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S R I A U R O B I N D O S A V I T R I U N E L É G E N D E ET UN S Y M B O L E T r a d u c t i o n d e S a t p r e m

S A V I T R I · LE LIVRE DES COMMENCEMENTS ... Un zéro insondable occupait le monde. Un pouvoir d’être sans bornes, déchu, éveillé Entre le premier et le dernier Néant,

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  • S R I A U R O B I N D O

    S A V I T R I

    U N E L G E N D E ET UN S Y M B O L E

    T r a d u c t i o n d e S a t p r e m

  • LIVRE UN

    LE LIVRE DES COMMENCEMENTS

    Chant Un

    LAube symbolique

    (Et cette septime Terre la ntre sest allume une fois de plus, pour quel dfi, ou quel

    dsastre encore? Jamais tant de secrets nont t dits avec tant de beaut. nouveau, cest laube sur la Terre aprs beaucoup dautres Terres... disparues et

    naufrages dans lternelle qute de ce quest la Terre et de son But. Savitri aussi sveille, fille du Soleil, le jour o Satyavane, lme de la Terre, doit mourir.

    La sauvera-t-elle cette fois-ci ?)

    Ctait lheure avant lveil des Dieux.

    Sur le chemin de lvnement divin, barrant la route,

    Lnorme front de la Nuit, menaant, seul

    Dans son temple dternit sans lumire

    Reposait immobile aux lisires du Silence.

    Presque, on sentait, opaque, impntrable,

    Dans le sombre symbole de sa songerie sans yeux,

    Labme de lInfini sans corps:

    Un zro insondable occupait le monde.

    Un pouvoir dtre sans bornes, dchu, veill

    Entre le premier et le dernier Nant,

    Se souvenant des entrailles tnbreuses do il venait,

    Abandonnait linsoluble mystre de la naissance

  • Et linterminable cheminement de la mortalit,

    Aspirant trouver sa fin dans une Nullit vacante.

    Comme au noir dbut de toutes choses

    Un simulacre muet de lInconnu sans visage,

    Rptant sans fin lacte inconscient,

    Prolongeant sans fin la volont aveugle,

    Berait la torpeur cosmique de cette Force ignorante

    Qui allume les soleils dans un spasme de sommeil crateur

    Et porte nos vies dans son tourbillon somnambule.

    travers la gigantesque transe vaine de lEspace,

    Dans une informe stupeur sans pense et sans vie,

    Une ombre tournoyait parmi le Vide sans me,

    Jete une fois de plus ses rves incohrents:

    La Terre roulait abandonne dans les gouffres creux,

    Oublieuse de son esprit et de son destin.

    Impassibles, les cieux taient neutres, vides, immobiles.

    Puis, quelque chose a boug dans lobscurit inscrutable:

    Un mouvement sans nom, une Ide sans pense

    Insistante, insatisfaite, sans but,

    Quelque chose qui voulait tre mais ne savait pas comment

    Incitait lInconscient rveiller lIgnorance.

    Un sursaut soudain est venu laisser une trace frmissante,

    Ouvrant la porte dun vieux besoin us, jamais combl

    Assoupi dans le subconscient de sa caverne sans lune

    Lobligeant redresser la tte, appeler la lumire absente,

  • Forant les yeux clos dune mmoire vanouie,

    Comme celui qui cherche un moi dautrefois

    Et trouve seulement le cadavre de son dsir.

    Il semblait que mme dans cette Nullit profonde,

    Mme dans cet ultime fond de dissolution,

    Se cachait une entit oublieuse

    Survivante dun pass dtruit et enterr

    Condamne reprendre leffort et la douleur

    Et revivre encore une fois dans un monde chou.

    Une conscience informe dsirait la lumire

    Une prescience blanche appelait un changement lointain.

    Un doigt denfant pos sur une joue

    Rappelait la Mre des mondes, distraite,

    Linfini besoin au fond des choses:

    Un cri denfant saccrochait au sombre Vaste.

    Insensiblement, quelque part, une dchirure commenait,

    Une longue ligne seule de teinte hsitante,

    Comme un vague sourire pour tenter un cur dsert,

    Troublant la rive lointaine du sommeil noir de la vie.

    Venu de lautre ct de limmensit

    Le regard dune divinit perait les gouffres mornes;

    Envoy du soleil en reconnaissance

    Au milieu de lpais repos cosmique,

    Dans la stupeur dun monde malade et las,

    Il semblait chercher un esprit solitaire et dsert

  • Trop dchu mme pour se rappeler la flicit perdue.

    Intervenant dans un univers amnsique,

    Son message se glissait travers le silence rcalcitrant:

    Lappel laventure de la conscience et de la joie

    Gagnait le cur dsillusionn de la Nature,

    Lobligeant renouveler son consentement voir et sentir.

    Une pense tait seme dans le Vide insond

    Un sens naissait dans les grands fonds aveugles

    Une mmoire tressaillait au creux du Temps,

    Longtemps morte, une me semblait pousse vivre;

    Mais loubli qui suit la chute

    Avait recouvert les tablettes combles du pass,

    Tout ce qui avait t dtruit devait tre rebti

    Et la vieille exprience, laboure et taille une fois de plus.

    Tout peut se faire si le toucher de Dieu est l.

    Un espoir furtif se glissait dans ce qui peine osait tre

    Au sein de lindiffrence de la Nuit en drive.

    Alors, comme sollicite dans un monde tranger

    Une grce timide sest hasarde instinctivement,

    Orpheline abandonne en qute dune demeure,

    Merveille errante sans lieu pour vivre,

    Et dun coin perdu des cieux

    Vint un lent geste miraculeux tel un signal cach.

    Le tressaillement persistant dune note transfiguratrice

    Persuadait la noire quitude inerte,

  • Et la beaut et ltonnement troublrent les champs de Dieu.

    Une main aventureuse de ple lumire enchante

    Irradiait la crte dun moment fugitif

    Et posait des battants dor sur des gonds dopale:

    Une porte de rve entrouverte sur le versant du mystre.

    Un coin radieux laissait transparatre les choses caches

    Forant laveugle immensit du monde voir.

    Lobscurit cdait, glissait comme un manteau qui tombe

    Dcouvrant le corps tendu dun dieu.

    Alors, par la ple fente qui semblait tout dabord

    peine assez pour quelques gouttes des soleils,

    Roulrent en cataracte la rvlation et la flamme.

    Le bref symbole perptuel recommenait l-haut.

    Un charme des transcendances inatteintes

    Sirisait de la gloire de linvisible,

    Un message de la Lumire immortelle inconnue

    Flamboyait au bord tremblant de la cration,

    Laube dployait les teintes somptueuses de son aura

    Et enfouissait dans les heures une semence de grandeur.

    Visiteur dun instant, la divinit resplendissait;

    Un temps, la Vision sest tenue aux frontires tnues de la vie,

    Penche sur la courbe songeuse du front de la terre.

    Traduisant une beaut et une flicit mystrieuses

    En hiroglyphes colors au sens mystique

    Elle traait les signes dun mythe signifiant

  • Qui annonait la splendeur des aubes spirituelles

    Tel un code clatant dessin avec le ciel pour page.

    Presque, ce jour-l, lpiphanie se rvlait

    Dont nos penses et nos espoirs sont les flammes vacillantes;

    Une splendeur solitaire de linvisible but

    Presque, se jetait sur lInanit opaque.

    Une fois de plus, un pas troublait les Vastitudes vacantes;

    Centre de lInfini, un Visage de calme ravissement

    cartait les paupires ternelles qui ouvrent les cieux,

    Une Forme des batitudes lointaines semblait sapprocher.

    Ambassadrice entre lternit et le changement

    La Desse omnisciente sest penche sur les tendues

    Qui encerclent le voyage fatidique des toiles

    Et regardait les espaces prts pour sa marche.

    Un instant, Elle sest retourne demi vers son soleil voil

    Puis, pensive, sen est alle son travail immortel.

    La Terre sentait tout proche le passage de limprissable:

    Loreille fine de la Nature entendait ses pas

    Le large tournait vers Elle son regard sans limite,

    Alors, gren sur les profondeurs scelles,

    Son lumineux sourire

    Mit le feu au silence des mondes.

    Tout devint une conscration et un rite.

    Lair tait une arche vibrante entre la terre et les cieux;

    Lhymne aux vastes ailes dun grand vent hiratique

  • Montait, descendait sur lautel des collines;

    Les hautes frondaisons priaient dans un ciel de rvlation.

    Ici, o notre ignorance crpusculaire ctoie les gouffres

    Sur la poitrine muette de cette terre ambigu,

    Ici, o lon ne sait rien, mme du pas devant,

    Et la Vrit trne sur le dos dombre du doute,

    Sur ce champ de labeur angoiss et prcaire

    tendu sous quelque vaste regard indiffrent,

    Tmoin impartial de notre joie et de notre malheur,

    Notre sol prostr portait le rayon qui veille.

    Ici aussi, la vision et le flamboiement prophtiques

    Allumaient des miracles dans les formes ordinaires et futiles,

    Puis, dissip, le souffle divin sest retir

    Indsir, disparu de la porte des mortels.

    Une nostalgie sacre sattardait dans son sillage,

    Ladoration dune Prsence et dune Puissance

    Trop parfaites pour tre tenues par des curs attachs la mort,

    La prescience dune merveilleuse naissance venir.

    Un moment seulement la lumire de Dieu peut rester:

    La beaut de lesprit illumine la vision humaine

    Transperce de sa passion et de son mystre le masque de la Matire

    Et prodigue lternit dans un battement du Temps.

    lheure o une me sapproche du seuil de la naissance

    la frontire du temps mortel et du Sans-Temps,

    tincelle divine engloutie dans les cryptes de la Matire,

  • Son clat svanouit dans les plans inconscients,

    Et de mme maintenant, cet embrasement de feu magique

    Disparut au grand jour coutumier.

    Le message sest teint, la messagre sest enfuie.

    LAppel unique, la Puissance sans compagnon

    Emportait loin, en quelque monde secret,

    La merveille et la moire du rayon suprme:

    Elle ne regardait plus notre mortalit.

    Lexcs de beaut naturel lespce divine

    Ne pouvait pas tre support par des yeux temporels;

    Trop rel mystiquement pour habiter lespace

    Son corps de gloire sest effac des cieux:

    La raret et le prodige ntaient plus.

    Ainsi fut la lumire habituelle du jour terrestre.

    Dlivre de son rpit du harassement,

    Une fois encore la rumeur trpidante de la vie

    Poursuivait les cycles de sa qute aveugle.

    Chacun courait ses actes quotidiens invariables;

    Les mille cratures de la glbe et des arbres

    Obissaient la pousse aveugle du moment,

    Et le chef ici-bas au mental incertain,

    Seul regarder la face voile de lavenir,

    Lhomme soulevait le fardeau de son destin.

    Et Savitri aussi sest veille parmi ces tribus.

    Ils se htaient de saluer lclatante psalmodie de lAnnonciateur;

  • Leurrs par la beaut des chemins apparents,

    Ils acclamaient leur part de joies phmres.

