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Régulation paR contRat
Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series
Frédéric Marty
GREDEG WP No. 2015-10http://www.gredeg.cnrs.fr/working-papers.html
Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs.
The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).
Régulation par contrat
Frédéric MARTY
Chargé de recherche CNRS
CNRS – GREDEG, Université Nice Sophia Antipolis
GREDEG Working Paper No. 2015-10
Résumé :
La régulation par contrat est souvent présentée comme une alternative à une régulation externe
passant par une autorité sectorielle indépendante. Le propos de ce texte est de présenter les
avantages et les inconvénients de ces deux modes de régulation et d’insister sur leur
complémentarité.
Mots clés : régulation par contrat, contrats incomplets, défaillances de la réglementation,
opportunisme
Abstract:
Regulation by contract is often presented as an alternative to an external regulation implemented
by an independent sector-specific regulator. The purpose of this short paper is to confront the pros
and the cons of each model and to insist on their complementarity.
Keywords: regulation by contract, incomplete contracts, regulation failures, opportunism
JEL Codes: K20, L51
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Les infrastructures essentielles supports de service public revêtent souvent le caractère de
monopoles naturels. L’efficacité économique prescrit, en pareilles situations, qu’une firme unique
soit en charge de la fourniture du service. Cependant, pour reprendre l’image proposée par Milton
Friedman (1962), ces spécificités techniques font qu’il devient nécessaire de choisir entre trois
maux : le monopole privé, le monopole public et la régulation publique. Ce court article de synthèse
présente successivement la nécessité de réguler l’entreprise en charge de la gestion d’une
infrastructure essentielle par un régulateur extérieur et les possibles effets non désirés d’une telle
régulation (I) et les conditions de mise en œuvre d’une régulation par le contrat, laquelle doit
préserver une place subsidiaire à ce même régulateur (II).
I. NÉCESSITÉ ET LIMITES D’UN CONTRÔLE DES OPÉRATEURS DE
FACILITÉS ESSENTIELLES PAR UN RÉGULATEUR INDÉPENDANT
Des incitations à l’efficacité s’exercent certes sur le monopole privé mais ce dernier se traduit
par une confiscation d’une partie du surplus du consommateur par le producteur et par une perte
sèche pour l’ensemble de l’économie. En effet, la hausse des prix par rapport au prix d’équilibre de
concurrence pure et parfaite se traduit par une réduction des quantités produites. Ce double
phénomène de hausse des prix et d’exclusion d’une partie des consommateurs les moins solvables
ne peut être acceptable pour un service public essentiel. De plus la solution du monopole privé
suppose que les pouvoirs publics renoncent à tout contrôle sur les décisions relatives aux prix, à la
qualité et aux spécifications du service, ainsi qu’aux investissements. La solution symétrique, celle
du monopole public, peut également s’avérer sous-optimale. La gestion publique peut s’avérer
moins efficiente que la gestion privée. Une première raison tient dans la nature des incitations. Le
manager public ne peut s’approprier tout ou partie des gains de productivité comme le ferait son
homologue privé. Une seconde raison au fait que l’opérateur public puisse ne pas bénéficier de
l’expérience et des savoir-faire accumulés par le privé sur d’autres marchés. Une solution
intermédiaire (nous écartons ici celle d’une co-entreprise public-privé), celle du monopole privé
sous régulation publique peut donc constituer un compromis. Encore faut-il déterminer la façon
de sélectionner l’opérateur en charge de l’exploitation (et éventuellement de la construction) de
l’infrastructure et les modalités de sa rémunération et de son contrôle.
L’attribution du contrat de concession ou du contrat de partenariat au travers d’un processus
concurrentiel est une étape essentielle. Dans la mesure où la concurrence dans le marché est
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impossible, seule une concurrence pour le marché peut être mise en œuvre. Si celle-ci a pu apparaître
comme suffisante pour conduire à un équilibre de concurrence pure et parfaite (Demsetz, 1968), il
n’en demeure pas moins que le contrat de long terme qui découle de ce processus d’enchères
concurrentielles nécessite une régulation publique. Celle-ci est la conséquence du caractère
intrinsèquement incomplet du contrat. Il est en effet impossible de spécifier ex ante les actions de
chaque partie dans toutes les circonstances futures possibles. Chaque contractant est donc exposé
à des comportements opportunistes en cours d’exécution du contrat.
