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1 Présentation du Séminaire VI par Jacques-Alain Miller Voici un livre qui, dans l’édition que je viens de me procurer, compte 600 pages et se découpe en 24 chapitres. Cette épaisseur rend difficile de le résumer d’autant que tout son prix réside dans des analyses de détails. De plus ce livre, comme d’autres livres du séminaire, n’est pas un traité. Il ne constitue pas l’exposé d’une conception achevée. Ce n’est pas un texte dont la fin serait contemporaine du commencement. C’est un texte qui demande à être lu en tenant compte de son étoffe temporelle qui est faite d’une succession de prises de parole hebdomadaires sur toute une année universitaire. Il y a donc, d’une leçon à l’autre, des avancées, des corrections, des changements de perspective qui demandent à être relevés, notés, précisés à chaque fois. Et il y a des formules de Lacan parfois tranchantes qui paraissent définitives et qui ne seront plus reprises par lui ni dans un séminaire ni dans un écrit. Il s’agit donc de savoir, à chaque fois pour qui lit, si ce qui est lu est une pépite, un terme qu’il vaut de relever et de propager, de développer, ou si, au contraire, c’est un à- côté, un glissement qui est ensuite corrigé. Et en feuilletant une fois de plus, de nouveau, ce séminaire, cette fois-ci sous forme de livre, je me suis aperçu à quel point la question pouvait se poser pour de nombreuses phrases y compris pour des mots. Quand Lacan définit ici ou là un terme d’une façon qui restera unique, faut-il l’accentuer dans notre réflexion ? Est-ce que cela doit être repris

S6_Présentation Du Séminaire VI

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    Prsentation du Sminaire VI

    par Jacques-Alain Miller

    Voici un livre qui, dans ldition que je viens de me procurer, compte 600 pages et se dcoupe en 24 chapitres. Cette paisseur rend difficile de le rsumer dautant que tout son prix rside dans des analyses de dtails. De plus ce livre, comme dautres livres du sminaire, nest pas un trait. Il ne constitue pas lexpos dune conception acheve. Ce nest pas un texte dont la fin serait contemporaine du commencement. Cest un texte qui demande tre lu en tenant compte de son toffe temporelle qui est faite dune succession de prises de parole hebdomadaires sur toute une anne universitaire. Il y a donc, dune leon lautre, des avances, des corrections, des changements de perspective qui demandent tre relevs, nots, prciss chaque fois. Et il y a des formules de Lacan parfois tranchantes qui paraissent dfinitives et qui ne seront plus reprises par lui ni dans un sminaire ni dans un crit. Il sagit donc de savoir, chaque fois pour qui lit, si ce qui est lu est une ppite, un terme quil vaut de relever et de propager, de dvelopper, ou si, au contraire, cest un -ct, un glissement qui est ensuite corrig. Et en feuilletant une fois de plus, de nouveau, ce sminaire, cette fois-ci sous forme de livre, je me suis aperu quel point la question pouvait se poser pour de nombreuses phrases y compris pour des mots. Quand Lacan dfinit ici ou l un terme dune faon qui restera unique, faut-il laccentuer dans notre rflexion ? Est-ce que cela doit tre repris

