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29 RUE DE LISBONNE 75008 PARIS MAI 12 Mensuel OJD : 338174 Surface approx. (cm²) : 1893 N° de page : 142-145 Page 1/4 JACOB2 4105512300504/GNK/OTO/2 Eléments de recherche : *** DONNER LA PAGE ENTIERE ET LES DOSSIERS ENTIERS*** EDITIONS ODILE JACOB ou ODILE JACOB : maison d'édition à Paris 5ème, toutes citations philosophie So natun bons? s-nous B En ces temps de massacres en Syrie ou de faits divers tragiques, assurer la prééminence dè la bonté chez l'homme sonne comme une provocation. Au psychologue Jacques Lecomte, qui soutient cette thèse, répondent un psychanalyste et deux philosophes. PAR CHRISTILLAPELLE-DOUEL AU COEUR DE L'HUMAIN T e ""L Non, l'homme ne naît pas loup pour l'homme : après s'être penché sur / toutes les études *" menées sur le sujet. Jacques Lecomte en a désormais la conviction. Le docteur en psychologie expose ici ces travaux, les argumente et les confronte à des histoires de vie, pour un résultat impressionnant qui en fait une nouvelle bible de la psychologie positive. LA BONTÉ HUMAINE, ALTRUISME, EMPATHIE, GÉNÉROSITÉ de Jacques Lecomte (Odile Jacob, 296 p., 23,90 €). 'être humain a des potentialités pour la bonté comme pour la cruauté À côté de tendances potentiel- —— lement agressives (que je ne cherche nullement à nier) sont présentes, et de manière plus importante encore, des tendances à l'empathie, à l'altruisme, à la coo- pération. » Une telle affirmation a aujourd'hui de quoi surprendre 1 C'est pourtant la thèse que défend Jacques Lecomte, docteur en psy- chologie, dans La Bonté humaine (encadre ci-contre) Difficile au premierabordd'yadhérer comment ne pas avoir aussitôt en tête les gé- nocides, du Cambodge au Rwanda, l'extermination des Juifs, les balles à bout touchant dans la tête d'un en- fant à Toulouse, le raffinement de sadisme et de cruauté, l'imagina- tion sans limites pour infliger la souf- france aux autres? Comment peut- on parler de bonté naturellement présente chez les hommes lorsqu'il

s-nous natunB bons? - Psychologie Positive...émotions d'autrui et à les partager. Et, lorsqu'il se sent incompris, il pense que son interlocuteur a des intentions malveillantes à

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    philosophie

    Sonatunbons?

    s-nousB

    En ces temps de massacres en Syrie ou de faits diverstragiques, assurer la prééminence dè la bontéchez l'homme sonne comme une provocation. Aupsychologue Jacques Lecomte, qui soutient cettethèse, répondent un psychanalyste et deux philosophes.

    PAR CHRISTILLAPELLE-DOUEL

    AU CŒURDE L'HUMAIN

    Te""L Non, l'hommene naît pas loup pourl'homme : aprèss'être penché sur

    / toutes les études*" menées sur le sujet.

    Jacques Lecomte en a désormaisla conviction. Le docteur enpsychologie expose ici cestravaux, les argumente et lesconfronte à des histoires de vie,pour un résultat impressionnantqui en fait une nouvelle biblede la psychologie positive.LA BONTÉ HUMAINE, ALTRUISME,EMPATHIE, GÉNÉROSITÉ de JacquesLecomte (Odile Jacob, 296 p., 23,90 €).

    'être humain a despotentialités pour labonté comme pourla cruauté À côté detendances potentiel-

    —— lement agressives(que je ne cherche nullement à nier)sont présentes, et de manière plusimportante encore, des tendancesà l'empathie, à l'altruisme, à la coo-pération. » Une telle affirmation aaujourd'hui de quoi surprendre1

    C'est pourtant la thèse que défendJacques Lecomte, docteur en psy-chologie, dans La Bonté humaine(encadre ci-contre) Dif f ic i le au

    premierabordd'yadhérer commentne pas avoir aussitôt en tête les gé-nocides, du Cambodge au Rwanda,l'extermination des Juifs, les balles àbout touchant dans la tête d'un en-fant à Toulouse, le raffinement desadisme et de cruauté, l'imagina-tion sans limites pour infliger la souf-france aux autres? Comment peut-on parler de bonté naturellementprésente chez les hommes lorsqu'il