Une fois le contrat attribué, deux types de régulation tarifaires sont envisageables. La première
est un modèle de remboursements de coûts (avec un taux de rémunération garanti des capitaux
investis). Ce modèle permet de limiter la marge du contractant mais suppose des coûts de contrôle
et n’est que très faiblement incitatif dans la mesure où les gains de productivités réalisés se
traduisent par de moindres paiements. Le second type de régulation tarifaire correspond à un
schéma de prix plafond. Dans la mesure où le paiement n’est plus relié aux coûts, le contractant
est incité à être le plus efficace possible. Cependant, cela signifie que la personne publique lui
permet de dégager une marge d’autant plus importante que l’asymétrie d’information est élevée tant
quant à ses coûts initiaux que quant à sa capacité à dégager des gains de productivité en cours de
contrat. On parle alors d’abandon de rentes informationnelles (Laffont et Tirole, 1993). Le
contractant public n’aura certes plus à contrôler les coûts de son contractant mais il devra accepter
que son partenaire dégage une marge potentiellement élevée, ce qui peut être dénoncé comme une
défaillance de la régulation. Ainsi, si la personne publique veut limiter la marge réalisée par son
contractant dans le cadre de la fourniture du service public, elle va devoir supporter des coûts de
contrôle d’autant plus élevés que le service sera complexe (Moszoro, 2014).
La régulation publique peut, en outre, susciter des effets non désirés (Levy et Spiller, 1994).Nous
avons noté que tout contrat de long terme est incomplet par nature et est donc exposé au risque
de hold-up contractuel. La partie qui a réalisé les investissements spécifiques, par exemple la
construction de l’infrastructure support du service, se place dans une situation d’otage. En cas de
comportement opportuniste de l’autre contractant, elle subirait des coûts très élevés. En effet ses
actifs ne sont pas redéployables dans d’autres transactions. Dans des transactions purement privées
des structures de gouvernance ad hoc et une approche en termes de contrats relationnels
(Bouthinon-Dumas, 2001) apportent la flexibilité nécessaire pour limiter ce risque (Spiller, 2008).
Cependant, du fait de leur spécificité, les contrats publics ne peuvent bénéficier d’une telle flexibilité
et se caractérisent même au contraire par leur rigidité, au sens de contrats les plus complets
possibles encadrant strictement les conditions de révision des obligations contractuelles. Il s’agit
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moins d’assurer une transaction la plus profitable possible pour les deux parties que de garantir
l’absence de favoritisme et de respecter les exigences de redevabilité (accountability) propres à l’action
publique. Cette nécessaire transparence, propre aux « open access states » au sens de North et al.
(2006) expose, comme nous le verrons infra, les contrats publics à d’autres comportements
opportunistes que ceux auxquels sont exposés les contrats privés, comportements qui peuvent
venir de tiers (third party opportunism), notamment dans le cadre de recours contre l’attribution du
contrat ou à l’occasion de renégociations (Spiller, 2008). Cette caractéristique induit de la part des
décideurs publics un choix de formules contractuelles encore plus rigides de façon à limiter le risque
juridique auquel ils sont exposés.
Si nous ne considérons que le risque lié au comportement des contractants, il apparaît que le
contractant de l’administration dans une concession de service public ou dans un contrat de
partenariat public-privé est particulièrement exposé à un risque de hold-up contractuel. En effet, il
conçoit, finance et construit une infrastructure support de services publics qui revêt par excellence
le caractère d’actif spécifique (ou idiosyncrasique). Son investissement ainsi que les différents coûts
de maintenance et d’exploitation ne seront compensés par les flux de ressources qu’il dégagera des
péages ou des loyers sur la totalité de la durée du contrat. De fait, les investisseurs privés font face
à un risque d’expropriation par la puissance publique, ne serait-ce que sous la forme de refus
d’augmenter les tarifs ou les loyers dans une mesure nécessaire pour couvrir les coûts. Face au
risque de choix opportunistes a posteriori, il est nécessaire que la personne publique s’engage de
façon crédible à respecter le contrat régulatoire sous-tendu par le contrat de long terme quand bien
même cela serait contraire à ses intérêts de court terme et à ceux des usagers. Il s’agit donc de passer
d’un possible comportement discrétionnaire à un comportement encadré par des règles. Celles-ci
peuvent émaner de l’action d’un régulateur indépendant ou provenir du contrat lui-même.
