SAMEDI 31 DÉCEMBRE 2011 L'EXPRESS

SOCIÉTÉ ?

ROMAN Lauréate d’un concours littéraire, Valentina D’Urbano signeun premier livre fracassant, mu par une formidable «furia italiana».

Cauchemar à l’italiennePHILIPPE VILLARD

Un style simple, direct, un pro-pos sec, des mots qui claquent,une réalité crue. Une histoireraide qui brûle le gosier commeune gnôle frelatée, des senti-ments violents qui remuent lestripes, qui font saigner du nez,que l’on se prend dans la gueulecomme un sale gnon et qui lais-sent KO debout. Tel est «Lebruit de tes pas», ce premier ro-man italien furieux et bien lé-ché, à l’encrecrachéecommeunvenin par Valentina D’Urbano.Cruelle et sans fard, elle an-nonce d’ailleurs dès l’incipitque, «Même le dernier des mina-

bles a besoin d’une histoire».Valentina D’Urbano convoque

sous sa plumeune Italie d’avant-hier.UneItalieunrienplombée,celle des décennies 1970-1980,débarrassée de tout cliché fol-klorique. Avec elle, Rome a dé-serté la dolce vita et le rêve felli-nien pour devenir quelquechosecomme lepire cauchemarde Ken Loach.Coincés dans le béton lézardé

de«laForteresse», unebanlieuemaudite et recluse, ses person-nages en déshérence, relégués,asociaux, drogués, alcooliques,violents, squatters, disoccupatide tout acabit subissent et fontsubir lesmauvais coupsde la vie.

Aimants maudits

C’est sur ce fumier urbainqu’elle fait germer Béatrice etAlfredo, fleurs fascinantes et fra-giles. Issues de familles différen-tes, la première unie, l’autre vio-lente. Et dans cet universsauvage, ces deux plantes grim-pantes vont se tutorermutuelle-mentdans l’étayaged’une identi-té complexe où les sentimentsdoivent se frayer un chemin

abrupt. Ils sont l’un avec l’autre,ils sont l’un pour l’autre, ils ontdu mal à être l’un sans l’autre.

Dans leur milieu, on les sait dif-férentsetonreconnaît leurdiffé-rence en les surnommant «les

jumeaux». Rétifs et rebelles, ai-mants maudits, leurs polaritéss’attirent et se repoussent selon

les attractions de la vie. Enn’ayant de cesse de se demandersi un meilleur ami peut être ungrand amour, Valentina d’Urba-no noue une sorte de tragédiequi mixe les rapports fraternelset le sentiment amoureux, lesrapports amoureux et le senti-ment fraternel. Ce premier ro-man venu de nulle part s’avèreune des pépites de la rentrée lit-téraire. C’est un lamento som-bre et hargneux, une mélopéefuneste et ténébreuse, un «NoFuture» au pays du «Sole mio».«Le bruit de tes pas» est un opé-ra électrique comme la ville,punk et rageur, aux accords dis-sonants, aux voix éraillées, auchœur déjanté, dont la dernièrenote vrille le cœur et les tym-pansd’une stridenceaiguëetdé-chirante. Bien après le silencedesmots.£

FEMMES DE CHOC

Bien que très différent et disposantde sa propre identité artistique, le li-vre de Valentina D’Urbano n’est passans faire penser au superbe romande Silvia Avallone, «D’acier», sorti en2011. Même Italie plus ou moinslumpen-prolétaire, même désespoirurbain, même violence sociale,même recherche désespéréed’amour. Si l’on ajoute à la productionde ces jeunes femmes de choc, leslivres d’un Enrico Remmert, parexemple, on pourrait voir s’esquis-ser une sorte de «nouvelle vague»littéraire soucieuse d’investir lechamp social…

●«Six hommes hissaient le cercueil d’Alfredosur leurs épaules. Six hommes pour un petit conqui ne pesait pas plus de cinquante kilos».VALENTINA D’URBANO DANS LE BRUIT DE TES PAS

SP

Lire:

«Le bruit de tes pas»,Valentina D’Urbano,Editions Philippe Rey,238 pages. En librairiele 5 septembre.

