S O S roi Salomon

scénario de Peter KASSOVITZ

& Eric-Emmanuel SCHMITT

adapté de l'oeuvre de

Romain GARY "L'ANGOISSE DU ROI SALOMON"

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1) APPARTEMENT VOYANTE Un vieux monsieur à l'élégance désuète, mais excentrique, MONSIEUR SALOMON, 80 ans, fait face à une voyante qui fixe avec attention sa boule de cristal.

MONSIEUR SALOMON Et sur le plan des projets à long terme, vous voyez quelque chose ?

VOYANTE À long terme ???

MONSIEUR SALOMON Pourquoi ? C'est réservé aux mineurs ?

La voyante soupire et revient à la boule de cristal.

VOYANTE Je vois... Je vois...

MONSIEUR SALOMON (pour l'aider) Est-ce que vous voyez une femme ?

LA VOYANTE Euh... Je vois... Je vous vois dans une belle demeure, avec une femme...

MONSIEUR SALOMON Ah ! Comment est-elle ? Son âge ? Enfin, regardez tout de même ! Comment est-elle ? Brune, blonde ? Elle n'a pas une perruque au moins ?

La voyante ne sait plus comment répondre. Monsieur Salomon lui indique la boule de cristal.

VOYANTE Je ne peux pas dire... Elle porte un chapeau.

MONSIEUR SALOMON Bon. Est-ce qu'elle chante ?

LA VOYANTE Difficile à dire... Elle est entourée de beaucoup de gens élégants, bien habillés...

MONSIEUR SALOMON Un mariage ?

La voyante commence à en avoir assez. Elle le regarde bien en face :

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VOYANTE C'est plutôt une cérémonie... Je vois beaucoup de fleurs et des couronnes et on entend une musique. Un orgue il me semble.

MONSIEUR SALOMON Un mariage en grand pompe à l'église !... Et vous voyez un voyage de noce ?

La voyante n'en peut plus.

VOYANTE Je vois que vous allez faire un grand voyage... Un voyage dont vous ne reviendrez pas...

MONSIEUR SALOMON Excellent. Faudrait que j'achète des valises...

VOYANTE Vous ne reviendrez jamais.

Monsieur Salomon semble ravi.

MONSIEUR SALOMON Alors, si je vous résume, je me marie avec une chanteuse à la chevelure indistincte, nous allons à Nice en voyage de noces et on s'installe là-bas...

La voyante baisse définitivement les bras.

VOYANTE C'est ça... Ça fera 100 euros.

Fermeture fondue 2) GENERIQUE DU DEBUT Les titres défilent accompagnés d’une voix dans le style des chanteuses populaires des années 70/80

VOIX DE CORA Où sont tous mes amants, Tous ceux qui m'aimaient tant... Jadis quand j'étais belle, Adieu les infidèles. Ils sont je ne sais où à d'autres rendez-vous Etc.

3) APPARTEMENT SALOMON Un disque 33 tours tourne sur un électrophone. Penché sur son écran d’ordinateur, monsieur Salomon étudie un site de rencontre (Meetic Affinity) qui propose des nombreuses candidates au mariage avec des photos alléchantes.

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Il est surpris par une sonnerie de téléphone. Il arrête l’électrophone (Fin du générique) et il se dépêche vers l'autre partie de l'immense appartement, où un impressionnant standard téléphonique a été installé. Le standard de « SOS ROI SALOMON » comme l'attestent les affiches sur le mur. Il décroche l’appareil qui clignote.

MONSIEUR SALOMON S.O.S. suicides, à votre service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je vous écoute...

VOIX DE JEUNE FEMME (OFF) Je suis à bout... Je n'ai personne à qui parler...

MONSIEUR SALOMON Vous êtes tombée sur la bonne personne ma petite, vous avez de la chance, la nuit c'est le roi Salomon qui assure le service. Racontez-moi...

4) RUE PARIS Il pleut. Une jeune femme (ALINE, 20 ans) marche sous la pluie tout en parlant dans son portable.

ALINE J'ai envie de me foutre en l’air... Je veux un enfant et mon ami ne veut pas. (Elle éclate de sanglots) Il fallait que j'en parle à quelqu'un.

La suite de la scène se passera en aller-retour entre l'appartement Salomon et la rue.

MONSIEUR SALOMON Votre ami est un imbécile. Attendre un enfant c'est une chance pour toute l'humanité. C'est peut-être un futur Mozart... Et pourquoi il n'en veut pas ?

ALINE Il pense que nous sommes trop jeunes...

MONSIEUR SALOMON Des prétextes. On n’est jamais trop jeune, croyez à ma vieille expérience.... Vous savez ce qu’on découvre lorsqu’on s’apprête à voir la vieillesse poindre à l’horizon, comme ça va être bientôt mon cas ? On découvre sa jeunesse. Alors vous ferez bien de vous dépêcher. Cueillez les roses de la vie tant qu'il est temps...

ALINE Si je lui dis ça, il va mourir de rire...

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MONSIEUR SALOMON S’il a le sens de l’humour, c’est déjà un grand pas. Qu’est-ce qu’il fait ce jeune homme

ALINE Il a acheté un taxi et il n'a pas encore fini de payer parce qu'il a plein de dettes...

5) RUE, TAXI JEAN, un jeune homme (25 ans) au physique de fonceur, maraude avec son taxi dans les rues de Paris. Il regarde le monde à travers les gouttelettes qui glissent sur le pare-brise. À la radio, on entend les informations.

RADIO Cette année restera dans les anales comme l'année d’une catastrophe écologique. Les centaines de tonnes de mazout ont gagné les côtes normandes, détruisant la flore et la faune... Des milliers d’oiseaux sont morts, englués dans le mazout de la marée noire...

Jean coupe rageusement les infos.

JEAN (pour lui même) Des oiseaux innocents, c'est dégueulasse...

6) STUDIO ALINE Dans un coin, la télé marche sans le son. Dans le lit une forme endormie. Jean ouvre la porte avec sa clef et pénètre dans le petit studio sur le point des pieds. Il n’allume pas. Il s’arrête un instant devant la télé, où l'on voit les images de la marée noire. Des oiseaux englués dans le mazout. Il soupire, puis s'assoit au bord du lit avec précaution et commence à se déshabiller. Aline ouvre un œil :

ALINE Tu as réfléchi ?

JEAN (désigne la télé) Écoute, on ne peut pas faire des mômes dans ce monde pourri. Regarde toi-même.

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ALINE Il n'y a pas de problème. J'ai déjà préparé tes affaires.

Jean découvre alors deux sacs de voyage, posés dans un coin.

JEAN C’est quoi la blague ?

ALINE Je m'excuse, je n'ai pas eu le temps de repasser tes chemises...

JEAN T'es folle ?

ALINE Jamais été aussi bien dans ma tête. Il vaut mieux que tu t'en ailles.

JEAN Parce que je t’ai dit qu’on doit réfléchir ? Y a pas le feu, merde.

ALINE Si. C'est maintenant ou jamais. J'ai pas besoin d'un Jeannot Lapin, mais d'un type qui assure... Il faut cueillir les roses de la vie tant qu'il est temps.

JEAN Il faut cueillir les roses de la vie tant qu'il est temps ? D'où tu sors cette connerie ?

7) RUE & IMMEUBLE SALOMON Tôt le matin. Jean se gare avec son taxi sur le trottoir devant l'immeuble haussmannien sur lequel une plaque signale le centre d'appels "SOS SUICIDE, ROI SALOMON". Il prend une batte de base-ball dans le coffre et s'apprête à entrer dans l'immeuble, quand le concierge (monsieur TAPU) qui balaie le trottoir l'intercepte.

TAPU Il ne voit pas qu’il n'a pas le droit de se garer là ?

JEAN Faites pas chier, c'est pas le moment. Le roi Salomon, c'est quel étage ?

TAPU Qu'est-ce que vous lui voulez ?

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JEAN (montre sa batte) Je vais lui apprendre les bonnes manières.

TAPU (intéressé) Deuxième gauche.

8) APPARTEMENT SALOMON À présent le standard de SOS est en pleine activité. Trois "bénévoles" s'affairent devant la rangée de téléphones : CHUCK, un jeune noir, TONG, un frêle vietnamien et la grosse GINETTE.

GINETTE (au téléphone) Oui... eh bien d’abord, vous allez commencer par m’arrêter le gaz... si, si... non, je l’entends toujours ! Voilà ! Et maintenant, je vous écoute...

Jean fait irruption dans la pièce serrant sa batte de base-ball, plutôt pour se rassurer lui-même.

JEAN Quel est l'enculé qui a expliqué à ma copine qu'elle doit cueillir les roses ?

Ginette pousse un cri. Chuck et Tong entament une manœuvre d'approche, pour désarmer le fou furieux.

CHUCK Calme vieux. Ici nous essayons d'aider les gens...

JEAN Aider ? Je vais vous aider moi ! Bande de connards de donneurs de conseils.

Il assène un formidable coup sur le standard, quand il entend une voix derrière lui.

MONSIEUR SALOMON Eh bien jeune homme, si vous avez quelque chose à dire, adressez-vous à moi.

Jean se retourne et découvre Monsieur Salomon qui porte à présent un élégant survêtement et des chaussures de sport.

JEAN C'est vous qui avez dit à ma copine qu'il faut cueillir les roses ?

MONSIEUR SALOMON Ai-je eu tort ?

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JEAN Il se fout de ma gueule ?

MONSIEUR SALOMON Alors c'est vous le jeune trouillard qui a peur de faire un nouveau Mozart ?

JEAN De quoi il se mêle lui ?

Il marche sur Salomon menaçant. Mais celui-ci ne bouge pas et Jean s’arrête à cinq centimètres de lui. Ils se dévisagent. Ginette en profite pour se jeter sur l'intrus et le neutralise dans ses bras puissants. Dans le corps à corps, Jean a perdu sa casquette et pour la première fois Salomon découvre son visage. Il s'assoit, la main crispée sur le cœur.

GINETTE Ça ne va pas monsieur ?

Salomon dévisage Jean, comme s'il voyait un revenant.

JEAN Qu'est ce qu'il y a ? J'ai les oreilles sales ?

MONSIEUR SALOMON Je n'en sais rien, mais vous ressemblez furieusement à un homme que j'ai bien connu... On vous appelle ?

JEAN Jeannot Lapin.

Salomon fait signe aux bénévoles de lâcher Jean et il le prend amicalement par l’épaule.

MONSIEUR SALOMON Mon cher monsieur Lapin, vous pouvez dire que c'est votre jour de chance. J’ai quelque chose à vous proposer.

Tous se regardent avec surprise. Jean n'est pas le moins étonné.

JEAN VOUS avez quelque chose à ME proposer ?

Tong qui vient de recevoir un appel à ce moment et il interrompt la conversation :

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TONG Monsieur Salomon, c'est une urgence. La suicidée du pont de l’Alma, c'est un snob, elle ne veut parler qu'à vous... Elle dit qu'elle va sauter.

MONSIEUR SALOMON (pousse un soupir) Le monde devient chaque jour plus lourd à porter.

Il prend l'écouteur avec un soupir

MONSIEUR SALOMON Je vous écoute mon enfant. ......... Je vous comprends ma petite, mais nous sommes bientôt six milliards sur terre. Vous n'avez le droit de dire qu’on est seul au monde. ................. Alors à quoi ça sert de se suicider ! Ça ne changera rien aux statistiques ................ Voilà, rappelez-moi quand vous voudrez... C'est toujours un plaisir de vous parler.

Il raccroche et se tourne vers Jean.

