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Neurochirurgie 60 (2014) 38–41 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Cas clinique Rupture d’un anévrisme de l’artère hépatique après chirurgie de canal lombaire étroit. Réflexions médico-légales Hepatic artery aneurysm rupture after lumbar stenosis surgery. Medico-legal thinking V. Jecko a , L. Benali b , J.-F. Vignes c , J.-R. Vignes a,a Service de neurochirurgie A, hôpital universitaire Pellegrin, université Bordeaux Segalen, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux, France b Service de médecine légale, hôpital universitaire Pellegrin, université Bordeaux Segalen, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux, France c Cabinet d’avocats, 17, rue des Trois Conils, 33000 Bordeaux, France i n f o a r t i c l e Historique de l’article : Rec ¸ u le 3 mai 2013 Accepté le 30 aoˆ ut 2013 Disponible sur Internet le 26 evrier 2014 Keywords: Lumbar stenosis Medico-legal aspects Complication Postoperative Abdominal cavity pressure Prone position a b s t r a c t Introduction. Distinguishing between therapeutic contingency and surgical complication is sometimes not easy, especially when rare events occur. We report the case of a patient who presented with an intraperitoneal haemorrhage following laminectomy and discuss the implications of surgery in this complication. Case report. A 77-year-old woman, suffering from radiculopathy due to lumbar stenosis underwent a laminectomy in the prone position. On admission she presented with high blood pressure and obesity as significant comorbidities. A few hours after surgery, she collapsed and underwent a thoraco-abdominal CT-scan. The examination revealed a ruptured hepatic artery aneurysm. It is the first case published in the medical literature after lumbar surgery. The aim of this article was to discuss the responsibility of the surgeon and surgery, particularly the surgical positioning of the ruptured aneurysm. Conclusion. After reviewing the literature we did not find any evidence to attribute the rupture of this hepatic artery aneurysm to lumbar surgery. This adverse event could be attributed to therapeutic contingency. In cases of patient complaint, this situation depends on national solidarity. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Canal lombaire étroit Aspects médico-légaux Complication Postopératoire Pression intra-abdominale Décubitus ventral r é s u m é Introduction. Il est parfois difficile de différencier l’aléa thérapeutique de la complication chirurgicale, d’autant plus que l’événement s’avère exceptionnel. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant pré- senté une hémorragie intrapéritonéale survenu au décours d’une laminectomie, posant le problème de l’imputabilité du geste chirurgical. Observation. Une patiente de 77 ans souffrant de radiculalgies secondaires à un canal lombaire étroit a été opérée par laminectomie sans instrumentation avec recalibrage, en position décubitus ventral sur quatre coussins. La patiente présentait comme principales comorbidités, un surpoids important et une hypertension artérielle. Les suites immédiates ont été marquées par l’apparition d’un choc hémorragique motivant un scanner abdominal. Cet examen a révélé la présence d’un anévrisme rompu de l’artère hépatique, situation non recensée dans la littérature. Cet événement nous a amené à discuter de sa prise en charge, de l’imputabilité du positionnement opératoire et ses possibles conséquences sur les pressions intra-abdominales, ainsi que de la responsabilité potentielle du médecin. Conclusion. Après une revue de la littérature, nous n’avons pas pu mettre en évidence de lien direct entre la chirurgie lombaire et la rupture anévrysmale, évènement pouvant être attribué à un aléa thérapeutique. En cas de plainte, cette situation dépendrait de la solidarité nationale. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-R. Vignes). 1. Introduction La chirurgie de décompression du rachis lombaire est très fré- quente : environ 2/1000 habitants par an aux États-Unis en 2003 0028-3770/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neuchi.2013.08.006

Rupture d’un anévrisme de l’artère hépatique après chirurgie de canal lombaire étroit. Réflexions médico-légales

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epatic artery aneurysm rupture after lumbar stenosis surgery. Medico-legalhinking

