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revue de l'ersuma - n°1 juin 2012

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    DROIT DES AFFAIRES ET PRATIQUE PROFESSIONNELLE

    Numro 1

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    Les Editions IPE Tl. : (229) 21 02 01 02 Rpublique du Bnin

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    SOMMAIRE EDITORIAL Dr. ONANA ETOUNDI Flix, Directeur Gnral de lERSUMA. DOCTRINE Dr. ONANA ETOUNDI Flix Les expriences dharmonisation des lois en Afrique. Dr TOE Souleymane La responsabilit civile du banquier dispensateur de crdit une entreprise en difficult en droit OHADA la lumire du droit franais. GONCALVES Eric Wilfrid LAffaiblissement du droit prfrentiel de souscription des actionnaires en droit OHADA. Pr BOY Laurence Les limites du formalisme du droit de lOHADA la scurisation des entreprises. COFFY de BOISDEFFRE Marie-Joseph Une comparaison entre le statut de "l'agent commercial" OHADA et son quivalent en droit nigrian. KOUMBA E. Mesmin Les enjeux de lextension de lActe Uniforme relatif aux procdures collectives dapurement du passif aux entreprises informelles africaines : enjeux juridiques et conomiques. KENGUEP Ebnzer Le commissionnaire de transport est-il le mandataire de son commettant ? Une occasion manque par le lgislateur OHADA. ETUDES KEUBOU Philippe et KAMLA FOKA Fabius Corneille La sanction pnale du non respect des formalits relatives au RCCM dans lespace OHADA : le cas du Cameroun. YOUMBI FASSEU Frdrique La joint-venture dans le contexte sino-africain : lments pour une lex mercatoria sino-africaine.

    DARANKOUM Emmanuel S. La longue marche vers laccs au march chinois des investisseurs africains. REIS Patrice Le droit du travail dans le droit OHADA. SIIRIAINEN F. Lharmonisation du droit de la proprit littraire et artistique au sein de lOAPI- Regard extrieur dun juriste franais. MANCIAUX Sbastien Que disent les textes OHADA en matire d'investissement ?

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    DOSSIER : LE RECOUVREMENT DES CREANCES Pr SAMB Moussa Prsentation de ltude Trust Africa-CREDERSUMA sur les difficults de recouvrement des crances dans lespace UEMOA. de SABA Apollinaire A. Etude sur Le recouvrement des crances dans le march commun europen. LEGISLATION TOURE Papa Assane Le nouveau visage de laction en rsiliation du bail usage professionnel dans lActe uniforme portant sur le droit commercial gnral adopt le 15 dcembre 2010.

    Pr SAMB Moussa Le crdit-bail dans lespace OHADA Etude compare des lois camerounaise et sngalaise.

    DJOFANG Darly-Aymar Le Nouveau visage de la Cour Suprme du Cameroun : vers une plus grande efficacit ? (A propos de la loi n 2006-016 du 29 dcembre 2006 fixant lorganisation et le fonctionnement de la Cour Suprme). JURISPRUDENCE LIKILLIMBA Guy-Auguste Les crdits bancaires consortiaux et la conscration de la parallel debt en droit franais.

    Marie-Colette KAMWE MOUAFFO Commentaire darrt : arrt n001/CJ/CEMAC/10-11 du 25 novembre 2010. Affaire Ecole Inter-Etats des douanes c/Djeukam Michel.

    EKOLLO Faustin Chronique de droit judiciaire OHADA.

    WAMBO Jrmie Breves sur la jurisprudence de la CCJA pour lnne 2011. PRATIQUE PROFESSIONNELLE

    SAKHO Mactar Technique doptimisation des srets : les piges viter ; les diligences respecter.

    TCHANTCHOU Henri La place du Parquet ou Ministre public dans les processus judiciaires communautaires : le cas de lOHADA. BOLI Bintou Djibo Aperu sur une Institution de gestion des Modes Alternatifs de Rglement des Litiges : Le Centre d'Arbitrage et de Mdiation de Ouagadougou (CAMC-O).

    Pr. AKAM AKAM Andr La loi et la conscience dans loffice du Juge.

    BIBLIOGRAPHIE FAYE Paul Ndick

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    EDITORIAL

    La Recherche, lautre Recette de lERSUMA En lanant depuis cette anne 2012 un programme de bourses et un prix de thse, lERSUMA a pleinement port le costume de laboratoire dexcellence de recherche en droit des affaires africain. En effet, la rception de chercheurs dhorizons divers dans son Centre de Documentation et de Recherche comme la rcompense dune thse sont des signaux forts que lERSUMA envoie toute personne intresse par le droit uniforme africain. Au-del de la volont de stimuler lintrt de la recherche sur le droit OHADA, ces initiatives de lERSUMA sinscrivent galement dans la perspective dun meilleur rayonnement de lOHADA dans dautres coins du monde. Pour louable que soit le dsir daccrotre la visibilit internationale de lOHADA, il est primordial au pralable de sarrter sur ltat du droit dont lERSUMA veut assurer la promotion. Concrtement, il sagit de rflchir sur les lacunes du droit des affaires harmonis afin denvisager les solutions qui permettront de le parfaire. Dans ce sens, il nchappera pas au lecteur de ce numro quun espace privilgi a t accord aux textes vocation doctrinale. Il ne sagit pas dune dcision fortuite, encore moins dune prminence du droit savant sur le droit vivant, mais plutt du dsir dinsuffler une vitalit nouvelle aux thmatiques de recherche. Pour cette raison, sans prjudice des analyses endognes au droit OHADA, lapproche comparatiste occupe une place particulire dans ce numro. Loriginalit du comparatisme de ce numro rside tant dans le choix des auteurs que celui des thmatiques. Dentre de jeu, le point sur la situation actuelle des expriences dharmonisation des lois en Afrique montre la prise de conscience des Etats africains que la disparit des lgislations est un obstacle la ralisation dun espace conomique et social intgr. Et que de la sorte, lharmonisation des lois est un vecteur incontestable de cette intgration, en mme temps quelle se pose comme un facteur de stabilit et de scurit juridique de linvestissement en Afrique. Puis, peu en vue dans la littrature OHADA, la doctrine canadienne fait une entre remarque qui sinscrit dans la droite ligne du Forum OHADA organis le 29 mars dernier Montral par le Club OHADA. Sagissant des thmes retenus, lon ne peut sempcher de sarrter sur les lignes consacres la relation sino-africaine ou la dfinition de linvestissement en droit OHADA. Outre le fait quil sagit de questions ignores jusqu prsent malgr leur forte actualit, lon doit relever quelles permettent lERSUMA dintgrer lvolution de lconomie internationale. Elles lui permettent aussi de positionner lOHADA de manire originale dans la controverse juridique inhrente la mondialisation : la bataille des systmes juridiques. Common law ou droit civil ? A cette question, lERSUMA rpond pragmatisme ! Le choix de lun des systmes nest pas le vritable enjeu car lattractivit juridique de lOHADA dpend dabord de son inventivit face aux nouvelles figures conceptuelles des transactions conomiques. Alors, sans renier son fonds majoritairement civiliste, il est impratif que le droit des affaires en Afrique sintresse aux investisseurs ayant le vent en poupe sur notre continent: la Chine. Ainsi, lERSUMA devient un

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    acteur de la diplomatie juridique de lAfrique, diplomatie consistant vanter la modernit du droit OHADA autant que sa capacit intgrer des normes venant des systmes diffrents. Ces qualits sont dailleurs les gages de la participation de lAfrique au rendez-vous du donner et du recevoir de Senghor, impos par la mondialisation tous les peuples. Pour ne pas rater cette nouvelle occasion dtre la tte de proue de lhumanit, lERSUMA adresse tous les africains et amis de lAfrique un seul mot : Cherchons !

    Dr. Flix ONANA ETOUNDI Directeur Gnral de PERSUMA

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    DOCTRINE

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    LES EXPRIENCES DHARMONISATION DES LOIS EN AFRIQUE

    Dr ONANA ETOUNDI Flix Magistrat, Docteur dEtat en Droit des Affaires, Expert de lInstitut Franais dExperts

    Juridiques Internationaux (IFEJI) spcialis en Contentieux Economique et des Affaires, Enseignant de Droit des Affaires dans les Universits et Grandes Ecoles,

    DIRECTEUR GENERAL de lERSUMA INTRODUCTION Lvolution de lconomie contemporaine domine par le concept de mondialisation qui incite aux mouvements dintgration rgionale et la libralisation des changes, volue vers une sorte de partage des influences et des marchs selon une rpartition tripolaire opre entre les zones dAmrique, dEurope et dAsie. Un auteur relve cet effet que lune des principales conditions de lefficacit et de la comptitivit de ces grands espaces conomiques est la cohrence juridique, et cite le cas de lUnion europenne qui en offre lexemple le plus achev1. Lharmonisation des lois, synonyme dintgration juridique constitue donc un pilier du processus de croissance et de dveloppement conomique. Car, si des Etats dcident, un moment donn, dintgrer leurs conomies partiellement ou totalement, lobjectif est dabord de promouvoir leur dveloppement conomique, avec des rpercussions positives sur le relvement du niveau de vie des habitants de la rgion. La marche vers un droit rgional harmonis, en ce quelle participe du phnomne de dcloisonnement des marchs, sous-tend utilement la marche vers la croissance conomique. Mais les contours de la notion dharmonisation des lois ne sont pas aiss cerner, tant et si bien que le Professeur Joseph ISSA SAYEGH, lassimilant ou presque un mcanisme dintgration juridique, fait observer quil sagit dune uvre mal dfinie et jamais acheve 2. Si lharmonisation nest pas un terme technique auquel sattacherait un contenu prcis dans le domaine du droit, il faudrait nanmoins distinguer la notion de ses principaux mcanismes. Lharmonisation des lois peut tre dfinie comme un phnomne dintgration juridique qui implique le transfert des comptences tatiques de deux ou plusieurs Etats une organisation internationale dote de pouvoirs de dcision et de comptences supranationales ou supra tatiques, en vue de raliser un ensemble juridique unique et cohrent dans lequel les lgislations sinsrent pour atteindre les objectifs conomiques et sociaux que les Etats membres se sont assigns3. Ainsi dfinie, lharmonisation peut tre plus ou moins douce ou brutale voire radicale, se limiter aux principes, stendre aux rgles ou embrasser les dtails 1 Philippe TIGER, Le droit des affaires en Afrique, Collection Que sais-je ? 1999, p.13. 2 In Revue de droit uniforme, 1999-1, p.5, Unidroit Rome. 3 Vocabulaire des Termes Juridiques, Henri Capitant, V Harmonisation.