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    suffit d'observer une cour de recréation, ou humiliations et méchance-tés s'exercent a plein7 Commentne pas avoir a l'esprit les travaux deDarwin sur la survie des espèces,ou ceux de Konrad Lorenz sur l'histoire naturelle du ma!7 Commentfaire fi des théories freudiennes surles pulsions de vie et de mort, ou del'analyse de la philosophe HannahArendt à propos de la banalité du

    mal7 Ion pourrait ainsi accumulerles exemples de violence spontanée,de désir de faire souffrir

    Le retour de RousseauEt pourtant, Jacques Lecomte n'estpas le seul a faire émerger l'idée- rousseauiste -, appuyée sur desetudes psychologiques et compor-tementales - comme celle menéeen 2005 par Douglas Fry1 -, de la

    presence fondamentale de l'altruismeet de I empathie chez les humainsTout le courant de la psychologiepositive et d'auteurs tels que le me-decin et psychothérapeute ThierryJanssen2 vont dans ce sens ll seraitreconfortant d'opter pour cette hypo-thèse Maîs est-ce possible7

    1 The Human Potential for Peace deDouglasFry(Oxford University Press, 2005, enanglais)2 Thierry Juristen, auteur du Defi positif(Les liens qui libèrent, 2011)

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    Jacques Lecomte, docteur en psychologie

    « Oui, la violenceest une réponsepar défaut»

    « L'opposition binaireentre le bien et lemal est excessive.L'être humain possèdedes potentialitéspour les deux. Maisla potentialité à la bontéet à l'empathie estplus importante quel'inverse. Des étudesont révélé que lesbébés qui commencentjuste à marcher,

    dès l'âge de I an, peuvent aider spontanément desadultes en difficulté pour ouvrir un meuble.La neurobiologie montre qu'il existe des zonescérébrales de la satisfaction et de la récompensequi sont activées lorsque l'on se montregénéreux. Inversement, les zones du dégoût et del'aversion le sont lorsque nous sommes faceà une injustice. Les neurones miroirs nous fontressentir la douleur chez l'autre. Sur ce substratviennent se greffer l'éducation, le milieu, la culture.Dans les relations humaines, la violence n'estqu'une attitude par défaut. Si l'on examine laguerre, la thèse selon laquelle elle est spontanéepour les hommes est battue en brèche. Il y aune véritable répugnance à tuer chez l'humain,et, s'il le fait, cela entraîne la plupart dutemps de la culpabilité. D'où l'utilisation duconditionnement, de l'entraînement, de ladrogue, de l'alcool, de la soumission à l'autoritépour obtenir la violence. Ce qui existe, c'estle goût de l'action et la recherche de sensations,tendances souvent associées à la violence.On peut l'observer au travers des jeux vidéo :si l'on propose à déjeunes accros des jeuxaussi actifs et pleins de sensations, mais nonviolents, leur satisfaction est équivalente,voire supérieure. Oui, le goût de la violence pureexiste, niais elle ne concerne qu'un ou deuxpour cent de la population, chez les sociopathes.L'homme n'est pas un loup pour l'homme. »

    Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste

    « Oui, à condition quel'on soit attentif auxémotions de l'enfant»

    « Cette question hantela philosophie etla littérature depuisleurs origines, maiselle est poséedifféremment depuisquèlques années.L'homme est autantun produit de sescultures que de lanature. Une disciplinenouvelle, l'épigénétique,étudie d'ailleurs

    la façon dont l'environnement favorise ou inhibela manifestation de nos gènes. La capacitéde se mettre à la place de son prochain et de letraiter comme un semblable, qui est à l'originede la compassion et de l'entraide, ne faitpas exception : elle fait intervenir à la fois desfacteurs de reconnaissance émotionnelleet cognitive innés, et l'intériorisation d'un premierpartenaire émotionnel privilégié. C'est lacondition pour être capable d'établir avec autruides relations de réciprocité dans lesquellesnous le percevons comme pourvu de sensibilitéau même titre que nous, et pas seulementcomme un simple objet. Malheureusement, l'enfantqui n'a pas été accompagné précocement dansses émotions a souvent de la difficulté à installercette présence à l'intérieur de lui. Il peineà reconnaître ce qu'il ressent, à identifier lesémotions d'autrui et à les partager. Et, lorsqu'il sesent incompris, il pense que son interlocuteura des intentions malveillantes à son égard. La suiteest connue : il peut devenir hostile, manipulateur,violent... Tout l'éventail de la cruauté dontil est capable se déploie. Alors, l'homme est-il"naturellement" bon ? Oui, à condition de venir aumonde dans un milieu attentif à ses préoccupationslégitimes. À défaut, il peut le devenir... à conditiond'être né avec un solide sens de l'humour ! »SERGE TISSERON est l'auteur Ac La Résilience (PUF, "Que sais-je?",2011) et de L'Empathie au cœur du jeu social (Albin Michel, 2010).

