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Ronan et Erwan Bouroullec sont les Bretons chéris du design d’aujourd’hui. Leur exposition Etapes a quitté la Villa Noailles d’Hyères pour se lover jusqu’à la fin novembre entre les murs de l’ELAC. S’y sont échappées quelques confi- dences faites à Prol. Quand, pour la dernière fois, vous-êtes vous arrêtés tout net devant un objet ? Ronan Bouroullec : « Dans l’exposition des étudiants, ici à l’Ecole canto- nale d’art de Lausanne, j’ai vu un truc qui s’appelle “ la réalité augmen- tée ”. C’est un dispositif de caméras extraordinaire. » Erwan Bouroullec : « Je suis fasciné par les techniques de tricotage adaptées au meuble, et j’ai découvert dernièrement un sac tricoté d’une pièce, sans couture. J’étais très content de l’avoir vu. » L’écoute des frères Bouroullec est aussi fine que leur mobilier est désin- volte. Dans l’espace lausannois d’art contemporain (ELAC), les erran- ces s’accrochent aux maillages de laine suspendus du plafond ( 01 ) et les conversations se transforment en alcôves feutrées. C’est avant tout l’écho du public – estudiantin, mais pas seulement – que les designers comptent recueillir au détour de leur dernier assemblage. Ce sont aussi les processus élémentaires, tel le processus qui conduit au textile, qui leur inspire des objets inédits. Imbriquées de manière presque enfantine, les Tuiles (2006) tendent des surfaces modulables, insonorisées. Le tissu est ici capitonné, replié, en- joué. D’autres dépliages, comme les tentures qui défroissent un dôme de Buckminster Fuller, ou les tapis oubliés après leur bain de couleur sur une clôture, attirent l’attention sur une armature. Il s’agit donc de varier, d’investir des lieux à l’intérieur du lieu, qui deviendront tour à tour privés, publics, ou de passage. Ce qui agit entre l’objet et l’utilisa- teur est comme cousu de fil blanc dans la production des Bretons : pas pour faire facile, mais plutôt pour s’approprier une chaise ou un canapé de façon aussi franche que poétique. « On porte un très grand soin à l’atmosphère – de quelle manière le meuble peut bien accompagner la vie », souligne Erwan. Introspectif, l’univers Bouroullec ? Indéniablement. Mais parcouru aussi de passerelles vers l’autre, un autre aperçu à travers les Nuages (2002) de polystyrène ( 02 ) ou les Algues de polyamide (2004). Des formes d’ailleurs épurées après avoir été extraites de leur terreau naturel, un tremplin toujours vibrant pour le travail des frères bretons. Ronan re- lève alors que « le fait qu’un objet aie de la sève est son intelligence d’usage et d’interaction ». Et elle déborde, cette sève, dans les croquis, maquettes et autres charnières de construction « qui ont une vie à part entière », accrochés aux murs où s’étirent les quelque dix ans de leur double signature ( 03 ). L’enseignement dispensé par l’aîné des Bouroullec à l’ECAL ne trouble pas la volonté commune de demeurer le plus possible « à Paris, de ne pas trop voyager », d’être dans « notre petit atelier pour être proche de ce qui nous plaît : dessiner tout le temps ». A l’abri, dirait-on, des mar- teaux qui adjugent leurs pièces pour plus de 100 000 francs suisses, ou des sirènes de la starification. On les retrouve d’autant mieux, presque incognito, entre les parois des galeries d’art ou au retour de podiums prestigieux, à savourer les « longues quêtes » de l’objet idéal. Derrière l’ascèse de certains objets, on devine alors une démarche rigoureuse, impliquée, jamais à l’emporte-pièce. Et souvent, un clin d’œil qui reven- dique seulement d’amuser les intérieurs, l’air de rien. Etapes, une exposition de Ronan et Erwan Bouroullec, jusqu’au 22 novembre à l’ELAC (Espace lausannois d’art contemporain), av. du Temple 5 à Renens, me-sa 13h-17h30, tél. 021-316 99 33), www.elac.ch. C’EST QUOI, LE LUXE ? Ronan Bouroullec : « Pour moi, le luxe ne passe pas, mais alors pas du tout par les objets. » Erwan Bouroullec : « Je ne possède pas grand chose. Le luxe, c’est ressentir un certain nombre de choses, sans être dans un rapport d’hyper besoin ! » YES, MASTER ! L’Ecole cantonale d’art de Lausanne sabrait le champa- gne de son nouveau MAS (Master’s of Art and Scien- ce) Luxury and Design, en octobre passé. La première génération, très internationale, compte douze jeunes professionnel(le)s et diplômé(e)s en design, dont la moyenne d’âge est de 28 ans. Deux semestres, au prix de 8000 francs, leur permettront de développer leur talent “ luxe ” auprès d’éminents designers et consultants aux pratiques diversifiées, ainsi que d’acquérir une expérience professionnelle en entreprise, par le biais d’expéditions “ on-site ” une semaine par mois. www.ecal.ch. TEXTE SARAH BURKHALTER DESIGN 1 127 02 03 01

Ronan & Erwan Bouroullec pour PROFIL (nov 2008)

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Interview des Bouroullecs pour PROFIL (nov 2008)

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Page 1: Ronan & Erwan Bouroullec pour PROFIL (nov 2008)

Ronan et Erwan Bouroullec sont les Bretons chéris du design d’aujourd’hui. Leur exposition Etapes a quitté la Villa Noailles d’Hyères pour se lover jusqu’à la fin novembre entre les murs de l’ELAC. S’y sont échappées quelques confi-dences faites à Pro!l.

