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nouvelle Revue d'esthétique n° 7/2011 | 211 VU, LU, ENTENDU JÉRÔME DUPEYRAT Emmanuel Alloa (éd.) Penser l’image Dijon, Les presses du réel, coll. « Perceptions », 2010, 304 p. Penser l’image, sous la direction d’Emmanuel Alloa, donne suite à un séminaire qui s’est tenu au Collège international de philosophie en 2007-2008. «L’image [étant] aussi indisciplinée qu’elle est indisciplinaire» (Alloa, p. 19), ce recueil de textes l’envisage de divers points de vue: esthétique, philosophie, histoire de l’art, visual studies. C’est donc un vaste champ et des méthodologies plurielles qui sont ici convoqués, à partir de ce constat: «La multiplicité proliférante des images dans notre monde contemporain semble […] inversement proportionnelle à notre faculté de dire avec exactitude à quoi elles correspondent», rien ne semblant «moins assuré que cet être de l’image» (Alloa, p. 7). Sur l’image considérée comme une catégorie globale, nous n’avons en effet que peu de certitudes, alors que tant a déjà été écrit. Est-il alors possible de penser davantage l’image et avec plus de justesse? C’est la question à laquelle ce livre tente de répondre d’une manière positive. La particularité des textes réunis tient sans doute dans leur volonté de penser « à partir de l’image», ou «selon l’image, pour parler avec Merleau-Ponty», alors que d’après Emmanuel Alloa, les pensées de l’image consistent pour l’essentiel en l’insertion de cet objet «dans un ordre des savoirs déjà établi» (p. 13). Cette revendication d’une pensée propre aux images, ou d’une pensée spécifique des images (Jacques Rancière, et avant lui Roland Barthes, parlent d’« images pensives»), est affirmée à maintes reprises tout au long de l’ouvrage – une pensée qui « suspendrait […] ses certitudes et accepterait de s’exposer aux dimensions de non-savoir qu’implique toute expérience imaginale» (Alloa, p. 19). Ici, il est ainsi proposé de «déchiffrer à même l’image comment celle-ci fonctionne» (Gottfried Boehm, p. 28). Ailleurs, il s’agit de la considérer comme «une modalité d’être particulière » et d’envisager « une ontologie des images » (Emanuele Coccia, p. 95), ou encore d’«interroger ce que veulent les images […] réellement» (W. J. T. Mitchell, p. 211). Si le contenu des textes regroupés en quatre chapitres (« Le lieu des images » ; « Perspectives historiques » ; « La vie des images » ; « Restitutions ») est très varié – l’image y est tour à tour artistique, scientifique, picturale, photographique, verbale – ils se rejoignent néanmoins à travers une intention commune, mais également autour de quelques interrogations qui constituent des fils conducteurs ou produisent des résonances d’un texte à l’autre. La question de la définition de l’image, en tant que catégorie générique, est évidemment soulevée. «L’image n’est rien d’autre que l’existence d’une chose en dehors de son lieu propre», propose ainsi Emanuele Coccia (p. 101). Mais au-delà de cet aspect définitoire inévitable, c’est surtout en regard de la notion de désir et de la relation

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  • nouvelle Revue d'esthtique n 7/2011 | 211

    VU, LU, ENTENDU

    JRME DUPEYRAT

    Emmanuel Alloa (d.)

    Penser limageDijon, Les presses du rel, coll. Perceptions , 2010, 304 p.

    Penser limage, sous la direction dEmmanuel Alloa, donne suite un sminaire qui sest

    tenu au Collge international de philosophie en 2007-2008. Limage [tant] aussi

    indiscipline quelle est indisciplinaire (Alloa, p.19), ce recueil de textes lenvisage de divers

    points de vue: esthtique, philosophie, histoire de lart, visual studies. Cest donc un vaste

    champ et des mthodologies plurielles qui sont ici convoqus, partir de ce constat: La

    multiplicit prolifrante des images dans notre monde contemporain semble []

    inversement proportionnelle notre facult de dire avec exactitude quoi elles

    correspondent, rien ne semblant moins assur que cet tre de limage (Alloa, p. 7). Sur

    limage considre comme une catgorie globale, nous navons en effet que peu de certitudes,

    alors que tant a dj t crit. Est-il alors possible de penser davantage limage et avec plus

    de justesse? Cest la question laquelle ce livre tente de rpondre dune manire positive.