    Proche de lternit do Elle venait,

    Savitri ne participait point ces petits bonheurs;

    Puissant tranger sur le terrain humain,

    LHte qui avait pris corps en Elle ne rpondait pas.

    Les appels qui font sauter la pense des hommes

    Leurs impulsions, leur poursuite avide et accidente

    Leur illusion de dsir aux teintes de papillon

    Visitaient son cur comme une note suave, mais dissemblable.

    Le message du Temps, sa brve lumire, ntait pas pour Elle.

    En Elle, tait langoisse des dieux

    Emprisonns dans notre forme humaine transitoire,

    Limmortel conquis par la mort des choses.

    La joie dune Nature plus vaste fut son pays jadis

    Mais ne pouvait pas longtemps garder sa couleur dor cleste

    Ni tenir sur cette base terrestre friable.

    Ltroite marche sur labme profond du Temps,

    La petitesse fragile de la vie niaient la puissance;

    Elle avait apport dans une apparence humaine

    La fire ampleur de conscience, la flicit,

    Le calme dlice qui unit une me tout,

    La clef des portes flamboyantes de lextase.

    Le grain de la terre a besoin de la sve du plaisir et des larmes

    Et rejette le don du ravissement qui ne meurt pas:

  • la fille de linfini, elle offre

    Sa passiflore damour et sa condamnation mort.

    Ainsi semblait vain le splendide sacrifice.

    Prodigue de sa riche divinit,

    Elle stait offerte aux hommes, elle-mme et tout ce quelle est,

    Esprant implanter son tre de grandeur

    And in their bodys lives acclimatise

    Et que les cieux puissent devenir natifs du sol mortel.

    Difficile, il est, de persuader la nature terrestre de changer,

    La mortalit supporte mal le toucher de lternel,

    Elle craint la pure intolrance divine

    De cet assaut dther et de feu,

    Elle murmure contre ce bonheur sans chagrin,

    Presque avec haine, repousse la lumire quil apporte,

    Elle tremble devant son pouvoir de Vrit nue

    Et frmit devant la puissance et la douceur de sa Voix absolue.

    Infligeant aux sommets la loi de labme,

    Elle souille de sa boue les messagers du ciel:

    Les pines de sa nature dchue sont la dfense

    Quelle retourne contre les mains de la Grce qui sauve;

    Elle salue les fils de Dieu par la mort et par la douleur.

    Tels des clairs glorieux, ils traversent la scne terrestre:

    Leur pense solaire sest teinte, obscurcie par des esprits ignorants,

    Leur uvre, trahie, leur bien, tourn en mal,

    La croix pour paiement de la couronne quils apportaient,

  • Seul reste derrire eux un Nom splendide.

    Leur feu est venu, il a touch le cur des hommes,

    Puis disparu,

    Quelques rares ont pris flamme et grimp vers une vie plus grande.

    Trop diffrente du monde quelle venait aider et sauver,

    Sa grandeur pesait sur ce poitrail ignorant,

    Et de ce gouffre profond, montait une implacable rtribution:

    Une part de sa douleur, sa lutte, sa chute.

    Vivre avec chagrin, affronter la mort sur son chemin:

    Le lot des mortels devenait le partage de lImmortel.

    Ainsi prise au filet des destines terrestres,

    Attendant lheure et le lieu de son preuve,

    Exile de sa flicit inne,

    Acceptant la vie dans son obscure robe de terre,

    Se cachant mme de ceux quelle aimait,

    La divinit tait encore plus grande par la fatalit humaine.

    Une sombre prescience la sparait

    De tous ceux dont elle tait ltoile et la mture;

    Trop noble pour faire savoir le pril et la peine,

    Elle gardait le chagrin venir dans son silence dchir.

    Comme lun qui veille sur des hommes devenus aveugles,

    Elle assumait le fardeau dune race inconsciente;

    Abritant un adversaire quelle devait nourrir avec son cur,

    Sans faire connatre son acte, sans faire savoir le sort quelle affrontait

    Sans aide, elle devait prvoir et craindre et oser.

  • Depuis longtemps prvue, laube fatale tait l,

    Apportant un midi qui semblait comme chaque midi.

    Car la Nature va son puissant chemin

    Insouciante tandis quelle brise une me, une vie;

    Elle laisse ses morts derrire elle et continue sa route,

    Seul lhomme constate et les yeux innombrables de Dieu.

    Mme au moment du dsespoir de son me

    En ce tragique rendez-vous avec la mort, la peur,

    Nul cri ne traversait ses lvres, nul appel laide,

    Personne nentendait le secret de son malheur,

    Calme tait son visage, et le courage la gardait muette.

    Pourtant, seul son tre extrieur souffrait et luttait,

    Mme son humanit tait semi-divine,

    Son esprit souvrait lEsprit en tous,

    Sa nature sentait toute la Nature comme sienne.

    lcart, vivant au-dedans, elle portait toutes les vies,

    Isole, elle portait le monde en elle:

    Son angoisse faisait corps avec la grande angoisse cosmique,

    Sa force reposait sur la puissance des mondes,

    Sien, tait lamour de la Mre universelle.

    Contre le mal qui afflige la racine blesse de la vie,

    Et sa propre calamit en tait le signe priv,

    Elle avait fait de sa douleur un glaive mystique poignant.

    Un esprit solitaire, un cur vaste comme le monde,

    Elle montait luvre impartage de lunique Immortel.

  • Au commencement, la vie ntait point chagrine en sa lourde poitrine;

    Au sein de la somnolence primitive de la terre,

    Inerte, dlivre dans loubli,

    Prostre, elle reposait inconsciente la frontire du mental,

    Obtuse et tranquille comme la pierre et ltoile.

    Dans une profonde faille de silence entre deux mondes

    Savitri sommeillait loin des peines, non dchire par linquitude,

    Rien ne lui rappelait la douleur dici.

    Puis un lent, vague souvenir a boug comme une ombre,

    Elle a pouss un soupir, pos une main sur sa poitrine

    Et reconnu, proche, la douleur attarde,

    Profonde, calme, ancienne, devenue naturelle sa place,

    Mais elle ne savait pas pourquoi ctait l ni do cela venait.

    La Puissance qui allume le mental tait encore replie:

    Lourds, rcalcitrants, les serviteurs de la vie cheminaient

    Comme des ouvriers sans salaire de joie,

    Morne, la torche des sens refusait de brler,

    Sans appui, le cerveau ne trouvait pas son pass.

    Seule, une vague nature de la terre portait la forme.

    Mais de nouveau, maintenant, elle bougeait,

    La vie de Savitri partageait le fardeau cosmique.

    lappel muet de son corps,

    Son puissant esprit aux ailes lointaines revenait en arrire,

    Revenait au joug de lignorance et du destin,

    Revenait au labeur et lusure des jours mortels,

  • Et allumait une piste travers dtranges rves symboliques

    Au reflux des mers du sommeil.

    Sa demeure dans la Nature sentait une invisible souverainet

    Les chambres obscurcies de la vie sallumrent vite,

    Puis les battants de la mmoire souvrirent sur les heures

    Et les pas fatigus de la pense sapprochrent de sa porte.

    Tout lui revenait: la Terre et lAmour et le Destin,

    Les anciens adversaires lencerclaient

    Telles des silhouettes gantes dans larne de la nuit:

    Les divinits nes de lInconscient tnbreux

    Sveillaient pour la lutte et langoisse divine,

    Tandis que dans lombre de son cur flamboyant,

    Au centre sombre de ce combat funeste

    Gardien des abmes inconsols,

    Hritier de la longue agonie du globe,

    Un visage de haute Douleur divine, immobile comme une pierre,

    Fixait lespace de ses yeux vides

    Regardant les profondeurs sans ge du malheur,

    Mais non le but de la vie.

    Afflig par sa propre divinit implacable

    Enchan son trne, inapais, il attendait

    Loblation quotidienne des larmes jamais pleures de Savitri.

    La froce question des heures humaines revivait l tout entire.

    Le sacrifice de la souffrance et du dsir

    Offert par la Terre lExtase immortelle

  • Recommenait sous la Main ternelle.

    veille, Savitri attendait la marche serre des moments

    Et regardait ce dangereux monde au sourire verdoyant,

    Elle coutait le cri ignorant des choses vivantes.

    Parmi les bruits familiers, la scne inchange,

    Son me se levait pour affronter le Temps et le Destin.

    Immobile en elle-mme, elle ramassait sa force.

    Ctait le jour o Satyavane devait mourir.

    FIN DU CHANT UN

    Chant Deux

    LEnjeu

    (Un tre par sa prire pour le malheur de la Terre avait fait descendre ici la Mre Divine:

    Savitri, fille du Soleil, la Cratrice. Le Roi Ashwapati, le Matre-des-nergies, pre de Savitri, incarne le pionnier de lespce. Dge en ge, il a pouss lexploration de la conscience humaine et de ses pouvoirs inconnus. Et en notre ge? Cest lexploration mme,

    prodigieuse, pas pas, de Sri Aurobindo.)

    Un temps, retire dans les domaines secrets de sa pense,

    Savitri voyageait dans un pass combl dimages

    Qui vivait encore et voyait sa fin approcher:

    teint, il vivait imprissablement en elle;

    Passager et enfui des yeux passagers,

  • Invisible, tel un revenant fatidique delle-mme,

    Il portait lavenir sur sa poitrine fantme.

    Loin derrire, sur la piste des vnements fugitifs,

    Le torrent des heures intenses remontait

    Tandis quau bord de ce flot mystrieux

    Peupl de formes bien-aimes quelle ne voyait plus maintenant

    Et dimages subtiles des choses qui furent,

    Son esprit-tmoin, debout, examinait le Temps.

    Tout ce quelle avait espr, rv, t autrefois

    Volait devant elle sur ses ailes daigle par les cieux de la mmoire.

    Comme dans une aube intrieure aux flammes polychromes,

    Les grand-routes de sa vie et ses sentiers doux

    talaient leur carte sous sa vision solaire exacte,

    Depuis le pays lumineux des jours de son enfance

    Et les montagnes bleues de son envol dadolescente

    Et les petits bois de paradis et les ailes de paon de lAmour,

    Jusqu cette joie dchire sous lombre silencieuse de la mort

    Dans un dernier tournant o le ciel faisait la course avec lenfer.

    Douze mois passionns conduisaient un jour du destin.

    Une obscurit tombe sur lhomme, surnaturelle, absolue,

    Parfois, lorsquil sapproche de Dieu,

    Une heure vient o manquent tous les moyens de la Nature;

    Tir de force de son Ignorance protectrice

    Et jet nu sur son besoin primordial

    Il doit, enfin, dpouiller son me apparente

  • Pour tre lentit intrieure sans vtement:

    Cette heure-l, maintenant, tombait sur Savitri.

    Elle touchait ce point o la vie doit tre vaine,

    Ou bien, consciente de son lment ternel,

    Sa volont doit rvoquer la destine de son corps.

    Car, seul, le pouvoir sans temps de lesprit sans naissance

    Peut lever le joug impos par lenfantement dans le temps.

