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www.courrierinternational.com N° 1134-35-36 du 26 juillet au 15 août 2012 Parents Pas facile d’élever ses enfants ! Tour du monde des grands principes et des petits compromis familiaux Mais comment font-ils ?

[RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional_Especial_del 26 de julio al 15 de agostoDe2012

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www.courrierinternational.comN° 1134-35-36 � du 26 juillet au 15 août 2012

Parents

Pas facile d’élever ses enfants !

Tour du monde des grands principes

et des petits compromis familiaux

Mais comment font-ils ?

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Modèles & antimodèles

Pères, mères & impairs

Ils font comme ça

Mais comment font-ils ?II � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

8 600 mères interrogées dans le monde, en Inde, au Mexique, au Japon, au Brésil, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, maisaussi en Indonésie, au Pérou, à Taïwan, ou en Thaïlande… L’enquête publiée il y a quelques jours par l’institut américainMcCann Truth Central s’annonçaitprometteuse, en tout cas pour tous ceux qui cherchent à comprendre ce qui se passe dans la tête des nouveauxparents, à l’heure de la mondialisation descultures, du web et de Twitter. La premièreréponse est pourtant d’une banalitéaffligeante. Car, dans leur très grandemajorité (83 %), les mamans aspirent en priorité… au bonheur de leurs enfants.En voilà, un scoop ! En fait, la vraieoriginalité de l’étude provient plutôt des détails fournis dans les réponses, qui dessinent, en filigrane, un nouveaupaysage de valeurs parentales postcrise.Car, depuis 2008, le monde a changé, et les parents avec. Les excès ducapitalisme et les méfaits de la corruptionsont passés par là. Désormais, les mères

souhaitent inculquer à leurs rejetons le sens de la justice. Celles quinourrissaient il y a encore dix ans tous les espoirs de réussite pour leurs enfantsplacent désormais le respect, l’honnêtetéet l’intelligence en tête des principes à transmettre, rapporte l’institut McCann.Les “little princesses” américaines et les “petits empereurs” chinois n’ont qu’à bien se tenir. Mamans Tigres à Pékin,“supermoms” à Washington, techno-papas au Chili ou pères fumeurs au Danemark,tous les parents du monde partagent bien sûr les mêmes doutes, les mêmesangoisses, les mêmes joies. Mais pastoujours les mêmes valeurs. Courrier international profite des vacancesestivales, propices aux retrouvaillesfamiliales, pour vous faire découvrir la planète des papas-mamans. Où l’on découvre des mamans stressées et des papas poules, des fessées et des précepteurs, des mères blogueuses et des pères adeptes de Big Brother…Eric Chol

Papa, Maman et la crise

III A la recherche du parent parfait IV Sage comme un petit Français VI A la trique ! VII Le choc des cultures

VIII Les femmes ne peuvent pas tout avoirX Mauvaise mère et fière de l’êtreXI L’attachement parental, ou l’art de la glue XII Comment je suis devenu père et stupideXIII Fini la tyrannie en Chine XIII A Copenhague, la garderie des papas XIV Des générations interconnectées XV A quoi bon la fête des pères ? XV Incités à aimer leur fille

XVI Ils jonglent avec leurs enfants boomerangsXVIII Ils donnent encore la fessée XIX Ils ne disent ni “il” ni “elle” XX Ils deviennent profs à la maisonXXII Ils rêvent d’une école idéaleXXII Ils rejouent Big Brother XXIII Ils fument en cachette

Sommaire

Sources Editorial

Réalisation

Directeur de la rédaction : Eric Chol.Coordination éditoriale : Isabelle Lauze (avec Roman Schmidt).Coordination maquette :Edwige Benoit.Iconographie :Lidwine Kervella.Colorisation : Céline Mérien.Photogravure :Jonathan Renaud Badet.Et toute l’équipe de Courrierinternational.

En couverture : unefamille de superhéros sur le modèle desIndestructibles. Photo MarkRoberts/Gallery Stock

The Atlantic 430 000 ex.,Etats-Unis, mensuel. Depuis 1857, la prestigieuserevue traite de politique et de culture et continue de publier de courtesœuvres de fiction. Les sujetsdu moment y sont traitéspar des acteurs importantsdu monde politique oulittéraire américain. En 2008,The Atlantic Monthly devientThe Atlantic tout court.Dagens Nyheter360 000 ex., Suède,quotidien. Fondé en 1864,c’est le grand quotidienlibéral du matin. Sa page 6est célèbre pour les grandsdébats d’actualité. “Les Nouvelles du jour”appartient au groupeBonnier, le plus grandéditeur et propriétaire de journaux en Suède. The Daily Beast(thedailybeast.com). Ce sited’information a été créé en 2008 par Tina Brown,ancienne rédactrice en chefde Vanity Fair et du NewYorker. Le site publieuniquement des opinions ou des analyses qu’il veutsans pitié.Al-Hayat 110 000 ex., ArabieSaoudite (siège à Londres),quotidien. “La Vie” est sans

doute le journal de référencede la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gaucheou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public.The Hindu 700 000 ex.,Inde, quotidien.Hebdomadaire fondé en 1878, puis quotidien à partir de 1889. Publié à Madras et diffuséessentiellement dans le suddu pays, ce journalindépendant est connu pour sa tendance politiquede centre gauche.Nandu ZhoukanChine, hebdomadaire. Créé en mars 2006 comme un supplément au quotidiencantonais Nanfang Dushibao,ce magazine abondammentillustré – qui s’adresse à un lectorat urbain et aisé –est une émanation de l’unedes publications régionalesles plus dynamiques, etparfois critiques, de Chine.La Tercera 200 000 ex.,Chili, quotidien. Lancé en 1950, “La Troisième”est un journal populaire luessentiellement par la classemoyenne. Il tente de faire de l’ombre à son concurrent,le conservateur El Mercurio.

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Chinois, français, bolivien, mongol,mélanésien ? Une série de best-sellersrécents vantent la supériorité de modèles éducatifs venus d’ailleurs.

The Wall Street Journal New York

Quelle culture produit les meil -leures mères ? C’est un grandsujet de discussion ces dernierstemps. Amy Chua, professeureà l’université Yale, avait déclen-ché un tollé l’an dernier en ex -

po sant ses principes très stricts d’éducation dansson livre L’Hymne de bataille de la mère Tigre [Gal-limard, 2011]. A l’en croire, les mères chinoisescomme elles interdisent la télévision et les jeuxvidéo à leurs enfants, leur imposent l’apprentis-sage d’un instrument de musique et leur serrenten permanence la vis. Cela produit des enfantsextrêmement intelligents et doués, mais on peutse demander s’ils sont heureux.

Plus récemment, une ancienne du Wall StreetJournal, Pamela Druckerman, a publié un ouvrageintitulé French Children Don’t Throw Food [Lesenfants français ne jettent pas la nourriture], danslequel elle chante les louanges de l’éducation dis-pensée par les mères françaises [voir aussi p. IV].Selon Mme Druckerman, qui a vécu dix ans enFrance et y a élevé trois enfants, les Françaisesne laissent pas leurs bambins grignoter entre lesrepas et ne cherchent pas à en faire de petitsgénies. A la différence des mères américainesnévrosées, qui vivent dans la hantise que leursrejetons soient kidnappés, confrontés à despauvres ou contraints de fréquenter une univer-sité de deuxième catégorie, les mères françaisesne sont pas obsédées par leurs enfants. Elles lesemmènent au square mais se désintéressent. Ellesne jouent pas avec eux, ne leur parlent pas, elles

A la recherche du parent parfait

se détendent. Et les enfants semblent fort biens’en accommoder.

Ce printemps, pas moins de quatre nouveauxlivres sont parus aux Etats-Unis sur la supérioritédes mères de telle ou telle culture. Selon le psy-chologue de l’enfance Atahualpa Vargas, originairede Cochabamba, les mères boliviennes sont véné-rées dans toute l’Amérique du Sud pour leur déter-mination stoïque et leur dévotion à leurs enfants,comme il l’explique dans son ouvrage IncredibleIncas: Why The Best Moms in the World Come fromLa Paz [Incroyables Incas : pourquoi les meilleuresmères du monde viennent de La Paz].

Un point de vue battu en brèche par AddfwynGriffith dans How the Welsh Invented ModernMotherhood [Comment les Galloises ont inventéla maternité moderne]. Cette professeure d’uni-versité affirme que les mères galloises surpassentFrançaises, Chinoises ou Boliviennes, car elles“se taisent et ne rappellent pas sans cesse à leursenfants à quel point ils sont exceptionnels”.

Pas de généralisationPour ne pas être en reste, Super-Moms from Fiji ![Les supermamans des îles Fidji] affirme que lesenfants élevés dans le Pacifique sud font les plusheureux des adultes, car le climat leur permet dejouer dehors toute l’année, si bien que leurs mèrespeuvent rester chez elles sans avoir l’obligationde les distraire durant toute la journée.

Enfin, dans Matriarchs of the Yurt [Les ma -triarches de la yourte], une Allemande qui a eudeux fois des triplés qu’elle a élevés à Oulan-Batorexplique que les mères mongoles élèvent leursenfants dans un climat plus serein, car leurs marispassent beaucoup de temps sur la route. Ellesn’ont donc pas à craindre qu’ils rentrent tous lessoirs à la maison d’humeur massacrante.

Quant à moi, je suis extrêmement réticentà l’idée de faire des généralisations sur les cul-tures étrangères, sauf à propos des Belges,M

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esY aurait-il uneméthode meilleureque les autres pourélever ses enfants ? De Paris à Pékin, tourdu monde des grands(et petits) principesd’éducation qui pourraient nousinspirer. Ou pas.

Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � III

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Modèles & antimodèles

Sage comme un petit FrançaisAméricaine établie à Paris, Pamela Druckerman admire l’autoriténaturelle qui semble émaner des parents français. Entre candeuret clichés, elle enquête sur ce petitplus qui leur permet d’éviter bien des caprices et des larmes.

The Wall Street Journal (extraits) New York

Quand ma fille a eu 18 mois, monmari et moi avons décidé de l’emmener pour quelquesjours de vacances sur la Côte.Bean, comme nous la surnom-mons, était notre aînée, aussi

veuillez nous pardonner d’avoir songé : “Il n’y apas de raison que cela se passe mal.”

Nous nous sommes rapidement aperçus quemanger au restaurant avec une enfant qui com-mence à marcher était la croix et la bannière. Aubout de quelques minutes, après s’être briève-ment intéressée à son assiette, Bean se mettaità renverser les salières et à déchirer les sachetsde sucre. Puis elle exigeait qu’on la descende desa chaise haute pour pouvoir cavaler à travers le restaurant et filer vers le port.

Notre tactique, en réponse, a été de mangeren quatrième vitesse. Nous commandions avantmême d’être assis et demandions au serveur denous apporter entrées et plats en même temps.Pendant que mon mari avalait quelques bou-chées de poisson, je veillais à ce que Bean ne soitpas heurtée par un serveur ou ne tombe pas àl’eau. Puis nous échangions les rôles. Et nouslaissions des pourboires faramineux pour nousexcuser du serpentin de serviettes déchirées et de calmars au pied de la table.

Après quelques repas soumis aux mêmesaffres, j’ai commencé à remarquer que les fa -milles françaises qui nous entouraient ne sem-blaient pas vivre le même calvaire. Etrangement,elles avaient l’air d’être en vacances. Leurs petitsFrançais semblaient contents dans leur chaisehaute. Ils attendaient leur repas, mangeaient dupoisson et même des légumes. Ni cris perçantsni jérémiades. Et pas l’ombre d’un détritus aupied des tables.

Je me suis rapidement rendu compte que lesdifférences ne s’arrêtaient pas aux repas. Com-ment se faisait-il, par exemple, que, durant lescentaines d’heures que j’avais passées dans lesaires de jeux françaises, je n’avais jamais vu d’en-fant piquer une colère ? Pourquoi mes amiesfrançaises n’étaient-elles jamais obligéesd’écourter une conversation parce que leursenfants trépignaient à côté du téléphone ?Pourquoi leurs salons n’étaient-ils pasenvahis de tipis et d’ustensiles de dînette,comme le nôtre ?

A Paris, lorsque des familles américainesvenaient nous rendre visite, les parents pas-saient généralement le plus clair de leurtemps à arbitrer les chamailleries de leursenfants, à guider le petit dernier dansl’exploration de l’îlot de la cuisine ou,collés par terre, à construire des vil-lages en Lego. A l’inverse, quand desamis français nous rendaient visite,les adultes prenaient leur café deleur côté tandis que les enfants

jouaient tranquillement du leur. J’ai alors décidéde tirer au clair ce que les parents français fai-saient différemment. Et, aujourd’hui que Bean a6 ans et que j’ai des jumeaux qui en ont 3, je peuxvous le dire : les Français ne sont pas parfaits,mais ils ont une recette en matière d’éducationqui marche vraiment. Rassurez-vous, je ne souffrepas d’un parti pris profrançais. Au contraire, jene suis même pas sûre d’aimer vivre ici. Je neveux en aucun cas que mes enfants deviennentdes Parisiens hautains en grandissant. Mais, endépit de tous ses défauts, la France présente unfort contraste avec les Etats-Unis en matièred’éducation. Les parents français de la classemoyenne ( je ne me suis pas intéressée aux trèsriches ou aux pauvres) parviennent à s’investirdans leur vie de famille sans que cela tourne àl’obsession. Ils partent du principe que même de

bons parents ne sont pas constamment au ser-vice de leurs enfants, et qu’il n’y a aucun mal àcela. “Pour moi, les soirées sont réservées aux parents,m’a ainsi confié une mère parisienne. Ma fille peutrester avec nous si elle le souhaite, mais c’est l’heuredes adultes.”

Naturellement, les Français ont toutes sortesde services publics qui rendent le fait d’avoir desenfants plus attrayant et moins stressant. Lesparents n’ont pas à payer pour l’école maternelle,ni à épargner pour envoyer leurs enfants à l’uni-versité. Mais ces services publics n’expliquent pastout. Quand j’ai demandé à des parents françaiscomment ils s’y prenaient pour discipliner leurprogéniture, il leur a fallu quelques secondes pourcomprendre ce que je voulais dire. “Ah, vous voulezdire comment on les élève ?” m’ont-ils demandé. Leterme “discipline”, devais-je bientôt m’aperce-voir, revêt une acception étroite qui évoque lapunition et, de ce fait, est rarement employé. Alorsque l’éducation (qui n’a rien à voir avec l’école)est à leurs yeux un processus continu.

L’une des clés de cette éducation est toutsimplement l’apprentissage de la patience. Voilàpourquoi la plupart des bébés français font leurnuit à partir de l’âge de 2 ou 3 mois. Leurs parentsne vont pas les prendre dès l’instant où ils semettent à pleurer, ce qui permet aux bébés d’ap-prendre à se rendormir. Voilà aussi pourquoi lespetits Français se tiennent bien tranquilles aurestaurant. Plutôt que de grignoter toute la jour-née comme les enfants américains, la plupartd’entre eux doivent attendre l’heure du repaspour manger (tous les petits Français ont troisrepas par jour et un goûter vers 16 heures).

Un samedi, j’ai rendu visite à Delphine Porcher, une jolie trentenaire, avocate spécia-liste du droit du travail, qui vit avec sa familledans la banlieue est de Paris. Quand je suis arri-vée, son mari travaillait sur son ordinateur por-table dans le salon pendant qu’Aubane, 1 an,faisait la sieste à ses côtés. Pauline, 3 ans, étaitassise à la table de la cuisine, totalement absor-bée par sa mission, qui consistait à déposer despetits tas de pâte à gâteau dans de petits moules.

Delphine n’a pas décidé un beau jour d’ensei -gner la patience à ses enfants. Mais les rituels fami- liaux quotidiens font office d’école de formation

L’auteure

Pamela Druckerman,42 ans, est unejournaliste américaine.Employée au WallStreet Journal de 1997à 2002, elle travailleaujourd’hui en tantque chroniqueuseauprès de plusieursmédias américains et européens. Mariée à un Anglais,mère de trois enfants,elle vit à Paris.En janvier 2012, elle a publié au Royaume-Uni un essai intituléFrench Children Don’t Throw Food(Les enfants françaisne balancent pas leurnourriture par terre,éd. Doubleday), dans lequel elle passeen revue les méthodesd’éducation à la française. Le même ouvrage est sorti en février aux Etats-Unis,intitulé cette foisBringing up Bébé. One American MotherDiscovers the Wisdomof French Parenting(Elever Bébé, une mère américainedécouvre les vertus de l’éducation à la française, PenguinPress, pour l’instantinédit en français).Au Royaume-Unicomme aux Etats-Unis, le livre a fait couler beaucoupd’encre. Le débatportait notamment sur le fait de savoir si les parents français,en “cadrant” trop leurs enfants, ne bridaient pas leuresprit d’indépendanceet leur créativité.

sur lesquels on peut dire ce que l’on veut sansque personne s’en offusque. Mais l’approcheimpressionniste, fortement autobiographiqueet absolument pas scientifique des ouvragesd’Amy Chua, de Pamela Druckerman et de tousles autres est profondément injuste à l’égard demères d’autres origines tout aussi méritantes.

Les Canadiennes font d’excellentes mamans.Les Ukrainiennes aussi. Les mères juives peu-vent soutenir la comparaison avec toutes lesautres, de même que les Norvégiennes, les Tas-maniennes et les Kényanes. Tout dépend de laperspective dans laquelle on se place.