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    dapplication. Si pour la raliser, les Etats ont la libert de choisir entre la technique de la convention et celle de la loi-modle,4 deux volets distincts soffrent galement eux pour la mettre en uvre : lharmonisation stricto sensu et luniformisation. Lharmonisation stricto sensu ou coordination est lopration qui consiste rapprocher les rgles de droit dorigine diffrente pour les mettre en cohrence entre elles, en rduisant ou supprimant leurs diffrences et leurs contradictions, de manire atteindre des rsultats compatibles entre eux et avec les objectifs communautaires recherchs 5. Luniformisation, encore appele unification consiste instituer dans une matire juridique donne, une rglementation unique, identique en tous points pour tous les Etats membres, dans laquelle il ny a pas de place en principe pour des diffrences6. Quelle est la physionomie que prsente lharmonisation des lois en Afrique, et particulirement en Afrique noire subsaharienne ? Il faut signaler pour sen fliciter que lide dune intgration juridique des pays africains est apparue ds le lendemain des indpendances, car les Etats nouvellement indpendants ont trs tt peru que la construction dune solidarit intertatique tait un pralable au developpement conomique, et que celle-ci ne pouvait se faire sans un rapprochement des lgislations des Etats membres. Plusieurs expriences dharmonisation se sont ainsi succdes. On peut citer lexemple de lUnion Africaine et Malgache (U.A.M) dissoute en 1964 et remplace deux ans plus tard par lOrganisation Commune Africaine et Mauricienne (OCAM) dont lobjet tait de renforcer le coopration et la solidarit entre les Etats africains et mauricien afin dacclrer leur dveloppement conomique, social, technique et culturel . Cest lUAM quon doit la cration en 1962 de lOffice Africain et Malgache de la Proprit Intellectuelle (OAMPI), devenu quinze ans plus tard lOrganisation Africaine de la Proprit Intellectuelle (OAPI) qui adopte une lgislation unique de la proprit intellectuelle pour tous les Etats membres. Cest galement lUAM et son successeur lOCAM qui ont t lorigine de la cration du BAMREL (Bureau Africain et Malgache de Recherche et dEtudes Lgislatives) dont la mission tait dlaborer des lois uniformes qui, une fois adoptes, devaient sappliquer de manire identique dans tous les Etats membres. Le BAMREL a disparu en 1986 avec son actif, ladoption dun plan comptable commun (plan comptable OCAM), la signature dune Convention gnrale de coopration judiciaire engageant les pays de lOCAM prendre toutes dispositions en vue dharmoniser leurs lgislations commerciales respectives dans toute la mesure compatible avec les exigences de chacun deux , et la signature dune Convention gnrale de scurit sociale toujours en vigueur. Il faut enfin signaler une importante uvre dharmonisation du droit bancaire 4 Pour une approche technique de la problmatique de lharmonisation ou de lunification lgislative, Voir

    GANDOLFI G, Pour un code europen des contrats, TRDCiv, oct-dc 1992, p707 736. 5 Joseph ISSA SAYEGH, Lintgration juridique des Etats Africains de la zone franc, Penant, 1997, n823, p.5 et

    Penant 1997, n824, p.125. 6 J. ISSA SAYEGH, article prcit.

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    effectue dans le cadre de lUMOA (Union Montaire Ouest Africaine) remplace par lUEMOA (Union Economique et Montaire Ouest Africaine), et de la Banque des Etats de lAfrique Centrale (BEAC). Mais si lintgration juridique africaine na pas des origines rcentes, force est de reconnatre que le phnomne a pris de lampleur depuis le dbut des annes 1990 avec la mondialisation de lconomie et la crise conomique, deux facteurs qui sont venus rappeler aux Etats africains la ncessit de coordonner leurs lgislations en matire conomique, pour relancer les politiques dintgration conomique rgionale. Plusieurs expriences dharmonisation ont ainsi t lances, et pendant que certaines sont encore en cours, dautres ont t acheves. Pour la clart de lanalyse de ces structures dharmonisation des lois existantes objet de notre rflexion, il serait de bonne mthode de distinguer entre les expriences africaines dharmonisation des lois en vue de coordonner le droit social ou de rapprocher le droit conomique (I), et les expriences africaines dharmonisation des lois en vue duniformiser le droit des affaires (II). I. LES EXPERIENCES AFRICAINES DHARMONISATION DU DROIT EN VUE

    DE COORDONNER LES LEGISLATIONS SOCIALES OU DE RAPPROCHER LES LEGISLATIONS ECONOMIQUES

    Les Etats africains ont entrepris tantt dinstituer une coordination de leurs lgislations nationales et une sorte de coopration entre les structures charges de les mettre en uvre, tantt de rapprocher leurs politiques conomiques en rduisant uniquement les diffrences et les divergences pour atteindre des rsultats communautaires. Cette technique dharmonisation, forme dintgration plus prudente et plus douce parce que respectueuse de la souverainet lgislative des Etats membres, a t exprimente dune part dans le droit de la scurit sociale travers deux principales structures que sont lOCAM et la CIPRES (A), et dautre part dans le droit conomique travers lUEMOA et la CEMAC (B). A. LHARMONISATION DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE A TRAVERS

    LOCAM ET LA CIPRES La coordination des systmes de scurit sociale des pays africains de la zone franc depuis les indpendances a connu deux grandes expriences issues de deux conventions internationales : la Convention gnrale de scurit sociale de lOCAM (A) et le Trait CIPRES (B). 1. La Convention gnrale de scurit sociale de lOCAM Convention signe par quatorze pays7, elle vise coordonner les systmes de scurit sociale des Etats membres et permettre une coopration des organismes de scurit sociale.

    7 Bnin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Cte dIvoire, Gabon, Niger, Ile Maurice, Madagascar, Rwanda,

    Sngal, Tchad, Togo, Zaire.

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    1.1. Lharmonisation en vue de coordonner les systmes de scurit sociale des Etats membres de lOCAM

    Pour atteindre ses objectifs de coordination, la Convention gnrale de scurit sociale retient quatre principes essentiels applicables tous les Etats signataires :

    - Le principe de la non discrimination qui proclame lgalit de traitement de tous les travailleurs, nationaux et trangers, dans les lgislations sociales nationales et les diffrentes conventions internationales.

    - Le principe de la dtermination de la lgislation de scurit sociale applicable toutes les catgories de travailleurs, ce qui permet le rattachement de chacune (rsidents, dtachs, diplomates etc) un systme de scurit sociale donn.

    - Le principe du non cumul qui permet de supprimer le bnfice un mme travailleur de plusieurs prestations de mme nature provenant de lgislations diffrentes et ayant le mme objet (par exemple un fonctionnaire en dtachement qui peroit la fois un salaire de son Etat et un salaire de lOrganisme de dtachement).

    - Le principe de maintien des droits en cours dacquisition et des droits acquis du travailleur dun territoire de la Convention un autre.

    1.2. Lharmonisation en vue de permettre la coopration des organismes de scurit sociale

    des Etats de lOCAM La Convention gnrale de scurit sociale trace les rgles de coopration des organismes de scurit sociale applicables tous les Etats membres dans quatre domaines :

    - coopration dans le service des prestations des travailleurs dont le droit est acquis dans un pays et servi dans un autre (par exemple les modes de rglement) ;

    - coopration dans le remboursement des prestations en espces ou en nature (par exemple reconnaissance des actes mdicaux intervenus dans un pays tranger) ;

    - coopration en matire de recours (dlais de recours et de prescription) ; - coopration en matire administrative, concernant par exemple les contrles

    administratifs ou mdicaux effectus par un organisme pour le compte dun autre situ ltranger.

    2. Lharmonisation des systmes de prvoyance sociale par la CIPRES La Confrence Interafricaine de la Prvoyance Sociale (CIPRES) qui rsulte du Trait sign le 21 septembre 1993 par quatorze Etats francophones8 de la zone franc a pour principal objectif lharmonisation des lgislations sociales de ses Etats membres. A cet effet, une Inspection Rgionale est institue en vue dlaborer des tudes et des propositions tendant lharmonisation des dispositions lgislatives et rglementaires applicables aux organismes et aux rgimes de prvoyance sociale. 8 Les mmes que les signataires du Trait OHADA.

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    Bien quentr en vigueur le 10 Octobre 1995, le Trait CIPRES na pas encore dbut ses travaux, et les dispositions nationales en la matire restent applicables. Ce quon peut esprer cest que la CIPRES ne vienne pas contredire lharmonisation des dispositions lgislatives et rglementaires applicables aux organismes et aux rgimes de scurit sociale dj partiellement ralise par la Convention gnrale de scurit sociale de lOCAM. Elle devrait plutt tendre les complter. B. LHARMONISATION DES LEGISLATIONS ECONOMIQUES DANS LE

    CADRE DE LUEMOA ET DE LA CEMAC Le rapprochement des lgislations conomiques des Etats africains dans loptique dune intgration rgionale rsulte de deux structures dharmonisation : lharmonisation du droit conomique dans le cadre de lUEMOA, et lharmonisation du droit conomique dans le cadre de la CEMAC. 1. Lharmonisation des lgislations conomiques dans le cadre de lUEMOA LUEMOA, entendue Union Economique et Montaire Ouest Africaine rsulte dun Trait sign le 10 janvier 1994 et ratifi en juin 1994 a remplac lUMOA (Union montaire Ouest Africaine) cre le 14 novembre 1973. Alors que lUMOA ne visait harmoniser que les lgislations montaire et bancaire, lUEMOA qui sest fixe un objectif plus ambitieux, celui de crer entre les Etats membres un march commun bas sur la libre circulation des personnes, des services, des capitaux, vise harmoniser toutes les lgislations conomiques en vue de raliser cet objectif. Quels sont les fondements et les mcanismes de son uvre dharmonisation du droit conomique ? 1.1. Les bases de lharmonisation du droit conomique lUEMOA LHarmonisation ici a trois fondements : a. Le Prambule du Trait UEMOA qui affirme la ncessit de favoriser le dveloppement conomique et social des Etats membres grce lharmonisation de leurs lgislations, lunification de leurs marchs intrieurs et la mise en uvre de politiques sectorielles communes dans les secteurs essentiels de leur conomie . b. Le Titre Premier du Trait prvoit quil vise harmoniser, dans la mesure ncessaire au bon fonctionnement du march commun, les lgislations des Etats membres et, particulirement la fiscalit . c. Larticle 60 du Trait relatif au chapitre rserv lharmonisation des lgislations dispose que la Confrence des Chefs dEtat et de Gouvernement tablit les principes directeurs pour lharmonisation des lgislations des Etats membres. Elle identifie les domaines prioritaires dans lesquels, conformment aux dispositions du prsent Trait, un rapprochement des lgislations des Etats membres est ncessaire pour atteindre les objectifs de lUnion .