L’installation d’un régulateur indépendant garantit sur le principe que des décisions essentielles
au maintien de l’équilibre économique du contrat soient prises sur la base de logiques techniques
et non d’arbitrages politiques. De la même façon, l’existence d’un régulateur consolide la relation
contractuelle ne serait-ce qu’en constituant un forum de règlement des différends permettant aux
parties d’échapper aux coûts et aux aléas du contentieux en justice. Du fait de sa spécialisation,
l’autorité de régulation dispose en outre d’une expertise technique permettant de limiter au mieux
les impacts des asymétries informationnelles. Au final, le régulateur crédibilise les règles de révision
des clauses contractuelles et permet d’alléger leur rédaction, limitant ainsi tant les coûts de
transactions que les risques de rigidité excessive, porteuse de risques juridiques additionnels (Stern,
2012). En d’autres termes, la régulation par agence indépendante permettrait de répondre à deux
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des défauts classiques des arrangements public-privé de long terme ; à savoir des contrats trop
rigides et des renégociations sinon déséquilibrées mais communément vues comme le signe d’une
défaillance de la contractualisation initiale. Cependant, de telles renégociations sont souvent
essentielles tant pour s’ajuster aux aléas, éventuellement exogènes au contrat lui-même, que pour
répondre aux nécessaires adaptations de la prestation à des besoins sociaux évolutifs. De telles
renégociations apparaissant souvent comme défavorables à la partie publique dans la mesure où la
pression concurrentielle s’est évanouie après la phase initiale de concurrence pour le marché et où
l’asymétrie d’information s’est encore aggravée entre les deux parties. La présence d’un tiers
impartial et informé permet de faciliter les discussions et de limiter les éventuels déséquilibres.
L’efficacité de la régulation par une autorité administrative indépendante (ou par une
commission de régulation) fait cependant souvent l’objet de vives critiques. Une indépendance de
jure peut apparaître comme une garantie insuffisante contre les risques d’expropriation dès lors que
les investisseurs privés peuvent douter de la robustesse et de la qualité du cadre institutionnel.
Même pour les Etats échappant à de tels doutes, l’indépendance elle-même peut apparaître
comme une condition nécessaire mais non suffisante pour prévenir les risques d’expropriation des
investissements du contractant privé. Les membres de l’agence de régulation peuvent en effet
poursuivre un agenda personnel, par exemple en termes de carrière ou de stratégies politiques .En
d’autres termes, le régulateur peut s’écarter de son rôle d’acteur bénévolant et poursuivre des
intérêts propres, distincts de l’intérêt général. L’indépendance juridique de l’agence peut également
cacher une dépendance économique vis-à-vis de l’Etat, en termes budgétaires par exemple. Enfin,
le régulateur peut être capturé, ne serait-ce qu’au point de vue informationnel, par des concurrents
ou d’autres parties prenantes à la régulation. Par exemple, la pression des usagers peut dans certains
cas conduire la personne publique et éventuellement même le régulateur à ne mettre que peu
d’empressement à faire respecter les termes de l’accord contractuel quant aux clauses d’indexation
des prix.
Parmi les défaillances de la régulation par agence administrative figure également la tendance à
une surproduction de règles détaillées et parfois excessivement prescriptives. Une telle propension
peut entraîner, pour les entreprises régulées, des coûts de conformité dépassant les bénéfices
sociaux attendus. Cette tendance peut être liée à un investissement excessif en crédibilité de
l’autorité de régulation qui cherche ainsi à garantir son indépendance, et à minimiser les risques de
recours et de pressions politiques vis-à-vis de ses décisions (Bardach and Kagan, 2002). Ce
phénomène peut être rapproché des risques d’opportunismes en provenance de tiers (third party
opportunism) qui peuvent inciter le régulateur à opter pour des règles excessivement détaillées et
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rigides pour éviter de s’exposer à des recours (Spiller, 2008). En d’autres termes, alors que la
régulation devrait être suffisamment flexible pour s’ajuster aux circonstances, la minimisation du
risque juridique conduit à des règles rigides et donc à des résultats sous-optimaux.