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    parce que Lacan aurait l dvoil un aspect mconnu ou est-ce quil sagit dun glissement, dune drive qui ensuite est corrige ? Et lexercice de lecture dun sminaire, pour qui le lit, pour qui le rdige - layant rdig je suis aussi et encore le lire - cest de savoir dune fois sur lautre que la perspective se transforme, se dplace et que des corrections, le plus souvent tacites, sont opres. Alors ici, dans cette masse de signifiants, je vais tirer un fil, un seul. Cest un fil qui, au dbut du sminaire, est trs mince. Au dbut du sminaire, ce fil est perdu dans un cheveau mais, au fur et mesure que progresse llaboration, ce fil spaissit et, finalement, devient une corde quon ne peut plus mconnatre. Plus personne ne peut le mconnatre. Ce fil cest celui du fantasme. Ce sminaire sintitule Le dsir et son interprtation et cest en effet dans la question de linterprtation du dsir quil prend son dpart et au fur et mesure que le sminaire progresse, il se rvle autre. Il se transforme de faon continue. Comme on voit dans les figures topologiques, il change de forme sans se dchirer. Et la fin, il dlivre une configuration sensiblement diffrente, trs diffrente mme, de ce quelle est au dbut. On ne connat pas de livre de ce genre. En tout cas pour le moment je nen vois pas de comparable. On en a dautres comparables dans le sminaire de Lacan, mais ce livre est tout de mme une sorte de livre trs spcial. Pour aller vite je dirais que ce sminaire contient, labore, la premire logique du fantasme que Lacan a construite. Il y aura plus tard le Sminaire XIV qui portera ce titre de La logique du fantasme. Cette seconde logique du fantasme, la vraie si on veut, sera adosse cet article de Lacan qui, je dois le supposer, a t tudi par beaucoup ici et qui sappelle Position de linconscient et que Lacan a comment dans son Sminaire XI, Les Quatre concepts fondamentaux partir du couple de lalination et de la sparation. Dans une note de ldition des crits, Lacan signale que cet crit Position de linconscient constitue le complment et presque le redpart de ce quil avait ouvert avec son texte inaugural Fonction et champ de la parole et du langage . Je mtais jadis interrog sur la valeur minente que Lacan donnait ce texte qui sest trouv rdig au moment o il prononait son Sminaire XI et quil a, dans le cours de ce sminaire, inclus dans ses commentaires. Le Sminaire VI comme premire logique du fantasme reste dans le fil de Fonction et champ de la parole et du langage et il se centre progressivement sur la formule que Lacan donne du fantasme $ a. Cela scrit S majuscule avec une barre, ce que nous appelons le poinon, cest un losange, et le petit a qui est un a minuscule en italique. Nous pouvons demble complter le mot de fantasme par un adjectif qui vient sa place essentiellement au chapitre XX, page 434, ladjectif fondamental . Et cette expression a dj, quand Lacan la profre dans son chapitre XX, figur sous sa plume en particulier dans lcrit qui prcde exactement le sminaire VI savoir La direction de la cure . Mais La direction de la cure est un rapport qui a t dlivr en juillet de lanne 58 et Lacan commence son Sminaire VI en novembre de la mme anne. Le Sminaire VI prolonge donc le thme de La direction de la cure . Il prolonge en particulier la conclusion du texte qui porte prcisment sur linterprtation du dsir. Donc cest dans ce fil que ce Sminaire VI sinaugure. Ce qui est affirm

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    la fin de lcrit est problmatis au dbut du sminaire VI qui prend la suite. Lacan conclut son article et, dans le fil-mme, il rouvre la question et prcisment la dplace. Et dans La direction de la cure on trouve, deux fois lexpression dj du fantasme fondamental qui na pas encore dans cet crit-mme de prcision. On trouve cette prcision seulement dans le sminaire VI. Lexpression le fantasme fondamental ma paru mrit dtre porte en titre de ce chapitre XX et le fantasme fondamental ne se dit quau singulier. Chez Lacan il nest pas monnay sous la forme des fantasmes fondamentaux mais quand il apparat dans son discours cest port au singulier. En quoi est-il fondamental ? Cest une question que jadis je mtais pose et que nous nous tions pose dans un certain cercle et nous ne disposions pas dun texte ce moment-l qui nous permettait de trancher sur la valeur donner cet adjectif fondamental. En quoi est-il fondamental ? Je crois quon peut maintenant apporter cette rponse : en ce quil est minimal, cest--dire quil scrit avec les deux termes de la formule et la relation double entre qui lie les deux termes. Cette relation est double entre puisquelle peut se lire dans un sens et dans lautre. Ces deux termes et la relation double entre qui les lie sont senss donner la structure minimale du fantasme. Il me semble quon peut dire que cest une structure minimale du fantasme au sens o plus tard Lacan donnera la structure minimale de la chane signifiante en crivant S1-S2. Il est dautant plus justifi de rapprocher ces deux structures minimales que plus tard Lacan les regroupera, les articulera dans la formule du discours du matre, point de dpart, canevas, du quatuor de ces discours. Avant mme lcriture mmorable de ce discours du matre on trouve dj, ds Le Sminaire XI, adjoints ces deux couples de termes minimes. Dans cette mme page 434, Lacan prsente cette formule minimale comme la forme vraie de la prtendue relation dobjet et l, ce nest pas un hapax, ce nest pas dit une seule fois mais plusieurs fois au cours de ce sminaire. La vritable relation dobjet qui a fait le thme du sminaire IV de Lacan, la vritable relation dobjet se trouve au niveau du fantasme. Cest une assertion quon ne devrait pas admettre comme venant de soi. Elle veut dire, au sens de Lacan, que la relation dobjet ne se situe pas au niveau de la pulsion. Pourquoi ? Pourquoi, au fond, cette date, ny a-t-il pas proprement parler chez Lacan, me semble-t-il, lobjet pulsionnel ? Cest qu cette date, dans llaboration de Lacan, la pulsion a le statut dune demande et dune demande dautant plus imprative quelle est inconsciente. Comme demande, elle nest pas attache des objets mais des signifiants. Il y a parfois sur ce point des variations de Lacan mais je crois pourvoir dire que la pulsion dans le sminaire VI comme dans La direction de la cure , dsigne un rapport inconscient au signifiant et non pas lobjet. Le rapport lobjet se situe au niveau non pas de la pulsion mais du dsir et ce par lintermdiaire du fantasme. Cest ainsi que, dans son graphe, Lacan fait de la pulsion le vocabulaire ou plus prcisment le code, cest le terme quil emploie lpoque, de la demande inconsciente, crit $ D, tandis que le fantasme scrit $ a, a tant lobjet. Autrement dit et curieusement pour ceux qui suivent le cours de lenseignement de Lacan et sont parfois entrs dans lenseignement de Lacan par son dernier enseignement, avec la pulsion telle quelle est quand on lit le sminaire VI, on ne sort pas du signifiant. Cest