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    Lon peut retenir de la combinaison de ces dispositions que lUEMOA vise lharmonisation de toutes les lgislations ncessaires la ralisation la fois de lUnion montaire, but que poursuivait la dfunte UMOA, et de lUnion conomique, nouvel objectif quelle sest assign. 1.2. Les mcanismes dharmonisation a. Le Trait de lUEMOA prvoit la cration dun Parlement de lUnion qui sera charge du contrle dmocratique des organes de lUnion et de participer au processus dcisionnel de celle-ci . Ce Parlement venait dtre cre par un Trait UEMOA du 29 janvier 2003. Mais, cest le Conseil des Ministres qui dicte le droit applicable au fonctionnement de lUnion et ncessaire son dveloppement. Tout comme son homologue de lUnion Europenne, le Conseil des Ministres de lUEMOA labore des rglements, directives, dcisions, recommandations et avis. b. Le droit driv de lUEMOA sapplique de la mme manire que la lgislation issue de lUnion Europenne. Les rglements sont directement applicables et obligatoires dans les Etats membres et abrogent toutes dispositions nationales contraires. Les directives ne font, en revanche, quindiquer un objectif atteindre, tout en laissant aux structures nationales le pouvoir de dterminer la forme et les moyens pour y parvenir. Les dcisions sont obligatoires, mais ne sappliquent quaux personnes physiques ou morales qui en sont destinataires. c. Sagissant des organes de contrle, lUEMOA dispose dune Cour de Justice dont la fonction est dassurer une interprtation et une application uniformes du droit issu de lUnion ainsi que darbitrer les conflits dinterprtation entre les Etats membres. La Cour de Justice ne connat que des recours de la Commission ou de tout Etat membre, relatifs aux manquements des Etats membres aux obligations qui leur incombent en vertu du Trait. La Cour de Justice ne peut donc connatre dun recours en manquement provenant dun particulier. 1.3. Ltat du droit harmonis lUEMOA A ce jour, lUEMOA a ralis plusieurs chantiers dharmonisation et dautres sont en cours. a. Sagissant de lharmonisation acheve

    - LUEMOA a instaur un rgime douanier commun tous les Etats de lUEMOA. De ce fait, depuis le 1er janvier 2000, lUEMOA est devenue un territoire douanier unique avec pour principe dune part, lexonration du paiement de droits de douane pour les produits industriels, les produits du cru et lartisanat traditionnel provenant des Etats membres, et dautre part, ltablissement dun tarif extrieur commun, consistant en des doits de douane permanents ou temporaires dtermins en fonction dun quota de 0 % 20 % sur les produits imports.

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    - LUEMOA sest dote dune lgislation bancaire commune, reprenant et compltant lancienne rglementation bancaire de lUMOA. Aux termes dune Loi-cadre portant rglementation communautaire, quatre contraintes sont imposes aux banques et tablissements financiers exerant leur activit dans la zone UEMOA : lobtention dun agrment, un capital social minimum, la constitution de fonds propres et de rserves, la forme juridique de ces structures et la nationalit de leurs dirigeants.

    - LUEMOA a adopt une nouvelle lgislation harmonise en droit de la concurrence,

    entre en vigueur le 1er janvier 2003. Cette rglementation qui tire ses origines des travaux de lOrganisation de Coopration et de Dveloppement Economique (OCDE) et de la Confrence des Nations Unies pour le Commerce et le Dveloppement (CNUCED), vise favoriser la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services afin dviter que les changes commerciaux entre les Etats membres ne soient limits par des pratiques anticoncurrentielles.

    b. Sagissant de lharmonisation en cours Un projet de code des investissements communautaire des Etats de lUEMOA est sur le point daboutir. Son contenu est actuellement en discussion, et les dbats sur les dispositions fiscales semblent constituer un point de discorde entre les Etats. 2. Lharmonisation des lgislations conomiques dans le cadre de la CEMAC La CEMAC, entendue Communaut Economique et Montaire de lAfrique Centrale a t cre en 1994 pour substituer la dfunte UDEAC (Union Douanire des Etats dAfrique Centrale cre en 1964) ralise ses objectifs dharmonisation des lgislations dfinis dans son Trait institutif travers deux structures : lUEAC (Union Economique en Afrique Centrale) et lUMAC (Union Montaire en Afrique Centrale). Comme dans le cadre de lUEMOA, cest le Conseil des Ministres qui labore les diffrentes formes de droit driv. 2.1. Lharmonisation des politiques conomiques lUEAC LUEAC a engag divers chantiers dharmonisation des politiques des Etats, do notamment :

    - Ltablissement dune union douanire fonde sur la libert des changes au sein de la CEMAC, et linstauration dun tarif commun pour les importations provenant de pays trangers lunion. Le rgime douanier de lUEAC repose ainsi sur un tarif extrieur commun et un tarif prfrentiel gnralis, prvoyant un taux de 0 % pour les changes au sein de lunion.

    - Llaboration dun droit communautaire de la concurrence directement applicable dans

    tous les Etats membres de la CEMAC. Lessentiel de ce droit communautaire est constitu par un Rglement du 25 juin 1999 portant rglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles et un Rglement du 18 aot 1999 portant rglementation des pratiques tatiques affectant le commerce entre les Etats membres.

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    Sagissant des organes de contrle, la CEMAC a institu un Organe de Surveillance de la Concurrence (OSC) charg dassurer le contrle dapplication des rgles CEMAC en matire de concurrence. La lgislation communautaire de la concurrence dans le cadre de la CEMAC coexiste avec les lois nationales de certains Etats membres relatives la concurrence9. 2.2. Lharmonisation des lgislations montaires lUMAC LUnion Montaire de lAfrique Centrale charge de consolider la coopration montaire entre les Etats membres de la CEMAC a ralis ce jour :

    - Une rglementation unique des changes trs similaire celle de lUEMOA. Elle prvoit que les paiements relatifs aux transactions internationales ainsi que les mouvements de capitaux sont en principe libres.

    - Une rglementation bancaire issue de la Convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la rglementation bancaire des Etats de lAfrique Centrale.

    Sagissant des organes de contrle, la CEMAC a surtout prvu une Cour de Justice qui assure le contrle de la mise en application de la rglementation communautaire au sein des Etats membres, et contribue assurer linterprtation uniforme du champ dapplication du Trait CEMAC. Mais, contrairement la Cour de Justice de lUEMOA, la Cour de justice de la CEMAC peut tre saisie non seulement par les Etats membres, le Secrtariat excutif ou tout autre organe de la CEMAC, mais aussi par tout ressortissant dun Etat membre, personne physique ou morale concernant lapplication du Trait ou dun texte driv. II. LES EXPERIENCES AFRICAINES DHARMONISATION DES LOIS EN VUE

    DUNIFORMISER LE DROIT DES AFFAIRES Luniformisation du droit, on la dj dit, est une technique plus radicale dintgration juridique puisque par rapport lharmonisation, elle consiste supprimer les dcalages entres les lois nationales pour leur substituer une lgislation unique, rdige en des termes identiques pour tous les Etats concerns. Redoutant le caractre rude de cette mthode, les Etats Africains en ont fait jusque-l une utilisation limite certains secteurs juridiques particuliers du droit des affaires, afin den contrler lapplication (A). Mais rompant curieusement avec la tradition, ils se sont lancs dans une vaste et ambitieuse exprience dunification du droit des affaires travers lOHADA (B).

    9 Loi camerounaise n98/013 du 14 juillet 1998 relative la concurrence ; Loi n014/1998 fixant le rgime de la

    concurrence en Rpublique gabonaise.

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    A. LUNIFORMISATION DES SECTEURS PARTICULIERS DU DROIT DES AFFAIRES

    Les domaines particuliers dans lesquels le droit conomique a t jusque-l unifi concernent le droit bancaire et le droit des instruments de paiement dans le cadre de lUEMOA, le droit de la proprit intellectuelle dans le cadre de lOAPI, et le droit des assurances dans le cadre de la CIMA. 1. Lunification du droit bancaire et des instruments de paiement dans le cadre de

    lUEMOA 1.1. La lgislation unique de la profession bancaire est issue des lois-cadres et de la Convention portant cration de la Commission bancaire de lUEMOA. Textes fondamentaux de cette rglementation unique de la profession bancaire, les lois-cadres sont au nombre de trois :

    - La loi-cadre bancaire introduite dans les Etats de la dfunte UMOA dans les annes 1970, puis rforme pour les besoins de mise en conformit avec les dispositions de la Convention portant cration de la Commission bancaire de lUEMOA.

    - Le dcret-cadre relatif au classement, la forme juridique et aux oprations des tablissements financiers, pris en application de la loi-cadre de 1975 actuellement en cours de rvision, si elle nest pas dj rvise, pour les mmes besoins de mise en conformit avec les dispositions de la Commission bancaire de lUEMOA.

    1.2. La rglementation unique des instruments de paiement touche aussi bien les changes que le chque, la carte de paiement, la lettre de change et le billet ordre. Sagissant des changes, les normes essentielles ont t uniformises dans les Etats de lUEMOA par la BCEAO : dfinition du rle et des attributions des intermdiaires agres par exemple. Sagissant du chque, de la carte de paiement, de la lettre de change et du billet ordre, un avant-projet de loi uniforme constitu de 207 articles est en tude depuis 1995. 2. Lunification du droit de la proprit intellectuelle travers lOAPI LOrganisation Africaine de la Proprit Intellectuelle (OAPI) a t institue par lAccord de Bangui en date du 2 mars 1977. Elle a pour mission dassurer la protection et la publication de droits de la proprit intellectuelle par un systme dinscription identique pour tous les Etats membres de lOrganisation. De sorte que linscription dun droit de proprit intellectuelle auprs dun Etat membre ou auprs de lOAPI elle-mme emporte inscription dans chaque Etat membre et y produit des droits. A ce titre, lOAPI a labor une lgislation uniforme englobant dix Annexes lAccord de Bangui, incluant les brevets dinvention, les marques de produits ou de services, les dessins ou modles industriels ou encore les noms commerciaux. Les textes communs des annexes

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    sappliquent dans les Etats de lOAPI tels quels sans quil soit besoin dune norme nationale spciale pour les y introduire. Bien que faon quelque peu maladroite, il sagit l dune sorte daffirmation de la supranationalit du droit uniforme de la proprit intellectuelle. 3. Lunification du droit des assurances travers la CIMA Le Trait instituant la Confrence Interafricaine des Marchs dAssurances (CIMA) sign le 10 juillet 1992 par quatorze pays de la zone franc10 et entr en vigueur en fvrier 1995, succdant ainsi la Convention de coopration en matire de contrle des entreprises et oprations dassurances des Etats africains et Malgache signe Paris le 27 novembre 1973, a pour principal objectif lunification du droit des assurances des Etats membres. De lensemble des dispositions du Trait et de ses Annexes, lon peut retenir que la CIMA ralise luniformisation de la lgislation applicable aux entreprises et aux oprations dassurance dune part, et dautre part, institue une rglementation unique des contrats dassurance et des assurances obligatoires. Le Code CIMA labor par le Trait CIMA pour mettre sa politique duniformisation du droit des assurances en uvre, texte constitu de 530 articles, sapplique directement dans les Etats membres sans quil soit besoin dune intervention des normes nationales de transposition.