. Jeckoa, L. Benalib, J.-F. Vignesc, J.-R. Vignesa,∗

Service de neurochirurgie A, hôpital universitaire Pellegrin, université Bordeaux Segalen, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux, FranceService de médecine légale, hôpital universitaire Pellegrin, université Bordeaux Segalen, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux, FranceCabinet d’avocats, 17, rue des Trois Conils, 33000 Bordeaux, France

i n f o a r t i c l e

istorique de l’article :ec u le 3 mai 2013ccepté le 30 aout 2013isponible sur Internet le 26 fevrier 2014

eywords:umbar stenosisedico-legal aspects

omplicationostoperativebdominal cavity pressurerone position

a b s t r a c t

Introduction. – Distinguishing between therapeutic contingency and surgical complication is sometimesnot easy, especially when rare events occur. We report the case of a patient who presented with anintraperitoneal haemorrhage following laminectomy and discuss the implications of surgery in thiscomplication.Case report. – A 77-year-old woman, suffering from radiculopathy due to lumbar stenosis underwent alaminectomy in the prone position. On admission she presented with high blood pressure and obesity assignificant comorbidities. A few hours after surgery, she collapsed and underwent a thoraco-abdominalCT-scan. The examination revealed a ruptured hepatic artery aneurysm. It is the first case published inthe medical literature after lumbar surgery. The aim of this article was to discuss the responsibility of thesurgeon and surgery, particularly the surgical positioning of the ruptured aneurysm.Conclusion. – After reviewing the literature we did not find any evidence to attribute the rupture ofthis hepatic artery aneurysm to lumbar surgery. This adverse event could be attributed to therapeuticcontingency. In cases of patient complaint, this situation depends on national solidarity.

© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ots clés :anal lombaire étroitspects médico-légauxomplicationostopératoireression intra-abdominaleécubitus ventral

r é s u m é

Introduction. – Il est parfois difficile de différencier l’aléa thérapeutique de la complication chirurgicale,d’autant plus que l’événement s’avère exceptionnel. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant pré-senté une hémorragie intrapéritonéale survenu au décours d’une laminectomie, posant le problème del’imputabilité du geste chirurgical.Observation. – Une patiente de 77 ans souffrant de radiculalgies secondaires à un canal lombaire étroita été opérée par laminectomie sans instrumentation avec recalibrage, en position décubitus ventral surquatre coussins. La patiente présentait comme principales comorbidités, un surpoids important et unehypertension artérielle. Les suites immédiates ont été marquées par l’apparition d’un choc hémorragiquemotivant un scanner abdominal. Cet examen a révélé la présence d’un anévrisme rompu de l’artère

hépatique, situation non recensée dans la littérature. Cet événement nous a amené à discuter de sa priseen charge, de l’imputabilité du positionnement opératoire et ses possibles conséquences sur les pressionsintra-abdominales, ainsi que de la responsabilité potentielle du médecin.Conclusion. – Après une revue de la littérature, nous n’avons pas pu mettre en évidence de lien direct entrela chirurgie lombaire et la rupture anévrysmale, évènement pouvant être attribué à un aléa thérapeutique.En cas de plainte, cette situation dépendrait de la solidarité nationale.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.-R. Vignes).

028-3770/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.neuchi.2013.08.006

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction

La chirurgie de décompression du rachis lombaire est très fré-quente : environ 2/1000 habitants par an aux États-Unis en 2003

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Les ruptures spontanées des anévrismes de l’artère hépatiquesont rares dans la littérature : on ne retrouve que quelques dizaines

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1]. Ses complications sont connues. Cependant, nous rapportonse cas exceptionnel d’une rupture d’un anévrisme de l’artère hépa-ique au décours d’une laminectomie. Il s’agit d’une premièreescription.

Cet événement nous amène à nous poser la question d’un lienntre la chirurgie du rachis lombaire par voie postérieure et la rup-ure d’un anévrisme de l’artère hépatique. L’installation de l’opérée-t-elle pu influencer une augmentation de la pression abdomi-ale au cours de l’intervention et favoriser la rupture d’un telnévrisme ? Cette problématique sera le sujet d’une discussionédico-légale.

. Présentation du cas

Mme G., 77 ans, présentait depuis 8 mois des lombalgies inva-idantes associées à une sciatalgie bilatérale de topographie L5,esponsable d’une claudication radiculaire. Elle avait, pour prin-ipal antécédent, une hypertension artérielle essentielle traitée etn surpoids (155 cm pour 68 kg avec un IMC calculé à 28,3 kg/m2).ors de la consultation, son périmètre de marche était réduit à envi-on 200 m, en aggravation. À l’examen, on retrouvait une parésiees releveurs des orteils associée à une dysurie débutante. L’IRMéalisée montrait un canal lombaire étroit L4–L5 et L5–S1 avec unpondylolisthésis dégénératif de grade I en L5–S1. Il était décidéa réalisation d’un recalibrage lombaire par laminectomie à deuxiveaux, sans instrumentation.

