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INTERNATIONAL La Chine et les pays arabes : intérêts réciproques B ien que voisins distants, la Chine et les pays arabes ont eu une relation ancienne qui remonte aux premiers siècles de notre ère, bien avant l’ap- parition de l’Islam. Les lecteurs arabes intéressés par l’histoire de ces relations peuvent lire avec profit les dossiers dé- taillés consacrés aux relations sino-arabes et publiés par l’ex- cellente revue arabe « Al-Mus- taqbal Al-Arabi », en 2017. Dr. Bichara KHADER Lire en pages 15 & 16 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 32 pages www.maroc-diplomatique.net N° 24 - FÉVRIER 2018 Dossier réalisé par Souad Mekkaoui « N ous devons protéger nos frontières des ravages que les autres pays font, en volant nos entreprises et en détruisant nos emplois. La protection mènera à une grande prospérité et à la force. Je vais me battre pour vous avec chaque souffle de mon corps et je ne vous lais- serai jamais, jamais tomber.» Ainsi parlait Donald Tru- mp dans son tout premier discours, le 20 janvier 2017, alors qu’il venait d’être in- vesti 45e président des Etats- Unis. Depuis, il a souvent fait la Une des médias internatio- naux, mérite qu’il doit, incon- testablement, à ses bourdes que les journaux et chaînes de télévision répertorient non sans joie. De facto, en un an de prési- dence, le Washington Post a recensé plus de 2.000 déclara- tions fausses ou mensongères annoncées par Trump. Bien évidemment, « fake news ! » rétorque le locataire de la Maison Blanche, chaque fois que l’excès est au rouge. Lire en pages 18, 19, 20, 21, 22, 23 & 24 D ans une décla- ration accordée à « MAROC DIPLOMATIQUE » , Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération in- ternationale a dénoncé les rumeurs et fausses informations colportées par le polisario. Agitation et gesticulations des sti- pendiés de ce dernier ne cessent de se multiplier ces derniers temps. On se doute que, en arrière plan, la main des complices et commanditaires algériens se profile pour orchestrer une campagne de mensonges et d’affabulations contre le Ma- roc. Tantôt, dit-il, annonce est faite d’une visite de l’émissaire spécial de l’ONU, Horst Köhler dans la région, précisant avec outrecuidance une audience avec S.M. le Roi Mohammed VI, tantôt des négociations entre Maroc et polisario , qui seraient organisées par le même Köhler à Berlin ; enfin dans la même vo- lonté de désinformer l’opinion internationale, la profération de menaces d’une confrontation et la prise de contrôle de Guergue- rate. Nasser Bourita est formel : rien de tout ça n’approche la vérité. La question est de savoir pour- quoi le polisario orchestre au- jourd’hui de telles campagnes ? Il n’y a pas de crise ou de tension entre le Maroc et Horst Köhler dont la mission est encadrée par Antonio Guterres, secrétaire gé- néral des Nations unies. Lequel est, faut-il le souligner encore, le dépositaire du dossier qu’il gère sous le contrôle du Conseil de sécurité des Nations unies. Et ce dans le cadre de la Résolution pertinente 2351, votée le 30 avril 2017 et qui fixe le cadre de sa mission. Hormis les Nations unies, rien ni personne n’est habi- lité à parler, encore moins à fixer le cadre ou la na- ture des négociations sur le dossier du Sahara. Ni l’Union africaine ( UA), ni une autre instance, quelle qu’elle soit. Il n’est d’autre médiation que celle de l’ONU. Depuis toujours, le Royaume du Maroc coopère avec les Nations unies dans un climat de sérénité, de confiance et de transparence. Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’a cessé de réi- térer sa volonté de se conformer à cette règle, devenue le credo de notre diplomatie. Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale est d’autant plus ferme à cet égard qu’il évoque, commentant l’agitation algé- ro-polisarienne, des « bulles mé- diatiques » destinées à fourvoyer l’opinion publique mondiale. n Hassan Alaoui ABDELMALEK KETTANI : «La relation marco-ivoirienne constitue le modèle le plus abouti de la coopération Sud-Sud» Le Sanctum santorium d’Abdallah Chaqroun, regard d’un Sage SAHARA MAROCAIN DIPLOMATIE Hassan II et l’Espagne : L’impératif du dialogue et du voisinage Lire en page 8 INTERNATIONAL La Chine en ordre de marche…. Lire en pages 13 & 14 Bourita dénonce les bulles médiatiques du polisario DOSSIER DU MOIS I l est évident que le Maroc se lance dans une approche de construction avec le continent africain et d’édification d’une nouvelle Afrique. Tant et si bien que les relations fraternelles et diplomatiques entre le Maroc et la Côte d’Ivoire ont connu une forte impulsion durant ces der- nières années. Preuve en sont la fréquence des visites d’amitié et de travail de Sa Majesté le Roi Mo- hammed VI qui donnent un regain d’intensité et ouvrent une nouvelle ère aux relations ivoiro-marocaines, l’accroissement des investissements qui consolident davan- tage les partenariats économiques et commerciaux et les perspectives promet- teuses des projets maroco-ivoi- riens en cours de réalisation qui traduisent assurément le caractère fraternel et exceptionnel des rela- tions entre les deux pays. Entretien réalisé par Souad Mekkaoui Lire en pages 6 & 7 I l y a comme une prétention voire une arrogance à tenter l’exercice périlleux consistant à résumer en un article, si brillant fût-il, la vie de feu Ab- dallah Chaqroun. Lui si grand et humble, dont on ne cessera jamais d’asso- cier le patronyme à une légende jupitérienne, cultivait et portait la modestie comme le mât d’un bateau, in- ventant la radio, et la pédagogie de celle-ci, l’écriture dramatique et sa sémantique, cette irascible détermination à élever l’art de la pa- role et de la didactique au niveau des populations simples et ordinaires.. Hassan Alaoui Lire en page 25 EDITORIAL Quand Khadija Ryadi verse dans l’incohérence et la mauvaise foi Lire en page 2 CE QUE JE PENSE Ce n’est pas le froid qui tue … c’est l’indifférence Pagde 4 & 5 AFRIQUE Pourquoi la jeunesse africaine en veut à la France Page 12 CHRONIQUES - Valérie Morales Attias Page 30 - Gabriel Banon Page 31 BMCE BANK-GROUPE AL BARAKA BTI Bank, ou comment deux groupes leaders scellent leur partenariat Page 17 DANS CE NUMÉRO Donald Trump, « spectre du déclin » ou stratégie du chaos ? L’INFORMATION QUI DÉFIE LE TEMPS GRAND ENTRETIEN PORTRAIT M. Nasser Bourita.

SAHARA MAROCAIN GRAND ENTRETIEN ... - Maroc Diplomatique · Lire en pages 15 & 16 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 32 pages N° 24 - FÉVRIER 2018 Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

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Page 1: SAHARA MAROCAIN GRAND ENTRETIEN ... - Maroc Diplomatique · Lire en pages 15 & 16 15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 32 pages N° 24 - FÉVRIER 2018 Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

INTERNATIONALLa Chine et les pays

arabes : intérêtsréciproques

Bien que voisins distants, la Chine et les pays arabes

ont eu une relation ancienne qui remonte aux premiers siècles de notre ère, bien avant l’ap-parition de l’Islam. Les lecteurs arabes intéressés par l’histoire de ces relations peuvent lire avec profit les dossiers dé-taillés consacrés aux relations sino-arabes et publiés par l’ex-cellente revue arabe « Al-Mus-taqbal Al-Arabi », en 2017.

Dr. Bichara KHADERLire en pages 15 & 16

15 DH - 1,5 € - MENSUEL - 32 pages www.maroc-diplomatique.net N° 24 - FÉVRIER 2018

Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

«N ous devons protéger nos frontières des

ravages que les autres pays font, en volant nos entreprises et en détruisant nos emplois. La protection mènera à une grande prospérité et à la force. Je vais me battre pour vous avec chaque souffle de mon corps et je ne vous lais-serai jamais, jamais tomber.»

Ainsi parlait Donald Tru-mp dans son tout premier

discours, le 20 janvier 2017, alors qu’il venait d’être in-vesti 45e président des Etats-Unis. Depuis, il a souvent fait

la Une des médias internatio-naux, mérite qu’il doit, incon-testablement, à ses bourdes que les journaux et chaînes de télévision répertorient non sans joie.

De facto, en un an de prési-dence, le Washington Post a recensé plus de 2.000 déclara-tions fausses ou mensongères annoncées par Trump. Bien évidemment, « fake news ! » rétorque le locataire de la Maison Blanche, chaque fois que l’excès est au rouge.Lire en pages 18, 19, 20, 21, 22, 23 & 24

Dans une décla-ration accordée à « MAROC

DIPLOMATIQUE » , Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération in-ternationale a dénoncé les rumeurs et fausses informations colportées par le polisario. Agitation et gesticulations des sti-pendiés de ce dernier ne cessent de se multiplier ces derniers temps. On se doute que, en arrière plan, la main des complices et commanditaires algériens se profile pour orchestrer une campagne de mensonges et d’affabulations contre le Ma-roc. Tantôt, dit-il, annonce est faite d’une visite de l’émissaire spécial de l’ONU, Horst Köhler dans la région, précisant avec outrecuidance une audience avec S.M. le Roi Mohammed VI, tantôt des négociations entre Maroc et polisario , qui seraient organisées par le même Köhler à Berlin ; enfin dans la même vo-lonté de désinformer l’opinion internationale, la profération de menaces d’une confrontation et

la prise de contrôle de Guergue-rate. Nasser Bourita est formel : rien de tout ça n’approche la vérité.La question est de savoir pour-quoi le polisario orchestre au-jourd’hui de telles campagnes ? Il n’y a pas de crise ou de tension entre le Maroc et Horst Köhler dont la mission est encadrée par Antonio Guterres, secrétaire gé-néral des Nations unies. Lequel est, faut-il le souligner encore, le dépositaire du dossier qu’il gère sous le contrôle du Conseil de

sécurité des Nations unies. Et ce dans le cadre de la Résolution pertinente 2351, votée le 30 avril 2017 et qui fixe le cadre de sa mission.Hormis les Nations unies, rien ni personne n’est habi-lité à parler, encore moins à fixer le cadre ou la na-ture des négociations sur le dossier du Sahara. Ni l’Union africaine ( UA), ni une autre instance, quelle qu’elle soit. Il n’est d’autre médiation que celle de l’ONU. Depuis toujours, le Royaume du Maroc coopère avec les Nations unies dans un climat de

sérénité, de confiance et de transparence. Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’a cessé de réi-térer sa volonté de se conformer à cette règle, devenue le credo de notre diplomatie. Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale est d’autant plus ferme à cet égard qu’il évoque, commentant l’agitation algé-ro-polisarienne, des « bulles mé-diatiques » destinées à fourvoyer l’opinion publique mondiale. n