    B. LUNIFORMISATION GLOBALE DU DROIT DES AFFAIRES : LEXPERIENCE DE LOHADA.

    LOrganisation pour lHarmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a t cre par le Trait sign le 17 Octobre 1993 Port Louis en Ile Maurice par quatorze Etats de la zone Franc, auxquels se sont ajouts deux autres pays11, portant le nombre de ratifications seize Etats. Le Trait OHADA a pour principal objectif de remdier linscurit juridique et judiciaire de plus en plus dcrie dans les Etats de la zone franc par les oprateurs conomiques au courant des annes 1990. Linscurit juridique sexplique notamment par lobsolescence des textes juridiques hrits du lgislateur colonial et toujours en vigueur pour la plupart, bien que ne correspondant plus la situation conomique et lvolution actuelle des relations commerciales internationales. Linscurit judiciaire dcoule de la dgradation de la faon dont est rendue la justice dans nos tribunaux, tant en matire dapplication du droit quen matire de respect de la dontologie. A une jurisprudence sinon instable, du moins purement alatoire sajoute le manque de moyens matriels et une formation insuffisante des magistrats et auxiliaires de justice dont les Avocats. Lharmonisation du droit des affaires des pays de la zone franc devait donc permettre la relance des investissements travers la mise en place dun cadre juridique propre scuriser lactivit conomique des entreprises. Do llaboration des rgles simples, modernes et adaptes la situation des conomies des Etats membres, la mise en place des procdures judiciaires appropries et lencouragement du recours larbitrage. 10 Bnin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Cte dIvoire, Guine Equatoriale, Gabon, Mali, Niger,

    Rpublique Centrafricaine, Sngal, Tchad et Togo. 11 Guine Conakry et Guine Bissau.

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    Les objectifs de lOHADA sont ainsi mis en uvre par deux principaux organes : le Conseil des Ministres en charge de llaboration du droit uniforme, et la Cour Commune de Justice et dArbitrage, instrument de contrle et de sanction de linterprtation et de lapplication de ce droit. 1. Llaboration du droit uniforme des affaires par le Conseil des Ministres de

    lOHADA Les dispositions du Trait OHADA rvlent la gnralisation du droit des affaires uniformiser, une procdure duniformisation spcifique et le caractre supranational du droit uniformis. 1.1. Le domaine gnralis du droit des affaires de lOHADA Larticle 2 du Trait OHADA dispose : entrent dans le domaine du droit des affaires, lensemble des rgles relatives au droit des socits et au statut juridique des commerants, au recouvrement des crances, aux srets et aux voies dexcution, au rgime de redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de larbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matire que le Conseil des ministres dciderait lunanimit dy inclure . Le domaine extrmement large du champ dapplication du droit des affaires de lOHADA sexplique par la ncessit duniformiser les rgles de toute discipline juridique susceptible de contribuer atteindre les objectifs de scurisation juridique et judiciaire de linvestissement dans les Etats membres. Un auteur a soutenu quil sagit en ralit dun droit des activits conomiques et non dun droit des affaires au sens strict du terme12. 1.2. La procdure dlaboration du droit des affaires uniformis Des dispositions des articles 5 12 du trait OHADA, le Secrterait permanent prpare les projets dActes uniformes en concertation avec les gouvernements des Etats parties. Ainsi, les projets dActes uniforme leur sont communiqus et un dlai de 90 jours leur est imparti pour procder leur examen, faire des observations et proposer des amendements. Les Projets dActes uniformes, avec les observations des Etats parties, sont transmis par le Secrtariat permanent la Cour Commune de Justice et dArbitrage pour avis. Le Secrtariat permanent met au point le texte dfinitif et le prsente au Conseil des Ministres pour adoption. 1.3. La supranationalit des Actes uniformes OHADA Larticle 10 du Trait prvoit que les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne,

    12 Flix ONANA ETOUNDI, LOHADA, instrument de scurisation juridique et judiciaire de lenvironnement

    des entreprises , Confrence donne lUniversit Catholique dAfrique de lOuest, Unit Universitaire dAbidjan, 23 novembre 2005.

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    antrieure ou postrieure . Ce texte affirme ainsi la supranationalit des Actes uniformes et leur suprmatie sur les dispositions de droit interne antrieures et postrieures, principe ritr par un Avis de la CCJA en date du 30 avril 2001. 1.4. Luvre duniformisation du droit des affaires dj accomplie par le Conseil des

    Ministres de lOHADA Entre 1997 et 2012, le Conseil des Ministres a adopt Neuf Actes uniformes totalisant plus de 2400 articles, ce qui constitue une vritable machine duniformisation du droit des affaires dans lespace OHADA. Il sagit dabord de trois Actes uniformes adopts Cotonou le 17 avril 1997 : lActe uniforme portant Droit Commercial Gnral, lActe uniforme portant Droit des Socits Commerciales et du Groupement dIntrt Economique, lActe uniforme portant Organisation des srets ; il sagit ensuite de deux Actes uniformes adopts Libreville le 10 avril 1998 : lActe uniforme portant Organisation des Procdures Simplifies de Recouvrement et des Voies dExcution, lActe uniforme portant Organisation des Procdures Collectives dApurement du Passif ; il sagit galement de lActe uniforme relatif au droit de larbitrage adopt le 11 mars 1999 Ouagadougou, de lActe uniforme portant Organisation et Harmonisation des Comptabilits des entreprises adopt le 24 mars 2000 Yaound , et de lActe uniforme relatif aux contrats des transports de marchandises par route adopt dans la mme ville le 22 mars 2003. Il sagit enfin de lActe uniforme relatif au droit des coopratives adopt le 14 dcembre 2010 Lom. 1.5. Les Actes uniformes en chantier Jusquen 2010, le processus dlaboration dun certain nombre dActes uniformes tait en cours : le projet dActe uniforme sur le droit du travail, le projet dActe uniforme sur le droit des contrats qui devait fusionner avec celui sur le droit de la preuve. La doctrine avait dj relev pour le dplorer que dici quelques annes, cest le tout le Droit Priv gnral qui sera uniformis dans lespace OHADA13. Des voies se sont galement leves pour exiger une trve dans ce rythme duniformisation outrance du droit des affaires afin de permettre aux diffrents acteurs judiciaires dassimiler les Actes uniformes jusque-l adopts. De mme que des inquitudes se sont exprimes au niveau des juridictions nationales des Etats parties qui se demandaient sil ne restera plus que le droit pnal au juge national. Prenant certainement argument de ces rserves exprimes quant au rythme dharmonisation du Droit des Affaires, le Secrtariat Permanent a propos au Conseil des Ministres de lOHADA une nouvelle politique dharmonisation des domaines spcifiques au droit de lactivit conomique des entreprises. Cest pourquoi le Conseil des Ministres la autoris en dcembre 2011 Bissau, dengager des tudes sur les chantiers dharmonisation possible des contrats daffaires : leasing, affacturage, BOT, crdit bail, contrats lectroniques, etc.

    13 Jacqueline LOHOUES OBLE, OHADA, Trait et Actes uniformes comments et annots, Juriscope, 2002.

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    Il conviendrait galement de signaler laction des bailleurs de fonds, et notamment de la Banque Mondiale en faveur de la rvision des Actes uniformes plus dune dcennie aprs leur adoption. Les Actes uniformes portant Droit des Srets et Droit Commercial Gnral ont ainsi t rviss en 2011, et lActe uniforme relatif aux procdures collectives est en cours de rvision. 2. Le contrle et la sanction de linterprtation et de lapplication du droit uniforme

    par la Cour Commune de Justice et dArbitrage La Cour Commune de Justice et dArbitrage dont le sige est Abidjan en Cte dIvoire joue un rle fondamental en matire dinterprtation et dapplication droit des affaires uniformis. Larticle 14 alina 1er du Trait dispose que la CCJA assure dans les Etats parties linterprtation et lapplication commune du Trait, des Rglements pris pour son application et des Actes uniformes . La CCJA est donc investie dune double prrogative sexerant sur un plan judiciaire et sur un plan consultatif, sans oublier son appui administratif en matire darbitrage. 2.1. Au plan strictement judiciaire cest--dire en matire contentieuse La CCJA joue le rle dune Cour de cassation pour lensemble des seize Etats. Elle peut tre saisie par la voie du recours en cassation contre les dcisions rendues par les juridictions dappel nationales et dune manire gnrale, contre les dcisions non susceptibles dappel, condition que dans les deux cas, laffaire soulve des questions relatives lapplication des Actes uniformes ou des Rglements prvus au Trait. En cas de cassation, elle voque et statue sur le fond sans renvoi, ce qui permet dviter des lenteurs judiciaires. Cest du reste ce pouvoir dvocation qui fait dire que la CCJA est un troisime degr de juridiction. Le bilan statistique de la CCJA dans sa fonction contentieuse du 11 octobre 2001, date de son installation dans ses nouveaux locaux au 31mars 2012, rvle que sur 1132 affaires enregistrs, 527 ont t juges, 456 arrts rendus dont 14 arrts de jonction des procdures, 71 ordonnances rendues, 113 dossiers provisoirement retirs du rle pour dfaut de consignation, et 475 dossiers se trouvent au stade de linstruction pour notification et change de mmoires entre les parties. 2.2. Au plan purement consultatif La Cour peut tre consulte par tout Etat partie, par le Conseil des Ministres ou par les juridictions nationales sur toute question concernant lapplication et linterprtation du Trait et des Actes uniformes drivs. De 1997 au 31 mars 2012, 22 avis ont mis dont 05 manant de trois Etats parties, 03 des juridictions nationales, 14 du Secrtariat permanent et 01 du Conseil des Ministres sur le projet de rvision du Trait.

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    2.2. Au plan arbitral La CCJA joue en matire darbitrage un rle comparable celui de la Cour dArbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris. Sans trancher elle-mme les litiges, la CCJA nomme les arbitres, suit le droulement de la procdure, examine les projets de sentences arbitrales et peut proposer des modifications de pure forme. Elle accorde enfin lexequatur des sentences arbitrales rendues sous lgide de la CCJA. De 2001 ce jour, 47 demandes darbitrage ont t enregistres la CCJA, 14 sentences arbitrales ont t rendues, 08 ordonnances dincomptence ont t prononces, 3 dsistements et 2 retraits du registre, et 18 dossiers sont actuellement en instance. CONCLUSION Le foisonnement de structures dintgration juridique observ ces derniers temps en Afrique Noire Subsaharienne traduit la prise de conscience des Etats africains que la disparit des lgislations est un obstacle pour la ralisation dun espace conomique et social intgr. Mais les pays africains voient galement dans ce cadre juridique harmonis un moyen de rapprochement des peuples, objectif du reste poursuivi par lUnion Africaine. Lharmonisation des lois est un vecteur incontournable de cette intgration, de mme quelle constitue un facteur de stabilit et de scurit juridique et judiciaire de linvestissement en Afrique. On peut nanmoins redouter des contradictions dans les divers domaines du droit harmoniser, tant la frontire entre les matires est mince, tant les conflits de comptence peuvent natre entre les structures charges dassurer le contrle de linterprtation et de lapplication des lois harmonises. On peut galement sinterroger sur la volont politique des Etats africains conduire les diffrents processus dharmonisation des lois leur terme, notamment en honorant leurs engagements financiers. Le cas de lOHADA est une interpellation, le mcanisme de financement autonome mis en place par le Conseil des Ministres en 2003 et consistant en un prlvement au cordon douanier de 0,05 % sur les produits dimportation provenant des pays tiers, ntant pas toujours oprationnel dans les Etats parties. De notre point de vue, cest par une espce de dialectique permanente entre droit et conomie que luniformisation des instruments juridiques en Afrique pourra atteindre les objectifs escompts, et que les groupes rgionaux pourront mieux assurer leur cohrence et leur homognit.