MONSIEUR SALOMON Voyez, mon vieux, ce sont les jeunes qui appellent le plus souvent, les vieux, ils se sont déjà habitués... Je ne sais pas si on les aide, mais un appel au secours fait toujours énormément de bien à celui qui le reçoit. Regardez Ginette, plus elle pleure, plus elle s'épanouit...

GINETTE (rougissant) Monsieur Salomon. On ne sait jamais quand vous êtes sérieux.

MONSIEUR SALOMON Je l'espère bien...

Il s'installe derrière un imposant bureau en acajou, rédige un chèque.

MONSIEUR SALOMON (à Jean) quatre mille euros... Ça vous va ?

JEAN Si vous voulez m'enculer, c'est beaucoup plus cher.

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MONSIEUR SALOMON Nous n'irons pas vers ces extrémités... J'ai cru comprendre que vous avez un taxi et des crédits à rembourser... Et moi, j'ai besoin d'un chauffeur.

JEAN Vous voulez m’engager ?

MONSIEUR SALOMON C'est ça l'esprit humanitaire, même les sales cons ont droit au réconfort... Alors voici votre chèque. Je vous attends demain matin à 8 heures.

9) CINEMA Aline trône dans sa petite cabine en verre et vend ses tickets, le regard perdu dans le vague. Soudaine, elle découvre Jean qui fait la queue au milieu des gens.

JEAN Bonjour. Je voulais te raconter un truc incroyable : tu sais le vieux con que tu as appelé, il m’a engagé avec mon taxi... Il m'a même donné un chèque pour payer le crédit.

Il exhibe le chèque, mais Aline reste de marbre.

ALINE (professionnelle) Quel film ?

JEAN On se retrouve quand tu as fini ?

ALINE Il y a des gens qui attendent derrière vous. Quel film ?

JEAN Je ne sais pas, qu’est-ce que vous me conseillez ?

ALINE Qu’est-ce que vous aimez ?

JEAN Un film d’amour ?

Aline ne peut s’empêcher de rougir, mais elle garde le ton pro.

ALINE Désolée, nous n'avons pas de film d’amour en ce moment. Au suivant.

Jean ne bouge pas, bien que dans son dos, les gens commencent à s’impatienter.

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UN HOMME Soyez gentil monsieur, décidez-vous, la séance va commencer.

Agacé, Jean se tourne vers lui.

JEAN Oh là, faut vous calmer. Je peux parler à ma fiancée ?

Entendant le mot "fiancée" Aline bondit.

ALINE C’est n'importe quoi ! Je ne suis pas du tout la fiancée de ce monsieur. Coucher avec quelqu’un, ça ne justifie pas ce titre.

Les gens, intéressés et hilares, dressent l'oreille. Mais Jean ne se laisse pas démonter.

JEAN Et pourquoi, ce n’était pas bon ?

ALINE Au lit, vingt sur vingt. Je peux le dire à toutes les femmes qui sont ici. (à la cantonade) Mesdames, c’est le meilleur coup que je n’ai jamais eu. Alors si vous aimez ça, n’hésitez pas, demandez Jeannot Lapin. Mais je vous préviens, c’est une planche pourrie...

UNE FEMME Bravo !

ALINE Tu vois tout le monde est d'accord. Alors tu ramasses tes roupettes en or et tchao.

Applaudissements dans l'assistance. 10) GYMNASE Dans la salle déserte, Jean s’acharne sur un sac de sable avec hargne. Arrive MONSIEUR LOUIS, l’entraîneur, une gueule cassée de la boxe.

MONSIEUR LOUIS Holà, quelle énergie, t’as vraiment la rage. (diagnostiquant) Ça, c’est une femme.

JEAN Aline m'a viré.

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MONSIEUR LOUIS Pour une fois que tu es tombé sur une fille bien... Qu'est ce que tu vas faire ?

JEAN (s'assoit au bord du ring) Vous avez quel âge, monsieur Louis?

MONSIEUR LOUIS Soixante-douze. J’ai commencé en 56 contre Laszlo Papp...

JEANNOT Ça fait beaucoup de coups sur la gueule.

MONSIEUR LOUIS (philosophe) Les coups sur la gueule, ça fait partie de l’homme.

JEAN J’ai rencontré un vieux juif qui est encore plus vieux que vous et qui a l'air de se défendre... On l'appelle le roi Salomon parce qu'il était le roi du pantalon et maintenant il se prend pour le roi tout court... Il a ouvert un standard et les gens qui veulent se suicider peuvent l'appeler...

MONSIEUR LOUIS Eh bien tu me donneras son numéro...

JEAN Il a tourné la tête à Aline, avec ses sagesses à la con, et après il m'a engagé comme chauffeur... Pourquoi il a fait ça ?

MONSIEUR LOUIS La meilleure chose que les exterminations ont laissée aux juifs, c'est l'humour. Ils sont obligés de rire pour ne pas pleurer...

JEAN Ben moi, Il me fait pas rire.

Jean reprend l'entraînement et tape sur le sac de sable de toutes ses forces. 11) RUE & IMMEUBLE SALOMON Roulé en boule, Jean dort dans son taxi garé sur le trottoir devant l'immeuble de Salomon. Monsieur Tapu qui vient de sortir les poubelles, regarde par la vitre et frappe. Jean se réveille en sursaut.

TAPU Vous n'avez toujours pas le droit de vous garer là.

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JEAN Merde ! Quelle heure il est ?

Jean regarde sa montre, saute de sa voiture, remet de l'ordre dans ses vêtements et se coiffe avec ses doigts.

TAPU Alors il vous a engagé dans son S.O.S. couillon en détresse ?

JEAN Ça vous défrise ?

TAPU Moi, je m'en fiche, mais méfiez-vous.

JEAN De quoi ?

TAPU Rien n'est gratuit avec le roi des juifs. Il collectionne des timbres israéliens parce qu’il espère que les Arabes vont les exterminer et les prix vont monter... Tout est calculé, je vous le dis... Il est tout seul, alors il achète des cartes postales anciennes comme si on les avait écrite pour lui... Méfiez-vous.

12) APPART SALOMON Dans son bureau, tapissé de livres, Monsieur Salomon, habillé de la dernière élégance, étudie avec une loupe sa collection de cartes postales anciennes. On frappe à la porte et Ginette introduit Jean

GINETTE Le nouveau il est là, monsieur Salomon.

Jean, intimidé, regarde autour de lui. Monsieur Salomon lui montre les étagères remplies de boîtes qui portent des étiquettes : "VACANCES, ENFANTS, MARIAGES"...

MONSIEUR SALOMON Voyez-vous, mon cher, ma famille est partie en fumée dans les fours crématoires, alors je m'en suis créé une. Tous ces souvenirs sont maintenant les miens. Regardez celle-là par exemple. (lit le texte au dos) “Chéri, nous pensons à toi jour et nuit, reviens vite et surtout couvre-toi bien et mets ta ceinture de flanelle. Ta Marie.“

Il soulève sa chemise pour montrer sa ceinture de flanelle

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MONSIEUR SALOMON Voyez-vous, il faut toujours suivre les conseils d'une femme aimante...

JEAN Oui, à condition d'en avoir une... de femme aimante.

MONSIEUR SALOMON Je sens un peu de reproches dans votre voix. J'en déduis que ça ne va pas mieux avec la charmante personne à qui j'ai eu l'honneur de parler au téléphone ?

JEAN Vous pouvez le déduire, monsieur Salomon, vous m'avez mis le souk.

MONSIEUR SALOMON Allons mon petit vieux, il ne faut pas essayer me culpabiliser. Beaucoup ont essayé, personne n'est parvenu... Eh bien à cheval. Nous avons des grandes choses à faire aujourd'hui.

13) BOUTIQUE DU TAILLEUR Un vieux tailleur au visage couvert de rides tourne autour de Jean en lui faisant essayer plusieurs costumes très stricts. Il s'adresse à Salomon qui suit l'opération, assis dans un fauteuil

LE TAILLEUR (accent yiddish) Un vrai croisé à la Gabine, hein ?

MONSIEUR SALOMON C’est cela. Le genre Gabin.

Jean se regarde dans le long miroir en pied. Il est surpris lui-même par sa métamorphose.

JEAN Ça fait plutôt genre maquereau. C'est vraiment obligé ?

MONSIEUR SALOMON Je ne veux pas que vous fassiez peur à mes petites vieilles avec votre uniforme de loubard... Mais si vous ne voulez pas de ce travail, vous pouvez me rendre le chèque et l'on n'en parle plus.

JEAN (penaud) Vous savez bien que je l'ai déjà donné à la banque.

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MONSIEUR SALOMON Conclusion ?

JEAN Conclusion, je ferme ma gueule, monsieur Salomon. Je porterai le costume à la Gabine monsieur Salomon. Je mettrai même une casquette de chauffeur et si vous voulez et du cirage sur la gueule.

MONSIEUR SALOMON Ça ne sera pas nécessaire...

LE TAILLEUR (à Jean) Vous allez voir, le roi Salomon c'est un grand seigneur... Tout ce que le Bon Dieu ne fait pas, il est là pour le remplacer...

MONSIEUR SALOMON Arrêter vos flagorneries. La philanthropie a toujours été un truc pour se faire pardonner son pognon...

Il jauge Jean, le fait tourner et le trouve à son goût.

MONSIEUR SALOMON Excellent. Ça vous va comme un gant... Moi, je suis contre le prêt-à-porter. Même quand j'étais le roi du pantalon, je n'ai jamais pensé que toutes les fesses peuvent rentrer dans le même pantalon. Chez moi, on n'était pas un simple numéro de taille, alors ce n'est pas maintenant que je vais commencer. Vous me suivez ?

JEAN Euh... J'ai juste compris l'histoire des fesses.

MONSIEUR SALOMON Je vais vous expliquer mon jeune ami : dès qu’un enfant vient au monde, il se met à crier et on lui fourre un biberon dans la bouche pour qu’il se taise. Après, il grandit et on le console avec des grandes phrases... C’est ce que j'appelle, moi, le prêt-à-porter de la vie... (au tailleur) Ce n'est pas la peine de faire les retouches. Il va le garder sur lui...

14) COIFFEUR Jean se fait couper les cheveux par un coiffeur sous la direction de monsieur Salomon.

MONSIEUR SALOMON La raie à gauche, c'est ça.

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JEAN Je n'aime pas trop la raie, ça ne me va pas trop bien...

MONSIEUR SALOMON Vous avez tort. Vous allez ravager le cœur de mes petites vieilles, elles vont tomber comme des mouches... En tout cas, leur dentier.

Il est content de sa plaisanterie. Jean est moyennement enthousiaste.

JEAN Très drôle, je suis mort de rire.

MONSIEUR SALOMON Ne vous inquiétez pas, nous allons bien s'amuser, mais tout d'abord, nous allons voir si vous avez l'esprit bénévole.

15) MAISON DE RETRAITE Des vieillards sur leur chaise d'infirme sont réunis dans le réfectoire de cette maison de retraite. Monsieur Salomon passe au milieu d'eux comme un conquistador. Jean métamorphosé en chauffeur de maître le suit, portant un panier rempli de cadeaux.

MONSIEUR SALOMON Vous vous souvenez de votre texte ?

JEAN Euh... Vous avez appelé S.O.S. Roi Salomon... C’est gentil d’avoir pensé à nous, alors, à notre tour, nous avons pensé à vous...

Monsieur Salomon désigne au fur et à mesure les vieux qui bénéficient des divers cadeaux.

MONSIEUR SALOMON Bien mon jeune ami. De la confiture de figues pour Madame Cohen, là-bas, qui vous sourit... Des pistaches grillées pour Monsieur Lespinasse, vous voyez le petit vieux chauve... Un assortiment de moutardes aux herbes pour Monsieur Prunier... Allez-y mon ami, je vous observe.