Quand, pour la dernière fois, vous-êtes vous arrêtés tout net devant un objet ?Ronan Bouroullec : « Dans l’exposition des étudiants, ici à l’Ecole canto-

nale d’art de Lausanne, j’ai vu un truc qui s’appelle “ la réalité augmen-

tée ”. C’est un dispositif de caméras extraordinaire. »

Erwan Bouroullec : « Je suis fasciné par les techniques de tricotage

adaptées au meuble, et j’ai découvert dernièrement un sac tricoté d’une

pièce, sans couture. J’étais très content de l’avoir vu. »

L’écoute des frères Bouroullec est aussi fine que leur mobilier est désin-volte. Dans l’espace lausannois d’art contemporain (ELAC), les erran-ces s’accrochent aux maillages de laine suspendus du plafond (01) et les conversations se transforment en alcôves feutrées. C’est avant tout l’écho du public – estudiantin, mais pas seulement – que les designers comptent recueillir au détour de leur dernier assemblage. Ce sont aussi les processus élémentaires, tel le processus qui conduit au textile, qui leur inspire des objets inédits. Imbriquées de manière presque enfantine, les Tuiles (2006) tendent des surfaces modulables, insonorisées. Le tissu est ici capitonné, replié, en-joué. D’autres dépliages, comme les tentures qui défroissent un dôme de Buckminster Fuller, ou les tapis oubliés après leur bain de couleur sur une clôture, attirent l’attention sur une armature. Il s’agit donc de varier, d’investir des lieux à l’intérieur du lieu, qui deviendront tour à tour privés, publics, ou de passage. Ce qui agit entre l’objet et l’utilisa-teur est comme cousu de fil blanc dans la production des Bretons : pas pour faire facile, mais plutôt pour s’approprier une chaise ou un canapé de façon aussi franche que poétique. « On porte un très grand soin à

l’atmosphère – de quelle manière le meuble peut bien accompagner la

vie », souligne Erwan.Introspectif, l’univers Bouroullec ? Indéniablement. Mais parcouru aussi de passerelles vers l’autre, un autre aperçu à travers les Nuages (2002) de polystyrène (02 ) ou les Algues de polyamide (2004). Des formes d’ailleurs épurées après avoir été extraites de leur terreau naturel, un tremplin toujours vibrant pour le travail des frères bretons. Ronan re-lève alors que « le fait qu’un objet aie de la sève est son intelligence

d’usage et d’interaction ». Et elle déborde, cette sève, dans les croquis, maquettes et autres charnières de construction « qui ont une vie à part

entière », accrochés aux murs où s’étirent les quelque dix ans de leur double signature (03 ).L’enseignement dispensé par l’aîné des Bouroullec à l’ECAL ne trouble pas la volonté commune de demeurer le plus possible « à Paris, de ne

pas trop voyager », d’être dans « notre petit atelier pour être proche de

ce qui nous plaît : dessiner tout le temps ». A l’abri, dirait-on, des mar-teaux qui adjugent leurs pièces pour plus de 100 000 francs suisses, ou des sirènes de la starification. On les retrouve d’autant mieux, presque incognito, entre les parois des galeries d’art ou au retour de podiums prestigieux, à savourer les « longues quêtes » de l’objet idéal. Derrière l’ascèse de certains objets, on devine alors une démarche rigoureuse, impliquée, jamais à l’emporte-pièce. Et souvent, un clin d’œil qui reven-dique seulement d’amuser les intérieurs, l’air de rien.

Etapes, une exposition de Ronan et Erwan Bouroullec, jusqu’au 22 novembre à l’ELAC (Espace lausannois d’art contemporain), av. du Temple 5 à Renens, me-sa 13h-17h30, tél. 021-316 99 33), www.elac.ch.

C’EST QUOI, LE LUXE ?Ronan Bouroullec : « Pour moi, le luxe ne passe pas, mais

alors pas du tout par les objets. »Erwan Bouroullec : « Je ne possède pas grand chose. Le luxe, c’est ressentir un certain nombre de choses, sans

être dans un rapport d’hyper besoin ! »

YES, MASTER !L’Ecole cantonale d’art de Lausanne sabrait le champa-gne de son nouveau MAS (Master’s of Art and Scien-ce) Luxury and Design, en octobre passé. La première génération, très internationale, compte douze jeunes professionnel(le)s et diplômé(e)s en design, dont la moyenne d’âge est de 28 ans. Deux semestres, au prix de 8000 francs, leur permettront de développer leur talent “ luxe ” auprès d’éminents designers et consultants aux pratiques diversifiées, ainsi que d’acquérir une expérience professionnelle en entreprise, par le biais d’expéditions

“ on-site ” une semaine par mois. www.ecal.ch.

TEXTE SARAH BURKHALTER

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