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Bibliothèque de Philosophie Scientifique Directeur : J'AUL GAULTIER, de l'Institut RAYMOND RUYER Correspondant de l'Institut Professeur à l'Université de Nancy " LA GENESE DES FORMES VIVANTES FLAMMARION, ÉDITEUR 26, rue Racine, Paris (VI 1 )

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  • Bibliothque de Philosophie Scientifique Directeur : J'AUL GAULTIER, de l'Institut

    RAYMOND RUYER Correspondant de l'Institut

    Professeur l'Universit de Nancy

    " LA GENESE DES

    FORMES VIVANTES

    FLAMMARION, DITEUR 26, rue Racine, Paris (VI1)

  • DU M~ME AUTEUR

    LA CYBERNTIQUE ET L'OI\IGINE DE l;INI"'ORMATIOI':

    Chez d'autres diteur.-; :

    LA CONSCIENCE ET I.E CORPS (P.U.F.) l~LI\NTS DE PSYCHO-BIOLOGIE (P.U.F.)

    NI~O-FINAI.ISME (P.U.F.)

  • Bibliothque de Philosophie Scientifique Dire~tcm : PAUL GAULTIER, de l'Institut

    RAYMOND RUYER Correspondant de l'Institut

    Professeur l'Universit de Nancy

    ' LA GENESE DES

    FORMES VIVANTES

    FLAMMARION, DITEUR 26, rue Racine, Paris (VI0)

  • Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation rservs pour tous les pays.

    @ 1958, by ERNEST FLAMMARION. Printed in France.

  • LA GENSE DES FORMES VIVANTES ------

    INTRODUCTION

    La morphologie, l'tude des formes et de leur agen-cement, ne prsente pas de difficult fondamentale. Il y faut plus que de la prcision ou de la minutie. Il y faut, plus souvent, des mthodes indirectes deman-dant beaucoup d'ingniosit, comme celles qui ont :1bouti aux schmas de structure de ln chimie orga-nique ou ln cartographie des gnes dans les noyaux cellulaires. Mais les rsultats de ces mthodes indi-rectes sont souvent ensuite vriflt~s directement. Les photographies par rseaux cristallins, les clichs au microscope lectronique, ont fait voir parfois les structures d'abord ingnieusement conjectures. Cela prouve qu'en prineipe du moins la morphologie est facile - au sens trs partieulier du mot dans les recherches scienlifiques - facile comme une vision et une description directe.

    D'autre part, dans la science de!; formes, on chanpe la dsagrable obligation d'entre1 dans les subtilits philosophiques sur la valeur el mme la possibilit de la connaissance. Eddington, dans son dernier ouvrage (1 ), nous raconte quel vnement intellectuel a reprsent pour lui la rencontre de la thorie de B. Russell sur le caractre structural de la connais-sance scientifique. On aurait p~1 viter beaucoup de

    (1) The philosopl1y of pllysical science, p. 151-2.

  • 6 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    spculations philosophiques, dit Russell (1), si l'on avait ralis l'importance de la structure et la diffi-cult d'aller au del. Par exemple, on dit souvent que les phnomnes sont subjectifs, mais qu'ils sont l'effet de choses en soi qui doivent avoir, inter se, des diffrences correspondant aux diffrences des phnomnes. Quand on fait ce genre d'hypothses, on suppose gnralement que nous connaissons ainsi trs peu de choses sur les contre-parties objectives des phnomnes. En fait, cependant, si les hypothses sont exactes, les contre-parties objectives formeraient un monde ayant mme structure que le monde des phno-mnes ... En bref, toute proposition ayant une signi-fication communicable doit tre vraie, ou de ces deux mondes, ou d'aucun. Pour exprimer la chose gros-sirement, le chien que nous observons n'est pas le chien comme animal en soi , mais les deux chiens ont quatre pattes, une queue, pas de glandes sudori-pares, et tous les autres dtails anatomiques arrangs dans le mme ordre. Peu importe que notre monde ne soit qu'un monde d'ombres, si, comme dans l'enfer de Scarron, l'ombre du chien, trottant derrire l'ombre de son maitre, a quatre pattes comme le chien rel. Peu importe que Je ne connaisse le cerveau rel et vivant du chien, ou'en termes de perception de ce cerveau par mon propre cerveau, SI je suis capable d'en dcrire exactement l'anatomie et le fonctionne-ment. Beaucoup de philosophes, devant le problme des deux chiens, ont l'impression qu'il faut rejeter comme irrmdiablement naf le point de vue scientifique, et qu'il faut penser d'une faon la fois plus directe et plus subtile la notion de phnomne, par exemple en revenant la donne immdiate et en dvaluant comme artificiel tout ce que la science a accompli dans le dchiffrement de l'exprience senso-rielle.

    Mais ce dcoura~ement - ou cette prtention - est tout fait injustifi. La thorie et la pratique des machines information ont familiaris avec l'impor-tance majeure des correspondances structurales. Il est

    (1) Introduction la philosophie mathmatique. (Payot).

  • INTI\ODUCTION 7

    indiffrent l'usager que la piste sonore du film soit obtenue d'une manire ou d'une autre, avec un matriel ou un autre, pourvu que le son soit fidlement reproduit. Il est indiffrent l'usager que le concert cout la radio soit transmis par modulation d'am-plitude ou modulation de frquence, avec deux ou avec trois tages d'amplification, si l'audition est bonne. De mme, il est indiffent au savant anato-miste qu'il connaisse la structure du chien travers ses propres relais crbraux. ou directement. comme phnomne absolu. Il lui est indiffrent d'apprendre qu'il est dans la caverne de Platon, ou dans le monde de Kant, ou dans celui de Berkeley, ou dans celui de Husserl, pourvu qu'il puisse dcoder le dernier tat du groupe structural.

    Naturellement, tout ce que l'on peut dire de la connaissance de la structure s'applique la connais-sance du fonctionnement. Les deux ne font qu'un. Une structure est un groupe ferm d'oprations possibles, aussi bien en mathmatiques qu'en biologie. La rotation d'une sphre, comme groupe d'oprations sur les points de la sphre, dfinit prcisment la structure d'une sphre. Le mode de locomotion du chien ne fait qu'un avec la structure de ses membres, ou plus exactement avec la structure de ses membres. plus la structure des appareils nerveux commandant les muscles. Du moins, le postulat de la physiologie scientifique est que l'on peut, en principe, trouver dans la structure aetuclle de J'appareil nerveux de quoi expliquer intgralement le mode de locomotion du chien comme un fonctionnement cyclique. Ce postulat peut encore s'exprimer sous la forme : On doit pouvoir toujours fabriquer ou imaginer, pour une fonction considre, un automate de structure et de fonctionnement quivalents . L'automate sera naturellement en mtal ou en matire plastique, et non en cellules vivantes, mais sa structure, d'aprs la dfinition, sera exactement la mme, quant a la fonction considre, que la structure du chien vivant.

  • 8 LA GENSE I>ES FOI\MES VIVANTES

    * * *

    Si la mmpho-logie, avec la physiolosie du fonction-nement, est la partie facile de la science classique, la morphognse prsente au contraire le maximum de difficult et mme de mystre. On le conoit aisment. Si la connaissance rejlose sur des correspon-dances structurales, sur l'isomorphisme entre l'objet rel et son phnomne ou son schma thorique, comment pourra-t-il y avoir isomorphisme entre un schma structural qulconque et le passage d'une absence de structure une erbence de structure ? Que le chien, dont on sait qu il a exist l'tat d'un uf fcond unicellulaire, ait form ses quatre pattes et son systme nerveux, on ne peut le comprendre de la mme faon que l'on comprend comment le chien, ayant maintenant quatre pattes et un systme nerveux, est capable de marcher. Il ne peut y avoir isomor-phisme entre une forme et une formation, mai:~ seulement entre forme et forme, ou entre formation et formation.

    Dans le mystre de la morphognse, il n'y a que deux attitudes possibles : ou essayer de nier la formation, en la rduisant un fonctionnement, ou recourir un schma non structural, l'analogie avec un autre domaine, plus familier, o l'on constate aussi des formations, tel que le domaine de l'invention artistique ou technique. Selon ce dernier type d'hypothse, la structure et le fonctionnement de l'automate correspondent l'anatomie et la physio-logie du chien, et la formation du chien correspond l'invention de l'automate. L'isomorphisme de la connaissance est P.rserv : dans la formation comme dans l'invention tl y a passage d'une ab.ence une prsence de strudure ; ou, si l'on prfre, il y a passage d'un iso-amorphisme un iso-morphisme. Mais c'est au prix d'un renoncement connatre scientifiquement l'invention aussi hien que la forma-tion. Les psychologues tendance scientifique n'ont pas perdu l'espoir d'expliquer l'invention comme un fonctionnement du cerveau humain. Or, il est clair qu'il faut renoncer cet espoir si l'on met en parallle

  • INTH.ODVCTION

    invention et formation, car il n'y a pas de cerveau, humain ou non, qui soit il l'origine de la formation du chien, cerveau compris. La nature n'a pas de systme nerveux pour former les systmes nerveux. Elle n'a pas de mains. disait Plotin. pour former des mains.

  • CHAPITRE PREMIER

    VERTICALISME ET THMATISME

    FoNCTIONNEliiENT ET FORMATION.

    L'allure fondamentale des formations organiques peut tre caractrise mtaphoriquement, comme verticalisme . Une formation est irrductible un fonctionnement, et elle peut tre dite perpendicu-laire celui-ci. Un coup d'il sur l'ensemble des schmas de la page 12 en dira plus long gue toutes nos explications. Il est indiffrent qu'il s'agtsse ici de la formation organique d'un canal circulatoire arien ou sanguin, ou mme qu'il s'agisse d'une cration humaine technique ; l'important est l'opposition entre les schmas disposs verticalement et les schmas disposs horizontalement. Les premiers reprsentent une formation, avec apparition de formes nouvelles que rien, sauf la connaissanee analogique des phnomnes semblables, ne permet de dduire des formes d'abord donnes. Les seconds reprsentt;ni: dans l'espace et le temps le fonctionnement des structures aprs formation, fonctionnement qui se dduit aisment des structures considres. Tous les traits d'embryologie fournissent profusion des exemples de schmas verticaux. Tons les traits de physiologie fournissent des exemples de schmas horizontaux.

    Dans un sens aussi bien que dans l'autre, un tat

  • 12 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    commande l'tat suivant. La notion d'enchainement de forme!~ rst plw~ large que celle de (ollctionnement, et il peut y avoir enchanement de formes sans fonctionnement. Il n'y a jamais mergence ou appari-tion pure, dans le sens oii l'on dirait qu'un fantme apparat, ou que Vnus merge au-dessus des flots comme une vapeur . La gouttire se forme partir d'une aire plate, et le tuyau a partir de la gouttire.

    PSEUDO-FORI\IATIONS.