Le panier est presque vide, quand Monsieur Salomon avise une vieille dame pimpante qui dort sur sa chaise.

MONSIEUR SALOMON Vous voyez, madame Sidonie, elle a plus de cent ans. Elle ne reconnaît plus ses enfants, mais alors les olives noires... C'est un cas de longévité très intéressant...

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Jean, mal à l'aise, s'approche de la vieille dame et la secoue doucement. Elle ouvre un œil et regarde Jean avec effroi.

JEAN Bonjour madame. Vous avez appelé S.O.S. Roi Salomon. C’est gentil d’avoir pensé à nous, alors, à notre tour, nous avons pensé à vous...

Il lui remet un énorme bocal d'olives noires. Voyant la somptuosité du présent, la vieille dame a un choc et se met à respirer avec difficulté avant de s’écrouler évanouie. 16) RUE DEVANT MAISON DE RETRAITE Monsieur Salomon et Jean quittent la maison de retraite et montent dans le taxi.

MONSIEUR SALOMON Retenez bien cette leçon mon petit Jean. Certaines personnes sont trop déshabituées des bonnes surprises... Le bonheur, ça peut être fatal...

JEAN Tous ces vieux, c'est comme ces oiseaux dans le mazout. Ça m'a fait quelque chose. MONSIEUR SALOMON En tout cas, vous venez de passer votre examen brillamment. Je vous ai bien observé, vous avez une tête de mauvais garçon, mais si on cherche à l'intérieur on peut voir que vous avez la vocation de bénévole... Vous aurez fait un excellent missionnaire...

JEAN Oui du temps où on les mangeait.

MONSIEUR SALOMON Allons, personne ne va vous manger. Il nous reste une visite pour finir la journée en apothéose. Vous allez adorer.

17) EPICERIE DE LUXE Monsieur Salomon déambule dans les rayons, suivi de Jean qui pousse le caddy.

MONSIEUR SALOMON Elle s'appelle Cara ou quelque chose comme ça. Elle était chanteuse et elle raffole des fruits confits. Alors, je tiens à bien choisir... Voilà ses préférés.

Il choisit une énorme corbeille de fruits confits.

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MONSIEUR SALOMON Vous allez voir, elle va en avoir les larmes aux yeux.

18) RUE CORA Le taxi se gare devant un immeuble moderne, avec un hall d'entrée en faux marbre. Monsieur Salomon prend l'énorme panier de fruits confits dans le coffre.

MONSIEUR SALOMON Vous vous souvenez de votre texte ?

JEAN Ben oui, je ne suis pas idiot.

MONSIEUR SALOMON Et n'oubliez pas, il faut toujours être souriant, elles aiment qu'un beau jeune homme les drague. Ça leur rappelle leur jeunesse... laissez-moi vous regarder.

Il examine Jean de la tête au pied. Les basquets jurent quelque peu avec le costume croisé à la "Gabine", mais il est content de l'ensemble.

MONSIEUR SALOMON Pas mal... C'est au deuxième gauche. Vous n'avez qu'à sonner et remettre la corbeille... Mais je vous préviens, elle est spéciale. (le doigt sur la tempe) Elle est devenue paranoïaque avec l'âge, elle pense que je la persécute. C'est pour ça que je préfère vous attendre ici...

JEAN J'y vais pas tout seul.

MONSIEUR SALOMON Très bien... Si vous avez peur d'y aller...

JEAN ... Il faut que je vous rembourse...

MONSIEUR SALOMON C'est ça.

Jean se dirige vers l'entrée, accompagné du regard de Salomon. 19) ESCALIER ET APPARTEMENT CORA On entend un 33 tours qui parvient d'un appartement : où sont tous mes amants, tous ceux qui m'aimaient tant... Etc. Jean sort de l'ascenseur écoute quelques secondes, puis sonne à la porte.

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On baisse la musique, puis on entend une voix :

CORA (OFF) Qu'est ce que c'est ?

JEAN C'est de la part de SOS Salomon...

Les nombreuses serrures claquent et la porte s'ouvre sur une femme, la soixantaine coquette et alerte, CORA, qui porte un pantalon et des tennis. Elle toise le jeune homme.

CORA Oui ?

Jean est embarrassé. Il s'attendait à une vieille dame.

JEAN Madame Cara ?

CORA Mademoiselle ! On dit mademoiselle et Cora, pas Cara

JEAN Excusez-moi madame... (tend la corbeille) Vous avez appelé S.O.S. Roi Salomon. C’est gentil d’avoir pensé à nous, alors à notre tour, nous avons pensé à vous.

CORA Je n’ai jamais appelé S.O.S. Est-ce que j’ai l’air de quelqu’un qui a besoin de secours ?

JEAN Euh... Il y a une carte.

Elle saisit la carte sur la corbeille, lit.

CORA "Pour une vieillesse épanouie." Quel vieux chameau, il fait exprès... Allez, puisque tu es là, pose ça dans le living.

Jean entre et dépose la corbeille sur une table.

JEAN Monsieur Salomon a choisi les marrons glacés, exprès pour vous.

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CORA Bien sûr. Il sait bien que je ne peux pas me le permettre...

Pour la première fois, Cora découvre son visage à la lumière et elle a un coup au cœur. Elle se met bien en face de lui et le dévisage.

CORA Alors c'est Salomon qui t'envoie...

JEAN Il faut que j'aille madame... euh, mademoiselle. Au revoir.

CORA Attends, laisse-moi te regarder. C’est lui qui t’a affublé comme ça ?

Jean hausse les épaules.

JEAN Vous trouvez aussi que c'est ringard ?

CORA Au moins tu es lucide. Comment tu t'appelles ?

JEAN Jean... Alors au revoir. Monsieur Salomon m'attend en bas.

CORA Il attendra. Tu vas bien boire un verre de cidre.

JEAN Du quoi ? Vous n’auriez pas du coca ?

CORA Du quoi ? (définitive) C'est mauvais pour les dents.

Elle se rend à la cuisine et regarde par la fenêtre. En bas, on aperçoit monsieur Salomon assis dans le taxi. Elle presse sa main sur son cœur, puis elle prend sur elle et retourne dans la pièce avec un plateau. Jean est en train d'examiner les nombreuses photos de music-hall qui ornent les murs. On y voit Cora, jeune et jolie, dans les années 70-80, dans des poses langoureuses.

CORA Tu vois, c'est de l’époque où on n’avait pas encore Internet et les implantes dentaires. Tout ce qu’on pouvait avoir c'est un peu d'amour...

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JEAN Moi je n’ai toujours pas l’amour.

Ils boivent leur cidre dans un silence gêné.

CORA Et qu'est-ce qu'il t'a dit Salomon ? Que je suis une vieille toquée ?

JEAN Ben... (pose son verre) Faut que j'aille mademoiselle. Merci pour le cidre.

Cora l'arrête de nouveau.

CORA Sois pas si pressé. Je vais te montrer quelque chose.

Elle le précède dans sa chambre, Jean reste prudemment dans la porte.

CORA N'aie pas peur. Je ne vais pas te violer.

Elle fouille dans les tiroirs de sa commode et elle en retire un album de photos. Elle l'ouvre à une page et la met sous le nez de Jean. La photo représente un homme qui porte un costume croisé, saisi dans une esthétique des années soixante. Jean n'en croit pas ses yeux. L'homme lui ressemble trait pour trait, y compris la coupe de cheveux.

JEAN Qui c'est ?

CORA On dirait que c'est toi, hein ?

JEAN Putain... Qui c'est ?

CORA C'est un homme qui m’a fait tourner la tête et pour qui j’ai fait des folies, des vraies... Maurice.

JEAN Monsieur Salomon le connaît ?

CORA Mais puisque je te le dis. C'est pour ça qu'il t'a choisi.

20) RUE CORA & TAXI Monsieur Salomon s'est endormi dans le taxi.

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Jean ouvre son coffre, il y retrouve son "uniforme de loubard" et commence à se changer sur le trottoir. Du coup, monsieur Salomon se réveille et jaillit de la voiture.

MONSIEUR SALOMON Qu'est-ce qui vous prend ?

JEAN Monsieur Salomon, ça m'a fait plaisir de vous connaître, mais je n'aime pas trop qu'on se foute de moi. Cora, pas Cara et vous la connaissez très bien, elle m'a tout déballé.

Salomon ne se laisse pas démonter.

MONSIEUR SALOMON Alors elle s'en est aperçue ?

JEAN Qu’est ce que vous croyez ? Vous m'habillez à la Gabine, vous me faites la raie à gauche... Vous avez fait votre bonne farce, vous n'avez plus besoin de moi. Mais je vous préviens, le chèque, je ne vais pas vous le rendre.

MONSIEUR SALOMON Vous êtes vraiment chatouilleux... J'avoue, j'ai été un peu taquin. Mais quand je vous ai vu casser le mobilier chez moi, ça m'a rappelé son Maurice et je me suis dit que ça ferait plaisir à cette vieille Cora de revoir son ami.

JEAN Vous ne pensez pas que c’est un peu violent comme cadeau ? Elle aurait pu claquer, comme l'autre avec ses olives.

MONSIEUR SALOMON Allons, il ne faut quand même pas trop surestimer votre charme. Alors qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

JEAN Elle a dit que vous pouvez foutre les fruits confits au cul. Je traduis. (tend son costume croisé) Tenez votre costume à la Gabine. Au revoir monsieur Salomon.

Mais Salomon refuse de le prendre et se réinstalle dans la voiture.

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MONSIEUR SALOMON Vous êtes un grand angoissé mon petit. Je n'ai aucune intention de me séparer de vous. Allez, direction Place Blanche. (il regarde sa montre) On a juste le temps.

Jean qui a retrouvé son style habituel, soupire et se rassoit dans son taxi. La voiture démarre, la caméra panoramique et l'on découvre Cora debout dans sa fenêtre. 21) RUES PARIS, TAXI Apparemment radouci, Jean se tourne vers Salomon.

JEAN (complicité masculine) Allez, entre hommes, vous en pincez pour cette Cora ?

MONSIEUR SALOMON Je vous demande, moi, si vous en pincez pour votre Aline ? C'est juste une de mes petites vieilles.

JEAN Alors là, vous êtes à côté de la plaque monsieur Salomon... Mademoiselle Cora a gardé ses habitudes d'être jeune.

MONSIEUR SALOMON (durement) Rien de plus triste qu’une femme qui s’accroche.

JEAN Sauf votre respect, Monsieur Salomon, elle est vachement plus féminine que plein de garces que je connais.

MONSIEUR SALOMON Ravi qu’elle vous plaise... Voilà, garez-vous là...

22) PLACE BLANCHE Le taxi se gare sur la place, Salomon descend.

MONSIEUR SALOMON Vous pouvez me laisser ici. A demain, même heure. Au revoir mon jeune ami.

Mais Jean reste sur place, observant le manège du vieux : il s'approche d'une vendeuse de fleurs, achète un petit bouquet et se poste sous l'horloge qui marque sept heures. La pluie recommence à tomber, mais Salomon résiste, attendant patiemment. Enfin, n'en pouvant plus, Jean prend son parapluie dans le

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coffre et essaye de protéger le vieux monsieur.

JEAN Vous allez attraper la crève là. Elle ne viendra plus...

Sans autre explication monsieur Salomon sort une carte postale de sa poche et la tend. Elle représente une femme en costume de bain des années 20.

MONSIEUR SALOMON Elle viendra, c'est écrit là. Il y a encore des femmes amoureuses.