    Seul, ltre qui taille cette image dtre

    Peut rayer linterminable ligne fatale

    Qui joint ces noms changeants, ces vies sans nombre,

    Ces nouvelles personnes amnsiques,

    Et garde, toujours tapie derrire nos actes conscients,

    La piste des vieilles penses et des actes oublis,

    Seul, il peut refuser lhritage de nos moi enterrs,

    Cet accablant legs de nos formes vanouies

    Aveuglment accept par le corps et par lme.

    Tel un pisode dans un conte immmor,

    Le commencement perdu, le motif et la trame, cachs,

    Une histoire autrefois vivante, a prpar et fait

    Notre fatalit prsente, enfant des nergies passes.

    La fixit des squences cosmiques

    Rives par dimprieux chanons cachs,

    Elle doit les briser, draciner par la force de son me

    Son pass, cette barrire sur la route de limmortel,

    Faire table rase et faonner neuf son destin.

  • Ce colloque des Dieux originels

    Qui se font face aux lisires de linconnu,

    Ce dbat de son me avec le Nant incarn

    Doit se livrer corps corps sur un dangereux fond sombre:

    Son tre doit affronter sa Cause premire

    Et contre lunivers, peser son moi tout seul.

    Sur un pic nu o ltre est seul avec le Rien

    O la vie na pas de sens et lamour pas de place pour se tenir

    Elle doit plaider sa cause au bord de lextinction,

    Dans le tombeau de la mort du monde, dfendre le cri abandonn de la vie

    Et faire valoir son droit tre et aimer.

    Il faut transformer la dure conomie de la Nature;

    Lacquittement de son esclavage pass, elle doit lobtenir,

    Liquider un vieux compte de souffrance,

    Rayer du Temps cette longue dette multiplie de lme

    Et les lourdes servitudes des Dieux du Karma1,

    Et la lente vengeance de la Loi sans pardon

    Et la profonde ncessit de la douleur universelle

    Et le cruel sacrifice et les consquences tragiques.

    La muraille immmoriale, elle doit la briser,

    Percer par les abmes de sa pense le monstrueux silence du Vide,

    Regarder dans les yeux dserts de la Mort immortelle

    Et par son esprit nu, mesurer la nuit de lInfini.

    1 Karma: consquences des actes passs (spcialement dans les vies passes).

    https://www.aurobindo.ru/workings/sa/2829/0002_f.htm#1_
  • Le grand moment de la douleur tait proche maintenant

    Tel un bataillon cuirass marchant sa destruction,

    Les derniers longs jours passaient une lourde cadence,

    Longs, mais trop vite passs, trop proche la fin.

    Seule, parmi les nombreux visages aims,

    Consciente, parmi lignorance des curs heureux,

    Son esprit indomptable comptait les heures

    lcoute du formidable pas prvu

    Dans la beaut cache dune retraite sauvage et sans hommes.

    Combattante dans le silence dune redoutable lice,

    linsu du monde, elle se battait pour le monde:

    Nulle aide ntait l, sauf la Puissance dedans,

    Nul tmoin aux yeux terrestres;

    Les Dieux en haut et la Nature seule en bas

    taient les spectateurs de ce formidable combat.

    Autour delle, les austres collines pointaient vers le ciel,

    Et les vastes forts vertes bruissantes et pensives

    Murmuraient sans fin leur sourde incantation.

    Une somptueuse vie dense, colore, enveloppe delle-mme,

    Drape dans ses feuilles de vive meraude monochrome

    Sertie de rayons de soleil vagabonds et de fleurs heureuses

    Clotrait la scne solitaire de sa destine.

    L, elle avait grandi la taille de son esprit;

    Le gnie des silences de Titan

    Avait tremp son me dans un vaste esseulement

  • Lui montrant la ralit nue de son tre

    Et lunissant au monde lentour.

    La solitude grandissait ses heures humaines

    Sur un fond de lternel et de lunique.

    Une force de sobre ncessit directe

    Rduisait la lourde fabrique des jours humains

    Et sa masse encombrante de besoins extrieurs

    un premier mince lambeau de ncessits animales,

    Et la puissante immensit de la terre primordiale

    Et la songeuse multitude des arbres patients

    Et la tranquille rverie du ciel saphiren

    Et la solennelle majest des lents mois passaient

    Laissant une place profonde en elle pour la pense et pour Dieu.

    L, se vivait le radieux prologue de son drame.

    Un lieu pour la marche de lternel sur la terre,

    Reposant dans la ferveur claustrale des forts

    Et regard par laspiration des pics,

    Une clairire par une troue dor dans le Temps

    O le silence lcoute sentait le mot sans paroles

    Et les heures oubliaient de passer vers le chagrin et le changement.

    L, avec la soudainet des avnements divins,

    Rptant la merveille de la premire descente

    Et changeant en ravissement la terne routine de la terre,

    LAmour vint Elle, cachant lombre, la Mort.

    En Elle, Il pouvait assurment trouver son parfait sanctuaire.

  • Depuis que ltre terrestre a commenc sa pousse vers les cieux

    travers toute la longue preuve de lespce,

    Jamais crature plus rare navait support pareil feu,

    Ce test brlant de la divinit dans notre matire,

    La foudre des sommets sur notre abme.

    Tout en Elle, portait le signe dune espce plus noble.

    Proche des tendues de la terre, intime avec les dieux,

    Altier et rapide son jeune esprit aux larges visions

    Voyageant par des mondes de splendeur calme

    Volait par-dessus les chemins de la Pense vers les choses jamais nes.

    Inbranlable tait sa volont, ardente et bien pose,

    Son mental, une mer de blanche sincrit,

    Passionne dans sa coule, sans une vague trouble.

    Telle une prtresse des extases immacules

    Dans sa danse aux nergies mystiques,

    Inspire et mue par les cryptes de la Vrit rvlatrice,

    Et qui rside dans lantre prophtique des dieux,

    Son cur de silence dans les mains de la joie

    Habitait de ses battements crateurs inpuisables

    Un corps comme une parabole de laurore

    Qui semblait un rceptacle de la divinit voile

    Ou une porte du temple dor sur les choses de lau-del.

    Des rythmes immortels scandaient ses pas dans le Temps;

    Son regard, son sourire veillaient un sens cleste

    Mme dans cette substance terrestre,

  • Et leur flicit intense

    Faisait couler sur les vies humaines une divine beaut.

    Un vaste don de soi tait sa marque inne;

    Une magnanimit comme de la mer ou du ciel

    Enveloppait dans sa grandeur tout ce qui vient

    Et donnait le sens dun monde largi;

    Sa tendre sollicitude tait un doux soleil tempr,

    Sa haute passion, tel lquilibre dun ciel bleu.

    Comme un oiseau, ou une me, qui senvole, poursuivi,

    Les ailes fatigues, schappant dun monde de temptes

    Et se souvient, et retrouve une poitrine tranquille

    Dans un havre lisse et somptueux de repos protg,

    On pouvait boire la vie encore dans une rivire de douceur forte,

    Retrouver lhabitude perdue dtre heureux

    Sentir lair radieux de sa nature de lumire

    Et la joie baigne dans la tendresse de son royaume.

    Une compassion insondable, un sanctuaire de silence,

    Son aide intrieure dbarrait une porte dans les cieux;

    LAmour en Elle tait plus vaste que lunivers

    Le monde entier pouvait trouver refuge dans son seul cur.

    La grande divinit insatisfaite pouvait demeurer l:

    Vide du petit moi nain dans son air emprisonn

    La nature de Savitri pouvait abriter le sublime souffle

    Spirituel, qui peut rendre toutes choses divines.

    Car mme ses gouffres taient des secrets de lumire.

  • la fois, elle tait limmobilit et le mot,

    Un continent de paix radiante,

    Un ocan de feu vierge sans un frisson:

    La force et le silence des dieux taient siens.

    En Elle, Il trouvait une Vastitude comme la sienne,

    Il retrouvait son haut ther ardent

    Et se mouvait en Elle comme dans sa maison naturelle.

    En Elle, Il rencontrait sa propre ternit.

    Jusqu ce jour, nulle ligne funeste navait barr ce rayon.

    Sur la mince corce de cette terre prcaire,

    Lorbe de sa vision dans ce logis o le souffle est barricad

    Souvrait en sympathie sur des toiles plus heureuses

    L o la vie nest point soumise des changements dchirants;

    Elle se souvenait dune beaut que ne connaissent point les yeux rclams par la mort

    Et stonnait de ce monde aux formes fragiles

    Emport sur la toile morcele dun Temps miroitant;

    Limpunit des Puissances sans commencement tait son bien.

    Elle se penchait pour porter le fardeau des hommes,

    Et pourtant, sa marche gardait toujours la mesure des dieux.

    Lair de la terre navait pas russi ternir ce cristal tincelant;

    Intouch par la poussire de notre atmosphre mortelle

    Il refltait encore la joie spirituelle des cieux.

    Quiconque vivait dans sa lumire pouvait voir, presque

    Son compagnon de jeu des sphres ternelles

    Descendu de son royaume inaccessible

  • Entran dans le sillage de lumire de sa venue;

    Dans un blanc flamboiement, le dragon ail de la batitude sans bornes

    Planait de ses ailes de flamme au-dessus de ses jours:

    Le bouclier tranquille du ciel gardait la mission de cet enfant.

    Une ronde rayonnante courait par son enfance

    Les annes passaient comme la trane dor des dieux;

    Sa jeunesse tait pose sur une assise de calme flicit.

    Mais jusquau bout la joie ne peut durer;

    Une obscurit habite les choses terrestres

    Et ne souffre pas longtemps une note trop heureuse.

    Sur Elle aussi, se refermait la Main inluctable:

    LImmortel en armes portait le pige du Temps.

    Celui qui la frappait avait pos son signe sur le fardeau des grands.

    Assignateur de lpreuve et du chemin

    Dans cet holocauste de lme, il choisit

    La mort, la chute, la douleur, comme un aiguillon de lesprit;

    Par sa torche de peine, la divinit ambigu

    Allumait labme du monde inachev

    Et appelait Savitri remplir de son tre limmense lacune.

    Auguste et sans piti dans son calme regard,

    Aiguisant la terrible stratgie de lternel,

    Il mesurait la difficult au pouvoir

    Et creusait plus profond le gouffre que tous doivent traverser.

    Assaillant du plus divin de son tre,

    Il avait faonn son cur de la mme chair que le cur dchir des hommes

  • Et poussait de force ses nergies sur le chemin dsign.

    Pour cela, Elle avait accept le souffle mortel;

    Pour se battre avec lOmbre, Elle tait venue

    Et devait affronter lnigme de la naissance humaine

    Et la lutte de la brve vie dans la nuit lourde de la Matire.

    Ou supporter lIgnorance et la Mort,

    Ou bien tailler le chemin de lImmortalit,

    Gagner ou perdre la partie divine pour lhomme,

    Tel tait lenjeu de son me jet par le d du Destin.

    Mais pas pour se soumettre et souffrir tait-elle ne;

    Conduire, dlivrer tait sa part glorieuse.