Hassan Alaoui

ABDELMALEK KETTANI :

«La relation marco-ivoirienne constitue le modèle le plus abouti

de la coopération Sud-Sud»

Le Sanctum santorium d’Abdallah Chaqroun, regard d’un Sage

SAHARA MAROCAIN

DIPLOMATIEHassan II

et l’Espagne :L’impératif du dialogue

et du voisinageLire en page 8

INTERNATIONAL

La Chine en ordre

de marche….Lire en pages 13 & 14

Bourita dénonce les bullesmédiatiques du polisario

DOSSIER DU MOIS

Il est évident que le Maroc se lance

dans une approche de construction avec le continent africain et d’édification d’une nouvelle Afrique. Tant et si bien que les relations fraternelles et diplomatiques entre le Maroc et la Côte d’Ivoire ont connu une forte impulsion durant ces der-nières années. Preuve en sont la fréquence des visites d’amitié et de travail de Sa Majesté le Roi Mo-hammed VI qui donnent un regain d’intensité et ouvrent une nouvelle

ère aux relations ivoiro-marocaines, l’accroissement des investissements qui consolident davan-tage les partenariats économiques et commerciaux et les perspectives promet-

teuses des projets maroco-ivoi-riens en cours de réalisation qui traduisent assurément le caractère fraternel et exceptionnel des rela-tions entre les deux pays.

Entretien réalisé par Souad Mekkaoui

Lire en pages 6 & 7

Il y a comme une prétention voire

une arrogance à tenter l’exercice périlleux consistant à résumer en un article, si brillant fût-il, la vie de feu Ab-dallah Chaqroun. Lui si grand et humble, dont on ne cessera jamais d’asso-cier le patronyme à une légende jupitérienne, cultivait et portait la

modestie comme le mât d’un bateau, in-ventant la radio, et la pédagogie de celle-ci, l’écriture dramatique et sa sémantique, cette irascible détermination à élever l’art de la pa-role et de la didactique

au niveau des populations simples et ordinaires.. Hassan Alaoui Lire en page 25

EDITORIALQuand Khadija Ryadi

verse dans l’incohérence et la mauvaise foi

Lire en page 2

CE QUE JE PENSE Ce n’estpas le froid qui tue … c’est l’indifférence Pagde 4 & 5

AFRIQUE Pourquoi lajeunesse africaine en veut à la France Page 12CHRONIQUES - Valérie Morales Attias Page 30- Gabriel Banon Page 31

BMCE BANK-GROUPE AL BARAKA BTI Bank,

ou comment deux groupesleaders scellent leur partenariat Page 17

DANS CE NUMÉRO

Donald Trump, « spectre du déclin »ou stratégie du chaos ?

L ’ I N F O R M A T I O N Q U I D É F I E L E T E M P S

GRAND ENTRETIEN

PORTRAITM. Nasser Bourita.

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ÉDITORIAL

Quand Khadija Ryadi versedans l’incohérence et la mauvaise foi

Mettant à profit, avec la même irascible volonté de porter un mauvais coup à l’image du Ma-

roc, les mouvements de protes-tations à caractère économique et social, la ci-devant secrétaire général de l’AMDH, Khadija Ryadi vient de se fendre d’un communiqué à tout le moins inopportun. Mais qui relève, en revanche, d’un opportu-nisme fielleux. Le communiqué appelle à la «mobilisation des mouvements sociaux, à leurs revendications légitimes, à la dénonciation de la répression des citoyens, activistes poli-tiques, syndicalistes, des droits humains, journalistes, avocats et personnes solidaires».

D’emblée, nous sommes ten-tés de dire : « Rien que ça ! », tant l’intitulé recouvre un spectre de thèmes et de « contextes » qui, pour peu que l’on y prête un re-gard pertinent, nous offre une image noircie du Royaume du Maroc, si biaisée par une inter-prétation caricaturale et sectaire qu’elle devient inquiétante. Non, décidément, l’ancienne présidente de l’AMDH n’en démord pas de sa rage de s’en prendre de nouveau à son pays, à ses institutions, au peuple ma-rocain, à tout ce qui incarne le mouvement, le vrai mouvement démocratique – ou plutôt la transition démocratique – d’un Maroc dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est porté sur les cimes des éloges par les autres, à l’étranger.

La «secrétaire générale de Fredoomnow» ne variera donc pas d’un iota dans sa volonté de nier et renier les avancées considérables que le Maroc engrange à tous les niveaux, y compris, et surtout, sur le plan social et celui de l’amélioration constante des conditions des tra-vailleurs, de l’émergence d’une classe moyenne et des progrès qui sont les critères retenus à l’échelle mondiale. C’est donc

un tissu de mensonges délibé-rés que le communiqué de Mme Ryadi débite avec l’irréductible malveillance de déformer la ré-alité. «Depuis plusieurs mois, dit-elle, le Maroc connaît des mouvements de protestations de plus en plus importants… » ! (…) « Malgré leur caractère légitime et pacifique, ajoute-t-elle, l’Etat a ignoré et diabolise ces revendications, a violem-ment réprimé ces mouvements afin de susciter la peur des par-ticipants aux mouvements, par des arrestations, les poursuites judiciaires, les convocations des personnes solidaires ainsi que par des tentatives de diabo-lisation, de fausses accusations de servir des agendas, de rece-voir des fonds étrangers et de séparatismes… ». Ce conden-sé délirant est non seulement faux, de bout en bout, mais il nous rappelle cette sinistre langue de bois stalinienne des années 70 apparentée au caté-chisme marxiste éculé qu’à un effort de vérité. On lit en fili-grane l’intentionnel procès de l’Etat, sa mise en index et déjà le jugement fallacieux dans ce qu’on appelle le « hirak », que Mme Ryadi s’acharne à re-garder du bout de la lorgnette. Comme si les inculpés présu-més – aujourd’hui devant la justice – étaient des anges dont l’innocence serait réprimée et violée alors que des faits têtus et des preuves tangibles qui les confondent leur sont chaque jour opposées.

Cela dit, Mme Ryadi a-t-elle jamais été soucieuse de véri-té ? Elle qui, prenant ses désirs pour la réalité, s’appropriant une contestable légitimité s’est cru autorisée, il y a deux ans, à phagocyter toutes les asso-ciations marocaines des droits de l’Homme, en signant à leur place un pseudo rapport paral-lèle soumis habituellement au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies qui siège à Genève. Bien évidemment,

outre la scandaleuse malveil-lance de se croire investie pour signer ce rapport à l’insu et au mépris des associations ma-rocaines et donc de l’OMDH, institution reconnue et légi-time, l’ancienne présidente de l’AMDH, membre d’Annahj ad-démocrati, s’est fendue d’un rapport sur le Maroc, marqué au sceau de la partialité et d’une mauvaise foi criarde.

Le parti-pris anti-marocain n’en est pas le moindre détail. Ce « rapport » respire la haine de notre pays et de ses institu-tions, tout comme le communi-qué publié lundi 12 février der-nier. On ne s’étonne guère qu’un des membres de cette formation, plus ou moins proche de Mme Ryadi, ait été pris en traîtrise et en flagrant délit il n’y a pas si longtemps devant le Parlement de l’Union européenne en train de remettre un prétendu rapport de la même veine fielleuse à des députés hostiles au Maroc, aux accointances avérées avec des agents algériens et du polisario…

Faut-il y voir, dans un cas comme dans l’autre, outre une séditieuse et lamentable cam-pagne de dénigrement, la mé-connaissance délibérée de la réalité et une détermination à caricaturer les avancées démo-cratiques du Maroc ? Comme la «salvatrice suprême», l’an-cienne présidente de l’AMDH ne manque pas de céder à l’amalgame et de se mélanger les pinceaux, encore une fois elle se hasarde à parler au nom des «organisations de la société civile » et des « mouvements de protestations sociales» qu’elle ne représente nullement – et pour cause !- dans un langage d’autant plus naïf qu’il nous renvoie au siècle dernier. Son communiqué, truffé de redites et d’approximations, est un chapelet de récriminations gra-tuites et sans fondements. Sans cohérence… n

Hassan Alaoui

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2 FÉVRIER 2018

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4 FÉVRIER 2018 HUMEUR

Souad Mekkaoui

L’hiver est là de-puis quelque temps déjà. Nos maisons sont chauffées, et quand on a la

chance d’en avoir une, la cheminée est, par excellence, une aubaine pour ceux qui aiment le craquement du bois dans les flammes. Méditer tout en étant bercé par le crépitement du feu et la chaleur qui en émane de-vient alors une bénédiction divine. Et quand la grande invitée convoitée et plébiscitée par petits et grands est là, l’émerveillement est au rendez-vous des premiers flocons blancs qui se déposent gracieusement pour nous offrir l’un des plus beaux et réjouis-sants paysages en coton luisant. On se précipite alors pour sortir nos gros pulls douillets dont la douceur de la laine sur nos peaux nous procure bien-être et plénitude. Manteaux, bonnets et chandails trônent majestueusement dans nos armoires. Les extrémités du corps gelées retrouvent leur réconfort dans un bain bien chaud. S’enrouler avec joie sous les couvertures est l’un des plaisirs immenses de l’hiver sur-tout pour se laisser emporter par les délices d’une bonne lecture ou d’un bon livre. Une aubaine pour certains et le début d´un long et douloureux cau-chemar pour ceux que la vie a lésés.

Le premier week-end prolongé, on accourt vers « la Suisse marocaine » du Moyen Atlas ou « la Montagne des montagnes » du Haut Atlas pour savourer les plaisirs du ski avec ses boules de neige qui s’abattent sur nous et ses fous rires qu’on se presse de capturer pour immortaliser des mo-ments éphémères, sous ce froid sec et vivifiant avant de prendre le chemin du retour, non sans regret, vers le tin-tamarre de la ville.