    Dans une usine qui fabrique des gouttires rar emboutissage, ou des tuyaux, la fabrication n est certes qu'un funcliunnemenl. D'autre parl, lorsque des sdiments marins, comprims latralement, se dver-sent sur un socle continental en formant des plis qui parfois prennent l'allure e vritables gouttires, bref, dans ce qu'on appelle la morphognse d'un massif montagneux, personne ne verra autre chose qu'un fonctionnement mcanique, et personne, moins

    d'exprimer un sentiment reli-gieux ou potique, ne sera tent de recourit la mythologie d'une eration divine, verticale et artistique, des montasnes. Mais la morphognse orgamque, toul en se tenant trs prs d'un fonctionnement, est tout autre chose, puisqu'elle aboutit, non sc1lement :'t un ehangement de l.t forme de dpart, non seulement

    +-Pnn

  • YERTICALIS:\IE ET THI~MATIS!'tfE 13

    une augmentation brute de eomplexil qu'il serait parfaitement possible de chilrrcr comme quantit d'information, mais une augmentation de com-plexit dans une totalit auto-subsistante. consistante, unifie, et capable de Sl -rvir il son tour de base de dpart pour une nouvelle formation. L'augmentation brute de complexit dans un ensemble ouvert n'est pas un critre suffisant : il faudrait prohahlemcnt au moins autant de mots pour tlgraphie la description des Alpes que pour tlgraphier la description d'un em-bryon de mammifrc. !\lais les plissements montagneux une fois forms ne peuvent enl"orc que fonctionner, c'est--dire subir passivement pressions, rosions, dcompositions chimiques, tandis que l'organisme continue se diffrencier. En outre, au moment de la fonnation du plissement mont:tgncux. on surprend le jeu des forces latrales qui agissent massivement, de l'extrieur, sur les couches sdimentaires, et qui les poussent de proche en proche. Au

  • 14 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    FoRMATION DE L'AMPHIOxus.

    Rappelons ici trs grands traits les phases primitives du dveloppement de l'amphioxus. Il offre une sorte de c;chma du dveloppement de tous les vertbrs. L'uf se segmente, sans grossir, en deux, puis quatre, puis huit cellules peu prs gales. Ces cellules continuant se divi-ser, il en rsulte une petite sphre pareille une mre (morula). Elle devient une vsicule creuse (blastula).

    ~,~. ~,~tl -~-.. .......... .... ' .........

    Geslrulalion

    Tte Oueue J.Metlor.ra/e 0 ... tlubla.rtopore Gastrula

    Fig. 2

    :~::: Intestin prti771l11 8/d.stopore

    Le ple infrieur s'aplatit, se dprime, et s'enfonce lgastrulation) dans l'hmisphre suprieur comme si un pouce invisible pressait sur une balle de caoutchouc

    (fig. 2). Par suite, la cavit de la blastula est rduite, et une nouvelle cavit est forme, qui fournit l'intestin pri-mitif. Cet intestin primitif communique avec l'extrieur par l'orifice rsiduel : le blastopore. La rgion du blasto-pore, surtout la partie dorsale, a t en ralit l'agent actif de la gastrulation. Dans la gastrula, les bauches de l'animal sont dj mises en place. La gastrula a un axe tte-queue, avec symtrie bilatrale, et un axe dorsa-ventral. D'autre part, les lmenl qui se sont invagins n'ont pas la mme destine. La vote dorsale constitue l'bauche chordale et, dans le msoblaste, la partie ventrale constitue l'entoblaste qui bientt sc dtache des bauches

    Dos

    Ventre Fig. 3

  • VERTICALISME ET THMATISME 15

    msoblastiques et se soude au-dessous de l'bauche chor-dale ~fig 3). Sur la face dorsale de l'embryon en contact avec l'bauche chordale, le systme nerveux s'amorce par deux crtes qui apparaissent le long de l'axe tte-queue, se rapprochent, et constituent, en se soudant, le tube nerveux. Il faut bien noter que si par la mthode des marques colores, on pem reprer dj sur la blastula les cellules qui deviendront, une fois in vagines, ou chorde, ou msoblaste, ou intestin, cela ne signifie pas qu'elles r.ontiennent en elles l'tat pr-form les structures qu'elles deviendront, car si l'on dplace exprimentale-ment ces cellules, elles peuvent donner autre chose que ce qu'elles auraient donn, laisses en place, et l'embryon se dveloppe normalement.

    Intestin -~primitif

    Blastopore ---V/tel/us

    Fig. 4

    Le dveloppement de l'uf d'amphibien est trs analogue, sauf que, plus riche en matires nutritives de rserve, la segmentation, puis la gastrulation est comme gne par cette masse de vitellus, et que la lvre dorsale du blastopore est de beaucoup la plus active (fig. 4).

    Mme dans cette schmatisation si grossire des faits, il est difficile de ne pas voir le caractre de travail

    . crateur, de comportement initiatives, irrductible un fonctionnement, de la formation, bref, son vertica-lisme ~. Tout est activit dans la gastrulation. Si la blastula tait un systme d'quilibre physique, on voit mal comment elle s'engagerait dans la voie qui la conduit une telle complication.

    GREFFE ET PROTHSE. Dans le fonctionnement horizontal, on peut suivre

    les cheminements et transmission des forces ou des substances, et les enchainements des effets. C'est pourquoi la technique humaine peut intervenir, par des substitutions partielles de plus en plus hardies.

    2

  • 16 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    On peut dj, momentanment, et bientt, sans doute, durablement, remplacer une canalisation organique dfaillante par une canalisation -en matire plastique.

    Dans la formation verticale, on peut dcouvrir aussi des cheminements et transmissions de substances, des enchanements d'effets dans lesquels l'intervention est possible. L'embryologie exprimentale donne lieu des techniques au moins aussi hardies que les techniques de prothse. On peut, par exemple, aux phases pr-coces d'une diffrenciution, oprer des greffes, en prlevant le grefl"on sur une autre partie de l'orga-nisme en dveloppement, ou sur un autre organisme de la mme espce, ou mme sur un organisme d'une espce voisine. Le dveloppement normal peut nan-

    Fig. 5

    moins s'oprer dans un grand nombre de cas, le porte-greffe imposant au greffon sa propre allure de diff-renciation - par exemple, ici, la contribution la formation d'une ~outtire (fig. 5). Mme dans le cas o le greffon n'obeit pas compltement aux inductions du porte-greffe, et se dveloppe comme il se serait dvelopp en son lieu originel, les deux tissus artifi-ciellement accols s'harmonisent d'eux-mmes, au moins partiellement.

    Mais il est impossible de confondre les deux espces de techniques, verticale et horizontale, la greffe et la prothse. Dans une intervention verticale, l'op-rateur compte sur une comptence propre des tissus concerns. Il modifie, par des dplacements, les pos-sibilits d'exercice de ces comptences. Il est pareil un chef d'enheprise qui peut modifier la situation de ses ouvriers, en leur permettant un emploi plus ou moins tendu de leurs comptences ; ou qui peut encore modifier les signaux reglant leur travail, ou

  • VERTICALISl\ ET THI~MATISMJI: 17

    le rythme d'arrive des matriaux laborer. Il n'est pas pareil un ingnieur imaginant des machines substituahles au travail, dj machinal, de manuvres ou d'ouvriers non qualifis.

    FoNCTIONNEMENT, 1\fonPHoGNt'::sE ET coMPonTEI\IENT.

    Le rmportement peut tre considr comme une synthse de fonctionnement et de formation. Une machine, liv1e elle-mme, fonctionne. Mais une machine, lorsqu'on la rapporte un thme ou une intention d'emploi, a un rle et se comporte . Le comportement. contrairement it la thse des beha-viouristes meanistes. est iiTdudihle un fondion-nement. Il implique improvisation et adaptation inventive une fonction-rle. Pnc automobile, un hateau, un avion, entre les mains d'un pilote, se comporte. hien ou mal r

  • 18 LA GENEsE DES FORMES VIVANTES

    pseudopodes pour avancer, une bouche et un tube digestif pour avaler. Dans l'embryon aussi, mme d'un animal suprieur, l'improvisation est partout, mle au fonctionnement des organes dj acquis par les dveloppements prcdents. La blastula improvise, selon un thme spcifique certes, mais au del d'un fonctionnement machinal, la migration cellulaire gui la transformera en gastrula, comme l'unicellulaire improvise des pseudopodes. Le comportement est

    indis~er~able du dveloppeme.nt, et il en est ~a fois le prmc1pe et la mamfestatwn. Chez les ammaux inferieurs, les colonies de bactries ou d'amibes, le dveloppement reste indiscernable du comportement jusqu'a la mort de l'organisme.

    Chez l'adulte dot, non seulement d'un systme nerveux, mais d'un cerveau au cortex dvelopp comme chez l'homme, il est extrmement caractris-tique que l'ensemble de l'organisme soit plusieurs fois reprsent, comme une sorte d'homunculus, en pro-jection sur le cortex : sur 'le cortex parital, comme sensibilit, sur le cortex frontal comme motricit, sur le cortex occipital comme corps vu, et mme, d'une manire encore mal prcise, sur le cortex pr-frontal comme sensibilit et motricit motives (1). Dans un comportement psycho-social, le fonctionnement du corps est subordonn au comportement immdiat du corps projet, de 1'homunculus cortical qui lui, se comporte la manire d'un unicellulaire ou d'une colonie amibienne.

    Considrons un homme qui marche vers un but dtermin par un chemin mal trac exigeant une certaine vigilance inventive. Les muscles de ses membres, en tant qu'ils obissent aux impulsions nerveuses, ne font que fonctionner. Mais l'homunculu.

  • VERTICALISME ET THMATISME 19

    auto-conduction immdiate, analogue celle de l'amibe mettant des pseudopodes et se transformant tout ent;~re en appareil avancer. La locomotion volontaire d'un homme est ainsi l'amplifieation fonc-tionnelle, obtenue par des relais compliqus, d'un schma improvis de mouvement dans l'lwmunculus de la zone motrice. Le eerveau, dans un multicellulaire adulte, est un appareil qui permet la sparation de la composante fonctionnement et de la composante comportement qui, chez l'unicellulaire ou l'em-bryon, sont confondues. Le cerveau ne se borne pas plus fonctionner qu'un embryon en dveloppement. C'est pourquoi, si l'on applique par exemple un courant faradique la zone motrice d'un cerveau vivant, on ne produit pas des mouvements strotyps. mais des rponses motrices variables. L'homuncu-lu.s crbral n'est localisable qu'en gros, prcisment parce qu'il est en comportement ou en dveloppement perptuel, comme une amibe, ou une colonie d'amibes dans un cristallisoir.

    On peut dire indiffremment, et sans tomber dans un cercle vicieux ou une contradiction, que le compor-tement est une synthse de formation et de fonctionne-ment - si l'on songe surtout nu comportement des tres dots d'un systme nerveux - ou bien que le comportement est principe de fonctionnement si l'on songe surtout aux tres non dots, ou non encore dots, d'un systme nerveux.

    Lorsqu'on a voulu comme A. Gesell tudier l'embryologie du comportement (1) au sens psychologique du mot, on s'est aperu qu'il tait impossible de dissocier comporte-ment et morphognse. La thse selon laquelle l'hrdit biologique cre les structures organiques, celles-ci dter-minant ensuite le comportement, est aujourd'hui reconnue fausse. L'hrdit est facteur la fois des structures et des comportements, ou, pour mieux dire, des comporte-ments formatifs et des comportements instinctifs. Il y a plus que paralllisme, il y a identit de nature entre les modes de dveloppement des structures du corps, et les modes de dveloppement des comportements instinctifs.

    (1) A. GESELL, L'embryologie du comportement, (P.U.F.).