INFO+

Valentina D'UrbanoPour Le Bruit de tes pas

Philippe Rey

ParCharlêne Busalli

Librairie du Tramway

[Lyon)

Ala vieà la mortÀ seulement 28ans, la jeune illustratrice delivres pour enfants Valentina D'Urbanocompose un premier roman d'une force

éblouissante, servi par une poésie tout enretenue. Le Bruit de tes pas est sans aucundoute l'un des livres les plus bouleversantsde la rentrée!

«Ici, tout a un surnom. L'église, c'est la Pagode. Le quartier,c'est la Forteresse. Et nous, on était les jumeaux. » C'esr ainsique Béatrice, la narratrice, présente en quelques mots les lieuxet les protagonistes de la tragédie des temps modernes que lelecteur s'apprête à découvrir.Lelivre s'ouvre un 24JUU11987surl'enterrement d'Alfredo,celui-là même que tout le monde considérait comme le jumeau de Béatrice Lasuite du roman racontecette enfance à deux, l'enfance de deux presque frère et sceur.jusqu'à ce que l'adolescence fasse naître chez ces deux gaminsdes sentiments beaucoup plus complexes. Pas facile de grandirdans une banlieue de béton de l'Italie des années de plomb, sansun sou en poche, en ayant à faire face aux fléaux du quotidienque sont l'alcool, la brutalité parentale et la drogue. Béatrice etAlfredo en feront les frais.

Valentina D'Urbano donne vie à des personnages plus attachants les uns que les autres, avecleurs défautset leurs faiblesses.Ce sont d'abord les parents de Béatrice, qui accueillent Alfredochez eux comme s'il était leur propre fils. Il ya aussi son frère,Francesco. et sa meilleure amie. Arianna, qui tombent amoureux presque malgréeux Et puisil ya le père d'Alfredo,alcooliqueviolentqui bat ses trois filsdepuis la mortde sa femmeet quifinira par en payer le prix. Le roman déploie la fresque vivante d'un

| quartier fermé sur lui-même, qui semble ignorer le reste du payset que le reste du pays ignore. Mais c'est avant tout la colère de

l Béatricequi donne sa force au roman. Colèred'éprouver un atta-

| chementviscéral à «ce quartier infectd'immeubles délabrés et derues poussiéreuses à l'asphalte dévoré par les ans», un quartier

| auquel elle n'arrivepas à se soustraireet qui semble la condamnerà une vie de misère. Colèreaussi de ne pouvoirmaîtriser des sen

timents quila font se sentir prisonnière d'une viedont ellene veutpas. Colèrede n'avoirjamais réellement su dire cequ'elle éprouvait à la personne qu'elle aimaitpourtant le plus au monde. Colèreenfin de n'avoir pas su rendre Alfredoheureux, pas même assezpour qu'il resteen vie.

Malgré les apparences, ce n'est pas une lente descente auxenfers que Valentina D'Urbano décrit. L'auteure laisse plutôtentendre la voixd'une jeune fillequi ne renonce pas, malgrétout.Car si l'on est tenté de verser quelques larmes à la lecture de celivre, c'est avant tout l'image de battante de Béatrice qui reste àl'esprit. Loinde se laisser aller au désespoir, lajeune fillegarde-ratoujours sa rage de vivre.Lacolèrequ'elle ressent n'est pas unecolère dévastatrice,elle est simplement cequi l'empêche de sombrer dans la culpabilitéet ledésespoir.

