus en 1897. Il

fera des généralisations à outrance…Il n’était plus question pour le Morel d’après 1900, de

faire ce qu’il recommandait en 1897, c’est à dire de peser, en regard du mal, le bien qu’avait

pu faire l’Etat du Congo. Morel se fera exclusivement un accusateur. L’adversaire par

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excellence de Morel, le Goliath avec lequel il s’est mesuré fut Léopold II, Morel ne comprit

pas grand chose à cet homme. Il a vu en lui un tyran méprisable cherchant à s’enrichir par

tous les moyens, et exploitant le Congo en vue d’accroître sa personal wealth. Le Léopold II

qui nous apparaît ç la lumière des textes que nous connaissons aujourd’hui, a bien été un des

hommes les plus étranger à l’esprit du lucre. Ses grandes pensées, lorsqu’il maniait l’argent

comme un instrument, étaient le plus souvent non pour lui-même, mais pour son pays. Le

Congo ne lui à rien rapporté personnellement. Il a tiré de l’argent du Congo, mais il l’a utilisé

presque exclusivement à enrichir le patrimoine national, sa hantise a été non sa propre fortune

mais l’ « embellissement » de son pays. Morel ne l’a pas compris, il faut dire que Léopold II

était fort difficile à comprendre. Là où les antipathies de Morel l’ont conduit à se tromper

gravement alors qu’il aurait pu voir clair, c’est lorsqu’il s’agit des Belges du Congo et de ceux

de la métropole. Morel a pris les Belges en horreur. Il voyait dans les passagers Belges en

partance pour le Congo, une humanité lamentable. Hors rappelons le ce n’était pas les

exécutant qui posait problème mais bien le système en place générateur de graves abus qui

était le grand coupable. En ce qui concerne ceux de la métropole, ce qui le révoltait le plus,

était de voir que tant de Belges, en dépit de tout ce qui avait été révélé eu sujet du Congo,

continuaient à rendre hommage à l’entreprise africaine de Léopold II. À ses yeux, celui qui

rendait hommage s’affirmait solidaire, et par conséquent complice. Les moyens utilisés par

Morel dans la lutte contre le régime en place sous Léopold II étaient ils loyaux ? La campagne

de Morel fut remarquablement propre et honnête. Il n’y eut pas, de sa part, de coup bas. Mais

il n’y eut pas non plus d’excès de délicatesse. La délicatesse de Morel s’est trouvée quelque

peu en défaut avec le fameux thème des « mains coupées ». Il y a eut des mains coupées au

Congo, à l’époque de l’Etat indépendant. Les témoignages sur ce point sont multiples et

concordants. Des officiers de la Force Publique, pour empêcher le gaspillage de munitions

auquel se laissaient volontiers aller leur soldats, ont exigé de ceux-ci qu’ils leur apportent la

preuve qu’ils avaient bien utilisé leur cartouches. La preuve, c’était la main coupée à l’ennemi

tué du coup de feu. Cette règle de discipline militaire fût bel et bien appliquée. La main

coupée, en principe, devait l’être à un ennemi mort. Bien entendu, il arrivait qu’un soldat,

pour faire plus vite, trancha la main à un blessé. Les mains coupées, on le notera, n’ont jamais

constitué une forme de châtiment. Morel en se livrant à des généralisations excessives, en

mettant l’accent comme ses amis et lui l’ont fait, sur le thème des mains coupées, ont fait

naître l’équivoque, qui finalement, s’est répandue et a duré jusqu’à nos jours : l’idée que

Léopold II faisait «   couper des mains   » au Congo, qu’il s’agissait là d’une torture infligée à la

population, et même de la torture la plus caractéristique du régime(en 1906 : Morel publia son

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livre le plus fameux, Red Rubber). Les Belges, devant le développement d’une telle légende,

ont pu à bon droit parler de calomnies et se sentir outragés. Morel n’était en aucune manière

l’auteur de la calomnie. Mais il n’a rien fait pour l’arrêter, Morel nous apparaît comme un

lutteur passionné qui a souvent manqué de compréhension et de mesure. Le critère d’après

lequel, somme toute, Morel mérite avant tout d’être jugé est celui de la réussite. Morel avait

vu, clairement qu’il y avait au Congo un mal effroyable à extirper. Il a réussi, au prix d’un

combat acharné, à faire en sorte qu’il soit extirpé. Son œuvre est là.

CHAPITRE VI   : Le rôle de la commission d’enquête de 1904-1905 au Congo

Les hommes qui, le 7 novembre 1904, tiennent séance à Bolobo, remplissent une haute

mission. Ils instruisent l’Etat Indépendant du Congo. L’Etat créé et dirigé par Léopold II a

subi dans les dernières années de violentes attaques. L’avocat général Edmond Janssens est le

« Grand juge » par excellence, Henri Grégoire fit notamment partie de cette commission

d’enquête, « en 1904-1905 déjà, il fut un de ces « grands juges » du Congo qui, soumis à une

foule de pressions, exposés aux suggestions du sentiment et de l’intérêt, demeurèrent sans

faiblir des « hommes de vérité » ». Sur le plan moral, leur œuvre eut également sa grandeur.

L’indépendance dont fit preuve la Commission d’Enquête était la marque d’un courage moral

qui, comme celui des pionniers, mérite d’être donné en exemple. La commission d’enquête a

joué un rôle capital car elle a été à l’origine directe de la reprise du Congo par la Belgique .

Deux fois déjà avant 1904, la question de la reprise de Congo par la Belgique avait été mise

sur le tapis. La première fois, en 1894-1895, le projet avait été poussé très loin : il s’était

concrétisé dans un traité de reprise en bonne et due forme signée entre la Belgique et l’Etat du

Congo. Mais ce traité pour entrer en application, requérait l’approbation du Parlement. La

seconde proposition de reprise datait de 1901, elle avait eut pour auteur Auguste Beernaert.

Dans l’échec de 1895, comme dans celui de 1901, un facteur commun avait joué : l’attitude

de Léopold II. Léopold II accepta l’annexion aussi longtemps qu’elle lui apparut comme le

seul moyen de sauver le Congo de sa détresse financière, il l’a repoussa dès que le Congo eut

trouvé dans ses ressources « domaniales » le moyen de se sauver lui-même. Au printemps

1895, le régime domanial inauguré quelques années plus tôt commençait enfin à porter ses

fruits ; le caoutchouc affluait en quantités de plus en plus considérables dans les entrepôts de

l’Etat et des grandes compagnies concessionnaires. Le Roi apercevait à nouveau la possibilité

de faire vivre le Congo par ses propres moyens, il rejetait l’annexion. La proposition de loi de

Beernaert, déposée en mai 1901, causa au Roi la plus vive irritation.

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L’opinion doctrinaire, l’opinion catholique, était au fond l’opinion de la Belgique dans son

ensemble. Elle était faite d’une tranquille satisfaction de l’ordre établi. Le Congo avait fort

inquiété les Belges à l’époque où l’Etat Indépendant et la Compagnie du Chemin de Fer

lançaient périodiquement des appels à l’aide. Cette ère était close. Les Belges étaient

désormais témoins de la prospérité grandissante de la colonie ; ils entendaient saluer le Congo

comme un des plus gros producteurs de caoutchouc du monde. Ils lisaient le bilan admirables

des grandes Compagnies concessionnaires : Le régime léopoldien appliqué au Congo leur

parût bien adapté à des « populations nègres ». Rien, vers 1903-1904, ne préparait l’annexion

du Congo à la Belgique. Ni dans les partis, ni dans l’opinion, il n’y avait de courant réel porté

en faveur d’une solution annexionniste. Le régime existant semblait promis à une longue vie.

C’est à ce moment que la Commission d’Enquête entra en scène. Léopold II ouvra le Congo

aux investigations d’une Commission d’Enquête sous la pression de l’Angleterre.

L’Angleterre avait publié en février 1904 un document provenant du consul Casement qui

avait visité le Congo au cours de l’été 1903, et en dressait un tableau fort sombre  ; il articulait

contre l’administration congolaise des charges dont la gravité ne pouvait échapper à personne.

En dépit du peu de valeur qu’il attachait aux assertions de Casement, le gouvernement

congolais se déclarait décidé à procéder à une enquête, de manière à ce qu’aucun abus réel ne

demeure impuni. Le gouvernement anglais « suggérait » que le Roi-Souverain nommât une

commission d’enquête spéciale, investie de pouvoirs très étendus, et qui serait constituée de

personne étrangères à l’administration congolaise. Dans un langage diplomatique ; Londres en

« suggérant » avait fait passer l’idée d’une demande pressante. Léopold II dût céder : un

décret du 23 juillet 1904 institua une Commission d’Enquête. Trois membres furent désignés

pour en faire partie : un Belge ; Edmond Janssens (avocat général à la Cour de Cassation), un

Italien ; le baron Nisco (président ad interim du tribunal d’appel de Boma) et un Suisse ; le Dr

de Schumacher (conseiller d’Etat, chef du département de la justice du canton de Lucerne). Le

tout accompagné d’un secrétaire-interprète : Henri Grégoire. Chez les Belges qui partirent,

l’esprit était le même, tous trois étaient ignorants des choses coloniales. Tous trois nourris de

la presse belge étaient persuadés que l’Angleterre déversait sur le Congo des calomnies. Ils

étaient persuadés que leur mission leur donnerait le moyen de rétablir la vérité et de confondre

les accusateurs d’outre-Manche. Ils ne partaient ni pour écraser l’Angleterre, ni pour servir le

Roi. Ils partaient pour enquêter. Leur séjour au Congo dura 4mois et ½. La seule chose qu’il

importe de souligner ici, c’est la manière exemplaire dont les enquêteur accomplirent leur

mission. Remplissant le rôle de magistrats, les enquêteurs n’apportaient pas seulement avec

eux l’appareil extérieur de la justice ; ils en apportaient aussi l’esprit, la conscience,

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l’honnêteté. Les investigations furent un peu courtes mais extrêmement soigneuses. La vérité

qui se faisait progressivement jour faisait souffrir : aucun n’essaya de s’en détourner. Cette

indépendance leur faisait subir le poids de la défaveur royale, pour le secrétaire-interprète

(Henri Grégoire) elle lui interdisait tout espoir d’un enseignement universitaire (le roi étant

celui qui nommait les professeurs). Le rapport de la commission d’enquête fut rendu

public au début de novembre 1905. Ils avaient voulu d’une part établir les faits qu’ils leur

avait été permis d’observer ; ils avaient essayer d’autre part de définir les mesures de réforme

qui leur paraissaient indispensables. Ces propositions de réformes, à l’époque furent vivement

critiquées, il faut dire que c’est la partie faible du rapport, faible car résultait d’un compromis

boiteux, surtout à cause du manque d’expérience coloniale des enquêteurs. Le point fort du

rapport est par contre : la constatation des faits, ici le peu d’expérience des commissaires en

matière coloniale importait beaucoup moins ; il s’effaçait devant la qualité de l’enquête. La

commission disait tout le bien qu’elle avait trouvé au Congo. Lorsqu’on fait involontairement

la comparaison entre l’Etat ancien, que l’on connaît par les récits ou les descriptions des

explorateurs, et l’Etat actuel, l’impression éprouvée tient de l’admiration, de

l’émerveillement. Aujourd’hui, la sécurité règne dans cet immense territoire, la traite a

disparu, les sacrifices humains deviennent rares. L’hommage que la Commission rendait à

l’œuvre réalisée par l’administration léopoldienne n’était pas le seul point du rapport dont

cette dernière eût à se réjouir. À une ou deux reprises, et notamment dans la fameuse question

des « mains coupées », les enquêteurs lavaient également l’Etat Indépendant de certaines

accusations dont il avait été l’objet. À côté de ces éléments positifs, il y avait la

constatation des abus. C’est par là que le rapport, évidemment, fit sensation. Le mot qui

venait spontanément aux lèvres en parlant du rapport était « réquisitoire » (texte accusant

quelqu'un en énumérant ses fautes). Le document était grave. L’opinion publique, cependant,

n’en saisit pas immédiatement l’importance, elle demeura calme, presque indifférente. La

Commission d’Enquête situait son exposé sur un plan général, sans faire mention de cas

particuliers. Le coup était porté et c’était, en réalité, un coup décisif. Chez les hommes

politiques, les universitaires et les avocats l’impression fut très grande. Les constatations de

l’enquête révélaient que les abus étaient plus nombreux et plus graves qu’on n’avait pu

imaginer. Elles révélaient surtout que les abus n’étaient pas seulement individuels, mais qu’ils

tenaient au régime lui-même. Il y avait là matière à de graves réflexions. La divulgation des

résultats de l’enquête eut un effet décisif : grâce à elle, la critique du régime léopoldien entra

dans une phase nouvelle. Avant l’apparition du rapport, les témoignages à charge du régime

léopoldien étaient pratiquement tous des témoignages étrangers ; leur origines seule suffisait à