Sous anesthésie générale, la patiente était installée en décubi-us ventral sur quatre coussins (deux coussins thoraciques et unoussin sous chaque crête iliaque). Il était réalisé une laminectomieonservatrice L4 et L5, permettant de décomprimer les élémentseurologiques, sans geste complémentaire discal. La patiente sor-ait du bloc opératoire avec un drain sous-cutané aspiratif. La durée’intervention était de 1 h 50, les pertes sanguines peropératoirestaient évaluées à 200 mL.

Le lendemain de l’intervention, on constatait une altération de’état général avec une hypotension artérielle et l’installation deroubles de la vigilance (score de Glasgow à 11) sans troubles

oteurs associés. Le bilan sanguin montrait une importante déglo-

ulisation à 8,3 g/dL nécessitant la réalisation de transfusions. Uncanner thoraco-abdomino-pelvien demandé en urgence retrou-ait un volumineux anévrisme de l’artère hépatique propre, de

ig. 1. Scanner abdominal injection au temps artériel. Petite flèche : hémopéritoine.rande flèche : anévrisme de l’artère hépatique.bdominal CT-scan. Small arrow: hemoperitoneum. Big arrow: hepatic artery aneurysm.

Fig. 2. Artériographie diagnostique montrant l’anévrisme de l’artère hépatique.Arteriography showing hepatic artery aneurysm.

25 mm de diamètre, naissant juste en aval de l’artère gastroduo-dénale, associé à un hémopéritoine (Fig. 1). Il était alors réalisé untraitement endovasculaire par embolisation. La patiente ne présen-tait pas de complication au niveau rachidien, et sortait de l’hôpital10 jours plus tard pour une maison de convalescence. La patientedécédait à deux mois, des suites d’un syndrome de glissement(Fig. 2 et 3).

3. Discussion

de cas. Ils sont, en revanche, bien plus fréquents au niveau de

Fig. 3. Contrôle artériographique après traitement de l’anévrisme par technique detrapping.Arteriography after treatment by trapping of the hepatic artery aneurysm.

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’artère mésentérique supérieure [2]. Les cas décrits rapportent desnomalies congénitales, des dégénérescences artérielles, des arté-ites inflammatoires ou infectieuses. Les anévrismes des artèresntrahépatiques sont dus, quant à eux, à des traumatismes directese l’artère, en augmentation du fait du nombre plus importante procédures percutanées (lésion intimale perembolisation d’uneétastase hépatique, lésion lors de cœlioscopies) et indirectes

traumatismes abdominaux violents, plaies abdominales) [3]. Il est,ar ailleurs, rapporté des cas durant la grossesse impliquant desodifications hormonales, hémodynamiques et une hyperplasie

ntimale [4]. Notre patient n’avait pas de facteur de risque identifié.Les facteurs hémodynamiques sont connus pour être un facteur

avorisant la rupture des anévrismes artériels. Le positionnementu patient lors de la chirurgie du rachis lombaire est bien décrit dans

a littérature. On distingue trois types d’installation : le décubitusatéral, peu utilisé car rendant difficile le repérage peropératoireu fait de la courbure rachidienne ; la position genu-pectoral et leécubitus ventral (avec différentes variantes selon le type de sup-ort utilisé) sont les plus communes. Le décubitus ventral peute faire sur différents supports : cadre de Wilson, de Hall, ou suroussins [5] comme nous l’avons fait, ce qui a pour but de libérer’abdomen de toute pression extérieure et met le rachis dans uneosition de lordose intermédiaire entre station debout et stationssise. Les coussins doivent être placés sous les crêtes iliaques deac on à libérer l’abdomen et éviter ainsi tout appui sur les parties

olles ; l’appui thoracique peut se faire au moyen d’un grand cous-in transverse sous-pectoral ou par deux coussins distincts libérantn espace médian. C’est ce type de positionnement qui a été uti-

isé pour notre chirurgie, en prenant soin de choisir des coussins’épaisseur élevée chez cette patiente en surpoids.

Les variations de la pression abdominale lors de la mise en décu-itus ventral ont été étudiées. Il s’agit le plus souvent d’une mesuree la pression intra-rectale qui est le plus simple à mettre en œuvre ;ne mesure de la pression intra-vésicale est cependant un meilleureflet de la pression intra-abdominale [6]. La plupart des auteursnt montré que la pression abdominale n’était pas modifiée para mise dans cette position tant que l’abdomen ne touche la table’opération [5].