Jean lit le texte au verso de la carte :

JEAN “Je ne peux vivre sans toi, tu es ce qui me manque le plus au monde. Sois à sept heures vendredi sous l’horloge de la place Blanche, j’attends ce moment de tout mon coeur. Signé Fanny“...

MONSIEUR SALOMON (désigne l'horloge) Elle peut encore arriver.

JEAN Monsieur Salomon arrêtez de vous foutre de moi. Cette Fanny, vous savez bien qu'il n’en reste plus rien. Pourquoi vous faites ça ? Juste pour me faire flipper ?

Monsieur Salomon le toise de son terrible regard.

MONSIEUR SALOMON Pourquoi je fais ça ? Je le fais pour l’honneur de la chose. Pour honorer un grand amour dans la mesure de mes modestes moyens ! Il n'y a pas que des putes dans la vie... Retenez cette leçon, mon jeune ami, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre...

La pluie redouble et Jean s'impatiente

JEAN Allez, monsieur Salomon.... Je vous ramène chez vous. Je dois encore me trouver une piaule...

MONSIEUR SALOMON Parce que la charmante personne vous a mis à la porte ?

JEAN Ben, oui. Grâce à vous, je dors dans ma voiture.

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MONSIEUR SALOMON Il fallait le dire, mon jeune ami. Vous connaissez ma devise : jamais battu.

23) RUE & VILLA NEUILLY Le taxi se gare devant une villa élégante dans une rue de Neuilly. Jean prend ses sacs dans le coffre et Salomon sonne à la porte. Ginette, en robe de chambre et bigoudis ouvre la porte. Découvrant monsieur Salomon, elle a un haut-le-corps :

GINETTE Monsieur Salomon ! On ne vous attendait pas. MONSIEUR SALOMON C'est toute l'astuce, être là où l'on ne vous attend pas... Je vous amène un nouveau locataire. Pourriez-vous faire une place à Jeannot ?

Chuck apparaît derrière Ginette.

CHUCK Bien sûr. Vous dînez avec nous, monsieur Salomon ? Tong a fait des crabes en beignet.

MONSIEUR SALOMON Merci mon ami, mais je préfère rentrer. Il ne faut pas laisser le standard sans personne trop longtemps.

Il repart en sifflotant. Chuck prend le sac de Jean et le précède à l'intérieur. Jean découvre les lieux avec étonnement : une villa luxueuse, mais vide de meubles, à l'exception de l'immense piano de concert qui trône dans le hall.

JEAN C'est quoi ici ?

CHUCK Un squat de luxe. Si tu as une copine, tu l'amènes quand tu veux, on fera une partouze.

JEAN Me parle pas de copine.

Tong qui est en train de faire la cuisine sur un réchaud butane dans un coin du hall, désigne le piano :

TONG C'est de l'époque où le roi Salomon était pianiste. On ne sait pas ce qui s'est passé ici, mais il y a un cadavre quelque part.

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GINETTE (définitive) C'est une affaire de femme.

JEAN En tout cas, il s'est pas foutu de vous, le roi Salomon.

CHUCK T’en fais pas, il ne fait pas ça par bonté de cœur. On aide le monde entier quand on ne peut pas s'aider soi-même. Il gesticule le vieux... Tu ne le comprendras jamais tant que tu ne sais pas qu’il a avec son Dieu des comptes personnels. Il fait de l’intérim, vu que le titulaire n’est pas là, il le remplace. Il se dit que peut-être Dieu serait piqué à vif et lui donnera la longévité et la vie éternelle.

TONG L'écoute pas. Il adore son Salomon.

Chuck guide Jean vers l'étage et pousse une porte. Une chambre d'enfant qui n'a apparemment jamais servie. À présent, elle est vide avec un matelas par terre.

CHUCK La nursery, ça te convient ?

JEAN Pour le moment ce n'est pas d'actualité, mais pour dormir c'est top.

TONG (appelle) À taaable.

Ils se retrouvent assis par terre autour d'un plat fumant. Dans un coin de la pièce, la télé diffuse les éternelles images de la marée noire, avec son lot d'oiseaux englués.

CHUCK Bande de salauds de pollueurs.

Il ponctue sa phrase par un pet sonore. Tong court ouvrir la fenêtre.

TONG Tu es un porc.

CHUCK C'est incroyable ce type. Toute sa famille a été exterminée par des bombes chimiques et il ne supporte pas un pet.

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Ginette les sert et pendent un moment on n'entend que le commentaire de la télé.

GINETTE Alors, tu as été chez la fameuse Cora ?

JEAN (surpris) Vous la connaissez ?

GINETTE Cette vieille pute, elle essaye de mettre le grappin sur monsieur Salomon depuis toujours.

TONG N'empêche que c'est le vieux qui lui envoie des fruits confits chaque mois.

CHUCK Pour l'embêter. Il la hait.

TONG C'est pour ça qu'il a tous ses disques ?

GINETTE Monsieur Salomon est un volcan mal éteint. Le feu couve sous les cendres.

24) RUE DEVANT IMMEUBLE SALOMON Tôt le matin, Tapu, son éternel balai à la main lit un journal, appuyé sur son balai. Jean se gare avec son taxi et dépose les trois bénévoles, Chuck, Tong et Ginette. En passant, ils s'inclinent profondément devant Tapu.

TONG Majesté...

TAPU Petit saligaud va, rentre dans ton pays.

Il est prêt à les frapper avec son balai, mais ils disparaissent déjà dans l'immeuble en ricanant. Tapu revient vers Jean

TAPU Il sort de sa forêt et il croit que c'est arrivé.

JEAN C'est pas méchant, il vous traite de majesté.

TAPU Ha ! Le roi des cons, il croit que je n'ai pas compris.

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JEAN Eh bien si c'est ça l'étiquette, excusez-moi majesté, je ne savais pas.

Il s'incline aussi devant le concierge.

TAPU Ah, un autre petit comique, elle est belle la bande au roi des juifs... Pas mieux que le patron. Tenez, j’ai trouvé ça dans la poubelle jaune. Il va les chercher sur Internet.

Il lui met sous le nez un document où l’on voit une liste de candidates au mariage avec leurs photos.

TAPU (lit) "Femme, trente-cinq ans, voudrait vivre amitié amoureuse avec homme aimant les voyages" trente-cinq ans souligné trois fois ! Mais enfin, quand est-ce qu’il va comprendre qu’il est au bout du rouleau ? Et vicelard, avec ça ! Parce que vous remarquerez que ce n’est pas des vieilles peaux qu’il a soulignées. "Phallocrates s’abstenir" évidemment, une chance à ne pas louper, à son âge, il ne risque plus de bander.

25) APPPARTEMENT SALOMON Monsieur Salomon, en survêtement élégant transpire sur son rameur d'appartement.

MONSIEUR SALOMON Cinquante-huit... cinquante-neuf... Soixante...

Quand Ginette introduit Jean dans la pièce, il se redresse en se tenant les reins.

MONSIEUR SALOMON Bonjour mon petit Jean. Je me suis remis à la méthode canadienne, le meilleur selon moi...

JEAN Vous vous entraînez pour quoi?

SALOMON Toujours prêt à faire face, telle est ma devise.

JEAN Prêt à quoi ? Là où vous allez, on viendra vous chercher en voiture, vous en faites pas. (pose le document devant Salomon) C’est encore une blague ? Dites-moi. Vous voulez vraiment contracter une femme ou vous voulez simplement me faire mal au ventre ?

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SALOMON Ne dites pas contracter une femme, ce n’est pas une maladie... La voyante a prédit que j’allais refaire ma vie. Je ne vais quand même pas rester le cul sur une chaise à attendre. (montre une photo) Regardez, celle-ci me paraît intéressante. “Quelle épaule solide d’un demi-siècle abriterait tête tendre, gaie, sensuelle ?”

JEAN Elle veut une épaule d’un demi-siècle, monsieur Salomon. MONSIEUR SALOMON Demi-siècle, demi-siècle ! Qu’est-ce que l’âge a à voir avec les épaules ? Ce n’est quand même pas une question de qualité de viande ! (commence des mouvements respiratoires) Respirez, expirer... Respirez, expirer... voilà le secret de la longévité mon petit Jean. Quand tu auras fait ça pendant quatre-vingt-quatre ans, tu pourras me donner des conseils... Bon allons voir le programme d'aujourd'hui.

26) STANDARD Toute l’équipe est réunie au standard. Salomon étudie les demandes sur l’écran de l’ordinateur.

MONSIEUR SALOMON Hmm... Monsieur Schwartz est à l'hôpital ? Quelle pitié, j'irai le voir... Madame Chantal réclame des chaussures de tennis ? À son âge, c’est un signe de longévité intéressant... (Soudain il marque un arrêt) Mademoiselle Cora ? Qu'est ce qu'elle veut ? GINETTE C'est pour une aide à domicile.

Tous guettent sa réaction

MONSIEUR SALOMON Ah oui ? Vous pourrez y aller ?

GINETTE Elle a insisté pour que ce soit un chauffeur. Il paraît qu'elle s'est tordue la cheville et elle a besoin d'aller chez le médecin.

Monsieur Salomon regarde Jean.

MONSIEUR SALOMON Mon petit Jean...

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JEAN Ah non, il faudra encore boire son cidre. Elle va me parler encore de son Maurice...

MONSIEUR SALOMON Bien entendu, vous avez le droit de refuser...

JEAN À condition de vous rembourser.

MONSIEUR SALOMON Pas du tout. C'est la galanterie qui vous commande d'y aller. Et n'oubliez pas de lui apporter des fruits confits.

Là-dessus, il tourne les talons et retourne dans son bureau. 27) APPARTEMENT CORA Toujours aussi pimpante, Cora est en train de faire un bandage sur sa cheville. On sonne. Elle prend une canne et va ouvrir en essayant de boitiller, mais on voit clairement qu'elle n'a rien. C'est Jean, en costume « civil ».

CORA Tiens je t'aime mieux comme ça qu'avec ton costume de pauvre... Entre.

Jean entre et dépose une corbeille sur la table.

JEAN Monsieur Salomon vous envoie des fruits confits.

Il guette la réaction de Cora. Il n'a pas longtemps à attendre :

CORA Quel vieux chameau. Allez, je préfère le facteur au courrier. Entre, on va les goûter.

JEAN J'ai pas beaucoup de temps, mademoiselle Cora, alors si vous voulez que je vous amène...

CORA Tu ne veux même pas un coca ? J'en ai pris spécialement pour toi. Allez, va chercher le plateau à la cuisine. J’en ai mis au frais.

Pendant que Jean va à la cuisine, elle enclenche l'électrophone et s'installe sur le canapé en arrangeant coquettement sa robe. On entend sa voix gouailleuse.

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CORA (sur le disque) Je n´irai pas à St-Tropez, Madame Ni cette année ni jamais plus Mon amour n´ira pas non plus Car je l´ai tué tout à l´heure... Etc.

Jean revient avec le plateau, se verse un coca

JEAN C'est pas gai gai votre chanson, mademoiselle. CORA C’est pour ça que c’est passé de mode, ce sont des vieux malheurs d’autrefois... Il faudrait en trouver des nouveaux... JEAN Je peux vous donner quelques tuyaux.

CORA Merci, j'ai ce qu'il me faut. Tu ne veux pas t’asseoir ?

Jean s’assoit sur un pouf.

JEAN (pour dire quelque chose) Et cette jambe ? Comment vous avez fait ça ?

CORA Oh, un faux pas. Je ne suis pas fâchée, parce que ça m’a fait un prétexte pour te voir... Alors, le roi Salomon il va bien ?

JEAN Il s’est abonné à des sites de rencontre pour les annonces matrimoniales.

CORA Nooon ?... Enfin, il fait ce qu'il veut, hein ?... Et toi, tu vas faire le larbin pour toujours avec lui ?