Mais, l’image complète n’est pas là. C’est Un Maroc, Un temps, Deux vitesses et une réalité amère.

Juste à quelques mètres de ce Maroc joyeux et festif, un autre Maroc « inu-tile » parce que reclus et exclu. Un Maroc marginalisé et mis en quaran-taine. Un Maroc fragile et démuni qui tremble et grelotte sous la cruauté de la nature accentuée par l’indifférence humaine.

Seuls au mondeLa saison hivernale s’est bel et bien

installée et avec elle des temps rigou-reux, impitoyables et sans miséricorde pour les populations enclavées, man-

quant des équipements élémentaires et écartées du monde dès les premières neiges, notamment dans le Haut et Moyen-Atlas.

Si le drame d’Anfgou est tapi dans les arcanes de la mémoire des plus sensibles d’entre nous, aujourd’hui, Anfgou s’étend pour atteindre toutes les régions montagneuses ou presque. Là où la misère a bien des visages, là où le bois vaut de l’or au moment où le pillage des forêts se fait au su de tous dans ces chaînes de montagnes qui se referment sur ses habitants les isolant du monde.

A chaque hiver, ce sont les mêmes images qui reviennent. Cette année en-core, et comme toutes les autres d’ail-leurs, les routes sont souvent coupées surtout que l’épaisseur de la neige a atteint plus d’un mètre dans certaines régions méconnues de la météo natio-nale. Si la neige apporte ses joies et ses plaisirs à certains, pour d’autres Maro-cains, le gouffre de la Géhenne s’ouvre car ils n’ont que le droit de survivre en manquant des droits les plus élé-mentaires d’une vie décente et digne. Pendant cette période de l’année, et comme toutes les années d’ailleurs, les tuyaux d’adduction d’eau potable explosent sous la pression de la gelée. Se procurer des denrées alimentaires ou une butane à gaz devient alors un périple insurmontable parce qu’aucun moyen de transport ne peut s’y aven-turer.

Pour ces Marocains de seconde zone, le bois devient plus vital que le pain et la pauvreté s’allie au froid pour accentuer davantage la misère et la détresse déjà à son summum.

Pour tenir dans ce temps sibérien tel des lames tranchantes, il faut que les poêles maintiennent un minimum de chaleur dans des foyers misérables où les conditions sont inhumaines. Or le bois n’est pas accessible aux habitants dont les moyens sont trop limités et qui doivent en procurer, au moins, trois à quatre tonnes à raison de mille six-cents à 2000 dirhams la tonne. Se chauffer ou s’éclairer devient alors chimère des temps de misère pour ces gens qui n’ont que le droit de survivre. Froid, misère et solitude se liguent donc pour faire de leur quotidien un combat acharné contre la rigueur du climat, la rudesse de la nature et l’im-passibilité des dirigeants.

Les hivers se suivent et se ressemblent pour les enclavés

Oui, encore pendant cet hiver,

comme tous les autres d’ailleurs, les zones montagneuses sont cruel-lement agressées par l’of-fensive brutale du froid glacial et l’isolement, comme pour accentuer la détresse et la misère de cette population fou-droyée par le mauvais legs : celui d’être née dans un carré de la terre sans couleurs et sans fards.

Coupures d’électrici-té, routes impraticables, sont le lot quotidien. L’approvisionnement et le ravitaillement en pro-duits de première néces-sité devient impossible pour ces néces-siteux enclavés acculés à payer pour être issus de zones « inutiles ». Du Rif au Grand Atlas en passant par le Moyen-Atlas, la précarité est le destin de ces habitants de l’arrière-plan qui luttent pour subvenir aux exigences de l’hiver et ce n’est que lorsque les instructions royales tombent qu’élus, autorités locales, gouvernement, se rappellent de ces concitoyens oubliés et accourent en secouristes de service.

Or force est de rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une vague de froid ou de tempêtes de neige passagères. Chaque année, c’est le même calvaire pour ces régions exclues par cet iso-lement forcé rendu encore insuppor-table par l’impraticabilité des pistes et des routes quand elles existent. Leur misère s’accentue sous la morsure du froid. Ils n’ont que le droit de prier que la maladie ne s’invite ou qu’une détresse respiratoire d’un nouveau-né qui aurait mal choisi le temps de venir au monde ou encore une complication ne survienne lors d’un accouchement « mal programmé ».

Que fait l’Etat pour aider les enclavés ?

La misère ne se gère pas selon le froid. C’est un combat de toute l’année au lieu de faire dans l’urgence.

Il est vrai que la Fondation Moham-med V pour la Solidarité oeuvre, sur instructions royales, dans le cadre de son programme d’interventions huma-nitaires de l’Opération Grand froid-hi-ver 2018. Il est vrai que des milliers de familles dans des communes rurales ont bénéficié d’un « Kit Grand Froid » composé de produits alimentaires (fa-rine, riz, sucre, thé, sel, huile et lait) et de couvertures. Mais tous les foyers n’ont pas cette chance bien que les

dons ne couvrent que quelques jours. Et ce n’est que lorsque les routes sont coupées que les directions provinciales de l’équipement s’attellent à l’amé-nagement des routes à risque sur les-quelles les responsables pouvaient se pencher bien avant. Normal, les plans d’urgence annoncés à la dernière mi-nute pour atténuer la catastrophe par le ministère de l’Intérieur secouent les autorités locales qui dans leur em-pressement se donnent l’impression de travailler. Malheureusement, le dé-ploiement des caravanes médicales, des hôpitaux mobiles et des aides ali-mentaires n’est qu’une solution pro-visoire qui ne touchent pas toutes les zones et fait même naître un sentiment de dénigrement de la part des lésés.

Par ailleurs, les walis et les gouver-neurs ont reçu des instructions pour installer un comité de veille et de suivi de la situation sur le terrain, en coor-dination avec les autorités concernées. Les responsables ont également pour objectif de réactiver les postes de com-mandement provinciaux en partenariat avec le ministère de l’Équipement et des transports, le ministère de la Santé, la Gendarmerie royale et la Protection civile. L’intervention rapide prend alors toute sa dimension.

Et c’est là que l’élan de solidarité humanitaire se manifeste plus que ja-mais. Des associations et bénévoles s’activent pour récolter et faire par-venir le plus de dons possibles, des denrées alimentaires, des vêtements et couvertures qui sont distribués aux vil-lageois afin de leur apporter le soutien dont ils ont besoin. Or ces opérations humanitaires sont parfois refusées et interdites par les gouverneurs pour des raisons sécuritaires bien qu’on n’offre aucune sécurité à ces misérables don-nés en pâture au froid et à la misère.

Ce n’est pas le froid qui tue … c’est l’indifférence

CE QUE JE PENSE

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Le gouvernement continue, malheureusement, à remettre à un temps indéterminé la création d’une véritable agence de développement des zones montagneuses, qui s’impose aujourd’hui plus que jamais, à l’instar de celle du Nord et des provinces du Sud.

On ne peut faire du développement avec quelques cou-vertures ou vêtements chauds octroyés sous les projecteurs.

FÉVRIER 2018 5HUMEUR

Pourtant, les images impitoyables de la bousculade de Sidi Boulaalam qui a coûté la vie à 15 femmes ve-nues s’arracher des paniers d’aide alimentaire nous hantent encore.

Le froid s’en vamais la misère demeure

Pour que la situation des plus mo-destes s’améliore, encore faudrait-il s’y intéresser. Ces populations n’ont pas besoin de compassion ni de cha-rité mais de plans d’urgence pour pallier leur précarité et pour cela la volonté des décideurs est à remettre en cause. Ceux-là mêmes élus pour gouverner le pays et faire en sorte que tous les citoyens s’y sentent bien. Mais le pouvoir leur fait oublier la détresse humaine que leur confort personnel supplante. Ils dorment sur leurs lauriers et attendent –comme il est de coutume- que le Roi les somme de ses directives et appelle à une forte mobilisation pour qu’ils accourent apporter l’aide, urgem-

ment nécessaire, aux populations en crise.

Il est vrai aussi qu’un plan na-tional est mis en œuvre ciblant plusieurs douars mais à quand une vraie stratégie de développe-ment de ces régions laissées-pour-compte ? Le gouvernement conti-nue, malheureusement, à remettre à un temps indéterminé la création d’une véritable agence de dévelop-pement des zones montagneuses, qui s’impose aujourd’hui plus que jamais, à l’instar de celle du Nord et des provinces du Sud. Au lieu de cela, on nous rabat les oreilles avec une régionalisation avancée qui n’est finalement pas aussi avancée que cela !

Les quelques caravanes médi-cales et humanitaires de circons-tances n’ont qu’un effet narcotique pour les fragilisés et un faire-valoir devant l’opinion publique, puisque seuls quelques villages en bénéfi-cient. Sauf que les problèmes struc-turels sont ancrés dans les racines de ces zones sinistrées qu’on ne cherche pas vraiment à sauver. On ne peut faire du développement avec quelques couvertures ou vêtements chauds octroyés sous les projecteurs. Mais cela reste des solutions d’ur-gence, momentanées. La question est : à quand une vraie politique de désenclavement de ces régions afin qu’elles ne soient plus isolées et ex-clues de leur Maroc ?

Ne faudrait-il pas plus d’engage-

ment pour que la dignité et le droit à une vie décente pour tous soient res-pectés au lieu de peigner la girafe ?

Or, ces habitants le crient haut et fort : ce n’est pas de charité qu’ils ont besoin ! La priorité est à des routes qui fonctionnent, à des projets qui seraient au service de la population. Il faut que le gouvernement lance, au plus vite, un plan d’urgence pour créer des infrastructures afin de désenclaver cet autre Maroc oublié du plan éco-nomique. Improviser des « interven-tions rapides » devant le fait accom-pli ne fait changer en rien les choses puisqu’aucune anticipation ni projet de développement ne sont entrepris dans ces zones écartées qu’on oublie dès que le temps se radoucit.

Ces citoyens qui manquent de tout, ont besoin pour commencer que le bois de chauffe soit subventionné du-rant l’hiver. Ou pourquoi ne pas faire travailler des ouvriers de Jerada pour extraire le charbon et le distribuer avec des fours adaptés quitte à ce que l’Etat perde dans cette opération, bénéfique, toutefois, à des citoyens qui vont travailler pendant un certain temps et à d’autres qui vont pouvoir éviter de mourir d’hypothermie ? Cela servira même à épargner les ressources forestières en substituant d’autres sources d’énergie au bois et du coup, à améliorer les conditions de vie des populations rurales.