    Elle ntait pas de ltoffe fabrique par la terre

    Bonne pour un jour dusage par des Pouvoirs affairs et insouciants.

    Pas une image voltigeante sur lcran de la fatalit

    demi anime pour une sance dun jour,

    Ni une pave sur locan du Dsir

    Jete aux tourbillons dun jeu impitoyable

    Ballotte et disparue dans le gouffre des Circonstances,

    Quelque crature ne pour se plier sous le joug,

    Serve ou jouet des seigneurs du Temps,

    Un pion de plus qui vient pour tre pouss,

    Un lent coup en avant sur un tablier sans mesure

    Dans cette partie dchecs de lme terrestre avec la Destruction,

    Car telle est lhumaine image dessine par le Temps.

    En Elle, tait la Force inne, la forme consciente.

  • Dans cette nigme du crpuscule de Dieu,

    En cet trange et long compromis malheureux

    Dune Nature limite et dune me sans limite

    O tout doit se mouvoir entre un Hasard ordonn

    Et une aveugle Ncessit sans souci,

    Trop haut, le feu de lesprit nose senflammer.

    Si, une fois, il touchait lintense Flamme originelle,

    Une tincelle de rponse pourrait briser toutes les mesures tablies

    Et la terre, couler bas sous le poids de lInfini.

    Une gele, tel est cet immense monde matriel:

    Sur chaque route, debout, en armes, une loi aux yeux de pierre,

    chaque porte, normes, voiles, les sentinelles vont et viennent.

    Un tribunal gris de lIgnorance,

    Une Inquisition des prtres de la Nuit

    Passe en jugement lme aventurire,

    Et les Tables ambigus des lois du Karma

    Refrnent en nous galement le Titan et le Dieu:

    La peine avec son fouet, la joie avec ses leurres et miroitements

    Gardent immobile le tournoiement de la Roue.

    Une chane attache la haute vole du mental

    Un sceau retient le cur trop vaste;

    La mort arrte le voyage du dcouvreur: la Vie.

    Ainsi reste sauf le trne de lInconscient

    Tandis que senroulent et passent nonchalamment les ges

    Et lanimal broute dans lenceinte sacre

  • Et le Faucon dor ne traverse plus les cieux.

    Mais Celle-ci sest dresse, Elle a allum la flamme sans limite.

    Devant le tribunal du sombre Pouvoir qui hait toute allgresse

    Dans cette cour implacable o la vie doit payer pour la joie,

    Condamne par le justicier mcanique

    Au chtiment qui afflige les espoirs de lhomme,

    Elle na point baiss la tte devant linflexible dcret,

    Elle a mis nu son cur dsarm pour le coup du destin.

    Ainsi baisse la tte, et le doit, la volont humaine ne du mental

    Obissante aux statuts fixs jadis,

    Et qui accepte sans appel les dieux infernaux.

    En Elle, le surhumain avait jet sa semence.

    Inapte plier ses puissantes ailes de rve,

    Son esprit refusait dembrasser la boue commune,

    Ou, trouvant escamot le sens dor de toute la vie,

    Se refusait transiger avec la terre, raye de la liste toile,

    Ou noyer dans un dsespoir noir la lumire donne par Dieu.

    Accoutume lternel et au vrai,

    Consciente des fontaines divines de son tre,

    Elle ne demandait point la faiblesse mortelle le soulagement de la douleur,

    Elle ne saccommodait pas dun compromis ni ne marchandait avec la dfaite.

    Une uvre elle avait accomplir, un mot donner;

    crivant lhistoire inacheve de son me

    En penses et en actes gravs dans le livre de la Nature,

    Elle nacceptait pas de fermer la page lumineuse,

  • Ni dannuler ses liens avec lternit

    Ni dapposer la signature consentante du faible

    Au compte brutal des transactions du monde.

    Une force en Elle, qui avait besogn depuis la premire terre,

    Accomplissant dans la vie le grand plan du monde,

    Poursuivant aprs la mort un dessein immortel,

    Rpugnait admettre le rle strile de la frustration,

    dchoir du sens de sa naissance dans le Temps,

    Obir au gouvernement des faits accidentels

    Et cder son haut destin au Hasard qui passe.

    En son tre mme, Elle trouvait son haut recours,

    De par son droit souverain, Elle dfiait la loi de fer:

    Sa seule volont rfutait la domination cosmique.

    Elle stait leve, cette grandeur, pour arrter les roues de la Destruction.

    Quand linvisible est venu frapper aux portes caches,

    Sa force, grandie encore par la foudre de cette main,

    A surgi du sommeil dans les replis de son cur.

    Elle tenait le choc de Cela qui tue et qui sauve.

    Debout contre la monstrueuse rue que nul il ne peut voir,

    Barrant la route terrible que nulle volont ne peut changer,

    Elle faisait face la machine de lunivers;

    Un cur se dressait devant les roues qui commandent:

    Les rouages gants firent halte devant une intelligence,

    Les conventions inexorables rencontraient le feu dune me.

    Un levier magique, soudain, est saisi

  • Qui touche lternelle volont de lineffable voil:

    Une prire, un acte matre, une ide royale

    Peut relier les nergies dun homme la Force transcendante.

    Alors le miracle devient la loi commune,

    Un acte souverain peut changer le cours des choses,

    Une pense solitaire devient toute-puissante.

    Tout, maintenant, semble une norme mcanique de la Nature:

    Une servitude sans fin au rgne matriel,

    La chane rigide dun long dterminisme,

    Les habitudes solides et inchangeables qui singent la Loi,

    Lempire dun habile artifice inconscient

    Annulent les prtentions de lhomme la libert de sa volont humaine.

    Lui aussi est une machine parmi des machines:

    Un cerveau piston pompe des formes de penses,

    Un cur pulsatile faonne le mode des motions

    Une nergie insensible fabrique une me.

    Ou bien larithmtique du monde rvle les signes

    Dun Hasard en laisse qui rpte son vieux trot

    En rond autour des poteaux dattache de la Matire.

    Ici tourne et vire une srie fortuite dvnements ineptes

    Auxquels la raison prte un sens illusoire,

    Ou la recherche empirique dune Vie instinctive,

    Ou bien le travail colossal dune norme ignorance mentale.

    Mais vient la sagesse, mais grandit la vision dedans;

    Alors linstrument de la Nature se couronne son roi;

  • Il sent le regard de son moi et le pouvoir conscient;

    Son me prend du recul, elle voit la Lumire suprme.

    Une Divinit est debout derrire la machine brute.

    Cette vrit a fait irruption dans un triomphe de feu;

    Une victoire tait gagne pour Dieu dans lhomme,

    La dit rvlait sa face cache.

    Et maintenant, en Savitri, la grande Mre du Monde stait leve:

    Un choix vivant renversait le froid tournant mortel du destin,

    Affirmait le pas de lesprit sur les Circonstances,

    Retournait limplacable tournoiement de la Roue insense

    Et arrtait la marche muette de la Ncessit.

    Une guerrire de flamme venue des pics ternels

    Avec le plein pouvoir de forcer la porte close et interdite,

    Arrachait au visage de la Mort son absolu de pierre

    Et brisait les limites de la conscience et du Temps.

    FIN DU CHANT DEUX

    Chant Trois

    Le Yoga du Roi: Le yoga de la dlivrance de lme

    Le dsir dun monde avait contraint la naissance mortelle de Savitri.

  • En tte de la qute immmoriale,

    Protagoniste de cette tragdie mystrieuse

    O lInconnu se poursuit lui-mme travers les formes

    Et limite son ternit par les heures,

    O le Vide aveugle se dbat pour vivre et pour voir,

    Un penseur, un travailleur tenace sur le terrain de lidal

    Avait tir cette puissance rayonnante pour le besoin muet de la terre.

    En lui, un esprit des sphres plus vastes se penchait

    Sur notre province la vue phmre,

    Un colonisateur de limmortalit.

    Un phare point sur les routes incertaines de la terre,

    La naissance du Roi recelait un symbole et un signe;

    Son tre humain, tel un vtement translucide,

    Cachait la Toute-Sagesse qui conduit le monde aux yeux bands.

    Affili lEspace et au Temps cosmiques,

    Il payait ici-bas la dette de Dieu envers la terre et envers lhomme;

    Une filiation plus grande tait son droit divin.

    Bien que consentant lignorance mortelle,

    Sa connaissance participait de la Lumire ineffable.

    nergie de loriginelle Permanence

    Emmle au flux du moment,

    Il gardait la vision des Vastitudes par-del:

    En lui, tait un pouvoir de linconnaissable.

    Archiviste des symboles de lAu-del,

    Trsorier des rves surhumains,

  • Il portait le sceau des mmoires puissantes

    Et versait leur rai grandiose sur la vie humaine.

    Ses jours taient une longue pousse vers le Suprme.

    Nourrissant ses racines tournes vers le ciel,

    Un tre, soutenu par les sources occultes de lesprit,

    Grimpait par des rayons blancs la rencontre dun Soleil inconnu.

    Son me vivait comme le dlgu de lternit,

    Sa pense, comme un feu lassaut des cieux,

    Sa volont, un chasseur sur les pistes de lumire.

    Une impulsion ocanique soulevait chaque respiration,

    Chaque acte laissait lempreinte dun Dieu,

    Chaque moment tait un battement dailes puissantes.

    Le petit lopin de notre mortalit,

    Touch par cet habitant des sommets,

    Devenait un terrain de jeu de lInfini vivant.

    Cette apparence corporelle nest pas tout,

    La forme trompe, la personne est un masque;

    Profondment cachs dans lhomme, des pouvoirs clestes peuvent habiter.

    Par la mer des ans, sa coque fragile transporte

    Un incognito de limprissable.

    Un esprit attend, qui est la flamme de Dieu,

    Une parcelle brlante du Merveilleux,

    Un artiste de sa propre beaut et de son propre dlice

    Immortel dans notre pauvret mortelle.

    Ce sculpteur des formes de lInfini,

  • Cet Habitant masqu, irreconnu,

    Initi de ses propres mystres voils,

    Cache sa pense cosmique dans une petite semence muette.

    Dans lnergie silencieuse de lIde secrte

    Dterminant la forme et lacte prdestins,

    Passager de vie en vie, dtendue en tendue,

    Changeant limage de son tre de forme en forme,

    Il regarde licne qui grandit sous son regard

    Et dans le ver de terre, prvoit le dieu qui vient.

    Enfin, le voyageur sur les sentiers du Temps

    Arrive aux frontires de lternit.

    Drap dans le symbole transitoire des humains,

    Il sent la substance de son moi qui ne meurt pas

    Et perd sa parent avec la mortalit.

    Un rayon de lternel frappe son cur,

    Sa pense slargit linfini:

    Tout, en lui, se tourne vers les Vastitudes de lesprit.

    Son me brise le mur pour rejoindre la Sur-me,

    Sa vie plonge dans locan de la super-vie.

    Il a bu le lait de la Mre des mondes,

    Une sur-nature sans nues emplit ses membres:

    Elle adopte le terrain inaltrable de son esprit

    Tel un sauf-lieu de son monde changeant

    Et faonne limage de ses puissances venir.