JEAN Ben, pour l'instant je vais bricoler un peu dans l'humanitaire en attendant de payer mon taxi. Après on verra...

Elle coupe l'électrophone et elle le regarde bien dans les yeux.

CORA Jean, je t’ai bien observé, tu sais...

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JEAN (méfiant) Ouais ?

CORA Tu as le magnétisme animal. Tu devrais faire du cinéma.

JEAN (manque de s’étrangler) Le quoi ? Il faut arrêter de charger sur le cidre mademoiselle.

CORA Je sais ce que je dis. Aujourd'hui, même les truands, ils ont des têtes d’homme d’affaires et les acteurs, ils sont tous en toc. Toi, tu es de la rue...

JEAN Mamzelle Cora, pour faire l'acteur il faut avoir du talent. Reno, Gad, Omar, ils sont tombés dedans quand ils étaient petits...

CORA Avec une bonne coupe de cheveux, tu crèveras l'écran.

JEAN Vous êtes pire que monsieur Salomon. J'ai pas envie d'être transformé en Maurice.

CORA Oh la la, il est farouche. Je peux m'occuper de toi et te présenter à des gens. Je connais encore beaucoup de monde dans le spectacle. Piaf, elle a fait Aznavour, elle a fait Montand, elle a fait ... l’autre dont je me souviens plus. Il n’y a rien de plus normal que d’aider un jeune.

Jean se met à rire. C’est nerveux.

JEAN Je mange pas de ce pain-là, mademoiselle Cora. Vous êtes sympa, mais c'est pas mon truc.

Cora se redresse, comme piquée par un serpent.

CORA Non, mais sans blague, tu ne vas pas t’imaginer que j’ai du cochon en tête ? Des hommes, j'ai eu mon compte. Alors maintenant, tu finis ton verre de poison et tu dégages ! Si tu préfères faire le larbin pour le roi Salomon toute ta vie, ça te regarde... Adieu.

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Elle le pousse avec sa canne vers la porte et elle lui claque la porte au nez. Jean se retrouve, tout penaud, sur le palier. Il sonne.

JEAN Mademoiselle Cora... Vous avez oublié de boiter

CORA Si ma proposition t'intéresse, je prendrai vingt pour cent sur tes cachets et ça s’arrête là... JEAN Vingt pour cent, je trouve que vous charriez, mademoiselle Cora.

Cora ouvre la porte, et lance d’un ton sec : CORA Vingt pour cent. Parce qu’avec toi, j’aurais des frais. Allez, on va s'occuper de toi...

28) TAXI & RUES PARIS Jean conduit, Cora est installée à l'arrière. Ils tournent dans les petites rues de Montmartre. Cora déborde d’énergie.

CORA (volubile) Une bonne photo c'est la base de tout. Crois-moi, je suis du métier. C’est un as, un Russe. C'est lui qui a fait mes portraits. Il était un peu amoureux de moi... Tiens, tourne à gauche... Voilà, c’est sur cette place au 18, sous le porche le "Studio Simkin".

Le taxi s’arrête devant le 18. C'est un immeuble moderne, sans trace de studio.

CORA C'est incroyable. Ça change trop vite.

JEAN Il a dû déménager. Depuis le temps... C'est pas grave mademoiselle Cora, je ne sais pas si je pourrais faire l'acteur de toute façon.

Cora semble perdue, mais soudain elle aperçoit le studio de l’autre côté de la place.

CORA Ah, c'est là ! Tu vois, tu crois que je radote.

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29) STUDIO PHOTOGRAPHE Le vieux photographe (Monsieur SIMKIN) officie avec un appareil à plaque, à l’ancien. Il manipule Jean comme s'il était un objet.

SIMKIN Voilà, la tête un peu penchée. Redressez-vous...

Jean se prête au jeu. Cora assiste à la séance assise sur un tabouret. Enfin Simkin se place derrière son appareil.

SIMKIN Souriez... CORA Non, ce n'est pas dans sa personnalité. Je le veux homme. Hein mon petit Jeannot ?

JEAN Jean, mademoiselle.

Il prend la pose et Simkin prend plusieurs clichés.

CORA C'est formidable de vous avoir retrouvé, je n'aurais pas voulu de quelqu'un d'autre, je n’aime pas ces photos digitales comme on fait maintenant... Vous êtes d'accord avec moi qu'il a le magnétisme animal ?

SIMKIN Vous savez qui il me rappelle ?

JEAN (tac au tac) Maurice ?

SIMKIN Vous le connaissez ?

JEAN Et vous ?... Racontez un peu. Comment il était ?

CORA Qu'est ce que ça peut te faire ?

JEAN Ben, rien, comme ça... Je me demandais s’il n'était pas mon père.

Cora, sursaute comme piquée par une guêpe.

CORA Tu as perdu la tête ? Il ne peut pas être ton père!

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JEAN Pourquoi ?

CORA Parce que c'est impossible...

Jean saute de son tabouret et la rattrape dans le couloir.

JEAN Dites-moi pourquoi il ne peut pas être mon père?

Cora se met à pleurer.

CORA J'étais bien tranquille chez moi et il fallait que tu débarques à remuer tout ça. Fiche-moi la paix... je suis ton agent, pas ta nounou.

30) APPARTEMENT SALOMON Salomon dîne, solitaire dans sa cuisine. La télévision est allumée dans un coin. Le son est coupé, mais sur l'écran on voit un reportage sur la marée noire. On entend la porte qui s'ouvre, des pas, et Jean arrive dans la cuisine.

MONSIEUR SALOMON Dites donc, ça vous a pris du temps cette histoire de médecin.

JEAN Le médecin c'était du pipeau. On était chez un photographe.

MONSIEUR SALOMON Pourquoi elle a besoin de se faire photographier ? JEAN C'était pour moi... Elle dit que je devrais faire l'acteur. Il paraît que j'ai le magnétisme animal.

MONSIEUR SALOMON Noooon ? Elle vous a dit ça ?

JEAN (piqué) Et alors, elle est du métier. Je ne ferai pas le taxi toute ma vie.

MONSIEUR SALOMON Oh pardon mon cher, je ne voulais pas dénigrer vos talents de comédien. Je vous vois très bien dans un emploi d’ingénu...

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Il se lève, prend une bouteille de cognac sur l'étagère et remplit deux verres.

MONSIEUR SALOMON Allez, buvons à votre carrière... Vous voyez mon petit Jean, l'humanitaire c'est comme le pantalon, ça mène à tout.

Il lève son verre et avale l'alcool d’un trait. Jean l’imite. Un silence, ils regardent la télé, les oiseaux impuissants dans la mélasse.

JEAN C'est dégueulasse... Des oiseaux innocents...

MONSIEUR SALOMON L'innocence c'est la condition des victimes. Vous êtes un grand sensible mon petit. S'il fallait aussi s'occuper des oiseaux, on n'en sort pas. (il remplit les verres) Vous savez mon petit, moi aussi, je n'ai pas toujours été dans le pantalon. Jusqu’à quarante ans, je n’avais que le piano dans ma vie. Mes parents ont espéré un enfant prodige et je suis devenu un virtuose pour leur faire plaisir... Puis j’ai rencontré une jolie chanteuse et je suis entré dans le prêt-à-porter, je suis devenu le roi du pantalon, j'ai acheté une villa à Neuilly, j'y ai même installé une chambre d'enfant...

JEAN Et elle s'est débinée avec Maurice.

MONSIEUR SALOMON Dans le mille. Lui, tout ce qu'il voulait c'est mon argent, alors elle l’a fait engager comme chauffeur... Et quand j’ai compris que j’étais le dindon de la farce, ils ont disparu avec la caisse... Alors vous comprenez que quand je vous ai vu l'autre jour, ça m'a remué... À la vôtre.

Ils vident leurs verres. Salomon les remplit.

JEAN C'est triste votre histoire...

MONSIEUR SALOMON Ça a ses bons côtés. Finalement c'est grâce à elle que je suis devenu riche...

JEAN C'est de l'humour juif ça ?

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MONSIEUR SALOMON Si les juifs n'avaient pas l'humour, ça fait longtemps qu'ils ne seraient pas là... El Haïm

Ils boivent encore. Jean commence à ressentir l'effet de l'alcool.

JEAN Et ce Maurice, il est toujours dans le tableau ?

MONSIEUR SALOMON Qu'est ce que ça peut te faire ?

JEAN Je me demandais si ce n’était pas mon père.

SALOMON Ça m'étonnerait... (change de sujet) Alors elle n'avait pas mal au pied ?

JEAN Elle se porte comme un charme. C'est une femme comme ça qu'il vous faudrait monsieur Salomon.

MONSIEUR SALOMON Si j'ai besoin de conseils matrimoniaux, ce n’est certainement pas à vous que je les demanderai. Même pas capable de garder sa bonne amie...

JEAN À qui la faute ?...

MONSIEUR SALOMON Vous êtes prêt à rentrer dans le prêt-à-porter ? Faire cet enfant ? Rien n'est plus simple. Vous allez la voir, vous vous mettez à genoux, vous embrassez ses pieds et vous lui dites, ma chérie c'est toi la plus belle, épouse-moi et faisons un petit Mozart.

31) ESCALIER & STUDIO ALINE Aline est réveillée en sursaut par des coups à sa porte. Elle s’enveloppe dans un kimono.

ALINE Qu'est-ce que c'est ?

JEAN C'est moi. Ouvre s'il te plaît, j'ai un truc à te dire.

ALINE Qui ça moi ?

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JEAN Jeannot Lapin

Elle tourne le loquet et découvre Jean sur le seuil dans un drôle d'état.

JEAN Salut. Je suis complètement schlasse.

ALINE Je vois. Bravo.

JEAN Aline... J'ai réfléchi... je voudrais revenir...

ALINE (claque les doigts) Juste comme ça ?

JEAN Enfin merde, quoi. Je t’assure, j’ai changé. Je travaille dans l'humanitaire, je fais le bénévole avec monsieur Salomon et je suis d'accord pour le prêt-à-porter. Je veux cueillir les roses de la vie avec toi.

ALINE Quand je pense que tu dois te soûler pour me parler, c'est ringard.

Jean se met à genoux et essaye de lui embrasser les pieds.

JEAN Chérie, c'est toi la plus belle. Je voudrais faire un petit Mozart avec toi...

32) RUE ALINE, TAXI Monsieur Salomon attend dans le taxi, garé devant l'immeuble d’Aline et continue à picoler. Il sort de l'immeuble et se laisse tomber sur le siège.

JEAN Bravo. Avec vos conseils, je suis définitivement scié.

MONSIEUR SALOMON En matière d'amour, rien n'est définitif mon petit.

JEAN Ah ! Écoutez l'expert.

MONSIEUR SALOMON Qu'est ce que ça veut dire, je vous prie ?

Jean démarre, avec un grand soupire.

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JEAN Ça veut dire que c'est définitivement fichu avec Aline. Comme vous avec Cora.

MONSIEUR SALOMON Cora n'a rien à voir. Mêlez-vous de vos affaires. (il s'énerve tout seul) Et puis vous roulez à combien, là ? Accélérez, nom de Dieu, et faites du bruit, qu’on ait un peu l’impression de faire de la vitesse, nom de Dieu de nom de Dieu.

33) RUES DE PARIS, PALACE On voit le taxi foncer à travers Paris. Monsieur Salomon s'accroche au tableau de bord, mais visiblement il s'amuse comme un fou. Soudain, en passant sur le boulevard devant les enseignes lumineuses d’une boîte de nuit, le Palace, il commande :

MONSIEUR SALOMON Stop ! Marche arrière.