Faut-il rappeler que les provinces de la région Fès-Meknès sont ouvertes à tous les vents et donc fortement les plus touchées par la vague de froid ? Bien que des mesures préventives aient été mises en place, certaines ré-gions risquent d’être ensevelies, des toits risquent de s’écrouler sur des vies laissées en souffrance. Et dire qu’à plein régime, le président de la région qui s’est permis de se servir gé-néreusement des deniers publics pour le luxe de ses élus ne daigne pas pen-ser à apporter de l’aide aux citoyens démunis de la région la plus pauvre. Pourtant, on n’en fait pas grand cas.

En somme, ce qui assassine ce sont les choix politiques et économiques

et même l’annonce du redoux des températures ne saurait faire oublier le nombre impressionnant de vil-lages et de douars vivant dans des conditions de survie, luttant contre la misère, le froid et la négligence des responsables irresponsables qui n’hésitent pas à ouvrir le parapluie face à leurs manquements.

«Là où des hommes sont condam-nés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré.» Cet appel du Père Joseph Wresinski, fut inscrit le 17 octobre 1987, sur le Parvis des Libertés et des droits de l’Homme, à Paris. Or aujourd’hui, parler du désarroi de ces « citoyens » relève, pour certains, du lamento voire du misérabilisme.

Bien sûr, encore quelques semaines à tenir, l’hiver sera passé et la misère oubliée. Anfgou s’étend de plus en plus, faisons, avant que l’urgence ne soit dépassée, que la rage d’al-Ho-ceima et de Jerada n’atteignent pas les montagnes et que les enclavés, au bout du rouleau, ne jettent feu et flamme.

Sa Majesté l’a bien dit : que les responsables accomplissent leurs devoirs ou qu’ils jettent la soutane aux orties.n

CE QUE JE PENSE

Des citoyens pris en otages dans des maisons qui menacent de s’écrouler.

Se frayer un chemin est le premier réflexe de la journée.

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GRAND ENTRETIEN6 FÉVRIER 2018

Entretien réalisé par Souad Mekkaoui

ABDELMALEK KETTANI :

«La relation marco-ivoirienne constitue le modèle le plus abouti de la coopération Sud-Sud»

I l est évident que le Maroc se lance dans une approche de construction avec le continent

africain et d’édification d’une nou-velle Afrique. Tant et si bien que les relations fraternelles et diplomatiques entre le Maroc et la Côte d’Ivoire ont connu une forte impulsion durant ces dernières années. Preuve en sont la fréquence des visites d’amitié et de travail de Sa Majesté le Roi Mo-hammed VI qui donnent un regain d’intensité et ouvrent une nouvelle ère aux relations ivoiro-marocaines, l’accroissement des investissements qui consolident davantage les parte-nariats économiques et commerciaux et les perspectives prometteuses des projets maroco-ivoiriens en cours de réalisation qui traduisent assurément le caractère fraternel et exception-nel des relations entre les deux pays. Faut-il rappeler que le Royaume a toujours privilégié la coopération Sud-Sud ? Dans cet entretien, S.E. Abdelmalek Kettani, ambassadeur du Maroc en Côte d’Ivoire, revient sur le 5e Sommet UE-UA, nous fait l’état des lieux des relations bilatérales après un an d’exercice et nous ex-plique les défis majeurs qui attendent l’Afrique à l’avenir.

l MAROC DIPLOMATIQUE : Cela fait un peu plus d’un an que vous représentez la diplomatie ma-rocaine en Côte d’Ivoire et que vous contribuez à consolider les rela-tions diplomatiques, économiques et commerciales. Comment se portent au-jourd’hui les liens de coopération entre les deux pays ?

- Cela fait, effectivement, un peu plus d’un an que j’ai l’insigne honneur et le privilège de représenter mon pays, en tant qu’ambassadeur de Sa Majesté le Roi en Côte d’Ivoire. Les relations entre nos deux pays sont historiques, privilé-giées et exceptionnelles. Il convient de noter, cependant, qu’à partir de 2013, date de la première visite de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, les relations bilatérales ont connu un bond qualita-tif majeur qui nous a fait accéder à une nouvelle ère prometteuse, à tous les ni-veaux.

Les plus Hautes Autorités de Côte d’Ivoire se félicitent de ce partenariat stratégique et nous œuvrons de concert, avec tous les départements ministériels concernés, pour voir aboutir, concrète-ment, toutes les conventions et les enga-gements pris.

La coopération de tous est exemplaire, les projets avancent, et j’ai bon espoir que dans un proche avenir, beaucoup d’autres initiatives verront le jour et seront concrétisées. L’environnement

est propice, la collaboration excellente et l’accompagnement de notre mission permanent.

l Que ce soit lors d’inaugurations de projets sociaux, d’avancement dans les travaux des chantiers pris en charge par des entreprises marocaines ou des manifestations sportives ou culturelles, ou encore en visite de courtoisie à la première dame de la Côte d’Ivoire, vous êtes toujours là. Excellence, au-delà de votre mission diplomatique conventionnelle, on vous sent tel un poisson dans l’eau, vous êtes au four et au moulin et vous impressionnez par votre présence plurielle sur tous les fronts. Cela relève-t-il aussi des attri-butions d’un ambassadeur ?

- Comme vous le savez, un ambassa-deur est le premier représentant de son pays dans un pays hôte et, à ce titre, il se doit d’être sur tous les fronts afin de veiller aux intérêts de son pays et de ses compatriotes, tout en contribuant à faire rayonner l’image de son pays et parti-ciper à la consolidation permanente des relations, de façon positive et construc-tive, que ce soit au niveau politique, économique, social, culturel, ou encore cultuel.

Le travail et la mission d’un ambas-

sadeur sont variés et couvrent tous les aspects de la vie politique, économique, sociale, culturelle, sportive, ou reli-gieuse, dans le pays d’accueil. Parmi les responsabilités d’un ambassadeur, figure aussi la présence permanente au-près de notre communauté marocaine qui compte ici plus de 5.000 personnes, et sur laquelle il faut également veiller et servir les intérêts avec célérité et ef-ficacité.

Pour mener à bien cette mission im-portante dans ce pays « pivot » de la sous-région, et qui revêt une impor-tance stratégique pour le Maroc, j’ai toujours veillé, depuis mon arrivée, à participer activement à tous les événe-ments, afin de développer et d’entrete-nir des relations positives, amicales, et constructives, dans tous les cercles, en Côte d’Ivoire.

Ainsi, nous avons connu une année 2017 intense, très riche en événements importants (Sommet pour l’émergence en Afrique, Sommet ministériel de l’OCI, Jeux de la Francophonie, Som-met UE-UA, etc.). Et notre présence ef-fective à des dizaines de manifestations locales et internationales a permis de consolider l’image et la place de notre pays en Côte d’Ivoire.

S.E. Abdelmalek Kettani, ambassadeur du Maroc en Côte d’Ivoire

Les plus Hautes Autorités de Côte d’Ivoire se félicitent de ce partenariat stratégique et nous œuvrons de concert, avec tous les départements ministériels concernés, pour voir aboutir, concrètement, toutes les conventions et les engagements pris.

Un ambassadeur est le premier représentant de son pays dans un pays hôte et, à ce titre, il se doit d’être sur tous les fronts afin de veiller aux intérêts de son pays

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GRAND ENTRETIEN

Le développement économique et social, réel et effectif, des pays d’Afrique, doit être au cœur de la réflexion et de la motivation.

2017 a été une année très intense et très positive pendant laquelle les relations avec la Côte d’Ivoire se sont renforcées davantage.

Le rôle que joue, sur le continent, le Maroc dans cette dynamique impérieuse et incontournable, sous l’égide de notre auguste Souverain, est un rôle leader qui a permis de dé-montrer que « croire en l’Afrique ».

FÉVRIER 2018 7

Abdelmalek Kettani (Suite)

l Le Royaume a toujours privilégié la coopération Sud-Sud. Et les rela-tions fraternelles et diplomatiques entre la Côte d’Ivoire et le Maroc ont connu une forte impulsion, durant ces der-nières années grâce aux orientations de Sa Majesté le Roi. Comment expli-quez-vous ce regain intensif ?

- Depuis 2013, date de la première vi-site royale, plusieurs autres se sont suc-cédées à un rythme soutenu et chacune d’entre elles a été couronnée de succès, avec plusieurs dizaines de conventions signées et chacune suivie d’effets remar-quables sur le terrain, que ce soit au ni-veau politique, économique, ou social.

En effet, suite à la décennie difficile qu’a connue la Côte d’Ivoire, entre 2001 et 2011, et suite à l’arrivée au pouvoir de S.E le Président Ouattara, qui est animé d’une grande ambition légitime pour son peuple et son pays, beaucoup de choses étaient à faire, ou à refaire.

Ainsi, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, le Maroc a choi-si de contribuer à ce renouveau de la Côte d’Ivoire, avec une multitude de projets, publics et privés, qui aujourd’hui, com-mencent à être des réalités sur le terrain.

A titre d’exemple, on peut citer le point de débarquement de pêche Mohammed VI à Locodjoro et le centre Multisectoriel de formation Mohammed VI (Hôtellerie et BTP) à Yopougon qui ont été inau-gurés par notre auguste Souverain, il y a quelques semaines.

Pour le projet de la Baie de Cocody, projet emblématique du renouveau de la Côte d’Ivoire, voulu et initié par les deux chefs d’Etat, les travaux avancent concrètement et la transformation est vi-sible. Nous avons bon espoir que ce sera réalisé dans les délais prévus.

Bien entendu, le privé n’est pas en reste. Les plus grands groupes nationaux (Banques Télécoms, BTP, Industrie, Im-mobilier, Assurances, Services, etc.) sont présents en Côte d’Ivoire, et des investis-sements importants continuent à être dé-ployés dans ce pays, créant des milliers d’emplois.

Aujourd’hui, la relation entre le Ma-roc et la Côte d’Ivoire constitue, à mon sens, le modèle le plus abouti de la coo-pération Sud-Sud, mutuellement avanta-geuse, telle qu’elle a été conçue et mise en œuvre par Sa Majesté le Roi, grâce à Sa Vision et à Son leadership reconnus par tous.

l Quels sont les défis majeurs qui attendent l’Afrique à l’avenir ? Quel impact pourrait avoir le Maroc sur le continent en général et la Côte d’Ivoire en particulier ?