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    seulement avec le dsir quon a un rapport lobjet par le biais du fantasme. Et dune certaine faon je crois que tant que Lacan nadmettra dobjets quimaginaires, il ny aura dobjet proprement parler, que dans le fantasme. La page ne se tourne qu la fin du sminaire VI. En mme tant que la page se tourne Lacan laisse de ct son graphe deux tages qui suppose cet cart entre pulsion et fantasme. Tant que Lacan nadmettra dobjets quimaginaires, tant quil nadmettra dobjets que procdant du stade du miroir, tant quil nadmettra dobjets que drivs de limage de lautre cest--dire de limage du corps propre, lobjet est celui du fantasme. Donc la difficult pour ceux qui liront le sminaire VI alors quils sont forms par lenseignement postrieur de Lacan cest de se mettre en position de lecture et dtude qui comporte que ce sminaire slabore dans lcart entre pulsion et fantasme et mme dans un cart si grand que le fantasme clipse la pulsion. Cest seulement la fin que Lacan donne une sorte de coup de barre par un mouvement brusque qui se produit vers le chapitre 22. Dans le fil on commence voir la pulsion reprendre ses droits et tre voqu un statut de lobjet qui soit rel, de lobjet comme rel. Et cela restera si peu assur que, encore dans son Sminaire XIV La logique du fantasme ou peut tre est-ce Lobjet de la psychanalyse, je nai pas eu le temps de vrifier, Lacan surprendra son auditoire en disant le statut de lobjet a cest un statut de rel et cela figure si lon veut dans ces quelques lignes du sminaire VI. Au fond, ce revirement est tel quil na pas t enregistr par lauditoire de Lacan et que lui-mme ne la pas consolid tant sa conception de lobjet des annes durant est reste enracine dans limaginaire et prcisment dans la relation spculaire, dans le stade du miroir, dans la relation du moi et du petit autre. Ce quon peut noter de ce revirement ne sera donc dploy et sanctionn que des annes plus tard. videmment, je vous ramne une autre poque c'est--dire au fondement mme des discours que nous tenons. Je ne sais pas si jexagre en disant que le terme de fantasme, par exemple, dans le colloque que nous avons tenu, le terme de fantasme, qui aurait pu tre appel par beaucoup des vocations cliniques qui ont t fates le terme de fantasme est, au contraire, presque, on aurait pu le croire, tomb en dsutude. Cest dire quil ne faut pas lire seulement ce sminaire comme le tmoignage dune poque passe et quil faut peut-tre retrouver certains des fondements de notre propre abord dans ce sminaire. On trouverait redonner parfois des couleurs ou de la prcision nos vocations cliniques daujourdhui. Il est certain que, pour ce que jai entendu des dbats qui ont eu lieu sur le genre et les aspirations des sujets au changement dont Franois Ansermet notait juste titre quau fond il y a certitude - en effet il y a, si je puis dire 50 nuances de certitude pour reprendre le titre dun roman - il est certain que pour prciser ces nuances, se rfrer au fantasme serait de la plus grande utilit pour la prcision de nos constructions. Cest par un mouvement inverse que, plus tard, la pulsion retrouvera sa place et sadjointera au fantasme, que lobjet sera reconnu comme tant du registre du rel et que dans le dernier enseignement de Lacan fantasme et pulsion seront confondus dans le sinthome comme mode de jouir. Autrement dit le ballet que jesquisse entre fantasme et pulsion est de grand avenir dans lenseignement de Lacan jusquau