    Immortellement, Elle se conoit elle-mme en lui,

  • Dvoile, la cratrice uvre dans la crature:

    Sa face transparat travers sa face, Ses yeux travers ses yeux;

    Son tre est sien dans une vaste identit.

    Alors, dans lhomme, se rvle le Divin manifeste.

    Une Unit statique allie un Pouvoir dynamique

    Descendent en lui, sceaux de la Divinit intgrale;

    Son me et son corps portent la marque splendide.

    Une longue prparation obscure faonne la vie de lhomme,

    Un cercle de labeur et despoir et de guerre et de paix

    Traqu par la Vie sur le sol obscur de la Matire.

    Tandis quil grimpe vers un pic que nul na jamais foul,

    Il cherche travers une pnombre troue de flamme

    Une ralit voile, demi-connue, toujours manque,

    Une qute de quelque chose, ou de quelquun, jamais trouv,

    Le culte dun idal jamais devenu vrai ici,

    Une spirale sans fin dascension et de chute

    Jusqu ce que, enfin, il arrive au point gant

    O Sa Gloire brille, pour laquelle nous fmes faits

    Et nous sommes prcipits dans linfini de Dieu.

    De lautre ct de la ligne de notre nature, nous nous chappons

    Dans larc de la sur-nature, dans la lumire vivante.

    Ainsi en tait-il, maintenant, de ce fils de la Force;

    En lui, cette haute transition avait pos sa base.

    LOuvrier cosmique, loriginelle et suprme Immanence,

    Dont tout le cheminement de la Nature est lart,

  • Avait pos sa main secrte

    Pour tourner cette frle machine de boue un usage cleste.

    Une Prsence battait lenclume derrire lcran nigmatique:

    Elle pilonnait ce sol pour porter un poids de Titan,

    Raffinait les blocs mal quarris des nergies naturelles

    Et sculptait son me en la statue dun Dieu.

    LArtisan de cette substance magique du moi,

    Peinant, uvrant son haut et difficile dessein

    Dans le vaste atelier du monde merveilleux

    Modelait ses matriaux rythmiques dans un Temps intrieur.

    Puis vint le brusque miracle transcendant:

    La Grandeur masque, immacule, pouvait baucher

    Dans locculte matrice de la vie en travail

    Son rve grandiose des choses venir.

    Clef de vote de larchitecture des mondes,

    Un mystre du mariage de la Terre et du Ciel

    Annexait la divinit la composition mortelle.

    Un Voyant tait n, un Hte ensoleill du Temps.

    Le firmament ferm du mental nexistait plus pour lui l-haut.

    Dans la faade mythique de la Nuit et du Jour,

    Un trou dchirait la vote qui cache tout,

    Les extrmits conscientes de ltre sen allaient rouler derrire:

    Les bornes de la petite personne tombaient,

    Lle-ego rejoignait son continent.

    Outrepass, ce monde de formes emprisonnantes et rigides,

  • Les barrires de la Vie souvraient sur lInconnu.

    Abolies, les conventions du concevable,

    Raye, la clause rigoureuse de lasservissement

    Annul, le pacte de lme avec la nescience de la Nature.

    Les interdictions grises, toutes, taient jetes par terre,

    Bris, le dur couvercle chatoyant de lintellect;

    La Vrit sans division trouvait son immensit de ciel;

    Une vision empyrenne voyait, savait;

    Le mental emmur devenait lumire illimite,

    Le moi fini sappariait lInfini.

    Sa marche, maintenant, prenait des ailes daigle.

    Sorti de son apprentissage de lIgnorance,

    La Sagesse llevait son mtier majeur

    Et de lui, faisait un matre maon de lme

    Un btissseur de la maison secrte de lImmortel

    Un aspirant au suprme Temps-Indivisible:

    La libert et la souverainet lappelaient den haut;

    Au-dessus de la pnombre mentale,

    Par-del cette nuit de la vie qui navigue ltoile,

    Rayonnait laurore dun jour spirituel.

    mesure quil grandissait ainsi en son moi plus vaste,

    Lhumanit dictait de moins en moins ses mouvements,

    Un tre plus grand voyait un monde plus grand.

    Une intrpide volont de connaissance osait nier

    Les lignes de scurit que trace la raison,

  • Les barreaux qui empchent

    Lessor du mental, la plonge de lme dans lInfini.

    Mme ses premiers pas brisaient nos petites bornes terrestres

    Et vagabondaient dans un air plus ample, plus libre.

    Dans ses mains, soutenues par une nergie transfiguratrice,

    Il empoignait lgrement, tel un arc de gant

    Laiss labandon dans une caverne secrte et scelle,

    Les pouvoirs qui dorment, inutiliss, dans lhomme intrieur.

    Pour lui, le miracle devenait un acte normal;

    Magnifiquement naturels dans cet autre air,

    Il tournait au service courant des travaux divins

    Des efforts qui auraient bris les forces dun cur mortel

    Et poursuivait avec une royaut daise puissante

    Des buts trop sublimes pour la volont journalire de la Nature:

    Les dons de lesprit venaient lui en foule,

    Ils faisaient la trame de sa vie et son privilge.

    Une perception pure apportait sa joie transparente:

    Sa vision intime nattendait pas la pense,

    Elle enveloppait toute la Nature dun seul coup dil,

    Elle regardait dans ltre mme des choses;

    Ntant plus dupe des formes, il voyait lme.

    Dans les tres, il savait ce qui guettait, inconnu deux-mmes,

    Il saisissait lide dans la pense, le souhait dans le cur,

    Dans le secret des replis gris, il dcelait

    Les motifs que les hommes cachent leurs propres yeux.

  • Il sentait la vie battante dans les autres hommes

    Lenvahir de leur bonheur ou de leur chagrin;

    Leur amour, leur colre, leurs espoirs jamais dits

    Entraient comme des courante ou des vagues dferlantes

    Dans locan immobile de son calme.

    Il entendait le son inspir de ses propres penses

    Rsonner sous la vote des autres esprits;

    Le torrent des penses du monde roulait en lui;

    Son moi intrieur tait intime des autres moi,

    Il portait le poids de la parent, le lien commun,

    Et pourtant restait intouch, roi de lui-mme, seul.

    Une harmonie magique avivait et accordait

    Les vieilles cordes terrestres aux symphonies thres,

    Soulevait les serviteurs du mental et de la vie,

    Les changeait en heureux participants des rsonances de lme;

    Les cellules et les nerfs devenaient une harpe sensitive,

    Enregistreurs de luminescences et dextase,

    Les moyens du corps devenaient les compagnons de lesprit.

    Des fonctions plus divines doues dun mode plus fin

    clairaient de leur grce la matrialit extrieure de lhomme;

    Lexprience des couches profondes de lme

    Ne dormait plus, drogue par la domination de la Matire.

    Dans cette muraille de mort qui nous spare dun moi plus vaste,

    Dans le secret dun apparent sommeil,

    Dans les tendues mystrieuses par-del nos penses de veille,

  • Une porte souvrait, bloque par les forces de la Matire,

    Dlivrant des choses non saisies par les sens terrestres:

    Un monde jamais vu, inconnu du mental dehors,

    Apparaissait dans les espaces silencieux de lme.

    Assis dans les chambres secrtes, il regardait

    Les lumineux pays natre

    O toutes les choses rves par le mental sont vues et vraies

    Et tout ce que la vie espre sapproche.

    Il voyait les Parfaits en leur demeure toile

    Vtus de la gloire dune forme immortelle

    Reposant dans les bras de paix de lternel,

    Plongs dans lextase des battements de cur de Dieu,

    Il vivait dans lespace mystique o prend naissance la pense,

    O la volont est mue par une Puissance dailleurs,

    Nourrie par le lait blanc des Vigueurs de lternel

    Tandis quelle grandit la semblance dun dieu.

    Dans les intimits occultes du Tmoin, fermes par les murs du mental,

    Par des intrieurs cachs et des passages dissimuls

    Souvraient les fentres de la vision intrieure.

    Il tait matre de la demeure du Temps sans division.

    Soulevant le lourd rideau de la chair

    Debout sur le seuil gard par le serpent

    Il plongeait le regard par dtincelants corridors sans fin,

    Silencieux et lcoute dans le cur du silence

    Attendant la venue du nouveau et inconnu.

  • Il regardait sans ciller les immobilits vides

    coutant le son de lIde jamais rve

    Par les grand-routes lointaines de lAu-del.

    Il entendait la Voix secrte, le Mot qui sait

    Et vit la face secrte qui est la ntre.

    Les mondes intrieurs dcouvraient leurs portes de cristal,

    Dtranges puissances, dtranges influences touchaient sa vie.

    Une vision rvlait des royaumes plus hauts que le ntre

    Une conscience dtendues et de cieux plus brillants,

    Des tres moins circonscrits que les humains la vie brve

    Des corps plus subtils que ces ossatures passagres

    Des objets trop fins pour notre poigne matrielle

    Des actes vibrants dune lumire surhumaine

    Et des mouvements ms par une force supraconsciente

    Et des joies qui jamais nont coul par les membres mortels

    Et des paysages plus beaux que ceux de la terre

    Et des vies plus heureuses.

    Une conscience de beaut et de flicit,

    Une connaissance qui devenait ce quelle percevait,

    Remplaaient les sens et les curs spars

    Et prenaient toute la Nature dans leur embrasse.

    Le mental se penchait la rencontre des mondes cachs,

    Lair se dorait, fourmillait de formes et de teintes merveilleuses;

    Dans les narines, frmissaient des parfums clestes

    Sur la langue, le miel du paradis restait longtemps.

  • Loue tait un ruissellement de rsonances enchantes

    Une antenne de lharmonie des univers

    Une rivire de sons occultes que la terre ne peut entendre.

    Par les champs couverts du sommeil profond

    Venait la voix dune vrit submerge, inconnue,

    Qui coule et flue sous les surfaces cosmiques,

    Entendue seulement dans un silence omniscient

    Capte par le cur intuitif et le sens subtil.

    Elle portait le fardeau des secrets scells et muets,

    Disait le besoin inaccompli de la terre

    Et le chant des promesses dun ciel jamais ralis

    Et tout ce qui reste cach dans un Sommeil omnipotent.

    Dans ce drame sans trve port par le Temps,

    Sur ce long flot qui a cout et emport

    Linsoluble doute du monde dans son plerinage sans but,

    Un rire de plaisir jamais endormi droulait son ressac et ses cumes

    Et les murmures dun dsir qui ne peut mourir:

    Un cri montait du monde et de son ravissement dtre,

    Sa grandeur et la noblesse de sa volont de vivre

    Un rappel de laventure de lme travers lespace,

    Ce voyageur des sicles nigmatiques,

    Et la peine et le labeur de ltre dans lunivers de la Matire

    Sa recherche du sens mystique de sa naissance

    Et la joie dune haute rponse de lesprit,

    Ses tressaillements satisfaits et consentants

  • De toute la douceur des dons de la vie,

    Son vaste souffle et ses pulsions et ses frissons despoir et de peur,

    Son got de langoisse et des larmes et de livresse,

    Son ravissement dans le battement poignant dune allgresse soudaine

    Et le sanglot de sa passion et de sa peine qui ne finit pas.