Mon expérience personnelle me dit que lesmeilleures mères sont les Italo-Américaines, parcequ’elles sont tendres et chaleureuses, mais sur-tout en raison des cannellonis. Ma mère irlando-américaine était une piètre cuisinière, si bienqu’enfant, après avoir consciencieusement mangéles restes du malheureux animal qu’elle venait decarboniser, je les vomissais puis je dévalais la ruejusqu’à la maison de Richie Giardinelli, dont lamère préparait des gratins de macaronis, des bou-lettes de viande ou des cannellonis. Je n’ai jamaisrencontré une mère plus aimée de ses enfantsque Mme Giardinelli, même si elle n’était pas trèsdifférente de toutes les autres mères italo-amé-ricaines que j’ai connues. Celles-ci adorent leursenfants, prennent soin d’eux, les défendent, etc’est pour cela qu’une fois devenus adulte cesenfants deviennent généralement des soutiensde leur communauté. Si je devais renaître, j’ai-merais le faire dans une famille italo-américaine,pour la chaleur, l’affection, la passion et la géné-rosité, mais surtout pour les cannellonis. Joe Queenan

Ni cris ni jérémiades. Et pas l’ombre d’un détritusau pied des tables

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Espagne

C’est un fait : les enfants sont livrés sans notice.Que faire quand un petit de 6 ans affirme qu’il ne veut pas aller à l’école ? Et s’il pose des questions sur la sexualité ? Voilà le genre de questions auxquelles répond le cours en ligne“Superpadres” [Superparents], mis au point par la fondation pour l’éducation Universidad de Padres, en collaboration avec le groupePlaneta, groupe multinational d’édition. A hauteur de 100 euros pour quatre mois, les parents ont accès au campus virtuel, au contenu théorique, aux cas pratiques et aux forums, et ils peuvent à tout momentbénéficier du soutien d’un tuteur. José AntonioMarina, président de l’Universidad de Padres,estime que les parents d’aujourd’hui ont besoind’un coup de pouce parce que “le monde est plus compliqué qu’autrefois” et qu’ils sont seulspour élever leurs enfants. Cette cyberuniversitépropose 16 cursus pour les parents d’enfants de 0 à 16 ans, soit un par année d’âge de l’enfant.Elle sera lancée le 15 septembre avec, à disposition, une quinzaine de tuteurs(psychologues, enseignants du primaire et pédagogues). Lors de la phase de test,500 parents ont suivi (et payé) les cours.Cette initiative a pour objectif de former desparents d’élite qui élèvent des enfants “de talent”,explique José Antonio Marina. L’université des “superparents” a pour vocation, selon ses créateurs, d’accompagner les pères et mères.Chaque année, cinq cycles seront ouverts pour chacun des cursus et accessibles depuis n’importe quel écran connecté à Internet(ordinateur, iPad et autres tablettes). Alejandra Agudo El País Madrid

Formation d’élite

IV � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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continue. Delphine m’a raconté qu’il lui arrivaitd’acheter des bonbons à Pauline (la plupart desboulangeries en vendent). Mais Pauline n’étaitjamais autorisée à les manger avant l’heure dugoûter, quand bien même cela impliquait depatienter plusieurs heures. Et lorsque Pauline aessayé d’interrompre notre conversation, Del-phine a dit : “Attends deux minutes, ma puce. Je suisen train de parler.” J’ai été frappée tant par la gen-tillesse du ton de Delphine que par le fait qu’elleavait l’air certaine que Pauline lui obéirait.

Les parents américains veulent bien sûr queleurs enfants soient patients. Nous incitons nosenfants à partager, à attendre leur tour, à mettrela table et à faire leurs gammes au piano. Maisla patience n’est pas une vertu que nous prô-nons avec autant d’assiduité que les parents fran-çais. Nous avons tendance à considérer que lapatience d’un enfant est fonction de son tem-pérament. A nos yeux, les parents d’un enfantqui sait attendre ont de la chance, les autres non.

En France, les parents et les personnes quis’occupent des enfants ont du mal à croire quenous puissions être aussi laxistes à l’endroit decette faculté qu’ils jugent essentielle. Lorsque j’aiabordé le sujet dans un dîner à Paris, mon hôtefrançais s’est lancé dans une histoire survenuependant l’année qu’il avait passée en Californiedu Sud. Son épouse et lui s’étaient liés d’amitiéavec un couple d’Américains et avaient décidé departir en week-end ensemble à Santa Barbara.C’était la première fois qu’ils rencontraient leursenfants respectifs, dont les âges allaient de 7 à15 ans. Des années plus tard, ils se souvenaientencore que les enfants américains coupaient les

adultes au milieu de leurs phrases. Et que les repasn’avaient pas d’heure fixe ; les enfants américainsouvraient la porte du frigo et prenaient ce qu’ilsvoulaient quand ils le voulaient. “Ce qui nous afrappés et dérangés, c’était que les parents ne disaientjamais non”, m’a raconté le mari. “Les enfants fai-saient n’importe quoi*”, a complété sa femme.

Au bout d’un moment, je me suis renducompte que la plupart des Français se servaientde l’expression “n’importe quoi” pour décrire lesenfants américains, sous-entendant par là qu’ilsn’ont pas de limites clairement fixées. L’antithèsede l’idéal français du “cadre” – terme qui revient

souvent dans la bouche des parents français – :les enfants ont des limites très précises sur cer-taines choses, que les parents font respecter scru-puleusement. Toutefois, à l’intérieur de ce cadre,les parents français laissent à leurs enfants uneliberté et une autonomie assez importantes.

L’autorité est l’une des composantes les plusimpressionnantes de l’éducation à la française– et peut-être la plus ardue à maîtriser. Beau-coup des parents français que j’ai rencontrésexercent sur leurs enfants une autorité calme etnaturelle que je ne peux que leur envier. Leurprogéniture les écoute vraiment.

Un dimanche matin, au parc, ma voisine Fré-dérique m’a ainsi observée en train de me débattre

avec mon fils Leo, qui avait alors 2 ans. Leo netenait pas en place. Frédérique et moi étions ins-tallées en bordure du bac à sable et essayions deparler. Mais Leo bondissait sans arrêt vers lesportillons entourant le bac. Chaque fois, je melevais pour lui donner la chasse, le gronder et leramener ; lui criait. Au début, Frédérique a observéce petit rituel en silence. Puis, sans condescen-dance aucune, elle m’a dit que si je passais montemps à courir après Leo, nous ne pourrions pasnous adonner au petit plaisir de papoter sur unbanc pendant quelques minutes.

“C’est vrai, répondis-je. Mais qu’est-ce que j’ypeux ?” Frédérique a souri et m’a suggéré de nepas crier, mais d’employer un ton plus persua-sif. J’avais peur de le terrifier. “Ne t’en fais pas”,m’a soufflé Frédérique, m’incitant à ne pas bais-ser les bras. Leo n’a pas écouté la première fois.Puis, petit à petit, j’ai senti que mes “non” deve-naient plus persuasifs. Ils n’étaient pas plus forts,mais plus assurés. A la quatrième tentative, alorsque je débordais enfin de conviction, Leo s’estapproché du portillon, mais – miraculeusement –ne l’a pas ouvert. Il a tourné la tête et m’a regar-dée d’un air circonspect. J’ai fait les gros yeuxen essayant de prendre un air désapprobateur.

Une dizaine de minutes plus tard, Leo sem-blait avoir oublié le portillon et jouait tran-quillement dans le bac à sable avec les autresenfants. Frédérique m’a fait remarquer qu’iln’avait pas l’air traumatisé. Sur le moment – etpeut-être pour la première fois de sa vie –, il avaitvraiment l’air d’un petit Français.Pamela Druckerman* En français dans le texte.

� Apéritif entreamis en Bretagne.Contrairementaux Américains,les parentsfrançais nepassent pas leurtemps à s’occuperde leurs enfants.Sans pour autantculpabiliser,explique l’auteur.

“Petit à petit, j’ai senti que mes ‘non’ devenaientplus persuasifs”

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Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � V

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Durant son enfance, son aîné Xiao Yao n’a puparticiper en tout et pour tout qu’à deux excur-sions printanières [sortie traditionnelle dans lesécoles chinoises pour découvrir la nature quis’éveille]. Xiao Baiyou assume pleinement cetterestriction des relations sociales, car, selon lui,“c’est ainsi que l’on crée pour les enfants l’environ-nement le plus pur et le plus sûr qui soit”.

Toute activité extrascolaire est bannie chezles Xiao. Quand il était à l’école primaire, XiaoYao s’était pris de passion pour le jardinage et laterrasse de leur maison regorgeait de fleurs plan-tées par ses soins. Mais, un jour qu’il avait eu desnotes décevantes, son père lui avait ordonné dejeter tous les pots à la poubelle. Xiao Yao avaitpour une fois tenu tête à son père, mais celui-cilui avait répondu vertement, la canne de rotin àla main : “Au départ, je ne voulais pas t’infliger decorrection pour ça, mais là, tu me déçois trop ! Tupeux avoir des passions, d’accord, mais on en repar-lera quand tu auras été admis à l’université !”

Les quatre enfants Xiao n’ont jamais reçu nonplus le moindre argent de poche avant leur entréeà l’université, car cela aurait pu les inciter à ache-ter des objets qui les auraient distraits et détour-nés de leurs études. En raison du caractère“tyrannique” de son père, Xiao Yao a songé à quit-ter la maison, mais il n’a jamais réussi à se déci-der car, sans argent ni amis, où aurait-il pu aller ?L’épouse de Xiao Baiyou avait beau ne pas êtretout à fait d’accord avec le mode d’éducation deson mari, elle a fini par lui accorder son soutieninconditionnel au vu des progrès scolaires de sesenfants. Elle a su montrer la tendresse d’une mèreet soigner les plaies de ses enfants battus.

C’est l’exemple de ses propres parents quece “père Loup” cherche surtout à suivre. Son pèreétait capitaine de gendarmerie à l’époque du Kuo-mintang [le parti nationaliste au pouvoir enChine de 1928 à 1949] et avait une grande auto-rité sur les siens. Quant à sa mère, au-delà dedeux réprimandes par jour, elle rossait son fils.“C’était comme ça dans la société de l’époque. Mamère était quelqu’un qui m’administrait de bonnesraclées et qui ne savait pas lire, mais elle m’a pour-tant très bien élevé”, explique Xiao Baiyou, quiajoute : “Ce que nous avons en commun, elle qui mebattait et moi qui bats aujourd’hui mes enfants, c’estl’amour pour nos enfants !” Hai Dong

A la trique !L’homme d’affaires hongkongais Xiao Baiyou a suscité une vivepolémique en Chine avec un livre où il se pose en “papa Loup”.

Nandu Zhoukan (extraits) Canton

L ’homme d’affaires hongkongaisXiao Baiyou a donc eu la chancede rejoindre les rangs des “parentsayant réussi” grâce à une canne enrotin ferme et souple à la fois. Sesdeux aînés, son fils Xiao Yao et sa

fille Xiao Jun, ont tous deux été admis en 2009 àl’université de Pékin (Beida). Cette année, sadeuxième fille, Xiao Xiao, a marché sur leurs tracesen intégrant également cette prestigieuse uni-versité. Quant à la benjamine, Xiao Bing, elle estactuellement au lycée et espère que sa spécialité,la cithare, lui permettra d’entrer au Conserva-toire central de musique de la capitale chinoise.

Xiao Baiyou a publié en juin 2011 un ouvragesur l’éducation, Suo yi, Bei da xiong mei [Voilàpourquoi mes enfants ont intégré Beida], qui adéclenché une vaste polémique. A l’instar de lafameuse “maman Tigre” sino-américaine AmyChua [auteure de L’Hymne de bataille de la mèreTigre, Gallimard, 2011], il se considère commeun “papa Loup”. Le secret de sa réussite estsimple, explique-t-il. “Les anciens qui ont inventéla canne en rotin étaient très intelligents, car celle-ci provoque une douleur cuisante sur la peau quandon frappe avec, mais elle ne provoque pas de dom-mages au niveau des muscles ou des os.”

C’est en faisant le commerce d’articles de luxedans toute la Chine que ce “papa Loup” a permisà sa famille de rejoindre la classe moyenne. Il estconvaincu que l’éducation chinoise traditionnelleest la meilleure méthode qui soit. Quand sesconceptions en matière d’éducation sont atta-quées par certains de ses amis, il s’emporte et leurrétorque : “On ne peut pas laisser perdre les rites envigueur en Chine depuis des millénaires. Les pèresdoivent jouir du prestige d’être père ; quand leursenfants font quelque chose de mal, il faut les frapper,car il n’y a qu’ainsi qu’ils se souviennent !”

Les sept commandements“On peut dire que les pratiques éducatives de XiaoBaiyou sont typiques de l’éducation traditionnellechinoise et marquent également un retour de cemode d’éducation”, explique le cinéaste Gao Xixi,qui a écrit la préface du livre de Xiao Baiyou. Cesdix dernières années, l’auteur a pris à de mul-tiples reprises sa canne en rotin pour toiser d’unair féroce ses enfants. Ces derniers n’avaientaucune possibilité de discuter, car un enfantfautif mérite forcément une correction. M. Xiaorésume en sept commandements sa philosophiedu châtiment :1. Passé le collège, les enfants ont moins besoinde recevoir des châtiments corporels, car leurcaractère est déjà bien forgé. En revanche, enmaternelle et en primaire, il ne faut pas hésiterà se montrer très sévère.2. N’utiliser que des cannes en rotin ou des plu-meaux pour taper, car cela n’inflige que desblessures superficielles.3. Ne frapper que sur les mains et les mollets.4. Sermonner les enfants avant de les frapper, enleur expliquant clairement en quoi ils ont fauté.5. Quand un enfant a fait une bêtise, les autres

Modèles & antimodèles

enfants doivent assister à la punition pour quecela leur serve de leçon.6. Avant de frapper un enfant, il faut lui annon-cer combien de coups il va recevoir et lui lais-ser le soin de les compter lui-même. Il ne doitrecevoir ni plus ni moins de coups que prévu,sauf s’il se trompe dans son décompte : dix coupssupplémentaires.7. L’enfant doit spontanément tendre les mainspour être frappé ; il ne doit pas les retirer ni lais-ser échapper de cris de douleur. S’il retire sesmains, il encourt des coups supplémentaires et,s’il crie, il doit être frappé plus durement.

Naturellement, il est arrivé aux enfants deXiao Baiyou de se rebeller contre ces traitements.Xiao Yao a tenté de discuter en rappelant à sonpère que les sociétés modernes attachaient del’importance à la démocratie, mais ce dernierlui a rétorqué : “La démocratie, c’est le pouvoir dupeuple ; toi, tu es le peuple et moi, je suis le pouvoir !”

Dès que ses enfants sont entrés à l’école, XiaoBaiyou a encadré de façon très stricte leurs rela-tions avec leurs camarades de classe. Pour évitertoute mauvaise influence de leur part, les enfants

Xiao devaient soumettre à leur père une demandeécrite avant d’aller rendre visite à un ami. Ilsdevaient préciser l’identité de leur camarade declasse, les fonctions qu’il assumait dans la classe,ses résultats scolaires, mais aussi indiquer com-bien d’élèves il y avait dans leur classe, avec leursfonctions et leurs résultats respectifs. Ils devaientaussi dire combien de temps ils pensaient resterchez leurs amis et à quelle heure ils comptaientrentrer, sans oublier de mentionner les noms desparents et leur numéro de téléphone. Enfin, lademande devait être signée par leur responsablede classe. Les enfants étaient naturellementgênés de devoir solliciter leur professeur sim-plement pour pouvoir aller voir un camarade, etleur demande avortait généralement à ce stade.

Xiao Baiyou considère que les enfants n’ontpas besoin d’avoir d’amis avant l’université.

� Xiao Baiyouentouré de ses enfants, tous“éduqués” à ladure : un sourirede façade ?

Les pratiques de Xiao Baiyousont typiques de l’éducationtraditionnelle chinoise

Le “papa Aigle”

Un enfant de 3 ans,surnommé Duo Duo,presque nu et forcé à courir dans la neigepar son père,suppliant celui-ci de le prendre dans ses bras : la vidéo mise en ligne en février dernier par He Liesheng,entrepreneur de la province côtièredu Jiangsu, a provoquébuzz et polémique sur le web chinois.Avec cette vidéo,filmée lors devacances à New Yorken janvier 2012, ce “papa Aigle” – qui veut rendre son fils “plus fort” –entend démontrer que “si un enfant peutsupporter cette formeextrême d’éducation il pourra surmontern’importe quelledifficulté dansl’avenir”. Quelquessemaines après, le Post Magazine de Hong Kongconsacre sacouverture à Duo Duo,avec un titre en formede jeu de mots : “Heir raising”, soit“Elever un héritier”– mais qui peut aussi se comprendre “A faire dresser les cheveux sur latête” (“Hair raising”).

DR

VI � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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Le mot

Chenggong“Succès”L’histoire de la “mère Tigre” sino-américaine a ému l’Amérique en raison de ses méthodesd’éducation prétendument orientales. Sa méthode consiste à interdire à ses fillestoute activité ou plaisir extrascolaires, afin qu’elles se concentrent sur leurs études.Et voici un “père Loup” chinois qui va jusqu’à battre ses enfants pour les envoyerdans la meilleure université, celle de Pékin.Ces deux cas ont suscité un débat sur les traditions pédagogiques occidentaleset chinoises, mais leur point commun reste le désir de voir leurs enfants réussir. En effet, l’une est parvenue à envoyer sa fille à l’université Harvard et l’autre ses troisenfants à l’université de Pékin (Beida). Pour ces parents, la méthode autoritaires’impose et, pour ce “père Loup”, le secret du succès est lié aux châtiments corporels.La question posée ici n’est pas la confrontation entre Orient et Occidentdans le domaine de l’éducation, car les méthodes occidentales pouvaientégalement être autoritaires et, en Chineancienne, il y eut également des tenants de la méthode heuristique au détriment de celle du bourrage de crâne classique. Ce qui motive la “mère Tigre” comme le “pèreLoup”, c’est l’idéologie de la réussite. Pour obtenir le succès par le biais des enfants,tous les moyens sont bons. Le succès devientla valeur suprême de la vie, sacrifiant bonheur,plaisir et même dignité. Les parents ne se posent pas la question des conséquences sur les enfants, des traumatismes psychologiques et des séquelles sur leur caractère, qui peuvent aller de la servilité à la stérilitéintellectuelle… Ce comportement trouve sa source dans une interprétation unique du succès dans la Chine impériale : sous cet angle-là, la “mère Tigre” a beau être sino-américaine, comme le “père Loup”moderne, le succès aux examens commecelui aux concours mandarinaux d’antan reste l’unique critère de réussite pour un Chinois.Chen YanCalligraphie d’Hélène Ho

En Norvège, un couple d’immigrés,accusé d’être de mauvais parents,a perdu la garde de ses enfants.L’affaire a beaucoup ému en Inde.

The Hindu (extraits) Madras

L’affaire du couple Bhattacharya estparticulièrement tragique  : unmariage est arrangé à distance parles parents parce que le garçon etla fille sont manglik [nés sous lesigne de Mars, ce qui porte mal-

heur]. Le couple s’est connu quelques jours avantde se marier et de s’envoler pour la Norvège.Sagarika, la femme, tombe enceinte peu aprèset retourne à Calcutta auprès de ses parents.Elle repart en Norvège lorsque son petit garçon,Abhigyan, est âgé de 14 mois.

D’après le mari, le petit s’est mis à présenterdes “signes d’autisme” très tôt, mais n’a pas reçules soins adéquats. Quoi qu’il en soit, une fois enNorvège, l’état de l’enfant a empiré. L’évolutionde ses troubles de l’attachement couplé à l’isole-ment de la mère, soudain privée du soutien fami-lial dont elle jouissait à Calcutta, ont certainementjoué un rôle.

Le couple cherche d’abord de l’aide auprèsd’une crèche parentale. Le retard de développe-ment d’Abhigyan est signalé en 2010 au servicede protection de l’enfance (SPE). L’organismeréagit en février 2011. Si, selon le SPE, le père“comprend mieux le problème” et est prêt à se rendreplus disponible pour sa famille, la mère est jugée“rigide, peu coopérative” et en plein déni. Le SPEdécide alors de leur retirer leurs enfants [entre-temps, ils ont eu un deuxième enfant, Aishwa-rya], au motif que leurs disputes et leurs cris quasiconstants nuisent au développement des petits.