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    point o les deux termes vont trouver se confondre dans lusage que Lacan fera du terme de sinthome. Donc quand on sest introduit Lacan par son dernier enseignement, il faut un effort pour accommoder la vue sur le sminaire VI et pour pouvoir tre enseign par la perspective quil propose sur lexprience du dsir. Lexprience du dsir cest un terme que Lacan emploie dans le sminaire. Pour ne pas le laisser dans le vague jen donnerai un premier exemple. Le premier exemple, ce serait le recours que le sujet fait au fantasme quand il a affaire lopacit du dsir du grand Autre -et que cette opacit, son illisibilit a pour effet lHilflosigkeit freudienne, la dtresse du sujet. Cest alors que le sujet a recours au fantasme comme une dfense. Ce nest dit quune fois dans le sminaire par Lacan mais cest une fois quil faut relever. Le sujet a recours au fantasme comme une dfense c'est--dire quil puise dans les ressources du stade du miroir qui lui offre toute une gamme de postures, du triomphe la soumission, et cest alors, dit Lacan page 29, que le sujet se dfend avec son moi. Cest une telle exprience qui permet de parler de lusage du fantasme que nous avons repris par la suite. Il faut voir que cela senracine exactement dans ce point : lusage du fantasme comme une dfense en face de lopacit de lAutre et cette exprience permet de parler de lusage du fantasme parce quil est instrumentalis proprement parler afin de parer la dtresse. Ce que Lacan appelle dans ce sminaire lexprience du traumatisme reste marqu du recours au fantasme. Christiane Alberti et Marie-Hlne Brousse ont donn dans les documents quelles ont diffuss pour prparer les prochaines Journes de lECF sur le thme du traumatisme, les rfrences au traumatisme dans le sminaire VI. Ayant ce moment-l ce sminaire sur mon ordinateur, tous les chapitres joints, je nai eu qu menqurir grce lordinateur du mot traumatisme ou trauma et jai pu leur communiquer toutes les occurrences. On peut donc compter que dans les Journes, il y a assez de temps entre maintenant et les Journes de lECF pour que ceux qui y participeront aient le temps de lire le sminaire VI et nomettent pas, sagissant du traumatisme, de donner sa place lusage du fantasme et, en particulier, lusage du fantasme comme dfense. On me dit que les 500 exemplaires qui avaient t en primeur apports ici, puisque pour linstant aucune librairie en France ne les a encore, ces 500 exemplaires ont t vendus. On peut compter que lintrt sera maintenu pour les constructions de Lacan des poques antrieures parce que, au fond, les nouvelles constructions de Lacan nannulent pas les anciennes, elles les prolongent. Mais parfois les nouvelles perspectives effacent des reliefs que les anciennes mettaient en vidence et je crois que concernant le fantasme cest le cas. Bien que le fantasme ait t relanc par le sminaire XIV qui est La logique du fantasme, cest un terme, je crois que notre colloque est probant l-dessus, cest un terme qui est un peu tomb en dsutude et qui va retrouver des couleurs aprs ltude de ce sminaire et, en tout cas, aprs le fil que je propose. Je rapprocherai ce passage de la page 29 dun autre de la page 108 o Lacan isole ce quil appelle le point panique du sujet. L le terme de point nest pas ngation. Le point signale ce quon obtient normalement en coupant deux lignes Ce point panique du sujet est celui, dit-il, o le sujet sefface derrire un