  • 20 LA GENtSE DES FORMES VIVANTJ!:S

    Le dveloppement c vertical :. est un comportement, et le comportement instinctif se dveloppe, la manire des bauches organiques. Les deux sont troitement entrelacs, souvent par convergence de dveloppements fragmentaires. Dans l'ontogense des jeunes passereaux, le comportement : c grattage de la tte en se tenant en quilibre sur une patte et sur une aile~. apparat rl'abord par fragments. Des parties de ce mouvement complexe apparaissent avant que le comportement, comme unit fonctionnelle, puisse tre accompli. Le ftus des marsupiaux (l'opossum surtout a t bien tudi par Hartman et Mac Crady) g de dix jours, et ressemblant plus un ver qu' un mammi-fre, est capable. de ramper, du canal urognital la poche, en utilisant ses memhres ::mtrieurs et en dplaant la tte d'un ct l'autre jusqu' ce qu'il trouve le mamelon-, o il s'accroche comme un cordon ombilical pour ache-ver son dveloppement. Cc comportement utilise des fonctionnements, mais les enveloppe et s'intercale dans le dveloppement comme une phase parmi d'autres. Il en est ,de mme, comme l'ont montr les techniques rcentes et l'emploi de microfilms, pour l'embryologie humaine. L'attitude de rflexe tonique du con, impliquant des mouvements dissymtriques de l'paule et des membres, et qui deviendra lment constituant d'une foule de comportements ultrieurs, s'bauche dj huit semaines et demie quand le ftus humnin n'a que 25 mm (1 ). L'embryon, flottant librement, contribue probablement lui-mme son quilibre, les canaux semi-circulaires tant trs prcoces dans leur croissance, mais n'tant encore qu'bauchs.

    Structure et fonction, structure cl comportement, loin d'tre comme machine et fonctionnement -le fonctionnement ne se dfinissant jamais qu'aprs la structure de la machine - se dveloppent de conserve, presque du mme pas, la fonction et le comportement anticipant touJours un peu sur la structure. La fonction ne peut anticiper brmucoup sur la stmcture - car alors on sortirait de la continuit du verticalisme pour tomber dans le cas de l'ap-parition magique ou miraculeuse. Ma!s, pour _qu'il y ait dveloppement. ou comportement, 11 faut b1en que

    (1) Cf. in A. GESELL, op. cit., les cinmicrophotograpbies du Dr Hooker.

  • VERTICALISI\IE ET THMATISME 21

    la fonction anticipe un peu sur le

  • 22 LA GENtSE DES FORMES VIVANTES

    n'existe pas, du moins pour l'organisme pris dans son ensemble, car les pouvoirs de rgnration sont toujours trs ingalement rpartis. Et surtout, un

    or~anisme qui s'difie ne se borne pas rsister, il cree des formes.

    MISES EN PLACE ACTIVES.

    L'anticipation de la fonction sur la structure est rvle par les faits. La fonction et le comportement anticipent assez sur la structure pour que la diffren-ciation finale apparaisse souvent comme une mise en place de moyens plus raffins, perfectionnant une fonction fruste, mais d.i active. Comme dans une usine humaine, l' automatisation:&, dans l' usine:& organique, est souvent tardive.

    Un rythme organique primitif prcde souvent la mise en place des mcanismes nerveux qui le contrleront, et qui, d'autonome qu'il tait, le rendront automatique, au sens mcaniste du mot. Dans l'organisme adulte, les battements du cur semblent s'expliquer causalement par l'action purement physique des influx nerveux. Mais comment expliquer alors qu'au quatrime jour d'incu-bation, un cur d'embryon de poulet fournisse dj un lectro-cardiogramme identique celui de l'adulte, par le rythme propre des cellules musculaires et alors qu'il n'a pas encore de contrle nerveux ? (1) La mise en place des moyens ne se fait pas elle-mme sans moyens qui apparaissent comme des causes celui qui est absolument dcid les considrer ainsi. Mais il est frappant que la mise en place ait l'allure d.i d'un comportement formatif. Les cellules nerveuses qui tabliront les mcanismes auxiliaires du comportement dj dynamiquement bau-ch, se comportent elles-mmes co:nme instinctivement. Le micro-cinma acclr montre leurs cnes de crois-sance cherchant leur voie, avec les mouvements amibodes, dans l'espace intercellulaire des tissus vivants, guids par des stimuli-signaux manant des cellules musculaires innerver (2).

    (1) A. GEsELL, L'embryologie du comportement, p. 40. (2) Observatio~s de C.C. Speidel.

  • VERTICALISME ET THMATISME 23

    LA MATURATION SOUS-JACENTE AU FONCTIONNEMENT.

    Le schma du verticalisme ne doit pas faire croire que la constitution de l'organe, puis le fonctionnement. de l'or~ane, soient toujours deux phases nettement successives et distinctes. Cela arrive souvent : il y a mme une certaine incompatibilit entre le travail de formation, et le travail e fonctionnement. Dano; l'embrlogense. l'artre pulmonaire, les poumons, et bien d autres organes, se forment avant de fonctionner. Mais encore plus souvent, le fonctionnement est troi-tement ml la formation : l'artre ombilicale, ou le cur, se forme et fonctionne en mme temps, et il en est de mme de la plupart des organes qui fonc-tionnent ds les premires phases de leur formation, et qui continuent se former en fonctionnant. Une main adulte fonctionne et sert comme organe sans se dvelopper (bien qu'elle se rpare imperceptiblement, par exemple par la pousse des ongles, et plus gn-ralement par le flux incessant de molcules qui passent dans sa forme). Une main embryonnaire se dveloppe sans servir. Mais une main, un il, un systme nerveux de nouveau-n se dveloppent tout en commenant servir. Le fonctionnement n'attend pas que l'organe soit compltement constitu. Un dveloppement-matu-ration continue en gnral pendant le premier exereice. D'autre part, ce premier exercice est souvent indis-pensable la bonne continuation du dveloppement. Un jeune animal que l'on empcherait de voir en couvrant ses yeux d'un cran subirait des dommages oculaires ingurissables.

    LA CONTINUIT THMATIQUE.

    Dans .Jes deux sens. vertical et horizontal, du schma de la formation, qu'il s'agisse de la phase de morpho-gnse ou de la phase de fonctionnement, il y a apparemment, dans le temps. passage d'une structure une structure.

    Mais, dans le sens de la morphogense, il y a conti-nuit thmatique, alors que, dans le sens du fonc-tionnement, il y a continuit positionnelle. S'il n'tait

  • 24 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    difficile d'imposer au vocabulaire une rigueur absolue sur ce point, on pourrait ici spcialiser les mots forme et structure, en prcisant que la mor-phogense verticale manifeste une continuit thma-tiqu~ des formes, et que ln physiologie horizontale mamfeste une permanence de la structure malgr les changements de position. Dans le premier cas, on lJa d'une forme une autre forme, dan.~ le deuxieme ca.~. on lJa d'un ensem1Jle de position.

  • VER1'ICALISME ET THMATISME

    le thme amorc en eux avant l'intervention de J'exprimentateur.

    LES TAPES DE LA DI~TEHl\IINATION.

    Cette restriction des capacits morphogntiques d'un tissu, corrlative des progrs de la dtermination et de la difTreneiation, s'opre par tapes. Ainsi, l'ecto-derme de la gastrula. n.:sullanl. lui-ml;llle d'une dter-mination de la h!astula, est dlcnnin d'abord vers la diffrenciation pidermale, neurale ou msodermale. Puis, chacune de ces grandes catgories subit des dterminati0ns secondaires : par exemple, la dter-

    mination tpidennale conduit it l'piderme vrai, ou a l'bauche du nislallin ou du t~mpan. etc. De mme, un hourgeon dt membre est dt'-Lermint comme patte. puis, comme patte droite, etc. \Vaddinglon, Needham, l ... otka. et d'autres, ont J'elH'l\sent eette succession de dterminations eomme une srie de passages des tats d'quilibre de moins en moins mstable. Soient trois tages de cnes, ou plutt de troncs de cnes, disposs dt

  • 26 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    ainsi de suite jusqu' ce qu'elle atteigne le plan de stabilit absolue qui est l'organisme adulte. Cette figuration a sa valeur en ce qu'elle reprsente l'irr-versibilit de la diffrenciation aprs dtermination. Elle permet aussi, nous le verrons, d'introduire la dfinition des chiquenaudes ~ successives qui font tomber la bille dans telle ou telle direction a partir du sommet. Mais elle risque de tromper, en ce qu'elle donne la dtermination l'aspect purement ngatif d'une restriction de pouvoir. Tel bourgeon pourrait devenir P.atte droite ou patte gauche ; aprs dtermi-nation, Il ne peut plus fournir qu'une patte droite. Mais le mot pouvoir , ou potentialit , a un double sens. Il dsigne, soit une possibilit (que se reprsente un tmoin), non dynamique, soit un c pouvoir dynamique . Quand la transplantation par greffe montre que le sort prsomptif de tel fragment de tissu est modifiable, et qu'il pouvait donc devenir autre chose que ce qu'il devient normalement, rien ne permet de donner pouvoir un sens dyna-mique, et de dire que le tissu avait en lui de quoi se diffrencier dans de multiples diredions, mais que la dtermination a limit ce pouvoir. La prsomption, nous l'avons soulign, n'est qu'une connaissance du biologiste. La dtermination au contraire implique un pouvoir positif et dynamique du tissu lui-mme, qui manifeste bientt, {lar sa diffrenciation, qu'il obit activement un theme formatif. Le schma confond les deux pouvoir, en les assimilant l'un et l'autre l'nergie potentielle d'un corps physique une certaine hauteur, et rerdant progressivement cette nergie mesure qu'i descend.

    Pourtant, le ct positif de la dtermination apparat avec vidence par la cration d'une forme plw; complexe que la forme primitive. Fournir un thme un artiste, r.'est peut-tre d'une part J'empcher de travailler sur un autre thme qu'on aurait pu lui fournir, mais c'est srement, d'autre part, lui donner quelque chose qui guide effectivement son effort d'invention. L'emploi spontan, par Je biologiste, du mot c bauche, emprunt J'art, pour dsigner les stades primitifs d'une diffrenciation, prouve qu'il ne

  • VERTICALISME ET THI~MATISME 2i

    peut s'en tenir, devant les faits, l'image d'une bille qui perd de la hauteur, et qu'il recourt plutt l'image d'un dessin qui gagne de la prcision. Un embryon esquisse un bti abstrait et thmatique : axe de symtrie bilatrale, dirention cphalo-caudale ou dorsa-ventrale. Le systme nerveux, destin devenir plus complexe qu'un Central tlphonique, ressemble d'abord une simple gouttire, puis un tube. La main humaine ressemble d'abord une palette, o les bourgeons de doigts sont tous semblables. La chute d'une bille est une dgradation de l'nergie, une diminution d'information, une augmentation d'entro-pie ou de dsordre, tandis que la succession des dterminations est une augmentation d'information el une cration d'ordre structural.

    Di~TERMINATION ET DI~TERMINISI\IE.