Les services sociaux ont fait preuve dans cetteaffaire d’une incroyable insensibilité culturelle,en particulier en missionnant une assistantesociale britannique, Michelle Middelton. Le rap-port de cette dernière commence par un reprochegratuit : le père n’a pas de voiture et s’absentedonc trop longtemps de la maison (comme si

Le choc des culturesc’était sa faute s’il devait circuler en transportspublics). Mme Middelton lui reproche en outre dene pas parler norvégien. Plus loin, elle écrit quele père n’a pas le sens des priorités puisqu’il pré-fère apprendre le norvégien et prendre des leçonsde conduite plutôt que de s’occuper de sa famille.En somme, quoi qu’il fasse, il a tort.

Les services norvégiens d’aide à l’enfance dis-posent d’un budget annuel énorme, 7,7 milliardsde couronnes [1 milliard d’euros], et peuventprendre toute une série de mesures pour aiderles familles en difficulté. Dans le cas présent, leSPE aurait pu placer les enfants temporairementet envoyer la mère dans une maison de repos,proposer une aide à domicile pour s’occuper desenfants et bien d’autres choses encore. Seule-ment voilà : le SPE préfère retirer les enfants àleurs parents, car il estime qu’il est plus difficile,long et pénible d’aider des adultes en difficulté.

“Le SPE ferait bien de se pencher sur les diffé-rentes pratiques éducatives des communautés immi-grées en Norvège”, juge un ancien responsable desservices sociaux norvégiens. “Ce n’est pas unetâche aisée. Ces différences ne sont souvent que lefruit d’une adaptation à un milieu ou à une zone géo-graphique et n’ont pas de grandes implications pourla santé de l’enfant. Mais il arrive aussi souvent queces pratiques soient dommageables pour l’enfant,comme peuvent l’être l’excision, certains codes ves-timentaires ou les longues heures passées à étudierle Coran après l’école. En même temps, il y a beau-coup de sagesse chez ces communautés immigrées.Le SPE pourrait, et devrait, le prendre en compte.Beaucoup de femmes immigrées sont porteuses d’uneforte tradition orale qu’elles tiennent de leur mère etde leurs grand-mères et qui pourrait aussi être utileaux mères norvégiennes. J’espère qu’à l’avenir le SPEaura l’humilité de le comprendre et de l’intégrer.”

Le fait qu’il y ait un problème culturel dansles pratiques des services de la protection de l’en-fance apparaît lorsque l’on considère les chiffres :sur 1 000 enfants placés, 23 ne sont pas immi-grés, 35 sont nés en Norvège de parents immi-grés et 51 sont nés de parents immigrés de lapremière génération. Il y a donc bien plus d’en-fants d’immigrés que d’enfants d’origine norvé-gienne en famille d’accueil. Vaiju Naravane

Vu de Norvège

Mise en danger desenfants ou malentenduculturel ? Selon lequotidien norvégienDagbladet, lesBhattacharya pensentque les autoritésnorvégiennes n’ontpas pris en compteleurs différencesculturelles, comme le fait que les enfantsdorment dans la mêmechambre qu’eux. “Jeleur ai expliqué quec’était notre culture :nous ne laisserionsjamais nos enfantsdormir ailleurs”,précise le père. Leservice de protectionde l’enfance a avancéd’autres arguments :les enfants avaient peude jouets, les parents leur donnaient à manger avec les mains, et les menusne variaient guère – du riz et du yaourt.Pour l’avocat de la famille, la difficulté des parents à s’adapterest au cœur duproblème. “Maintenant,tout ce qu’ils souhaitent,c’est élever leursenfants dans leur paysd’origine”, souligne-t-il.

� Les enfantsBhattacharyaaccueillis par leurs grands-parents à leur retour en Inde, en avril.

Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � VII

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En avouant dans The Atlanticses difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale, Anne-Marie Slaughter, brillanteuniversitaire et conseillère de HillaryClinton, a brisé un tabou et relancé le débat féministe outre-Atlantique.

The Atlantic (extraits) Boston

P remière femme à diriger le centrede prospective du départementd’Etat – un job de rêve dans lapolitique étrangère –, je me suisrendue à l’Assemblée générale deschefs d’Etat et de gouvernement

des Nations unies à New York dix-huit moisaprès avoir pris mes fonctions. J’ai naturelle-ment assisté à la réception donnée à cette occa-sion par le président Obama et son épouse auMuséum d’histoire naturelle. J’ai siroté du cham-pagne, salué plusieurs dignitaires étrangers etme suis mêlée aux conversations. Mais je n’ar-rêtais pas de penser à mon fils de 14 ans, qui étaitentré en quatrième depuis trois semaines et avaitdéjà recommencé à ne pas faire ses devoirs, àperturber la classe, à accumuler les zéros enmaths et à rejeter tout adulte tentant d’établirla communication avec lui.

Nous nous étions à peine parlé de tout l’été– plus exactement, il m’avait à peine adressé laparole. Et le printemps précédent, j’avais reçuplusieurs appels téléphoniques urgents – chaquefois le jour d’une importante réunion – quim’avaient obligée à prendre le premier trainreliant Washington, où je travaillais, à notredomicile familial de Princeton, dans le NewJersey. Mon mari, qui a toujours tout fait poursoutenir ma carrière, s’occupait de mon fils aînéet de son petit frère de 12 ans pendant la semaine ;et à part ces urgences de milieu de semaine, jene rentrais à la maison que les week-ends.

Ce soir-là, je suis tombée sur une collèguequi occupe une fonction importante à la Maison-Blanche. Elle a deux fils du même âge que lesmiens, mais lorsqu’elle a décroché son poste,elle les a fait venir de Californie à Washington,ce qui a contraint son mari à effectuer de fré-quents allers-retours d’une côte à l’autre. Je luiai expliqué combien je trouvais difficile d’êtreéloignée de mon fils, qui était à un âge où, detoute évidence, il avait besoin de moi. “Quandtout cela sera fini, lui ai-je dit, j’écrirai un articleintitulé ‘Les femmes ne peuvent pas tout avoir’.”

Ma collègue a poussé les hauts cris : “Tu nepeux pas écrire ça ! Pas toi !” Ce qu’elle voulaitdire par là, c’est qu’une telle déclaration, venantd’une femme à la carrière brillante, serait unsignal terrible pour les futures générations defemmes.

Toute ma vie, j’ai affiché un petit sourirelégèrement supérieur quand une femme m’an-nonçait qu’elle avait décidé de prendre un congéou d’opter pour un poste moins exigeant afin depouvoir consacrer plus de temps à sa famille.Mais, en janvier 2011, lorsque le détachement

de deux ans que m’a accordé l’université de Prin-ceton pour travailler au sein du gouvernementest arrivé à son terme, je suis rentrée à la maisonaussi vite que j’ai pu.

Je suis loin d’être la seule femme à parve-nir à un tel constat. Michèle Flournoy a jetél’éponge après avoir été durant trois ans sous-secrétaire à la Défense, le numéro trois du minis-tère, afin de passer plus de temps chez elle avecses trois enfants. Après un an et demi à Washing-ton, Karen Hughes a quitté ses fonctions de

Les femmes ne peuventpas tout avoir

“J’écris à l’intention des femmes diplômées et aisées comme moi”

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sComment s’épanouir au travail tout en passant du tempsavec ses enfants ?L’équilibre n’est pas toujours simple à trouver.

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VIII � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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conseillère du président George W. Bush pourretourner au Texas auprès de sa famille. MaryMatalin, qui a été conseillère pendant deux ansdu vice-président Dick Cheney avant de démis-sionner pour passer plus de temps avec ses filles,a écrit : “Pouvoir contrôler son emploi du temps estla seule voie possible pour les femmes qui veulentallier carrière et vie de famille.”

Je suis bien consciente que la majorité desfemmes américaines rencontrent des difficul-tés bien plus importantes que celles que j’évoquedans cet article. J’écris à l’intention des femmesappartenant à la même couche sociale que moi– des femmes diplômées et aisées, suffisammentprivilégiées pour pouvoir choisir la façon dontelles mènent leur vie.

Lisa Jackson, directrice de l’Agence de pro-tection de l’environnement, a récemment dûrépondre à une série de questions que ses étu-diants lui ont posées sur la façon dont elle avaitmené de front sa carrière et sa vie personnelle.Elle a éclaté de rire et désigné son mari, assis aupremier rang. “Voilà mon équilibre vie privée-vieprofessionnelle ! a-t-elle déclaré. Sans mon mari,Andrew Moravcsik, qui enseigne les affaires interna-tionales à Princeton, je n’aurais jamais pu mener lacarrière que j’ai menée. Andy a passé plus de tempsavec nos deux fils que moi, pas seulement en les aidantdans leur travail scolaire, mais aussi en les accom-pagnant au base-ball, à leurs cours de musique ou dephotographie, en jouant à des jeux de société avec eux.Le jour où ils ont dû apporter un plat étranger pourle repas de classe, Andy leur a préparé la palacsintahongroise de sa grand-mère ; quand notre aîné a dûapprendre par cœur son texte pour tenir le premierrôle dans une pièce de théâtre à l’école, c’est auprèsd’Andy qu’il a cherché de l’aide.”

Pourtant, l’idée selon laquelle les femmespeuvent mener des carrières de haut niveau àcondition que leur conjoint soit disposé à par-tager de façon égale (voire disproportionnée) lefardeau des responsabilités parentales présup-pose que la plupart des femmes se sentent aussià l’aise loin de leurs enfants que les hommes lesont, à condition que leur partenaire soit à lamaison avec eux.

Ici, nous nous aventurons sur un terrain glis-sant, miné par les stéréotypes. J’en suis pour-tant venue à la conclusion qu’hommes et femmesréagissent différemment lorsque les problèmesfamiliaux les forcent à reconnaître que leurabsence fait du tort à un enfant, ou en tout casque leur présence l’aiderait probablement. Je nepense pas que les pères aiment moins leursenfants que les mères, mais les hommes sem-blent plus disposés que les femmes à faire passerleur travail avant leur famille, alors que lesfemmes sont plus susceptibles de choisir leurfamille aux dépens de leur travail.

Aux yeux de beaucoup d’hommes, choisirde passer plus de temps auprès de leurs enfantsau lieu de travailler de longues heures sur desproblèmes affectant parfois des milliers de gensapparaît comme un choix égoïste. On loue fré-quemment les dirigeants masculins d’avoirsacrifié leur vie personnelle sur l’autel du ser-vice public ou des intérêts de leur entreprise.Ce sacrifice, bien entendu, concerne avant toutla famille. Et pourtant leurs enfants seront euxaussi incités à valoriser le service public parrapport à la responsabilité individuelle. Lorsde la cérémonie organisée à la mémoire dudiplomate Richard Holbrooke [décédé endécembre 2010], un de ses fils a raconté à l’as-sistance que, quand il était jeune, son père étaitsouvent en déplacement à l’étranger et que parconséquent il n’avait jamais pu lui apprendreà lancer une balle et n’avait jamais assisté à sesmatchs. Mais en grandissant, a-t-il ajouté, il

avait réalisé que l’absence de son père était leprix à payer pour épargner des vies à travers lemonde, et que c’était là après tout un prix assezfaible au regard des enjeux.

Je ne suis pas sûre que cette éthique soitvraiment pertinente pour notre société. Pour-quoi voudrions-nous avoir comme dirigeantsdes personnes qui n’assument pas leurs res-ponsabilités personnelles ? Peut-être que desdirigeants qui passeraient plus de temps avecleur propre famille auraient une conscienceplus aiguë de l’impact qu’ont leurs choix publics– sur des questions allant de la guerre auxprestations sociales – sur les existences privées.(Kati Marton, la veuve de Holbrooke, a déclaréque, même si son mari avait toujours adoré sesenfants, il n’avait vraiment compris l’impor-tance de la vie de famille qu’aux alentours de lacinquantaine, époque à laquelle il est devenuun père et un grand-père extrêmement présent,tout en poursuivant une extraordinaire car-rière publique.) Il n’en reste pas moins que lesgens qui font passer leur carrière avant le restesont récompensés, alors que ceux qui donnentla priorité à leur famille sont souvent décon- sidérés et se voient reprocher leur manque deprofessionnalisme.

Beaucoup des femmes dirigeantes de lagénération précédant la mienne ont eu leursenfants entre 20 et 30 ans, comme c’était lanorme dans les années 1950 à 1970. Un enfantvenant au monde alors que sa mère a 25 ans ter-minera le lycée lorsqu’elle en aura 43, un âgeauquel, si elle se consacre entièrement à sa car-rière, il lui restera encore suffisamment de tempset d’énergie pour progresser.

Aujourd’hui les gens ont tendance à se marierplus tard, et de toute façon, même si vous avezdes enfants plus tôt, vous aurez probablement dumal à décrocher un diplôme ou un premier emploiintéressant et à pouvoir profiter d’opportunitésdans les premières années cruciales de votre car-rière. Par-dessus le marché, vous gagnerez moinspendant que vous élèverez vos enfants, et doncvous aurez plus de difficultés à vous offrir l’aide

qui peut s’avérer indispensable pour pouvoir jon-gler entre votre carrière et vos enfants.

C’est en raison de telles considérationsque tant de femmes actives de ma générationont choisi d’assurer d’abord leur carrière et den’avoir des enfants qu’après la trentaine. Maiscela les conduit parfois à passer de longues etépuisantes années à tenter d’avoir un bébé et ày dépenser une petite fortune. J’ai moi-mêmevécu ce cauchemar : pendant trois ans, à partirde mes 35 ans, j’ai fait tout ce qu’il était possiblede faire pour tomber enceinte, et j’ai commencéà regretter amèrement d’avoir laissé passer l’âged’avoir un bébé biologique.

J’ai eu mon premier enfant à 38 ans, et monsecond à 40. Cela signifie que j’aurai 58 anslorsque tous deux seront en mesure de voler deleurs propres ailes. Cela veut dire aussi que denombreuses occasions de franchir des étapesdécisives de ma carrière se présenteront alorsqu’ils seront adolescents, précisément à l’âge oùavoir un parent disponible est tout aussi impor-tant dans la vie d’un enfant que pendant ses pre-mières années d’existence.

Je recommande donc aux femmes d’assurerd’abord leur carrière, mais de s’efforcer d’avoirdes enfants avant 35 ans – ou bien de faire conge-ler leurs ovules, qu’elles soient mariées ou non.Vous serez sans doute une mère plus mûre etmoins frustrée entre 30 et 50 ans, et vous serezégalement plus susceptible d’avoir trouvé unpartenaire stable. Mais, en vérité, aucun de cesdeux scénarios n’est optimal, et ils impliquenttous deux des compromis que les hommes nesont pas contraints de faire.

J’ai connu de nombreuses journées de tra-vail interminables et passé d’innombrables nuitsblanches durant ma carrière, sans oublier cellesoù j’ai dormi sur le canapé de mon bureau àWashington. Etre prêt à passer le temps qu’ilfaut pour finir un travail est un gage de réussitepour tout bon professionnel. Mais en y repen-sant, je dois avouer que la perspective d’avoir àrester tard au bureau me rendait beaucoupmoins efficace durant toute la journée.

Travailler chez soi – le soir une fois queles enfants sont couchés, les jours où ils sontmalades ou que la neige les empêche d’aller àl’école, et de temps en temps le week-end – peutêtre une façon pour une mère de s’acquitter deses obligations professionnelles. Les vidéocon-férences permettent de réduire de façon consi-dérable le temps passé en déplacements. D’aprèsle Women’s Business Center, 61 % des femmesdirigeantes d’entreprise utilisent la technologiepour “concilier les responsabilités professionnelleset familiales” ; 44 % ont recours à la technologiepour permettre à leurs employés de “travaillerhors site ou bénéficier d’horaires flexibles”. Pour-tant notre culture du travail privilégie toujoursde façon excessive le travail au bureau.

Et l’utilisation de la technologie dans lespostes officiels de haut niveau est compliquéepar la nécessité d’avoir accès à des informationsconfidentielles. Depuis 2009, cependant, le vice-ministre des Affaires étrangères, James Stein-berg, qui partage de façon équitable le soin

Les gens qui font passer leur carrière avant le restesont récompensés, alors que ceux qui donnent la priorité à leur famille sont souvent déconsidérés

Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � IX

� Comme Anne-Marie Slaughter, plusieurs femmesqui exerçaient de hautesresponsabilités à Washington ont jeté l’éponge.

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Pères, mères & impairs

En réaction au culte de la mamanparfaite, Silvia Crema, une jeunemère italienne, a créé un blog – “Le club des mauvaises mères” –pour toutes celles qui, comme elle,n’ont pas spécialement la fibrematernelle. Profession de foi.

clubcattivemamme.altervista.org(extraits)

Le moment est venu de mettre lespoints sur les i une bonne fois pourtoutes. Vu le caractère extrêmementdélicat de la question dans notrepays rempli de fils à mama, notreclub ne peut regrouper que d’au-

thentiques mauvaises mères, certifiées irrécu-pérables. Vous l’êtes si vous avez ressenti ou subiau moins une fois :1. Le regard indigné du pédiatre quand vous luidétaillez la proportion charcuterie/légumes fraisdans l’alimentation de vos enfants. 2. Le regard accusateur de l’instituteur quandvous lui avouez la proportion télé/lecture devos enfants. 3. Le regard plein de commisération d’une“bonne” mère surprenant un geste d’impatiencede votre part face à un caprice de votre enfant. 4. Le regard scandalisé d’une bonne mère parceque vous avez laissé sans sourciller vos enfantsse crotter jusqu’aux oreilles en pataugeant dansla gadoue de l’aire de jeux, donnant ainsi unexemple déplorable à tous les autres. 5. Un sentiment de honte, devant la glace, lorsquevous avez séché une réunion de parents d’élèvespour une séance d’épilation (ça marche aussiavec une mise en plis, un cours de yoga, un peude shopping ou toute autre activité que vousauriez égoïstement consacrée à vous-même). 6. Un vrai soulagement en vous disant inté-rieurement : “Et si j’attendais demain pour luifaire prendre son bain ? Huit ou neuf jours, qu’est-ce que ça change au point où j’en suis ? C’est l’hi-ver après tout…”7. Un sentiment de joie en vous disant intérieu-rement : “Tout cet argent jeté par les fenêtres pourson cours de danse ! Largement de quoi me payerun bon massage raffermissant…”8. Un sentiment de satisfaction, au supermar-ché, en achetant un jouet à vos monstres pourqu’ils cessent leurs slaloms à travers les rayons. 9. Un sentiment de jubilation, au supermarché,après avoir refusé aux pauvres choux un nouveaumagazine, bien qu’ils soient restés sages commedes images à faire la queue pendant vingt minutes.10. Un ennui sans nom en écoutant les conver-sations lénifiantes des autres mères – qui tour-nent inexorablement autour des enfants  –attablées devant un café après avoir déposé lesbambins à l’école.

Ce ne sont naturellement que quelquesidées jetées en vrac : la créativité diabolique desmauvaises mères peut atteindre des sommetsinsoupçonnés, mais, bon, l’idée est là. �

d’élever ses deux petites filles avec sa femme,a fait de l’accès aux informations confidentiellesà partir du domicile une priorité absolue afin depouvoir quitter son bureau à des heures rai-sonnables et de participer au besoin à desréunions importantes par vidéoconférence.