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les faire récuser. La Commission d’Enquête, pour la première, apportait au dossier une pièce

d’origine non-suspecte. Début février 1906 paraissait un ouvrage qui allait avoir un

retentissement considérable et provoquera des discussions passionnées : l’Etude sur la

situation de l’Etat Indépendant du Congo de Félicien Cattier. Cattier était un spécialiste du

droit colonial, l’auteur n’apercevra qu’un moyen pour que cet état de choses prennent fin : la

reprise du Congo par la Belgique. Le grand mot prononcé, les vices du régimes ayant été

démontrés, un remède radical s’impose, qui ne peut être que l’annexion. On accusa l’auteur

d’avoir fermé les yeux à tout ce qui dans l’œuvre léopoldienne, méritait le respect et

l’admiration. Le projet de loi du 7 août 1901, projet de la future Loi coloniale belge, b’était

pas la reprise, mais il en était la préparation immédiate. La Chambre, constatant au Congo une

situation grave, entendait préparer l’application éventuelle du remède le plus sûr : l’annexion

de la colonie. On rejoignait la pensée de Félicien Cattier. Par le fait même qu’il laissait

présager l’annexion, l’ordre du jour ainsi proposé était de nature à déplaire au Roi. Le

gouvernement tout dévoué à Léopold II et à sa politique, eût volontiers opté pour un autre

texte mais l’attitude d’une partie importante de la majorité lui faisait prévoire que s’il

n’acceptait pas l’ordre du jour, la Chambre s’y rallierait peut être « malgré lui et même contre

lui ». L’ordre du jour reçut l’approbation du gouvernement et il fut dès lors adopté sans

difficulté. Léopold II en ressentit un vif mécontentement, la reprise était en marche.

CHAPITRE VII   : Vers la reprise du Congo par la Belgique : La décision

C’est le 15 novembre 1908 que l’Etat Indépendant du Congo, fondé par Léopold II, est

devenu une colonie belge. Il s’agit ici de l’aboutissement d’un long processus, fait à la fois de

négociations difficiles et de longues discussions parlementaires. Pour qu’il y eût décision, au

sens politique du terme, il fallait l’accord de trois volontés : celle du roi des Belges, celles du

gouvernement belge, et celle de du souverain de l’Etat Indépendant du Congo. La situation

avait cette particularité curieuse que le roi des Belges et le souverain du Congo ne faisait

qu’un. Quand Léopold II s’est-il rallié à l’annexion du Congo par la Belgique ? Le

déroulement des faits fût fort rapide : tout c’est joué en une huitaine de jours à peine, en

décembre 1906, entre le 4 et le 13 décembre. Le Roi ne voulait pas de l’annexion, il

entendait rester maître du Congo, il affirmait avec hauteur : « mes droits sur le Congo sont

sans partage ». Le coup de barre est venu du ministre de Affaires étrangères, le baron de

Favereau. Très dévoué à Léopold II ; il lui avait prêté un concours actif dans les grandes

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affaires intéressante le pays, et spécialement dans les affaires chinoises. Certains le

comme une simple créature du Roi. Il ne l’était pas, devant Léopold II, il savait quand il le

fallait, ne pas plier, ou manifester son point de vue personnel. C’est ce qu’il fera en novembre

1906. Favereau surveillait l’horizon international (pour le Congo, celui-ci était très sombre).

Le ciel était surtout sombre du côté de l’Angleterre. Le gouvernement anglais, sans se joindre

officiellement à l’ardente campagne menée par Morel, avait manifesté, au sujet du Congo, ses

vives préoccupations. Dès 1903, il s’était adressé aux autres puissances pour envisager avec

elles une éventuelle action commune. En avril 1906, le ministre des Affaires étrangères, sir

Edward Grey avait pris une position nette : il s’était prononcé devant la Chambre des

Communes en faveur de la reprise de l’Etat Indépendant par la Belgique, en faveur donc de la

« solution belge ». Selon lui, on ne pouvait espérer guère d’amélioration tant que l’autorité

actuelle du Congo demeurait en place. Le baron de Favereau avait donc de sérieuses raisons

d’être inquiet. De Berlin lui parvient une dépêche du ministre de Belgique, le baron Greindl,

qui lui signale que, d’après les informations recueillies, « si l’Angleterre remet sur le tapis la

question internationale du Congo, l’Allemagne n’en serait pas surprise et ne serait pas d’un

autre avis que l’Angleterre. Ensuite parvient une information de Washington affirmant, de

source sûre que le président Roosevelt serait prêt à « prendre en considération », s’il était saisi

d’une demande, la réunion d’une conférence « concernant le bien des indigènes de

l’Afrique ». Aux yeux de Favereau, le péril est donc bien réel, le 5 décembre une nouvelle

information inquiétante parvint cette fois ci de Paris, on ne pouvait plus non plus compter sur

l’appui de la France. Le 5 décembre, de Smet de Nayer (chef de cabinet de l’époque),

Favereau et Van den Heuvel sont donc d’accord pour demander au Roi une reprise rapide. On

peut dire que ce jour là, la décision du gouvernement fut prise. Ces trois hommes constituaient

le noyau de la politique du gouvernement, leur résolution valait donc pour le cabinet. «  Je

n’ai pas d’objection à ce que la déclaration soit faite », voilà les paroles du Roi, on a vraiment

le sentiment qu’il laisse aller son gouvernement, mais que quant à lui, il reste réservé et

surtout amer. Le 13 décembre, le Roi demande soudainement la discussion de la reprise pour

la rentrée de Janvier. Léopold II à cette fois belle et bien prise se décision, et il veut aller vite.

« L’annexion doit être réalisé tout de suite » dit t’il, le 19 décembre, le Roi remit à ses

ministres les pièces relatives à la cession de l’Etat Indépendant, traité compris. Que c’est il

passé qui explique, après la résolution du gouvernement, celle du Roi ? Le Roi avait vu

diverses personnes, il avait acquis la certitude que la situation devenait mauvaise pour le

Congo. En réalité, entre le 6 et le 12 décembre, il s’était passé autre chose encore, que le Roi a

dû considérer comme particulièrement grave : ses lignes de défense aux U.S.A avaient été

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profondément entamées. Léopold II avait toujours attribué une grande importance aux

bonnes dispositions de l’opinion et des autorités américaines à son égard. Les efforts du Roi

s’étaient aussi dirigés du côté des financiers américains : l’American Congo Company et la

Forminière. Vers fin novembre 1906 de sérieuses inquiétudes s’installèrent chez Léopold II :

la campagne des amis de la Congo Reform Association aux U.S.A paraissait gagner du terrain.

Le sénateur Lodge venait de déposer une motion assurant le président Roosevelt de l’appui

cordial du Sénat pour toutes les mesures qu’il jugerait utile de prendre en vue de

l’amélioration de la situation de l’Etat Indépendant du Congo, et du redressement des maux y

existant, cela constituait pour le Roi un coup redoutable. Au même moment un autre coup

s’abattait sur lui : le jour même où le sénateur déposait sa motion, un journal à sensation de

la presse Hearst, le New York American entamait la publication d’un dossier relatif aux

activités du colonel Kowalsky, qui avait été un des principaux agents du Roi aux U.S.A, le

dossier présentait un caractère scandaleux. La résolution Lodge, il faut le répéter, tout comme

la publication du dossier Kowalsky, est du 10 décembre : on peut voir que c’est là une cause

déterminante du coup de barre, que immédiatement après, Léopold II décide de donner à sa

politique. En ce mois de décembre 1906, c’est la considération du danger extérieur qui dicte,

au gouvernement d’abord, au Roi ensuite, leur décision de faire l’annexion. Celle-ci (qui sera

d’ailleurs laborieuse) ne se réalisera que près de 2 ans plus tard. Long délai causé par

2problèmes : a) l’élaboration de la Charte coloniale et b) la lutte acharnée du Roi pour obtenir

le maintien, au delà de l’annexion, de la Fondation de la Couronne. Mais en gros nous

pouvons dire que tout était déjà joué en décembre 1906.

CHAPITRE VIII   : La Belgique et le Congo : Politique coloniale et

décolonisation

Ici nous allons analysé, la politique menée par la Belgique en Afrique centrale. La politique

belge au Congo est passée par deux phases :

La première phase a duré jusqu’aux approches de 1960, et a été marquée par une

extraordinaire stabilité. politique coloniale stable

La deuxième phase, fut fort brève et pourrait être qualifiée de révolutionnaire. une

décolonisation révolutionnaire

Une politique coloniale stable   :

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Le Congo est devenu colonie belge en 1908. Durant le demi-siècle qui a suivi, il a suivi des

transformations souvent profondes. Mais les institutions coloniales et le principe directeur de

la politique belge ont gardé, en gros le même visage.

Le premier élément le plus visible est : la stabilité institutionnelle.

L’organisation politique de la colonie fut fixée, en 1908, par une loi que l’on a appelé

communément la Charte coloniale. Le système instauré par la Charte est caractérisé par une

extrême centralisation. En 1908, il n’était pas possible de faire autre chose que de la

centralisation. On sortait de la période de l’Etat Indépendant, c’est-à-dire de l’absolutisme de

Léopold II. Les seuls organes auxquels ont pût se fier pour exercer un contrôle étaient des

organes métropolitains. Un rôle considérable fut donc accordé aux Chambres ainsi qu’à un

Conseil colonial, siégeant Bruxelles, et qui devait examiner tous les projets d’actes législatifs

relatifs à la colonie. On avait confié des pouvoirs décentralisés aux autorités locales du

Congo. Pour que la surveillance fut efficace, il fallait que les organes moteurs de la politique

coloniale fussent aussi à Bruxelles. Le pouvoir fut concentré au ministère des Colonies. Dans

un bon gouvernement colonial, une large initiative doit être laissée aux autorités locales,

mais toute tentative de décentralisation butait contre la Charte coloniale. La Charte avait

instauré un système cohérent, où tout se tenait. Il n’y avait pas moyen d’enlever une pierre à

l’édifice sans risquer l’effondrement. On ne pouvait donc en fait, décentraliser en apportant de

simples retouches à la Charte. Pour décentraliser, il fallait modifier l’ensemble du système

mis en place en 1908. Le maintient de la centralisation politique à Bruxelles eut, pour le

destin du Congo, des conséquences majeures, l’optique métropolitaine prévalut souvent sur

l’optique coloniale. Le Congo-et ce fut là un élément capital de son destin-atteignit le stade de

la décolonisation sans qu’une seule parcelle du pouvoir, au sens propre du mot, eût été cédée

aux colons européens. Dans le processus de décolonisation, le poids politique des colons, dès

lors, fut presque nul. À coté de la stabilité des institutions, celles des idées. Durant près d’un

demi-siècle, les idées maîtresses qui guidaient la politique coloniale belge sont restées les

mêmes. Tout le monde, pratiquement était d’accord sur ce qu’il fallait faire au Congo : il

fallait y réaliser une œuvre :- nationale

- de civilisation

- de mise en valeur

L’œuvre nationale  : le « Congo belge » appartenait à la Belgique. Ses affaires ne

concernaient donc que les Belges. Tous les Belges s’accordaient sur ce point ; le

gouvernement du Congo était du ressort exclusif de la Belgique. Ce désir foncier qui,

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même lorsqu’il ne s’exprimait pas ouvertement, sous-tendait toute la politique belge,

apparaît clairement dans de multiples domaines. Il a été frappant dans le domaine :

a)de l’évangélisation   : Léopold II avait ouvert la voie, systématiquement le souverain de

l’Etat Indépendant essaya d’obtenir des différentes ordres religieux belges qu’ils se chargent

de tâches missionnaires ; il y réussit souvent. La Belgique reprit cette politique et lui donna

même un caractère plus net. Elle établit, en effet officiellement, une distinction entre les

« missions nationales » et les « missions étrangères ». Les premières bénéficièrent, du point

de vue des subsides , d’un traitement nettement privilégié ; elles seules touchaient des

subsides pour l’enseignement. Toutes les missions catholiques sans exception se trouvaient

être des « missions nationales » et toutes les missions protestantes quant à elles étaient des