    D'autJe part, le schma rle la bille risque de donner la dtermination un aspect toul fait trompeur de dterminisme mcanique. Le dveloppement n'a certes pas davantage un aspect de libert. Il obit des rgles prcises ; l'embryologie est une science, et le bi-ologiste peut prvoir en gros les comportements d'une aire embryonnaire ou d'un greffon. Mais il n'est pas davantnge conforme, dans son allure, au schma des systmes physiques soumis au dterminisme. Ce qui fait son immense intrt, est justement qu'il ne rentre ni dans la catgorie libert , ni dans la catgorie dterminisme . Il y a libert (thorique-ment) quand un tre .x:, dans une situation donne, invente, improvise un comportement appropri, mais non rigoureusement dductible partir de la situa-tion. Il y a dterminisme (thoriquement), quand, des positions et mouvements d'un groupe de particules on peut dduire rigoureusement les positions et mouve-ments de ce groupe pour n'importe quel instant ultrieur. Le schma de la bille, en apparence, n'est pas un schma dterministe car, de la position de la bille au sommet du cne, on ne peut dduire la direc-tion de sa chute. Mais, dans l'esprit des biologistes orthodoxes, la chiquenaude orientante est donne par

  • 28 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    un inducteur chimique, et l'action de l'inducteur, plus la raction du tissu, est cense expliquer compltement la morphognse. Nous sommes donc bien dans le schma dterministe : la situation prsente (ici l'tat chimique de l'indudeur, plus l'tat chimi9:ue du tissu), est dterminante, sans rsidu, de la situatwn suivante. Seulement, si prompts que soient les embryolo~istes postuler thoriquement un crypto-dtermimsme, jamais, dans leur pratique relle, ils ne considrent en fait la situation, c'est--dire l'tat de l'organisme en un instant donn, la manire dont un astronome considre la situation des :{>lantes dans le systme solaire, pour calculer les positions ultrieures ; jamais non plus ils ne considrent en gros la situation physico-chimique la manire d'un savant qui compte statistiquement sur le rsultat connu de telle raction ; jamais enfin ils ne considrent la situation comme celle d'une machine structure ou d'un champ de forces dont ils pourraient calculer le fonctionnement ou les etTets. L'embryologiste parle d'un systme coordonn d'bauches ; il en prvoit le sort ultrieur par analosie avec les organismes de mme espce, et, s'il intervient dans le dvelo~pement, ce n'est pas du tout. la manire d'un chnniste qui introduit un corps nouveau ou une variable physique nouvelle dans le cours d'une raction. La facilitation de la chute de la bille d'un palier l'autre pourrait assez bien figurer l'action dun catalyseur. Elle reprsente trs mal l'action d'un inducteur biologique, et plus mal encore la diffrenciation consquente qui va de forme forme, de la forme bauche la forme acheve.

    FoRI\IES THMATIOUES ET SYSTMES DFORMABLES.

    On ne comprend pas le dveloppement et les phno-mnes biologiques en gnral, tant que l'on n'a pas rejet le postulat, emprunt tel ~uel la physique classique, selon lequel une forme n est qu'un ensemble de positions coordonnes par des liaisons de :eroche en proche. Mme les biologistes conscients de 1 insuf-fisance de la physique classique, en biologie, n'ont pas toujours vu clmrement o gisait l'erreur. On peut en

  • VERTICALISI\IJo. ET THMATISME 29

    effet aisment imaginer des modles mcaniques dformables, c'est--dire dans lesquels la meme forme, ou une forme analogue, est garde travers une srie de modifications provoques par une action locale, comme si un thme formel dominait les posi-tions possibles. Le pan~ographe en est un exemple.

    Considrons maintenant, dans l'ordre biologique, un exemple apparemment analogue celui du panto-graphe, que nous empruntons H.J . Jordan (1), celui des formes dtermines que prennent les feuilles de la sagittaire sous l'aetion d'une cause simple. Sous l'eau, la plante porte des feuilles lancoles ; les feuilles merg(es sont en forme de flche. L'analyse causale montre que la cause principale de cette diffrence est la lumire. Peu intense, elle produit des feuilles lancoles, intense, des feuilles en forme de flche. Si les parties des organes vgtaux taient ind-pendantes, une cause aussi simple ne pourrait que dtruire l'ordre statique donn, c'est--dire produire un chaos. Dans la feuille, d'un ortlre donn, il sort teujours un autre ordre (2). Le cas est-il le mme que celui du pantographe ? Evidemment non. Dans la feuille et dnns l'organe en g(nral, la raction

    ~lobale une action locale, le canwlre de forme a forme>>, et non de position position, du dve-loppement, n'est pas d it des liaisons mcaniques, mais bien au dclenchement e certains mouvements complexes cl harmonieux (:J).

    FoRI\IES THMATIQUES ET CHAI\IPS A RGl.lLATION.

    Mais beaucoup de thoriciens, notamment sous l'influence de la Gestalt Theorie. ont cru qu'en sub-stituant un mode de liaison dynamique (par exemple des forces s'quilibrant dans un champ) au mode de liaison mcanique, ils pouvaient perfectionner ces modles d'une faon dcisive, et comprendre le thmatisme.

    (1) H . J. .JonDAN, lmllermini:;m1~ rilfll d d!lllllmisme causal. (Rech. Philos. n, p. 1:-10).

    (2) Ibidem, p. 2!). (3) Ibidem, p. 30.

  • 30 LA GENSE DES FOR:l\IES VIVANTES

    Soit par exemple un des faits les plus extraordinaires d'couverts dans le dveloppement : le ddoublement d'une bauche ou la fusion de deux bauches. On sait depuis Driesch que si l'on isole, dans l'uf ~oursin en division, une des deux premires, ou mme une des quatre premires cellules, cette moiti ou ce quart, destin normalement fournir une moiti ou un quart d'embryon, rgule, et fournit un embryon entier, harmonieux et seulement plus petit. Driesch a dcrit sa stupfaction devant sa dcouverte : Je notai, le soir du premier jour de l'exprience, que le demi-embryon hmisphrique reprenait la courbure d'une sphre complte de plus petite taille, et le lendemain matin, il y avait une blastula complte. Mais j'tais tellement prvenu ... que je m'attendais encore, le jour suivant, dcouvrir une demi organisation, un demi tube intestinal, un demi anneau msodermal. Mais la gastrula se dveloppa comme animal entier, et elle fournit une larve petite, mais entire et typique. ~ Inversement, si l'on accole deux ufs entiers, l'en-semble fournit un embryon unique, simplement plus gros que l'embryon normal. Au cours du dveloppe-ment ultrieur, de mme, si un accident ou une exprience supprime, entre les bauches de deux organes pairs, les tissus intermdiaires, et si les deux bauches viennent ainsi en contact prcocement, elles ne fournissent qu'un organe unique au lieu des deux organes normaux.

    Le modle pantographe ou triangle dformable de Jordan ne peut expliquer de tels faits. Mais si l'on considre un systme physique liaison dynamique, par exemple un champ lectrique sur un condensateur, ou un champ magntique, ou une bulle de savon, ou un cristal liquide, on peut croire constater des faits analogues de fusion ou de ddoublement, bref, de conservation du thme formel. Les embryologistes en baptisant phnomnes de champ - field pheno-mena - toutes les rgulations thmatiques, font allusion des champs physiques de ce genre, sans voir qu'il n'y a pas grand rapport entre la simple distribution rgulire de substances ou de forces, et la possibilit de maintien d'une forme complexe dans

  • VERTICALISIIIE ET THI"IATISME 31

    toutes les P.arties {)'un champ organique. Les biologistes, dit waddington (1) usent de la notion de champ comme d'une sorte de joker par quoi presque tout peut tre expliqu. C'est que la notion a t pour eux le moyen d'introduire le thmatisme, mais sans s'en rendre compte, et en s'imaginant adopter un modle physique.

    LES CRISTAUX LIQUIDES.

    Laissons de ct les modles par trop simplistes du genre bulle de savon >>, ou champ magntique . Mais les cristaux liquides, dans lesquels les molcules

    Regenration

    Fig. 7

    sont orientes dans une seule direction, et non dans trois comme les cristaux ordinaires, offrent plus d'intrt, car, nous le verrons, ils peuvent tre mieux qu'un modle . Ils existent certainement dans les cellules vivantes (2). Or, les cristaux liquides, par

    (1) C.H. WADDINGTO:>~, Principles of embr1Jologg, p. 17 et 23. Mais Waddington ne se prive pus lui-mme d'employer ce c joker.

    (2) cr. NEEDHA!II, Order and life, p. 15i et BONNER, Morpho-genesis, p. 45

  • 32 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    exemple d'olate d'ammonium, peuvent, s'ils sont briss, rgnrer deux cristaux plus petits ou, s'ils sont accols, ils peuvent fusionner et fournir un seul gros cristal. Le paralllisme avec les expriences de Driesch est frappant. Celui-ci a t stupfi par ses expriences, au point, pour emplover l'expression familire, qu'il n'en est pas reven . Pareil un homme converti par la vue d'un miracle, il est pass, de la science positive, sinon la foi religieuse, du moins la foi philosophique en un :principe transcen-dant. Si les modles de cristaux liqmdes sont valables, la stupeur a t mauvaise conseillre.

    Or, il y a de bons arguments en leur faveur. Beaucoup de fusions organiques dpendent, apparemment, de facteurs d'orientation qui sont d'ordre physique. G. Teissier a fusionn des larves d'hydraires : la russite de la fusion dpend du paralllisme des axes antro-postrieurs. Les monstres bi- ou multi-composites instables, que Faur-Frmiet obtient chez le cili Urostyla, ressemblent tran-gement aux cristaux d'olate d'ammonium en cours de fusion (1). Surtout, l'uvre de lUi. Harrison est sur ce point impressionnante, car il a essay d'interprter par le modle cristallin la dtermination elle-mme, qui, si ses conclusions taient vraies, ne serait plus thmatique. ou du moins ne serait plus thmatique qu' la manire d'un ordre physique. La dtermination d'un membre, nous l'avons vu, se fait par tages. En transplantant, et en intervertissant des stades diffrents sur l'axolotl, les disques reprsentant les futurs membres, on s'aperoit que la dtermination de l'axe antro-postrieur est plus prcoce que la dtermination de l'axe dorso-ventral, et celle-ci plus prcoce que la dtermination de l'axe mdio-latral. A un certain moment, par exemple, si l'on inter-vertit l'axe antro-postrieur en retournant sur place le disque, il fournit un membre avec un coude pointant vers l'avant au lieu de pointer vers l'arrire, alors que, si l'on intervertit les autres axes, par transposition du ct gauche au ct droit, en gardant le sens antro-postrieur, le membre se dveloppe normalement. La vsicule auditive qui donnera l'oreille, se dveloppe d'une manire analogue: l'bauche est d'abord indiffrente aux directions. Puis,

    (1) FAUR~-FR~MIET, Symtrie et polariU cllez les cilis (Bull. biolog. 79, p. 106-150.