LeBruit de tes pas est un livre coup de poing magnifiquementécrit et à la portée universelle.On se doitd'ailleurs de saluerle remarquable travail de traduction de Nathalie Bauer, qui asu transcrire la puissance poétique du texte original dans notrelangue,m

TV

Lebruil iif In pu

Valentina D'UrbanoLe Bruit de tes pasTraduit de l'italienpar Nathalie BauerPhilippe Rey240p., 191

»LuS:conseillé parM. MichaudLtb.Cibert Joseph(Poitiers)E. BonnetLib. Maisondu livreCRodez)A.CrandjouanCulture etBibliothèquepour Tous<Nantes)

Tous droits de reproduction réservés

Date : 01/08/2013Pays : FRANCEPage(s) : 132Diffusion : (110000)Périodicité : BimestrielSurface : 99 %

EDITIONS PHILIPPE REY

QENI&Ê DU LIVRE

Les inséparablesAlfredo et Béatrice ont grandidans une banlieue sordideitaliennedans les années 1970. Ilsse sont rapprochés et sont devenus« les jumeaux », inséparablesfrèreet sœur ennemis,incapablesdes'avouer amoureux.Pour Béatrice,Alfredo incarne la cité qu'elle veutfuir, mais elle ne peut pasvivresans lui. Quand il sombre dansla drogue, Béatrice se bat pour lesauver. ValentinaD'Urbano inscritson premier roman dans la cité oùelle a grandi. Sa tragédie d'amour,empreinte d'une rage émue,est àfaire pleurer les pierres et le béton.

Le Bruit de tes pas,de Valentina D'Urbano,Philippe Rey, 240 p., 19 C.

Tous droits de reproduction réservés

Date : 01/09/2013Pays : FRANCEPage(s) : 39Périodicité : MensuelSurface : 8 %

EDITIONS PHILIPPE REY

19

Lecture - cine - théâtre

Merde à la dépriMeLe célèbre publicitaire Jacques Séguéla part en guerre contre la morosité qui ronge notre société secouée par la crise. Dans "Merde à La dépriMe", Jacques Séguéla traite entre autres sujets de "déprime collective et bonheur égoïste ou des politiques passés du seuil d'impopularité au seuil d'incompatibilité". il liste aussi en 176 pages, les nombreux motifs de satisfaction décelables dans la société française. Aux Editions Gawsewitch, 14,90 €

le bruit de tes pas, le premier roman de l'italienne Valentina d'UrbanoEn 1974 dans "La Forteresse", une banlieue de rome, grandissent Béatrice et alfredo : elle, issue d'une famille pauvre mais unie, qui tente de se construire une vie digne ; lui, élevé avec ses deux frères par un père alcoolique et brutal. presque malgré eux, ils deviennent bientôt inséparables au point de s'attirer le surnom de "jumeaux".

Le bruit de tes pas est le récit de ces qu inze années d'amitié, d'amour mais aussi de haine qui se tisse entre les deux jeunes gens. Sortie le 5 septembre aux éditions Philippe Rey - 240 p, 19 €

Jade et les sacrés Mystères de la vie - François GaragnonJade est une petite fille irrésistible par sa fraîcheur inventive et son esprit d’émerveillement. dans la lignée du petit prince et de Jonathan Livingston le Goéland, ellenous amène à une connaissance de l’essentiel et à une redécouverte du sens de la vie, dans un esprit poétique et enthousiaste. Un conte philosophique qui regorge de saveur, de joie et d’humour.Aux éditions J’ai Lu - 5,80 €

little Joséphine, les auteurs : Valérie Villieu et Raphaël Sarfati « Je suis comme un bout de bois, je regarde le ciel, les nuages et je ne sens rien » m’a dit un jour une patiente. Je suis infirmière à domicile et Joséphine fait partie de ces rencontres importantes de ma vie. L’humour était notre langage, notre terrain de jeu et notre lien…. c’est cette aventure éminemment humaine que Valérie Villieu, infirmière, a demandé à l’auteur de bandes dessinées raphaël Sarfati de mettre en images. emouvant et riche en questionnements.Bande dessinée - La boîte à bulles - 17 €

la silencieuse d’Ariane Schréder - romanc’est dans une grande maison isolée au bord d’un fleuve que clara vient se réfugier après une rupture amoureuse…. Là, murer dans le silence, elle passe des journées entières dans son atelier, à sculpter des mobiles. peu à peu, elle s’ouvre au monde et sympathise avec différents personnages, elle prend son temps et regarde les autres... Un retour aux sources où elle abandonne quelques illusions, mais la vie renaît et les projets se créent. un roman tendre et poétique.Aux éditions Philippe Rey - 208 pages - 11.99 €