Les employeurs n’ont pas à privilégier lesparents par rapport aux autres employés, maisils freinent bien souvent la carrière des employésayant à assumer des charges familiales. Beau-coup de ceux qui occupent une position de pou-voir semblent accorder peu de valeur aux soinset à l’éducation des enfants. Penchons-nous surla situation suivante  : un employeur a deuxemployés aussi talentueux et productifs l’un quel’autre. Pendant son temps libre, le premier s’en-traîne à la course et dispute des marathons. Laseconde s’occupe de ses deux enfants. Quelleimage cet employeur se fera-t-il du coureur demarathon ? Il va se dire qu’il se lève aux auroreschaque matin afin de courir pendant une heureou deux avant de venir au bureau, ou qu’il vas’entraîner même après une longue journée detravail ; que, doté d’une discipline de fer, il seracapable d’écarter les distractions et d’ignorerl’épuisement ; qu’enfin, il est manifestementcapable de gérer son temps de manière optimalepour pouvoir faire tout ce qu’il a à faire.

Soyons honnêtes : croyez-vous que l’em-ployeur pensera la même chose au sujet de lamère ? Même si, elle aussi, avant d’aller travailler,a dû se lever à l’aube pour organiser la journéede ses enfants, préparer leur petit déjeuner, lesenvoyer à l’école, prévoir les courses (y comprislorsqu’elle a la chance d’avoir quelqu’un pourles faire à sa place) – et même si, au bout de lajournée, elle aura accompli au bureau le même

travail que son collègue. Cheryl Mills, l’infati-gable directrice de cabinet de Hillary Clinton, ades jumeaux à l’école primaire, et bien que sonmari la seconde activement, elle est connue pourse lever à 4 heures tous les matins afin de lireson courrier électronique et d’y répondre avantque ses enfants se réveillent.

La discipline, l’organisation et l’endurancedont doit faire preuve une femme pour arriver àoccuper une haute fonction tout en ayant de jeunesenfants à la maison constituent un exploit qui nele cède en rien à celui de courir 30 ou 60 kilo-mètres par semaine. Mais un employeur voit rare-ment les choses de cette façon. Est-ce parce queles gens “choisissent” d’avoir des enfants ? Ma foi,les autres choisissent aussi de courir le marathon.

L’un des aspects les plus complexes et lesplus surprenants du processus qui m’a conduiteà quitter Washington a été de déterminer exac-tement ce que je voulais. J’avais des opportuni-tés pour y rester et j’aurais pu trouver unarrangement qui m’aurait permis de passer plusde temps chez moi. J’aurais pu convaincre mafamille de me rejoindre à Washington pendantun an ; j’aurais pu travailler quatre jours parsemaine au lieu de cinq. Mais j’ai fini par com-prendre qu’au fond de moi-même, j’avais enviede rentrer chez moi. Je voulais pouvoir passerdu temps avec mes enfants pendant les quelquesannées qui restent avant qu’ils ne quittent le

Mauvaisemère et fièrede l’être

“J’ai fini par comprendrequ’au fond j’avais envie de rentrer chez moi. Je voulais pouvoir passer du temps avec mes enfants”

� domicile familial, des années essentielles pourqu’ils deviennent des adultes responsables, pro-ductifs, heureux et attentionnés.

Mais également des années irremplaçablespour profiter des plaisirs simples de la condi-tion de parent – matchs de base-ball, récitals depiano, petits déjeuners de gaufres, voyages enfamille et rituels stupides. Mon fils aîné sedébrouille très bien ces temps-ci, et, même lesmauvais jours – comme en ont tous les ados –,le fait d’être à la maison pour façonner ses choixet l’aider à prendre les bonnes décisions estquelque chose de profondément satisfaisant.

Le revers de ma prise de conscience est fortbien résumé dans le livre de Lia Macko et KerryRubin, Midlife Crisis at 30 [La crise de la tren-taine], quand les auteurs évoquent l’importancepour les femmes trentenaires d’unifier les dif-férentes parties de leur vie : “Si vous ne com-mencez pas à apprendre comment concilier vos viespersonnelle, sociale et professionnelle, vous devien-drez dans cinq ans cette femme aigrie, trônant der-rière un bureau en acajou, qui décortique l’éthiqueau travail de son personnel en faisant des journéesstandard de douze heures, avant de rentrer mangerdu porc moo shu dans son appartement vide.”

Les femmes, certes par nécessité, ont privi-légié la vie unidimensionnelle. Les pionnières duféminisme ont isolé hermétiquement leur viepersonnelle de leur personnage professionnelafin de ne pas être discriminées en raison d’uninvestissement insuffisant dans leur travail. Pen-dant que je faisais mes études de droit dans lesannées 1980, beaucoup des femmes qui progres-saient alors dans la hiérarchie des cabinets d’avo-cats new-yorkais me disaient qu’elles n’avouaientjamais devoir s’absenter pour pouvoir emmenerleur enfant chez le médecin ou pour assister àune représentation scolaire et qu’elles inventaientun prétexte beaucoup plus neutre.

Vous n’avez pas à attendre de vos collèguesqu’ils s’extasient devant les photos de votre bébéou qu’ils écoutent le compte-rendu de ses pro-digieux exploits à la crèche, mais si vous arrivezchaque matin en retard pendant une semaineparce que c’est votre tour d’emmener les enfantsà l’école, n’hésitez pas à dire la vérité.

Même si aucun parent ne confond enfanceet éducation des enfants, découvrir le monded’une façon inconnue à travers les yeux d’unenfant peut être une puissante source d’inspi-ration. Dans son livre Strategy of Conflict [La stra-tégie du conflit], un ouvrage désormais classiquequi applique la théorie des jeux aux conflits entrepays, le Prix Nobel Thomas Schelling puise sou-vent dans l’éducation des enfants pour donnerdes exemples de situations dans lesquelles ladissuasion peut ou non fonctionner : “Il est sansdoute plus aisé d’expliquer la difficulté particulièrequ’il y a à contraindre par des menaces un dirigeantà la retenue, explique-t-il, quand on vient juste-ment d’employer en vain les menaces pour empê-cher un jeune enfant de faire mal à un chien, ou unchien de s’en prendre à un enfant.”

Les livres que j’ai lus avec mes enfants, lesfilms stupides que j’ai regardés, les jeux auxquelsj’ai joué, les questions auxquelles j’ai réponduet les gens que j’ai rencontrés à l’époque où j’éle-vais mes jeunes enfants ont élargi mon univers.Un autre axiome des livres portant sur la ques-tion de l’innovation est que plus des gens ayantun point de vue différent se rencontrent, plus ilest probable qu’émergeront des idées novatrices.Donner aux gens qui travaillent la capacité deconcilier leur existence personnelle et leur tra-vail – qu’ils passent leur temps libre à élever desenfants ou à disputer des marathons – élargiral’éventail des sources d’inspiration et des idées.Anne-Marie Slaughter

Phénomène

“Why Women Still Can’tHave It All” (Pourquoiles femmes ne peuventpas toujours tout avoir) est l’article le pluspopulaire de l’histoiredu prestigieux magazine The Atlantic,fondé en 1857. Cet article signé parAnne-Marie Slaughter,l’ancienne directrice du centre de prospective dudépartement d’Etataméricain, dans lequelelle confesse sesdifficultés à conciliervie professionnelle et vie familiale, a déjà attiré plus de 700 000 lecteurssur le site Internet du magazine et a été conseillé plus de 189 000 foissur Facebook. Il a également inspirédes centainesd’articles de réactiondans la presseaméricaine, soulignantque, si les femmes de l’élite ne peuventpas tout avoir, les autres femmes sont encore plus mal loties. La nomination récentede Marissa Meyer,37 ans et enceinte, à la tête de Yahoo!, est une bonnenouvelle, selon Anne-Marie Slaughter, mais ne contredit en rien sa thèse. “Ça n’aurait pas de sens de conseiller à la majorité desfemmes de devenirpatronne à 37 ans et d’avoir des enfants.”

X � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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Cette pratique, popularisée par le pédiatre américain William Sears,fait des émules dans le monde entier et provoque une controverse.

The Guardian (extraits) Londres

On le considère souvent commeextrême et antiféministe – etseules les mères au foyer pour-raient le pratiquer correcte-ment. Rien d’étonnant donc sila récente couverture du maga-

zine américain Time [voir ci-contre] a déclenchéune polémique. Mais quelle réalité se cache der-rière l’attachement parental ?

Popularisée par le pédiatre américain WilliamSears, cette pratique gagne du terrain. En Grande-Bretagne, un site web – Attachment ParentingUK – s’est créé en janvier dernier ; on comptetrente groupes de soutien dans le pays et unecommunauté Facebook en plein boom.

J’ai rencontré de nombreux adeptes de cettepratique quand je vivais aux Etats-Unis. Je m’at-tendais donc au pire. Mais, jusqu’à présent, lesmères britanniques qui m’ont parlé de leursméthodes et de leurs convictions – le “cododo”,l’allaitement de longue durée, le fait de gardertout le temps son enfant contre soi – étaient beau-coup plus raisonnables et décontractées que leurshomologues américaines.

“Je crois que les gens ne savent pas ce qu’est réel-lement l’attachement parental”, commente MichelleMattesini, 36 ans, mère de deux enfants, créatricedu site Attachment Parenting UK et animatrice

d’un groupe de soutien dans le Devon. “Quand onvoit des photos comme celle de Time, on se dit que cetenfant doit être sans arrêt pendu au sein de sa mère.Le but était de choquer. Il est vrai que certains parentsallaitent leurs enfants jusqu’à un âge avancé… Moipar exemple, j’allaite encore mes deux filles, qui ont4 et 2 ans, mais seulement la nuit et parfois une foispar semaine, souligne-t-elle. C’est comme le cododo :on dit souvent que c’est dangereux, mais il existe desrègles strictes pour le pratiquer en toute sécurité.”

Tout le monde n’est pas convaincu. Dans unechronique publiée dans The Wall Street Journal,l’écrivaine féministe Erica Jong décrit le Dr Searset sa femme comme des “colonialistes condescen-dants amoureux du mythe du bon sauvage”. La fémi-

niste américaine Katha Pollitt surenchérit dansThe Guardian. “Non seulement l’attachement paren-tal est néfaste pour les femmes, mais je ne crois pasque ce soit bon pour les enfants non plus.”

“Les gens voient ça comme quelque chose d’ex-cessif, mais on peut choisir jusqu’où on veut aller,explique Michelle Mattesini. Par exemple, je necrois pas qu’il faille nécessairement être une mèreau foyer pour pratiquer l’attachement parental. Surles vingt mamans de mon groupe de soutien, onzetravaillent.” Son site Internet propose aussi desconseils pour nourrir son enfant au biberon. “Jene voulais pas allaiter. Quand je suis arrivée pourla première fois dans le groupe de soutien, j’étais

inquiète car j’étais la seule à utiliser le biberon”,raconte Kate Hoskin, 35 ans, mère d’un enfant.“Mais je me suis vite détendue quand j’ai vu que per-sonne ne me jugeait.” Sa fille, Irah, a maintenant1 an et, pour Mme Hoskin, l’important, ce n’estpas la méthode elle-même, mais ce qui en résulte.“Cela a permis à mon mari de tisser un lien fort avecIrah, explique-t-elle. Il a été d’un grand soutiendès le début, il portait notre enfant dans un porte-bébé et a tout de suite accepté de partager notre litcar cela lui permettait de passer du temps avec safille. Il a une relation fantastique avec elle.”

Selon ces parents, l’une des plus grosses diffi-cultés est de convaincre les gens qu’ils ne sontpas fanatiques. “L’attachement parental est pilotépar l’enfant, mais pas dicté par lui, expliqueMichelle Mattesini. Si les gens ont du mal à l’ac-cepter, c’est parce qu’on affirme que c’est une manière‘naturelle’ d’élever ses enfants, comme si les autresne l’étaient pas. C’est idiot. Je fais simplement ce queje crois bon et j’essaie de trouver un équilibre.”

Alex Whates, 44 ans, a élevé ses trois filles,qui ont aujourd’hui 13, 11 et 9 ans, selon les prin-cipes de l’attachement parental. “Quand j’ai com-mencé à dormir avec ma fille, je n’avais jamais entenduparler de cette méthode ; je sentais juste que c’étaitune bonne chose pour ma famille. Les parents qui pra-tiquent l’attachement parental sont considérés commedes marginaux ; moi, je crois qu’en tant que mère ilfaut suivre son instinct.” Quant à la question poséeà tous les parents qui dorment avec leurs enfants :qu’en est-il de votre vie sexuelle ? Vikki Drew,34 ans et maman d’un enfant, se contente d’enrire. “Ma mère m’a posé la même question, confie-t-elle. Je lui ai répondu : penses-tu que le sexe se limiteà la chambre ?” Sarah Hughes

Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � XI

L’attachement parental, ou l’art de la glue

Provoc

Qui aurait pu imaginerque l’allaitementpouvait encoreprovoquer un teldébat ? La récentecouverture dumagazine Timemontrant une mèredonnant le sein à sonfils de 3 ans – avec le titre “Etes-vousassez maternelle ?” – a prouvé qu’une imagechoc pouvait encorefaire jaser.D’après l’équipe du magazine, cettecouverture est cellequi s’est le plusvendue cette année, et, grâce à elle, Timea doublé le nombre de demandesd’abonnement qu’ilreçoit ordinairementen une semaine.

“Moi par exemple, j’allaiteencore mes deux filles, qui ont 4 et 2 ans”

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Un journaliste et écrivain italien,passionné de philosophie et père de deux petites filles, disserte sur l’abrutissement que provoqueinévitablement la paternité.

Corriere della Sera Milan

P ère de deux fillettes nihilistes quis’appliquent à détruire tout ce quileur passe sous la main, père dedeux fillettes que je persiste enverset contre tout à juger douces et adorables, je présente tous les

symptômes d’un abrutissement précoce. Dansles librairies, je fuis les rayons intéressants pourme précipiter vers un domaine plus attrayant etabsolument redoutable : la puériculture. Je meperds dans la contemplation extatique des œuvresde ces nouvelles héroïnes qui ont relégué Spi-noza, Manzoni et Stendhal aux oubliettes : lesnounous de l’émission Super Nanny [S.O.S Tataen Italie]. Mes petits fauves (l’une de 2 ans, l’autrede 6 mois) m’ont réduit en bouillie de rhétorique,j’ai l’air d’une concierge qui aurait lu Racine, jem’attendris devant les couchers de soleil, les airesde jeux pour enfants et les éruptions cutanées.

Ce préambule pour expliquer comment unlivre du philosophe Stefano Zecchi, Dopo l’infi-nito cosa c’è papa ? Fare il padre navigando a vista(éd. Mondadori) [Y a quoi après l’infini, papa ?Etre père en naviguant à vue], a pu atterrir entremes mains. Il a atterri entre mes mains car je suisdevenu stupide. Et je suis devenu stupide car,soumis comme tous les parents aux lois supé-rieures de la nature, je contemple, empli d’uneffroi nouveau, ce monde hostile où le sort denos divines progénitures revêt des dimensions

apocalyptiques. Seul un idiot de mon espèce peut,par exemple, être tenté de prendre au sérieux lesconseils d’un manuel aussi comique que celui deGary Greenberg et Jeannie Hayden : Be Prepared.A Practical Handbook for New Dads (2004) [Tenez-vous prêts ! Guide pratique pour les néopapas],où, inquiets pour la survie de leur espèce, lesauteurs invitent les néopapas à déambuler àquatre pattes à travers la maison pour éradiquerles risques auxquels s’exposent nos enfants : cloussaillants, monnaie éparpillée, loquets dangereuxpour les doigts.

Le livre de Stefano Zecchi est l’une des étapesde ce parcours d’abêtissement. Il est père depuispeu et, dans le feu du combat – le combat sansmerci pour la sécurité de l’enfant face aux périlsdu monde –, il a déclaré la guerre aux femmes quidéplorent son manque de sensibilité ou, pour leciter, le souhaiteraient “plus maternel”. Zecchi esttourmenté par une peur maladive, une peur quil’oblige à ne négliger aucun détail dans cette lutteéreintante, une peur qui l’encourage à convertiren triomphe la moindre victoire. “Je n’aurais passupporté de voir mon fils choisir une autre équipe defoot que la mienne ! Délicatement, depuis son plusjeune âge, j’ai réussi à lui inculquer ma vision du foot-ball, et mon équipe est devenue la sienne. C’est tout

Pères, mères & impairs

Comment je suis devenu père et stupide

Le sort de nos divinesprogénitures revêt desdimensions apocalyptiques

sauf un détail”, écrit Zecchi. Mais Zecchi n’est pasle seul à vivre ce genre d’effrois.

Je laisse de côté le dernier livre de l’analysteLella Ravasi Bellochio, qui passe en revue des casplutôt pittoresques d’infanticides, pour m’attar-der sur un petit volume récemment publié : Dilettifigli miei [Mes enfants chéris] (éd. Endemunde),cinq lettres d’aristocrates anglais du XVIIe adres-sées à leurs fils sur le point de rejoindre l’uni-versité. Ce livre est intéressant car il illustre leplus grave des périls encourus par nos enfants :que peuvent-ils devenir après avoir déjoué lespièges domestiques et survécu à leurs mères ?Des personnes douées de bon sens. Ces ex-bébésont abandonné les aspects les plus séduisants del’enfance et ont déjà perdu leurs illusions, ils devi-sent avec le plus grand sérieux de leur propremaison, des maladies vénériennes, du dîner dela veille ou de l’excursion dominicale. Les parents,rêvant d’en faire des gens bien comme il faut, lesont en réalité éduqués comme des machines àdébiter des discours pointilleux, étriqués, sen-tencieux et terre à terre.

Mes filles ne m’ont pas encore rendu com-plètement gaga. Il y a quelque temps, par exemple,

alors que je m’abandonnais de nouveau à lacontemplation extatique du rayon puériculturede la librairie, j’ai débusqué le livre parfait. “Si lesparents ne font pas respecter les règles avec cohérenceet constance – lisais-je –, il n’est pas raisonnable d’at-tendre des enfants qu’ils les observent avec la mêmecohérence et la même constance.” Ces mots me sem-blaient longuement médités et dictés par l’ex-périence. La voilà, la solution pour faire face auxpérils du monde : donner l’exemple et utiliserquelques règles claires, selon l’antique recettearistotélicienne et libérale. L’extrait était si beauque je m’empressai de le recopier sur mon cale-pin. Mais un détail curieux m’arrêta. Pourquoidiable des chiens en couverture ? A la place desmots “parents” et “enfants” que j’aurais juré avoirlus, les termes “maître” et “chiens” s’étalaient en toutes lettres. Quelque âme supérieure avaitrangé parmi les manuels pour parents un livredu plus célèbre éducateur canin d’Amérique,Cesar Millan. Un geste qui synthétisait des sièclesd’efforts pédagogiques et rendait vaines certainesde ces expériences. Les enfants restent après toutdes animaux. Et la vie est une chienne de vie.Edoardo Camurri

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� Oublié Spinoza !Dans leslibrairies,désormais, le néopapa n’a plus d’yeuxque pour les manuels de puériculture.