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    signifiant. Il ne faut pas entendre par cet effacement que le sujet est identifi mais quil est comme gomm : cest le point o il ne peut plus rien dire de lui-mme, o il est rduit au silence et cest alors quil se raccroche lobjet du dsir. Cest la mme logique du fantasme qui opre au niveau de linconscient o le sujet na pas la possibilit de se dsigner lui-mme, o il est affront labsence de son nom de sujet. Cest alors au fantasme quil a recours et cest dans son rapport lobjet du dsir que rside la vrit de son tre. Ce que le sminaire VI explore, cest un champ peu explor, qui se trouve au-del du signifiant et qui est dsign comme celui du fantasme. Il est articul dit Lacan partir dune conciliation entre le symbolique et limaginaire. Cette conciliation est mise en vidence dans lcriture mme $ a. Lobjet a vient de limaginaire, il est emprunt au stade du miroir, au miroitement de la relation spculaire tandis que le sujet S barr est le sujet du signifiant, le sujet de la parole. Les deux lments de Lacan donc ici se trouvent concilis. On sait que Lacan donnera plus tard dans le sminaire IX sur lidentification une articulation topologique de cet adjointement de deux lments htrognes. Mais on peut dire que, par rfrence lenseignement postrieur de Lacan, ce champ du fantasme fonctionne comme un rel. Ce terme de rel va simposer progressivement dans la dernire partie du sminaire. Il en est manifestement ainsi dans la 1re partie du sminaire essentiellement consacre lanalyse du rve fameux du pre mort. Je vous rappelle le texte de ce rve, que Freud a inclus dabord dans sa Formulation sur les deux principes et quil a intgr ensuite La science des rves. Le pre est encore en vie, il parle son fils qui est le rveur. Le fils a le sentiment douloureux que son pre est dj mort mais que le pre nen sait rien. Lacan dtaille, y compris sur son graphe, comment Freud traite le rve par le signifiant et linterprte en restituant les clausules quil estime tre lides par le texte du rve et en particulier le fameux selon son vu . Il y a le traitement de ce rve par Freud que Lacan reprend et le traitement de ce rve par Lacan. Lacan traite essentiellement ce rve par lobjet et non pas par le signifiant et traitant le rve par lobjet, vous le verrez en particulier page 75, il implique le fantasme dans le rve. Il pose la question : cette confrontation du pre et du fils, cette scne structure, ce scnario, quest-ce que cest ? Est-ce un fantasme ? Dautres questions sont poses mais une rponse vient, dite une fois par Lacan, que cest effectivement un fantasme. Il nonce ici que nous nous trouvons devant un fantasme de rve. Lacan est donc amen, dans linterprtation du rver, non pas procder lanalyse signifiante mais assumer la reprsentation imaginaire quoffre le rve et la qualifier de fantasme, une catgorie de fantasme qui est le fantasme de rve. Il admet quun fantasme est pass dans le rve. Cela fait sens prcisment parce que nous sommes au niveau des reprsentations imaginaires au point que Lacan peut dire que ce fantasme peut garder la mme structure et la mme signification dans un autre contexte quil ne soit plus de Verneinung mais de Verwerfung, quil ne soit plus de dngation mais de forclusion, quil ne soit plus de rve mais de psychose. Autrement dit on a ici le dbut dune gradation, dun nuancier du fantasme o vous avez le fantasme de rve mais vous avez aussi le fantasme de psychose. Mutatis mudandis il en donne lexemple saisissant : ce sera dans la psychose le sentiment dtre avec

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    quelquun qui est mort mais qui ne le sait pas. Autrement dit l, lunit fantasme peut se dplacer du rve la psychose. Il ajoute mme quaprs tout on peut avoir cela aussi dans la vie quotidienne quand on frquente des gens momifis et quon a le sentiment quils ne le savent pas mais quils sont dj bout. On peut penser que l il a en tte ceux qui sont alors ses adversaires dans la psychanalyse. La conclusion de linterprtation freudienne cest que ce rve est manifestement un rve dipien et que le vu dernier dun rve dipien est en rapport au pre, cest le vu de la castration du pre. Eh bien pas du tout ! Cette conclusion-l nest pas celle de Lacan puisquil considre que le fantasme conu comme la rponse dernire au point panique va au-del du vu dipien. On voit que lOedipe est encore dans le champ du signifiant et que Lacan pense quavec le fantasme on touche au-del de ce quil en est mme de ldipe. Il le dit : le fantasme ici va bien au-del du vu dipien. Vous lisez cela page 118. Plus essentielle, plus profonde que la souffrance du fils, il y a son affrontement limage du pre comme le rival comme fixation imaginaire. Autrement dit linterprtation dernire pointe le fantasme, pointe la prsence irrductible de limage. On peut dire que cette fonction de reste est justement lindice de rel dont est affecte cette image. Il y a toujours chez un sujet un point panique, peut-on dire, pour autant quil y a dans le rapport du sujet au signifiant une impasse essentielle qui fait, l je cite Lacan, quil ny a pas dautre signe du sujet que le signe de son abolition de sujet et cest pourquoi il saccroche lobjet imaginaire. La seconde partie du sminaire est constitue par la reprise dun rve analys par la psychanalyste anglaise Ella Sharpe. Vous y retrouvez une dialectique entre le rve et le fantasme. Je rappelle lpisode qui prcde lanalyse du rve et la communication du rve lanalyste : le sujet a lhabitude, depuis quelques temps, de tousser avant dentrer dans le cabinet de lanalyste. Je renvoie aux pages 181-182. Le sujet rapporte un fantasme quil a eu et Lacan valide en effet que cest un fantasme. Ce quil sagit danalyser, dit-il, cest le fantasme, et sans le comprendre, cest--dire en y retrouvant la structure quil rvle. Dans le chapitre X Lacan procde une consultation mthodique du fantasme et du rve et il trouve entre fantasme et rve, pages 211-212, une structure symtrique et inverse. Cette dialectique du fantasme et du rve est dautant plus prgnante que, page 269, il note quon peut distinguer le niveau du fantasme et celui du rve. On peut aussi dire quil y a fantasme des deux cts, les fantasmes du rve et ceux du rve veill . Autrement dit lexpression fantasme de rve se retrouve l pour la seconde fois dans le sminaire et cest ce que je vous invite retrouver dans la lecture. Cette dialectique du rve et du fantasme fait des analyses de rve quon trouve dans ce sminaire la spcificit qui les dcale tout fait de celles quon trouve, par exemple, dans le sminaire V. Loriginalit de ces interprtations de rve est quelles impliquent le fantasme et cette catgorie singulire du fantasme quest le fantasme de rve. On voit ici comme un dynamisme de la catgorie du fantasme : ds quil y a reprsentation il y a fantasme et, dans la mme ligne, on pourrait dire que le rve est fantasme. Lacan ira plus loin encore jusqu dire que la ralit est fantasme. Cette catgorie a un grand dynamisme et notre usage nexploite pas sa vitalit propre, sa vitalit conceptuelle propre, qui est ici tout fait en vidence. Notez page