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    LA RESPONSABILIT CIVILE DU BANQUIER DISPENSATEUR DE CRDIT UNE ENTREPRISE EN DIFFICULT EN DROIT OHADA LA LUMIRE DU

    DROIT FRANAIS

    Dr Souleymane TOE Assistant en droit priv

    UFR/Sciences Juridiques et Politiques Universit Ouaga II

    Burkina Faso

    INTRODUCTION 1. La responsabilit peut tre dfinie comme lensemble des rgles14 qui sattache ltude et

    la dtermination des consquences des faits illicites ou fautes qui causent un dommage autrui. Cest le fait pour une personne dtre oblige de rparer le dommage quil cause autrui par sa faute15. Une tude de la responsabilit civile du banquier dispensateur de crdit une entreprise en difficult portera donc sur lobligation de la banque de rpondre des dommages quelle a causs par son fait. Encore faut-il dterminer le comportement fautif du banquier et son lien de cause effet avec le prjudice subi par lentreprise en difficult.

    2. Cette tude sera mene sous langle du droit positif burkinab et du droit communautaire16.

    En outre, il sera largement fait appel titre de droit compar la doctrine et la jurisprudence franaise en raison du fait que le problme se pose dans les mmes termes et que nos juridictions sinspirent beaucoup de la jurisprudence franaise.

    3. Le terme de banquier recouvre juridiquement tous les tablissements soumis la loi

    bancaire17, savoir les personnes morales qui effectuent titre de profession habituelle des oprations de banque , exception faite de certains organismes limitativement numrs18. Lactivit bancaire se ralise par des oprations de banques au nombre de trois que sont : la rception de fonds du public, les oprations de crdit, et la mise disposition de

    14 Est utilise dans certains cas pour dsigner la fois la responsabilit contractuelle et la responsabilit dlictuelle.

    Ici, elle est utilise pour dsigner seulement la seconde. 15 Code civil, article 1382. 16 UEMOA, OHADA et CEDEAO. 17 Pour le Burkina Faso, voy. la loi n058-2008/AN du 20 novembre 2008 portant rglementation bancaire au

    Burkina Faso, promulgue par le dcret n2008-825 du 23 dcembre 2008 et publie au Journal Officiel du 8 janvier 2009.

    18La Banque centrale des Etats de lAfrique de lOuest, le Trsor public, les institutions financires internationales, les institutions publiques trangres daide ou de coopration, dont lactivit sur le territoire du Burkina Faso est autorise par des traits, accords ou conventions internationales auxquels fait partie le Burkina Faso, les socits de gestion et dintermdiation ainsi que les autres acteurs agrs du march financier rgional de lUMOA ; les systmes financiers dcentraliss, notamment les institutions mutualistes ou coopratives dpargne et de crdit non agres en qualit dtablissement de crdit et soumises un rgime particulier, sous rserve des dispositions des articles 54 et 104 de la loi bancaire, la socit nationale des postes (SONAPOST) et les services financiers des postes et tlcommunications, sous rserve des dispositions de larticle 54 de la loi bancaire.

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    la clientle ou la gestion de moyens de paiement. Le banquier joue, par ses activits, le rle de commerant, au sens de larticle 3 alina 1er de lActe uniforme relatif au droit commercial gnral puisquil a la qualit dintermdiaire entre lpargnant, celui qui possde de largent, et celui qui a en besoin19. Cest ainsi dailleurs que le banquier est dfini comme un commerant qui spcule sur largent et le crdit 20.

    4. Lactivit bancaire constitue aujourdhui un lment indispensable au dveloppement de

    lconomie. En effet, le banquier a reu la mission principale de fournir des financements aux entreprises pour le dveloppement de leurs activits. Mais les entreprises qui ont le plus besoin du concours financiers des banques sont celles qui connaissent certaines difficults. Compte tenu de cette situation difficile, ces entreprises ont besoin dune prise en charge particulire dans le traitement des difficults. Le terme entreprises en difficult est pris au sens large et concerne non seulement les entreprises qui sont en tat de cessation des paiements mais aussi celles qui connaissent une procdure de prvention telle que le rglement prventif.

    Le droit des entreprises en difficult a connu une volution mouvemente tant en droit franais quen droit de lOHADA. En effet, en France, du droit de la faillite, on a abouti aujourdhui au droit de sauvegarde des entreprises en passant par celui des procdures collectives21. Le droit des procdures collectives antrieurement lActe uniforme portant organisation des procdures collectives dapurement du passif (AUPC) a subi une certaine volution avant que lharmonisation ne soit consacre par lavnement de lOHADA22. Cette histoire mouvemente montre suffisance lincapacit du droit juguler les difficults des entreprises, mais une tendance se dessine nettement en faveur de la diversification des procdures prventives pour le redressement ou le sauvetage des entreprises en difficult en cherchant au mieux des solutions adaptes la situation de chaque entreprise. Cest dans ce contexte que sinscrivent dsormais les rapports bancaires avec leur corolaire de fourniture de crdit qui gnre le plus de contentieux. En effet, par la conclusion du contrat de prt se cre un rapport crancier-dbiteur et avec lui apparaissent dventuels problmes de solvabilit du dbiteur dans la mesure o la banque est susceptible de voir sa crance non rembourse. Confront ce risque, les banques ont pris lhabitude de prendre des prcautions particulires en matire de crdit, surtout lgard des entreprises traversant des difficults. En effet, face aux entreprises en difficult, le banquier dispose gnralement de trois possibilits. En premier lieu, il peut dcider de rompre les crdits fournis. Mais si des dommages ont t causs son client, le banquier peut voir sa responsabilit engage pour

    19 Voy. Richard Routier, Obligations et responsabilits du banquier, Dalloz rfrence, 2me d., n021-12. Paris,

    2008. 20 G. Ripert et R. Roblot, par Ph. Delebecque et M. Germain, Trait de droit commercial, tome II, LGDJ, 17me d.

    2004, n2216. 21 P.-M. Le Corre, 1807-2007 : 200 ans pour passer de la faillite du dbiteur au droit de sauvegarde de lentreprise,

    Gaz. Pal. 21 juillet 2007, n202, p. 3 et s. 22 Voy. F.M. Sawadogo, OHADA, Droit des entreprises en difficult, Juriscope, Bruylant-Bruxelles, n19, p. 10 et

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    rupture abusive de crdit. En second lieu, il peut tre tent de donner des conseils de gestion son client. Mais il pourrait, en cas dchec du redressement de la situation, se voir reprocher une immixtion fautive de gestion en sa qualit de dirigeant de fait. Enfin, le banquier peut poursuivre la fourniture de concours lentreprise soit en le maintenant, soit mme en lui accordant de nouveaux afin de lui permettre de surmonter la situation difficile.

    5. La responsabilit du banquier que lon voit se dessiner de cette distribution de crdit navait

    t trs tt rglemente, au plan civil par le lgislateur de 1804 qui napprhendait daucune sorte les risques bancaires et financiers23. Il est donc revenu la jurisprudence de combler le vide juridique en dcidant de condamner pour la premire fois le banquier au paiement de dommages et intrts en rparation du prjudice dcoulant de la prosprit fictive cre par les agissements du banquier24. Mais les condamnations du banquier cette poque restaient exceptionnelles. Cest dans la seconde moiti du 20me sicle que lon a vu saccentuer un mouvement tendant la responsabilit du banquier distributeur de crdit. Plusieurs ouvrages, articles, chroniques ont ainsi t consacrs la question25. Un tel intrt pour le banquier sexplique sans doute par son rle fondamental dans le dveloppement conomique dun pays et un auteur a crit que le banquier est le moteur de toutes les activits de son temps 26. En effet, les entreprises, chaque tape de leur vie, ont besoin de financements ncessaires au dveloppement de leurs activits. Ce sont les banques qui sont souvent au premier plan pour leur procurer ces diffrents financements, par le truchement notamment des crdits dure indtermine, tels les dcouverts27 ou les facilits descomptes28.

    Face au rle grandissant des banques et de leur pouvoir implicite sur les entreprises pour le financement de leur activit, la doctrine et la jurisprudence ont d dvelopper un ensemble de rgles de prudence que doit observer le banquier lors de loctroi de crdit 29. Par cette raction, doctrine et jurisprudence entendaient appliquer au mieux la volont du lgislateur dont lambition affiche tait de promouvoir la sauvegarde des entreprises. Ce sauvetage devait passer par la dtermination des facteurs dclencheurs des difficults insurmontables de lentreprise parmi lesquels lon peut mentionner les concours bancaires. En effet, lorsque le crdit est accord une entreprise prouvant des difficults de trsorerie, cela peut

    23 Bien videmment, la fourniture de crdits frauduleux engageait la responsabilit du banquier tant au plan civil

    quau plan pnal, dans le cadre notamment de linfraction de complicit de banqueroute, par emploi de moyens ruineux de se procurer des fonds.

    24 Cass. Fr. 1er aot 1876, DS. 1876, I. 457 25 Association Henri Capitant, La responsabilit du banquier : aspects nouveaux, T. XXXV, Paris, Economica,

    1984, 662 p. ; J.P. Deschanel, Linformation du banquier sur la vie des entreprises, Banque, 1977, pp. 1092-1098 ; G. Guinet, La responsabilit juridique du banquier donneur de crdit, Banque, 1974, pp. 707-710 ; M. Vasseur, Des responsabilits encourues par le banquier dispensateur de crdit aux entreprises en difficults, Banque 1976, p. 479 ; Vittorio, Lvolution de la responsabilit du banquier, Banque 1977, p. 1207 et 1353 ; J. Vezian, La responsabilit du banquier en droit priv franais, Paris, Litec, 3me d., 1983, 286 p.