XII � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � XIII

Le gouvernement veut réserver aux pères trois des douze mois du congé de naissance. Une réformejugée positive pour les deux parents.

Politiken (extraits) Copenhague

Uune table avec deux matelas àlanger est installée. Dix pous-settes sont alignées. On entenddes gazouillis et des cris de joie.Dans la salle, des pères sont allon-gés ou assis à même le sol pen-

dant que leurs enfants mordillent un hochet ouessaient de se lever en s’agrippant à un trotteur.

Nous sommes dans une legestue [salle de jeuxpublique pour parents et enfants] tout à fait ordi-naire, si ce n’est qu’il n’y a pas une seule femme :tous les mardis après-midi, la grande salle du gym-nase Korsgadehallen à Copenhague, connue sousle nom de “garderie des papas”, est occupée parvingt pères en congé de paternité, à la chemisepleine de bave. Ce chiffre augmentera probable-ment lorsque le gouvernement aura instauré,comme il l’a promis, un congé de paternité spé-cial. Trois des douze mois de congé accordés pourune naissance seront réservés aux pères.

Le chercheur Kenneth Reinicke, de l’univer-sité de Roskilde, pense que cette réforme entraî-nera un net changement d’attitude. “Les hommesqui ne prendront pas ce congé de paternité passerontpour des crétins, car ces mois seront alors perdus.”D’après lui, ce qui caractérise l’homme contem-porain, c’est qu’il veut tout – faire carrière, touten étant important pour ses enfants. D’après lechercheur, cette réforme a le mérite de ne per-mettre quasiment aucune négociation. “Il estimportant que ce ne soit pas à Monsieur ou à Madamed’en décider en tête à tête, parce que nous savons cequi se passera alors. Une législation sur le congé de

naissance qui ne tienne pas compte du sexe, cela n’existepas”, ajoute Reinicke. Il pense que le Danemarkarrive ainsi à une situation avantageuse pour tous,le père et les enfants apprenant à se connaître sansque la mère s’en mêle.

La garderie des papas du quartier de Nørre-bro s’est rapidement remplie d’hommes avecporte-bébé, casquette et poussette. Les femmesne sont pas admises. “Il suffit que le bébé crie unpeu pour que sa maman accoure”, raconte MartinMartensson, père d’un petit Malte de 9 mois. Laplupart des mères ne parviendraient pas à resterimmobiles : les enfants ont le droit de sortir d’unetoupie géante à quatre pattes, le nez en avant, etd’aller jusqu’à l’autre bout de la pièce. Le pèreest en pleine conversation avec un autre père,dont le troisième enfant lui grimpe dessus.

“Les enfants peuvent explorer davantage quandleur maman n’est pas là”, estime Frederik Hertz,pendant que son fils de 8 mois, Hugo, tient d’unemain ferme son cousin. Dans la majorité des cas,la vie des jeunes parents est l’occasion de boule-versements, mais les pères se plaignent souventque l’attention est seulement centrée sur la mère.

“Certes, les pères n’ont pas porté l’enfant. Maisleur vie est transformée autant que celle des femmes”,affirme John Brondum, chef de projet à la “gar-derie des papas”. Il trouve important que les pèresaient un lieu. Beaucoup d’entre eux lui rappor-tent que, lorsque la puéricultrice vient à lamaison, elle s’adresse uniquement à la mère. Ici,les hommes peuvent s’entretenir avec la puéri-cultrice. Et les questions ne manquent pas. “Jeme faisais sans doute des illusions”, confie MartinMartensson, en congé pour quatre mois pendantque sa femme poursuit sa carrière de médecin.“Je n’ai pas le temps de faire tout ce que je pensaispouvoir faire.” Et il ajoute en riant : “Je n’ai le tempsde rien.” John Brondum se réjouit d’accueillir plusde pères. Il rêve de trottoirs remplis d’hommesavec leurs poussettes. Gry Pauline Kofoed

A Copenhague, le mardic’est garderie des papas

Les pères trentenaires s’investissent dans l’éducation des enfants. Et préfèrent la tendresse et la permissivité au despotisme.

Nandu Zhoukan (extraits) Canton

D ans son célèbre livre Hao babasheng guo hao lao shi [Un bonpère vaut mieux qu’un bonprofesseur], Dongzi, psycho-logue et auteur d’ouvrages àsuccès sur la famille, s’intéresse

à l’éducation des pères. Ces derniers temps, il aobservé un phénomène nouveau : l’augmen- tation régulière du pourcentage de pères par- ticipant à des conférences sur l’éducation desenfants. “Il y a quinze ans, on trouvait dans cesréunions un homme pour neuf femmes, maintenantle ratio est de trois pour sept.”

L’écrivain note l’émergence progressive denouveaux pères qui se veulent “en première ligne”dans l’éducation de leurs enfants. “Ils font preuved’une plus grande ouverture d’esprit et prennentconscience de leur rôle. Ils sont nés pour la plupartà la fin des années 1970 ou au début des années 1980,et 80 % d’entre eux ont fait des études supérieures.”

Les recherches effectuées par Wen Zhigang,président du Centre pour le développement dela participation paternelle [à Pékin], confortecette image de père d’un nouveau genre. Lecentre a contacté près de 500 familles pour ana-lyser de façon plus approfondie cette catégo-rie des “nouveaux pères”. Elle regroupe deshommes entre 38 et 42 ans, à la situation pro-fessionnelle plutôt stable, qui, parvenus à lamoitié de leur vie, en sont au stade où leurs aspi-rations individuelles et leur échelle des valeursse modifient. Ils commencent à donner la prio-rité à leur famille et veulent s’impliquer active-ment dans l’éducation de leurs enfants.

Ils se rendent compte que le père est quel-qu’un d’important pour un enfant du fait de l’in-

fluence qu’il exerce sur lui, et non par sa capacitéà l’éduquer, selon Wen Zhigang. Ce père joueplusieurs rôles à la fois, tel ou tel aspect prenantdavantage d’importance selon l’âge de l’enfant :quand celui-ci est petit, le père est un compa-gnon de jeu ; à l’adolescence, il peut devenir unami ; puis, après 18 ans, il sert de modèle.

“Continue comme ça et tu ne seras plus mon ami !”Voici ce que Zhou Jun, lors d’une dispute, avaitlancé à son père, Zhou Ke – rédacteur en chefadjoint du bimensuel Xin Zhoukan et professeurde journalisme à l’Université technologique deChine du Sud, à Canton. Mais cela n’avait pas émuZhou Ke car il savait pertinemment que sa fille leconsidérait toujours, au fond, comme un ami.“Quece soit pour ses études ou dans sa vie quotidienne, jene souhaite pas cadrer de force mon enfant. Je veuxqu’elle grandisse dans un environnement sanscontraintes, de manière qu’elle puisse donnerà sa vie l’orientation qu’elle désire.” La “lais-ser grandir”, c’est ainsi que Zhou  Kerésume le grand principe qui régit ses relations

avec son enfant, une manière de la laisser libreet de lui donner carte blanche. Aussi a-t-il choiside ne pas intervenir, même quand sa fille lycéennesurfe sur Internet ou regarde la télévision durantles périodes les plus chargées de ses études. C’estainsi qu’alors que la plupart de ses camaradesbachotent à mort Zhou Jun peut prendre son sacà dos et partir se promener le nez au vent…

Du fait du décès prématuré de sa femme,Zhou Ke a dû endosser à la fois le rôle de pèreet celui de mère dans le foyer. Tous les jours, ilse force à se lever tôt pour préparer le petitdéjeuner et le prendre avec sa fille. Les deux sontparticulièrement sensibles à cette notion de faireles choses “ensemble”. Zhou Jun dit qu’à cesmoments-là elle a le sentiment très fort d’“avoirsa famille à ses côtés”. “Il nous arrive parfois deparler à table de l’actualité sociale, et c’est superquand on partage les mêmes points de vue. Un pèrerenvoie toujours l’image de quelqu’un de sévère et

d’impressionnant, mais, pour ma part, j’échangetrès facilement avec mon papa, qui, pour moi, estplus encore un ami qu’un père !”

“En fait, quand je vois le stress que fait peser surelle le monde extérieur, j’ai du mal à le supporter ;c’est ce qui arrive quand l’échelle des valeurs d’unindividu entre en contradiction avec celle de la société”,avance Zhou Ke, qui reconnaît que ce type d’édu-cation “permissive” qui est le sien apparaît quelquepeu incongru dans l’environnement social actuel.

Ces dernières années, même s’il reste denombreux “adeptes” du père fouettard, le papapoule gagne peu à peu du terrain. “Cette évolu-tion de l’image du père signe la fin d’un système des-potique. Les transformations de la société conduisentde nombreux pères ordinaires à devenir des papaspoules”, explique Sun Yunxiao [chercheur à l’Ins-titut des jeunes Chinois à Pékin], qui travaillesur l’éducation reçue au sein de la famille.Huang Jingjing, Yang Han et Lin Yufeng

Fini la tyrannie en Chine !

Congé partagé

Au Danemark, les jeunes parents ontdroit à un an de congé,mais ce sont surtoutles femmes qui en profitent, dans 93 % des cas.Après son arrivée au pouvoir, en septembre 2011, le gouvernement de coalition (social-démocrate,socialiste et social-libéral) a promis de réservertrois des douze moisde congé parental aux seuls pères : en clair, si un pèrechoisit de ne pasprendre son congé, la mère ne pourra en bénéficier, et les trois mois serontperdus pour la famille.

“Je veux qu’elle grandissedans un environnement sans contraintes”

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Pères, mères & impairs

Ils sont devenus des héros des Tempsmodernes : des jeux vidéo à Internet,ces jeunes pères nés avec lesordinateurs passent plus de tempsavec leurs enfants. Au grand bénéficedes relations intrafamiliales.

La Tercera Santiago

V icente avait 2 ans lorsqu’il acommencé à s’intéresser auxécrans en tout genre. C’est àcroire que la curiosité desenfants les porte naturelle-ment à interagir avec ces appa-

reils. Le soir, dès que je passais le seuil de laporte, il se ruait vers moi pour fouiller mespoches en baragouinant  : “papa iPhone” ouencore “papa iPad”. Après ça, je n’avais d’autrechoix que m’asseoir à ses côtés et chercher desjeux ou des applications pour lui. Avec ma filleaînée, c’est la même chose : déjà toute petite,elle demandait que nous nous asseyions pourjouer ensemble “aux jeux des grands”. Commemoi, toute une génération de papas nés à l’aubede l’ère technologique, dans les années 1970-1980, et ayant grandi avec les premiers ordina-teurs et les jeux vidéo Atari – et qui restent desfanatiques de jeux et de gadgets –, s’est trouvéun point commun avec ses enfants : les nou-velles technologies.

Ce phénomène s’est amplifié ces dix der-nières années. Comme aucune autre avant elle,cette génération parle le même langage que saprogéniture, elle-même née alors que l’ère Inter-net battait son plein. Le résultat, ce sont cespères qui ressemblent de plus en plus à leursenfants, qui vont jusqu’à s’habiller de la mêmefaçon et, surtout, qui placent la technologie aucentre de leur relation. Ce phénomène redéfi-nit le temps passé en famille et a des effets psy-chologiques positifs sur les pères et leurs enfants.

Donnons à titre d’exemple le sondage réa-lisé par Cisco aux Etats-Unis, où 71 % des pèresconsidèrent que, grâce aux nouvelles technolo-gies, ils consacrent plus de temps à leurs enfantsque ne le faisaient leurs pères. Au Chili, uneenquête réalisée début juin par Laborum pourLa Tercera a consulté plus de 300  pères defamille : ceux-ci sont 61 % à affirmer que, grâceaux technologies, ils passent plus de temps avecleurs enfants que ne le faisaient les générationsprécédentes.

On a tendance à croire que l’intérêt pour lesjeux et les gadgets high-tech est une affaired’hommes, donc de pères et de fils. Toutefois,selon des experts de l’université Brigham Young,les jeux vidéo sont particulièrement bénéfiquespour les filles. Leur étude, effectuée auprès de278 filles et garçons âgés de 11 à 16 ans, a démon-tré que les fillettes qui jouaient avec leur pèreavaient tendance à mieux se comporter, à êtredavantage liées à leur famille, à faire preuve d’unecertaine résilience et à se montrer moins sujettesà l’anxiété ou à la dépression. Les garçons, enrevanche, ne présentent pas les mêmes résultats.

Selon les auteurs de l’étude, cette pratiquedes jeux vidéo est principalement le fait des pèrespuisque, parmi les mères interrogées, rares sontcelles qui y jouent. En jouant avec leurs filles,les pères leur montrent qu’ils sont disposés àparticiper à une activité qui leur plaît à elles.

S’instaure alors une communication père-fillequ’il est parfois difficile d’établir au quotidien.

Selon certains spécialistes, les jeux vidéomontrent à quel point les technologies occul-tent les différences physiques entre parents etenfants. Ainsi, confrontés à un adulte dans unjeu, il arrive que les enfants gagnent, ce qui leurdonne confiance et les pousse à communiquerdavantage. “Vous vous trouvez dans le monde desenfants”, explique Arminta Jacobson, directricedu Centre éducatif pour les parents de l’uni-versité du North Texas. “N’importe quel loisirentre parents et enfants favorise cette interaction.”

Une étude réalisée par l’université du Michi-gan auprès de 290 pères et leurs enfants alorsqu’ils jouent ensemble sur des écrans révèle quece rapprochement a un impact important surleurs rejetons. Il les aide à développer des com-

pétences cognitives et linguistiques, tout en amé-liorant la relation père-enfant. Les adultes ensont bien conscients : l’enquête de Laborumindique que 41 % des pères chiliens qui utilisentles nouvelles technologies avec leurs enfantsestiment que cela renforce leur relation. Ellerévèle également qu’au Chili 74 % des papas seconsidèrent comme “très nouvelles technologies”.

Parallèlement, en Angleterre, une étudemenée par l’université Goldsmiths révèle que80 % des pères considèrent les moments passésavec leurs enfants devant un écran comme pri-vilégiés. Selon cette étude, 32 % des papas décla-rent jouer quotidiennement à des jeux high-techavec leurs enfants. Mais il n’y a pas que les jeuxvidéo qui augmentent le temps passé entre

parents et enfants ; Internet y est aussi pour beau-coup. Autrefois, les papas apprenaient à leurs filsà bricoler, à manier le marteau ou la perceuse ;aujourd’hui, selon l’enquête Cisco, 72 % d’entreeux préfèrent leur apprendre à se familiariser avecles nouvelles technologies. “Ils sont sans cesseconnectés avec leurs enfants : ça les rassure sur leurtalent de parents”, explique Claudio Torres, admi-nistrateur de Cisco pour le Chili et fier d’être un“papa 2.0”. “C’est rassurant et ça vous donne l’im-pression de mieux surveiller les activités de vos enfantsquand ils ne sont pas à la maison”, explique-t-il.

L’étude Generations Online 2009, réalisée parle PEW Research Center, nous apprend qu’au-jourd’hui les pères ont des comportements trèssemblables à leurs enfants sur le Net. Jouer, sedéfier et s’amuser : voilà les principales moti-vations des pères lorsqu’ils s’installent devantun écran avec leurs enfants. “Les pères de famillenouent une relation plus intéressante avec leursenfants, dans laquelle ils peuvent partager des expé-riences enrichissantes”, explique l’étude Cisco auxEtats-Unis. Dans son livre My Father Before Me,Michael J. Diamond explique qu’un papa qui seconnecte avec son enfant est considéré par cedernier comme un “héros des Temps modernes”.

Selon l’enquête de Laborum, 35 % de ces“héros” disent utiliser le web pour aider leursenfants à faire leurs devoirs ou pour effectuerdes recherches sur leurs centres d’intérêt com-muns. Clay Nichols, blogueur américain sur Dad-Labs. com et “papa 2.0” autoproclamé, penseque cette nouvelle relation s’explique par le faitque les papas d’aujourd’hui ont grandi dans unpaysage technologique en constante évolution.“Quand on pense à la place que prennent les nou-velles technologies dans notre quotidien, conclutClay Nichols, il n’est pas surprenant de voir appa-raître un nouveau type de papa, capable de conver-tir ses connaissances et sa passion pour les nouvellestechnologies en moments d’exception qui redéfinis-sent le temps passé en famille.” Ricardo Acevedo

Des générations interconnectées

� Selon une étudebritannique, joueraux jeux vidéoavec leur père estparticulièrementbénéfique pour les filles.

“Ils sont sans cesseconnectés avec leursenfants : ça les rassure”

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XIV � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � XV

Incités à aimer leur filleDans l’Etat du Maharashtra, en Inde,les parents déçus d’avoir une fille lui donnent le nom de Nakushi, “non désirée”. Une pratique que les autorités entendent changer.

Open (extraits) New Delhi

Dans le district de Satara, on donneaux petites filles non désirées lenom de Nakushi (“enfant nondésiré”, en marathi). Bien que cedistrict compte parmi les mieuxlotis de l’Etat du Maharashtra, ses

habitants manifestent une très nette préférencepour les garçons. Mais, aujourd’hui, le collector[sorte de sous-préfet] du district, M. Ramas-wamy, est déterminé à faire évoluer les menta-lités. Il a instauré des cérémonies de changementde nom, assorties de récompenses pour lesparents qui consentent à offrir un “nouveaudépart dans la vie” à leurs filles.

Les habitants du district de Satara n’orga-nisent généralement pas de cérémonies de bap-tême [pour des raisons financières] pour leursbébés filles. Ils dépensent aussi le minimumpour leur alimentation, leur bien-être et leuréducation. Très souvent, on interdit aux femmesd’allaiter leur petite fille. Quant aux raresfillettes qui ont le privilège d’être nourries aulait maternel, après le sevrage, elles n’ont plusle droit de boire de lait. Dans tous les cas, lesgarçons sont servis les premiers, tandis queleurs sœurs se contentent des restes. Les jouets,les vêtements neufs sont réservés aux garçons.Le district de Satara, d’où sont issus la grandemajorité des responsables politiques du Maha-rashtra, compte 881 filles pour 1 000 garçons[un ratio qui s’explique en partie par l’avorte-ment sélectif des fœtus féminins : en Inde, avoirune fille est un fardeau, notamment parce quela dot à payer au moment du mariage constitueune dépense considérable].