Enfin, l’existence d’un régulateur indépendant ne garantit en rien la réussite de son action en
termes de préservation de l’équilibre économique des contrats de concession comme le montrent
par exemple les cas du rail et de l’électricité britanniques où malgré l’existence de deux régulateurs
spécialisés (respectivement la UK Railway Regulatory Commission mise en place dès 1873 et
l’Electricity Commissioners créée en 1919), les compagnies privées allèrent à la banqueroute dès la
fin de l’entre-deux-guerres, faute de pouvoir couvrir leurs coûts (Stern, 2012). Sans aller jusqu’à de
tels exemples, les contentieux noués autour des révisions des tarifs du gaz et de l’électricité dans le
cas français témoignent du fait que l’existence d’une autorité administrative indépendante dont
l’expertise est reconnue peut ne pas suffire à prévenir les risques de différends quant à l’adéquation
des tarifs aux coûts.
II – DE LA NÉCESSITÉ D’APPUYER UNE RÉGULATION PAR CONTRAT PAR UN
RÉGULATEUR EXTÉRIEUR SUBSIDIAIRE
Les doutes quant à la capacité des régulateurs extérieurs à garantir aux investisseurs privés le
maintien de l’équilibre économique du contrat sur l’ensemble de sa durée peuvent conduire à
plaider pour un modèle alternatif de régulation, en l’espèce, la régulation par le contrat.
Il s’agit sur le principe de ne plus s’en remettre à un tiers extérieur mais de spécifier l’ensemble
des modalités d’ajustement des formules tarifaires et de règlement des éventuels différends au sein
même du contrat. De fait, deux modalités de régulation par contrat peuvent être distinguées. Une
première est une régulation par le contrat sans régulateur extérieur, une seconde est une régulation
avec un régulateur subsidiaire qui n’intervient qu’en cas de différend entre les contractants qui ne
peut être réglé par eux-seuls.
La première approche de la régulation par contrat correspond à une logique dans laquelle le
contractant privé essaie de se placer dans une logique la plus proche possible de celle d’un contrat
de droit privé avec sa contrepartie publique. L’idée est de limiter les pouvoirs exorbitants et
discrétionnaires de ce dernier (résiliation, droits de modification unilatérale, etc…). Cette régulation
par le contrat se heurte cependant aux difficultés propres aux contrats publics. Nous avons déjà
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relevé leur rigidité et leur complexité. Les conditions des révisions des obligations contractuelles et
des ajustements doivent être précisément spécifiées dans le contrat. L’absence de contrôle par un
tiers indépendant, couplé avec de fortes exigences en termes de transparence peut encore renforcer
les risques de recours (Spiller 2008). Ainsi, les risques de mise en cause de la probité du contractant
public (Williamson, 1999) peuvent conduire ce dernier à rigidifier encore plus les contrats pour
donner le plus de garanties possibles contre la possibilité d’arrangements discrétionnaires en cours
de contrat. Le caractère faiblement relationnel qui entrave les ajustements mutuellement profitables
en cours d’exécution et le formalisme excessif des contrats publics qui sont vus comme deux des
faiblesses majeures des contrats publics par rapport aux contrats privés sont donc encore
renforcées. En outre, la rigidité des contrats couplée avec leur complexité augmente encore le risque
de différends et de développement de stratégies non coopératives émanant des contractants eux-
mêmes (Spiller, 2008). Le risque de contentieux peut, malgré les attentes initiales, être plus élevé
dans ce modèle.
Une seconde approche de la régulation par le contrat repose sur la présence d’un régulateur
implicite et subsidiaire. Le secteur de la distribution et de l’assainissement de l’eau en France est
souvent considéré comme l’exemple d’une telle « régulation sans régulateur » (Stern, 2012). Le
Conseil d’Etat joue de fait le rôle d’un acteur bénévolant, indépendant des parties et doté d’une
expertise reconnue. Il constitue un tiers « impartial » à même de rendre possibles des arrangements
permettant aux deux contractants de poursuivre leur relation sur des bases équilibrées. Si le contrat
public ne devient en rien un contrat relationnel comme pourrait l’être un contrat privé (ce qui est
d’ailleurs impensable au vu de la nature publique du contrat), la jurisprudence administrative
garantit au contractant l’application de principes généraux stables et connus garantissant l’absence
d’opportunisme et orientés vers la préservation de l’équilibre économique du contrat. Elle conforte
donc les incitations à l’investissement des parties et leur propension à nouer des engagements de
long terme en renforçant leur sécurité juridique conçue comme le produit d’une règle lisible et
d’une application de celle-ci prévisible. Ce rôle est particulièrement manifeste au travers de la
pratique décisionnelle relative aux contrats de concessions, au travers notamment du standard du
bouleversement de l’économie du contrat (Kirat et al., 2005).