> Michael Kohlhaas D’Arnaud des Pallières Sortie le 14 août 2013dans un film en costumes de la France du XVi° siècle, Michael Kohlhaas est un marchand de chevaux

prospère qui, confronté à une injustice flagrante, se rebelle contre un ordre corrompu. Lorsque deux de ses chevaux sont interceptés par un petit noble, il lève une armée et mène bataille jusqu’à obtenir justice. en adaptant un roman de Kleist publié en 1808, Arnaud des pallières rend le sujet contemporain sur l’abus de pouvoir. tourné dans de magnifiques paysages des cévennes, ce film, quelque peu austère, accorde à la nature une place prépondérante. Raide et droit comme la justice, Mads Mikkelsen est époustouflant dans le rôle-titre et tous les seconds rôles sont parfaits : denis Lavant, Sergi Lopez, Roxane Duran, Bruno Ganz, Amira Casar...

> les apaches De Thierry de Peretti Sortie le 14 août 2013Dans le sud de la Corse, tandis que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les

clubs, un petit groupe d’adolescents de milieu modeste pénètrent dans une luxueuse villa pour y passer la nuit et voler quelques objets sans valeur. et aussi des fusils de collection, d’où une confrontation avec la mafia du coin. dans ce film efficace et dérangeant, thierry de peretti, enfant du pays déjà distingué par ses courts-métrages, met en évidence les contradictions de la corse d’aujourd’hui. il montre l’envers de la carte postale d’une île aux abords de ville affreux et aux zones industrielles envahissantes. avec de jeunes acteurs très bien dirigés, Les Apaches décrit une certaine réalité de l’île.

> Jeune et Jolie De François Ozon Sortie le 21 août 2013Le film est divisé en quatre chapitres qui représentent les saisons ponctuées de délicates chansons de

Françoise hardy. c’est l’été, Léa, 17 ans, passe ses vacances en famille au bord de la mer et découvre sa sexualité en même temps que la possibilité d’en faire commerce. réalisant une de ses oeuvres les plus abouties, mais comme toujours très lisse, François Ozon semble avoir été fasciné par son interprète qu’il piste sans la lâcher. il faut dire que Jeune et Jolie révèle une formidable actrice dont on reparlera, Marine Vacth. cette nouvelle venue au cinéma a un précieux talent et une photogénie magnétique qui semble tout dévorer : espace, lumière, écran.

par camille Morgan et caroline Boudet-Lefort

Le théâtre de la Mer Jean Marais à Golfe-Juan, propose une merveilleuse soirée avec trois ballets majeurs du danseur et chorégraphe Maurice Béjart. depuis la mort du grand maître, en 2007, Gil roman, un de ses principaux danseurs, a repris la direction artistique des Béjart Ballets Lausanne et veille à prolonger l’élan du célèbre chorégraphe.Béjart, grand ami de Barbara, aimait ses chansons

au point de les mettre en danse. pour cette chorégraphie de près d’une heure toute en nostalgie, la musique et les voix de Barbara et Brel

sont magnifiées par les mouvements étourdissants des danseurs.Sur une musique traditionnelle de l’inde, Bhakti propose une transcription dansée du célèbre ramayana, immense poème sur les dieux hindous qui sert de base dans toute la culture de cette partie du globe. Le Boléro est comme une spirale, une force

centrifuge. La transe de ce Boléro devient vite addictive avec un extraordinaire pouvoir d’envoûtement. Maurice Béjart a cherché au plus profond des rythmes de la musique de ravel. cette phrase unique lancée dans un souffle comme un cri de souffrance ou une requête insistante qui soutient ce cri jusqu’à l’insupportable. avec un mélange indéfinissable de conviction et d’audace, le chorégraphe a révolutionné la danse et a souvent été imité, ce qu’il n’aimait d’ailleurs pas, car, disait-il, chacun doit être lui-même.

Littérature étrangère

Bejart Ballet Lausanne