Dans les villages, les cérémonies de chan-gement de nom des petites filles sont donc unegrande nouveauté. Il y a deux mois, le collectora lancé une campagne de porte-à-porte pourrecenser les prénommées Nakushi et leurrendre leur dignité. Depuis, 900 Nakushi ontété répertoriées. Lors d’une cérémonie fas-tueuse, elles reçoivent un nouveau prénom. Lesparents se voient accorder des rations alimen-taires gratuites, la petite fille renommée estautomatiquement inscrite à l’école publique etbénéficie du transport public gratuit.Des bénévoles de l’hôpital public de Satara, avecl’aide des fonctionnaires du bureau du collector

du district et des associationslocales s’emploient par

ailleurs à convaincre lescouples de renoncer aux

tests prénataux permet-tant de déterminer le sexe de

l’enfant.Haima Deshpande

A quoi bon la fête des Pères ?Vu d’Israël

La mère juive suffit largementDans de nombreuses familles juives, la fête des Pères ne fait, semble-t-il, que passer. Tout au long du mois de juin,garçons et filles se plaignent de la difficultéd’acheter quelque chose pour leur père et envahissent les magasins et les boutiquesen ligne en quête de présents – du porte-cravates rotatif au serre-livres en cuir. Je suis sûre que mon père détesterait la plupart des articles présentés comme “le” cadeau susceptible d’exprimer le mieuxmon affection. Les journées dédiées au pèreet à la mère ne sont plus que des fêtesmercantiles. Mais ce qui est beaucoup plusregrettable pour nos pères, c’est que leur fête revêt encore moins d’importancesentimentale que celle des mères.Depuis la nuit des temps, la mère juive est considérée comme une source de mysticisme, avec sa soupe aux boulettesde matzo [soupe traditionnelle ashkénaze]qui guérit tous les maux et ses incessantsencouragements à mieux travailler à l’école.Nos comédies favorites sont peuplées de mères juives qui dominent un mari timideou gèrent un foyer dans lequel le pèren’existe même pas.Dans le duo dynamique que forment les parents juifs, les pères sont souvent des héros méconnus. La plupart des gens ont un souvenir affectueux de leur père.Néanmoins, dans beaucoup de filmscomportant des personnages juifs, le pèren’est que brièvement mentionné. Ce n’estbien sûr pas le cas dans toutes les familles,mais force est de constater que, dans la culture moderne, l’archétype de la mère

juive occupe une place bien plus importanteque la figure paternelle. Yael Miller Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

Vu d’Irak

Doit-on encore célébrer un dictateur ?Les Irakiens n’honorent pas la fête des Pères et n’en connaissent guère la date. Les rapportsautoritaires aux pères à l’intérieur des famillespoussent nombre de gens à ne pas y prêterattention. Contrairement à la fête des Mères,dont enfants et jeunes se rappellent et dont les chaînes satellitaires locales et les médiasfont la promotion, la simple évocation de la fêtedes Pères provoque des éclats de rire commes’il s’agissait d’une risible imitation. Les pèresirakiens eux-mêmes ne savent pas grand-chosede leur fête et ceux qui en entendent parlerpour la première fois restent bouche bée avantde poser toujours la même question : “Il y avraiment une fête des Pères ou c’est une blague ?”Beaucoup de jeunes considèrent leurs pèrescomme l’incarnation d’une austérité excessiveet d’une autorité incontestable, peu propice à des effusions d’amabilités. “J’aurais honted’organiser une fête pour mon père. Qu’est-ce qu’un père en ferait, d’une telle fête ? Peut-être qu’ils’habillerait avec des vêtements neufs ? Et nous, on lui chanterait une chanson ?” Un jeunecommence à faire des blagues sur le sujet avec ses amis, qui se mettent à détourner des chansons dédiées à la fête des Mères, en en changeant les paroles pour mettre “père” à la place de “mère”. Un de ses amis ajoute :“Cela me rappelle la fête de la police. Dès que je rentre à la maison, il me pose mille questions, au point que j’ai l’impression d’être dans un interrogatoire de police.” Khouloud Al-AmeriAl-Hayat (extraits) Londres

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� Rassoul Falah,champion d’Irakde bodybuilding,avec ses fils, à Bagdad, en juillet 2003.

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e ça Ils étaient partis vivre leur vie.

Leurs parents ont repris la leur.Jusqu’au jour où les “adulescents”sont de retour à la maison – avec une montagne de dettes et des exigences d’adultes.

The Daily Beast (extraits) New York

A quelques mois d’intervalle,les deux filles de BarbaraCrowley sont revenues au ber-cail sans crier gare, à Dallas(Texas). Jaime, 26 ans, a été lapremière à rentrer. Après avoir

traîné un temps avec son petit ami à JacksonHole, une station de ski du Wyoming, elle avaitdécidé de préparer un doctorat en psychologieclinique. Admise dans plusieurs institutions unpeu partout dans le pays, elle a finalement portéson choix sur une université située près de lamaison familiale, afin de profiter des frais descolarité préférentiels accordés aux résidentsde l’Etat. Elle a annoncé à ses parents qu’ellevivrait chez eux la première année de ses étudesparce que cela l’arrangeait.

“Mon mari et moi, nous avons dit d’accord”,confie Barbara. Ils ne s’attendaient toutefoispas à ce que l’aînée, Evelyn, 29 ans, qui vivaitdepuis quatre ans à New York, débarque elleaussi. Elle travaillait pour une revue de mode,mais elle en a eu assez d’écrire des articles surd’éblouissantes boucles d’oreille en cristal (prixsur demande). “A cet âge, les gosses partent à ladérive, toujours à la recherche de quelque chose demeilleur. A notre grand désarroi, Evelyn a quittéson emploi sans en avoir d’autre. Arrivée à Dallas,elle a compris que la presse magazine était finie.C’est un champ de ruines, partout on licencie àtour de bras.”

Jaime et Evelyn ont débarqué alors que lesCrowley venaient tout juste d’envoyer le ben-jamin à l’université Northwestern [Illinois]. Lesenfants partis, ils commençaient à peine à souf-fler un peu et voilà que le nid vide s’est remplide nouveau. “Tout le monde me dit : ‘C’est génial,

L’école, Internet, les copains, les sorties…Comment les autres parents s’en sortent-ils ?

Ils jonglent avec leurs enfantsboomerangs

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XVI � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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vos filles sont de retour.’ Mais c’est faux. D’abord,elles ne s’entendent pas. Les avoir avec nous alorsqu’elles ont plus de 20 ans, ce n’est pas une partiede plaisir, croyez-moi. Me voici redevenue la femmeau foyer traditionnelle, corvéable à merci, commema grand-mère. Si vous avez élevé vos enfantscomme moi – une vraie mère poule –, c’est très durde changer de mentalité quand ils reviennent vivreà la maison à l’âge adulte. C’est le temps du lycéerevisité, avec tout ce que cela comporte : faire la les-sive et la cuisine, me faire du mauvais sang quandles filles prennent le volant dans une communautéurbaine tentaculaire comme la nôtre ou m’assurerqu’elles se réveillent à temps quand elles sont ren-trées tard le soir. Je fonctionne de nouveau à pleinrégime en mode maman.”

La plupart des mères de la générationdu baby-boom que je connais se comportentcomme Barbara Crowley. Lorsque les “adules-cents” réintègrent le cocon familial, les mèresont tendance à endosser à nouveau pleinementleur rôle parental. Nous avons tous entendu cesparoles de Jonas Salk [un biologiste américain] :“Les bons parents donnent à leurs enfants desracines et des ailes.” Mais je me demande si toutesles mamans que je connais n’ont pas secrète-ment implanté une puce électronique sous lapeau de leurs enfants pour qu’ils reviennentvers elles tels des chiens perdus, simplementpour pourvoir s’en prévaloir et satisfaire gou-lûment leur instinct maternel.

“Quand on a été l’entraîneur, le directeur tech-nique et la principale pom-pom girl en matière dedéveloppement de son enfant pendant vingt ans, ilest difficile de changer, particulièrement si celui-cise retrouve dans une situation difficile”, estimeSylvia Gearing, une psychologue de Dallas. “C’estune tâche herculéenne que d’encourager les femmesà se défaire de la mauvaise habitude qui consiste às’identifier excessivement à leur enfant.”

“Les parents font souvent l’expérience de l’‘enfantboomerang’, et ils se reprochent de n’avoir pas faitleur travail correctement”, commente Gina Heyen,conseillère matrimoniale et familiale à Wichita,au Kansas. “C’est particulièrement douloureux poureux de voir leur enfant souffrir.”

Wichita est la capitale nationale de l’indus-trie aéronautique, où se trouvent les usines desavionneurs Boeing, Lear et Cessna, entre autres.A mesure que se tarissent les commandes descompagnies aériennes et des plus grosses entre-prises du pays, les suppressions d’emplois se mul-tiplient. “Ici, nous sommes très attachés aux valeursfamiliales”, souligne Mme Heyen, qui remet encause le rôle que doivent jouer les parents quandles choses vont de travers pour leurs enfants.Elle cite le cas d’un couple solide, depuis long-temps marié, qui a failli voler en éclats avec leretour de la fille prodigue, une trentenaire crou-lant sous plus de 60 000 dollars de dettes. Peuaprès, la cadette, âgée d’une vingtaine d’années,qui s’était lourdement endettée pour ses études,

a également réintégré le domicile familial. “Audébut, les filles se sont comportées comme si ellesvivaient à l’hôtel. Ce n’est qu’au bout de quelquesannées de ce régime que la famille est venue medemander conseil, raconte Mme Heyen. Le père étaitcomplètement dépassé, puisant dans son épargneretraite parce qu’il se sentait toujours obligé de sortirindéfiniment le chéquier. La mère pensait autrement.Elle avait d’autres idées en tête pour utiliser leurargent. ‘Ça suffit’, a-t-elle décidé. ‘En fait, ça faittrès longtemps qu’on en a assez d’avoir les gossesà la maison’, m’a-t-elle avoué.”

La conseillère a aidé les parents à pousserles jeunes femmes à constituer leurs réseauxrelationnels, à faire du bénévolat et à se rensei-gner sur les programmes de l’Etat en matière delogement, de Medicaid [assurance-maladie pour

les personnes à faibles revenus], d’invalidité, deprêt étudiant et de conseil au consommateur– des ressources dont cette famille n’avait jamaiseu besoin auparavant. Le père s’est mis à explo-rer avec ses filles toutes ces pistes, qui pour-raient leur permettre d’acquérir une certaineindépendance financière. “La mère voulait leurdonner de trente à soixante jours pour plier bagage.Mais le père s’inquiétait du niveau de vie auquel ellesauraient été contraintes dans de telles conditions.Ils sont finalement convenus d’un délai de six mois.”

En vingt ans de métier, la psychothérapeuteSharon Gilchrest O’Neill, dans l’Etat de NewYork, n’a pratiquement traité aucun cas d’“adu-lescent boomerang”. Maintenant, elle en voitbeaucoup. “J’essaie de commencer par les parents.Il me faut généralement leur rappeler que la règled’or dans le métier de parents est qu’il s’agit d’un tra-vail d’équipe entre la mère et le père, pour s’assurerque les enfants ne les montent pas l’un contre l’autre.Il est important de discuter des limites à ne pasfranchir. Permettrez-vous à votre enfant adulte deboire à la maison ? De fumer du cannabis ? Devra-t-il reprendre son ancienne chambre ? Quelle sallede bains utilisera-t-il ? Un petit ami ou une petiteamie pourra-t-il ou pourra-t-elle dormir à la mai -son ?’ ‘Je ne veux pas voir un type se promeneren caleçon chez moi’, s’est ainsi plaint un papa.”

Mme O’Neill rappelle aux parents que c’esttoujours leur maison, quel que soit l’âge desenfants. “Souvent, ils ne se croient pas en droit defixer des limites à des adultes âgés d’une vingtaineou d’une trentaine d’années.” Mme O’Neill les arrêtetout de suite. La situation risque de se révélerparticulièrement délicate pour les uns et lesautres si, à l’époque où ils vivaient seuls, lesenfants ont grandi plus qu’ils ne s’en rendentcompte ou plus que ne l’acceptent les parents.“J’ai reçu une fille de 25 ans, tout à fait raisonnable,qui est retournée vivre chez ses parents à son corpsdéfendant, parce qu’elle avait perdu un bon postedans la finance. Elle a vu ses espoirs réduits à néant,et elle n’avait plus les moyens de payer un loyer. Al’époque où elle était indépendante, elle a entaméune thérapie sur le fait d’avoir une maman qui vou-lait tout connaître de sa vie.” Maintenant, c’est autour de la mère de se faire suivre par Mme O’Neill,pour tenter de redéfinir l’idée qu’elle se fait d’unparent aimant. Et cela commence par s’abste-nir d’être constamment sur le dos de sa fille dansl’espoir de s’en rapprocher. Sally Koslow*

* Auteure du livre Slouching Toward Adulthood,dont cet article est un extrait (Traîner vers l’âgeadulte, Viking Penguin, 2012, pas encore traduit).Plus d’informations sur sallykoslow.com.

Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � XVII

“Tout le monde me dit : ‘C’est génial, vos filles sontde retour.’ Mais c’est faux !”

� Lorsque les enfantsreviennent vivre chez leurs parents, la question des limites se pose très vite.

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Ils font comme ça

Peu de parents américains osentl’avouer, mais beaucoup usent encorede la traditionnelle déculottée pourmater leurs bambins récalcitrants.

The Boston Globe Magazine (extraits) Boston

Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendrecompte que demander à un homme pour-quoi il donnait des fessées à son enfant,c’était comme lui demander quand il avaitarrêté de battre sa femme. J’essayais depuisdes semaines de trouver des parents prêts

à se confier quand une amie m’a donné le numérod’une mère de famille qui, selon elle, était experteen la matière. Je l’ai appelée, mais à peine avais-je exposé ma requête qu’elle m’a raccroché aunez. Pour me rappeler aussitôt. “Je sais que c’estune amie qui vous a conseillé de me téléphoner, maiscomment puis-je être sûre que vous ne travaillez paspour les services sociaux ?” Puis elle m’a demandéde ne plus jamais la contacter. Le même scéna-rio s’est répété des dizaines de fois avant que jene tombe sur Kevin Cargill, un agent immobi-lier de 35 ans. “Je ne vais pas mentir, ma femme etmoi avons donné des fessées à nos filles et je n’en aipas honte”, m’a-t-il avoué. C’était parfois la seulesolution pour faire obéir ses filles, aujourd’huiâgées de 12 et 13 ans. “Mais je ne le crie pas sur lestoits. Je ne veux pas passer pour un monstre.”

Si les mères de famille passent leur temps às’écharper sur une foule de sujets – du tempspassé devant la télé à l’âge limite pour allaiter –,il n’existe pas de sujet plus explosif que les châ-timents corporels. La fessée n’est pas illégale auxEtats-Unis, mais la première mère de famille àqui je me suis adressé n’avait pas complètementtort de se méfier. Don Cobble, ancien pasteurd’une église de Woburn (Massachusetts), l’aappris à ses dépens. En 1997, il a fait l’objet d’uneenquête des services sociaux. Il était soupçonnéde maltraitance pour avoir corrigé son fils avec

un ceinturon. Deux ans plus tard, il a été blan-chi de tout soupçon, mais le mal était fait. “Notrecommunauté n’est pas grande. Les gens se sont misà me considérer comme un monstre.” En privé, denombreux parents sont venus l’assurer de leursoutien et lui avouer qu’eux aussi pratiquaientla fessée. “Des gens très proches m’ont dit qu’ils n’yvoyaient rien de mal tant que cela restait dans deslimites du raisonnable, se souvient-il, mais ils nepouvaient pas le dire en public.”

Cobble a été confronté au plus grand para-doxe de l’éducation moderne : le pourcentagedes Américains favorables à la fessée a beau avoirchuté ces cinquante dernières années, dans lesfaits, la réalité est bien différente. En l’espaced’une génération, la proportion des parents quipensent que la fessée est “nécessaire” est passéede 94 à 70 %. Cependant, le sociologue MurrayStraus a montré que la proportion des parentsqui donnent des fessées à leurs enfants estencore supérieure à 90 %. La fessée n’a pas dis-paru, elle se fait juste plus discrète.

Il y a quelques années, un psychologue del’Université méthodiste du Sud, George Holden,a installé des micros dans 33 maisons de Dallas(Texas). “Il s’agissait d’étudier la fréquence des crissur les enfants, explique Holden, mais nous avonsinvolontairement découvert autre chose.” Dans lamoitié des cas, les micros ont permis d’identifierles sons de gifles et de fessées. Pour le révérendEugene Rivers, de Boston, “les gens tiennent undouble discours. Ils se disent modernes et évolués, maisen privé ils continuent de donner des fessées. Noussommes les champions de l’hypocrisie sur ce sujet.”

A la fin des années 1960, une étude a montréque pratiquement tous les parents américainspensaient qu’une bonne correction était indis-pensable au bon développement de l’enfant. Cettecroyance a perduré pendant des décennies.Murray Straus, codirecteur du Laboratoire derecherches familiales de l’université du NewHampshire, est l’un des chercheurs les plus répu-tés dans le domaine des châtiments corporels etl’un des plus virulents détracteurs de ces pra-tiques. Il a commencé ses recherches sur la fesséedans les années 1950. Plus tard, il s’est interrogésur les effets durables des fessées reçues pendantl’enfance et il a découvert que cette pratique pou-vait entraîner des séquelles psychologiques,notamment une faible confiance en soi et un com-portement agressif. Straus et d’autres chercheursont accumulé une foule de données allant dansle même sens. En 2002, Elizabeth Gershoff, del’université du Texas, s’est penchée sur 117 expé-riences qui partaient de l’hypothèse que la fesséeavait des effets secondaires nocifs. L’hypothèses’est vérifié 110 fois. Pour Straus, ce taux de 94 %montre “un degré de pertinence presque sans précé-dent” en matière de recherche scientifique.

Chers parents qui avez la main leste avec vosenfants, la grande majorité des études montrentqu’“à long terme, la probabilité est plus importante

Ils donnent encore la fessée

� Aux Etats-Unis,si les châtimentscorporels restentlégaux dans lesécoles publiquesde 19 Etats, des étudesmontrent le déclinde cette pratique. Image extraite de la comédieHard Work (1920).

“Les gens se sont mis à me considérer comme un monstre”

que vos enfants deviennent violents, dépressifs oucolériques. Certains éléments démontrent même queces enfants ont un QI moins élevé”, explique Straus.

Les châtiments corporels étaient très répan-dus aux Etats-Unis jusqu’en 1970. En 1971, le Mas-sachusetts fut le premier Etat à les interdire dansles écoles. Même s’ils restent légaux dans lesécoles publiques de 19 Etats, en particulier dansle Sud, les études montrent le déclin de cette pra-tique. La Suède interdit le recours à la fesséedepuis 1979. Elle a été imitée par plus d’une ving-taine de pays, dont l’Allemagne, l’Espagne et leVenezuela. Mais, selon Straus, les Etats-Unis nevoteront jamais une loi antifessée, car les Amé-ricains considèrent ce genre de loi comme uneingérence de l’Etat dans leur vie privée.

Pour Don Cobble, corriger son enfant, c’estêtre un parent responsable. C’est pourquoi, quandles services sociaux lui ont reproché de battre sonfils, il s’est pourvu en justice. Pour lui, l’Etat outre-passait ses droits en empiétant sur sa liberté reli-gieuse et éducative. Cobble a été blanchi, mais iln’est pas sorti indemne de ce combat. “C’est vrai-ment un comble ! Pour continuer à donner la fesséeà vos enfants, il vous faut subir une déculottée enpublic”, relève-t-il.