  • VF.RTICALISMF. F.T THMATISME

    les trois axes se dterminent successivement, dans le mme ordre que pour les membres. D'autres biologistes ont montr qu'il en tait encore de mme pour la queue, pour le rein primitif, et mme pour l'bauche neurale, o l'axe antro-postrieur est fix a \"a nt les autres. Que des systmes aussi diffrents se dveloppent dans le mme ordre, cela semble indiquer que cet ordre dpend de facteurs phy-siques simples, par exemple de l'orientation d'lments ultra-microscopiques, qui cristaitisent clans les tissus en passant de l'tat isotropique d'un liquide, il l'tat de mso-forme, ou de rseau cristallin un, puis deux, puis trois axes. C'est d'autant plus vraisemblable, malgr l'chec des tentatives de vrification directe par diffraction de rayons X qu'nil moment des priodes criti4ues de passage d'une dtermination l'autre, surtout dans l'bauche auditive, il se produit beaucoup de ddoublements en miroir, comme dans les cristaux. Comme si, dit Harrison, c le tissu transplant ne savait que faire :. ( l) Bernai a soulign plus gnralement que les cristaux liquides, ou les msoformes, peuvent aisment jouer le rle de proto-or-ganes, car d'une part tant liquides, ils ne sont pas impntrables et permettent des ractions chimiques et des substitutions continues de molcules, d'autre part, ayant une structure qu'ils conservent, ils passent aisment la struduration complte de vrais organes.

    01\GANI'\l'tiE ET CRISTAUX.

    Cependant, il ne faudrait pas se faire trop d'illusions propos des cristaux liquides, non plus qu' propos des formes dynamiques du genre bulle de savon ou rpartition des eharges lectriques sur un conclensateur . L'organe eompltement dvelopp ne ressemble pas du toul it un cl'islal. Il est possible, et mme probable, que les stades primitifs de formation organique se confondent avec des formations cristal-lines, ou du moins en tiennent compte dans leur progrs thmatique vers la strueture typique. Mais le point d'arrive : une palle, une oreille, un rein, un systme nerveux, non seulement ordonn comme un cristal, mais structur comme un outil capable de travailler, montre l'vidence que le thme n'est

    (1) R.G. HARRISON, Re/niions of symetry in tite developing embryo (cit par 8oN:>~En, .'rlorplwuenesis, p. 219.).

  • 34 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    pas seulement un ordre. Il y a des cristallisations dans les organismes. Bien plus, les spicules des Diatomes, des Radiolaires, des Eponges, sont souvent de vritables cristaux quant . leur texture, comme le montre l'examen la lumire polarise. Mais il est extrmement frappant, comme le remarque d'Arcy Thomson, pourtant l'afft de tout ce qui, dans l'organisme, peut s'expliquer par des structurations d'ordre physique, que la forme extrieure de ces spicules ne soit pas conforme aux contours cristallins orthodoxes.

    Les formes des spicules de Foraminifres, faits de carbonate de calcium, ne ressemblent aucune des formes de cristaux de calcite ; elles semblent avoir t sculptes dans un cristal ; cc sont en fait des cristaux contraints, des cristaux croissant pour ainsi dire dans un moule artificiel :. (1). Des organismes appartenant des groupes trs diffrents, utilisant des matriaux chimiques trs diffrents (silice, carbonate, sulfate de strontium), forment des spicules ou des squelettes de forme presque identique, preuve que la fornH~ totale ne rsulte pas, comme dans les cristaux, de la forme des molcules. Les coquilles de certains Radiolaires, en dodcadres, ou en icosadres, sont des formes cristallines impossibles~. Le moule c artificiel~. la force antagoniste des forces de cristallisa-tion n'est-elle que la tension superficielle ou l'nergie de surface entre le cristal et le protoplasme des vacuoles et intervalles cellulaires? Mais comme l'ont montr K. C. Cole, E.N. Harvey, et d'autres, les forces de tension super-ficielle sont tout fait insuflisantes quantitativement; elles n'ont un rle, trs minime, que relativement un squelette solide donn d'abord ; elles ne peuvent pas plus expliquer ce squelette que la tension d'une lame d'eau savonneuse n'explique la b.oucle de fil de fer sur laquelle elle s'tend.

    Comme l'a soulign Banner, (2) le fait que, de gnration en gnration, une (>onge fait une forme bien dfinie et complique de spicules, est totalement inexpliqu. Et ~urtout, un~ patt~, une. o~eil~e, ,un rein est encore, bien plus qu un spicule, elmgne dun

    (1) Growth and Form, 1942, p. 679 (2) Morphogenesis, p. 43.

  • VERTICALISME ET THEMATISI\IE 35

    eristal. Qu' un moment trs primitif, un rseau mso-ou para-cristallin leur ait servi de canevas, cela ne les explique pas plus que la trame d'une tapisserie n'explique ses dessins. Un ordre homogne, par rangement monotone de constituants identiques, n'explique pas un ordre articul dont toutes les parhes, gnralement dissemblables, sont sisni-fiantes les unes pour les autres, et dont la formation, au surplus, est articule el thmatis~e clans le temps aussi bien que dans l'espace.

    La confrontation de l'organisme avec un cristal a surtout pour intrt de montrer clairement en quoi la formation organique ne resscmhle pas une formation cristal1ine. L:-t croissance d'un cristal s'opre essentiellement par des forces cie proche en

    . proche entre molcules, les rangeant les unes prs des autres d'autant plus vite qu'elles sont attires par un plus grand nombre de faces. Il n'est pas ncessaire de faire appel une force formative totale, dominante, pom expliquer la forme rsultante du cristal.

    Il en est de mt~me pour les systi~mes produils par la tension superlkielle ou pa1 des quilihres dans un champ de forces. La forme d'une ehanette, d'une huile de savon, d'un champ magn

  • 36 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    polarits, prouve la prsence d'une unit transver-sale:&. Une pente n'est telle que pour un promeneur ou un ingnieur utilisant la pente. Aucune des mottes de terre ne sait rien de la pente, elle ne connat que la pesanteur sur place.

    LES CYCLES DE FONCTIONNEMENT A ni~CHJLATION.

    Les biologistes contemporains. surtout depuis l'essor de la cyberntique, sont beaucoup moins tents pour rduire le mystre de la morphognse. de recourir au modle bulle cie savon :& ou au modle cristal qu'au modle fonctionnement l1 rgulation . Tout fonctionnement est c.yclique, en ce sens que, sauf usure. il peut revenir son point cie dpart. Ainsi. une roue, un pantographe. ou un pige (par exemple une souricire ressort). Le pige, aprs avoir fonctionn peut tre remis en tat, et retendu. Dans ce dernier cas, le cycle n'est pas autonome, et il faut l'intervention humaine pour remonter le ressort du fonctionnement. Mais le cycle peut tie rendu dyna-miquement autonome. Une mitrailleuse fonctionnant par emprunt de gaz, un moteur explosion comman-dant lui-mme l'ouverture ou la fermeture des soupapes, l'arrive n'essence, l'tincelle, en sont des exemples. Un pas de plus, et le cycle dynamiquement autonome neut tre rendu auto-rgulateur par un systme dit n (Ped bacle, par un circuit auxiliaire qui enregistre les effets obtenus par le fonctionnement du cycle principal, et ragit, selon son montage en rintroduisant ces effets comme cause rgulatrice dans le cycle principal. Ainsi un thermostat, une machine vapeur avec rgulateur de Watt, etc. Le cycle auxiliaire peut mme enregistrer les effets produits sur un objet extrieur, rc_evoir de vritables infor-mations, et tre capable, non seulement de rgler un fonctionnement. mais de poursuivre un certain effet-rsultat : ainsi, un eanon quip d'un radar de correction de tir sur but mobile.

    Un cycle de ce ~enre parait coneilier le mode : liaisons et causalite de proche en proche, avec Je mode : action, et liaisons unitaires. Dans le chemine-

  • VERTICALISI\IE ET THMATISME 37 ment le long d'un cerde, toute cause est en mme temps efTet. par suite du bouclage ; thaque point est la fois origine et terme, el toute perturbation locale modifie le toul. C'tait dj le cas dans un svstme dynamique nussi banal q'une bulle de savori. Mais ici, le fait nouveau est que l'aetion totale atteint un rsultat th;fini, auquel elle parait suhordonne. Un tel cycle donne mme aisment l'impression d'une sorte de survol conscient, finalis, et intelligent. Un thme unitaire parait dominer le fonctionnement, se subordonner it la fois les dpenses nergtiques et les dformations mtieules des structures.

    L'impression est encore plus forte lorsque dans des svstmes dits ultrastables comme l'homostat

  • 38 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    MoRPHOGNSE ET 1\IISE EN PLACE DES CYCLES.

    Mais il est clair qu'un cycle de fonctionnement ne peut expliquer la morphognse, c'est--dire la mist> en place des lments du cycle. Une fois la mise en place effectue, chaque lment du cycle peut n'agir que par pousse mcanique sur l'lment voisin. Mais il ne faut pas s'imaginer que l'on a ainsi un moyen d'expliquer la mise en place morphogntique par la causalit mcanique.

    Une fois qu'une chane de fabrication automatise a t mise en place dans une usine, il est vrai que des machines fabriquent presque d'elles-mmes d'autres machines. mais encore faut-il que tout ait t.! mis en place. Or, la formation embryologique est une mise en place des organes des homostasies et des automatismes organiques. La ncessit d'un vertica-lisme est ici vidente, et d'autant plus que la morphognse met en place les lments d'un futur cycle dans des aires distinctes et loignes.

    Les bauches du pancras secrteur d'insuline, du foie stockeur de glycogne, des muscles consomma-teurs de sucre, du systme nerveux et des organes du got qui permettent la recherche de la nourriture, se dveloppent dans une indpendance relative, et simultanment.

    L'il de l'escargot, par exemple (1), non accommo-dant, possde une lentille spherique et rigide. Pour fournir un il accommodant, il faut que cette lentille devienne molle, et s'enferme dans une capsule tendue par des filaments. Ces filaments doivent se fixer la paroi oculaire, l o s'insre un muscle qui prend son point d'appui plus en avant et qui, en se contractant, peut raccourcir les filaments et dilater la capsule. Ce muscle doit tre command par un nerf qui doit tre lui-mme command par un centre (corps quadriju-meaux), o le nerf optique envoie des fibres, sans quoi il n'y aurait pas accommodation rgle en feed back selon la distance de vision. La mise en place de cette chane d' ambocepteurs doit se faire verticalement

    (1) Exemple dvelopp par H.J. Jordan.

  • VERTICALISl\rE ET THMATTSI\IE 39

    ou pas du tout. Nous ne disons pas qu'elle doit se faire instantanment el miraculeusement. En fait. elle s'est perfectionn

  • 40 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    comme une uvre la fois de mmoire et d'invention. Non que chaque embryon individuel doive rpter les formes ancestrales, ou mme les formes embryonnaires ancestrales. Mais il est au moins logique de penser que la morphognse individuelle doit tre assez solidaire de la morphognse de l'espce pour que les procds de formation des organes soient influencs par la manire dont les organes ont t invents dans les morphognses individuelles prcdentes.

    C'est bien ce que l'on constate en effet. Les premiers stades du dveloppement sont tonnamment sem-blables dans les ordres les plus varis. Les thmes primitifs, les schmas des organes apparaissent r.omme nu dans l'embryognse d'un animal sup-rieur. De l'tat unicellulaire, il passe l'tat de colonie cellulaire sphrique, puis apparaissent un axe de symtrie bilatral, une tte et une queue, un tube neural. un tube digestif, des segments, etc ...