- Depuis des décennies, tout le monde s’accorde à dire que l’Afrique est le continent de l’avenir. Comme chacun sait, les richesses agricoles, minières, humaines, etc, sont énormes ainsi que les potentialités de tous les pays.

Les défis sont aussi importants car

beaucoup de retards ont été enregistrés à tous les niveaux, du fait de plusieurs facteurs, et il s’agit maintenant de rattraper le temps perdu, en quelques décennies, pour permettre à la jeunesse formidable de ce continent d’avoir une vie digne et prometteuse et lui permettre de s’épanouir, économiquement et socia-lement, sans céder aux sirènes du mirage migratoire ou de l’action violente à ca-ractère terroriste.

Ainsi, le grand défi est de pouvoir assurer au continent un décollage éco-nomique avec des investissements suffi-samment importants pour faire, de façon rapide (plus rapidement que la crois-sance démographique) et efficace, face aux besoins croissants des populations en infrastructures, structures sanitaires, écoles, universités, etc.

Le rôle que joue, sur le continent, le Maroc dans cette dynamique impérieuse et incontournable, sous l’égide de notre auguste Souverain, est un rôle leader qui a permis de démontrer que « croire en l’Afrique » n’est pas un simple slo-gan, mais une réalité palpable sur le ter-rain avec des projets, pilotes et modèles, concrets qui montrent la voie pour l’ave-nir et l’investissement durable dans les pays du continent.

Quant à la Côte d’Ivoire, les projets pu-

blics et privés et les conventions signées devant Sa Majesté le Roi et le Président Ouattara suivent leur cours normal vers leur concrétisation définitive et nous sommes satisfaits de l’évolution des choses. Ce qui consolide notre relation davantage, tous les jours.

l Le 5e sommet Union africaine- Union européenne s’est achevé le 30 novembre sur le thème « Investir dans la Jeunesse pour un avenir durable ». Est-ce l’urgence des pays africains ?

- Comme chacun sait, la croissance dé-mographique, en Afrique, est l’une des plus importantes au monde. Et pour faire face aux besoins pressants de cette jeu-nesse (Education, Santé, Infrastructures, Formation professionnelle, Emploi, etc.) il s’agit pour les pays d’Europe et ceux du continent de nouer un partenariat, d’un genre nouveau, basé sur l’intérêt commun avec une vision d’un dévelop-pement harmonieux pour tous.

Il y a une prise de conscience sans précédent du fait que la jeunesse est ef-fectivement la priorité du continent. Elle représente plus de 50% de la population

et ainsi, il faut veiller, impérativement, à son épanouissement politique, écono-mique et social pour préserver la cohé-sion et la paix sociale et assurer le décol-lage économique avec toutes les forces vives des pays d’Afrique.

Sans des actes forts et rapides, tout le monde est, désormais, conscient que la crise migratoire ne fera que s’accentuer. Et dans des années, nous allons consta-ter que nous n’avons pas, suffisamment, avancé pour endiguer durablement cette problématique qui, d’ailleurs, ne doit pas être le seul facteur qui motive ce nouveau partenariat.

En effet, le développement écono-mique et social, réel et effectif, des pays d’Afrique, doit être au cœur de la réflexion et de la motivation et non pas proposer des mesures conservatoires conjoncturelles et forcément temporaires pour endiguer la migration.

Enfin, le sommet UE-UA a été un véri-table succès diplomatique pour le Maroc avec la présence effective de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, qui a été re-connu par ses pairs comme un leader in-contournable qui a à cœur de joindre le geste à la parole grâce à toutes les initia-tives modèles, sociales et économiques, lancées dans une multitude de pays du continent. Telle est la voie à suivre et nous espérons que la dynamique impul-sée par le Maroc sera suivie par beaucoup d’autres pays.

l Excellence, quel bilan faites-vous de cette année ? Autrement dit, pou-vez-vous nous parler un peu des progrès réalisés, des défis rencontrés et quelles sont vos attentes pour les prochaines années ?

- Comme je l’ai dit précédemment, 2017 a été une année très intense et très positive pendant laquelle les relations avec la Côte d’Ivoire se sont renforcées davantage. Ce progrès, constant et no-table, est dû aux contacts et à la présence de cette mission sur le terrain, mais aussi à la concrétisation de plusieurs projets et à la signature de nouvelles conventions dont les effets seront concrets, dans les années à venir.

2018 sera envisagée dans le même es-prit dynamique afin de voir tous les pro-jets avancer dans le respect des délais de réalisation et l’ouverture de nouveaux horizons de collaboration dans le do-maine culturel, social, et économique.

Comme vous l’avez si bien dit, c’est énormément de travail mais je ressens tous les jours l’honneur, le privilège et la responsabilité de représenter le Royaume, et ainsi, j’accomplis ma mission avec fierté, ainsi qu’avec une grande moti-vation, et une forte détermination d’être toujours à la hauteur de la confiance de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste. n

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DIPLOMATIE8 FÉVRIER 2018

Hassan II et l’Espagne :L’impératif du dialogue et du voisinage

Par Bouhadi Boubker*

Bien que le Maroc soit parvenu à tourner la page de son histoire co-loniale avec la France par l’abroga-

tion du traité du protectorat, et à recouvrer son indépendance, sans heurts notables ni crises majeures, il n’en sera pas de même avec l’Espagne qui continua d’occuper des territoires et des enclaves sur le sol marocain.

De ce fait, les relations entre le Maroc indépendant et l’Espagne furent mar-quées par des crises et des tensions plus ou moins graves. Pour les apaiser, faute de pouvoir les résoudre, Hassan II dut faire preuve de patience, de courage et de subtilité diplomatique.

Une décolonisation inachevée et difficile

Dépassée par les entretiens d’Aix Les Bains et la déclaration de la Celle–Saint-Cloud qui aboutirent à l’indépendance du Maroc, l’Espagne fut obligée de négocier les modalités de son départ avec le sultan, fraichement reconnu souverain libéré de la tutelle française. C’est ainsi que le 7 avril 1957, l’Espagne dut reconnaître, solennel-lement, l’indépendance du Maroc, dans un climat de tensions.

Mais l’Espagne franquiste demeurait confinée dans ses vieux fantasmes africa-nistes et ses pseudo-droits historiques sur le sol marocain. De ce fait, elle entrave le processus de décolonisation des territoires marocains encore sous sa domination et, par conséquent, vide le traité du 7 Avril 1957 de sa légitimité et de sa portée juri-dique. À part la zone khalifienne du nord marocain et de la zone de Tarfaya, récupé-rée un an après l’indépendance, l’Espagne s’opposa à toute revendication marocaine sur les territoires de Sidi Ifni, le Sahara, Ceuta, Melilla, ainsi que les îles méditer-ranéennes de Badis, Nkour et Moulouya, qu’elle considérait comme une partie inté-grante de son territoire.

Ramener l’Espagne à revoir sa position anachronique et convaincre Franco de la nécessité de dialoguer avec le pays voisin au sujet du contentieux territorial, tel fut le défi à surmonter par le jeune monarque Hassan II, qui devait consolider les fon-dements de l’État national monarchique, renforcer le choix de la pluralité politique et du libéralisme économique et diversifier ses relations internationales, tout en privi-légiant ses liens avec l’Europe occidentale et les États-Unis. Le Roi Hassan II était conscient que sa réussite, face à ces défis à relever, était conditionnée par son succès dans la gestion du contentieux territorial avec l’Espagne. Ce litige, qui avait pris la dimension d’une revendication natio-nale, était devenu aussi une priorité dans l’agenda des partis politiques du pays et un enjeu de taille dans l’affrontement qui les opposait à la politique et au pouvoir du Roi.

Dialoguer avec l’Espagne,une conviction chez Hassan II

Face à cette situation très contraignante, Hassan II fera le choix de privilégier le dia-

logue et le bon voisinage avec son voisin espagnol. Il était convaincu que c’était le seul moyen de récupérer ce que l’Espagne refusait de restituer au Maroc, ainsi qu’un outil efficace pour instaurer un climat de confiance permettant aux deux pays de se projeter dans le futur. Ce fut un exercice long, dur et obstiné, qui commença en 1955 alors que Hassan II n’était encore que Prince héritier. Il continua jusqu’en 1975, avec les accords de Madrid. Puis enfin s’acheva par la signature, en 1991, du Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération qui constitue, jusqu’à nos jours, le cadre référentiel et diplomatique des relations entre le Maroc et l’Espagne.

À ses interlocuteurs espagnols, Hassan II aimait affirmer que « nous sommes les fils d’une histoire commune qui nous oblige à porter son fardeau, mais que nous ne devons pas répéter d’une manière drama-tique, car les intérêts qui nous unissent sont bien plus importants que les problèmes qui nous séparent ». C’est pourquoi il disait souvent que même s’il était obligé de faire la guerre à ses voisins, elle devrait être, selon lui, un moyen pour défendre la paix et instaurer la confiance.

Cette vision d’interpeller l’histoire com-mune et de préserver le futur des relations entre les deux pays, était si ancrée dans sa pensée, à tel point que les diplomates espagnols, accrédités à Rabat, en furent sincèrement convaincus. Alfonso De La Serna, ambassadeur de l’Espagne au Ma-roc, entre 1977 et 1983, a rappelé dans ce sens, que « Si on ne peut pas connaître, vraiment, les sentiments intimes de Hassan II envers l’Espagne, sans doute de respect et de sympathie, on sait très bien que ses idées politiques claires et fermes, consis-taient à prévaloir et préserver le futur des relations entre les deux pays, même dans les moments les plus difficiles. » Dans ce sens, Hassan II préféra davantage les ini-tiatives où prévalaient le contact entre les hommes et le dialogue entre leurs idées. Ainsi naquit sa proposition de créer une cellule de réflexion, devenue le Comité d’Averroès, qui rassemblait des acteurs de la société civile des deux pays pour y échanger, loin des contraintes et pressions

politiques, leurs points de vue et réflexions, et pour penser et proposer des solutions viables.