« missions étrangères ». L’idée nationale, la préoccupation nationale dominait : il fallait

favoriser ceux qui répandait chez les indigènes l’influence belge. C’est seulement en 1946

qu’un ministre des Colonies appartenant au parti libéral modifia cette politique et accorda à

toutes les missions des subsides identiques.

b) de l’économie   : Il fallait que tant en ce qui concerne les homme qu’en ce qui concerne les

capitaux, le développement économique du Congo demeure essentiellement entre les mains

des Belges. La politique d’encouragement à la colonisation blanche a été à cet égard très

caractéristique. La Belgique voulait que l’immigration au Congo demeure une

immigration de qualité, de manière à éviter que ne se pose un jour le problème des poor

whites, des blancs pauvres, qui entraîne fatalement des tensions raciales. Par deux fois la

colonisation a reçu un coup de fouet, a été accélérée : c’est que l’on voulait des Belges,

rapidement, pour éviter que les étrangers ne prennent une place prépondérante dans une partie

de la colonie. Peu avant la guerre de 1914, on eut des craintes sujet du Katanga, où

s’installèrent de nombreux immigrants venus du Sud, et donc l’influence anglo-saxonne

risquait de s’étendre ; la colonisation belge au Katanga, servit aussitôt de riposte. Des colons

étrangers, notamment des Italiens, au Kivu, avaient créé de fort belles plantations. En ce qui

concerne les capitaux étrangers, la Belgique s’écarta plutôt de la voie qui avait été tracée par

Léopold II, le Roi croyait à la vertu de l’association, dans les grandes sociétés coloniales, des

capitaux belges et étrangers. Cette associations lui paraissait fournir des avantages

multiples :économiques, l’association donnait aux sociétés des assises plus larges et

permettait aux dirigeants belges de bénéficier de l’expérience, souvent plus ancienne de leurs

associés étrangers. Politique : l’association de capitaux étrangers permettait de se procurer

des alliés dans un pays étranger. Sous l’égide de Léopold II, des capitaux étrangers importants

s’investirent au Congo. La Belgique quant à elle recouru aux capitaux étranger que très

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rarement également dans un but exclusivement politique, devant la persistance, après

l’annexion, de la campagne menée en Angleterre contre le Congo. Egalement, à la toute fin de

la période coloniale, devant la vague montante de l’anticolonialisme, la Belgique, au Congo,

sentait ses positions menacées. L’alliance avec des milieux capitalistes étrangers et, à travers

eux, avec des pays étrangers, pouvait être précieuse. Nationalisme religieux, économique : il

faut ajouter à cela, le nationalisme agissant dont faisait montre l’administration belge au

Congo. Entre eux, les agents de l’administration et plus généralement les Belges du Congo

disaient souvent du mal de la métropole et de ses habitants, les « Belgicains » aux idées

étroites. Ils acquirent une conscience de groupe distincte, qui les éloignaient du groupe

métropolitains.

La politique Belge n’a jamais été une politique d’assimilation, tendant à fondre les

Congolais dans un moule belge. Ce à quoi l’on visait, c’était à attirer vers la Belgique

seule toute la fidélité et tout l’attachement sentimental des Congolais. Il y a bien donc

dans la politique belge ce désir de marquer le Congo et sa population d’une empreinte

nationale belge, et d’une empreinte autant que possible exclusivement belge.

L’œuvre de civilisation  : ici c’est assez banal, toutes les puissances coloniales, sans

exception, se sont assigné une tâche civilisatrice. Mais il est peu de cas où, autant

qu’au Congo, le colonisateur ait eut le sentiment qu’il apportait aux indigènes « la »

civilisation tout court. Au Congo, à tort ou à raison, les Belges n’ont jamais eut

l’impression de rencontrer dans aucune région du pays une civilisation digne de ce

nom, cohérente, coordonnée, caractérisée. Ils ont souvent, dans telle ou telle

communauté indigènes, trouvé tel ou tel trait qui leur paraissait digne d’estime, ils ont

souvent admiré telle ou telle réalisation artisanale, telle ou telle réussite artistique,

mais n’ont jamais eut le sentiment de se trouver devant une civilisation, dont ils

dussent tenir compte. Civiliser consistait à éliminer des sociétés indigènes le

cannibalisme, coutumes considérées comme barbares, ils se sont attachés à

améliorer les conditions morales et matérielles des indigènes. En matière médicale,

et en ce qui concerne de nombreux aspects du bien être indigène, les résultats atteints

par la Belgique ont été considérables. On constate aussi les succès de l’évangélisation.

Par contre on dénoncera les carences, insuffisances : le Congo, au moment de son

accession à l’indépendance, ne comptait en tout et pour tout que 16 diplômés

universitaires ! Certains disent que c’est à cause de cela que le Congo eut affaire à de

grosses difficultés lors de son indépendance. L’élévation du niveau de vie des

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Africains, en un demi-siècle, a eut un caractère spectaculaire, mais cette élévation n’a

pas suivi un rythme continu. Pendant longtemps les véritables bénéficiaires d’une

véritable transformation du niveau de vie n’ont été qu’une minorité. À partir de 1947-

1948 précisément, l’amélioration s’est considérablement accélérée, et le cercle des

bénéficiaires considérablement élargi. On a calculé que, de 1950 à 1957, la

« consommation indigènes » représentant l’ensemble des dépenses de consommation

des Africains, avait augmenté de 76%. Les populations rurales par contre accuseront

toujours un retard par rapport à la ville. Si l’on envisage le niveau de rémunérations et

le niveau de vie des Congolais par rapport à celui des Africains des autres colonies

tropicales, ont peut dire que les résultats obtenus par le régime belge étaient, dans

l’ensemble parmi les plus brillants d’Afrique. L’action médicale fut d’une

remarquable efficacité, le démarrage fut lent, et l’on avait même commencé non par

des succès, mais par des catastrophes. Le premier résultat de l’arrivé des Européens au

Congo, fut une chute considérable de la population. Depuis le début de l’occupation

européenne, la population du Congo avait sans doute été réduite de moitié. On a cru

parfois trouver la cause principale de cette dépopulation dans les abus dont les

indigènes furent victimes sous le régime de Léopold II, mais il n’en est rien, à

l’origine de la dépopulation se trouve avant tout la mortalité causée par différentes

maladies, le plus souvent épidémiques (la maladie du sommeil fut le fléau le plus

épouvantable). Là les colonisateurs européens furent directement responsable. Le

Congo, parmi les pays d’Afrique fut sans doute un de ceux qui ont le plus souffert.

Mais l’Afrique dans son ensemble a beaucoup moins souffert que le continent

américain ou que l’Océanie. C’est à partir de 1920 que l’assistance médicale indigène

se développa. L’évangélisation enfin, à la veille de 1960, on peut considérer que 40%

environ de la population se rattachait aux communautés chrétiennes. Sur ces 40%, 4/5

environ était catholiques et les autres protestant. Ces résultats furent le fruit d’une

activité missionnaire particulièrement intense. L’œuvre missionnaire catholique a

constitué au Congo, un des succès majeurs de l’Eglise contemporaine. À propos de

l’enseignement par contre, nous pouvons parler d’une véritable faillite. Il y a suivant

les pays d’Afrique, de grosse inégalités de développement, et nullement une

opposition Congo-reste de l’Afrique. Ce que l’on a qualifié de faillite se ramène au

fond essentiellement à un retard dans la formation des élites universitaires. Dans les

dernières années du régime belge, la machine cependant s’était mise en marche. Deux

universités furent fondées : 1) l’Université catholique de Lovanium (1954) 2)

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l’Université de l’Etat à Elisabethville (1956). La raison fondamentale du décalage

existant entre le Congo et les autres pays africains en matière d’enseignement, est que

le secteur de l’enseignement a été, pendant longtemps, abandonné aux missions. Les

missions en matière d’enseignement avaient un véritable monopole absolu

jusqu’en 1946. En 1954 avec l’arrivé d’un ministre libéral au ministère de

l’économie : Auguste Buisseret, il y a instauration d’un enseignement officiel laïque

pour les noirs, qui va prendre rapidement une extension considérable. Presque toujours

l’administration coloniale a pris soin d’élaborer des plans, un programme

d’enseignement, et a fait appel aux missions, dans une mesure plus ou moins grande,

pour réaliser ce programme. Au Congo-et c’est là que réside l’originalité du cas-il

n’y a pas eut de plan dressé par le gouvernement. Toute l’initiative a été laissée aux

missions, et le gouvernement s’est borné à subsidier ce que les missions créaient.

Conséquence ; les missionnaires, laissés libres d’agir, ont réalisé par priorité ce qu’ils

devaient naturellement réaliser en tant que missionnaires, à savoir :

faire de l’enseignement un instrument d’évangélisation de la masse. Ceci impliquait le

développement au maximum, de l’enseignement primaire, l’effort majeur des

missionnaires.

ensuite, les missionnaires devaient songer à former des prêtres, d’où la création de

petits et de grands séminaires.

Au moment de l’indépendance, en 1960, en regard des 16 diplômés universitaires, il y

avait déjà plus de 600 prêtres congolais.

troisième devoir, puisque l’Etat leur accorde un monopole, les missionnaires sont tenus

de former pour lui les cadres subalternes dont il a besoin, et dont a besoin aussi le secteur

privé. C’est le rôle de l’enseignement professionnel.

L’enseignement secondaire classique par contre- l’enseignement de collège- qui seul

pouvait préparer normalement à l’entrée à l’Université, a été longtemps tout à fait négligé.

Pour comprendre le monopole des missions, il faut comprendre la psychologie qui a été

longtemps celle de tous les dirigeants de la politique coloniale belge, homme de gauche et

homme de droite indistinctement : pour eux- et c’était chez eux une conviction profonde-

instruction et évangélisation devait nécessairement allé de paire. L’instruction,

pensaient-ils, ne pouvait avoir de valeur que si elle était accompagnée d’une

instruction morale. Or la formation morale ne pouvait être le fruit que de

l’évangélisation. Les hommes de gauche qui étaient convaincus, de la nécessité de

l’évangélisation, se laissaient guider, en général, par une idée assez simpliste : on avait

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affaire, au Congo, à des populations frustres, et quand il s’agit de donner à des âmes

frustres une bonne morale élémentaire, rien ne vaut la religion. On retrouve ici très

exactement l’attitude d’esprit qui avait été celle de la bourgeoisie à l’égard des classes

populaires, dans l’Europe occidentale du milieu du XIXe siècle. Religion et morale ainsi

unies constituaient en même temps le meilleur rempart de l’ordre social. Au Congo, si

l’on ne s’efforçait pas de répandre le christianisme et sa morale, on risquait de voir se

développer d’autres religions, d’autres fois religieuses qui, elles, n’inspireraient pas, bien

au contraire, le respect de l’autorité. Exemple : on craignait l’Islam comme la peste car on

s’imaginait qu’il serait nécessairement xénophobe et porteur d’idées subversives. C’est

également le cas du kibanguisme, une religion autochtone qui avait en 1930, une allure

souvent hostile à l’autorité coloniale, et même anti-européenne. En l’absence de la foi

chrétienne, enfin, l’on redoutait l’influence que pourrait exercer la foi communiste.

Second trait de la politique belge : l’effacement de l’Etat devant les missions même au point

de vue de l’organisation générale de l’enseignement, l’influence de différents facteurs ont

joué conjointement :

1. l’administration coloniale a toujours eut un caractère catholique très prononcé.

2. le fait aussi que l’on éprouvait de la peine au Congo à se défaire de certaines traditions

métropolitaines : en Belgique, dans les rapports entre l’Etat et l’enseignement libre, le

principe intangible a toujours été celui du respect de la pleine liberté d’action des

établissements catholiques, même lorsqu’ils bénéficiaient de subsides ; on a très

naturellement transporté cette conception au Congo. Surtout l’Etat n’a pas jugé

nécessaire d’intervenir, car on a considéré pendant longtemps que les efforts des

missions étaient pleinement satisfaisants. Ce point est capital ! là où l’on parle

aujourd’hui de faillite, on a très longtemps, dans les commentaires les plus autorisés,

parlé de réussite admirable. On constatait que les missions réussissaient à scolariser

une proportion de plus en plus considérable de la jeunesse congolaise, une proportion

dépassant celle de la plupart des pays d’Afrique. Pour les autorités, si l’on forme trop

rapidement des intellectuels, alors que la masse demeure encore en grande partie

illettrée, on risque de faire naître des situations malsaines : ces intellectuels, peu

nombreux, qu’un fossé profond séparera du plus grand nombre, auront tendance à

constituer une caste privilégiée, qui pourrait devenir facilement une caste

d’exploiteurs. Au moment de l’indépendance du Congo, on a dit que la politique belge

s’était eu fond résumée dans la formule « pas d’élites, pas d’ennuis   ». Cette formule a

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été forgée seulement en 1960, mais elle a eu immédiatement un succès considérable.