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    Eléments de recherche : *** DONNER LA PAGE ENTIERE ET LES DOSSIERS ENTIERS*** EDITIONS ODILE JACOB ou ODILE JACOB : maisond'édition à Paris 5ème, toutes citations

    Bertrand Vergely, philosophe

    «Non, sauf si nousaccédons à notrevie intérieure »

    « Rousseau expliqueque la bonté humaineexiste, car les êtreshumains n'ont aucundésir spontané desouffrir et de fairesouffrir, sans quoil'humanité auraitdisparu depuislongtemps. Les hommessont dotés d'empathie,qualité qui, pourLevinas, est "la bonté,

    cette capacité à se mettre dans la peau de l'autre".Cependant, le mal existe car l'homme a perdu cettecapacité, il a remplacé la bonté par le goût du pouvoiret de la richesse. Le problème n'est donc pas de savoirsi la bonté existe, mais bien plutôt pourquoi ellen'existe plus. L'environnement social est tellementsaturé de violence que les modèles d'identificationsont devenus ceux de la rivalité, de la possession etde l'agressivité. Les Athéniens s'en plaignaientdéjà... Rousseau et René Girard posent la question del'apparition de l'envie et de la violence dès que leshumains perdent le contact avec leur vie intérieureet s'extériorisent, se comparent aux autres. Unretour vers soi est donc l'ouverture vers la bonté,c'est ce passage vers l'intériorité qui nous sauve. Lephilosophe Alexandre Jollien1 a écrit cette très joliephrase : "Si je me compare aux autres, je suis mort."Lavie intérieure nous permet de vivre lavie socialeà partir de ce socle, d'éviter le conformisme, dene pas aller contre ses propres intuitions. Il existepartout des exemples de dévouement, d'empathie,d'altruisme, tout autant que de cruauté. La visionextraordinairement profonde de Rousseau nouspermet de ne pas tomber dans le pessimisme le plusnoir : nous sommes tous dotés de cette capacitéoriginelle à la bonté. C'est ainsi que nouscombattrons le cynisme et le désenchantement. »I. Alexandre Jollien, auteur notamment du Philosophe nu (Seuil, 2010)BERTRAND VERGELY est l'auteur de Retour à l'émerveillement(Albin Michel, 2010).

    Michela Marzano, philosophe

    « Non, nous sommestous capables du pirecomme du meilleur »

    « Je suis convaincue que,intrinsèquement,l'homme n'est ni bonni mauvais. Tout estfonction de l'époque,des circonstances, del'environnement social,économique. Noussommes tous capablesdu meilleur et du pire.Rien n'est immuable.Longtemps, on a penséque la compassion était

    innée. La psychanalyse nous a appris qu'il n'en étaitrien. La culture, par exemple, n'est pas un rempartsuffisant contre la barbarie. L'exemple du nazisme,qui a surgi dans l'une des cultures les plus raffinées,nous l'a bien montré. L'éducation et la culture sontnécessaires, mais ne suffisent pas. Hannah Arendtnous a parlé de la banalité du mal dans ce sens-là.En être conscient est un premier pas, sensibiliser lesjeunes à cette question pourrait peut-être, je disbien peut-être, nous éviter de connaître à nouveaule pire. Nous sommes des êtres pulsionnels : il nes'agit donc pas de diaboliser la violence, au sens oùelle nous constitue, elle ne nous est pas extérieure :elle est profondément humaine et ne peut doncêtre éradiquée. Il nous faut composer avec elle, laconnaître pour la limiter. Peu importe ce qui està l'origine, le bien ou le mal. Il y a des questions quirestent sans réponses. » Propos recueillis parC.P.-D.MICHELA MARZANO a dirigé \eDictionnaire de la violence,ouvrage collectif (PUF, 2011). Lire également sa chronique p. 158.

    BRencontrez Jacques Lecomte

    P à la Fnac, avec PsychologiesQ Psychologies magazine et la Fnac vous5 invitent, chaque mois, a rencontrer

    une personnalité interviewée dans nos pagesRetrouvez Jacques Lecomte et notre journaliste,Christina Pellé-Douel, à la Fnac de Nantesle jeudi 3 mai a 17h30 et à la Fnac des Ternes,à Paris, le vendredi 25 mai à 18 heures