Le taxi freine, fait une marche arrière et se gare à côté d'une petite queue de fêtards qui attendent pour entrer dans la boîte.

JEAN Qu'est ce que vous voulez faire ?

MONSIEUR SALOMON Je vais vous payer un verre de Green Label mon jeune ami.

34) BOITE DE NUIT Jean et monsieur Salomon évoluent dans la boîte remplie de monde et de bruit. Ils s'installent au bar. Monsieur Salomon regarde la foule des jeunes autour de lui. Le moyen d'âge se situe autour de 18 ans. Le disc jockey, un certain Zad, se démène sur son estrade. Ils sont obligés de crier pour se faire comprendre.

MONSIEUR SALOMON Ça s'appelait l’Alhambra dans le temps, ça a bien changé...

JEAN Alors vous êtes déjà venu ici ?

MONSIEUR SALOMON Il y a bien longtemps. C'était moins bruyant.

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Une jeune serveuse, CATHY, habillée au plus moulant, saute au cou de Jean

CATHY Tiens, un revenant. Ça va lâcheur ?

JEAN Ouais... Je te présente monsieur Salomon. Il ne boit que du Green Label.

Cathy les sert avec un grand sourire. Dès qu'elle repart, Salomon se tourne vers Jean.

MONSIEUR SALOMON Vous avez l'intention de tromper votre amie Aline ?

JEAN Pourquoi pas ? Elle ne veut pas de moi.

MONSIEUR SALOMON C'est typique ça. Il se prétend amoureux, mais il veut des assurances. On peut aimer sans retour. C'est même plus sûr, croyez-moi...

JEAN Arrêtez de m'embrouiller monsieur Salomon... Votre concierge, il m'a bien dit que je devrais me méfier de vous...

MONSIEUR SALOMON Il a dit ça ? Le brave homme... Monsieur Tapu aime haïr. Vous devriez lui dire que vous êtes arabe et pisser dans l’escalier, comme ça il sera vraiment content.

JEAN Si c’est tout pour le rendre heureux, c’est dans mes cordes.

MONSIEUR SALOMON Voilà. C’est ça l’esprit bénévole...

35) RUE & IMMEUBLE SALOMON Le taxi se gare dans un formidable tête-à-queue devant l'immeuble Salomon. Les deux hommes, complètement ivres, ont le fou rire. Tous deux déboutonnent leurs braguettes et pissent contre le mur de la loge avec application. Une lumière s'allume. Tapu jaillit comme un diable de sa boîte.

TAPU Vous n'avez pas honte à votre âge ?

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MONSIEUR SALOMON Il n'y a pas d'âge pour faire le bien, monsieur Tapu.

JEAN C'est gratuit. Comme SOS bénévoles.

TAPU Petit salaud. Vous faites bien la paire.

Salomon s'incline profondément devant Tapu.

MONSIEUR SALOMON Excusez-nous, majesté, mais il faut qu'on vous quitte, nous sommes un peu fatigués. La nuit a été intense.

Jean s'incline aussi et ils s'engagent dans l'escalier en ricanant comme des gamins, laissant Tapu fulminer. 36) APPARTEMENT SALOMON, STANDARD Le matin. Le standard est en pleine activité. Sans se laisser perturber par les bruits, Jean dort sur le canapé, recouvert du manteau de monsieur Salomon. Il a un cauchemar et se réveille en sursaut. Il met un certain temps à réaliser où il est.

JEAN Putain. J'ai rêvé que je devais sauver des petites vieilles prises dans le mazout et c'est moi qui me noyais.

CHUCK Eh bien mon pote, t'as attrapé le virus de Salomon.

Jean se sert d'un café à la machine, alors que Ginette prend le nouvel appel.

GINETTE S.O.S. ROI SALOMON, à votre service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je vous écoute ....... Bonjour mademoiselle. (elle obstrue la combinée et se tourne vers Jean) Mademoiselle Cora. Ça fait dix fois qu'elle appelle.

Jean fait un signe de dénégation : "Je ne suis pas là".

GINETTE (au téléphone) Il est parti pour faire une course... Oui mademoiselle, je transmettrai... C'est ça. Je suis sûr qu'il se fera une joie. Au revoir.

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Elle raccroche et regarde Jean avec un grand sourire.

GINETTE Elle dit qu'elle a déjà eu des touches pour des castings. Elle veut t'amener dîner pour en parler... CHUCK Dis donc, tu dois être un bon coup.

JEAN Ta gueule Chuck.

37) CHAMBRE MONSIEUR SALOMON Monsieur Salomon fait sa gymnastique quand Jean pousse la porte.

JEAN Monsieur Salomon, on s'est mis d'accord pour faire le taxi, pas pour faire le baby-sitter avec mademoiselle Cora. Elle veut maintenant qu'on aille au restaurant.

MONSIEUR SALOMON Vous ne devriez pas boire, mon petit Jean, vous ne tenez absolument pas l'alcool... Pourquoi vous ne l'amèneriez pas danser au Palace justement ?

JEAN Au palace ? Mais je suis connu là-bas ! Vous avez bien vu.

Salomon le prend par l'épaule, très grand frère

MONSIEUR SALOMON Je ne vous l'ai pas dit, mais dans le temps, elle y a chanté et elle a eu beaucoup de succès... Elle serait sûrement contente de se souvenir d'elle même. Il n’y a rien de plus triste que les personnes qui ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ont perdu leur jeunesse leur beauté et quelquefois même leurs dents. Alors, apportez-lui des fleurs et amenez-la danser dans le cadre de notre action humanitaire...

JEAN (écœuré) D'abord vous me dites qu'elle est parano, que je dois me méfier et maintenant vous me dites de l'amener danser ?

MONSIEUR SALOMON Et alors ? On dirait que tu vas vomir. Tu n’es pas homosexuel, tout de même ?

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JEAN Je ne rigole pas là.

MONSIEUR SALOMON Tu sais ce que c'est un antisémite ?

JEAN Je ne suis pas complètement idiot.

MONSIEUR SALOMON Eh bien, tu es comme ces antisémites qui ont leur bon juif. Les oiseaux oui, les dames d'un certain âge, non.

On sent qu'il a frappé juste. Jean hésite. Salomon enfonce le clou :

MONSIEUR SALOMON Vu que ça ne va pas fort avec votre amie Aline, je ne vois pas ce qui vous empêche de consacrer une soirée à une dame qui par ailleurs veut faire de vous une vedette.

JEAN Monsieur Salomon, avec tout le respect que je vous dois, parfois j'ai envie de vous casser la gueule.

38) VILLA NEUILLY Les bénévoles s'apprêtent à dîner, quand Jean apparaît, prêt à sortir.

GINETTE Je te sers ?

JEAN Merci, j'ai pas faim...

Il s'assoit quand même avec un soupire.

CHUCK Alors coco, c'est la grande vie, le champagne, les petites femmes, Paris by night.

JEAN Pauvre mec.

GINETTE Faites quand même attention.

JEAN Quoi ? Ça va pas la tuer de danser un peu.

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TONG Mais elle va prendre ça pour de l’espoir. Qu'est ce que tu fais si elle tombe amoureuse de toi ?

JEAN Pourquoi tu vas chercher des trucs comme ça ? Vous pensez bien que le cul, il y a longtemps que ça lui est passé.

CHUCK Et qu’est ce que tu vas faire si TOI, tu tombes amoureux d'ELLE ?

JEAN Bon, salut.

Il quitte les lieux en claquant la porte. 39) RUE & IMMEUBLE CORA Cora qui s’est mise sur son 31 attend dans le hall de son immeuble. Lorsqu’elle voit Jean arriver, un bouquet de roses à la main, elle a un joli petit geste coquet.

CORA SOS bénévoles qui envoie des fleurs maintenant ?

JEAN Oui... Euh, non. C'est perso...

Elle l’embrasse sur les deux joues.

CORA Tu es gentil...

JEAN (homme du monde) Vous êtes très classe, mademoiselle Cora.

CORA C’est la robe que je portais à la télé, au festival de chansons réalistes. Tu sais, ça reviendra à la mode tôt ou tard... Je n’ai pas trop forcé sur le maquillage ?

Elle a objectivement trop forcé.

JEAN Pas du tout.

CORA Tant mieux parce qu’on a tendance à en faire un peu trop quand on ne se ressemble plus...

45

40) RUE DEVANT PALACE Beaucoup de gens attendent devant la boîte. Un videur peu aimable laisse passer au compte-gouttes. Jean qui traîne derrière lui Cora, essaye de passer devant la queue.

VIDEUR À la file s'il vous plaît.

JEAN Merde, tu me connais...

VIDEUR C'est samedi. À la file.

Jean est écœuré. Il se gratte le front, gêné devant Cora...

JEAN Vous ne voulez pas qu'on aille dans un endroit plus tranquille ?

CORA J'ai fait mon plein de tranquillité Jeannot. Ça ne me gêne pas d'attendre.

Ils vont prendre la queue quand un grand type maigre (ZAD le disc jockey) qui s'immobilise devant Cora et enlève ses lunettes noires.

ZAD Cora Lamenaire ?

CORA Qui la demande ?

ZAD Alors ça ! J’ai tous vos disques à la maison... Je suis Zad. Le disc jockey...

Cora rougit de plaisir. Elle jette un regard à Jean, l'air de dire : "Tu vois, je ne suis pas finie".

CORA Eh bien mon petit, ça me fait plaisir de vous connaître. Je vous présente Jean. Il est comédien.

ZAD Ah ouais ? Super. (à Cora) Alors, entrez, et amusez-vous bien. Vous êtes toujours la bienvenue.

Zad fait signe au videur et ils passent triomphalement devant tout le monde. Puis Zad se dirige vers un café qui fait face au Palace.

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Il y retrouve monsieur Salomon qui observe la rue, installé sur la terrasse.

ZAD Comme une lettre à la poste.

MONSIEUR SALOMON Vous avez fait une bonne action, je vous remercie mon jeune ami.

Il sort un paquet d’argent de sa poche et le remet au disc jockey.

ZAD Pas de quoi. Pour cinq cents euros, je vendrai ma mère. MONSIEUR SALOMON Alors faites comme on a dit. Et n’oubliez pas le slow.

41) PALACE Cora semble déconcertée par la foule bruyante et par la musique à fond. Jean la guide au milieu de la cohue en essayant de la protéger. Il cherche une table libre, quand Cathy lui tape sur l'épaule :

CATHY Alors, ça va lâcheur ?

JEAN (gêné) Salut Cathy. Tu nous donnes une table ?

Cathy jauge Cora.

CATHY Bonjour madame... Tenez, d'ici vous verrez bien le jeunes. Qu'est ce que je vous sers ? Un thé ? Une tisane ?

JEAN Ça va Cathy. Fais pas ta pute.

CORA Du Champagne. Deux coupes... Non, la bouteille.

Cathy repart en tortillant les fesses.

CORA Elle est gentille. C’est une amie ?

JEAN On a couché une fois ou deux...

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CORA (soupire) Je te comprends, parfois le cul c’est moins sale que les sentiments.

JEAN (choqué) Ça ne vous ressemble pas de dire des choses comme ça mademoiselle.

CORA Qu'est ce que tu en sais ?

Cathy vient de déposer devant eux un seau à Champagne et Jean fait sauter le bouchon. Il remplit les coupes. Le disc jockey vient de mettre un slow. Les projecteurs changent l’ambiance. Cora pose son verre et dit doucement.

CORA Fais-moi danser.

Jean est ennuyé, ne sait pas comment réagir. Mais elle s’est déjà levée et l'attend sur la piste. Bon gré mal gré, il la suit. Il l'enlace et ils tanguent au milieu des couples, dont certains ne se privent pas de leur jeter des sourires narquois. Comme par défi, Jean assume et serre Cora plus fort contre lui. Elle ferme les yeux.