Chacun des deux termes employés dans la formule, en fait, s’éloigne de la réalité

« pas d’élites » : ceci donnerait à penser que les Belges, sachant qu’ils pouvaient former des

élites, ont préféré s’en abstenir. Or ce qui a été au contraire l’élément psychologique le

plus caractéristique, dans l’attitude des Belges, c’est précisément leur conviction qu’il

ne serait pas possible, avant un temps assez long, de former de vraies élites,

authentiques.

« pas d’ennuis » : ces mots semblent signifier presque nécessairement « pas d’ennuis

politiques ». Or à l’époque où ils dénonçaient les dangers de l’instruction

« livresque », les coloniaux Belges ne songeait que fort peu à l’aspect politique du

problème. L’ordre colonial paraissait à ce point stable, assuré, un véritable roc, que

l’on ne pouvait évoquer les périls politiques que sous la forme d’une hypothèse

presque irréelle.

On a freiné la formation des élites, lorsqu’on a refusé à des jeunes Congolais les moyens et

même l’autorisation de poursuivre des études à l’étranger, ou dans la métropole car ils

risquaient de devenir communistes. On a freiné aussi lors de la création de la première

Université congolaise, celle Lovanium, en1954. Le projet des promoteurs était d’organiser dès

le début, à côté des études de médecine, d’agronomie et de sciences administratives,

également des études de droit. L’administration coloniale s’y est opposée. Former des

avocats, selon elle, c’était préparer des agitateurs politiques, « fabriquer des

révolutionnaires ». Les coups de freins n’ont été au total que peu de chose. La caractéristique

de la politique belge n’a pas été le freinage mais le manque d’initiatives. La politique belge

était inspirée par l’idée qu’il fallait d’abord bâtir une civilisation ; l’émancipation

viendrait par la suite, beaucoup plus tard. C’est dans cette perspective de civilisation

qu’une éducation progressive des indigènes, en commençant par la base, paraissait normale et

rationnelle. En ce qui concerne l’enseignement primaire, l’enseignement dispensé demeurait

dans beaucoup de cas élémentaire et fort médiocre. Il était donné en partie par des

missionnaires, mais surtout par de nombreux moniteurs indigènes, qui ne brillaient pas

toujours par les qualités pédagogique, ni même par les connaissances. L’œuvre du Congo était

une œuvre nationale ; c’était dès lors un péché impardonnable, un grave manque de

patriotisme, que de fournir des armes à ses ennemis. L’enseignement est peut être le domaine

qui a été le mieux couvert par ce tabou patriotique. Un des éléments de faiblesse, comme

instrument culturel, de l’enseignement primaire, a été l’engouement des missionnaires pour

les langues indigènes. Dans tous les territoires de l’Afrique, le Congo, fut celui où l’on a le

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plus largement usé dans les écoles des langues indigènes. Il est important de souligner que la

majorité des religieux belges était flamands. Un facteur psychologique a joué, beaucoup de

missionnaires ont transporté au Congo les conviction dont ils avaient été nourris en Flandre

même. Le grand malheur de la Flandre, leur avait-on dit et répété, avait été son envahissement

par une langue étrangère qui avait pris, dans les classes supérieures, la place de la langue

flamande. La Flandre en avait profondément souffert, car un peuple ne peut se développer

naturellement et harmonieusement que dans sa langue propre : telle a été l’idée fondamentale

du mouvement flamand. Leur devoir tel qu’il se dessinait clairement à eux, était d’épargner

aux Congolais ce dont avaient souffert les Flamands. Il fallait que tous les Congolais

conservent précieusement le trésor de leur langues africaines reflets de leurs valeurs propres,

reflets de leur âme. L’emploi systématique des langues indigènes dans les écoles

missionnaires a eut de sérieuses conséquences. La grosse majorité des élèves des écoles de

brousse ont été formés dans des langues dans lesquelles ils demeuraient en quelque sorte

enfermés, avec peu de possibilité d’accéder à un niveau de culture supérieur. Comme les

langues indigènes variaient d’une région à l’autre, l’accent mis sur ces langues n’a

certainement pas favorisé l’unification du Congo. En 1954, on a assisté à deux coups de

barres simultanés   :

La création de l’enseignement officiel laïque, amenant l’Etat à bâtir la pyramide

scolaire classique.

La fondation de Lovanium.(chronologiquement c’est ce coup de barre qui est premier,

c’est aussi celui-ci qui a eut le plus d’importance). C’est l’université qui va créer le

mouvement d’aspiration vers le haut, en forçant tout l’enseignement à tenir compte

désormais de la préparation aux études supérieures. Cette initiative décisive porte une

marque spécifiquement catholique. L’opinion la plus générale en Belgique comme au

Congo était que l’enseignement universitaire exige une préparation intellectuelle,

morale et sociale qui est loin d’être atteinte au Congo belge. Le seul groupe qui ait

secoué ces vieilles idées, et décidé de marcher de l’avant, est sorti des rangs

catholiques. L’Université est apparue à ces catholiques comme une grande aventure

spirituelle dans laquelle les Européens partageraient avec les Africains tout ce que, sur

le plan spirituel, ils possédaient.

L’œuvre de mise en valeur   : mise en valeur oui, mais au profit de qui ? Au profit des

entreprises européennes à qui elle était confiée ? Au profit des populations indigènes ?

On ne le dit pas. C’est justement à cause de son ambiguïté que l’expression a plu et a

été adoptée. Dans l’esprit des dirigeants de la politique coloniale belge, il fallait que la

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mise en valeur profite à la fois aux indigènes et aux entreprises européennes. La

politique belge a été une politique de dosage toujours empirique et variable. Le seul

principe directeur que l’on discerne c’est appliqué non pas aux profits mais aux pertes.

Il fallait empêcher en tout état de cause qu’un des deux ordres d’intérêts ne subisse

trop de dommages, ne se trouve sacrifié. Entre les deux guerres, on a limité à un

certains moments les recrutements de main-d’œuvre en milieu coutumier, malgré les

doléances des entreprises européennes, qui se plaignait de manquer de bras : les

intérêts essentiels des populations indigènes paraissaient menacés ; si l’on avait pas

arrêté les recrutements, on eût risqué, par suite du départ d’un nombre toujours

croissant d’hommes valides, une rupture complète de l’équilibre démographique ;

c’est dès lors la menace du dépeuplement qui se profilait à l’horizon. Pour le reste, il

est important de le répéter, c’est l’absence de doctrine qui frappe le plus. Une des

caractéristiques de la grande entreprise capitaliste au Congo a été son paternalisme. Le

côté positif de ce paternalisme est qu’il impliquait une action sociale développée, non

seulement en faveur des travailleurs, mais aussi de leurs familles, et même souvent de

la population locale tout entière. Ecoles, hôpitaux, dispensaires, œuvres sociales

étaient à charge des sociétés. Le premier impératif de la mise en valeur, consistait à

créer un mouvement d’exportation. Rien qu’à considérer la nature des exportations du

Congo, on peu apercevoir d’emblée qu’elles ont été les caractéristiques de son

économie.

Au Congo, 2/3 environ des exportations étaient représentés par des produits miniers (cuivre,

or, diamants, etc.) provenant tous sans exceptions d’entreprises européennes. Dans les tiers

restant, on trouve les produits agricoles et industriels, une très grosse part venait d’ailleurs elle

aussi de sociétés capitalistes européennes. L’agriculture indigènes et celle des colons

européens, n’ont eu dans le développement économique général du Congo qu’une importance

secondaire. Les véritables début du colonat agricole se situeront après la reprise du Congo par

la Belgique et ne se développa qu’à un rythme relativement lent. Le secteur de l’agriculture

indigène a offert une particularité intéressante : c’est, de tous les secteurs économiques, celui

sur lequel l’action de l’Etat s’est exercer de la manière la plus directe. Dans le domaine minier

par exemple, l’Etat n’a pu exercer le plus souvent qu’une action indirecte. S’adressant aux

agriculteurs congolais, il pouvait par contre, leur donner des ordres ou des directives

pressantes. Les deux traits les plus originaux de la politique agricole belge : 1) à partir de

1917, introduction du système des cultures obligatoires, qui durera jusqu’à l’indépendance

du Congo. Ceci a marqué de manière profonde les rapports entre l’autorité coloniale et les

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masses rurales. 2) à partir de 1936, création des paysannats indigènes, tendant à regrouper

et à fixer les cultivateurs de manière à accroître leur productivité. Le système de culture

obligatoire est né de la volonté d’un homme : Edmond Leplae, directeur général de

l’Agriculture au ministère des Colonies. Le point de départ de la réflexion de Leplae était ce

qu’il appelait l’ « indolence (nonchalance) agricole des indigènes », selon lui pour secouer

cette indolence, pour inculquer aux indigènes le goût du travail, il fallait, pour leur bien, user

de la contrainte. Le système de Leplae consistait à imposer à la fois des cultures vivrières

(manioc et riz) et des cultures industrielles (la principale fut le Cotton). Les cultures

obligatoires étaient donc conçues pour procurer à l’indigènes des avantages

économiques immédiats. Le système fut étendu à tout le pays et a duré plus de 40 ans, il a

donné au Congo une physionomie unique parmi les colonies africaines. Aucune autre colonie

n’a connu la contrainte agricole à une telle échelle et pendant une telle durée. Ce qui paraît

hors de doute c’est que, sur le plan psychologique, le système, après avoir été longtemps un

facteur d’ordre et de discipline, a finalement contribué à l’explosion révolutionnaire du

Congo. Du point de vue politique, au moment où les partis politiques firent leur apparition au

Congo, les autorités crurent que les masses rurales se montreraient sages et conservatrices. Ce

fut le phénomène totalement inattendu du radicalisme rural, qui domina les derniers mois du

régime belge au Congo. La contrainte agricole apparût vraiment aux yeux des Congolais

comme une impression d’écrasement. Le Congo économique a été essentiellement l’œuvre du

capitalisme européen. En ce qui concerne les capitaux, l’Etat a été essentiellement appelé à

les fournir dans le secteur où les investissement étaient les plus lourds, c’est à dire pour la

construction des chemins de fer. L’intervention de l’Etat dans ce domaine datait de l’époque

de Léopold II, la Belgique a poursuivi la politique qui avait été celle de l’Etat indépendant.

L’intervention de l’Etat a été capitale aussi pour le recrutement de la main d’œuvre.

Officiellement, le rôle assigné à l’administration territoriale consistait uniquement à

« faciliter » le recrutement en usant de son « influence » auprès des indigènes. En fait, on

aboutit dans beaucoup de cas au travail forcé. La scène était concrètement la suivante : un

agent territorial accompagnait le recruteur dans sa tournée ; arrivé chez un chef, il lui

ordonnait de fournir tel nombre d’hommes ; le chef s’exécutait d’autant plus facilement qu’on

lui versait une prime par homme recruté ; il livrait donc les hommes demandés. Les

recrutements forcés résultèrent ainsi de la combinaison de la pressionq administrative et de la

vénalité des chefs. Ces abus furent d’ailleurs pour une bonne part à l’origine de la seule

révolte grave, entraînant un groupe entier de population, qu’ait connu le Congo pendant la

période coloniale belge : la révolte des Pende du Kwango, en 1931, qui se solda par plus d’un

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demi-millier de morts parmi les révoltés. Parmi les caractères qui ont fait la force de

l’entreprise capitaliste au Congo nous pouvons distinguer 4 qui s’en dégagent de

manière particulièrement nette :

1. Le capitalisme au Congo, a été un capitalisme audacieux, ne reculant pas

devant le risque.

2. Il a été solidement structuré sous formes de groupes puissants s’appuyant

le plus souvent sur des organismes financiers qui pouvaient les épauler

dans les moments difficiles.

3. Il a réussi à préserver presque entièrement sa liberté d’action, même dans

les cas où l’Etat aurait pu intervenir dans sa gestion.

4. Il a su, dans le recrutement de ses cadres européens, être un excellent

sélectionneur d’hommes, ne gardant que ceux qui s’étaient révélés les plus

aptes et éliminant impitoyablement les autres.