Danielle Evans, 23 ans, se dit obligée dedonner des fessées à ses enfants. Une fois, alorsqu’elle répétait à son fils de 4 ans de ne pas s’éloi-gner d’elle au supermarché, il ne l’a pas écoutée.Elle lui a mis une fessée devant tout le mondepour bien lui faire comprendre qu’il se mettaiten danger. “Je suis convaincu que plus il reçoit defessées, plus il comprend”, explique-t-elle.

Si le pouvoir éducatif de la fessée est unmythe, une chose est sûre, il a la vie dure. “La plu-part des parents que j’ai rencontrés reconnaissent quefrapper leurs enfants n’est pas bien, conclut Straus,mais ils disent tous qu’il y a des moments où il n’y aque ça qui marche.” James H. Burnett III

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XVIII � Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012

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Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � XIX

� Dans les tenuesde leurs enfantscomme dans le choix de leurs prénoms,les parents font tout pour masquerl’appartenance à un sexe.

Pour libérer ses enfants des rôlesimposés par la société, un couple suédois a fait le choixd’une éducation la plus asexuéepossible. Reportage.

Dagens Nyheter (extraits) Stockholm

Le fait de ne pas dire le sexe d’un enfantou de bannir l’emploi de ‘il’ ou ‘elle’ faitréagir les gens. Certains y voient uneprovocation et trouvent qu’on s’est lan -cés dans quelque chose de bizarre”, con -fie Linus, père de deux enfants, qui

a choisi de leur donner une éducation asexuée.La plupart des parents veulent probablement queleurs enfants, en grandissant, aient tous des pos-sibilités en fonction de leurs capacités propres– et non de leur appartenance à un sexe.

Linus et sa compagne, Sara, ont pris la ques-tion au sérieux et donnent à Sasha, deux ans etdemi, et Nikki, six mois, une éducation asexuée– ce qui vaut pour tout, pour l’habillement commepour la façon de s’adresser à eux. “Nous voulonsdonner aux enfants une palette aussi large que pos-sible dans laquelle ils sont libres de piocher, de sortequ’ils ne se sentent pas limités par le sexe que la normesociale veut leur imposer”, explique Linus.

Ce choix expose le couple aux critiques etimplique son entourage. Récemment, Linus etSara ont, par exemple, changé Sasha d’écolematernelle, notamment parce que le personnelenseignant avait une vision traditionnelle de la

répartition des rôles filles-garçons. “Par exemple,ils s’adressaient aux enfants en disant : ‘Venez, lesgarçons !’ ou ‘Bonjour, les filles !’ et ils accentuaientet encourageaient les différences sur le plan des apti-tudes et des centres d’intérêt”, regrette le père defamille. Aujourd’hui, ils lui ont trouvé une placedans une autre maternelle de la commune, quia une vision plus poussée de l’égalité des sexes.“Dans la nouvelle école, il est difficile de déterminerde prime abord l’identité sexuelle de nombreuxenfants, et c’est assez libérateur. Sans compter quenous ne sommes pas les seuls à avoir choisi des pré-noms neutres pour nos enfants. C’est bien de pouvoirdépasser les clivages hommes-femmes”, poursuit-il.

L’approche asexuée se reflète également dansles tenues des enfants, vives et bigarrées – robeset pantalons pour les deux. Linus considère quel’habillement est l’un des principaux marqueurssexuels. Pour l’instant, les enfants sont encorepetits et acceptent donc le choix de leurs parents,mais Linus et Sara sont conscients du fait que,plus tard, le monde extérieur aura sur eux uneinfluence croissante. “On en est conscients et onverra bien comment ils souhaiteront s’habiller. Sashacommence déjà à avoir des idées bien arrêtées sur laquestion et veut un certain type de vêtements. Maisce n’est pas tant une question de couleur que de forme.”

Quand elle parle de Sasha ou de Nikki, lafamille ne dit pas “il” ou “elle”, mais les appellepar leur prénom. Cela fait réagir les gens, qui sefont leur propre idée du sexe de l’enfant. Linuset Sara ont expliqué leur projet à la famille et àleurs amis, qui jouent désormais le jeu, même sila situation peut tourner parfois à l’absurde.

“Dans les services pédiatriques, ils disent souvent‘Petit bonhomme’ ou ‘Petite puce’, selon la façondont l’enfant est habillé. Or, dès qu’on enlève lacouche, le genre n’est pas toujours confirmé… Mais,en général, on ne les reprend pas”, dit Linus.

“Je ne peux pas éduquer toute la société, mais ilest important de ne pas être toujours diplomate et dene pas toujours tenir sa langue. Je crois qu’il fautexpliquer pourquoi on a fait ce choix, parce qu’il y atoujours le risque que les gens y voient un projet issud’une élite ou de la classe moyenne”, reconnaît-il.

Linus a commencé récemment à employerle pronom neutre “hen”, une bonne idée à sesyeux. Même s’il a trouvé cela un peu contre-nature au départ. “J’ai attendu très longtemps, puisj’ai commencé à l’employer en cours la semaine der-nière, devant des lycéens. Ils n’ont pas cillé. Peut-être écoutaient-ils mal, à moins qu’ils ne l’aientaccepté tout de suite”, raconte-t-il. “Je veux queSasha et Nikki puissent employer ‘hen’ sans réflé-chir et qu’ils n’aient pas besoin de diviser le mondeen deux sexes. Si jamais ils ne se reconnaissent pasdans le ‘il’ ou dans le ‘elle’, c’est une excellente chosed’avoir ce ‘hen’. Les gens comprendront alors sonutilité. Et ils verront que c’est ‘hen’ qu’il fautemployer, au lieu d’essayer de deviner le sexe.”

En leur donnant une éducation asexuée,Linus et Sara espèrent que Sasha et Nikki ose-ront plus facilement suivre leur propre voie.“Quand on a permis à l’enfant de développer sonamour-propre dès le départ, je pense qu’il le conserveet que cela lui permet de faire ses choix librementplus tard dans la vie”, conclut Linus.Katarina Lagerwall

Ils ne disent ni “il” ni “elle”

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“Hen”

Le pronom neutre“hen” a été inventédans les années 1960par un journaliste qui cherchait une alternative pour remplacer hon(“elle”) et han (“il”). Il n’est pas utilisé par les Suédois, mais un roman où seul le “hen” est utilisé a été publiéen 2012. Certainscercles militantsestiment l’usage de ce pronomsouhaitable, car il permettrait d’allerplus loin vers la parité.

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se trouve la liste des choses à faire dans la jour-née. Daisy et Ginger consacrent deux heures parjour aux matières scolaires, telles que les mathsou l’anglais. Aujourd’hui, elles étudieront aussil’histoire, pratiqueront leur piano et s’initierontà la couture.

Les programmes faits maison et la régle-mentation varient largement. A Philadelphie, parexemple, les parents doivent présenter un pro-gramme d’études et remettre les notes obtenuesaux examens. A Detroit, les parents n’ont mêmepas besoin de signaler aux autorités qu’ils fontclasse à leurs enfants. Certaines familles choi-sissent un programme plus classique, quandd’autres préfèrent établir un programme peuconventionnel. Les “antiécole” [unschooler], eux,s’éloignent complètement du système scolaire.Il y a les parents qui veulent tout faire par eux-mêmes et ceux qui laissent à d’autres parents,tuteurs ou professeurs en ligne, le soin d’ensei-gner certaines matières.

Les progrès réalisés en apprentissage numé-rique ont favorisé l’instruction à domicile : vouspouvez maintenant prendre un cours de mathsde haut niveau dispensé par un professeur israé-lien. Enfin, le marché du matériel pédagogiqueest en plein boom, ce qui permet aux parents d’en-seigner des matières qu’ils n’ont eux-mêmesjamais étudiées.

Nombre d’entre eux sont contents d’éviter àleurs enfants des environnements trop exigeants,des surcharges de travail et un stress excessif. Les

Ils font comme ça

Ils deviennent profs à la maisonAux Etats-Unis, la scolarisation à domicile n’est plus l’apanage des évangéliques et des hippies. Enquête sur le plaisir discutable de voir ses enfants vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Newsweek (extraits) New York

A u début, votre enfant a énor-mément besoin de vous. Ils’accroche à vous tout letemps. Cela peut durer unmois… ou cinq ans. Puis, dujour au lendemain, vous êtes

censé l’envoyer à l’école. Sans transition, septheures par jour, il devra affronter la vie commejamais auparavant. Vous n’êtes plus maître dece qu’il va apprendre, de comment il va l’ap-prendre ou avec qui. Sauf si vous décidez, commeun nombre croissant de parents citadins danstout le pays, de faire une croix sur cet antiquerite de passage.

Pour l’entrée en maternelle de leur fille aînée,Tera et Eric Schreiber ont visité la prestigieuseécole primaire publique située à quelques ruesseulement de chez eux, dans un quartier huppéde Seattle, près de l’université de Washington.C’était “une très bonne école de quartier”, commenteTera. Ils ont également fait une demande auprèsd’une école privée, dans laquelle Daisy a été accep-tée. Finalement, ils ont opté pour une troisièmesolution : pas d’école du tout.

Eric a 38 ans, il est cadre chez Microsoft. Tera,elle, a 39 ans et a déjà troqué sa carrière d’avocate

contre celle de directrice d’une association à butnon lucratif, qui lui permettait de passer plus detemps avec ses enfants. Mais “plus de temps” s’esttransformé en “tout le temps” lorsqu’elle a décidéde quitter son travail pour faire la classe à ses filles :Daisy, 9 ans, Ginger, 7 ans, et Violet, 4 ans.

Quand on pense aux parents qui font l’écoleà leurs enfants, on imagine aussitôt des évangé-liques ou des marginaux qui se sont “débranchés”des institutions et qui passent leur temps à lacampagne. C’est le cas : la plupart de ces parentsfont ce choix pour des raisons morales ou reli-gieuses. Mais des spécialistes de l’éducation pen-sent que les choses sont en train de changer. Ilvous suffit de vous rendre dans un Starbucks oudans un musée en centre-ville en plein milieu dela semaine pour comprendre que ce choix a prioripeu conventionnel “est depuis peu à la mode”,explique Mitchell Stevens, professeur à l’univer-sité Stanford et auteur de Kingdom of Children, un

livre sur la scolarisation à domicile aux Etats-Unis[Le royaume des enfants, Princeton UniversityPress 2003, non traduit en français].

Dans les villes américaines, 300 000 enfantsenviron ont leurs parents pour enseignants. Cesont souvent des cadres laïcs d’un haut niveau deformation qui ont toujours pensé envoyer leursenfants à l’école jusqu’au jour où ils se sont dit :“On peut peut-être faire mieux.”

Dans les années 1990, Laurie Block Spigel,spécialiste de l’enseignement à la maison, adécidé de retirer ses enfants de l’école, à NewYork. “Certains de mes proches, explique-t-elle,m’ont dit que j’étais en train de gâcher la vie de mesenfants.” “Aujourd’hui, ajoute-t-elle, les parentsque je rencontre n’ont pas peur d’en parler. Ils ensont même fiers.”

Nombreux sont les parents qui considèrentque les écoles, en ville ou ailleurs, n’assurent pasl’éducation qu’ils souhaiteraient que leurs enfantsreçoivent. Faire la classe à ses enfants estl’exemple extrême d’une philosophie parentalemoderne qui repose sur l’idée que chaque enfantest unique, qu’il mérite de recevoir une éduca-tion personnalisée et que le contact avec les autresenfants peut être nocif (le harcèlement à l’écolen’est plus considéré comme un rite de passageanodin). Ces parents sont con vaincus que le DoIt Yourself [faites-le vous-même], que ce soit enmatière de jardinage, de tricot ou d’élevage depoulets, devrait de nouveau faire partie de la viedes citadins cultivés. Ils trouvent important desusciter un sentiment de sécurité chez les enfantsen pratiquant l’ “attachement parental” [atta-chement parenting, lire aussi page XI].

Toutefois, même les adeptes de l’attachementse voient mal passer leurs journées avec leursenfants, et ce pendant dix-huit ans ! Mais, pourTera Schreiber, cela s’est fait tout naturellement.Ses filles n’aimaient pas particulièrement la gar-derie et l’école maternelle. Les Schreiber ontvoulu essayer un “système moins brutal” pourDaisy ; elle est perfectionniste, ils redoutaientdonc qu’elle s’inquiète trop de ne pas être à lahauteur. Ils connaissaient dans le quartier desparents-enseignants et enviaient leur rythme devie et leur flexibilité : couchers tardifs, vacanceshors période scolaire. Ils voulaient surtout pré-server une certaine approche de la famille le pluslongtemps possible.

Plusieurs de ces mamans commençaient parme dire : “Je sais que ça peut paraître égoïste”, avantde m’expliquer qu’elles ne mettaient pas leursenfants à l’école de peur qu’à la fin de la journéeelles n’aient droit qu’aux “restes fatigués”. “Nousavons eu un enfant et nous nous sommes renducompte à quel point il était drôle de le voir décou-vrir la vie”, me confie Rebecca Wald, mère defamille de Baltimore convertie à l’instruction àla maison. “Je ne voyais donc pas pourquoi laisserce plaisir à un enseignant.”

Nous sommes jeudi, il est 12 h 30, et Tera etses filles rentrent d’une répétition du spectacled’Alice au pays des merveilles, qui se monte entreenfants non scolarisés. Leur grande maison verteest typique de Seattle. Les kayaks sont dans legarage, les courgettes dans la cocotte et tout l’at-tirail des fillettes est là : jeux de société, poupées,loisirs créatifs. Près du téléphone de la cuisine

Dans les villes américaines,300 000 enfants ont leursparents pour enseignants.Ce sont souvent des cadreslaïcs d’un haut niveau de formation

Parents à l’écran

Confronter les méthodesd’éducation, c’est le principe de la série françaiseFais pas ci, fais pas ça,diffusée depuis 2007sur France 2.Empruntant au registre du documentaire et de la téléréalité,cette fiction (très)comique permet au téléspectateur de suivre en parallèlele quotidien de deuxfamilles voisines : les Bouley, tribu boborecomposée, et les Lepic, famillecatho-tradi. Avec ce constat : en matièred’éducation, personnene se débrouille mieuxque les autres et tout le monde faitce qu’il peut ! Une cinquième saisonest actuellement en tournage.Aux Etats-Unis, une autre série s’estbâti un beau succèspublic et critique à partir d’une tramesimilaire. ModernFamily, diffuséedepuis 2009 sur ABC(et depuis le 20 juin2012 sur M6), suit au quotidien trois duos de parents :tradis, remariés et homosexuels.Bousculantallègrement les conventions, elle adéjà reçu une pluie de nominations et de récompenses.

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filles Schreiber passent la plupart de leur tempsdehors, participant à des activités organisées pourles enfants scolarisés à la maison. Le SeattleHomeschool Group, une organisation laïque quiest passée de 30 à 300 familles adhérentes en dixans, organise des randonnées scoutes, des clubsde céramique et de lecture, des classes d’enri-chissement et des sorties au parc. L’école à lamaison est en quelque sorte devenue une versionamplifiée de l’hyper activité extrascolaire, carac-téristique des familles modernes de classemoyenne. Pour d’autres, cela peut ressembler àun long et merveilleux voyage d’études.

Dans tout le pays, les institutions ont trouvéen ces familles des clients fiables et disponiblesen semaine. “Où que vous alliez”, remarque BrianRay, fondateur du National Home EducationResearch Institute, dans l’Oregon, “vous croise-rez une association, une classe ou une expositionspéciale.” Il y a trois ans, le musée des Scienceset de l’Industrie de Chicago a commencé à cour-tiser ce type de familles à coups d’entrées gra-tuites, de newsletters et de visites organiséesspécialement pour elles. Résultat : la participa-tion double chaque année. “Plus nous offrons, plusnous vendons”, commente Andrea Ingram, res-ponsable de l’éducation et du service clients.

On voit également naître un minisecteur deconseillers en scolarisation à domicile, surtoutà New York, où, selon le district scolaire, lenombre de parents qui font la classe à leursenfants a augmenté de 36  % en huit  ans. A

Seattle, les écoles publiques ont même mis enplace un centre proposant des cours pour lesélèves étudiant à la maison.

“Mes enfants doivent parfois m’arrêter”, avoueErin McKinney Souster, mère de trois enfants àMinneapolis. Ils ont appris à concevoir un ensei-gnement à partir d’activités aussi banales que laconstruction d’une piste de roller. “Tout sembletoujours si amusant !” Toutefois, on ne peut s’em-pêcher de se demander quel est le prix à payerpour parvenir à cette unité familiale. Les mèressacrifient vingt ans de leur vie pour leurs enfants.Mais celles que j’ai eu la chance de rencontrerne s’en plaignent pas et semblent s’amuser avecles autres mamans.

Et les enfants dans tout ça ? Certains disentque passer son enfance aux côtés de ses parentsferait plus de mal que de bien. La psychologueWendy Mogel, par exemple, auteur du best-sellerThe Blessing of a Skinned Knee [Des bienfaits d’ungenou éraflé, Scribner, 2001, non traduit en fran-çais], admire les parents qui “offrent à leurs

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� Nashville(Tennessee),2010. Anciennedanseuse,Rowena Aldridge,48 ans, fait l’école à la maison à sa fille Ella, 6 ans.

enfants une vraie enfance” dans un monde ultra-compétitif. Malgré tout, elle se demande com-ment des enfants qui passent autant de tempsdans une communauté fermée réagiront le jouroù ils entreront en contact avec des gens auxparcours différents. Elle s’inquiète égalementde l’éventuelle rébellion des adolescents dansdes familles si fusionnelles.

Dans les villes, quand les enfants qui étu-dient à la maison atteignent l’adolescence, ilsparticipent d’eux-mêmes à de multiples activi-tés et finissent par trouver l’espace dont ils ontbesoin. Ce qui tombe bien pour les parents, quien profitent souvent pour souffler.

Les universités, qui se sont rendu comptedes aptitudes scolaires de ces enfants, essaientde les attirer. D’une certaine manière, ces étu-diants sont mieux préparés à entrer à l’univer-sité car ils sont plus autonomes, ayant déjà eul’occasion de tracer leur propre route intellec-tuelle, même si des parents affirment que leursenfants rechignent souvent à assister à des coursqu’ils n’aiment pas, dispensés par des profes-seurs qu’ils apprécient peu.

Tera estime que ses filles sont assez ouvertessur le monde pour pouvoir interagir avec despersonnes différentes. Elle sait que l’éducationqu’elle et son mari, Eric, leur ont donnée ferad’elles de bonnes citoyennes. Tera n’a pas vrai-ment de raisons de s’inquiéter, car, comme ilsle font souvent, les Schreiber reviennent toutjuste d’un week-end avec d’autres enfants detous âges qui, comme les leurs, étudient à lamaison. Il y avait également des adolescents,confiants et doués, heureux de passer la soiréeà jouer aux cartes avec les parents, sans appa-reils électroniques à l’horizon.