Le contrôle de la pression abdominale est fondamental dans leisque de saignement peropératoire [7]. Plusieurs études ont mon-ré qu’il n’existe pas de valvule anti-reflux entre le système cave ete système azygos [7]. Il en résulte qu’une augmentation de pressionans la veine cave inférieure entraîne une redistribution du retoureineux vers le système épidural et des risques de saignement per-pératoires. Devant une déglobulisation dans les suites immédiates’une chirurgie lombaire, plusieurs hypothèses doivent être évo-uées. Le saignement épidural ou sur la voie d’abord se traduit par

’apparition de troubles neurologiques ou un saignement excessifu niveau du redon, ce qui ne s’est pas présenté dans notre cas. Leslaies de l’aorte ou des artères iliaques sont une cause classique,ien que rare, de déglobulisation au décours de la chirurgie discale

ombaire [8]. Cependant, notre geste était limité à une laminecto-ie simple, éliminant cette hypothèse.Notre patiente présentait un surpoids avec un volumineux

annicule adipeux abdominal, ne permettant pas de contrôler par-aitement la libération abdominale. Certaines équipes envisagentn monitorage des pressions en cas de surcharge pondérale [9]. Lesressions ventilatoires peropératoires sont également à prendren considération [6]. Elles n’ont, en revanche, pas été élevées dansotre cas. Quoi qu’il en soit, aucune étude ne permet actuellement’imputer une élévation de la pression intra-abdominale à la rup-ure d’un anévrisme de l’artère hépatique. Une détection préalable

’une malformation aussi rare (incidence de 0,002 %) [10] ne peuttre envisagée systématiquement avant une chirurgie lombaire, ce’autant que notre patiente n’avait aucun des facteurs de risque

dentifiés ; il n’était donc pas possible d’évoquer un état antérieur.

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3.1. Aspects médico-légaux

La description de ce cas ne permet donc pas d’établir un liendirect entre la chirurgie lombaire et la complication grave qu’areprésenté la rupture de l’anévrisme hépatique, suivie deux moisplus tard par le décès de la patiente. Comment classer cet événe-ment d’un point de vue de la responsabilité ?

Le médecin est tenu de donner des soins « consciencieux, attentifset conformes aux données acquises de la science » [11]. Le non-respectde cette obligation engage la responsabilité du praticien. Dans notrecas, l’ensemble des diligences et obligations réglementaires a étéréalisé. Sur le plan du préjudice corporel, il s’agit d’une décom-pensation d’un état antérieur méconnu (et non connu jusqu’à larupture), et ce, d’autant plus que la chirurgie prévue n’a pas eud’incidence directe sur la zone lésée, l’artère hépatique n’étant pasdans le champ technique de la laminectomie. Les mécanismes indi-rects étudiés causaux renvoient ici à la notion d’accident médical, etnon d’erreur médicale. Cette dernière impliquerait la responsabilitédu médecin si une faute était objectivée, l’erreur étant définie alorscomme étant celle que n’aurait pas commise « un bon médecin placédans les mêmes circonstances ». Cependant, pas plus le législateurque le juge Administratif n’utilisait l’expression d’aléa thérapeu-tique, mais celle d’accident médical. Pourtant, on peut retenircomme définition de l’aléa thérapeutique qu’il s’agit, à l’occasionde la réalisation d’un acte médical (acte de soin, diagnostic ou pré-ventif), d’un accident généré par un événement imprévu dont laréalisation est indépendante de toute faute médicale et qui génèreun dommage au patient [12]. Cette définition paraît donc compati-ble avec notre cas clinique. En effet, il n’existait aucun état antérieurdécelable, et pourtant, la morphologie de l’anévrisme indique clai-rement que celui-ci était présent avant la chirurgie, et qu’il n’a pasété généré par la procédure opératoire.

La Cour de cassation et le Conseil d’État ont longtemps adoptédes positions différentes. Une jurisprudence administrative deprincipe est posée par l’arrêt Bianchi [13]. Le Conseil d’État a admisla responsabilité sans faute de l’hôpital public, pour une tétraplé-gie au décours d’une artériographie. Devant la notion d’absence defaute démontrée, la demande d’indemnisation de la victime a étévalidée par le Conseil d’État, qui a consacré un principe de respon-sabilité objective pour risque thérapeutique. Cependant, la victimedevait démontrer cinq conditions :

• un risque exceptionnel ;• un risque inconnu ;• un lien direct de cause à effet ;• un état initial du patient sans relation avec le préjudice ultérieur ;• un dommage anormal et d’une extrême gravité.