La dimension européenne des relations entre le Maroc

et l’Espagne Après l’adhésion de l’Espagne à l’Union

européenne, le Roi a bien saisi la nouvelle dimension que devraient prendre les re-lations entre les deux pays, et que dans cette situation, le Maroc serait obligé de passer à travers l’Espagne pour accéder à cette Union, en vue d’y défendre sa candidature pour un partenariat stable et avancé. De l’autre côté, le Roi a compris que l’Espagne, devenue le pont incon-tournable de l’Europe vers le Sud médi-terranéen avec ses espaces maghrébins et africains, avait besoin du Maroc pour y parvenir facilement. De cette manière, la coopération entre les deux pays devint pour lui une priorité stratégique et vitale, et où leurs différents problèmes et conten-tieux, comme l’immigration clandestine, la contrebande, la pêche et l’agriculture, seront traités comme affaires/problèmes européens. Cette nouvelle donne ne fera que renforcer les relations du Maroc avec l’Espagne, mais cette fois-ci, dans une perspective de rationalité et de realpolitik, qui va les libérer du poids du passé et de ses malentendus.

Trouver un interlocuteur viable C’est vrai qu’aujourd’hui, les relations

entre les deux pays sont excellentes. Le Maroc est devenu prioritaire dans l’agen-da diplomatique et politique de l’Espagne. Il est aussi l’objet de grand intérêt pour di-verses instances et groupes de réflexions et de recherches espagnols (Think Tank) qui le focalisent dans la perspective de cette vision, bien différemment des me-dias espagnols encore sous l’influence des vieux clichés négatifs sur le Maroc et sur ses réalités. Mais à son époque, le Roi Hassan II a dû agir dans une ambiance moins favorable, parfois hostile. Son in-terlocuteur espagnol, plus que difficile,

était peu soucieux de comprendre la ré-alité complexe de nos relations et bien loin de participer à des solutions et à des compromis viables pour résoudre les pro-blèmes suspendus dont les revendications légitimes du Maroc.

Durant tout son règne, le roi Hassan II avait, en face de lui, des interlocuteurs et des partenaires politiques espagnols dif-férents dans leurs styles politiques et dans leur référentiel idéologique. Mais tous avaient la même posture de méfiance et de réserve, pour ne pas dire de peur, de ce voisin inquiétant qui s’est installé dans leur histoire et leur mémoire comme un spectre menaçant. Il faut savoir que le Maroc est synonyme d’une grande défaite dans les annales militaires contemporaines de l’Es-pagne (Guerre du Rif, depuis 1909 et la bataille d’Anoual, en 1921). Il est aussi fortement associé à leurs deux dictateurs militaires : le Général Primo de Rivera qui a instauré sa dictature en 1923, suite au grand désarroi et confusion dans lesquels avait sombré l’Espagne, après la défaite d’Anoual, deux ans auparavant. Et puis le Général Franco qui partit du Maroc avec ses soldats maures, renversa la jeune ré-publique espagnole et instaura un régime dictatorial qui a duré jusqu’à 1975. Enfin, c’est du Maroc qu’a déferlé une marche de maures (la Marche verte) qui s’est accapa-rée de « leurs » territoires sahariens, profi-tant de leur désarroi pendant une phase de transition critique suite à l’agonie puis la mort de leur dictateur Franco.

Franco, un interlocuteur ferme et intransigeant

Nul ne peut douter que le plus dur et intransigeant interlocuteur espagnol du Roi Hassan II était le général Franco. L’homme était très attaché au Maroc où il avait fait une brillante carrière profession-nelle, grâce aux mérites militaires qu’il a obtenus dans les champs de batailles co-loniales. C’est aussi sur le sol marocain qu’il forgea le mythe de son personnage providentiel et l’essence de sa pensée afri-caniste subversive qui l’emmena, grâce à ses soldats marocains, au sommet de sa gloire comme Caudillo d’Espagne, après une terrible guerre civile qui a duré trois ans (1936-1939). Hassan II l’avait déjà ap-proché, durant les négociations de Madrid, en avril 1956, où il avait constaté son in-transigeance et son manque de flexibilité. Il avait aussi expérimenté ses tergiversations pour entraver la récupération de Tarfaya et Sidi Ifni. Son obstination de ne rien céder de sa chère Africa española donnait l’im-pression, comme disait Hassan II, qu’on lui arrachait une partie de son corps, chaque fois que le Maroc récupérait une partie de son territoire occupé par l’Espagne.

Ayant la confiance de certaines per-sonnalités- pour ne pas dire de grandes amitiés- influentes au sommet de l’État Franquiste, Hassan II les persuada de ses bonnes intentions pour établir des relations stables qui tiennent en compte les intérêts des deux parties, et de rester ouvert à toutes les propositions dans ce sens.

Feu S.M. Hassan II et le Général Franco fin des années 60.

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DIPLOMATIE

Malgré la tension palpable créée par ces événements, et intensifiée par l’implication dans cette affaire d’autres parties comme la Mauritanie, l’Algérie, l’OUA, l’ONU et les EE.UU, Hassan II continua à croire en son choix, affirmant à ses interlocuteurs espagnols que le dialogue doit toujours rester entre des andalous.

FÉVRIER 2018 9

Hassan II et l’Espagne : L’impératif du dialogue et du voisinage (Suite)

Parmi ces personnages espagnols, le général Muñoz Grandes, alors vice-pré-sident du gouvernement espagnol. Il était connu pour ses amitiés marocaines et par ses positions en faveur du Maroc et de ses revendications concernant le Sahara. Convaincu des bonnes intentions du Roi envers son pays, il se porta émissaire pour transmettre ses vœux de cordialité et de bon voisinage à son chef le Caudillo Franco. De ce fait, il déploya ses efforts pour créer, au sein du gouvernement de son pays, un inté-rêt en faveur d’une politique de coopération et de rapprochement avec le Maroc.

L’autre personnalité qui approcha Has-san II, et qui fut elle aussi séduite par son pragmatisme, sa vision pertinente et sa realpolitik, fut l’ambassadeur de l’Es-pagne à Rabat (entre1963 et 1964) Ma-nuel Aznar Zubigaray. Grand défenseur du franquisme, il est aussi le grand-père du président du gouvernement espagnol, Manuel Aznar. Il mena une politique d’in-transigeance et de fermeté envers le Maroc, soldée par une grave crise dans les relations hispano-marocaines après l’incident de l’Île Perijil (Taura), en 2002.

Dans ses rapports au ministère des Af-faires étrangères concernant ses discussions avec Hassan II, l’ambassadeur Aznar insis-tait sur la bonne foi du souverain marocain et sur la nécessité d’une réaction positive de la part du gouvernement de son pays pour renforcer les liens avec le pays voisin.

L’esprit de Barajas ou le dialogue à sens unique De ces contacts et démarches naquit

l’idée de l’entrevue entre les deux chefs d’Etats, connue sous le nom de la rencontre de Barajas, qui se déroula le 6 juin 1963. Cette première percée effectuée par Has-san II dans le mur d’obstination du géné-ral Franco, fut commentée et interprétée par certains analystes et historiens comme une transaction conclue entre les deux di-rigeants concernant le sort des territoires marocains en dispute. Aujourd’hui, les documents nous révèlent le vrai sens de cette rencontre qui ne fut pas une visite offi-cielle, mais le résultat de l’initiative du mo-narque alaouite qui croyait à l’importance du contact personnel entre les hommes quelles que soient leurs divergences.

Certes, on ne peut prétendre connaître les détails de la discussion qui eut lieu entre les deux hommes. Par contre, on sait que la rencontre fut minutieusement préparée par les chefs de la diplomatie des deux pays à savoir Ahmed Balafrej et Fernando Casteil-la, avec la collaboration du général Muñoz Grandes et de l’ambassadeur Aznar.

Par ailleurs, l’ambassadeur espagnol a dû rédiger un rapport envoyé à son ministre Casteilla intitulé « Déclarations secrètes du Roi concernant le présent et le futur des relations entre le Maroc et l’Espagne » où il souligna que toutes les idées mention-nées dans ledit rapport sont l’expression claire de la pensée de Hassan II relative à l’état des relations entre les deux pays et qui représente, toujours selon l’ambassa-deur, une proposition pragmatique et ré-aliste pour solutionner leurs différents et leurs contentieux. Il ajouta, que ces idées représentaient une analyse clairvoyante qui diffère de la vision de l’Espagne et sa position, et qui prend en considération le contexte international de la décolonisation

et de la guerre froide.Les grandes lignes de cette analyse dé-

fendue par Hassan II, avec insistance, de-vant Franco à Barajas, peuvent se résumer aux éléments suivants :

- L’Espagne ne peut faire exception face au mouvement de décolonisation soutenu et encouragé par l’ONU, et Franco devait l’accepter dans ses colonies africaines pour se mettre en diapason avec les nations ci-vilisées.

- Toute réaction positive de la part de l’Espagne envers ce mouvement, et en l’oc-currence envers les revendications maro-caines, renfoncerait sa position au sein des nations libres et de la communauté interna-tionale, et l’aidera à sortir de son isolement. Et si l’Espagne ne change pas d’attitude, elle ne fera que reproduire l’exemple por-tugais de Salazar, situation qui l’exposera à une condamnation mondiale.

- L’Espagne doit entamer un dialogue sur des propositions réalistes et viables, à savoir la rétrocession de Sidi Ifni et du Sahara, et la discussion sur le sort de Ceuta et Melilla, pour ne pas se voir obligé de céder, sous la pression et la contrainte, situation qui risquerait d’envenimer les relations entre les deux pays,

- Les relations d’amitiés et du bon voi-sinage sont le seul choix stratégique pour garantir la stabilité durable dans toute la zone. De telles relations créeront un climat de confiance qui permettra à l’Espagne de participer au développement d’un Maroc moderne, fort et stable.