Trois sociétés capitalistes européennes importantes pourraient être citées comme exemple :

BCK, la Forminière et l’Union Minière du Haut-Katanga. À l’époque de l’Etat Indépendant,

le produit clé de l’économie congolaise avait été le caoutchouc. Le caoutchouc mort, le cuivre

fit son avènement et accéda à son tour au rang de produit clé. Les valeurs des exportations de

cuivre, en 1928, dépasse 50% du total des exportations congolaises. Jusqu’à l’indépendance et

au-delà, le cuivre et l’Union Minière garderont leur place prépondérante dans l’économie

congolaise. Entre 1950 et 1960, les versements faits par l’Union Minière au Trésor congolais

ont représenté en moyenne 27% des recettes totales du Congo. L’Union Minière a produit

aussi d’autres métaux : le cobalt (dont elle fournissait avant l’indépendance du Congo 60% de

la production mondiale) le radium et l’uranium. La gîte de Shinkolobwe allait être pendant

longtemps le gisement uranifère le plus riche au monde. L’exploitation du gisement

commença en 1921. Le seul intérêt économique du minerai, à l’époque était sa teneur en

radium. Ce n’est que dans les années précédant immédiatement la seconde guerre mondiale

que l’attention commença à se porte sur l’uranium. À partir du moment où l’uranium

congolais servit à la construction de la bombe atomique, tout ce qui le concernait fut entouré

du secret le plus rigoureux. Chiffres de production, exportations, prix, tout demeura

confidentiel. Shinkolobwe était un des lieux les mieux gardés du monde. Contrairement à ce

que l’on a souvent cru, l’importance de l’uranium congolais n’a pas été considérable sur le

plan économique ou financier ; son importance s’est inscrite dans le ciel d’Hiroshima. Une

autre caractéristique du capitalisme au Congo, et qui a fait sa force, est la structuration des

entreprises en groupes puissants ( cela a été dit précédemment mais ici le thème est

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développé). La CCCI à savoir la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie fut

créer en 1887, elle fut conçue d’emblée comme une animatrice d’affaires, étudiant les affaires

à réaliser au Congo et les confiants ensuite à des sociétés filiales qu’elle aidait à constituer.

Ces sociétés furent : la Compagnie du Chemin de fer du Congo ainsi que la Compagnie du

Katanga. Comme la CCCI assumait largement le contrôle de ses filiales, dont elle détenait en

portefeuille de gros paquets d’actions, elle joua à leur égard le rôle classique d’un holding

placé à la tête du groupe. L’homme d’affaire puissant qui créa la CCCI fut Albert Thys. En

1928, la CCCI passa sous le contrôle de la Société générale. Fait capital. La Société Générale,

en effet, avait déjà pris antérieurement de gros intérêts dans les affaires congolaises. Elle avait

notamment patronné la création des « sociétés de 1906 » à savoir BCK, Forminière et l’Union

Minière du Haut-Katanga (elle s’est située dans l’orbite de la Société Générale mais on ne

peut pas dire qu’elle fut pleinement contrôlée par elle). En se rattachant la CCCI, elle

acquérait désormais, dans l’économie capitaliste Congolaise, une prépondérance écrasante.

L’ « empire de la Générale » ne peut pas recevoir une définition chiffrée. Il est toutefois

certain que, à partir de 1928, la majorité des grandes sociétés congolaises ont dépendu ou

pleinement ou partiellement de lui. Cette forte structuration a permis aux entreprises,

lorsqu’elles se trouvaient en difficulté, de recourir aux ressources financières du groupe tout

entier. Le rôle et l’influence des groupes ont été d’autant plus considérable que l’Etat, en

général, leur a laissé les mains presque entièrement libres, et cela même lorsqu’il avait les

moyens d’intervenir dans leur gestion, ou du moins dans la gestion de certaines sociétés.

Quels étaient, en principe les moyens d’action de l’Etat ? C’étaient ceux que lui donnait son

énorme portefeuille, constitué d’actions de bon nombre des principales sociétés congolaises.

L’origine de ce portefeuille remontait à Léopold II, qui avait veillé (la Belgique fera de

même) à ce qu’un des avantages réservés à l’Etat, lors de la constitution de certaines grandes

sociétés, consiste dans la remise d’actions gratuites. Les revenus de portefeuille furent à peu

près équivalents en recettes, à ce qu’était en dépenses la charge totale de la dette publique.

Cette particularité a souvent frappé les économistes étrangers. Certains ont écrit que

l’économie du Congo constituait un exemple remarquable d’économie mixte, dans laquelle

l’Etat et les particuliers se trouvaient associés dans la gestion du secteur privé. En Belgique,

on s’est toujours abstenu d’employer une telle expression. L’Etat, qu’elle que fût l’importance

de ses participations, ne jouait qu’un rôle tout à fait mineur dans la vie des sociétés. Jamais

par l’intermédiaire de ceux qu’il envoyait ainsi siéger dans les organes dirigeants des sociétés,

l’Etat n’a cherché à imprimer au secteur privé une certaine direction correspondant à la

politique que l’Etat aurait entendu mener. L’Etat le plus souvent laissait les mains libres au

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secteur privé. Paradoxalement ce système a contribuer à renforcer l’influence du secteur

privé, ce sont les sociétés qui ont pu agir par leur intermédiaire auprès de l’administration. Là

où la politique d’effacement de l’Etat a été la plus frappante, c’est lorsque, se trouvant dans

une société en position majoritaire, il s’est néanmoins abstenu d’user de cette position. La

colonie possédait plus de la moitié du capital de la Forminière. Elle a néanmoins en fait

abandonné la gestion de la société aux représentants du capital privé, la Société Générale. En

un mot l’Etat s’est effacé car il ne se reconnaissait pas d’aptitudes aux affaires.

Enfin les entreprises capitalistes ont eut des dirigeants et des cadres supérieurs qui étaient

souvent de tout premier ordre. Ceci vaut à la fois pour les dirigeants de Belgique et pour le

personnel supérieur travaillant au Congo même. Ces états-majors et ces cadres ont été parmi

les plus brillants du capitalisme contemporain, parmi les plus efficaces. L’entreprise

capitaliste a su sélectionner ses hommes, elle a choisi ceux qui paraissaient les plus aptes.

Dans son travail de recrutement elle a été aidée par le fait que son champ de recrutement était

plus étendu que celui des entreprises métropolitaines. L’entreprise coloniale a pu dans plus

d’un cas, recruter de bons éléments de l’administration, qui quittaient celle-ci pour entrer à

son service. D’autre part comme la carrière au service de l’Etat avait une durée beaucoup plus

brève au Congo qu’en Belgique, l’entreprise coloniale a pu également s’assurer la

collaboration de fonctionnaires retraités, mais encore dans la force de l’âge. Les états-majors

les plus remarquables, dans le monde des affaires ont sans doute été ceux de l’entre deux

guerre, et des années qui ont suivi immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Le

capitalisme au Congo, avait brillamment réussi dans sa tâche économique. Lorsque se sont

posés, à l’improviste des problèmes politiques auxquels il ne s’était pas préparé, il n’a pas pu

y proposer de réponses. Le Congo colonial avait été modelé par l’entreprise capitaliste plus

peut-être que par tout autre facteur. Dans la marche à l’indépendance, ce capitalisme, dont

on aurait pu croire qu’il aurait écrasé le pays sous son poids, n’a joué presque aucun

rôle.

Une décolonisation révolutionnaire   :

La brusque émancipation du Congo a eu le caractère d’une révolution (ni sanglante, ni

violente), le sang ne coula que dans 2 circonstances exceptionnelles, à Léopoldville lors des

émeutes de 1959, et lors des troubles de Stanleyville en octobre de la même année. Le

retournement qui s’est produit au Congo a été entre tous le plus brusque et le plus complet,

son déroulement a été totalement imprévu. Quelles était au départ, la manière dont les Belges

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envisageaient l’avenir du Congo ? Pierre de Wigny, ministre des Colonies de 1947 à 1950

était convaincu que pour renforcer l’unité nationale que doit exister entre la Belgique

d’Europe et la Belgique d’Afrique, il fallait mener une politique qui consolide à la fois la

communauté de culture et la communauté d’intérêts qui les rapprochent. Il fallait aussi selon

lui, y « faire régner la justice », il fallait éliminer aussi vite que possible, toutes

discriminations raciales. En ce qui concerne les « droits strictement politiques » au Congo

cela ne fut pas encore possible pensait-il. Selon lui, il fallait encore s’attacher à éduquer la

masse capable de contrôler les futurs chefs. L’état d’esprit de l’époque pouvait se tenir dans 3

grandes idées :

1. L’idée de l’union de la Belgique et du Congo : Cette union, on l’espérait

indestructible. On était prêt à l’inscrire dans la Constitution belge. En 1953, une

révision constitutionnelle se prépare, le gouvernement propose officiellement que

dans l’article 1er révisé il soit dit « que la Belgique et le Congo belge constituent un

seul et même Etat, que leur territoire constitue le territoire national ».

2. Personne n’envisage une soumission perpétuelle de la colonie à sa métropole :

Les Congolais, on s’en rend compte, acquerront petit à petit des droits politiques, et le

Congo lui même possédera nécessairement un jour sa personnalité politique, mais

cette évolution devra se faire progressivement et sans hâte.

3. L’éducation politique doit commencer par la base : Elle doit se faire d’abord au

niveau local, une mesure concrète prise fut l’organisation de la participation des

Africains à l’administration des villes.

Non seulement l’autorité coloniale ne se hâta pas, mais elle ne se préoccupa que fort peu de

tracer des plans pour l’avenir. Pas question de la moindre planification, même à moyen terme,

de l’émancipation politique. Pourquoi d’ailleurs aurait-on ressenti le besoin de se hâter ? les

indigènes ne demandaient rien. C’est là un point sur lequel on ne saurait trop insister, car pour

qui veut comprendre l’atmosphère de cette époque, il constitue sans doute la clé majeure :

aucune revendication politique, si attentivement que l’on tende l’oreille, ne s’élève du

milieu africain. Question vitale : faut-il conclure de cette atonie (manque de force, de

vitalité) politique que les « évolués » - pour employer le terme de l’époque – et la population

congolaise dans son ensemble, acceptent la domination coloniale comme un fait, sans réagir ?

La crainte n’apparaît pas comme l’obstacle majeur qui a bloqué la population congolaise dans

l’expression de leurs éventuelles aspirations politiques. La peur était sans doute moins celle

du gendarme que celle des réactions de la société blanche que les Noirs sentaient au-dessus

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d’eux, écrasante. En dehors de l’inhibition éventuelle due à la crainte, il y a donc certainement

d’autres facteurs qui expliquent la longue atonie politique des Congolais. 4 facteurs :

1. Une question de formation intellectuelle. Ce qui a longtemps manqué, pour que

puissent monter des revendications politiques, est le terreau indispensable : la pensée

politique elle-même. Une pensée politique exige une certaine conceptualisation des

phénomènes politiques, elle exige aussi une certaine capacité de se servir de notions

abstraites et de raisonner à partir d’elles : toutes choses à quoi l’éducation des Africains

ne les avait nullement préparés. Ils ont moins tendance à intervenir dans ces affaires

dont les Belges ont le secret, ou de demander simplement à intervenir.

2. On leur a enseigné qu’ils doivent tout aux Belges. Ils ont subi à cet effet un

endoctrinement qui a été un véritable matraquage intellectuel : cet endoctrinement a

porté ses fruits. De pareils sentiments chez les dominés inhibent évidemment la

revendication politique.

3. Le facteur le plus important, est peut-être celui qui est lié à un trait particulier de

la psychologie des évolués. L’ambition majeure des évolués dans les années qui

suivent immédiatement la guerre, est d’arriver à se rapprocher le plus possible des

Européens.

4. Le manque de contacts entre évolués sur le plan national.

L’Européen constitue un modèle social envié. Les évolués aspirent à lui ressembler, ils

aspirent à un statut spécial qui, consacrant leur degré de civilisation, atténuera les formes

multiples de discrimination qui existent entre l’Européen et eux. Leur grand espoir, leur

grande affaire, ce sont les « brevets de civilisation » que l’autorité coloniale instaure et grâce

auxquels ils pourront obtenir des droits particuliers ; il s’agit de la carte du mérite civique et

de l’immatriculation. Par l’immatriculation, ils espèrent obtenir les mêmes droits civils que

les Blancs, les mêmes moyens de transports, le même enseignement, et l’essentiel ; la même

considération. C’est bien là l’obstacle psychologique majeur aux revendications politiques.