    Seulement, la biologie volutionniste, depuis Darwin. refuse en gnral de considrer la morphognse des espces comme une invention thmatique. Pour les Darwinistes contemporains. cette morpbognse des espces s'explique comme une accumulation de mutations fortuites. Le caractre approximativement harmonieux des organismes rsulte, d'une manire toute ngative, de l'limination des mutations incom-patibles avec la survie. Ce n'est pas notre propos de discuter ici le Darwinisme et le slectionnisme (1 ). Voyons seulement ce que devient alors, dans cette perspective, la morphognse individuelle. Elle pose videmment un problme trs embarrassant au slectionnisme. Si chaque nouvel tre, chaque nouvelle gnration. tait produit par une sorte de calquage, tout serait clair. Il est pos.'tible gue les choses se passent peu prs ainsi pour les virus : comme ils se reproduisent par division, toute mutation structurale est naturellement transmise. Mais il n'en est pas de mme pour les multicellulaires, qui doivent

    (1) Nous l'avons fait ailleurs. (Cf . . '\'u-Finalisme, chap. xv1 et xvn (P.U.F.). Les PMtulafs du Slectinmrisme, Rev. Philos., 1956).

  • VERTICALISI'tiE ET THMATISI\IE 41

    reconstituer les formes adultes au cours d'une longue embryognse et qui le font, nous venons de le souligner, en parlant de formes trs schmatiques. Si, par exemple, l'homme est un simien, plus des mutations. pourquoi l'homme-embryon est-il moin~ qu'un simien, et mme moins qu'un poisson, ou moins qu'un vertbr '? Si la mutation csl d'origine et de nature toute mcanique, toute structurale au sens troitement spatialiste du mot. comment peut-elle res-ter virtuelle aux premiers stades de l'embryognse "

    MUTATIONS GNTIQUES ET TI\ANSMUTATIONS ATOMIQUES.

    La thorie gntique et chromosomique des muta-tions est cense rpondre cette diflkult : les chromosomes du novau cellulaire. forms d'un empilement de gnes. loivent tre considrs comme la cl, ln fois de J'i-volulion spcifique et de la morphognse individuelle. La forme adulte est strictement fonction des gnes de la cellule fconde dont elle ptoede. les petites variations individuelles dues nux ractions du milieu n't:mt pas transmis-sibles. Comme un gne est peu prts de la dimension d'un virus et ressemble :'t un virus par hien des traits, on peut dire que. dans celte conception, un organisme adulte, si complexe qu'il soit. n'est qu'une sorte d'effet-enveloppe du noyau chi'Omosomique de sa cellule initiale : ses formes ne sont qu'une norme amplifica-tion

  • 42 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    comparaison est d'autant plus valable que, selon beaucoup de biologistes, et surtout de physiciens, les mutations biologiques des snes on l, comme les transmutations des corps simples chimiques, une irradiation pour origine. Selon cette hypothse, les phnomnes biologiques (autres que la mort et les brlures ~raves) qui ont suivi l'explosion atomique de Hiroshima, ses effets, d'abord inapparents, sur les cellules germinales des victimes, sont au fond de mme nature que les phnomnes physico-chimiques qui constituaient cette explosion. et ils la prolon-geaient. Les noyaux d'uranium s'tant coups en deux par l'effet des neutrons, ces noyaux, aprs fission, changent d'espce chimique, et reconstituent des atomes de baryum. Les Japonais irradis, apparem-ment sans lsion grave, peuvent avoir subi des muta-tions dans les gnes de leurs cellules germinales, et ces gnes muts, reproduits, et dirigeant la morphognse de la gnration suivante, produiront des organismes caractres nouveaux, amorce de nouvelles varits biologiques. La transformation du Japonais 1 en Japonais II se fait moins vite, et elle est moins bruyante gue celle de l'uranium en baryum ou en _plomb, ma1s elle est de mme sorte (1). L'arrangement du ~roupe d'atomes constituant les gnes, gouverne entierement la forme de l'organisme, et les mutations de ce groupe d'atomes, les sauts d'un tat un autre tat possible de ce groupe d'atomes, gouvernent entirement les changements ~le formes des espces. Les radiations solaires ou cosmiques depuis l'origine de la vie, jouent le mme rle que la hombe atomique pour les habitants d'Hiroshima.

    LA THORIE GNTIQUE COMBINI~E AVEC LA THJ~ORIE DES CYCLES DE FONCTIONNEMENT.

    Cette surprenante conception est rendue un peu moins invraisemblable par sa combinaison avec 1:-~ thorie des cycles auto-rguls, ear alors les gnes

    (1) Cf. E. SCHRDINGER, Wfwt is life ? (Cambridge, 1941!), p. 65.

  • VEUTICAJ.JSI\IE ET TH_,:;l\fATISI\IE 43

    n'ont pas :\ diriger l'dification de lous les dtails innombrables de la structure adulle. ils commandent si1~pl~menl h~ mise. t~n pl:we des cycles auto-rguls pnmmres lflll ensu1le se chargent d'eux-mmes de Lous les ajustements secondaires. il la manire de machines faites pour ennstruire d'autres machines. Cette combinaison des deux thories est videmment indispensable pour rendre compte du fait que la stabilit des organismes n'est pas la persvration inerte d'une structure. el que les changements des organismes, au cours de l'volution, ne sont pas semblables aux modifications du bloc de marbre qui receYrait les coups de ciseau d'1m sculpteur invisible. Les grnes sont des difices molculaires strotyps -- jusqu' la proehainc mutation - mais ils fabri-quent des systemes qui eux sont ouverts, souples, en quilibre dynamique et non statique (1). Les ~nes, en somme, dirigent la fabrication d'une sorte d auto-mate du mt~me genre que l'homostat d'Ashby, ou que les machines n information appliques l' auto-mation d'une usine. De plus, ils ne manquent pas d'insrer, dans la machine qu'ils construisent, sous la forme d'une dupliealion de leur propre structure, des instrudions de conslrudion >> l(Ui permettront la machine de refaire la mme operatiOn et ainsi de suite, jusqu' ce que les irradiations atomiques, en modifiant les instructions, modifient toute la suite de ces constructions en chane.

    RAISONNEMENT DE VoN NEUMANN.

    Von Neumann (2) a montJ qu'il n'y a l aucune contradiction logique :

  • 44 LA GENSE DES FOUMES VIVANTES

    manire que, si l'on place ensuite cet agrgat dans un rservoir o floUent tous ces lments en grand nombre, le premier agrgat commencera en cons-truire d'autres, dont chacun la Jin sera un aulre automate exactement semblable l'original ? C'est ralisable (1). Une espce vivante, un moment donn, est ainsi l!areille une chaine dans une usine o se fahriquerment des automates, usine oi1 l'au-tomation serail tellement perfectionne qu'il n'y aurait plus un seul ouvrier. Et l'ensemble des espces, dans les temps gologiques, est pareil un ensemble de chanes dont les instructions se seraient modifies accidentellement d'elles-mmes, partir d'un tat Jlrimitif, ou d'un cyele de fondionnemcnt aussi simp e qu'une raction chimique.

    Il n'y a l, en effet, aucune contradiction logique : on ne voit pas pourquoi il serait plus irralisable d'introduire l' automation dans une usine fabri-quant des robots que dans une usine d'automobiles, et pourquoi une machine ne pourrait reproduire des instructions de construction (sous forme, par exemple, de bandes perfores), qu'elle introduirait automati-quement dans une machine capable de fabriquer sur instructions, machine qu'elle fabrique elle-mme, selon es instructions reues.

    HLE DES GNES DANS I,A MOHPHOGf~Ni~SE.

    Mais le raisonnement de Von Neumann, s'il esl inattaquable au poinl de vue logique, repose sur une hy-pothse biologique fausse, savoir que les gnes d1rigent la morphognse individuelle, de la manire dont les instructions et les programmes >> dirigent entirement le fonctionnement d'une machine calculer. Aucun des adeptes les plus optimistes de la thorie gntique n'oserait affirmer aujourd'hui

    ~ue la formation embryonnaire est directement fonc-tion de la commande gntique. Les gnes agissent sur la morphognse, selon des recherches rcentes (2),

    (1) Op. cit., p. 28. (2) Cf. J .B.S. HALDANE, T/1e biochemisfriJ of genetics, 1954.

  • VERTICALISME ET THI~MATISME 45

    par l'intermdiaire de substances chimiques, souvent supplables. Parfois, ils semblent fabriquer directe-ment des substances organiques, par exemplP- des pigments ou des enzymes dont l'absence peut perturber une structunttion. el dont la prsence permet ou voque, comme une hormone ou un inducteur, certains dveloppements. C'est ainsi que la constitution gntique dtermine le sexe, :'1 moins crue l'exprimen-tateur n'introduise une autre hormone ou un autre inJucteur pour corriger cette dtermination. Mais voquer n'est pas informer. Du monwnt que les ~nes agissent par 1 intermdiaire de suhslanees chimiques relativement simples et remplaahles, il est exclu qu'ils puissent tre assimils aux rogrs de la morphognse. d'une molcule-virus it 1 homme, s'explique par l'accu-mulation de fautes de copiage des instructions dans la fahrkalion automatique d'une machine automatique par une machine automatique.

    LA MORPHOGNI~SE INDIVIDUELLE ET L"l~VOLUTION SP-CIFIQUE.

    L'effort pour lier la morphognse inclividuelle et la morphognse des espces par la gntique se solde par un chec indiscutable. On ne s'est pas toujours clairement rendu compte qu'il y a pourtant solidarit invitable des thories de l'volution et des thories

  • 46 J.A GENSE DES FORMES VIVANTES

    de l'embryognse, et que c'est la thorie embryolo-gique qui doit commander la thorie de l'volution. Si la formation d'un nouvel individu ne peut s'expliquer par la commande gntique, comment continuer admettre que la formation des espces s'explique par l'accumulation des seules mutations gntiques ? L'volution d'une espce n'est, aprs tout, que l'ensemble des formations individuelles, de l'espce 1 l'espce 2. Ce qui est faux pour chaque gnration ne peut miraculeusement tre vrai pour l'ensemble de toutes les gnrations. La solidarit ncessaire des deux morphognses doit donc tre interprte d'une tout autre manire, et l'on est ramen un autre type de solidarit par l'invention et la mmoire, le mme thmatisme actif expliquant la reproduction .rar son aspect mnmique, et la cration progressive d'une nouvelle espce par son aspect inventif.

    De Beer (1) utilisant les travaux de Garstang et de Bolk, a fortement soulign le caractre mythique une morphognse des espces vaguement imagine comme distincte. des morphognses individuelles et agissant comme cause sur le droulement de

    celles-ci, qui se borneraient la rcapituler. C'est bien plutt, l'inverse, la morphognse individuelle qui doit inventer les modifications spcifiques ~ L'onto-gnse ne rcapitule pas la phylognse, elle la cre (2). Si l'on ne peut accepter l'interprtation de l'ontognse par l'analogie avec un calquage, plus des erreurs de calquage, il ne reste d'autre solution que par l'analogie avec la notion, emprunte la cratiOn esthtique, de thme et variations .

    Simp1e comparaison sans doute, et l'on ne fait pas de science avec des comparaisons. Mais il est encore plus anti-scientifique de refuser toute valeur cette comparaison, car cela revient admettre la conver-gence, ou la mise en prolongement miraculeuse, de deux modes de dveloppement dont les principes pourtant n'auraient rien de commun.

    (1) Embyos and Ancestors, 1940. (2) Garstang.

  • VERTlCAJ.ISJ\fE ET THMATISME 47

    EVOLUTION llfCANIQUF. ET VOLUTION CONSCIENTE.