    Le sourd murmure et le bruissement des sons inentendus

    Qui assigent et pressent nos curs sans trouver une seule fentre

    Se gonflaient, montaient en cantique

    De toute la souffrance venir, encore inconnue,

    Et de tous les labeurs natre, en vain

    Et de toute la douceur que nul ne gotera, jamais

    Et de toute la beaut qui, nulle part, ne sera.

    Inaudibles pour nos sourdes oreilles mortelles

    Les immenses rythmes cosmiques diapasonnaient leur prodigieuse psalmodie

    Que la vie tente de capter ici dans nos battements lyriques

    Fondant nos limites dans lillimitable

    Accordant le fini linfinitude.

    Un bas grondement montait des caves subconscientes,

    Le balbutiement de lignorance primordiale;

    Alors sabattit, comme une rponse ces doutes inarticuls,

    Tel un gerfaut au col dclair et aux ailes de tonnerre,

    Un hymne radieux linexprimable:

    Le Pan de la lumire supraconsciente.

    L, tout tait rvl, ce que personne ici ne peut exprimer;

    Les visions et les rves taient des fables racontes par la vrit

  • Des symboles plus vridiques que les faits

    Ou des vrits marques dun sceau surnaturel.

    Des yeux immortels sapprochaient, regardaient dans les siens,

    Des tres de nombreux royaumes venaient proche et parlaient:

    Les toujours vivants que nous appelons morts

    Pouvaient quitter leur gloire par-del la mort et la naissance

    Pour dire la sagesse qui dpasse tous les mots:

    Les rois du mal et les rois du bien,

    Plaideurs la cour de la raison,

    Proclamaient lvangile de leurs contraires

    Et tous se croyaient les porte-parole de Dieu:

    Les dieux de lumire et les titans noirs

    Se disputaient son me comme un trophe de prix.

    chaque heure arrache aux frmissements du Temps

    Slevait un chant de dcouverte nouvelle,

    Le coup darchet vibrant dune exprience toute jeune.

    Chaque jour tait une odysse spirituelle

    Comme sil naissait dans un monde vierge,

    Laventure bondissait comme un ami inattendu

    Et le danger avait la saveur frache dune joie aigu:

    Chaque incident tait une exprience profonde.

    Il y avait de hauts combats, des colloques piques,

    Et les conseils venaient en langue cleste,

    Il y avait des plaidoyers doucereux souffls par des lvres occultes

    Pour aider le cur cder aux appels enivrants

  • Et de suaves tentations sinsinuaient des royaumes de beaut

    Et des extases soudaines dun monde de batitude.

    Ctait un rgne dmerveillement et de dlice.

    Sa clairaudience lumineuse pouvait tout recevoir maintenant,

    Le contact vibrait de puissantes choses inconnues.

    veill de nouvelles proximits par-del notre terre,

    Son clavier rpondait des infinits subtiles;

    Avec un cri argentin, des portes souvraient

    Et les clairs de la vision volaient dans linvisible.

    Sa conscience, sa vision ne cessaient de grandir;

    Elles prenaient une envergure plus ample, un vol plus haut;

    Il traversait la frontire connue du rgne de la Matire,

    Traversait la zone o la pense remplace la vie.

    Soudain, hors de ce monde de signes, il surgit

    Dans un moi silencieux o le monde ntait pas:

    Il regardait par-del dans une Vastitude sans nom.

    Ces symboles et ces visages perdaient leur droit de vivre,

    Toutes les reprsentations que nos sens peuvent reconnatre tombaient;

    L, le cur ne battait plus lorsquon touchait le corps,

    L, les yeux ne regardaient plus les formes de la beaut.

    de rares intervalles lumineux au sein du silence,

    Il pouvait prendre son essor dans une rgion sans signe

    Comble du contenu profond de cela qui na point de forme

    O le monde tait embrass dans un seul tre

    Et tout tait connu par la lumire didentit

  • Et lesprit tait sa propre vidence.

    Le regard du Suprme regardait par les yeux humains

    Et voyait toutes choses, toutes cratures comme lui-mme

    Et savait toute pense, toute parole comme sa propre voix.

    L, lunit est trop proche pour tre cherche et treinte

    Et lamour est un appel de lUn lUn

    Et la beaut, une tendre diffrence du Mme

    Et lunit est lme de la multitude.

    L, toutes les vrits sunissent en une seule vrit

    Et toutes les ides rejoignent la Ralit.

    L, se connaissant elle-mme par son tre mme sans terme,

    La suprme sagesse, sans mot, absolue,

    Est assise solitaire dans le Calme ternel

    Voyant tout, sans mouvement, souveraine, seule.

    L, la connaissance na point besoin de mots pour incarner lIde;

    Cherchant une demeure dans lillimit,

    Lasse de son immortalit sans gte,

    LIde ne demande point refuge dans la prison brillante taille par la pense

    O lunique lucarne aux horizons tranchs

    Voit seulement un petit arc du vaste ciel de Dieu.

    L, le sans-bornes pouse le sans-bornes,

    Lorsquon est l, on peut tre plus large que le monde,

    Lorsquon est l, on est sa propre infinitude.

    Son centre ntait plus dans le mental terrestre;

    Un pouvoir de silence-qui-voit emplissait ses membres:

  • Saisi par une blanche piphanie muette,

    Dans une vision qui dpasse les formes

    Dans une vie qui dpasse la vie,

    Il sapprochait de la conscience immobile qui porte tout.

    La voix qui peut mouvoir le mental par la parole seulement,

    Devenait une silencieuse connaissance dans lme;

    La force qui, dans laction seulement, prouve sa vrit

    Gtait maintenant dans une paix muette et toute-puissante.

    Un repos dans le labeur des mondes,

    Une pause dans la joie et langoisse de la recherche

    Rparait la tension de la Nature dans le calme de Dieu.

    Une vaste unanimit mettait fin au dbat de la vie.

    La guerre des penses qui engendre lunivers,

    Le fracas des forces en lutte pour prvaloir

    Dans le formidable choc qui allume une toile

    Comme il btit un grain de poussire,

    Les sillons qui tournent dans lespace leur ellipse ressasse

    Labours par la soif dun monde de dsir,

    Les longues rgurgitations dans le dluge du Temps,

    Le tourment harcelant de limplacable force sensuelle

    Qui veille le mouvement dans lpais limon de la terre

    Et taille dans la boue une personnalit,

    Le chagrin qui nourrit la faim de la Nature,

    Le rut qui cre dans le feu de la douleur,

    Le sort qui punit la vertu par la dfaite,

  • La tragdie qui brise un long bonheur,

    Les pleurs de lAmour, la querelle des Dieux,

    Cessaient dans une vrit qui vit par sa propre lumire.

    Son me tait debout, libre, spectateur et roi.

    Ntant plus absorb dans le flux tyrannique du moment

    O le mental drive sans trve comme une pave

    Prcipit dun phnomne lautre,

    Il demeurait en repos dans le Temps sans division.

    Telle une histoire crite il y a longtemps, mais joue maintenant,

    Il saisissait dans son prsent lavenir et son pass,

    Sentait dans les secondes les annes sans nombre

    Et voyait les heures comme des points sur une page.

    Un seul aspect de la Ralit inconnue

    Changeait le sens de la scne cosmique.

    Cet norme univers matriel devenait

    Linfime rsultat dune force stupfiante:

    Devanant linstant, le Rayon ternel

    Illuminait ce qui, encore, navait jamais t cr.

    La pense reposait dans un mutisme grandiose;

    Le penseur laborieux slargissait, simmobilisait,

    La Sagesse transcendante touchait son cur battant:

    Son me faisait voile par-del les lumineux barreaux de la pense,

    Le mental ne masquait plus linfini sans rivage.

    travers le vide dun ciel qui sloignait, il aperut

    Au bout dune ultime lueur errante des toiles qui seffaaient,

  • Le royaume Supraconscient de la paix sans mouvement

    O cesse le jugement, et la parole est muette

    Et lInconu demeure, sans chemin et seul.

    De l, nulle forme ne venait, nulle voix ne montait,

    L, seuls le Silence et lAbsolu taient.

    Hors de cette immobilit, un nouveau mental naissait

    Ouvrant les yeux des vrits autrefois inexprimables

    Et des formes apparurent, muettement signifiantes:

    Une pense qui voit, une voix qui rvle spontanment.

    Il sut la source do son esprit venait:

    Le Mouvement tait mari au Vaste immobile;

    Il plongeait ses racines dans lInfini,

    Il avait pos sa vie sur lternit.

    Un temps seulement, tout dabord, ces tats plus clestes

    Ces vastes soulvements dans un immense quilibre pouvaient durer.

    La haute tension lumineuse se brise trop vite,

    Se brisent limmobilit de pierre du corps, la transe silencieuse de la vie,

    Le calme et la puissance sans souffle du mental silencieux,

    Ou lentement ils dfaillent comme un jour dor qui tombe.

    Les membres den bas, agits, se fatiguent de la paix;

    Une nostalgie des vieux petits travaux et des vieilles joies,

    Un besoin de rappeler les petits moi familiers,

    De marcher sur les chemins infrieurs accoutums,

    Besoin de se reposer dans lquilibre naturel de la chute

    Comme lenfant qui apprend marcher ne le peut trop longtemps,

  • Et la volont de titan qui grimpe jamais sefface,

    Le feu sacr plit sur lautel du cur.

    Les vieilles cordes subconscientes tirent encore

    Ramenant des hauteurs lesprit mal consentant,

    Ou lpaisse gravitation den bas nous retrane

    Dans laveugle inertie engloutissante de notre base.

    De cela, le suprme Diplomate se sert aussi,

    De nos chutes, il fait un moyen dascension plus vaste.

    Car, dans les rafales qui traversent les champs de la nature ignorante,

    Dans le chaos demi ordonn de la vie mortelle,

    Le Pouvoir sans forme, le Moi dternelle lumire

    Suit dans lombre lesprit descendu;

    La dualit jumelle jamais une

    Choisit sa maison parmi le tumulte des sens.

    Invisible, il vient dans nos replis obscurs

    Et sous le voile des tnbres fait son travail,

    Hte et guide subtil qui sait tout,

    Jusqu ce que cette obscurit aussi sente le besoin, la volont de changer.

    Tout, ici-bas, doit apprendre suivre la loi den haut,

    Les cellules de notre corps doivent tenir la flamme de lImmortel.

    Sinon lesprit seul rejoindrait sa source,

    Laissant un monde demi sauv son douteux destin.

    La Nature peinerait jamais, sans dlivrance

    jamais notre terre tournoierait dans lespace, sans secours

    Et limmense dessein de cette cration serait trahi

  • Jusqu ce que, finalement, lunivers frustr sengloutisse, perdu.