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    274-275 que le dernier mot de linterprtation du rve que Lacan propose porte sur le rve du patient dElla Sharpe. Ella Sharpe a analys trs compltement ce rve, et Lacan le surinterprte. La surinterprtation lacanienne de ce rve est un fantasme et cest sur un fantasme que se termine cette partie, pages 274-275.

    Hamlet, sept leons, que je ne vais pas reprendre. Il est clair qu cette occasion Lacan largit le concept de lobjet a au-del de lautre imaginaire, quil admet que toute une chane, tout un scnario peut sinscrire dans le fantasme et il reconnat en mme temps lobjet comme tant llment structural des perversions ce qui ouvre sur la distinction clinique entre le fantasme dans la nvrose et dans la perversion, page 373. Le critre que Lacan met en avant, cest le temps. Le fantasme de la perversion est hors temps, disons en simplifiant, et le fantasme de la nvrose est, au contraire, sous-tendu par le rapport du sujet au temps, lobjet se chargeant dans ce cas de la signification de lheure de vrit. Cest ce qui apparat dans le phnomne bien connu de la procrastination dHamlet. Dans Hamlet et travers les leons dHamlet, le fantasme est indiqu comme le terme de la question du sujet comme le lieu o la question du sujet sur son dsir trouve sa rponse cest--dire comme le nec plus ultra du dsir. Et cest l que Lacan dtermine le lieu o pour lui se jouera la fin de lanalyse quand il dfinira la passe. Il y a un certain paradoxe ce que, dans notre clinique, le terme de fantasme se soit trouv en quelque sorte effac alors quon se passionne dans le mme temps pour identifier et cerner la fin de lanalyse comme si, par un clivage, on rservait la question du fantasme la fin de lanalyse et quon loblitrait du ct de la clinique. Cest le lieu o se jouera pour Lacan la fin de lanalyse quand il dfinira la passe comme la solution limpasse essentielle du sujet dans son rapport au signifiant. Dans Hamlet vous verrez aussi le fantasme jouer un rle essentiel. Il y a deux personnages qui viennent jouer le rle de lobjet a, le personnage attendu, Ophlie, objet sublime du dsir, qui se trouve ensuite par une oscillation objet dchu, mais aussi Larte, son frre. Lacan accentue, ponctue le moment o ce frre ayant saut dans la tombe creuse de sa sur, est rejoint par Hamlet et qui saffronte ici comme son double ce personnage. Autrement dit, il faut relire les sept leons dHamlet qui sont encadres par ces deux mergences essentielles du fantasme. La dernire partie qui comporte huit chapitres nous permet de saisir ce qui a ici men Lacan. Il explique en effet dans ce chapitre XX qui est le premier de cette dernire partie, celui du fantasme fondamental, que cest une limite de linterprtation telle que lui-mme lavait pose en conclusion dans son article sur La direction de la cure savoir je le cite Tout exercice dinterprtation a un caractre de renvoi de voeu en voeu . Nous avons une succession de dsir et cest ce qui est rest des analyses, par exemple, sur le rve de la Belle Bouchre, etc cest prcisment leffet de renvoi indfini du dsir. La reprise dans le sminaire VI, cest la reprise de la question de savoir comment interprter le dsir si le dsir est essentiellement mtonymique. Or ce qui tait pos dans lcrit de La direction de la cure , qui est celui sur lequel Lacan a branch son sminaire, cest en fait que le dsir navait pas proprement parler dobjet. Le dsir tel quil figure dans La direction de la cure , tel quil constitue mme la cinquime et dernire partie de cet article, ce