JEAN Monsieur Salomon m'a dit que vous avez chanté ici...

CORA Oui, c'était la grande époque des Yé Yé, mais moi c’était la chanson réaliste, tu sais, comme Piaff ou Cora Vocaire... Salomon, il avait sa table. Il dépensait des fortunes en champagne. Il m’a demandé ma main.

JEAN Mais vous êtes tombée amoureuse de Maurice.

CORA C’était un voyou qui avait des femmes dans la rue, mais tu ne vois jamais vraiment un homme lorsque tu ne vois que lui. JEAN Ça fait plaisir d'avoir la tête d'une ordure.

CORA Allez, toi tu t’es trompé de physique.

Une ronde de lumière blanche vient isoler Jean et Cora et la voix du disc jockey, comme tombant du ciel, annonce :

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ZAD Nous avons l’honneur, ce soir, de recevoir une de mes chanteuses préférées. Je vous demande d’applaudir comme elle le mérite Cora Lamenaire !

Les gens applaudissent, même si personne ne sait qui est Cora. Électrisée par le projecteur, elle salue. Le disc jockey tend le micro vers elle.

ZAD ... Et elle va nous interpréter...

Cora n'hésite qu'une seconde. Elle avance vers l'estrade, s'empare du micro. Il y a des sifflements dans la salle, mais elle ne se laisse pas démonter. Elle annonce :

CORA Je vais interpréter une chanson d'amour...

La salle réagit diversement, avec “hou ! hou !" et des "remboursez"

UN JEUNE Merde ! On veut danser !

Jean lui fait face, l'air méchant.

JEAN Attends un peu et je te ferai danser plus tard.

LE JEUNE Je veux pas t’empêcher de gagner ta vie coco, mais vas le faire ailleurs.

Jean, furieux, le bouscule. Une empoignade s'engage, mais on entend la voix rocailleuse de Cora qui s'élève par-dessus le brouhaha et des chuts imposent le silence.

CORA Où sont tous mes amants, Tous ceux qui m'aimaient tant... Jadis quand j'étais belle, Adieu les infidèles. Ils sont je ne sais où à d'autres rendez-vous. Moi mon cœur n'a pas vieilli portant, etc.

Cela devient une confession bouleversante. Les jeunes filles, dans la salle, ont les larmes aux yeux. Cora adresse les derniers vers à Jean.

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CORA ... Moi qui jadis ai connu le bonheur Les soirs de fête et les adorateurs Je suis esclave des souvenirs Et cela me fait souffrir...

Tonnerre d’applaudissements, les vrais, ceux qui expriment une grande émotion. Jean aussi applaudit à tout rompre. Cora salue, émue aux larmes. La lumière change de couleur et la techno reprend ses droits. Les jeunes réinvestissent la piste. L'intermède est clos, on a déjà oublié Cora qui retrouve Jean.

CORA Tu vois Jeannot, on va remettre ça à la mode. (Elle finit sa coupe de champagne) Allez, j'ai envie de me dérouiller un peu.

Elle boit encore et retourne sur la piste, au milieu des jeunes gens déchaînés. Elle danse les yeux fermés. Elle est très gracieuse, mais soudain, elle fait un faux pas et se tord le cheville se tord une cheville en poussant un petit cri. 42) TAXI ET RUE CORA Jean conduit en jetant des coups d'œil dans le rétroviseur. Sur le siège arrière, Cora est passablement ivre.

CORA J'ai été ridicule... JEAN Si on n'avait pas le droit d’être ridicule, on est en démocratie. Vous dansez super bien, mademoiselle.

CORA Et encore, t'as pas vu le rock... Je pourrais danser des nuits entières...

Le taxi s'arrête devant l'immeuble de Cora et Jean l'aide à descendre. 43) ESCALIER & APPARTEMENT CORA Elle boitille jusqu'à l'ascenseur et il l'accompagne en l'aidant. Il veut déjà repartir quand elle s'aperçoit que l'ascenseur est en panne.

CORA C'est pas grave, je vais dormir ici, par terre.

Jean la reprend dans ses bras (c'est un poids plume) et la porte dans l'escalier

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Elle tient ses chaussures dans ses mains et s'accroche à son cou.

JEAN Vous êtes punie par où vous avez péché, mademoiselle. Vous n'aurez plus besoin de faire semblant pour votre cheville.

Ils ont le fou rire, on dirait deux collégiens.

CORA Tais-toi. J'ai le fou rire et quand j'ai le fou rire, je peux faire n'importe quoi...

Arrivé à l'étage, Jean la dépose délicatement sur le palier.

CORA (coquette) Dommage que je n'habite pas au sixième. Bonne nuit mon petit. Et merci pour tout. (espiègle) Et rentre à la maison, hein ?

Elle cherche ses clefs, puis devenant sérieuse, elle prend quelques billets dans son sac et les lui tend.

JEAN Pourquoi vous faites ça ? C’est pas parce que j’ai la tête de votre voyou que je suis un pourri.

CORA Excuse-moi, je suis idiote... Alors bonne nuit. Merci pour tout. Tu me fais beaucoup de bien.

Elle allume dans l’entrée et rentre chez elle en boitillant. Au moment où et elle va refermer la porte, Jean dit :

JEAN Qu'est ce qu'il est devenu ce Maurice ?

CORA C’est une longue histoire. Il a été tué dans une bagarre à Caracas. Alors tu vois, il n'aurait pas pu être ton père...

Cela est dit sur un ton neutre, mais Jean est impressionné.

JEAN Qu’est-ce que vous avez fait à Caracas ?

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CORA Au début, on a fait la vie... Mais quand l’argent de Salomon était fini, Maurice, il m’a mise au tapin dans un bar... J’ai vite compris que j’ai fait une connerie en le suivant... Et puis il est mort et j’ai bourlingué dans tous les bas fonds... Ne me fais pas parler de ça, ce ne sont pas des bons souvenirs.

On sent qu'elle cherche à masquer son émotion derrière la dureté. La lumière de la minuterie s'éteint et ils restent un instant face à face, leurs silhouettes se découpent sur le carré lumineux de la porte.

JEAN J'ai beaucoup aimé votre chanson mademoiselle.

CORA Tu es gentille. J'espère que ce n'est pas uniquement bénévole. (elle caresse son visage) C'est très difficile de s'habituer, tu sais... On ne se rend pas compte qu'on a vieilli, ce sont les autres qui vous le disent.

JEAN On s'en fout des autres, mademoiselle. Vous n’avez rien signé.

CORA J'ai fait tourner les têtes et maintenant on prononce derrière mon dos des mots terribles. Il paraît qu’elle était jolie. Il paraît qu’elle était quelqu’un.

JEAN Moi, je trouve que vous êtes toujours très belle, mademoiselle Cora.

CORA Arrête. Tu vas me faire pleurer.

Il la prend doucement dans ses bras et l’embrasse sur les lèvres. Surprise, elle le repousse.

CORA Non, non, il ne faut pas... Ce n'est pas bien. Tu n'as pas une petite amie qui t'attend ?

Il ne répond pas. Il la prend dans ses bras et l'emporte directement dans la chambre à coucher et la pose sur le lit... Il tend la main pour allumer la lumière.

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CORA Non, non, n’allume pas.

44) APPARTEMENT CORA Jean, nu, fume une cigarette devant la fenêtre. Le jour se lève dehors. Cora est dans le lit la couverture remontée jusqu'au menton.

CORA Parle-moi de ta maman Jean.

JEAN C'était une pute qui ne savait même pas qui était mon père et elle s'est débinée quand j'avais dix ans.

CORA Mais enfin, elle te manque ?

JEAN Sûrement pas.

CORA Mais si, je crois que si.

Jean ramasse ses affaires et s'habille.

JEAN Ecoutez mademoiselle Cora, on va pas en faire un fromage. Je ne vous reproche pas d'avoir couché avec moi parce que je ressemble à un salaud, ne venez pas me casser les couilles avec ma mère.

Elle le regarde avec le sourire, presque intimidé.

CORA Est-ce que je t'ai rendu heureux ? JEAN Et moi ? Je vous ai rendue heureuse ?

Cora tire les couvertures sur sa tête, comme une petite fille qui veut disparaître.

CORA Allez, va, tu meurs d'envie de partir et moi je n'aime pas qu'on me regarde le matin.

Il s'assoit sur le lit près d'elle et l'embrasse sur le front.

JEAN Adieu mademoiselle Cora.

Entendant la porte qui claque, Cora se redresse, prend le téléphone et forme un numéro.

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45) APPARTEMENT SALOMON Monsieur Salomon qui s'est endormi sur le canapé du standard est réveillé par la sonnerie.

MONSIEUR SALOMON S.O.S. roi Salomon, je vous écoute.

NB : La suite de la scène se passera en aller - retour entre le standard et l'appartement de Cora.

CORA C'est moi. Tu sais la petite vieille diabétique à qui tu envoies des fruits confits.

Monsieur Salomon est comme paralysé.

CORA Tu ne réponds pas ? J'aime autant... Ça fait des années qu'on ne se parle pas, je suis habituée. (Salomon se tait, le visage de marbre) Ce n'était pas très gentil de m'envoyer ce petit pour me rappeler Maurice. Mais une chose que tu n'as pas calculée : grâce à ce garçon, j'ai rajeuni de 20 ans... Tu m'as fait un beau cadeau... Allo, tu es toujours là ?

Enfin Salomon s'anime.

MONSIEUR SALOMON Un peu que je suis là. Et je resterai là, tant qu'il me plaira. Adieu.

46) GYMNASE Dans le gymnase encore désert, Jean s’acharne sur un sac de sable avec hargne. Monsieur Louis le contemple.

MONSIEUR LOUIS Ça ne va pas mieux dis donc. C'est toujours ton la même femme ?

Jean s'arrête épuisé, en sueur.

JEAN Monsieur Louis... J'ai couché avec une femme qui va sur ses soixante ans.

MONSIEUR LOUIS On commence comme ça et on finit par ne pas aller à la messe.

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JEAN (parle comme au confessionnal) Elle a crié "mon chéri, mon chéri, et moi je l'ai baisé, comme si j'avais été son chéri. Elle m'a dit des mots d'amour. Les filles de mon âge, elles n'osent pas dire des choses comme ça... Et puis elle s’est levée pour aller dans la salle de bain. Et alors j’ai vu, elle n’avait pas teint ses poils parce qu’elle n’y croyait plus...

MONSIEUR LOUIS Pourquoi tu me racontes ça ?

JEAN Il fallait que je raconte à quelqu’un. C’est tombé sur vous.

MONSIEUR LOUIS Moi je ne veux pas entendre des trucs pareils. La boxe, ça me suffit comme coup sur la gueule.

Il s'éloigne en maugréant. Jean se rend au vestiaire, il pêche son portable dans sa poche et il fait un numéro. Il pince son nez pour déformer sa voix.

JEAN (voix nasillarde) Allo... J'appelle pour un conseil... Voilà. Un de mes amis a couché avec une femme qui pourrait être sa mère et il se demande si c'est normal.

47) APPARTEMENT SALOMON, STANDARD Chuck qui l'a évidemment reconnu, met le haut-parleur et fait signe aux autres d'écouter.

CHUCK Je comprends... Votre ami avait une érection ?

La suite de la conversation se passera en allez-retour entre l’appartement Salomon et le vestiaire.

JEAN Qu’est ce que vous croyez ?

CHUCK Alors, ce n’était pas agréable ?

JEAN Si, mais mon ami se demande si c'est normal...