    Mme lintensit divine de son envol de Roi devait retomber:

    Sa conscience den haut sest retire larrire-plan;

    Vague et clips, son extrieur humain luttait

    Pour saisir encore les vieilles sublimits

    Toucher la haute note qui sauve, la flamme dailleurs

    Rappeler la Force divine notre terrible besoin.

    Toujours, la puissance revenait verse, comme une mousson soudaine

    Ou lentement, une prsence grandissait dans sa poitrine;

    Elle grimpait de nouveau la hauteur dj connue

    Ou slanait par-dessus les pics do elle tait tombe.

    Chaque fois quil slevait, lquilibre tait plus vaste,

    Une demeure souvrait sur un plan plus haut de lesprit,

    Chaque fois, en lui, la Lumire restait plus longtemps.

    Dans cette oscillation entre la terre et les cieux,

    Dans cette ineffable grimpe de communion,

    Grandissait en lui comme grandit lorbe de la lune

    La gloire de son me intgrale.

    Une union du Rel et du partiel,

    Un regard du Seul dans chaque visage,

    La Prsence de lternel dans les heures,

    Donnaient du large aux demi-yeux mortels du mental,

    Jetaient un pont entre les forces humaines et le Destin

    Et faisaient un tout du fragment dtre que nous sommes ici.

    Enfin un solide quilibre spirituel tait acquis,

  • Une habitation constante dans le royaume de lternel,

    Un lieu sauf dans le Silence et le Rayon,

    Un territoire dans limmuable.

    Les hauteurs de son tre vivaient dans le Moi immobile;

    Son mental pouvait reposer sur un terrain cleste

    Et regarder en bas la magie et le jeu

    O lEnfant-Dieu attend sur les genoux de la Nuit et de lAurore

    Et lindestructible revt le dguisement du Temps.

    Aux sommets immobiles et aux abmes tourments

    Son esprit gal donnait un vaste assentiment:

    La force tranquille dune srnit stable,

    Un immense regard imperturb par le tumulte du Temps

    Affrontaient toutes les expriences avec une paix inaltrable.

    Indiffrent au chagrin et au bonheur,

    Insduit par les merveilles et les appels,

    Immuable, il contemplait le flux des choses,

    Calme et part, il supportait tout ce qui est:

    Son esprit immobile aidait la peine du monde.

    Inspir par le silence et la vision aux yeux clos

    Sa force pouvait uvrer un nouvel art lumineux

    Sur ce matriau grossier dont tout est fait

    Ce refus de la masse dinertie

    Et cette grise faade de lIgnorance du monde

    Et la Matire inconsciente et lnorme erreur de la vie.

    Comme le sculpteur taille un dieu dans la pierre

  • Lentement, il burinait la noire enveloppe,

    Cette ligne de dfense de la Nature ignorante,

    Lillusion et le mystre de lInconscient,

    La draperie funbre dont lternel couvre sa face

    Pour mieux agir, inconnu, dans le Temps cosmique.

    Une splendeur de cration nouvelle venait des pics,

    Une transfiguration dans les abmes mystiques,

    Un fonctionnement cosmique plus heureux pouvait commencer

    Et faonner neuf la forme du monde en lui:

    Dieu dcouvert dans la Nature, la Nature accomplie en Dieu.

    Dj en lui, il voyait cette Puissance au travail:

    La vie avait pos sa base sur les hautes cimes de son tre;

    Son me, sa pense, son cur taient un seul soleil maintenant;

    Seules, les rgions infernales de la vie restaient confuses.

    Mais l aussi, dans lombre incertaine de la vie,

    Il y avait un labeur et un souffle de fournaise;

    Sous sa cagoule ambigu, la puissance cleste forgeait

    Surveille par limmuable paix du Tmoin intrieur.

    Mme dans la Nature en lutte qui restait en dessous,

    Dintenses priodes dillumination venaient:

    Gloire aprs gloire, des clairs brlaient,

    Lexprience tait une lgende de feu et de conqutes,

    La brise soufflait sur la flottille des Argonautes divins,

    Dtranges richesses faisaient voile vers lui, venues de linvisible:

    Des splendeurs de perception envahissaient le vide de la pense,

  • La Connaissance parlait aux immobilits inconscientes,

    Des torrents de flicit et de force radieuse se dversaient,

    Des visiteurs de beaut, des ravissements comme une tempte

    Dferlaient du tout-puissant Mystre en haut.

    De l, sabattaient les aigles de lOmniscience.

    Un voile dense se dchirait, un formidable murmure jaillissait;

    Comme un cho dans lintimit de son me

    Un cri de la sagesse des transcendances extatiques

    Chantait sur les montagnes dun monde jamais vu;

    Les voix que seule lcoute intrieure entend

    Lui transmettaient le mot prophtique,

    Et les clatements envelopps de flamme de la Parole immortelle

    Et les clairs dune Lumire occulte rvlatrice

    Venaient lui des profondeurs impntrables.

    Une Connaissance inspire sigeait en lui

    Dont les secondes illuminent plus que les annes de la raison:

    Une note au scintillement rvlateur tombait

    Tel un accent qui pointe la Vrit,

    Et comme une fuse qui claire tout le terrain

    Un rapide discernement intuitif brillait.

    Un seul coup dil pouvait sparer le vrai du faux

    Ou poser une seconde son phare de feu dans la nuit

    Pour trier la foule des prtendants aux portes du mental

    Travestis sous la fausse signature des dieux,

    Et dceler lpouse enchante sous son masque

  • Ou scruter le visage apparent des penses et de la vie.

    Maintes fois, linspiration aux pieds dclair

    Messagre soudaine des sommets omnivoyants

    Traversait les corridors silencieux de son mental

    Apportant son sens rythmique des choses caches.

    Une musique parlait, transcendant le langage mortel.

    Dune fiole dor de la Toute-Batitude,

    Une joie de lumire, une joie de vision subite

    Une ivresse du Verbe immortel vibrant

    Se dversaient en son cur comme dans une coupe vide

    Tel un recommencement du premier dlice de Dieu

    Crant dans un Temps jeune et vierge.

    Saisie en un bref instant, un petit espace,

    La Toute-Connaissance ramasse en de grandes penses sans mot

    Abritait en attente dans ses immobilits profondes

    Un cristal de lultime Absolu

    Une tincelle de linexprimable Vrit

    Rvle par le silence au silence de lme.

    Lintense cratrice uvrait dans ce refuge immobile;

    Son pouvoir, tomb muet, grandissait plus intime encore;

    Elle regardait le vu et limprvu,

    Des terres insouponnes devenaient son champ inn.

    La Toute-Vision se rassemblait en un unique rayon

    Tels des yeux qui fixent un point invisible

    Jusqu ce que, par lintensit dune seule tache de lumire,

  • Une apocalypse dimages comme un monde

    Envahisse le royaume du voyant.

    Soudain, un grand bras nu sest lev, splendide,

    Dchirant la trame opaque de la Nescience:

    Du bout dun doigt lev, tranchant, inconcevable,

    Comme un poignard de flamme,

    Elle a transperc les portes closes de lAu-del.

    Un il sest ouvert dans les hauteurs muettes de la transe,

    Une pense arrachait linimaginable;

    Dun seul bond prilleux,

    Sautant le haut mur noir qui cache la supraconscience,

    Elle forait le passage par le glaive du mot inspir,

    Et fit un pillage des domaines immenses de linconnaissable.

    Glaneuse dinfimes grains de Vrit,

    Lieuse dinfinies gerbes dexprience,

    Elle perait les mystres gards de la Force cosmique

    Et ses mthodes magiques enveloppes dun millier de voiles,

    Ou ramassait les secrets perdus, grens par le Temps

    Dans la poussire et les dcombres de sa route ascendante,

    Parmi les vieux rves abandonns du Mental en hte

    Et les vestiges enterrs dun espace disparu.

    Voyageuse entre le sommet et les abysses,

    Elle reliait les bouts lointains, les grands fonds hors de vue,

    Et sillonnait les routes du Ciel et de lEnfer

    Poursuivant comme un chien de qute la connaissance entire.

  • Scribe et tmoin des entretiens cachs de la sagesse,

    Ses transcriptions lumineuses des paroles clestes

    Traversaient les relais masqus du mental occulte

    Transmettant au prophte et au voyant

    Le corps inspir de la Vrit mystique.

    Enregistreuse des signes des dieux,

    Porte-parole des voyances silencieuses du Suprme,

    Elle apportait aux mortels les paroles immortelles.

    Au-dessus de la mince courbe brillante de la raison,

    Dlivrs dans un air radieux qui plirait une lune,

    De vastes espaces de vision sans ride

    Ni limite coulaient sur les rives de son esprit de Roi.

    Des ocans dtre croisaient le voyage de son me

    Appelant une dcouverte infinie;

    Des terres sans Temps, de joie et dabsolu pouvoir,

    Stendaient, entoures de calme ternel;

    Les chemins conduisant une flicit sans limites

    Couraient comme un sourire de rve par des immensits mditatives:

    Dvoils dans le flamboiement dun moment dor, souvraient

    Les blanches steppes solaires de lInfini inexplor.

    Le long dune onde nue dans le Moi sans bornes,

    Les points qui relient le cur clos des choses

    Dessinaient lindterminable ligne

    Qui porte lternel travers les ans.

    Le magicien de lordre mental du cosmos,

  • Enchanant la libert de linfinitude

    Au jaillissement brut des symboles physiques de la Nature

    Et aux signaux incessants des vnements de la vie,

    Transmuait en lois les rcurrences du hasard

    Et changeait en univers un chaos de signes.

    Dans la somptueuse profusion et les spirales entremles

    O lesprit danse avec la Matire pour masque,

    Lquilibre de la fresque du monde se faisait clair,

    La symtrie de ses effets tout arrangs sorganisait

    Dans les perspectives profondes de lme

    Et le ralisme de son art illusionniste,

    La logique de son intelligence infinie,

    La magie de son ternit changeante.

    Une lueur des choses jamais connues se faisait saisissable;

    Les lettres du Verbe inaltrable se dtachaient.

    Dans lOrigine sans nom, immuable,

    On voyait merger comme dune mer sans fond

    La piste des Ides qui firent le monde,

    Et, seme dans la terre noire de la Nature endormie,

    La semence du formidable dsir aveugle de lEsprit

    Qui fconda larbre de lunivers

    Et jeta ses bras enchants travers un espace de rve.

    Dimmenses ralits prenaient forme:

    L, regardait, dans lombre de lInconnu,

    Le sans-corps Sans-Nom qui vit natre Dieu

  • Et qui tente dobtenir du mental et de lme des mortels

    Un corps qui ne meurt pas et un nom divin.

    L, apparut, les lvres immobiles et ses grandes ailes surrelles,

    Le visage masqu par un Sommeil Supraconscient,

    Les yeux aux paupires closes qui voient toutes choses,

    LArchitecte qui btit dans une extase.

    Loriginel Dsir enfant dans le Vide

    Scrutait la nuit, voyait lespoir qui jamais ne dort

    Les pas qui courent aprs un destin fugitif,

    Lineffable sens du rve ternel.