De telles revendications impliquent, pour avoir un sens, que ceux qui les formulent se fassent

les porte-paroles du peuple. Les évolués sont psychologiquement paralysés : se séparant

délibérément de la masse populaire, comment pourraient-ils, en son nom, tenir un langage

politique ? Cet obstacle ne sera surmonté que lorsqu’aux grands espoirs suscités par les

« brevets de civilisation » aura succédé la désillusion. Les titulaires de la carte du mérite

civique constataient que peu de chose avait changé dans leur situation. Les rares bénéficiaire

de l’immatriculation ; 116 chefs de familles seulement fin 1955, furent plus déçus encore. Ils

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sentaient toujours peser sur eux le poids de toute une série de discriminations. Un Lumumba

déçu et blessé tournera , comme beaucoup d’autres évolués blessés et déçus, ses énergies dans

un autre sens : au lieu d’essayer de monter vers les Européens, il cherchera à s’imposer à eux,

en utilisant le levier politique, qui sera cette fois le levier du peuple. En ce qui concerne le

dernier facteur : le manque de contacts entre évolués sur le plan national, La voix du

Congolais (un journal) sera pratiquement, pendant longtemps, le seul lien entre les évolués à

l’échelle du pays. Les cercles d’évolués, dans chaque ville, vivent sans contact avec ceux des

autres régions. Cette absence de contact, pendant longtemps, sera aussi un facteur

psychologique inhibant : comment penser en terme de politique nationale lorsque,

physiquement, on n’a jamais la sensation d’un coude à coude national ? Pour l’autorité

coloniale, puisque les Africains n’exerçaient aucune pression, les réformes politiques

n’apparaissaient pas comme une tâche prioritaire. Pour la politique, comme pour

l’enseignement, tout est question de perspective : si l’on bâtit ainsi à l’aise, c’est parce que

l’on est persuadé d’avoir tout le temps devant soi. Les Belges sont-ils aveugles ? N’ont-ils pas

observé le mouvement d’émancipation qui a emporté toutes les colonies européennes d’Asie ?

En fait, paradoxalement, ce spectacle des troubles du monde colonial est précisément une des

raisons de leur confiance. Au milieu de ces remous, en effet, le Congo demeurait parfaitement

calme, tranquille. Les Belges au Congo, seront persuadés qu’ils ont « trouvé la formule ». La

formule était la suivante : « rendre les indigènes heureux en veillant à leur bien-être, à leur

logement, à leur santé ». Le large sourire des Congolais donnait confiance à la Belgique dans

le succès de sa colonisation, les Congolais apparaissait comme des gens satisfaits et qui,

parce qu’ils sont satisfaits, ne se laisseront pas contaminer par le virus des revendications

nationalistes. La confiance dans l’avenir était donc générale. Il y avait cependant quelques

pessimistes, le président de la Fédération des Associations des Colons, en 1951, expliquait au

ministre des Colonies que le maintient d’un esprit de communauté entre Noirs d’Afrique et

Belges de la métropole lui paraissait une utopie. « Quelque sincères que paraissent être les

déclarations présentes de loyalisme faites par l’élite indigène envers la Belgique, il arrivera un

moment où le sentiment raciale et nationaliste l’emportera sur tout autre considération. Cette

annonce de l’éveil du nationalisme congolais s’expliquait sans doute par les sentiments

raciaux assez grossiers qui faisaient le fond de leur psychologie. La situation ne pouvait

changer qu’à condition que les Congolais eux-même élèvent la voix. À partir du moment où

ils le feront (en 1956) une phase toute nouvelle s’ouvrira dans l’évolution politique du Congo.

En juillet 1956, paraît à Léopoldville, dans un périodique dirigé par des Congolais,

Conscience Africaine, le premier programme définissant des revendications d’esprit

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nationaliste. Le manifeste de Conscience Africaine donne le branle au mouvement qui, en

4ans va mener à l’indépendance du Congo. Qu’y a-t-il de nouveau qui explique cette entrée

des Congolais sur la scène politique ? une évolution des esprits, un mûrissement aussi de la

pensée chez les hommes qui lisent de plus en plus, de mieux en mieux informés de ce qui se

passe dans le monde. En dehors de ces phénomènes de fond 3 éléments d’explication

peuvent être avancés :

L’arrivée au ministère des Colonies, en 1954, d’un nouveau ministre,

Auguste Buisseret, libéral, mais en matière coloniale, il n’a rien d’un

avancé, d’un émancipateur. Buisseret osait affronter la puissance devant

laquelle jusqu’alors tout le monde avait plié : celle des Missions. Il osait

créer l’enseignement laïque, désiré par un grand nombre de Congolais. Chose

nouvelle aussi, il accueillait directement à Bruxelles, sans que l’on dût passer

par le circuit administratif, les doléances et les requêtes des Noirs comme des

Blancs. Tout cela créer une atmosphère nouvelle dans laquelle les Congolais se

sentiront plus libres d’exprimer leurs idées politiques.

Au Congo même, on les incite d’ailleurs pour la première fois à se livrer à

une certaine forme d’action politique ( on touche ici à un facteur

important). La nouvelle politique scolaire inaugurée par Buisseret a suscité,

en effet, une lutte extrêmement vive entre catholique homme de gauche ( c’est

à dire à l’époque, libéraux et socialistes). Dans cet affrontement, chacun des

partis cherche à recruter des alliés parmi les Africains, et à les lancer dans la

lutte. Ceux-ci en tireront une leçon : si les Européens font appel à eux, c’est

qu’ils constituent, aux yeux des Européens eux-mêmes, une force politique.

Leur confiance en eux, leur possibilités en sort renforcée.

Pour la première fois, les Congolais disposent, pour mettre au point leur

idées politiques, d’une source d’inspiration précise, concernant leur pays,

concernant leur émancipation : c’est le plan de trente ans pour

l’émancipation politique de l’Afrique belge publié au début 1956 par M.J Van

Bilsen. Le plan de trente ans a été une nouveauté (non seulement par son

contenu, mais aussi par le fait qu’il marquait la première apparition, à propos

du Congo, d’une réflexion fondée sur le spectacle du monde, intégrant le

Congo dans le monde. Avec Van Bilsen ce qui est neuf c’est le plaidoyer en

faveur d’une planification politique. Le Congo affirme-t-il ne pourra pas

échapper au « processus mondial d ‘émancipation » des colonies. M.Van

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Bilsen en d’autres termes, ne croit pas que les Belges aient « trouvé la

formule » pour y échapper, car à ses yeux ce processus, répondant à un besoin

de liberté et de dignité, est inévitable. Puisque l’émancipation se produira

inéluctablement, il faut la régler, l’organiser. Il propose qu’on la réalise en

trente ans, de manière à aboutir au bout de trente ans à une union

fédérale belgo-congolaise. La réaction des Congolais fût celle d’un intérêt

avide. Pour la première fois, au lieu de formules vagues, on leur présentait un

plan précis de marche vers la liberté. Revenons en au manifeste de la

Conscience Africaine ; les auteurs du manifeste s’expriment sans détours : ils

se sentent, en tant que Congolais, une « vocation nationale », et ils veulent

« l’émancipation progressive mais totale » de leur pays. Ils la veulent (ils le

soulignent) dans l’entente avec la Belgique. C’est là une preuve indéniable que

l’œuvre des Belges dans ce pays n’est pas un échec. En ce qui regarde le

rythme de l’émancipation, les auteurs du manifeste se réfèrent, en

l’approuvant, au plan de M. Van Bilsen. Faisons un bon en avant et voyons ce

qu’on trouve, en octobre 1958, dans Conscience Africaine. Un mot s’y étale et

qui domine tous les autres : « Indépendance ». En deux saison sèches à peine,

les hommes qui acceptaient au début l’idée d’une émancipation

progressive en trente ans, en sont venus à dire : il nous faut

l’indépendance ! La courbe d’évolution que va suivre le nationalisme

congolais : partant d’une position initiale très modérée, il va, en deux à peine,

rejoindre les nationalismes de type classique axé sur l’idée l’indépendance. Le

10 octobre 1958, plusieurs évolués, Patrice Lumumba en tête, constituent un

mouvement politique, le Mouvement national congolais. Le but de ce

mouvement proclament-ils, est en particulier, de « mettre tout en œuvre pour

libérer le Congo de l’emprise du colonialisme impérialiste, en vue d’obtenir,

dans un délai raisonnable et par voie de négociations pacifiques,

l’indépendance du pays ». Le 28 décembre 1958 : Au cours d’un meeting

politique tenu à Léopoldville et rassemblant plusieurs milliers de personnes (le

premier dans l’histoire du Congo), Patrice Lumumba définit dans un grand

discours-programme les objectifs du Mouvement national congolais : « Le

Mouvement national congolais a pour but fondamental la libération du peuple

congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance. Le peuple

congolais a droit à son indépendance au même titre que les autres peuples du

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globe. L’Afrique est irrésistiblement engagée, pour sa libération, dans une lutte

sans merci contre le colonisateur. À nos compatriotes de se joindre à nous afin

de servir plus efficacement la cause nationale et de réaliser la volonté d’un

peuple qui veut se libérer des chaînes du paternalisme et du colonialisme ».

Cette radicalisation du nationalisme congolais, de 1956 à 1958, fut un phénomène capital,

puisqu’il allait décidé des réactions belges. Il s’agit d’un phénomène purement idéologique,

d’une évolution des idées qui s’est produite pratiquement en dehors de toute lutte politique.

Le nationalisme congolais n’aborde pas les problèmes d’administration, ni les problèmes

sociaux, ni les questions économiques. Il reste étroitement confiné aux revendications

purement politiques, à l’émancipation, à l’indépendance. De 1956 à 1958, il n’y a pas encore

de partis politiques organisé au sein desquels la discussion puisse se propager. La seule

exception est l’Abako, ancienne association culturelle des Bakongo qui se transforma en

1957-1958 en organisation politique, et qui avait déjà, dès cette époque une structure solide.

L’Exposition universelle qui eut lieu à Bruxelles en 1958 allait être un des facteurs de la chute

de la colonisation belge, grâce aux contacts que les Africains y avaient noués des contacts ( ce

fut la première occasion pour les congolais évolués de se rencontrer). Ceux que gagne, en

cette première phase, l’esprit nationaliste, sont pratiquement tous des « évolués ». La masse

n’a pas encore été touchée. L’excitation politique se développe surtout dans le milieu des

« clercs » beaucoup moins dans la classe moyenne indépendante. L’initiative politique, en

tout cas, est venue essentiellement de ceux que l’on avait appelés longtemps les « clercs »,

agents subalternes de l’administration employés de bureau du secteur privé. Il s’agit en

fait du milieu des « commis », la majorité des leaders politiques seront des « commis ». La

décolonisation du Congo a été une révolution des commis, une révolution sortie des bureaux.

Le plus gros problème lorsqu’on examine l’évolution du nationalisme congolais de 1956 à

1958, est le problème du pourquoi. Pourquoi cette radicalisation rapide, accélérée, dans le

mouvement des idées ?

Ce qui a favorisé l’accélération, c’est le spectacle du dehors, du reste de l’Afrique,

c’est le Ghana devenant indépendant en 1957, c’est le générale de Gaulle proclamant à

Brazzaville, en 1958, à portée de voix de la capitale du Congo, que ceux qui veulent

l’indépendance n’ont qu’à la prendre.

Plus encore que ces incitations de l’extérieur, ce qui a sans doute joué avant tout est ce

que l’on pourrait appeler un dynamisme interne de la pensé et de l’expression. Dès

l’instant où l’on prononce le mot d’ « émancipation », celui « d’indépendance » vient

naturellement sur les lèvres.

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Le pouvoir colonial pour sa part n’a guère réagi. Placé dans une situation toute nouvelle pour

lui, mais où l’ordre public n’était pas compromis, il n’a su que faire. Ceux qui ont fabriqué, à

la fin de 1958, une nouvelle politique belge au Congo, ont été extraordinairement peu

nombreux : une poignée d’homme politique seulement. Au premier rang d’entre eux figurent

les membres d’une commission, appelée « Groupe de travail » qui fut envoyé au Congo par le

ministre, en octobre-novembre 1958, afin d’y étudier le problème politique et de formuler à ce

sujet des propositions. Ce groupe de travail comprenait 3 hommes politiques des 3 partis

nationaux ( De Schryver : soc-chrétien, Buisseret : libéral, Houssiaux : socialiste). Librement,

ils ont défini et indiqué les voies nouvelles que, selon eux, il convenait de suivre en Afrique.