Toutefois, cette grande plaidoirie dispen-sée par Hassan II pour secouer l’immobi-lisme du général Franco et la rigidité de sa position envers le Maroc, fut un vain effort. Ce que certains historiens ou polito-logues appelaient l’esprit de Barajas n’était qu’un dialogue à sens unique et sans écho. Durant la rencontre, Franco, fidèle à son caractère et à son tempérament, écouta son interlocuteur avec gentillesse et passivité, mais sans réactions ni signes d’approba-tion. Malgré cette déception, et malgré la difficile situation intérieure, aggravée par les séquelles de la guerre des sables contre l’Algérie, Hassan II resta fidèle à son choix devenu obsession chez lui. Bientôt, il ren-dra visite à Franco, au mois de février 1965, sous prétexte de partager avec le Caudillo une de ses rares passions qu’est la chasse. Mais la déclaration subtile de Hassan II aux journalistes, qui cherchèrent à comprendre

ce que cachait cette partie de chasse, pré-cisa qu’il n’est pas venu seulement pour tuer les cervidés, mais pour tuer aussi la méfiance, résumait l’immobilité de la si-tuation, et l’état de rigidité et d’obstination qui caractérisait l’attitude de Franco de ne rien céder face au Maroc.

Il a fallu attendre jusqu’au mois de juin 1969, suite à des pressions et des résolu-tions onusiennes pour que l’Espagne cède le territoire de Sidi Ifni, après l’accord de Fès du 4 janvier de la même année. Pour justifier ce revirement et la cession d’une province considérée de souveraineté natio-nale, le conseil d’Etat espagnol n’a trouvé de justification que de dire que Sidi Ifni ne fut qu’une province fonctionnelle et non territoriale, marquant ainsi la diffé-rence entre ce qui est espagnol, et ce qui est de l’Espagne. Ce fut une petite victoire, mais une grande fissure dans le mur solide qu’avait essayé de construire Franco autour de son rêve africaniste, et que Hassan II tentait de mettre en miettes.

Forcer le dialogue par la Marche verte

De par cette longue et rude expérience espagnole, le Roi Hassan II alla expérimen-ter une nouvelle et ingénieuse tactique dans sa stratégie de forcer Franco à s’ouvrir sur un dialogue sérieux, annonçant cette fois l’organisation, en l’automne de 1975, d’une marche verte pour récupérer les territoires sahariens. Cette démarche insolite, qui a surpris le général Franco dans ses derniers moments d’agonie, fut l’origine d’une intense négociation, et de va-et-vient de ministres et de hauts responsables entre Madrid, Rabat et Marrakech. Et malgré la tension palpable créée par ces événements, et intensifiée par l’implication dans cette af-faire d’autres parties comme la Mauritanie, l’Algérie, l’OUA, l’ONU et les EE.UU, Hassan II continua à croire en son choix, affirmant à ses interlocuteurs espagnols que le dialogue doit toujours rester entre des andalous. Certes, le dialogue fut difficile, mais toujours marqué de la part de Has-san II comme en témoignèrent les acteurs espagnols eux-mêmes, par la courtoisie, la cordialité, la sincérité et le désir d’arriver à une solution pacifique. Rappelons que la situation alors en Espagne fut très critique. Le Prince Juan Carlos venait d’assumer la responsabilité de l’Etat, alors qu’il n’avait pas encore la confiance des potentats du pouvoir, ni une solide assise au sein de l’échiquier politique du pays. Et pour ne pas faire obstacle devant son ascension au pou-voir, Hassan II adressa à Juan Carlos une lettre de soutien qui l’encouragea dans ces moments difficiles et salua même son ini-tiative de visiter les casernes militaires des îles Canaris et de Laayoun, pour tranquil-liser l’armée espagnole, dans ces moments difficiles pour l’Espagne, et la convaincre de l’importance de la solution politique et pacifique de la question du Sahara.

C’est dans ce contexte de pression, de dialogue et des discussions difficiles et intenses, que parvint Hassan II à obliger l’Espagne à signer les accords de Madrid en octobre 1975, tout en préservant les re-lations de voisinage et d’entente entre les deux pays. C’est le choix qu’il a toujours défendu avec insistance et sans relâche, et qui a fini par trouver un écho dans l’autre rive. Des personnalités bien placées dans

les sphères de l’État espagnol et des di-plomates de grandes carrières comme ; Maximo Cajal (secrétaire adjoint du mi-nistère des affaires étrangères espagnole et ambassadeur à Paris jusqu’en 1996) et Jaime de Piniés (ambassadeur à Londres, Washington et au sein des Nations unies jusqu’au 1985) ont levé leur voix pour une solution définitive avec le Maroc sur la question du Sahara, et sur le futur de Ceuta et de Melilla. Selon eux, cette so-lution renforcera la position de leur pays dans ses discussions avec la Grande-Bre-tagne sur le sort du Gibraltar, et garan-tira la paix et la stabilité dans une zone devenue prioritaire pour leur pays, ainsi que pour l’Union européenne. Une autre grande personnalité qui a joué un rôle important dans l’histoire de l’Espagne contemporaine, le général Gutiérrez Mel-lado, (vice-président et ministre de guerre durant le gouvernement de transition en Espagne, et célèbre par sa posture défiante face au baroud d’honneur des militaires nostalgiques de la période franquiste en 1981) affirma, avec conviction, durant les événements de la Marche verte «qu’il ne faut pas obliger Hassan II à faire la guerre, c’est un homme de paix».

Enfin un interlocuteur qui accepte de dialoguer Il a fallu attendre l’arrivée des socia-

listes et de leur leader Felipe González au pouvoir, en Espagne (1982-1996) pour, enfin, trouver un interlocuteur, même s’il ne partageait pas les mêmes idées et convictions que Hassan II. Il croyait sincèrement et fermement comme lui au choix impératif du dialogue et du bon voisinage entre les deux pays. Les so-cialistes espagnols, révélés réalistes et pragmatiques, vont éviter toute escalade verbale à propos des réclamations ter-ritoriales marocaines, tout en œuvrant pour une politique de coopération et de confiance mutuelle. Pour cela, ils vont renoncer à la stratégie de compensation et d’équilibre qui visait à exploiter, à l’avantage de leur pays, la concurrence entre l’Algérie et le Maroc. À sa place, ils vont adopter la stratégie générale, qui favorisait l’intégration régionale et le développement économique et social comme garantie de stabilité dans toute la région. En même temps ils vont mettre en œuvre une politique marocaine basée sur la théorie de colchon d’intereses (ma-telas des intérêts) qui visait à amortir les pressions revendicatives du Maroc par le renforcement des intérêts communs entre les deux pays. Cette démarche qui répond au choix de dialogue et d’en-tente qu’avait défendue Hassan II, sans se compromettre avec lui sur le sort des enclaves encore occupées, allait créer une atmosphère de confiance mutuelle, réaffirmée par la visite du Roi du Maroc à l’Espagne, en 1986, puis renforcée par la signature du Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération, en 1991, qui encadre les relations entre les deux Etats. n

* Professeur d’histoire contemporaine. Faculté des Lettres et des Sciences Hu-maines - El jadida

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AFRIQUE10 FÉVRIER 2018

Ils sont de plus en plus nombreux ces jeunes africains en quête de mieux être, qui font le choix de s’orienter vers d’autres lieux plus attractifs. Diplômés ou peu formés, tous sont convaincus de trouver le bonheur, partout ailleurs, en dehors de l’Afrique.

La population du monde devrait atteindre les 11,18 milliards d’habitants, en 2100, pendant que celle de l’Afrique avoisinerait les 4,4 milliards, soit un quadruple de sa population actuelle, selon une analyse de l’Institut français d’études démographiques (INED).

Boom démographique : quel avenirpour la jeunesse africaine ?

L’Afrique est en passe de de-venir le continent le plus peuplé du monde. Sa population estimée à 1,216 milliard d’habitants, en 2016, devrait se situer entre 2 et 3 milliards d’habitants, en 2050, et at-teindre 4,4 milliards, en 2100, soit 40% de l’humanité.

Par Désiré Beiblo

Le Continent connaît un boom fulgurant, avec une population jeune dont plus de 60% a moins

de 25 ans. Une jeunesse, toutefois, peu exploitée, globalement délaissée, que le Continent peine, aujourd’hui encore, à contenir, et dont une partie conséquente se livre à l’immigration clandestine et ses corollaires. Dès lors, une nouvelle problé-matique se pose pour le Continent sur la gestion de sa croissance démographique et la place de la jeunesse dans son déve-loppement.

La population du monde devrait at-teindre les 11,18 milliards d’habitants, en 2100, pendant que celle de l’Afrique avoisinerait les 4,4 milliards, soit un qua-druple de sa population actuelle, selon une analyse de l’Institut français d’études dé-mographiques (INED). Cette croissance extraordinaire, qui pourrait, à bien des égards, être perçue comme une aubaine dans un monde qui vieillit, soulève cepen-dant, de véritables préoccupations sur le continent le plus «pauvre» de la planète. En effet, avec plus de 200 millions de 15-24 ans, soit 20% de son peuplement total, l’Afrique a la population la plus jeune du monde. Cette tranche d’âge qui représente 40% de sa population en âge de travailler compte pour 60% des chômeurs. Mal-gré les forts taux de croissance observés dans bon nombre de pays africains, ces

dernières années, le chômage reste om-niprésent, principalement, au niveau de la jeunesse, qui dans l’attente des retom-bées de cette croissance économique, rêve d’ailleurs.

Volonté d’immigrationIls sont, de plus en plus, nombreux ces

jeunes africains en quête de mieux être, qui font le choix de s’orienter vers d’autres lieux plus attractifs. Diplômés ou peu for-més, tous sont convaincus de trouver le bonheur, partout ailleurs, en dehors de l’Afrique. Cette volonté d’immigration résulte de l’incapacité du Continent à pro-poser de véritables opportunités et débou-chés à sa jeunesse. Chaque année, ce sont des milliers de jeunes africains qui partent étudier, travailler ou vivre sous d’autres cieux. La fuite des cerveaux est l’un des problèmes majeurs du développement de l’Afrique. Depuis plus d’une décennie, les interrogations que soulève cet exode de masse sont au cœur de la plupart des som-mets de chefs d’Etats sur le globe, mais aujourd’hui encore, la question est loin d’être réglée.

Une croissance peu créatrice d’emploi

Avec une croissance moyenne du PIB estimée à 2,2%, en 2016, l’Afrique est restée sur sa dynamique de développe-ment rapide, occupant la deuxième place derrière l’Asie du Sud. Cependant, cette croissance économique semble avoir ou-blié les pauvres. Les observateurs s’ac-cordent à dire qu’elle n’est pas encore inclusive. En effet, les chiffres éloquents annoncés par les dirigeants et les institu-tions financières sont à des années lumières des réalités quotidiennes des populations. La jeunesse, première victime de cette si-

tuation, subit, de plein fouet, la pauvreté du Continent. Et si le manque de politique sociale et la mauvaise redistribution des richesses créent un malaise, le problème de fond reste le manque criard d’emploi. Cette situation a pour conséquence de fragiliser davantage une jeunesse aux abois, qui se sent, de moins en moins, concernée par le développement du Continent. Et les causes sont multiples.