    La particularit des textes runis tient sans doute dans leur volont de penser partir

    de limage, ou selon limage, pour parler avec Merleau-Ponty, alors que daprs

    Emmanuel Alloa, les penses de limage consistent pour lessentiel en linsertion de cet

    objet dans un ordre des savoirs dj tabli (p. 13). Cette revendication dune pense

    propre aux images, ou dune pense spcifique des images (Jacques Rancire, et avant lui

    Roland Barthes, parlent d images pensives), est affirme maintes reprises tout au long

    de louvrage une pense qui suspendrait [] ses certitudes et accepterait de sexposer

    aux dimensions de non-savoir quimplique toute exprience imaginale (Alloa, p. 19).

    Ici, il est ainsi propos de dchiffrer mme limage comment celle-ci fonctionne

    (Gottfried Boehm, p. 28). Ailleurs, il sagit de la considrer comme une modalit dtre

    particulire et denvisager une ontologie des images (Emanuele Coccia, p. 95), ou

    encore dinterroger ce que veulent les images [] rellement (W. J. T. Mitchell, p. 211).

    Si le contenu des textes regroups en quatre chapitres (Le lieu des images ;

    Perspectives historiques; La vie des images; Restitutions) est trs vari limage

    y est tour tour artistique, scientifique, picturale, photographique, verbale ils se

    rejoignent nanmoins travers une intention commune, mais galement autour de

    quelques interrogations qui constituent des fils conducteurs ou produisent des rsonances

    dun texte lautre. La question de la dfinition de limage, en tant que catgorie gnrique,

    est videmment souleve. Limage nest rien dautre que lexistence dune chose en dehors

    de son lieu propre, propose ainsi Emanuele Coccia (p. 101). Mais au-del de cet aspect

    dfinitoire invitable, cest surtout en regard de la notion de dsir et de la relation

    jrme dupeyrat"Emmanuel Alloa, Penser l'image", La Nouvelle Revue d'Esthtique, N7, t 2011, pp. 211-213.

    jrme dupeyrat

  • objet/sujet que limage est envisage dune faon rcurrente. Cest alors la question du

    pouvoir des images et de leur efficace qui saffirme comme centrale dans louvrage.

    Pour plus de dtails, revenons lordre des textes. Gottfried Boehm considre la

    monstration comme principe opratoire de limage, cette chose qui montre, se montre,

    et montre comment elle se montre. Marie-Jos Mondzain sinterroge sur lorigine et la

    destination de limage: entre geste de retrait de la part du crateur et adresse au spectateur,

    limage ne se constitue que dans le partage paradoxal dune commune dpossession

    (p. 66). Pour Jean-Luc Nancy, limage, ce qui donne forme quelque fond (p. 73), peut

    tre apprhende entre mimesis et methexis, ou plus exactement du point de vue dune

    imbrication de lune dans lautre. Emanuele Coccia se propose de relire un crit mdival

    dHenri Bate pour affirmer que limage est ltre du sensible, son existence mme, et

    qu ce titre le sensible, limage [lassociation de lun lautre mriterait de plus amples

    commentaires], nest pas une proprit des choses, mais plutt un tre spcial, une sphre

    du rel diffrente des autres sphres (p. 95). Cest galement une relecture quinvite

    Emmanuel Alloa, relecture heidegerienne de lidolologie, science oublie des idoles. Hans

    Belting, quant lui, met en regard la conception occidentale du tableau comme fentre

    transparente ouverte sur le monde avec le modle oriental du moucharabieh, cran laissant

    passer la lumire mais pas les regards. Prcisment, travers la comparaison de ces modles,

    cest dune histoire (dsoccidentalise) du regard et de lexprience des images dont il est

    question. Horst Bredekamp analyse le rle du dessin pour la pense et la connaissance, en

    prenant pour objet dtude les schmas et autres croquis qui accompagnent nombre de

    dcouvertes scientifiques. W. J. T. Mitchell souhaite localiser le dsir dans les images elles-

    mmes (p. 211) en tentant de mettre jour ce quelles veulent et comment elles utilisent

    le spectateur leurs propres fins. Pour ce faire, lauteur demande au lecteur de bien vouloir

    faire comme si la question nappelait pas toute une srie dobjections, dont il est conscient

    mais quil rejette hors cadre. Ces objections, que Mitchell peut carter pour mener bien

    son analyse, mais auxquelles on ne peut sempcher de penser (personnification outrance

    de limage, confusion du dsir de limage avec celui de lauteur ou du commanditaire),