Le travail de ces hommes s’est fait en dehors des partis, en dehors de l’administration, en

dehors du monde des affaires coloniales, qui a été tenu à l’écart des délibérations. Pas de

pression non plus de l’opinion publique métropolitaine. Pas non plus de pression

contraignante venue d’Afrique. la revendication nationaliste était désormais née au Congo. Le

phénomène apparemment, était irréversible. Lutter était inutile. Il fallait rentrer sans hésiter

dans la voie de l’émancipation politique. Grand coup de barre politique ; on allait concevoir et

définir un programme précis de décolonisation, devant aboutir à l’autonomie du Congo. Ce

coup de barre capital signifiait-il que ces hommes allaient complètement rompre avec les

traditions des pensées antérieure ?? non, en un certains sens, ils restaient dans la droite de

ligne de la tradition. Ce qui avait toujours caractérisé les dirigeants belges, et notamment les

dirigeants coloniaux avait été un éclatant, et parfois presque insolent complexe de

supériorité. Le Belge se considérait comme un colonisateur modèle, et il n’hésitait pas à

le faire sentir. Puisque le nationalisme était là, au Congo comme ailleurs, la Belgique allait se

montrer plus intelligente que d’autres puissances coloniales dans la manière de rencontrer le

phénomène nationaliste. Ailleurs, on avait lutté contre les mouvements d’émancipation

(Indochine, Tunisie, Indes néerlandaise) le dénouement avait toujours été la défaite de la

puissance coloniale. La Belgique allait éviter de pareilles erreurs. Elle allait, faire ce que

personne n’avait conçu, ni réalisé jusqu’alors : elle allait réaliser l’indépendance dans

l’amitié, sans combattre ceux qui voulaient la liberté de leur pays, mais en leur tendant

au contraire une main fraternelle. C’est cette idée qui permit aux Belges de garder leur

complexe de supériorité.

Les troubles graves qui éclatèrent à Léopoldville le 4 janvier 1959 furent une surprise pour

tous, aussi bien pour les leaders politiques congolais, qui n’y prirent d’ailleurs aucune part,

que pour l’autorité coloniale. Ce fut une explosion de fureur populaire, aveugle, sans

préparation, sans chefs, sans buts. À l’origine, ce fut une manifestation politique organisée par

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l’Abako et qui provoqua des incidents avec la police. Les éléments explosifs, à Léopoldville

étaient multiples : raciaux, économiques, politiques. Les Africains de cette grande ville

ressentaient de plus en plus de mépris que nombre d’Européens continuaient à leur

manifester, les humiliations qu’ils subissaient dans la vie courante. La disparité des

rémunérations entre Noirs et Blancs, le contraste entre la ville européenne et la cité indigène

étaient pour eux autant de raison d’amertume. À cela s’ajoutait le nombre de chômeur

toujours croissant à Léopoldville ( fin 1956 : 1 homme sur 20 était sans travail, vers fin 1958 :

1 homme sur 4 était sans travail), aucune indemnité n’était versée aux chômeurs, de plus,

depuis 1957, Léopoldville connaissait une forte récession économique. Dernier élément en

date mais non sans doute le dernier en importance, la fièvre politique dans les toutes dernières

semaines de 1958 avait gagné la rue. Le gouvernement fut acculé aux grandes résolutions. Le

mot qu’attendaient les Africains, le mot magique était celui d’indépendance. Si on ne le

prononçait pas, on risquait de voir les troubles se prolonger. Si on le prononçait, on pouvait

tout sauver. On décida de le prononcer. Les perspectives que le groupe de travail ouvrait au

Congo, et qu’il définissait concrètement, étaient celles de l’ « autonomie ». Il est bien certain

que, sans les troubles de Léopoldville, le gouvernement s’en serait tenu à cette notion. Rien ne

peut donner une idée, du désarroi dans lequel plongèrent les milieux coloniaux. C’était pour

eux comme un coup de massue. Ce qui acheva de les paralyser fut, le 13 janvier,

l’intervention personnelle du Roi. Les paroles du Roi portant sur une matière essentiellement

politique, étaient couvert par la responsabilité ministérielle. Que le Roi parlât ou le

gouvernement, la seule et unique responsabilité était toujours celle du gouvernement. Cette

intervention a eu d’immenses conséquences. S’il n’y avait eu, le 13 janvier, que la déclaration

gouvernementale, des Belges du Congo et de la métropole auraient certainement maudit « le

gouvernement d’abandon ». Ceux qui auraient été prêt à le faire appartenaient précisément, en

général, aux groupes sociaux les plus royalistes, et royalistes aux vieux sens du mot, c’est-à-

dire où le respect dû au Roi est encore considéré comme un devoir d’obéissance. Le Roi ayant

parlé, ils se mirent au garde-à-vous. En ce qui concerne l’opinion publique Belge en général,

elle ne voulaient pas de lutte. Le nationalisme congolais venait de leur être révélé de manière

soudaine et brutale : ils l’acceptaient comme un fait contre lequel on ne pouvait rien. Une fois

passé en 1959, les mois suivants pourrait être caractériser par la formule : « de plus en plus

vite ». Le gouvernement dans sa déclaration du 13 janvier, parlait de l’indépendance du

Congo, mais s’abstenait soigneusement de dire dans quels délais il envisageait de la réaliser.

Le gouvernement insista sur les éléments préalables à l’indépendance : institutions solides et

bien équilibrées, cadres administratifs expérimentés, une formation intellectuelle et morale de

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la population sinon, il y a de grand risque de passer de la démocratie à la tyrannie. Les

prévisions pour l’indépendance demeuraient assez vagues, il s’agissait en tout cas, dans

l’esprit de tous les responsables, de « délais longs ». Le 16 octobre 1959, le successeur de M .

Van Hemelrijck au ministère du Congo, M.De Schryver, annonce dans un message : « la voie

de l’indépendance est ouverte et l’émancipation politique du Congo qui y mène entre dans

une phase définitive d’exécution. Il précisa le calendrier qui sera suivi pour les différentes

étapes : 1) élections au suffrage universel en décembre 1959 2) constitution aussitôt après,

d’institutions provinciales 3) dès 1960 mise en place d’un gouvernement congolais et de deux

assemblées législatives pour l’ensemble du Congo. 4) élaboration par les assemblées

législatives, du « projet de constitution définitive » du Congo, ce qui débouche directement

sur l’indépendance. C’est virtuellement, l’émancipation en 4 ans. Des « délais long », on est

passé aux délais courts. Lors de la conférence belgo-congolaise de la table ronde, qui se

réunira au début de 1960, la date de l’indépendance sera fixée au 30 juin 1960. C’est sans

le vouloir, que la marche, s’est transformée en course. Pourquoi ? de tous les problèmes que

pose l’histoire de la décolonisation du Congo, celui-ci est sans doute le plus important.

Pourquoi en 1 an la Belgique a-t-elle en somme tout abandonné   ? nous pouvons relevé 2

éléments fondamentaux qui expliqueraient l’accélération de la politique belge dans le courant

de 1959 : 1) les exigences des leaders politiques africains.

2) l’apparition au Congo de la désobéissance civile.

Développons le point 1), presque tous les partis, et surtout les plus dynamiques, réclament une

indépendance rapide du pays, immédiate même. Le cri de l’indépendance immédiate va

bientôt dominer tous les autres. On réclame et surtout on exige : si la Belgique n’accorde pas

l’indépendance immédiate, toute collaboration avec elle sera impossible. Ce refus de

collaboration est d’ailleurs proclamé officiellement par certains partis, qui décident

notamment, à la fin de 1959, de boycotter les élections. Plus on s’exalte à l’idée de

l’indépendance, plus on tend vers elle en la voulant tout de suite. Les leaders politiques

prennent de plus en plus contact avec les masses, et ce contact est loin de les inciter à la

modération. La grosse surprise est venue à cet égard des masses rurales, du moins dans

plusieurs régions du Congo. On s’attendait à ce que la population de la brousse se montre

beaucoup plus conservatrice que celle des villes. Or on eut au contraire souvent le spectacle

de villageois s’enflammant d’emblée pour les idées les plus radicales. Une masse qui s’était

sentie jusque-là entièrement entre les mains des Européens, de l’administrateur européen, de

l’agronome européen, du missionnaire européen, se défoulait soudain et manifestait sa volonté

de changement. Développons maintenant un peu le point 2) dans une région du pays en 1959,

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la désobéissance civile avait fait son apparition. Il s’agit de la partie du Bas-Congo située

entre le Matadi et Léopoldville, et qui était entièrement dominée par l’Abako. Dès l’été de

1959, la population de cette région échappe dans une large mesure à l’autorité coloniale ; elle

ne reconnaît plus que l’autorité de l’Abako et celle de son chef, objet d’un véritable culte,

M.Kasa-Vubu. Comment rétablir l’autorité ? On ne pouvait laisser pourrir une région aussi

importante que le Bas-Congo, région clé pour la colonie, notamment du point de vue des

communications, c’était la région du rail Matadi-Léopoldville. Le gouvernement Belge se

trouvait là devant un problème doublement insoluble. Le recours à la force lui était interdit,

l’emploi des troupes belges au Congo était pratiquement exclu : étant donné l’état de

l’opinion en Belgique, toute tentative dans ce sens eut été un suicide politique. Les Belges,

d’une manière générale, étaient opposés à l’emploi de la force au Congo. Mais des mesures

intermédiaires, consistant, sans engager l’épreuve de force, à essayer de mater malgré tout le

mouvement de désobéissance, par exemple en s’en prenant à ses leaders, se heurtaient à des

obstacles qui n’étaient pas moindres. En prenant compte des leaders politiques jouissant d’une

solide popularité, ou même idolâtrés, comme Kasa-Vubu, des mesures coercitives, le

gouvernement aurait perdu d’un seul coup tous les bénéfices de la politique qu’il avait mené.

Nous touchons ici à un nœud du problème, et il faut y insister. Personne en Belgique ne

s’était enthousiasmé pour la politique du 13 janvier. On se rendait compte de tous ses

inconvénients. Ces inconvénients, ces dangers même, étaient visibles, manifestes : on

allait conduire à l’indépendance, dans des délais bref, des populations très mal

préparées à se diriger elles-mêmes. Personne ne croyait les Congolais mûrs pour

l’indépendance ; on s’entait les risques que l’on courait. Mais ces inconvénients étaient

compensés par un avantage, un seul : on construirait le Congo nouveau dans l’amitié

avec les Congolais ; on ferait une décolonisation fondée non sur la lutte comme cela avait

été si souvent le cas ailleurs, mais sur la collaboration. Tel était le sens de la politique

belge. Si la lutte s’engageait au Congo, la raison d’être même de cette politique

disparaissait.

Le second point a sans doute été celui qui a la plus pesé dans la balance. Le père de

l’indépendance congolaise, plus encore que Patrice Lumumba, a été Joseph Kasa-Vubu.

La décolonisation du Congo a présenté d’autres caractères originaux : (4)

1. Elle s’est faite sous la pression du nationalisme africain.

2. Les forces traditionnelles qui avaient dominé jusqu’alors la scène coloniale ne

vont plus jouer, en cette période critique, qu’un rôle tout à fait mineur. On songe

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immédiatement à la trilogie célèbre : administration, Eglises, grande sociétés. Le

Congo colonial vivait très largement sous cette triple emprise. Or, chose frappante

dans la course à la décolonisation, ces forces traditionnelles vont s’effacer. La grande

préoccupation de l’Eglise est d’éviter tout identification avec la puissance coloniale,

de manière à ce que la décolonisation ne se fasse pas aussi contre elle. Le cas le plus

extraordinaire est celui des grandes sociétés coloniales. Comment concevoir qu’elles

n’aient pas, dans des heures cruciales, usé de leur force exceptionnelle, qui les rendait

littéralement maîtresse de l’économie ? désorientées, surprises par le caractère

inattendu d’événements auxquelles elles ne s’étaient pas préparées, elles sont

demeurées pratiquement passives. Leur principale préoccupation, était si possible de

s’assurer la bienveillance de tous. «  Les sociétés arrosèrent indifféremment les partis,

afin de se ménager des amis parmi les futurs dirigeants. Elles jouaient sur tous les

tableaux. Cette impuissance de tous ceux qui, jusqu’alors, avaient parlé si haut, a

été un des aspects les plus frappants de la crise. Ce qui a surtout privé les milieux

coloniaux conservateurs de toute possibilité d’agir sur les événements a été

l’incapacité totale où ils se trouvaient, face à une politique qu’ils n’aimaient pas, d’en

proposer une autre.