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    dsir, au fond, est dfini et l cest une citation, il est dfini comme mtonymie du manque tre. Avant le sminaire VI le dsir tait prcisment pos comme absolument insubstantiel mais en tant que la rpercussion dun manque. Cest pourquoi Lacan avait fix cette image du Saint-Jean de Lonard souvent commente, le doigt lev vers toujours ailleurs. Ceci nous arrtait sur une dfinition de linterprtation, quinterprter cest faire signe vers ailleurs et que donc lallusion est le mode nonciatif privilgi de linterprtation. Cest prcisment ce que Le Sminaire Le dsir et son interprtation est fait pour rebuter et contester en posant au contraire que le dsir implique un rapport lobjet par le biais du fantasme et quil est possible dans ce sminaire, dinterprter le fantasme. Cest mme que le fantasme est lui-mme linterprtation du dsir condition de partir de la diachronie du dsir, de la succession, tout en ramassant dans la synchronie et cest la valeur de la formule $ D. Lacan propose ces deux registres, la diachronie et la synchronie. On voit bien quil a privilgi laspect mtonymique du dsir mais il le complte de la synchronie qui est articule dans le rapport du sujet barr et de lobjet a. Et donc, si je vous renvoie la page 446, vous y trouverez la logique du fantasme telle quelle est dploye et articule dans ce sminaire. Premirement, le sujet rencontre dans lAutre un vide articul. Ce vide, cest celui qui est dfini par la ngation, il ny a pas dAutre de lAutre, qui dment une catgorie qui avait t cre dans le Sminaire V, et laisse le sujet sans repre de nomination. Deuximement, le sujet fait alors venir du registre imaginaire cest lusage, linstrumentation de limaginaire il fait venir du registre imaginaire une partie de lui-mme engage dans la relation imaginaire, dans la relation spculaire au petit autre. Troisimement, cet objet a une fonction de supplance par rapport la carence essentielle du signifiant. Cest alors que Lacan sintresse ce qui est proprement la structure du sujet et la trouve dans lintervalle de la chane signifiante, dans la coupure et la coupure sera au fond le dernier mot de ce sminaire. Mais ce qui est et qui doit crer une surprise quelquun qui a saisi la cohrence de la construction de Lacan jusqualors, cest quau chapitre XXII, quand Lacan questionne nouveau ce quil en est de lhomme objet qui correspond un sujet coupure, il fait venir lobjet prgnital qui a t de tout le sminaire tout fait absent du registre fantasmatique. Lobjet prgnital, dans tout le sminaire, a t abandonn la pulsion et considr essentiellement comme un signifiant. Il se retrouve ici impliqu dans le fantasme en tant quobjet de coupure et cest l un coup de barre sensationnel que Lacan donne lorientation du sminaire comme si de rien ntait. On dcouvre que cet objet a nest pas seulement enracin dans limaginaire mais que cest aussi bien le sein partir du sevrage en tant quobjet de coupure, cest aussi bien lexcrment qui est ject et coup du corps et Lacan y ajoute la voix, et spcialement la voix interrompue et tous les objets de structure phallique qui sont impliques dans la structure de coupure par la mutilation et par la stigmatisation. Et donc de faon surprenante, avec un effet de coupure pour le coup, la fin, au chapitre XXII, nous voyons revenir le rel puisque les objets prgnitaux qui sont ici les objets du fantasme, Lacan pose la question de savoir que sont ici ces objets prgnitaux qui sont les objets du fantasme si ce nest des objets rels. Et voil