    Hardly for a moment glimpsed viewless to Mind,

    Telle une torche tenue par un pouvoir de Dieu,

    Le monde radieux de la Vrit imprissable

    Scintillait comme une lointaine toile au bord de la Nuit

    Par-dessus la crte chatoyante du Surmental1 dor.

    La desse inspiratrice entrait dans une poitrine mortelle,

    On pouvait mme saisir travers un voile peine dguis

    Le sourire damour qui consent au long jeu,

    La calme indulgence et la poitrine maternelle

    De la Sagesse qui allaite lenfant rieur du Hasard,

    Le Silence qui garde le Tout-Puissant pouvoir,

    Et lil crateur de lternit. Et la tranquille face songeuse du Sans-Temps

    1 Le Surmental dsigne le monde des dieux. ne pas confondre avec Supramental qui est le monde solaire du

    Suprme, la Semence cache dans les abmes de la Matire do sortira notre prochain monde et le But des ges.

    https://www.aurobindo.ru/workings/sa/2829/0003_f.htm#1_
  • Limmobile omniscience, matrice du Verbe immortel,

    Elle faisait l un poste de sa pense divinatrice

    Un sanctuaire de la parole prophtique

    Et sest assise sur le trpied pythique du mental:

    Tout devint vaste en haut, tout sest allum en bas.

    Au cur de lobscurit, elle a creus un puits de lumire,

    Sur les profondeurs inexplores, elle imposait une forme,

    Prtait un cri vibrant aux Vastitudes inexprimes

    Et par dimmenses tendues sans rives, sans voix, sans toiles,

    Apportait la terre quelques clats de la pense rvlatrice

    Taills dans le silence de lineffable.

    Une voix dans le cur a prononc le Nom jamais dit,

    Le rve dune pense errante qui cherche travers lespace

    Est entr dans linvisible maison interdite:

    Le trsor dun suprme Jour tait trouv.

    Dans les abysses du subconscient rougeoyait la lampe au joyau;

    Leve, elle montrait les richesses de la Caverne;

    L, inutilises par les sordides trafiquants des sens,

    Gardes sous les pattes du dragon de la Nuit,

    Enveloppes dans les plis de velours des tnbres, elles dorment

    Tandis que leur valeur sans prix pourrait sauver le monde.

    Les tnbres portaient un matin dans leur cur

    Et guettaient le retour des vastes aurores ternelles,

    Attendant lavnement dun rayon plus puissant

    Et la dlivrance des troupeaux perdus du Soleil.

  • Dans une splendide extravagance des gaspillages de Dieu,

    Tombs ngligemment parmi les travaux prodigues de la cration,

    Abandonns dans les chantiers sans fond du monde

    Et vols par les dtrousseurs de lAbme,

    Les sicles dor de lternel attendent,

    Entasss loin des mains et de la vue et des dsirs de la pense,

    Verrouills dans les antres noirs du dluge dignorance

    De peur que les hommes ne puissent les trouver et devenir tels les Dieux.

    Une vision sallumait sur les hauteurs invisibles,

    Une sagesse silluminait dans les gouffres muets:

    Un dcryptement plus profond grandissait la Vrit,

    Un grand renversement de la Nuit et du Jour;

    Toutes les valeurs du monde changeaient, haussaient le but de la vie;

    Une parole plus sage entrait, une pense plus vaste

    Que tout le lent labeur du mental humain ne peut apporter,

    Un sens secret sveillait, qui pouvait percevoir

    Une Prsence et une Grandeur partout.

    Dsormais, lunivers ntait plus ce tourbillon insens

    Enfant tout rond et morne sur une immense machine;

    Il dpouillait sa grandiose faade glace

    Ntait plus ce mcanisme, plus ce produit du Hasard

    Mais un mouvement vivant du corps de Dieu.

    Un esprit se cachait dans les forces et dans les formes,

    Un spectateur de la scne changeante:

    La beaut et le miracle sans trve

  • Laissaient entrer une chaleur de lIrrvl:

    Lternel sans forme se mouvait l

    Cherchant sa propre forme parfaite dans les mes et dans les choses.

    La vie ntait plus cette apparence, plus ce sombre non-sens.

    Dans la lutte et les bouleversements du monde

    Il voyait le travail daccouchement dune divinit.

    Une connaissance secrte portait le masque de lIgnorance;

    Sous une invisible ncessit, le Destin cachait

    Le jeu de hasard dune Volont toute-puissante.

    Une gloire et un ravissement et un charme,

    La Toute-Batitude trnait inconnue dans les curs:

    Les douleurs de la Terre taient la ranon de son dlice emprisonn.

    Une communion heureuse teintait le passage des heures;

    Les jours taient des voyageurs sur une route destine,

    Les nuits, des compagnons du songe de son esprit.

    Une impulsion cleste vivifiait toute sa poitrine;

    Les lourds pas laborieux du temps devenaient une marche splendide;

    Le Nain divin2 volait vers des mondes inconquis,

    La Terre devenait trop troite pour sa victoire.

    2 Allusion lun des Avatars de Vishnou sous forme de nain, Vamana. Dge en ge, le Suprme sinca rne sur

    la Terre pour changer la loi ce sont ses avatars. Il est venu plus tard sous la forme de Krishna, le huitime

    avatar, et de Bouddha, le neuvime. Selon la tradition, il y a dix avatars, le dernier sera Kalki, mont sur un

    cheval blanc et arm dun glaive, qui vient pour dtruire les malfaisants et renouveler la cration. Le premier

    avatar tait le Poisson, puis la Tortue, puis le Sanglier qui fouille la Terre, puis lHomme -Lion, puis le Nain,

    Vamana, le cinquime avatar. Il avait pris la forme dun nain et tout le monde se moquait de lui. Un jour, il

    demanda au grand roi des dmons, Bali, qui rgnait sur la terre, de lui donner trois pas de terre. Bali accepta en

    riant. Alors Vamana reprit sa forme divine et grandit tant quil posa un premier pas sur la Terre, un deuxime pas au Ciel et le troisime sur la tte de Bali, qui disparut dans les Enfers pour en ressortir, comme nous le savons.

    https://www.aurobindo.ru/workings/sa/2829/0003_f.htm#2_
  • Autrefois, simple tmoin enregistreur de lcrasante foule

    Dun Pouvoir aveugle sur la petitesse humaine,

    La vie, maintenant, devenait une sre approche de Dieu,

    Lexistence, une exprience divine

    Et le cosmos, une aventure de lme.

    Le monde tait une fcondation,

    Une naissance de lEsprit dans la Matire et dans les formes vivantes,

    La Nature portait lImmortel dans son ventre

    Afin quelle puisse, par Lui, grimper la vie ternelle.

    Le Roi, maintenant, reposait dans limmobile paix radieuse

    Et baignait aux sources de la pure lumire spirituelle;

    Il voyageait par les larges espaces de son moi de sagesse

    Sous les rayons dun soleil jamais.

    Mme ltre subtil dans son corps

    Pouvait hisser ltre matriel vers les choses plus hautes

    Et sentir sur lui le souffle dun air plus cleste.

    Dj son corps faisait route vers la divinit:

    Port par les ailes de vent des rapidits de la joie,

    Soutenu par une Lumire quil ne pouvait pas toujours tenir,

    Il quittait les distances mentales qui sparent de la suprme Vrit

    Et gurissait la vie de son incapacit de batitude.

    Tout ce qui est touff en nous, maintenant, commenait merger.

    Ainsi vint son me la dlivrance de lIgnorance,

    Le premier changement spirituel dans son mental et dans son corps.

    Une vaste Connaissance de Dieu se dversait den haut,

  • Une connaissance neuve du monde slargissait du dedans:

    Ses penses quotidiennes regardaient vers lUn et le Vrai,

    Ses besognes les plus banales jaillissaient dune Lumire intrieure.

    veill aux lignes de force que cache la Nature,

    Accord aux mouvements qui chappent notre atteinte,

    Il faisait corps avec un univers secret.

    Sa matrise saisissait les ressorts des plus formidables nergies;

    Il parlait aux Gardiens des mondes inconnus,

    Il percevait des formes que nos yeux mortels ne voient point.

    Ses vastes yeux donnaient corps des entits jamais vues,

    Il voyait les forces cosmiques luvre

    Et sentait limpulsion occulte derrire la volont des hommes.

    Les secrets du Temps, pour lui, taient un livre souvent lu;

    Les annales de lavenir et du pass

    Traaient leurs extraits sur une page thrique.

    Un et harmonieux par lhabilet du Modeleur,

    Lhumain en lui marchait de pair avec le divin;

    Ses actes ne laissaient rien voir de la flamme intrieure.

    Telle tait la trempe de sa grandeur visible pour la terre.

    Un gnie grandissait dans les cellules de son corps

    Qui savait le sens de son uvre cerne par le destin

    Et accompagnait la marche des Puissances inaccomplies

    Par-del larc de la vie, dans les immensits de lesprit.

    lcart, il vivait dans la solitude de sa pense,

    Demi-dieu, il faonnait la vie des hommes:

  • Lambition dune seule me soulevait lespce;

    Une Puissance uvrait, mais nul ne savait do elle venait.

    Les forces de lunivers taient relies la sienne:

    Remplissant la petitesse de la terre de leur vigueur illimite,

    Il tirait les nergies qui transmueront un ge.

    Immesurable pour le regard ordinaire,

    Il faisait les grands rves qui sont le moule des choses venir

    Et coulait ses actes comme du bronze pour affronter les ans.

    Sa marche travers le Temps devanait la foule humaine.

    Solitaires, ses jours, et splendides, comme le soleil.

    FIN DU CHANT TROIS

    Chant Quatre

    La Connaissance secrte

    Sur une hauteur, debout, il regardait vers des hauteurs plus grandes.

    Nos premire approches de lInfini

    Sont des splendeurs daurore sur une crte merveilleuse

    Tandis que tarde encore, invisible, la gloire du soleil.

    Ce que, maintenant, nous voyons est une ombre de ce qui doit venir.

    Le regard de la terre vers un vague inconnu

    Est le prologue, seulement, dune ascension pique

  • De lme humaine qui sort de sa platitude terrestre

    la dcouverte dun moi plus grand

    Et dune lointaine lueur de lternelle Lumire.

    Ce monde est un commencement et une base

    O la Vie et le Mental rigent la structure de leurs rves;

    Un Pouvoir pas encore n doit btir la ralit.

    Une petitesse destination de la mort nest pas tout ce que nous sommes:

    Immortelles, nos Vastitudes oublies

    Attendent la dcouverte au sommet de notre moi;

    Immesures, des tendues et des profondeurs dtre sont nous.

    Parentes de lineffable secret,

    Mystiques, ternelles dans un Temps pas encore accompli,

    Voisines des Cieux sont les altitudes de la Nature.

    Vers les hauts pics de ces empires scells notre qute,

    Trop loin des sentiers battus la surface de la Nature

    Trop thrs pour quy respirent nos vies mortelles,

    Une parent oublie pointe son aiguille au fond de nous

    Et timide, une voix dextase et de prire

    Appelle ces lumineuses immensits perdues.

    Mme quand nous manquons de regarder dans notre me

    Ou restons incrusts