    26 M. Vasseur, La responsabilit civile du banquier dispensateur de crdit, Banque, 1979, p. 48. 27 Un dcouvert bancaire est une forme de crdit accord un client dtenteur d'un compte en banque pour pallier

    ses soucis financiers et viter des incidents de paiement. 28 J. Stoufflet, in la responsabilit du banquier : aspects nouveaux, op.cit., p. 143 et s. 29 Ibid, spc. n 2.

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    accentuer ces difficults et entraner louverture dune procdure collective. La socit subit un dommage, et ses cranciers, dsormais soumis aux rgles des procdures collectives galement. Or, comme le prcise larticle 1382 du Code civil, tout fait quelconque de lhomme qui cause autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arriv le rparer . Le banquier est ainsi devenu, selon un auteur un acteur principal mais en mme temps un responsable idal 30. De son ct, la jurisprudence sest attache moraliser la vie des affaires31 en y mlant le banquier aboutissant mettre en place ce que lon peut appeler la responsabilit pour rupture ou soutien abusif une entreprise en difficult.

    6. Le banquier se trouve ds lors devant un dilemme qui tient ce quon voudrait lui imposer

    vis--vis du crdit des devoirs en fait contradictoires. En effet, dun ct le banquier ne pourrait mettre fin la relation de crdit ou rduire son concours lorsque la situation gnrale de son client tend devenir moins bonne que dune manire progressive. En agissant autrement, il commettrait une faute contractuelle lgard du crdit qui pourrait lui reprocher sa brutalit si cette dcision aboutit sa cessation des paiements. Dun autre ct, le banquier naurait pas non plus la libert de maintenir les crdits lorsque lentreprise bnficiaire a cess dtre digne de crdit. Cest ici lintrt des tiers qui est en cause. Ceux qui avaient t conduits initier ou mme intensifier un mouvement daffaires avec lentreprise sur la base de lapparence de crdit ainsi cre et, par la suite, en subir les pertes seraient alors fonds en demander rparation au donneur de crdit sur la base des articles 1382 et suivants du code civil. Ainsi, en permettant la continuation dune exploitation dans des conditions artificielles, le banquier lse les autres cranciers de lentreprise qui se trouvent ainsi devant un passif sans avoir pu prendre conscience temps des difficults de leur dbiteur.

    7. Ces diffrentes mises lindex des banquiers dans loctroi du crdit ne les laisseront pas

    indiffrents. Un ensemble darguments ont alors t dvelopps pour faire chec laction du syndic agissant pour le compte de la masse des cranciers, arguments qui ont, un temps, t accueillis favorablement par la jurisprudence. On faisait notamment valoir que le syndic au nom de la masse des cranciers ne peut exercer des actions qui ne profitent pas la totalit de la masse et quil ne saurait agir contre certains cranciers composant en partie cette masse. Lirrecevabilit de laction du syndic se fondait ainsi sur deux considrations complmentaires, savoir la ncessit dun prjudice atteignant la totalit des cranciers composant la masse et la diversit des situations individuelles des cranciers au regard du prjudice rparer. Concernant la premire considration, il semble que laction ne peut tre intente au nom de la masse que si tous les cranciers ont t tromps et ont subi un prjudice, ce qui est presquimpossible. Plusieurs dcisions franaises font application de cette rgle. Ainsi, par

    30 R. Routier, La responsabilit du banquier, LGDJ. 1997, p. 5 et s, spc. p. 13. 31 Voy. C. Saint-Alary-Houin, La moralisation des procdures collectives : regards sur la jurisprudence rcente, in

    Philosophie du droit conomique, Quel dialogue ? Mlanges en lhonneur de Grard Farjat, d. Frison-Roche, 1999, p. 503 et s, p. 511 et s.

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    un arrt rendu le 9 juin 196932 par la chambre commerciale de la Cour de cassation franaise, il avait t dclare irrecevable laction exerce par le reprsentant de la masse lencontre dune banque. Celui-ci reprochait la banque davoir permis, par son comportement fautif, la prolongation artificielle de la vie commerciale du failli et laccroissement de son passif. En confortant la position des juges dappel, la Cour de cassation avait estim que ces derniers avaient us de leur pouvoir souverain dapprciation en disant que les agissements de la banque navaient pu causer un prjudice la totalit des cranciers reprsents par la masse . Dans une autre espce semblable, la mme cour de cassation avait retenu que le syndic de la faillite dun commerant na qualit pour agir en responsabilit contre un tiers dont les agissements auraient permis ce commerant dexercer ou de poursuivre une activit dommageable pour ses cranciers que si ces agissements ont t la source dun prjudice subi par tous les cranciers de la masse 33. Sagissant de la seconde considration, il est admis que les cranciers nont pas ncessairement souffert dune manire gale du comportement reproch au banquier. En effet, il importe doprer une distinction entre deux situations. La premire concerne le crancier dont le droit est n avant louverture du crdit critiqu, celui-ci ne pouvant se plaindre que de la perte dune partie de son gage. La seconde concerne le crancier dont le droit est n postrieurement louverture fautive du crdit. Celui-ci peut, au contraire, soutenir quil aurait pu chapper au prjudice subi dont il se prvaut si le crdit navait pas t accord ou avait cess temps34. Ds lors, une grande partie de la doctrine35 observe que le dommage nest pas subi uniformment par lensemble des cranciers. Cette position doctrinale se trouve tre conforte par un arrt de la chambre commerciale de la Cour de cassation franaise dans lequel il avait t jug irrecevable laction intente par les syndics car il ne leur appartenait pas dintroduire, au nom et pour lensemble des cranciers formant la masse contre (la banque), .une action en responsabilit dont lexercice individuel navait pas t suspendu et que chacun desdits cranciers, dans la mesure o il tait personnellement fond se plaindre, restait libre dintenter en vue dtre entirement indemnis de son prjudice 36.

    8. Cette position de la jurisprudence appuye par une partie de la doctrine a t svrement

    critique par un autre courant doctrinal37 qui trouvait que la position de la jurisprudence dboutant le syndic pour favoriser les actions individuelles manquait de pragmatisme. Pour ces auteurs mme si les cranciers disposent de la possibilit de se retourner

    32 Cass. Fr. com., 9 juin 1969, Bull. civ., 1969. IV. n 215 ; RTD com., 1971. p. 496. Obs. M. Cabrillac et J-L.

    Rives-Langes ; D. 1971. p. 106. 33 Cass. Com., 2 mai 1972, Banque. 1972, p. 337, Obs. L-M. Martin ; galement CA Aix-en-Provence, 2 juillet

    1970 : JCP.1971. G.II. n16686, note G. Gavalda. 34 Voy., J. Ghestin, La prophtie ralise , JCP. 1976, I, 2786, n7. 35 Voy. Notamment, J. Stoufflet, Louverture de crdit peut-elle tre source de responsabilit envers les tiers ?

    JCP, d. G., 1965, I, 1882, n13 ; R. Houin, obs. sous Cass. Com., 19 mars 1974; RTD com. 1975. p. 628 ; L.M. Martin, obs. Sous Cass. Com., 5 janvier 1973, Banque. 1973, 406 ; voy. aussi les auteurs qui soutiennent cette position et qui sont cits par J. Ghestin, La prophtie ralise , op. cit., n9.

    36 Cass. Com., 19 mars 1974, D. 1975, p. 124, note J-P. Sortais; Banque 1974, p. 645, obs. L-M. Martin. 37 J. Ghestin, La prophtie ralise , op. cit., n1 ; A. Pironovo, note sous Cass. Com., 9 juin 1969, D. 1970, p.

    106 ; Cass. Com., 19 mars 1974, D. 1975, p. 124, note J-P. Sortais.

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    individuellement contre le banquier afin dobtenir rparation de leur prjudice particulier, cela reste cependant exceptionnel dans les faits. La raison est que seul le syndic dispose des informations ncessaires pour apprcier les responsabilits encourues par les tiers, notamment les banques. En outre, la majorit des cranciers, surtout les plus faibles conomiquement, ne sont pas en mesure de supporter les consquences financires dun procs souvent long et couteux. Pour cette partie de la doctrine, lirrecevabilit de laction du syndic aboutissait, en fait, lirresponsabilit des banques. Face la pertinence de ces critiques, la Cour de cassation franaise a d reconnatre dans un arrt de principe que le syndic trouve dans les pouvoirs qui lui sont confrs par la loi qualit pour exercer une action en paiement de dommages-intrts contre toute personne, ft-elle crancire dans la masse, coupable davoir contribu, par des agissements fautifs, la diminution de lactif ou laggravation du passif 38.

    9. La responsabilit quencourt le banquier, raison du financement dune entreprise en

    difficult, peut tre pnale, disciplinaire ou civile. Mais le plus souvent, le soutien artificiel du crdit de lentreprise est simplement constitutif dune faute civile. Cest pourquoi, cette tude se limitera la responsabilit civile du banquier qui soutient abusivement son client ou qui commet un abus dans la rupture de ses concours financiers. Le soutien abusif peut tre dfini comme la faute du banquier qui, en continuant doctroyer du crdit, permet la prolongation artificielle dune activit dont la continuit tait dj compromise et contribue ainsi laugmentation du passif ou la diminution de lactif, tout en laissant paratre une fausse apparence de prosprit. La rupture abusive de crdit consiste, au contraire, fermer brusquement les ouvertures de crdit antrieurement consenties, de telle sorte prcipiter la chute financire de lentreprise, le conduisant ainsi un tat de cessation des paiements. Dans les deux cas, la faute du banquier consiste en labus dun droit et la responsabilit quil encourt est le corollaire de la libert dont il bnficie doctroyer ou de rompre ses concours financiers. Cette responsabilit est contractuelle envers le client et dlictuelle envers les tiers39.

    10. Les actions en responsabilit dlictuelle sont gnralement engages par le syndic, tent de

    se retourner contre le banquier qui reste souvent le plus solvable 40. Il nen demeure pas moins toutefois quune mise en cause systmatique de la responsabilit du banquier ne peut quavoir des effets conomiques nfastes dj trs tt dnoncs par la doctrine41. Les

    38 Com. 7 janvier 1976, Dalloz 1976. J.277. Voy galement sur cette question qui a fait couler beaucoup dencre, J.

    Ghestin, La prophtie ralise, JCP. 1976, I, 2786., J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, Prcis Dalloz, 6me d., 1995, N 651 et s. ; D. Vidal, Observations sous Com. 18 juin 1985, Crdit commercial de France c/Mme Castello, in Grands arrts du droit des affaires, Sirey, 1992, p. 374-381.

    39 Seule, cette dernire responsabilit fera lobjet de cette tude, mais il nest pas exclu que la responsabilit contractuelle soit voque titre dillustration.

    40 R. Routier, La responsabilit du banquier, op. cit., p. 5 et s, spc. p. 13. 41 J. Stoufflet, Louverture de crdit peut-elle tre source de responsabilit envers les tiers ? op. cit.