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    dun coup une nouvelle orientation prise et il signale que ce sont des objets rels qui sont dans un rapport troit avec la pulsion vitale du sujet. Il ne reviendra pas l-dessus mais cest dj ici que sintroduit la fonction de la jouissance qui prpare la fonction dont Lacan rendra compte de la construction de ce sminaire deux ans plus tard quand il posera que le je inconscient est au niveau de la jouissance. A partir de l Lacan tudie, avec une prcision clinique qui na pas dquivalent ailleurs, le fantasme pervers dans le passage lacte de lexhibitionniste et du voyeuriste et le compare avec ce qui est le fantasme dans la nvrose. Le dernier mot du sminaire, cest la coupure qui serait, dit Lacan, sans doute le mode le plus efficace de linterprtation condition quelle ne soit pas mcanique. Cest aussi la coupure qui fait le joint entre le symbolique et le rel, comme au dbut du sminaire cest au fantasme qutait dvolu de faire le joint entre le symbolique et limaginaire. Cest pour Lacan renouer avec le dbut de son enseignement, avec le sminaire consacr Lau-del du principe du plaisir et la structure de la chane signifiante o dj il mergeait que le symbolique trouve son fondement dans la coupure. Simultanment la fin du sminaire du dsir ouvre sur celui de lthique de la psychanalyse qui prendra son dpart de linstant du rel. Ce sera aussi un sminaire qui tiendra pour acquis le joint fait entre fantasme et pulsion, condition pour que puisse merger en tant que telle linstance de la jouissance. Je terminerai en lisant un passage du dernier chapitre du sminaire du dsir qui consonne trangement avec ce qui se produit sous nos yeux cette anne savoir le remaniement des conformismes voire leur clatement. Cest pourquoi il ne ma pas paru excessif en prsentant ce sminaire dcrire que ce sminaire loign dans le temps dun demi sicle nanmoins parlait de nous aujourdhui. Voil lextrait que je vais lire pour conclure cette prsentation du sminaire VI dans ce cadre o jai pens parler des lecteurs de Lacan. Page 569 : Ces normes sociales, sil est une exprience qui doive nous apprendre combien elles sont problmatiques, combien elles doivent tre interroges, combien leur dtermination se situe ailleurs que dans leur fonction dadaptation, cest bien celle de lanalyse. Dans cette exprience du sujet logique qui est la ntre, une dimension se dcouvre nous, qui est toujours latente, mais aussi toujours prsente, sous toute relation intersubjective. Cette dimension, celle du dsir, se trouve dans un rapport d'interaction, d'change, avec tout ce qui, de l, se cristallise dans la structure sociale. Si nous savons en tenir compte, nous devons arriver peu prs la conception suivante. Ce que je dsigne par le mot de culture mot auquel je tiens fort peu, et mme pas du tout c'est une certaine histoire du sujet dans son rapport au logos. Assurment, cette instance, le rapport au logos, a pu rester masque au cours du temps, et, l'poque o nous vivons, il est difficile de ne pas voir quelle bance il reprsente, quelle distance il se situe dune certaine inertie sociale. Cest pour cette raison que le freudisme existe notre poque. Quelque chose de ce que nous appelons culture passe dans la socit. Le rapport entre les deux, nous pouvons provisoirement le dfinir comme un rapport d'entropie, pour autant que ce qui passe de la culture dans la socit inclut toujours quelque fonction de dsagrgation. Ce qui se prsente dans la socit comme la culture et qui est donc entr, des titres divers, dans un certain nombre de conditions stables, elles aussi latentes, qui dterminent les circuits des changes l'intrieur du troupeau y instaure un mouvement, une dialectique, qui y laisse ouverte la mme bance que celle l'intrieur de laquelle nous

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    situons la fonction du dsir. C'est en ce sens que nous pouvons poser que ce qui se produit comme perversion reflte, au niveau du sujet logique, la protestation contre ce que le sujet subit au niveau de l'identification, en tant que celle-ci est le rapport qui instaure et ordonne les normes de la stabilisation sociale des diffrentes fonctions [] Nous pourrions dire en somme que quelque chose s'instaure comme un circuit tournant entre, dune part, le conformisme, ou les formes socialement conformes, de lactivit dite culturelle lexpression devient ici excellente pour dfinir tout ce qui de la culture se monnaie et saline dans la socit et, dautre part, toute structure semblable celle de la perversion, pour autant qu'elle reprsente au niveau du sujet logique la protestation qui, au regard de la conformisation, slve dans la dimension du dsir, en tant que le dsir est rapport du sujet son tre . Et cest l que Lacan promet de parler plus tard de la sublimation et ce sera lthique de la psychanalyse. Et Lacan termine en disant page 571 : La sublimation se place comme telle au niveau du sujet logique, l o s'instaure et se droule tout ce qui est, proprement parler, travail crateur dans l'ordre du logos. De l, viennent plus ou moins s'insrer dans la socit, viennent plus ou moins trouver leur place au niveau social, les activits culturelles, avec toutes les incidences et tous les risques qu'elles comportent, jusques et y compris le remaniement des conformismes antrieurement instaurs, voire leur clatement . Nous sommes aujourdhui le 26 mai, et Paris est entrain, vous le verrez en sortant, de vivre en effet le remaniement des conformismes antrieures, leur clatement et cest prcisment ce que Lacan nous annonait dj il y a un demi sicle. Merci.