    Si le dveloppement de l'homme comme organisme et le dveloppement de la culture humaine obissaient des principes tout diffrents, l'un tant le rsultat aveugle d'erreurs de copiage et d'accidents gntiques, l'autre tant thmatis et consciemment orient, comment l'un pourrait-il sortir de l'autre et le prolonger?

  • 48 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    que le systme nerveux, instrument de l'auto-direction de l'volution, soit d'abord le produit de millions de mutations par erreurs mcamques de copiage. Les cycles des homostasies organiques, des comporte-ments et des techniques, ne peuvent tre absolument htrognes ; la mise en place de leurs lments ne peut ressortir des principes qui seraient sans aucun rapport entre eux. Le dveloppement vertical ~ des cultures et des techniques - c'est--dire, malgr les innombrables hasards, rencontres, perturbations horizontales , leur effort pour se perfectionner selon un thme d'ensemble - est la suite naturelle du dveloppement vertical et thmatique des orga-nismes. Un cycle de for:tclionnement, une homostasie organique passe

  • CHAPITRE JI

    DE LA MOLCULE A L'ORGANISME

    Si l'on admet le caractre thmatique du dveloppe-ment ort;anique individuel, si l'on admet d'autre part l'identit de ln morphognse individuelle et de la morphognse de l'espce, on semble tre vou la pure mythologie. D'o vient le thme formateur et :'1 quel moment est-il intervenu dans les fonctionnements physiques? L'origine de la formation verticale:~>, dans le dveloppement individuel, c'est un uf, ou une cellule v1vante spcifi~ue. Si diffrents par la forme que soient l'uf et 1 adulte, et si loin que soient les biologistes modernes de l'ancien prforma-tionnisme. ils peuvent se rassurer en soulignant, comme Jean Hostand (1 ), que l'uf possde une organisation extrmement complexe. Son architecture ne prfigure pas l'organisme futur, mais c'est une architecture djil organique, el le dveloppement se fait donc de l'organique i1 l'organique. L'augmentation de complexit est mystrieuse, mais, au moins, elle n'est pas passage d'un mode d'tre un autre. Mais d'o vient la premire cellule ? La morphognse des espces, dans son ensemble n'a srement pas pou1 point de dpart une cellule toute constitue, mais plutt quelque chose qui devait ressembler ce qu'est

    (1) Les aranda coura11fs cie la l1iologie, p. 162.

  • 50 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    aujourd'hui un virus, une macro-molcule auto-repro-ductrice. Des virus aux animaux suprieurs, le dveloppement thmatique semble prendre naissance au niveau de la molcule chimique. La molcule a certes encore une architecture complexe. Mais quel rapport entre la complexit d'un difice d'atomes unis par des valences chimiques, par des liaisons agissant, semble-t-il, de proche en proche et faisant ressembler la molcule une sorte de Meccano dans lequel des pices peuvent tre enleves ou ajoutes, ou rempla-ces par d'autres, et la complexit d'un tre vivant, ayant une individualit ferme et des parties organiques ,c'est--dire analogues des outils, avec un rle et une fonction, non substituables, non isolables ? Une molcule fonetionne, semble-t-il, selon sa structure ; ses proprits chimiques sont thorique-ment dductibles de sa formule dveloppe. Un organisme adulte, et surtout un mganisme vieilli, fonctionne aussi selon sa structure acquise, mais, nous l'avons vu, un organisme jeune, et surtout un orga-nisme en dveloppement, ne peut, en bonne logique, tre considr comme fonctionnant. Comment alors, la fonction-rle peut-elle prendre naissance partir du fonctionnement molculaire ? Comment un thme formateur individualisant peut-il partir de, ou venir s'insrer dans un difice constitu, semble-t-il. par des liaisons bord bord ?

    LA TENTATION DU VITALISME.

    La tentation du vitalisme, ou de l'animisme, a des justifications beaucoup plus profondes que ne le pensent communment les mcanistes. Elle ne repose pas seulement sur l'imagination nave d'une sorte de souille vital s'ajoutant, dans l'tre vivant, la matire visible, comme le souille de Yahv au limon de la terre dj model en forme d'homme ; elle repose sur l'intuition que les formes organiques ne sont pas de mme nature que les formes physico-chimiques, qu'elles ne les prolon~ent pas, que leur mode de complexit est tout diflerent. C'tait faute de connais-sances scientifiques, notamment de connaissances

  • DE LA MOLCULE A L'tH\GANISIIIE 51

    ehimiques, que les biologistes cartsiens du xvii sicle pouvaient tre mcanistes. Eux aussi, comme les rdacteurs de la Gense, s'imaginaient que la forme d'un animal pouvait tre directement modele, sinon par Yahv, du moins par les lois de la nature physique.

    Et pourtant. si une science plus avance - et l'emploi du microscope - devait plutt favoriser d'abord le vitalisme, une science plus avance encore - et l'emploi du microscope lectronique. ainsi que l'tude indirecte des structures suh-microscopiques -conduit nellement :'1 des conelusions :mti-vitalistes. La nature ralise

  • 52 LA GENtSE DES FORMES VIVANTES

    nables. Dans une molcule, tout changement morpho-logique implique un changement chimique : matire et forme sont troitement corrlates.

    Le monde organique ne fait que manifester le mme grand fait : la forme n'est pas sparable de la matire. La matire vivante ne se prsente jamais que forme, de mme que la molcule de benzne ne se prsente jamais, C'omme matire, que sous la forme de l'hexagone bien connu. Le benzne n'est pas une matire, amorphe. que viendrait informer la forme de l'hexagone, survenant comme une forme aristotlicienne ; il est cette forme mme, qui son tour drive des modes de liaison du carbone et de l'hydrogne. De mme, les formes biologiques sont drives sans hiatus des morphologies molculaires. Nous ne savons pas encore comment les formes spcifiques visibles des cellules sortent de cette spcificit des rseaux molculaires, mais certaine-ment, des relations existent entre la morphologie molculaire et la morphologie ou la morphognse organique comme l'indique dj la chimie des enzymes ou la synthse asymtrique des composs organiques. Le protoplasme n'est pas un liquide o flotteraient ple-mle et au hasard des particules isoles ; il a une structure, flexible et subsistante, o des centres actifs ne peuvent exercer leurs fonctions que s'ils sont relis au rseau gnral. comme des feuilles attaches la branche et non comme des feuilles dtaches et tournoyant dans l'air (1 ).

    Les faits semblent montrer cette transition qui nous paraissait inconcevable entre une structure de type rseau molculaire et une structure de type arbre, o des constituants, hien qu'assembls par adjonction et rptition comme les feuilles sur une branche, jouent un le dans l'ensemble et ne peuvent tre dtachs.

    (1) Opus. cil., p. 373.

  • DE LA MOLCULE A L'ORGANISME 53

    LE PRINCIPE DE FREY-\VYSSLING.

    Il y a l une sorte de scandale intellectuel. Car, si l'on cesse de considrer la zone du tournant, du passage des ma('.ro-molcules aux formes organiques lmentaires, pour considrer le point d'arrive de la morphognse organique : un animal suprieur, la diffrence, mme strictement morphologique, clate entre les formes de type rseau molculaire, et les formes de type organe, telles que le cur, l'il, ou le poumon. Frey-\Vyssling le reconnat quand, soulignant que les processus compliqus de la chimie comme de la morphognse des tres vivants, ne sont pas contrls par un principe vital, mais ne consistent qu'en d'innombrables ractions ou liaisons dont chacune est accessihle il l'investigation causale, il ajoute : Et pourtant, aucune interprtation mca-niste simple ne peut rendre raison de leur accord harmonieux et dlicat, et de leur finalit ... Les centres actifs du rseau protoplasmique s'arrangent selon un pattern souple qui semble guid par une impulsion finaliste coordinatrice (1 ).

    La seule solution possible est. non pas de renoncer au principe du vcrticalisme. mais, au contraire, de l'tendre a la morphognse chimique elle-mme. C'est ce que fait, implicitement, Frey-\Vyssling en nonant ce qu'il appelle un axiome et qu'il vaudrait mieux appeler un principe : Le suprme axiome de la cytologie, s~voir que toute cellule drive d'une cellule semblable, s'applique galement, quoique dans un sens plus large, la cytognse invisible et suh-microscopique : Structura omni.~ e. structura. Ce principe. il est ais de le voir, n'est qu'une autre forme du principe de verticalisme.

    LA MICROPHYSIQUE ET LA BIOLOGIE.

    Mais cette interprtation de la micromorphologie appelle commentaire et prcisions. Insistons d'abord sur ce que nous appellerons un vritable malheur

    (1) Opus. cit., p. 373.

  • 54 LA GEN:tSE DES FORMES VIVANTES

    provoqu par l'intelligence trop rapide et l'excs d'humour d'hommes comme N. Bohr, Jordan, et Eddington, ou, si l'on prfre, par la lenteur d'inteiii-gence ou le manque d'humour de leurs commentateurs. N. Bohr, le premier, ayant clairement compris que

    . la structuration de l'atome ne peut s'expliquer par les lois de la mcanique et de la physique classique, secondaires et drives relativement aux principes de la microphysique, a saisi l'intrt de cette grande nouveaut pour l'interprtation de la vie. Les biologistes, malgr la grande envie qu'ils en ont, ne parviennent pas rattacher les formes organiques aux formations physiques ordinaires. Mais cet chec de la physique classique est tout naturel. La physique classique ne s'occupe que de phllomnes de foule. La microphysique, au contraire, conduit naturellement la biologie. A partir des phnomnes individuels de l'atome, on peut alier, en effet, dans deux directions. Leur accumulation statistique conduit aux lois de la physique ordinaire. Mais que ces phnomnes individuels se compliquent par des interactions systmatiques, tout en gardant leur individualit, au sein de la molcule, puis de la macro-molcule, puis du virus, pis de l'uniceiiulaire en se subordonnant les phnomnes de foule, on arrive alors l'organisme qui, si gros qu'il soit, reste en ce sens microscopique .

    LA MICRO.PIIYSIQUE ET LA LIBERT .

    Malheureusement, N. Bohr, P . Jordan, et surtout Eddington, au lieu d'en rester ces indications justes et gnrales, en laissant aux micromorphologistes qui pourtant taient dj l'uvre, le soin de prciser le passa~e. mirent l'accent, plutt que sur le problme morphologique, sur le problme dterminisme-liber-t, en confrontant directement atome individuel et organisme individuel, et mme. spcialement, atome individuel et homme hsitant sur une dcision prendre , et, comme disait par plaisanterie Eddington, Monsieur se demandant s'il doit ou non rester clibataire. Ce qui les intressait et surtout intres-

  • DE LA ~IOLCULE A L'ORGANISME 55 sait. leurs interprtes, c'tait la fissure du dtermi-nisme, la possibilit laisse quelque

    On peut ajouter que mme la ou de l'a-eausalit du vivant ne fait que rendre plus aigu le problme morphologique. Le transport de l'a-eausalit micro-physique au niveau de l'organisme visihle implique, et n'explique pas, l'existenc.e de struelures compliques pour garder et amplifier Je phnomne microscopique mdividuel, et transformer le saut quantique . prsum libre, jusqu'au niveau de la dcision l'chelle humaine.

    MoLCULES ET MICRo-BIOLOGIE.