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    banquiers ont toujours mal ressenti les limites que lon pose leur libert dapprciation des risques lis aux crdits quils consentent dans la mesure o cela remet en cause ce qui semble constituer lun des fondements de lactivit bancaire et lme mme du mtier de banquier 42, dautant plus quil nexiste, dans les Etats membres de lOHADA et au Burkina Faso en particulier, que trs peu de magistrats forms la matire financire matrisant le mtier de banquier dans ses subtilits et ses contraintes quotidiennes. Le banquier ne se trouve-t-il donc pas dans une certaine inscurit judiciaire et conomique chaque fois quil offre son concours une entreprise ? Cette situation ne risque-t-elle pas damener les banques une politique restrictive, nuisible aux clients sur lesquels les pouvoirs publics comptent le plus pour animer la croissance conomique, les PME/PMI, voire les consommateurs 43 ? Toutefois, il convient de mentionner que loctroi de crdit inconsidr comporte des risques qui peuvent tre encore plus lourds de consquence pour lconomie en gnral. En effet, si le crdit est ncessaire, voire indispensable pour lentreprise, il nen demeure pas moins que celui-ci comporte des dangers lorsquil est consenti de faon inconsidre. Tel est le cas lorsque lintervention de la banque ne fait quaggraver le passif et fabrique une apparence de solvabilit trompeuse pour les cranciers qui continuent faire confiance un dbiteur dont la situation sans issue se rvle trop tard, faisant ainsi augmenter le nombre de cranciers pendant que la situation financire de lentreprise se dtriore. Ainsi, pour ne pas perturber le dispositif juridique de crdit aux entreprises, les contours de la responsabilit civile du banquier dispensateur de crdit doivent tre bien dfinis. Autrement dit, partir de conditions de fond (I) tablies, le syndic doit pouvoir engager laction en responsabilit contre le banquier dispensateur de crdit lentreprise en difficult (II).

    I. LES CONDITIONS DE FOND DE LACTION EN RESPONSABILITE DU

    BANQUIER DISPENSAEUR DE CREDIT A LENTREPRISE EN DIFFICULTE 11. Dans un arrt du 22 mars 200544, la chambre commerciale de la Cour de cassation

    franaise, cassant un arrt dappel, jugeait que les motifs retenus taient impropres faire apparatre que la banque avait ou bien pratiqu une politique de crdit ruineux pour lentreprise devant ncessairement provoquer une croissance continue et insupportable de ses charges financires, ou bien apport un soutien artificiel une entreprise dont elle connaissait ou aurait d connatre, si elle tait informe, la situation irrmdiablement compromise 45. Il ressort de cette jurisprudence deux fautes susceptibles dengager la responsabilit du banquier. En effet, soit le banquier a men la ruine lentreprise en lui consentant des crdits dont elle ne pouvait assumer le remboursement, soit il la

    42 J. Stoufflet, Retour sur la responsabilit du banquier donneur de crdit, Mlanges Cabrillac, 1999, p. 517. 43 J. Stoufflet, Retour sur la responsabilit du banquier donneur de crdit, Ibid., p. 516. 44 Cass. Com., 22 mars 2005, n03-12. 922, RTD com. 2005, p. 578, obs. D. Legeais, D. 2005, p. 1020, obs. A.

    Lienhard. 45 Voy galement, Cass. Com., 9 mai 2001, RJDA 2001, n10 et Cass. Com., 7 octobre 1997, RJDA, 1998, n1.

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    artificiellement soutenue, alors quelle tait en situation compromise. Mais ne constitue pas un comportement fautif le seul fait pour une banque daccorder un crdit de trsorerie une entreprise, avant toute activit, pour en permettre le dmarrage afin de financer son activit dachat et de revente de produits 46. Seulement, si la dtermination de la faute du banquier dispensateur de crdit est ncessaire (A), les principes de la responsabilit civile rendent tout autant indispensable la dmonstration dun prjudice (B) et dun lien de causalit (C) comme cela est prvu par les articles 1382 et suivants du Code civil.

    A. UN COMPORTEMENT FAUTIF DU BANQUIER 12. La dfinition de la faute a toujours pos quelques difficults47. Le Professeur G. Viney

    disait ce propos que les rdacteurs du Code civil ont pos aux juristes, en particulier aux tribunaux, un problme qui sest avr, par la suite redoutable, celui de la dfinition de cette fameuse notion de faute dont ils ont voulu faire sinon la seule, du moins la principale source de la responsabilit civile 48. Mais lorsque lentreprise traverse des difficults, la faute du banquier va consister soit dans loctroi abusif du crdit (1), soit dans la rupture abusive de celui-ci (2).

    1. Loctroi abusif du crdit une entreprise en situation irrmdiablement compromise 13. En faisant crdit une entreprise dont la situation est irrmdiablement compromise, le

    banquier masque la ralit, prolonge artificiellement la vie de lentreprise et diffre louverture dune procdure collective de redressement ou de liquidation des biens, ce qui conduit ncessairement augmenter les pertes de lentreprise et donc diminuer les chances des cranciers de voir leurs crances honores49. La faute est tablie ds lors que deux conditions sont remplies : la situation financire obre de lentreprise (a) et la connaissance de celle-ci par le banquier (b).

    a. Lexistence dune situation irrmdiablement compromise 14. La notion de situation irrmdiablement compromise est une notion conomique assez

    difficile cerner. Au dpart, les juges, afin dapprcier la faute du banquier, se fondaient

    46 Cass. Com., 22 mars 2005, X. c/SA Crdit Lyonnais, Bull. Joly Socits, 1er novembre 2005, n11, p. 1213, note

    F-X. Lucas. 47 Plusieurs dfinitions de la faute ont t proposes. Pour Planiol, la faute est un manquement une obligation

    prexistante. Quand lobligation nest pas dtermine, cette dfinition est dun intrt limite. Une autre dfinition classique considre comme faute tout fait illicite imputable son auteur, cest--dire que celui qui agit conformment la loi ne commet pas de faute. Mais la dfinition ne dit pas quant est-ce il y a faute (les juristes suisses rclament la suppression du mot illicite et le retour la faute). Pour les frres Mazeaud (Leons de Droit civil, p. 378), la faute est une erreur ou une dfaillance de conduite telle quelle naurait pas t commise par une personne avise, place dans les mmes circonstances externes que le dfendeur. Cette dfinition parat embrasser les diffrentes catgories de faute. En France, lavant-projet Catala de rforme du Code civil reprend en substance cette dfinition lorsquil retient que : constitue une faute la violation dune rgle de conduite impose par la loi ou un rglement ou le manquement au devoir gnral de prudence et de diligence (art. 1352, al. 2).

    48 G. Viney, Trait de droit civil, les obligations, la responsabilit : conditions, T. IV, Paris, LGDJ, 1982, p. 527. 49 Cass. Com., 17 mars 2004, CRD Finance c/Causette Rey, Jurisdata n023168 ; Cass. Com., 22 mai 2001; RD

    Bancaire et fin. Sept.-Oct. 2001, p. 282, Obs. Crdot et Grard.

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    sur la notion de cessation des paiements50 , de sorte que si un crdit avait t octroy une entreprise en tat de cessation des paiements, le banquier tait susceptible dtre condamn pour soutien abusif. La situation irrmdiablement compromise se caractriserait selon un auteur par la situation dune entreprise dans lincapacit, faute de perspectives commerciales et/ou de gestion srieuses et ralistes, de maintenir ou de rtablir son quilibre financier sans tre contrainte de se soumettre une procdure collective 51. Le banquier commettait donc une faute si lactivit de lentreprise quil persiste soutenir en lui renouvelant ou en augmentant les concours prsente des signes vidents et irrversibles de dclin, c'est--dire si la poursuite de lactivit sinscrit dans le cadre de difficults insurmontables ne pouvant objectivement aboutir un redressement conomique 52.

    Lapprciation de la faute sest affine par la suite, se dtachant de la notion de cessation des paiements au profit de celle de situation irrmdiablement compromise , de situation sans issue , de situation dsespre ou encore de situation dfinitivement compromise . Mais, malgr la diversit des termes employs par la jurisprudence et la doctrine, la situation irrmdiablement compromise ne saurait recouvrir le cas de la situation simplement difficile , dans la mesure o lune des fonctions essentielles des banques est de permettre aux entreprises de franchir certains caps53. En outre, cette hypothse ne se prsente pas lorsque le dbiteur subit simplement une insuffisance de trsorerie, mme grave et prolonge54, ou sest vu consentir un crdit dune certaine importance55. La situation nest pas non plus dsespre lorsque les pouvoirs publics soutiennent un plan de redressement56. Lhypothse de situation irrmdiablement compromise nest pas galement confondre avec la cessation des paiements qui signifie quil est impossible pour lentreprise de faire face au passif exigible avec lactif disponible57. En effet, la jurisprudence admet la faute du banquier pour loctroi du crdit non seulement aprs la cessation des paiements, mais aussi avant cet tat58. Par exemple, lentreprise sera en situation irrmdiablement compromise mais pas en tat de cessation des paiements si elle dispose temporairement dun actif suffisant pouvant lui permettre de faire face au passif exigible et surtout exig 59. Autrement dit, le concours est

    50 Cass. Com., 13 janvier 1987, n85-17.056, Bull. civ. IV, n8, p. 5, RTD com. 1987, p. 229, n2, obs. M.

    Cabrillac et B. Teyssi. 51 P. Bouteiller, Responsabilit du banquier, Jurisclasseur Banque Crdit Bourse, fasc. 520, n37. 52 Ibid., n13 ; Voy., aussi, R. Routier, La responsabilit du banquier, op. cit., 112-53, p. 57. 53 Cass. Com., 22 fvrier 1994, n92-11.453, Bull. civ. IV, n73, p. 56; Cass.com., 1er fvrier 1994, n91-19.430,

    Bull. civ. IV, n39, p. 31, JCP. E 1995, I, n465, p. 228, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet. 54 Cass. Com., 19 janvier 1983, Bull. civ. IV, n22, p. 16. 55 Cass. Com., 12 janvier 1992, RJDA 1993, n3, p. 213. 56 Cass. Com., 9 novembre 1993, Bull. civ. IV, n384, p. 279; CA Rouen, 22 avril 1999, Regamat c/BNP, Banque

    et droit 1999, n68, p. 63, obs. J-L. Guillot. 57 Voy. article 25 de lActe uniforme portant organisation des procdures collectives dapurement du passif adopt

    Libreville au Gabon le 10 avril 1998, publi au Journal officiel de lOHADA n7 du 1er juillet 1998, p. 1 et s. Il est entr en vigueur le 1er janvier 1999.

    58 Cass. Com., 22 juillet 1986, Bull. Civ. IV, n171, p. 146; Cass. Com., 23 fvrier 1982, Bull. civ. IV, n67, p. 57. 59 G-A. Likillimba, Le soutien abusif dune entreprise en difficult, Prface de J. Mestre, Bibliothque de droit de

    lentreprise, Litec, 2me d. 2001, p. 134, n133.