    Jacques Rancire les prend en compte dans son texte en traitant tout dabord du pictorial

    turn, ce tournant iconique thoris en particulier par Mitchell et au sein duquel pourrait

    tre situ lensemble des contributions ici runies. Ce dialogue par textes interposs entre

    Rancire et Mitchell nest dailleurs pas le moindre des intrts du livre. Mais linverse de

    son interlocuteur, Rancire note bien que ce sont les fabricateurs dimages qui veulent en

    faire quelque chose, ajoutant quils le peuvent peut-tre dans la mesure o elles-mmes

    ne veulent rien (p. 261). De cette oisivet (p. 260) des images rsulterait alors leur

    fonction critique. Clturant louvrage sans avoir pour fonction de le conclure, le texte de

    Georges Didi-Huberman analyse enfin le travail de Harun Farocki sous langle de la

    restitution. Ce qui est luvre dans les films et les installations de Farocki, explique Didi-

    Huberman, est une souscription au fait que les images constituent un bien commun

    (p. 276). La tche que se donne Farocki consiste alors restituer, modestement et sansnouvelle Revue d'esthtique n 7/2011 | 212

    VU, LU, ENTENDU | (in)actualit de la peinture

  • nouvelle Revue d'esthtique n 7/2011 | 213

    | VU, LU, ENTENDU

    appropriation, la communaut des spectateurs des images invisibles, souvent dissimules

    par les instances du pouvoir. Ce faisant, les images chappent aux lieux communs pour

    devenir plutt le lieu du commun (p. 288).

    Ds la premire page du livre, Emmanuel Alloa anticipe certains reproches qui

    pourraient tre adresss aux textes : Sinterroger sur ce quest une image, ce serait dune

    part encore manquer que limage tend [] se dcliner delle-mme en formes plurielles,

    se dmultiplier en un devenir-flux qui se soustrait demble lUn. Mme si lon peut

    en effet lgitimement penser, linstar de Gottfried Boehm, que limage ne peut tre

    affronte comme problme cohrent (p. 28), tant une catgorie extrmement vaste et

    polysmique, les auteurs vitent toutefois le plus souvent le pige dun discours trop

    univoque en ne faisant pas des questions de dfinition de limage une fin en soi et en ne

    manquant pas de faire appel des images en particulier. On pourra sinterroger davantage,

    mais l aussi ponctuellement, sur une certaine dramatisation ou une ventuelle

    survaluation de lobjet dtude, par exemple lorsque Marie-Jos Mondzain explique

    quen interrogeant limage, [elle peut] recueillir une rponse la question de notre

    provenance et saisir lenjeu dune dfinition de lhumanit elle-mme (p. 51).

    Dans tous les cas, notons enfin que le travail important de traduction qui a t engag

    pour ce livre est en lui-mme lune de ses qualits, en ce quil favorise une circulation des

    ides et des mthodologies de recherche autour dun sujet pour lequel nombre de travaux

    rcents sont anglophones et germanophones.

    MORGANE BURLOT

    Absalon Berlin, Kunst-Werke, Institute for Contemporary ArtDu 28 novembre 2010 au 20 fvrier 2011Catalogue : Absalon, Cologne, Buchhandlung Walther Knig, 2011, 352 p., 189 images.

    Le KW propose la premire grande rtrospective de luvre dAbsalon, artiste

    dorigine isralienne dont la carrire dbuta son arrive en France en 1987 pour sachever

    en 1993, sa mort. vingt-huit ans, Absalon avait gagn en quelques annes seulement

    une renomme et une reconnaissance internationales sur la scne artistique. Lexposition,

    qui se tient sur quatre niveaux, prsente une uvre la fois dense et varie, questionnant

    notamment les possibilits damnagement de lespace diffrentes chelles.

    La dernire exposition consacre Absalon de son vivant stait tenue au muse dArt

    moderne de la ville de Paris en 1993, quelques mois avant sa disparition. On pouvait alors