    Ces critiques portent. mais seulement sur une faon dplorablement malencontreuse d'exprimer une idee juste. Tout :'t fait indpendant de la querelle confu"se dterminisme-libert, se poursuit. il ne faut pas l'oublier, Je travail patient des micromorpholo-gistes sur la structure des gels, SUI' la morphologie fine du cytoplasme, des gnes et virus, sur les modes de leur auto-reproduetion, sur les fibres macromol-culaires, sur les protines contractiles : kratine. fibres musculaires ; sur les liaisons et changements

    (1) Revue Philosopltique, ocl.-dc. 1!15-l.

  • 56 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    de liaisons chimiques qui expliquent leurs change-ments de forme.

    D'autre part, surtout en Angleterre et en U.R.S.S., les biologistes, mieux arms, s'attaquent aujourd'hui au pro-blme de l'origine de la Yie et essaient de mettre en place les tapes qui ont d conduire, de certaines molcules, ou, comme dit Bernai. des structures suh-vitales, aux virus, et aux bactries. Il est frappant que l'volution spcifique des virus ct bactries soit, comme leur forme, curieusement intermdiaire entre changement chimique et changemant organique. J.B.S. Haldane a soulign (1) le fait que bact-ries et virus peuvent utiliser et copier des parties d'autres virus, mme d'espces difl'rentl'!i. Une bactrie peut incorporer une grosse molcule d'acide nuclique venant d'une autre race, ou mme d'une autre espce. Ces molcules sont nlors reproduites dans leur noU\el envi-ronnement, et la bactrie synthtique est capable de produire un nouveau type d'enzyme. Un pneumocoque, d'aprs Taylor, peut incorporer des substances de deux diffrentes sources, et faire une molcule hybride par un procd analogue au crossing over des chromosomes. Les molcules ATP (adnosine triphosphorique), regardes par plusieurs chimistes comme formes un stade trs primitif, ont un comportement demi vital. Elles peuvent remplacer une partie perdue, selon une sorte de mtabo-lisme . J.B.S. Haldane s'amuse mme parler d'un processus sexuel quand deux molcules biphosphoriques donnent naissance une molcule triphosphore, avec rsidu rapidement dcompos d'acide adnylique, analogue au globule polaire (2). Il parle de mme aprs E. Baldwin. de l' c cologie :. de la molcule ATP et de ses c instincts :. en vertu du principe que si A ressemble B, B ressemble A : c Nous pouvons appliquer des termes biologiques des molcules de ce genre, tout aussi lgitimement que nous appliquons cl cs termes mcanistes aux animaux suprieurs. :t

    LA SUBSISTANCE HISTORIQUE DES ORGANISMES.

    On peut trouver que ces efforts de mise en place d'anneaux manquants, mme en les supposant moins

    (1) The origins of life (New Biology, avril 1954), p. 20. (2) Ibidem, p. 18. -

  • DE LA MOLCULE A L'i\GANISME 57 hypothtiques. ne rsolvent pas du tout le problme du passage d'un type de forme l'autre, de la structure chimique l'organisation, et d'un type de subsistance l'autre. De la forme chimique, qui parat subsister par inertie structurale, ~'t la manire d'un Meccano, on ne voit toujours pas comment peut sortir, si insensibles que soient les transitions, une forme dont le mode de subsistance sera tout diffrent. dynamique, ct aussi historique, c'cst--dire dpendant non seulement de liaisons en elles-mmes intempo-relles. mais de l'volution passe. Alors que la structure d'une molcule. pour le chimiste, est ind-pendante cie l'histoire, et ne dpend que cie lois intemporelles de slruciuration, la forme d'un orga-nisme ou d'un organe, malgr le cas transitionnel des bactries synthtiques >>. se maintient et se perfec-tionne le long d'une ligne volutive. Une main humaine doit sans doute sa consistance matrielle, aujourd'hui la solidit toute chimique des os, ou aux liaisons collodales protoplasmiques. Mais on peut en dire autant pour une aile ou une nageoire. La question est de savoir comment les mmes cohsions chimiques sont employes dans des formes biologiques si diffrentes. qui subsistent :'t traYers le temps en se modifiant progressivement. Il faut donc, il semble. qu'au stade des lmenis suh-vitaux. quelque chose s'ajoute aux liaisons ehimiques, qui soit l'amoree de cette subsistance historique en mme temps que des formes proprement organiques : La vie, mme la plus primitive. remarque .T.D. Bernai, (1) est plus qu'un systme de ractions enchanes ; des structures matrielles caraetristiques, noyaux. cellules. sont formes, qui sont en relation indissoluhle,
  • 58 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    qui apporte la solution et qui donne leur valeur la micromorphologie d'une part, et aux hypothses de Bernai, Haldane, Pirie, Opal'in, Oauvillicrs, sur l'origine chimique de la vie d'autre part. C'est celui de l'interprtation, par la physique nouvelle, de la liaison et de la structure chimique. Tant que l'on considre les liaisons et structures chimiques selon les schmas statiques, gomtriques et mcanistes, d'il y a un demi sicle, tant que l'on prend au srieux la comparaison de l'difice chimique avec une

  • DE J,A MOI.CUl.E A J!ORGANISME 59

    d'accord avec 1les conditions supplmentnires de plus en plus nombreuses ct de plus en plus dlicates:. (1). Les proprits de valence ont un carndre de virtualit. La molcule comme telle - par opposition l'atome - a dj une structure, en ce sens que les noyaux des atomes qui la constituent forment un pallern relativement stable, que l'on peut nu'me photographitr dans certains cas par la technique des rseaux cristallins. \lais les lectrons de liaison et d'interaction ne sont pas loc::~lisables. Aux for-mules rlvelopp(cs de la chimie con\ue more geometrico, les chimistes substituent aujourd'hui des cartes de densit lectronique, qui reprsentent, par des courbes de niveau, les moyennes d'un comportement structurant. Un tat dfini n'est qu'un instant abstrait dans une formation continue. Deux rgions, voisines dans la carte de densit lectronique, se structurent conjointement selon leur nergie d'interaction ct cie rsonance. Dans le benzne, par exemple. les lectrons des liaisons doubles sont encore moins nettement localisables que les lectrons des liaisons simples ; ies liaisons doubles - qui, clans le schma de Kekul, sont reprsentes comme alternant avec les liaisons simples - doivent tre rparties symtriquement dans toute la molcuie pour qu'elle soit stable. Les reprsenta-tions statiques ne donnent qu'un dessin de squelette. Pour en saisir la ralit complte, il faut comprendre que cette ralit relve de l'nergtique lectronique. La molcule est un domaine o s'changent des nergies, o l'nergie se structure, oit un tat structural se choisit, parmi une essentielle multiplicit d'tats possibles.

    On peut parler, avec Bachelard, de l'aspect anatomique et de l'aspect physiologique de la molcule. Pour viter loule quivoque, on pourrait parler de l'aspect morphologique et de la dynamique morphogntique >> de la molcule, puisque la phy-siologie esl ici formation cl non fonctionnement, et puisque c'est l'adivil de liaison qui met en place le pallern IJU'clle constitue aclivcmcnl. De la physio-gnse, on passe, dans la molcule comme dans l'organisme, une physiologie propr~ment dite ; du comportement structurant on passe a un comporte-ment qui dpend en grande partie des structures

    (1) G. BACHELARD, I.e Matrialisme ratinnnel, p. 146.

  • 60 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    constitues. Mais ce n'est qu'une limite, jamais atteinte et des forces morphogntiques sont toujours l'uvre. En d'autres termes, le verticalisme , la mise en place dynamique des lments du fonctionne-ment est primordial, aw;si bien en cllimie qu'en biologie.

    LE COMPORTEMENT FORMATIF EN CHIMIE.

    Ds lors, on fait plus qu'entrevoir, on voit clairement la vrit que visent la fois les micro-morphologistes comme Frey-\Vyssling et Staudinger, les physiciens comme Jordan et Eddington, obsds par la question de l'indterminisme, les chercheurs de missing links entre la chimie et l'volution de la vie, comme Haldane et Bernai, et d'autre part, dans leurs ttonnements souvent confus, les adeptes contemporains du vitalisme, ou plutt du pan-psy-chisme, qui sentent vivement l'impossibilit logique de faire sortir la vie et les formes organiques des formes molculaires telles qu'elles taient conues la fin du sicle dernier et qui, peu au courant de la chimie contemporaine, se croient alors obligs, s'ils ne veulent faire intervenir ou mer~er un principe vital ou une entlchie, d'attribuer a toute matire un fond de vie comme disait E. Boutroux, (1) et tombent d'un verbalisme dans un autre. La chimie et la biologie contemporaines ont des possibilits d'association parfaitement prcises, tout autres que par le vitalisme vague renouvel des Romantiques, ou par les applications brutales de la thorie des quanta ou de la physique indterministe une gntique mal interprte, la mode aujourd'hui chez les physiciens.

    Nous avons pu dcrire la morJ.>hognse organique, comme la morphognse moleculaire, sans faire intervenir l'opposition libert-dterminisme. La li-bert de l'embryon n'ayant dj pas grand sens, la libert de la molcule en a encore moins. La vri-table opposition, dans les deux domaines, est plutt entre fonctionnement et comportement forma-

    (1) Cit par G. BACHELARD, op. cit.

  • DE LA MOLCULE A L'ORGANISME f)l tif~ ; et le point capital est que comportement formatif est la seule expression qui convienne, en chimie comme en biologie, le fonctionnement tant toujours secondaire et driv, dans l'un comme dans l'autre domaine.

    Le comportement formatif d'un atome ou d'une molcule n'est sans doute pas proprement parler thmatique, si l'on prend le mot en un sens proche de signifiant , comme la morphognse organique. Mais l'essentiel est qu'il n'est pas non plus position-ne) comme le mouvement d'un amas ou d'une machine. La molcule ou l'atome ne se forme pas comme un plissement montagneux ou un dpt sdimentaire. L'atome a une forme typique, virtuelle ou actuelle. Un atome bombard n'est pas semblable une maison bombarde ou une automo-bile accidente. Un bombardement nuclaire ne produit pas un rsultat quelconque, mais un rsultat typique, un tre chimique nouveau, par fusion aussi bien que par fission. Les difficults du dterminisme ont le sens tout fait positif que les liaisons ou les interac-tions sont primaires dans les domaines individuels de la chimie, et' qu'il est vain de prtendre expliquer une liaison primmre par l'analogie d'une liaison mca-nique, puisque les liaisons mcaniques drivent des liaisons primaires. Si l'action structurante ne peut tre explique par les lois de la structure faite, l'action liante ou interstructurante ne peut s'expliquer par une technique secondaire de liaisons toutes faites comme dans les machines. Les cartes de densit lectronique ou d'intensit probable de liaison reprsentent quelque chose de tout it fait fondamental. o l'on cerne le mystre de l'individualit chimique et de l'individualit vivante, du type et du thme morphologiques.

    LES VIRUS MOLCULES.

    On sait que certains virus sont cristallisables et que certains sont trs probablement monomolculaires. Le virus de la fivre aphteuse n'est que dix fois plus gros qu'une molcule de saccharose, cinquante fois

  • 62 LA GENSE DES FORMES VIVANTES

    plus gros qu'un atome d'hydrogne (1). Les virus ont .une anatomie et une physwlog1e - ou une morpho-logie et une morphognse - et ces mots, ici,