3. Un autre grand absent, dans le processus de décolonisation, fut le colonat blanc

du Congo. Son rôle fut également insignifiant. L ‘impuissance des colons, tout

comme celle des milieux coloniaux métropolitains, vint en grande partie de ce qu’ils

n’avaient, eux non plus, aucune solution de rechange à proposer. Le drame des colons

fut aussi qu’ils n’étaient pas organisés pour la lutte politique . Ils ne s’étaient pas, à

l’époque coloniale classique, organisés en vue de l’exercice du pouvoir, puisque la

participation au pouvoir leur avait été refusée. Alors que dans les territoires d’Afrique

où le colonat européen avait une certaine consistance, les colons, dans le processus

d’émancipation, ont joué un rôle de frein, au Congo, le frein a été inexistant. Le

véritable paradoxe à été que les colons en fin de compte ont été parmi les artisans du

30 juin 1960 (date d’indépendance du Congo). En effet ces derniers on fait part de leur

volonté au ministre M.De Schryver, que l’on sorte le plus vite possible de la période

d’incertitude dans laquelle ils trouvaient. L’incertitude gâche tout disaient-ils, à cause

d’elle tout marche mal. Selon eux, « mieux vaut l’indépendance immédiate ».

4. dernier caractère d’originalité : le rôle de l’opinion publique belge, dans le

processus de décolonisation, a été capital ; le fait qu’elle ne voulait pas de recours à

la force, qu’elle ne voulait pas de « politique algérienne », a pesé d’un poids décisif ;

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mais- et c’est ici que le phénomène a été original- rarement une opinion publique a

joué un rôle aussi grand en étant aussi peu consciente du rôle qu’elle jouait.

1959 a donc été l’année de l’accélération. Le premier semestre de 1960, jusqu’au 30 juin, sera

celui de la mise en place de l’indépendance. Au mois de janvier 1960 s’ouvrit à Bruxelles la

conférence belgo-congolaise de la Table ronde, qui devait discuter le problème des futures

institutions du Congo. Pour les Belges, la conférence constituait la dernière grande chance

d’atteindre l’objectif qu’ils poursuivaient avec tant de persévérance : réaliser l’entente avec

les Congolais de manière à ce que l’indépendance se fasse dans l’amitié. Les Congolais

venaient, quant à eux, à Bruxelles avec la ferme détermination de conquérir leur indépendance

immédiate. Les délégués Congolais remportèrent ce qu’ils considérèrent comme une grande

victoire. Ils obtinrent que l’accession à l’indépendance soit fixée au 30 juin 1960. La suite de

la Table ronde eut une véritable importance. Importance quant au contenu de

l’indépendance tout d’abord : celle-ci, décida-t-on, devrait être totale. On abandonna

définitivement l’idée de combiner le régime d’indépendance avec le maintien de

certaines attribution Belges au Congo. Le gouvernement souhaitait sans aucun doute que la

Belgique puisse conserver une compétence en ce qui concernait la défense du Congo et sa

représentation diplomatique, peut-être aussi pour certaines questions financières. Les délégués

congolais, dans leur très grosse majorité, voulaient pour le 30 juin l’indépendance complète,

sans aucune réserve. On s’inclina devant leur exigence. On s’inclina aussi lorsqu’ils exigèrent,

en ce qui concerne les futures institutions du Congo, que l’on prenne à la table ronde des

décisions définitives. Du côté belge, on aurait été enchanté d’entendre les Africains exposer

quelles étaient les solutions les mieux adaptées au développement de leur société, à leur

tradition propres, à leur mentalité. Rien ne vint, faute d’expérience les Congolais ne s’étaient

encore formé aucune conception personnelle. Les Belges leur offrirent donc, avec beaucoup

de bonne volonté, ce qu’ils avaient de mieux, c’est-à-dire un décalque, grosso modo, de leurs

propres institutions. On décida de doter le Congo A)d’un système bicaméral, avec Chambre et

Sénat, B)d’un gouvernement dont le Premier ministre et les ministres seraient « politiquement

responsables » devant les deux Chambres. C) d’un chef de l’Etat dont les actes n’auraient

d’effet « que s’ils sont contresignés par un ministre du gouvernement congolais, seul

responsable ». Les seules difficultés réelles, au sujet des institutions, furent provoquées

par le problème de la répartition des compétences entre le pouvoir central et les

autorités provinciales. Là-dessus, les Congolais étaient profondément divisés entre eux.

Patrice Lumumba, d’un côté, avec le MNC, était nettement unitariste et réclamait un pouvoir

central fort. La Conakat, à l’inverse, avec Moïse Tshombe, se prononçait pour un fédéralisme

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qui donnerait aux provinces, une très large autonomie. Finalement, on arriva à une formule de

compromis : le pouvoir central conservait toutes les attributions essentielles dans le

fonctionnement d’un Etat moderne, mais les autorités provinciales se voyaient

néanmoins attribuer, dans différents domaines, une compétence très étendue. Pour ne

citer qu’un exemple, l’enseignement, aux degrés primaire et secondaire, devait relever du

pouvoir provincial. Les autorités belges, il faut le souligner, n’essayèrent à aucun moment de

peser en faveur d’une formule fédéraliste. La Belgique en 1960 n’avait aucun choix :

soutenir le fédéralisme aurait été pour elle totalement impossible car : 1) elle aurait, en le

faisant, dressé contre elle, dans une opposition qui aurait été certainement violente, certains

des partis et des hommes politiques les plus influents et les plus dynamiques ; c’eût été la

faillite, par conséquent, de sa politique d’indépendance dans l’amitié. 2) l’impossibilité tenait

aussi au programme des fédéralistes. Soutenir le Fédéralisme, c’était jouer dans les cartes de

la Conakat, c’est-à-dire d’un parti dont le fédéralisme et même le séparatisme étaient fondés

sur un égoïsme katangais affiché de la manière la plus ouverte. « Les richesses du Katanga au

Katangais ». la table ronde se termina le 20 février dans une atmosphère chaleureuse. Les

paroles que patrices Lumumba prononça lors de la séance de clôture de la conférence

correspondaient exactement à ce que le gouvernement belge aspirait à entendre, à se vers quoi

toute sa politique avait tendu… Lumumba s’écria à la fin de son discours : « vive le Congo

indépendant !, Vive la Belgique !, Vive l’amitié entre nos peuples ! ». citons quelques unes

des étapes essentielles avant la proclamation de l’indépendance :

11 mai au 25 mai : déroulement dans tout le Congo, des élections législatives et

provinciales.

18 mai : vote de la loi sur les structures fondamentales au Sénat.

19 mai : promulgation de la loi.

1er juin : première réunion des assemblées provinciales.

17 juin : première réunion des Chambres congolaise-la mission d’information de

M.Lumumba n’ayant pas abouti, M.Kasa-Vubu est appelé à son tour, en qualité, de

formateur du gouvernement.

21 juin : échec de M.Kasa-Vubu, M.Lumumba est désigné comme formateur.

23 juin : constitution du gouvernement présidé par M.Lumumba.

24 juin : le gouvernement obtient la confiance des Chambres- Election par les

Chambres réunies de M.Kasa-Vubu comme chef de l’Etat.

29 juin : signature d’un traité d’amitié, d’assistance et de coopération entre le Congo et

la Belgique.

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30 juin : proclamation de l’indépendance.

Dans la politique de 1960, le rôle des personnalités commence à se dégager de manière de

plus en plus nette. On ne peut plus comprendre les évènements sans comprendre Lumumba,

Kasa-Vubu, Moïse Tshombe. Ce sera d’abord, avant l’indépendance, l’heure de Patrice

Lumumba. Par son extraordinaire talent oratoire, par l’emprise qu’il exerçait sur les foules,

par sons sens de l’action, Lumumba, très rapidement, s’était hissé à la première place. La

période coloniale belge devait se terminer le 30 juin 1960 par une scène étonnante. Lors de la

cérémonie de l’indépendance, on entendit successivement trois discours : celui du Roi des

Belges, celui du chef de l’Etat congolais à savoir Kasa-Vubu et (surprenant tout le monde car

il n’était pas prévu au programme) un discours de Patrice Lumumba. Rarement au cours d’une

cérémonie de ce genre, les notes furent aussi discordantes. Dans le discours du Roi

s’exprimait une dernière fois, la pure tradition coloniale de la Belgique, avec tout ce

qu’elle comportait de satisfaction de soi. Le Premier ministre du nouvel Etat, donnait

quant à lui libre cours avec une outrance voulue, à toutes les inspirations de son

nationalisme. Le discours du Roi Baudouin s’opposait au discours de Lumumba, autant à

propos de l’histoire qui venait de se faire qu’à propos du passé ancien. L’évocation du passé

colonial se ramenait à un dialogue presque enfantin. Aux paroles du Roi, « comme nous avons

été bon ! Comme nous avons fait de belles choses ! » répondait la plainte, « comme nous

avons été opprimés ! Comme nous avons souffert ! ». C’était un véritable choc entre 2

mythologies : la mythologie des colonisateurs, où l’on voyait une divinité puissante et

bienfaisante à la fois, le roi Léopold II, entraîner son peuple dans une grande entreprise

civilisatrice, et la mythologie des colonisés, beaucoup plus jeune d’ailleurs, faite de figure

souffrantes. Elles étaient avant tout, l’une et l’autre, la projection de besoins psychologiques :

les besoins, chez les Belges, d’entretenir leur bonne conscience et de nourrir leur fierté

nationale ; le besoin pour les Congolais d’accéder à cette fierté en dénonçant, pour les

exorciser, les humiliations du passé. La seul différence importante entre les deux mythologies

était que l’on était habitué à la première, alors que la seconde choquait par sa nouveauté.

Epilogue :

Le 30 juin 1960, le Congo devenait indépendant. Le 5 juillet, une mutinerie éclatait au sein de

l’armée : c’était le début du drame. Ce drame a inspiré des jugements guère favorables à la

politique de la Belgique. La Belgique, a-t-on souvent dit, a réussi le chef d’œuvre de la

décolonisation manquée. Mais cela ne relève pas de l’histoire mais d’un jugement de valeur.

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En s’en tenant à la simple analyse des faits, on peut apercevoir ce qui, dans les semaines qui

ont suivies immédiatement l’indépendance, a donné au cas du Congo, un caractère

d’originalité. Immédiatement après l’indépendance, il s’est produit dans le nouvel Etat 2

phénomènes que l’on a vu nulle part ailleurs :

Le départ massif de la grosse majorité des Européens qui étaient passés du

service de la colonie à celui du Congo indépendant. Il s’agit ici du secteur public.

Le départ des Européens, qui a pris souvent les caractères d’une fuite, s’est produit au

moment des troubles qui ont suivi l’indépendance. Mais on peut penser que les

troubles, en l’occurrence, n’ont fait que hâter un processus qui se serait déclencher en

tout état de cause. Étant donné la structure de l’administration, de l’armée, de la

magistrature au 30 juin 1960, on peut penser que, même sans trouble grave, on aurait

assister a plus ou moins brève échéance à une éviction massive des Européens. Partout

dans le secteur public, en effet, au moment de l’indépendance, la situation était la

même : des Européens, et rien que des Européens occupaient les échelons supérieurs,

et les Congolais était en dessous. Il n’y aurait eut qu’une seule manière d’éviter, tout

au moins dans une certaine mesure, ce double phénomène de poussée des Congolais

vers le haut et d’éviction brutale des Européens : c’eût été d’africaniser, avant

l’indépendance, les cadres supérieurs. Les Africains promus aux grades supérieurs ont

intérêt , dans ce cas, au maintien de l’appareil administratif. Il se crée, entre eux et les

Européens, un certains degré de solidarité pour la sauvegarde de la hiérarchie

administrative. Au Congo, avant le 30 juin 1960, l’africanisation demeura presque

nulle : c’est là le nœud du problème.

Le second phénomène propre au Congo, dans les semaines qui ont suivi le 30 juin

1960, a été la dislocation extraordinairement rapide du pays. Dans aucun autre

Etat Africain, le dislocation – avec comme élément essentiel, dans le cas du Congo, la

sécession katangaise -, n’a marché aussi étroitement sur les pas de l’indépendance. Ce

qui fondamentalement, s’est révélé à travers les évènements, est la faiblesse de la

cohésion nationale, de l’esprit national. L’explication se trouve, en partie tout au

moins, dans la politique menée par la Belgique. Dans l’émancipation des peuples

coloniaux, ce qui a presque toujours donné le plus puissant des coups de fouet à

l’esprit national, a été la lutte contre les colonisateurs. La Belgique, elle, a refusé la

lutte. Elle n’a pas donné l’occasion au peuple congolais de s’affirmer dans un combat

commun.

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