Ces conditions draconiennes ne permettaient qu’à peu de vic-times d’obtenir réparation.

Le juge judiciaire a été plus réticent à admettre l’idée d’une res-ponsabilité sans faute. La Cour de cassation a refusé de suivre leConseil d’État. La jurisprudence judiciaire [14] a estimé que « laréparation de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ desobligations dont un médecin est contractuellement tenu à l’égardde son patient » [15]. Il existait donc une inégalité de traitementselon que la victime était prise en charge par le secteur privéou public. C’est dans ce contexte que la loi du 4 mars 2002, dite« loi Kouchner », relative aux droits des malades et à la qualité dusystème de santé, est venue. Si les conditions sont réunies [16],le préjudice est indemnisé au titre de la solidarité national par

l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM)qui publie un barème indicatif d’indemnisation afin d’assurer uneindemnisation homogène (www.oniam.fr). La victime dispose de10 ans à compter de la consolidation pour agir [17].
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Pour obtenir réparation, il faut actuellement : un accident médi-al ; un dommage directement imputable à des actes de prévention,e diagnostic ou de soins ; des conséquences anormales au regarde l’état de santé du patient et de l’évolution prévisible de cet état ;

e dommage doit présenter un caractère de gravité fixé par décret.ans notre cas, il aurait été discuté du caractère directement impu-

able, avec remise en cause d’une indemnisation.La gravité des conséquences de l’affection peut être : soit un taux

’incapacité permanente partielle supérieur à 24 % ; soit un déficitonctionnel temporaire de six mois consécutifs ou de six mois nononsécutifs sur une période de douze mois, ou des gênes tempo-aires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire supérieuru égal à un taux de 50 % [18] ; à titre exceptionnel, une inaptitude

reprendre l’activité professionnelle antérieure, ou des troublesarticulièrement graves dans les conditions d’existence.

L’aléa thérapeutique pose, avec encore plus d’acuité, le pro-lème d’information du patient et de son consentement éclairé quist subordonné à l’article L 1111-2 du Code de la santé publique.insi, les risques fréquents ou graves normalement prévisiblesoivent être signalés. Cependant, aucune définition de la notione gravité n’a été apportée par le législateur de telle sorte que

’on s’est tourné vers une conception déjà connue : le risque gravest « celui qui est de nature à avoir des conséquences mortelles,nvalidantes ou même esthétiques graves compte tenu de leursépercussions psychologiques ou sociales » [19]. L’information duatient est aujourd’hui étendue selon la jurisprudence à tout risquerave de l’acte médical, fût-il exceptionnel. Elle incombe à chaquerofessionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans

e respect des règles professionnelles qui lui sont applicables lors’un entretien individuel avec le patient. La complication présentéear notre patiente n’était pas de nature à pouvoir être prévisible et’est pas connue ni des complications courantes, ni des complica-ions exceptionnelles de la chirurgie lombaire. Il n’était donc pasossible d’en informer la victime.

. Conclusion

La rupture d’un anévrisme de l’artère hépatique au décours’une laminectomie lombaire est un événement exceptionnel,

’ayant jamais été publié, et pouvant être assimilé à un aléa théra-eutique (ou accident médical). La responsabilité du médecin peuttre écartée sur ce fondement. En effet, aucune donnée actuelle dea littérature ne permet de l’imputer au positionnement opératoire

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et à l’augmentation des pressions abdominales et, plus générale-ment, à l’ensemble de la procédure appliquée. En cas de plainte, enl’absence de faute, c’est la solidarité nationale qui serait sollicitée.En revanche, le médecin n’était pas tenu d’informer le patient d’untel risque, compte tenu de l’absence de précédent, et de l’absencede moyen de prévoir un tel événement.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

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127 ; conclusion de M. Dael.14] Cour de Cassation, arrêt Tourneur du 8 novembre 2000.15] Civil 1re, 8 novembre 2000 ; Rapport Sargos, note Chabas, JCP 2001 II 10493.

16] Article L 1142-1 du Code de la santé publique.17] Article L 1142-28 du Code de la santé publique.18] Article D 1142-1 du Code de la sécurité sociale.19] Civil 1re, 14 octobre 1997 ; Sargos. Rapport sur cassation, JCP G 1997, no 22, page

492.