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    lgitime si lentreprise a, grce lui, des chances de se redresser et il ne lest pas si la liquidation est invitable 60.

    Force est donc de constater que la jurisprudence sattache distinguer une situation irrmdiablement compromise de la situation difficile ayant des chances dtre surmonte, afin de permettre aux juges dapprcier la faute du banquier. Cette faute existe lorsque la situation de lentreprise est dsespre au moment du soutien bancaire. Ainsi la responsabilit de la banque sapprcie-t-elle en fonction de la situation apparente du bnficiaire du crdit au moment de son octroi, et non en fonction de lvolution ultrieure de la situation ou de la situation relle qui se rvle, aprs coup, louverture de la procdure collective. Lapprciation semble donc dlicate pour les juges du fond qui, avec, le cas chant, laide experts, doivent se livrer un pronostic rtrospectif pour se demander si, au moment o le crdit a t accord, lentreprise tait en mesure de se redresser. Qu cela ne tienne, le banquier ne sera tenu responsable que sil avait connaissance de la situation de lentreprise.

    b. La connaissance par le banquier de la situation irrmdiablement compromise 15. Il nest pas simple dtablir la connaissance par le banquier de la situation

    irrmdiablement compromise de lentreprise. On la souvent fond sur des rgles dontologiques qui simposent au banquier. En effet, en tant que professionnel, le banquier doit chercher se protger. Lexercice de lactivit bancaire nest pas sans risques. Les oprations bancaires sont parfois effectues au dtriment dun client de la banque, de ltablissement de crdit et mme dun tiers. Ces risques justifient que le banquier ait une mission de contrle des oprations quil excute la demande de ses clients. On parle de devoir de vigilance61 ou dobligation de surveillance et de prudence.

    Les obligations du banquier au titre de ce devoir de vigilance rsultent de la jurisprudence et des textes qui prvoient des obligations ponctuelles, comme celles de sassurer, au moment de nouer une relation ou dassister la prparation ou la ralisation dune transaction, de lidentit du client62, de la dtection des oprations suspectes63 et du suivi des oprations atypiques64. Le devoir de vigilance peut rsulter aussi de recommandations formules par lautorit de contrle. Ainsi, une banque qui recourt un rseau dagents

    60 Lamy, Droit du financement 2007, voy. Responsabilit du banquier dispensateur de crdit , n 2937 in fine. 61 On pourrait dfinir le devoir de vigilance comme le devoir pour le banquier de surveiller les intrts dont il a la

    charge, quil sagisse de ceux de ses clients ou de ceux des tiers. Il dsigne lobligation pour le banquier de dcouvrir, parmi les oprations quon lui demande de traiter, celles qui prsentent une anomalie apparente et, en prsence dune telle anomalie, de tout mettre en uvre pour viter le prjudice qui rsulterait pour le client ou pour un tiers de la ralisation de cette opration ; pour plus dinformations, voy. notamment, F. Boucard, Les obligations dinformation et de conseil du banquier, Presses Universitaires dAix-Marseille, 2002, p. 119 ; F. Boucard, Les devoirs gnraux du banquier, Jurisclasseur commercial, fasc. 343, n1.

    62 Article 4 de linstruction CEDEAO n01/2007/RB du 02 Juillet 2007 relative la lutte contre le blanchiment de capitaux au sein des organismes financiers.

    63 Article 6 de linstruction CEDEAO n01/2007/RB du 02 Juillet 2007 , op. cit. 64Lige, 26 mai 2003, R.D.C., 2005, p. 195, obs. J.P. Buyle et M. Delierneux.

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    indpendants se doit dassurer une surveillance vigilante des intermdiaires commerciaux quelle mandate65.

    16. Lorsque le banquier dcle une anomalie apparente, il doit tout mettre en uvre pour

    quaucun prjudice ne soit subi, ni par son cocontractant ni par le tiers. Dans certains cas, le banquier doit procder des investigations supplmentaires pour ragir adquatement une situation spcifique. Une raction adquate peut consister en un refus dexcuter lopration. A cet gard, une simple information ou un conseil peut suffire. A dfaut dune telle initiative, la banque peut engager sa responsabilit. Si le banquier ne dcouvre pas danomalie apparente, il ne peut engager sa responsabilit, sauf drogation lgale. Si lanomalie nest pas apparente, le banquier ne peut tre tenu responsable du dommage qui sest produit. La victime en supportera les consquences66.

    Il existe certaines circonstances dans lesquelles la situation du client ne peut tre lgitimement ignore du banquier, notamment, lorsque ce dernier dtient une participation au capital de la socit bnficiaire. On prsume alors, que le banquier a toute latitude pour accder aux informations. Pour autant, si la banque est extrieure lentreprise, elle ne peut soutenir quelle ignorait la situation relle. En effet, tenue dune obligation de vigilance, elle doit sinformer sur la situation du client en prenant divers types de renseignements sur ses capacits financires ou lvolution de ses affaires67. Par exemple, le banquier peut commettre une faute en nexigeant pas que les documents soient certifis68 ou, encore, en ne prenant pas connaissance du rapport tabli par le commissaire aux comptes, avant daccorder son soutien ou de le conforter.

    17. Si sur cette question de connaissance de la situation irrmdiablement compromise et mme

    du problme central de la responsabilit civile du banquier dispensateur de crdit, les exemples abondent dans la jurisprudence franaise69, il nen est pas de mme au Burkina Faso o les juridictions connaissent rarement de la question70. Les causes de cette quasi-absence de jurisprudence au Burkina Faso peuvent tre recherches, principalement au niveau des clients du banquier mais ce dernier nest pas du tout exempt de reproches.

    65 F. Boucard, Les obligations dinformation et de conseil du banquier, op. cit. 66 F. Boucard, Les obligations dinformation et de conseil du banquier, op. cit. 67 Voy., Rodire et Rives-Langes, Droit bancaire, Prcis Dalloz, 3me d., 1980, p. 465 et s. Ces auteurs prcisent

    que psent sur le banquier un devoir de discernement, un devoir de sinformer et un devoir de surveillance. 68 Voy. Cass. Com., 22 mai 1985, RTD. Com, 1985, p. 801. Dans cette dcision, la Cour a jug que bien

    quaucune obligation lgale nastreigne le banquier dispensateur de crdit se faire prsenter le bilan certifi de lentreprise cliente, il commet une faute en ne lexigeant pas, de nature engager sa responsabilit .

    69 Voy., les dveloppements prcdents. 70 La question de la responsabilit du banquier a t connue par le TPI de Ouagadougou dans un jugement en date

    du 13 juin 1984 dans laffaire de la liquidation de la socit SAFI o le syndic a engag une action en responsabilit contre des banques pour soutien abusif. Le syndic reprochait principalement aux banques davoir, malgr la connaissance quelles avaient des graves difficults de la socit, accord inconsidrment des crdits la SAFI. Elles nont tenu compte ni des possibilits de la socit ni de la rglementation bancaire en vigueur qui limite les concours quune banque peut accorder une mme entreprise.

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    En effet, malgr les efforts rcents en faveur de la bancarisation, la profession de banquier reste encore mystrieuse pour beaucoup de clients. En effet, beaucoup se plaignent des conditions quon leur impose pour lobtention de concours. Le taux lev du crdit, les dlais de mise en place des fonds, limportance des srets exiges sont le plus souvent voqus. Il ne semble pas non plus exister de discussion franche entre le banquier et son client qui dispose de peu de connaissances sur les exigences du domaine bancaire. Le banquier exerce trs peu son rle de conseiller du client. Pire, il accepte son ignorance et tente de lexploiter son profit. Or, il devrait bien clairer le client sur ses droits et devoirs, pour lamener contracter en toute connaissance de cause. Le handicap majeur des clients se trouve aussi dans lanalphabtisme de la plupart dentre eux. Les textes de lois, tant de droit commun que de droit bancaire, sont souvent ignors, ce qui met le banquier toujours en position de force vis--vis du client. Conscients de cette faiblesse, les clients se refusent, bien souvent, malgr la dconfiture de leurs affaires rechercher une quelconque faute de leur banquier. Cette peur peut se justifier dans la mesure o le banquier reste le seul recours des oprateurs conomiques et engager la responsabilit dune banque peut crer une certaine mfiance de la part des autres qui sont encore en nombre limits au Burkina Faso. Toutefois, dans un arrt rcent, la Cour dappel de Ouagadougou a eu condamner une banque payer des dommages et intrts pour rparer ses fautes contractuelles parce quelle a refus de mettre en place le crdit quelle stait librement engage mettre la disposition de la socit EROH suivant attestation du 10 septembre 2002, lui faisant perdre un march et subir des pnalits sans oublier le prjudice moral et conomique rsultant de la saisie de ses comptes pour une prtendue crance qui nexiste pas 71. Qu cela ne tienne et pour revenir la question de la connaissance de la situation irrmdiablement compromise, on retient que, dans son principe, le banquier qui accorde un crdit doit faire attention ne pas permettre une personne dentreprendre une activit ou de raliser une opration draisonnable. Il doit viter de crer ou de contribuer crer une apparence de prosprit trompeuse son client en lui octroyant un crdit quil ne mrite pas. Le banquier ne peut pas aider une personne continuer des activits irrmdiablement dficitaires en maintenant indment son concours. Le banquier a un devoir de vigilance qui consiste en une obligation dinvestigation qui varie en fonction de la nature et de limportance du crdit et de la taille et donc des moyens du banquier72. Son obligation de surveillance dpend en outre de la nature de lentreprise, de ltendue des risques courus et lvolution de laffaire73. Le banquier nassume cependant quune obligation de moyens en

    71 Cour dappel de Ouagadougou, arrt n105 du 18 mai 2007, EROH c/ BIB. On notera toutefois que cet arrt,

    dans le cadre dune procdure en rvision a t rtract par la mme Cour dappel dans son arrt n036 du 02 avril 2010 aux motifs que les dclarations mensongres de la part dEROH constitutives de fraudes tant au niveau de la date de lenrlement de laffaire que des causes de la rsiliation du contrat EROH-CENAGREF ont tromp la religion des premiers juges dappel .

    72 Com. Bruxelles, 12 septembre 2000, R.D.C., 2001, p. 787, note J.P. Buyle et M. Delierneux ; C.S.J. Luxembourg, 23 mai 2001, D.A.O.R., 2003/66, p. 62.

    73 Mons, 20 septembre 1999, J.L.M.B., p. 1688.

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    ce qui concerne la rcolte des informations auprs du contractant potentiel. Si le dispensateur de crdit doit vrifier, dans une certaine mesure, les donnes que le client lui communique, il doit faire confiance en la justesse des donnes, informations et pices qui lui sont remises par celui-ci. Il nest pas tenu de faire des investigations supplmentaires qui porteraient atteinte la vie prive de lemprunteur