Ainsi, une régulation par contrat en l’absence de régulateur extérieur n’est envisageable que dans
des conditions somme toute restrictives (Stern, 2012). Il faut que les deux contractants aient des
pouvoirs de négociation équilibrés et soient l’un et l’autre expérimentés dans le management de
relations contractuelles de long terme. Il est également nécessaire que les paramètres fondamentaux
de la relation contractuelle soient suffisamment stables et que leurs évolutions puissent être
7
anticipées tant en termes de niveaux de demande, de coûts et de revenus, de technologies que de
séquençage des investissements à réaliser le long du contrat. En d’autres termes, un contrat
requérant des investissements réalisés principalement dans la phase de construction, mobilisant des
technologies stables et matures, bénéficiant d’une demande prévisible avec une faible élasticité prix
et peu soumis à des risques de coûts des intrants peut se prêter à une telle régulation sans régulateur.
Un régulateur au moins subsidiaire est néanmoins indispensable dès lors que ces conditions ne
sont pas réunies. Il en est ainsi dès lors que les deux contractants sont hétérogènes en termes de
pouvoir de marché et d’expérience, que la demande est difficilement prévisible sur le long terme
ou très sensible aux prix ou la conjoncture macroéconomique, qu’il existe de fortes incertitudes en
matière technologique et que les investissements du partenaire privé doivent se répartir sur
l’ensemble de la durée du contrat de façon non parfaitement prévisible au moment de sa signature.
Dans de pareilles situations, une régulation reposant sur le seul contrat peut s’avérer insuffisante à
garantir la préservation de l’équilibre du contrat en cas de difficultés non anticipées, comme le
montrent, par exemple, les échecs des contrats de partenariats public-privé relatifs à l’exploitation
des lignes de métro londoniennes (Stern, 2012).
La présence d’un cadre législatif stable et d’une pratique décisionnelle reposant sur des bases et
des standards prévisibles peut donc constituer une régulation implicite permettant de bénéficier
des avantages d’une régulation par le contrat sans pour autant devoir passer par des contrats
excessivement détaillés et donc à la fois rigides et exposés à des stratégies opportunistes. Le cas des
contrats de concessions autoroutières analysées par Athias et Saussier (2007) témoigne de l’intérêt
de disposer de telles ressources juridiques permettant de ne pas avoir à rigidifier excessivement ex
ante les termes contractuels pour accompagner leurs inéluctables évolutions. De façon plus
générale, les révisions des obligations contractuelles et les éventuelles renégociations ne doivent
pas être analysées dans le cadre de contrats de long terme portant sur des prestations de service
public comme la marque d’un échec de la contractualisation mais comme des étapes naturelles dans
la vie du contrat nécessités par le maintien de l’équilibre économique de la transaction et par
l’objectif de mutabilité du service public (de Brux, 2010).
Le cas de la régulation par contrat plaide, en tout état de cause, pour une modestie contractuelle. Les
contrats les moins exposés à des différends entre les contractants et à des stratégies de nuisance
émanant de tiers sont ceux qui reposent sur les rédactions les plus ouvertes ; en d’autres termes
ceux qui acceptent de s’éloigner de l’idéal du contrat complet. De la même façon, l’outil de
régulation par contrat qui peut apparaître a priori comme le plus efficace au point de vue incitatif,
en l’occurrence la régulation tarifaire par prix plafonds, doit être utilisé avec circonspection. En
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effet, des formules incitatives parfois considérées a priori comme sous-optimales, comme les
schémas à remboursement de coûts, peuvent s’avérer plus aptes à garantir la pérennité de la relation
contractuelle dans des environnements trop turbulents en termes économiques et technologiques
(Stern, 2012) ou à l’inverse suffisamment stables pour que les asymétries informationnelles soient
limitées (Gilbert et Riodan, 1995).
Au final, le rôle de régulateur extérieur subsidiaire joué par les juridictions administratives au
travers de la lisibilité du cadre réglementaire et de la prévisibilité de leurs pratiques décisionnelles
permet consolider une telle régulation par contrat lui évitant l’écueil de contrats que l’on
souhaiterait vainement complets et qui ne seraient in fine que rigides et porteurs de risques juridiques
et économiques additionnels (Desrieux et Beuve, 2011).
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9
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