CHUCK La dame a été contente ?

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JEAN La dame contente, mon ami content, est-ce que c’est normal ?

Chuck, Tong et Ginette pouffent de rire.

CHUCK Bon ça va coco, on t'a reconnu. Si tout le monde est content, je ne vois pas de problème.

JEAN Merci pour le conseil, si c'est comme ça que tu fais ton boulot, je comprends qu'il y a des gens qui se suicident.

CHUCK Tu veux un bon conseil ? Ramène tes fesses, mais ne raconte pas ton histoire au vieux. Il a mangé du lion ce matin.

48) APT SALOMON Jean passe par le standard sans un mot et se dirige directement vers l'appartement privé de monsieur Salomon. Il pousse la porte sans frapper.

JEAN Monsieur Salomon, j'aime autant que vous sachiez. J'ai sauté mademoiselle Cora.

MONSIEUR SALOMON Bon, alors vous l’avez... Comme vous dites...

JEAN Sauté...

MONSIEUR SALOMON Je m’en doutais, remarquez, vous avez le genre.

JEAN Ce n’est pas ma spécialité monsieur Salomon.

MONSIEUR SALOMON J’ai voulu simplement dire que je vous remercie, de faire tout ça pour une pauvre vieille... J'espère seulement que vous n'étiez pas trop performant. Vous savez que le bonheur ça peu être fatal à son âge...

JEAN Monsieur Salomon, arrêtez de faire le fierrot. Ça ne vous fait rien ?

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MONSIEUR SALOMON Qu'est ce que vous voulez que ça me fasse ? Vous avez fait une bonne action. Je suis fier de vous...

JEAN Très bien. C'était gentil de penser à moi, mais à partir de maintenant, il faudra vous démerder seul.

Il quitte la pièce, mais monsieur Salomon le rappelle :

MONSIEUR SALOMON Trop facile, vous la séduisez et après vous laissez tomber ? Et la galanterie, tu connais pas ?

Jean revient sur ses pas

JEAN Vous êtes barjo ou quoi ? C'est vous qui m’avez envoyé chez elle... (Il s’emballe de plus en plus) Vous faites chier à la fin, vous régnez avec votre pognon et vous croyez que tout le monde doit vous remercier. Je m'en fous, si vous voulez me virer c'est le moment !

MONSIEUR SALOMON Ça y est, il recommence. Qui parle de vous virer ? Au contraire, j’apprécie votre esprit bénévole et votre franchise, je suis entouré de flagorneurs... J'ai besoin de vous, nous avons des grandes choses à accomplir aujourd'hui.

Chuck, Tong et Ginette qui écoutent dans le couloir se regardent et se replient en vitesse. 49) APPARTEMENT SALOMON, LE STANDARD Quelques minutes plus tard Monsieur Salomon, ganté, chapeauté et sa canne à la main apparaît au standard, suivi de Jean. Les trois bénévoles travaillent, ou font semblant de travailler.

JEAN Monsieur Salomon veut aller rue Saint-Denis.

GINNETTE Pourquoi faire ?

MONSIEUR SALOMON À votre avis ?... Je vais me payer une pute.

Tous se figent. Même Chuck est choqué.

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GINETTE Monsieur Salomon, vous ne devriez pas dire des choses comme ça.

MONSIEUR SALOMON Je souhaite que l’on me conduisasse chez les péripatéticiennes. Ça vous convient mieux comme ça ? Il n'y a pas que Jean qui y a droit.

JEAN Ça va monsieur Salomon, n'en rajoutez pas.

CHUCK Vous ne préférez pas une escorte, on peut en commander une sur Internet.

MONSIEUR SALOMON Non. Je préfère à l’ancienne.

50) TAXI & RUE PUTES Jean conduit, près de lui monsieur Salomon, derrière Chuck et Ginette. Elle pleure en silence. Ils arrivent dans la rue des putes et Salomon fait signe de ralentir pour qu'il puisse choisir. Il pointe une grande blonde, en minijupe et botte de cuir, avec une poitrine impressionnante.

MONSIEUR SALOMON Celle-là. (Jean continue, comme s'il n'avait pas entendu) J’ai dit celle-là.

Jean freine à contrecœur.

JEAN Vous ne voulez pas que j'aille lui parler ?

MONSIEUR SALOMON Et qu’est-ce que vous comptez lui dire ? Que je risque de claquer dans son lit ? Ça va lui donner de l’entrain.

Il les repousse comme des mouches importunes et se dirige d'un pas gaillard vers la belle blonde.

GINETTE Il faut faire quelque chose ! C’est de la non-assistance à personne en danger.

Ils observent là-bas, la fille qui fait un grand sourire à monsieur Salomon et après un bref échange le précède dans l'hôtel voisin.

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CHUCK Vous avez vu ce canon ? Il s'est pas gouré le vieux salaud... Il veut mourir héroïquement sur le champ d'honneur.

Ginette se mouche, l’œil rouge.

GINETTE C’est à cause de Jean qui a couché avec cette Cora.

JEAN À cause de moi ? Ça ne va pas ? CHUCK Te fâches pas coco, tu as le droit de coucher avec qui tu veux, du moment que tu es amoureux...

JEAN Ta gueule Chuck. T'es vraiment le connard qui a tout compris hein ?

51) RUE ET HOTEL DE PASSE Ils attendent dans le taxi en silence, quand ils voient une voiture de médecin urgentiste qui se gare devant l'hôtel. Un jeune type en descend et prend ses effets. Ils n'ont pas besoin d'autres explications. Ils se dépêchent à sa suite. Ils parcourent les étages et les couloirs de l'hôtel de passe, provoquant une certaine panique parmi les clients et finissent par trouver la bonne porte. Monsieur Salomon est étendu sur le lit, la pute blonde lui tient la main et penché sur lui, le médecin écoute son cœur. Ginette pousse un cri.

GINETTE Oh mon dieu, elle nous l'a tué !

Salomon ouvre un œil.

MONSIEUR SALOMON Qu'est-ce qui vous arrive ? Vous êtes obligés de me suivre partout en comité ?

CHUCK Mettez-vous à notre place.

MONSIEUR SALOMON Sûrement pas... Enfin, vous êtes là, je vous présente Anastasia... Anastasia, je vous présente mes amis. Ginette, Jean et Chuck.

Le médecin finit de prendre sa tension.

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LE MEDECIN Tout va bien, mais si vous me permettez, vous n'êtes plus un jeune homme. Vous ne devriez pas défier la nature.

MONSIEUR SALOMON Pourquoi ? Il y a assez longtemps qu’on se laisse faire part la nature. J'emmerde la nature, la biologie et celui qui les a inventées.

LE MEDECIN Râlez si ça vous soulage, mais vous ne devez plus faire d'effort violent.

Salomon hausse les épaules.

MONSIEUR SALOMON Et vous, il faudra me soigner ce foie.

LE MEDECIN Mon foie ? Qu’est ce que vous en savez ?

MONSIEUR SALOMON Bah, j’en ai enterré, des médecins.

52) RUE & IMMEUBLE SALOMON Tapu qui fume une cigarette devant l'immeuble voit le taxi qui se gare. Chuck et Jean aident monsieur Salomon à descendre de la voiture, tandis que Ginette court pour appeler l'ascenseur en pleurant.

TAPU Qu'est-ce qui vous arrive ? Un infarctus ?

MONSIEUR SALOMON Ne vous réjouissez pas trop vite, monsieur Tapu. Je suis encore là pour un bon bout de temps.

53) APPARTEMENT SALOMON Ginette et Jean viennent de mettre Salomon au lit. Ginette pleure.

MONSIEUR SALOMON Allons Ginette. Je n'ai pas traversé la guerre et l'occupation pour me laisser faire par un infarctus. GINETTE Je vais vous préparer une camomille.

Tout agitée, elle disparaît. Salomon envoie un clin d’œil complice à Jean.

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MONSIEUR SALOMON Elle est folle de moi. JEAN Bien sûr, comme cette Anastasia ou celle qui veut que vous portiez une ceinture de flanelle, ou la Fanny...

MONSIEUR SALOMON Je vous pardonne vos sarcasmes, vous êtes fatigué, vous avez eu une nuit difficile...

JEAN Ça va comme ça, monsieur Salomon, n'en rajoutez pas.

Monsieur Salomon se tait.

54) RUE DEVANT CINEMA Jean roule sans but dans les rues de Paris. Il se gare face au cinéma et planqué dans la pénombre il observe Aline dans sa caisse qui vend les billets comme une automate. Il fait un numéro sur téléphone portable. Là-bas, elle regarde l’écran de son portable, mais ne décroche pas. Jean repart. Aline l'a vu. Elle forme un numéro sur son portable à son tour.

ALINE (au téléphone) Excusez-moi, mais je savais que vous veillez la nuit... Je suis l’amie de Jean. Vous savez, j'ai appelé il y a quelques jours et vous m'avez conseillé de cueillir les roses de la vie. C'est vrai qu'il travaille avec vous ?

55) APPARTEMENT SALOMON Monsieur Salomon est au standard en robe de chambre.

MONSIEUR SALOMON En effet et je crois pouvoir dire que je m'honore de son amitié. Il me parle souvent de vous.

La suite de la conversation se passera en aller-retour entre le standard de SOS bénévoles et le cinéma.

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ALINE Il est venu me voir, mais il était ivre, lui qui ne boit jamais. Et le soir, il vient ici, au cinéma, il s'arrête, regarde, essuie une larme et il repart.

MONSIEUR SALOMON Il joue les gros bras, mais c'est un garçon très sensible. Par exemple, il s'occupe très bien de nos petites vieilles, prêt à payer de sa personne.

ALINE Au lieu de s'occuper de moi !

MONSIEUR SALOMON Nous avons tous nos regrets... Je vous ai peut-être donné un mauvais conseil, si je l’avais connu, comme je le connais maintenant, je vous aurais probablement dit de surtout ne pas le lâcher.

56) VILLA NEUILLY Jean est pelotonné sur son matelas, sous la couverture. Chuck lui amène un plateau avec le petit déjeuner.

CHUCK Allez, vieux, profites, je ne ferai pas le room service tous les jours.

JEAN (tire la couverture sur sa tête) Fous-moi la paix. J’ai envie de dormir.

Chuck s’assoit près de lui.

CHUCK Ce n’est pas la peine d’en faire un drame coco, tu l’as baisé, elle ne va pas en crever... A partir du moment où tu avais envie d’elle...

JEAN Arrête tes conneries. J'ai pas envie de faire du mal à un oiseau mazouté.

CHUCK Eh bien tout ce que tu as à faire c’est de sortir ça du plan sexuel. Tu vas la voir de temps en temps, tu lui prends la main et tu la regardes avec tes grands yeux. Et la prochaine fois que ça te prend va dans la rue et jette des miettes aux moineaux.

JEAN Des fois j’ai envie de te casser la gueule Chuck...

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CHUCK Tu as attrapé le virus de Salomon. Moi aussi, ce n’est pas une raison pour rester couché toute la journée.

JEAN Tu ne comprends pas, il a tout calculé, mais ça n'a pas tourné comme il voulait et ils sont malheureux tous les deux maintenant et je ne supporte pas les vieux qui souffrent.

TONG Eh ben mon vieux, t'es pas sorti de l’auberge.

On entend le téléphone qui sonne et Chuck court pour décrocher. On l'entend crier d'en bas.

CHUCK C’est pour toi... Quand on parle du loup...

Jean s’extirpe péniblement de son lit et prend le combiné.

JEAN Monsieur Salomon, excusez-moi, mais j’ai la fièvre, je prends ma journée...

57) APPARTEMENT SALOMON Monsieur Salomon est au standard.