Milo, mon fils de 3 ans, ne veut jamais allerà l’école. Plus je fréquentais ces adeptes de lascolarisation à la maison, plus vite je récupé-rais mon fils à l’école pour pouvoir passer dubon temps avec ces familles. Alors, je me suisdit : “Pourquoi pas moi ?” En réalité, un ensei-gnant sommeille en chacun de nous  : nousapprenons tout un tas de choses à nos enfantset nous communiquons avec eux plus que ne lefaisaient nos parents. J’ai assez d’imaginationpour créer des objets en pâte à modeler, alorspourquoi ne pourrais-je pas créer un programmepluridisciplinaire autour de l’obsession qu’aMilo pour le pont de Londres ? J’ai calculé cesur quoi nous devrions faire une croix si je tra-vaillais moins (même si certaines mamansenseignantes travaillent à plein-temps ou occa-sionnellement, comme Tera, qui écrit desarticles pour les parents).

Cependant, mon mari et moi restons fidèlesà ce que nous appelons le “détachement paren-tal” [detachment parenting] : on se dit que si Miloest aussi confiant et à l’aise sans nous qu’avecnous, c’est qu’on a fait du bon travail. Pour nous,la famille est plus une condition, une joyeusecondition bien sûr, qu’un projet.

Pour la plupart des parents enseignants quej’ai rencontrés, la famille signifie davantage :c’est le centre de leur vie. Pour rien au mondeils ne voudraient que ça change. Une chose a ras-suré Tera et Eric Schreiber quand ils ont décidéde faire la classe à leurs enfants chez eux : si çane fonctionnait pas, ils pouvaient inscrire leursfilles à l’école dès le lendemain. Chaque année,ils faisaient le point sur leur situation, mais main-tenant c’est devenu le rythme de leur vie. Ilssont ancrés dans une communauté qu’ils ado-rent. Et puis, l’université en haut de la rueregorge de professeurs de maths, si jamais ellesen ont besoin un jour. Linda Perlstein

Les universités, qui ont prisconscience des aptitudesscolaires de ces enfants,essaient de les attirer. Ce sont des étudiants plusautonomes

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Ils font comme ça

Surveiller les enfants en ligne ? Rien de plus simple aujourd’hui grâceaux nouvelles technologies. Mais ce nouveau totalitarisme parental ne va pas sans effets pervers.

The New York Times (extraits) New York

Quand ses enfants ont eu l’âged’avoir leur propre ordinateurportable, Jill Ross a acheté unlogiciel lui permettant degarder un œil sur ce qu’ils fontsur Internet. Ce qui, un jour, lui

a valu une véritable surprise : elle a découvert quesa fille de 16 ans avait lancé sa propre chaîne vidéo.Dans sa chambre, à l’aide d’une amie et d’unewebcam, elle enregistrait des plaisanteries d’ado-lescents et les mettait en ligne sur YouTube pourque le monde entier puisse les voir.

Pour Mme Ross, qui vit à Denver (Colorado),c’était comme une fenêtre ouverte sur l’intimitéde sa fille. Mais c’est aussi un exemple des nou-velles difficultés auxquelles sont confrontés lesparents modernes. Elle n’en a pas parlé à sa fille,elle s’est simplement abonnée aux mises à jourde la chaîne. Sa fille n’a rien dit non plus, elle alaissé sa mère regarder les vidéos.

Les parents disposent désormais de toute unepanoplie d’outils pour rester au fait de la vie numé-rique de leurs enfants, ce qui soulève de nouveauxproblèmes. La surveillance est-elle le meilleurmoyen de protéger ses enfants ? Ou bien lesparents devraient-ils leur faire confiance etattendre qu’ils se tournent vers eux si quelquechose les a choqués ou inquiétés sur la Toile ? Ily a autant de réponses que de parents. Quoi qu’ilen soit, les affres de la parentalité à l’ère du numé-rique ont accouché d’une niche économique. Des

start-up commercialisent de nouveaux systèmesqui permettent de vérifier où son enfant surfe surle web, qui il y rencontre et ce qu’il y fait.

Si, il y a quelques années, il s’agissait avanttout d’empêcher les enfants d’aller sur des sitesinappropriés à partir de l’ordinateur familial, lestechnologies d’aujourd’hui permettent d’ancrerpapa et maman, voire mamie, à l’intérieur dechaque appareil que les enfants utilisent, et decollecter des renseignements où qu’ils aillent.Une application smartphone alerte papa si sonfils envoie un SMS alors qu’il est au volant. SurInternet, un service aide les parents à avoir l’œilsur chaque chat, post ou photo qui passe sur lapage Facebook de leurs enfants.

La prolifération des portables et des tablettesentre les mains de nos enfants complique la situa-tion, donnant naissance à des applications quiattirent les jeunes et inquiètent les parents. Lemois dernier, par exemple, on a appris que Skout,

une application conçue dans le but de flirter, étaità l’origine de trois affaires d’agression sexuelleimpliquant des enfants aux Etats-Unis. Même surFacebook, comme des enquêtes l’ont régulière-ment montré, de nombreux enfants de moins de13 ans, l’âge minimal requis, ont leur proprecompte. Beaucoup d’entre eux se sont inscritsavec l’aide et sous la tutelle de leurs parents.

La famille américaine moyenne utilise cinqappareils reliés à Internet chez elle, dont dessmartphones, alors qu’un parent sur cinq seule-ment a recours à des systèmes de contrôle paren-tal sur ces appareils.

Ils rejouent Big Brother

Ils rêvent d’une école idéalePour nombre de parents obsédés par le parcours scolaire de leur progéniture, le choix d’un établissement tourne vite aucasse-tête. Le témoignage d’une mère.

Berliner Zeitung (extraits) Berlin

La lettre est arrivée début mai. J’aiouvert l’enveloppe, les mains trem-blantes. Sous l’objet “Entrée en cin-quième”, on lisait : “J’ai le plaisir devous informer que votre enfant est admisdans notre établissement pour la ren-

trée 2012-2013.” Hourra ! mon fils a une place dansle collège où nous l’avions préinscrit dès le moisde février. J’étais aussi heureuse que si c’était moiqui avais obtenu la place – trop, peut-être.

Mon fils a 12 ans. L’école en question n’estqu’un collège. Nous n’avons pas décroché le groslot. Simplement nous savons que notre fils peutpoursuivre dans cette école l’apprentissage deslangues qu’il a commencé en primaire.

Je ne sais pas pourquoi nous avons penséque cette école était faite pour lui. Peut-êtreparce qu’il avait eu du mal à quitter l’établisse-ment lors de la journée portes ouvertes. En réa-lité, chaque école est une inconnue. Les parentsdoivent faire confiance a priori, sinon rien n’estpossible. “C comme confiance”, lit-on dans l’ABCdes parents d’une école primaire très courue deKreuzberg [quartier populaire de Berlin]. J’avaiseu entière confiance dans sa première école. Lessalles étaient claires et chaleureuses, le directeuravait de grands projets pour la section bilinguenouvellement créée. Je m’imaginais que mon fils,5 ans à l’époque, serait dans un environnementprotégé dans lequel il pourrait apprendre ets’amuser – les deux à la fois. Je ne voulais ni dres-sage ni laxisme. Je voulais qu’il se sente bien, qu’ilprenne plaisir à apprendre. Mes attentes ne mesemblaient pas exagérées, presque tous lesparents que je connaissais avaient les mêmes.

Avant la rentrée, un ami nous prit en photo.Celle-ci se trouve encore sur mon bureau, autravail. Mon fils disparaît presque complètementderrière son cartable. Il sourit, rayonnant et fier.Je me penche sur lui. Mon fils a désormaissept ans d’école primaire derrière lui. Il a redou-blé une classe et a changé d’école.

Presque tous les parents sont dépassés devantla question du choix de l’établissement et saisispar la “panique de l’éducation”, selon les termes dusociologue Heinz Bude [titre d’un ouvrage paruen 2011, non traduit]. Je reconnais dans ce livrecertaines de mes anciennes conceptions, mêmesi j’apprécie moyennement la légère caricature

qu’il dresse des parents soucieux de l’éducationde leurs enfants : ils se voient, écrit-il, “contraintsde piloter, de soutenir et de surveiller le parcours sco-laire de [leurs] enfants comme à partir d’un hélico-ptère”. A l’époque où mon fils a dû entrer à l’école,les écoles européennes avaient le vent en poupe.Comment en suis-je venue à porter un jugementaussi sévère sur cette école, distinguée dans lesannées 1990 pour ses qualités pédagogiques ?Peut-être parce que j’ai du mal à me pardonnerde l’avoir idéalisée à ce point. Et de m’être à cepoint engagée dans mon rôle de parent. A Noël,je tenais un stand et vendais des pâtisseries. Lesoir, j’écrivais aux autorités pour réclamer dupersonnel qualifié, comme le directeur l’avaitdemandé dès la première réunion, insistant surl’originalité de l’établissement. Or ce “caractèreparticulier” se révéla peu propice aux enfants.Les classes bilingues, objet de toutes les atten-tions, suscitèrent tant de jalousies que la courde récréation se transforma en champ de bataille.

Mais le fond du problème était ailleurs : il rési-dait dans un mélange d’arrogance et de domina-tion condescendante, sous couvert d’analysepsychologique et d’engagement pédagogique.

Voilà ce qui envenima le climat entre enseignants,éducateurs et parents. Ainsi par exemple, aprèsavoir été perçu comme “charmant”, mon fils futcatalogué “élève à problèmes” en raison de son peud’entrain pour l’écriture. Son institutrice soup-çonna – à tort – des troubles moteurs, puis jugeaqu’il était de mauvaise volonté et menaça de lefaire redoubler. Il avait 7 ans.

J’aurais dû remarquer qu’il était malheureuxà l’école. Le matin, il traînait, il râlait. La joie desdébuts avait disparu. Quand je regarde les photosde classe prises au cours de l’année, je vois sonvisage s’assombrir au fil des clichés. La plupartdes enfants font eux aussi la tête ou la grimace.

La plupart des parents comprirent d’ailleursbientôt que leurs enfants n’apprenaient pas grand-chose parce qu’ils étaient en permanence prisdans des conflits et victimes de l’absentéisme.Tout cela fit monter la pression et aussi la concur-rence entre les parents. Rétrospectivement, jepense que mon idéalisme et ma naïveté m’onthandicapée dans mes rapports avec le systèmescolaire. Ils m’ont trop longtemps aveuglée. Et jemets en garde contre cette tendance à l’idéalisa-tion. Car il n’y a pas d’école idéale. Clara Jansen

Papa à 13 ans !

Au Royaume-Uni, le 12 janvier 2011, la une du journal à sensation The Suntitrait sur un trèsjeune homme devenupapa. Ce garçon, dont la voix n’avait pasencore mué et qui, commentait le quotidien, avait plutôt la têted’un bambin de 8 ans,affirmait ne pas êtresûr de pouvoir payer les couches avec son argent de poche. La mamanavait 15 ans lors de l’accouchement.Les parentsadolescentsconstituent unphénomène répanduau Royaume-Uni,suscitant depuis de nombreuses annéesperplexité et scandales dans la presse nationale.Début 2012, The Telegrapha néanmoins noté que les dernièresstatistiquesmontraient une baissedu nombre de grossesses chez les filles âgées de 15 à 17 ans, fait sans précédent depuis les années 1960. Cette inversion de la tendance seraitdue à la politique de sensibilisationmenée par le derniergouvernementtravailliste, qui a multiplié les cours d’éducationsexuelle et installé des distributeurs de préservatifs dans les lycées. La moitié desgrossesses chez les adolescentesse soldent par unavortement.

Un tableau de bord détailleles activités numériques de la jeune fille

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exemplaire que la nôtre. Le problème, c’est quenous ne voulons pas reconnaître que, nous nonplus, nous ne supportons pas le perfectionnismesanitaire de ce monde.

Il faut se rendre à l’évidence : personne nepeut respecter toutes les consignes de santéqu’on nous rabâche à l’école, sur le lieu de tra-vail (panier de fruits ! exercice physique ! poli-tique non-fumeur !) et dans les espaces publics.On ne peut pas à la fois se dispenser de fumeret se limiter aux choses, de plus en plus rares,autorisées : manger six fruits, faire de l’exerciceune demi-heure par jour, éviter le pain blanc (lenouveau grand péril de l’Occident) et dormirhuit heures par nuit. Ce n’est pas possible sansse condamner à une vie exécrable. Les enfantsgrandissent dans un monde où les objectifsmoraux en matière de scolarité, de santé, d’épa-

nouissement personnel et d’authenticité sont sinombreux que la question n’est pas de savoirs’ils peuvent tous les atteindre, mais lesquels ilsne pourront pas réaliser et comment ils réagi-ront à cette incapacité.

Si l’on considère les souffrances des jeunes,un trait semble récurrent : ils se les infligent. Carla notion de perfectionnisme s’applique aussiaux jeunes, qui veulent pouvoir donner tout cequ’ils pensent devoir donner. Ce n’est pas parceque les jeunes deviennent parfaits que le per-fectionnisme est une souffrance. Il devient unesouffrance parce que les jeunes sont incapablesd’accepter de ne pas atteindre la perfection.D’autres symptômes du sentiment de culpabi-lité à l’égard de soi-même se trouvent dans dif-férentes formes d’automutilation : on se taillade,on se prive de nourriture et on remue le couteaudans ses propres plaies pour qu’elles restentbéantes. On se punit parce qu’on ne vit pascomme on le devrait. Et parce qu’on ne peut pass’affranchir des attentes qui ont été fixées àl’avance. Cela est vécu comme un échec per-sonnel par l’individu, mais en même temps, lephénomène est tellement fréquent qu’il est révé-lateur de la société contemporaine.

Qui ne connaît pas quelqu’un qui fait toutson possible – au risque d’user les autres et lui-même – pour que son existence vaille la peined’être vécue ? Il semble que ce soit cette situa-tion banale qu’on refoule lorsqu’on fait semblantd’être à la hauteur tout en souriant.

Les enfants, bien sûr, ne sont pas dupes, etfinissent par découvrir que les parents fumenten cachette, mangent mal, regardent n’importequoi à la télévision, disent du mal de gens qu’enréalité ils apprécient ou boivent trop d’alcool.Les enfants comprendront donc que le perfec-tionnisme est un objectif dont on se passeraitbien et une illusion qui vaut d’être taxé de “petit-bourgeois” parce qu’on se satisfait de trop peu.Le mieux qu’ils puissent faire pour eux-mêmeset pour leurs parents est peut-être de hausserles épaules et de rire de toutes ces consignesridicules. Peut-être les enfants pourront-ils ainsilibérer leurs parents de l’idée qu’il faut adhérerà toutes les sottises qu’ils profèrent. Rune Lykkeberg

Après avoir bravé les interdits dans leur jeunesse, les quadras,devenus parents, imposent les mêmes interdits à leurs enfants.Sans les respecter eux-mêmes.

Information Copenhague

Il paraît que ceux qui ont entre 30 et40 ans sont les premiers qui ont fumé ense cachant à la fois de leurs parents et deleurs enfants. Ils ont en quelque sorte euhonte des deux côtés. C’est une positionun peu délicate dans l’histoire du Dane-

mark. Lorsque nous étions jeunes, nous fai-sions ce que nos parents nous interdisaient. Etmaintenant que nous sommes adultes, nousfaisons ce que nous interdisons à nos enfants.Tout le monde a fait quelque chose qui étaitdéfendu par ses parents, et la plupart desparents ont énoncé des interdits tellementidiots qu’il est heureux que les enfants ne lesaient pas pris au sérieux.

Le nouveau phénomène paraît improbable,mais il a été constaté chez des individus qui méri-tent toute notre estime : artistes, entrepreneurs,professeurs et humanistes libérés qui ont géné-ralement le néopuritanisme en horreur.

Le problème, bien sûr, ce n’est pas que lesparents déconseillent de fumer. La grande majo-rité d’entre eux souhaitent que leurs enfants nefument pas. Et leurs enfants apprendront for-cément, au cours de leur jeunesse, non seule-ment que le tabac peut tuer, mais qu’il provoqueune mort lente et douloureuse, avec de vilainesdents jaunes. La grande machine pédagogico-sanitaire leur apprendra à avoir honte de toutesles choses malsaines auxquelles ils s’adonnent.Le problème, ce n’est pas non plus que lesparents ne respectent pas toutes les recom-mandations qu’ils font à leurs enfants. L’hypo-crisie fait aussi avancer. Nous aspironscertainement tous à une vie plus riche et plus

� Pas toujoursfacile pour les parents de donnerl’exemple…

Courrier international | n° 1134 | du 26 juillet au 15 août 2012 � XXIII

Ils fument en cachetteA Richmond, en Virginie, MaryCofield, âgée de 62 ans, compte parmiles gens prudents. L’an dernier, ellea conclu un marché avec sa petite-fille de 15 ans. Celle-ci a eu droit à untéléphone Android avec Internet illi-mité du moment que sa grand-mèrepouvait suivre le moindre de sesmouvements. “Ma théorie, c’est qu’ilfaut être au courant pour les aider àcomprendre ce qui est bien ou mal,explique-t-elle. Leur interdire, ça nemarche pas. Soit vous êtes au courant et avec euxlà-dedans, soit ils y seront sans vous.”

Mme Cofield, fonctionnaire des impôts à laretraite qui gère une agence de voyages par Inter-net, a choisi le logiciel uKnowKids.com [vous-connaissezlesenfants.com], qui passe au crible lapage Facebook et les  SMS de sa petite-fille.UKnowKids émet des alertes en cas de langageinapproprié et fournit également à Mme Cofieldun tableau de bord détaillant les activités numé-riques de la jeune fille, ce qu’elle dit sur Twitter,à qui elle envoie des SMS et sur quelles photoselle se retrouve taguée sur Facebook. Le logicieltraduit en outre l’argot des ados dans un anglaiscompréhensible.

Souvent, elle devine quand sa petite-fille ades problèmes avec un garçon ou quand elle esten conflit avec des amis. Mais elle sait tenir salangue. “C’est difficile d’avoir ces informations et dene pas pouvoir les utiliser, confesse-t-elle. Mais si jele faisais elle prendrait tout de suite le maquis et jeserais tout le temps sur son dos.”

A Noël dernier, Lynn Schofield Clark a donnéun iPhone qui ne fonctionnait plus à sa fille de11  ans, sur lequel elle pouvait écouter de lamusique. Mais la petite lui a fièrement annoncéqu’un camarade d’école lui avait montré com-ment télécharger une application lui permettantd’envoyer des SMS et d’appeler, ce que n’avaientpas prévu ses parents. Mme Clark, auteur de TheParent App [L’appli parents], un livre sur la paren-talité et la technologie, s’avoue soulagée que safille se soit confiée à elle. Elle espère qu’elle conti-nuera, pour ne pas avoir à surveiller tout ce qu’ellefait sur Internet. “C’est trop facile de se laisser allerà la surveillance, conclut Mme Clark. Cela sape l’in-fluence des parents. Les enfants l’interprètent commeun manque de confiance.” Somini Sengupta

Nul ne peut respecter toutesles consignes de santé qu’on nous rabâche à l’école

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