Des formations inadaptées au marché du travail

Malgré un taux d’alphabétisation à la traîne sur les autres continents, l’Afrique a, tout de même, effectué un bond consi-dérable au niveau de l’éducation et de la formation. Cependant, un déséquilibre subsiste entre les compétences acquises et le marché du travail. Le système éducatif, principalement dans l’enseignement supé-rieur, a très peu évolué, depuis la période des indépendances.

La croissance démographique fulgurante fait-elle fuir les jeunes ?

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AFRIQUE FÉVRIER 2018 11

Boom démographique : quel avenir pour la jeunesse africaine ? (Suite)

En 2016, seulement 28 % des étu-diants étaient inscrits dans des matières de science, technologie, ingénierie et ma-thématiques (STEM), contre 72% dans des facultés d’études des sciences sociales. En fin de formation, cette frange de jeunes di-plômés se retrouve, insuffisamment, outil-lée pour affronter le monde du travail. On estime entre 10 et 15 millions, le nombre de jeunes qui arrivent sur le marché du travail, chaque année, en Afrique. Mais le manque de compétences souhaitées reste un handicap, tant sur la question de l’em-ployabilité que celle des réels besoins du Continent. Selon une étude de la Fonda-tion pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF), celle-ci compte seu-lement 35 ingénieurs pour un million de personnes, contre 168 au Brésil, 2457 dans les pays de l’Union européenne et 4103 aux États-Unis. Le secteur de la santé n’est pas plus reluisant : «Le continent dispose seulement de 2 % des médecins du monde, alors qu’il supporte, à lui seul, environ 24 % de la quantité totale des maladies», révèle l’étude.

Un marché du travail dominé par l’informel

Selon Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour la Région Afrique : «Le principal problème en Afrique, ce n’est pas le chômage, mais plu-tôt le sous-emploi. Les jeunes en Afrique ne peuvent pas se permettre de rester à la maison. Beaucoup d’entre eux vendent des marchandises dans la rue ou lavent des voitures dans la ville pour gagner leur vie, et ils ne trouvent pas un travail de plus de quelques heures par jour. La ques-tion est de savoir comment les politiques peuvent cibler ce groupe de travailleurs.» En effet, dans un environnement peu pro-pice à l’entreprenariat du fait du manque d’infrastructure, de l’accès au crédit, de l’instabilité politique, etc. 75% du marché du travail en Afrique est informel. Mais ce secteur est mal structuré et compte pour peu dans le PIB du continent. Les faibles revenus issus des activités de ce secteur ne confèrent pas une autonomie

financière à la jeunesse qui demeure dans une précarité préoccupante. Dans un rap-port publié à l’occasion de la 12e Réu-nion régionale africaine, l’Organisation internationale du travail (OIT) a fait part de son inquiétude vis-à-vis des difficultés rencontrées par la jeunesse africaine : «Le chômage des diplômés et le sous-emploi dans l’économie informelle, où la plupart des jeunes d’Afrique occupent des emplois peu productifs, constituent des facteurs d’instabilité, en particulier chez les jeunes dans les pays post-conflit et dans les Etats fragiles.» Mais comme le suggère Makh-tar Diop, cibler ce groupe de travailleurs par une politique qui les vise directement, pourrait transformer la croissance démo-graphique de l’Afrique en opportunité de développement.

« L’Afrique a les moyens d’inverser la tendance »

Le dernier sommet Union Afri-caine-Union européenne qui s’est tenu dans la capitale ivoirienne sous le thème : «Investir dans la jeunesse pour un avenir durable», a remis la jeunesse africaine au centre des priorités du Continent. Et à la fin des deux jours de concertations, il a été convenu de l’investissement dans les personnes, l’éducation, la science, la technologie et le développement des compétences, le renforcement de la rési-lience politique, de la paix, de la sécurité et de la gouvernance, la mobilisation des investissements pour la transformation structurelle de l’Afrique, la migration et la mobilité. A cette occasion, l’Union eu-ropéenne a promis d’investir 44 milliards d’euros à travers le plan européen d’in-vestissement extérieur pour l’assistance aux Africains. Cela laisse présager des actions d’envergure en faveur de la jeu-nesse sur le Continent. Bien ciblées, elles pourraient inverser la tendance actuelle.

Une éducation en phase avec les réalités

économiquesMama Ouattara, la directrice du Centre

ivoirien de recherches économiques et sociale d’Abidjan (CIRES), propose une nouvelle approche de l’éducation et de la formation en Afrique : «Au lieu de se contenter de multiplier les établissements qui proposent les mêmes cursus, les pays africains devraient mettre en place des centres de recherche dans le cadre des-quels certains pays se spécialiseraient dans certains cursus ou domaines. Cela permettrait non seulement d’améliorer la communication entre les pays et la dif-fusion des connaissances, mais aussi de renforcer les capacités des établissements universitaires».

Pour le ministre sénégalais de l’Éduca-tion nationale, M. Serigne Mbaye Thiam, le problème réside dans la qualité de l’édu-cation, qui, selon lui, devrait préparer l’en-fant à faire preuve de souplesse à l’âge

adulte pour pouvoir s’adapter à l’évolution du marché : «Nous n’avons pas prévu le type d’emplois qui seraient exercés, dans la période 2010-2020. Nous avons mis l’accent sur l’accès à l’éducation mais, quelque part, nous avons oublié la quali-té», a-t-il déclaré, soulignant l’impérieux besoin pour les politiques africaines de travailler à l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’éducation, la ré-duction des inégalités en matière d’accès à l’éducation et la promotion d’une gou-vernance inclusive et transparente dans le secteur de l’éducation.

Une amélioration des moyens de subsistance et

de l’employabilité des jeunes d’Afrique

L’Organisation internationale du travail, de son côté, plaide pour un alignement des structures, des processus, des pro-grammes d’enseignement et approches des systèmes éducatifs, en particulier, dans le supérieur, sur les besoins et les exigences des marchés du travail dans les économies formelle et informelle, pour traiter en pro-fondeur la question de l’employabilité des jeunes africains. Selon les conclusions du rapport de l’organisation, l’élaboration de programmes de transition de l’école au marché du travail, la promotion d’un envi-ronnement propice pour l’investissement privé et la diversification économique, en mettant l’accent sur l’esprit d’entreprise chez les jeunes, la création d’un fonds fiduciaire pour l’emploi des jeunes, en mettant à contribution les liens avec les organisations communautaires, l’accès aux marchés, la microfinance et les coo-pératives des jeunes, sont des solutions pour relancer la dynamique de l’emploi des jeunes.

En outre, la facilitation de l’intégration régionale des marchés du travail pour améliorer la mobilité de la main-d’œuvre à l’intérieur de l’Afrique, le développe-ment et le renforcement des capacités des services publics chargés de l’emploi, et la promotion de marchés du travail de qualité dans l’économie informelle et en milieu rural, sont, entre autres, autant de mesures qui pourraient faire de la jeunesse, un atout sûr pour un boom économique africain. n

Dans un environnement peu propice à l’entreprenariat du fait du manque d’infrastructure, de l’accès au crédit, de l’instabilité politique, etc. 75% du marché du travail en Afrique est informel.

Selon une étude de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF), celle-ci compte seulement 35 ingénieurs pour un million de personnes, contre 168 au Brésil, 2457 dans les pays de l’Union européenne et 4103 aux États-Unis.

«Nous n’avons pas prévu le type d’emplois qui seraient exercés, dans la période 2010-2020. Nous avons mis l’accent sur l’accès à l’éducation mais, quelque part, nous avons oublié la qualité», dixit le ministre sénégalais de l’Éducation nationale.

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AFRIQUE12 FÉVRIER 2018

Lors de sa tournée africaine, en novembre, le Président français Emmanuel Macron n’a pas réussi à convaincre cette jeunesse.

Pourquoi la jeunesse africaineen veut à la France

Par Désiré Beiblo

I l est de notoriété publique qu’au-jourd’hui encore, la jeunesse africaine, plus précisément celle

des anciennes colonies françaises des pays du sud du Sahara, en veut à la France qu’elle accuse d’être à l’origine des malheurs du continent. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux et les forums de discussion, devenus les lieux privi-légiés d’expression de cette jeunesse en quête d’affirmation. Le malaise est bien réel. Et alors que les politiciens français et certains de leurs confrères africains prétendent avoir tourné la page de la France-Afrique, la relève du continent est loin de partager cet avis.

Qu’il s’agisse de l’immigration clan-destine et ses corollaires, des régimes dictatoriaux et leurs répressions san-glantes, de la pauvreté sur le continent ou encore de la mauvaise gouvernance, la jeunesse africaine francophone sub-saharienne en veut au « plus grand responsable » qu’est la France. Mais qu’on ne s’y méprenne point. Cette majorité de jeunes en veut, avant tout, à ses propres dirigeants à qui elle re-proche ses mauvaises conditions de vie malgré toutes les richesses dont regorge le continent, et à la France de leur imposer ses « préfets » pour ses intérêts personnels. L’époque de la colonisation est peut-être révolue pour les Occidentaux mais les Afri-cains en gardent un souvenir doulou-reux. Et parmi ces « nostalgiques », beaucoup de jeunes africains qui n’ont pas vécu cette période sombre du continent, mais qui souhaitent re-discuter les rapports entre l’Afrique, la France et le reste du monde. Très proches, idéologiquement, de Thomas Sankara, un homme d’Etat burkina-bè anti-impérialiste et panafricaniste, assassiné à Ouagadougou, au Burki-na Faso, ces jeunes africains veulent s’approprier l’Afrique, en devenir les uniques décideurs et devenir les égaux des « autres ».

L’omniprésence de la France

Le premier partenaire des pays d’Afrique francophone, c’est bien évi-demment la France qui, en réalité, n’a jamais quitté ses anciennes colonies sur qui elle a gardé une mainmise depuis qu’elle leur a « gracieusement » accor-dé l’indépendance. Elle a maintenu, à leur égard, un certain paternalisme mal vu par la jeunesse africaine d’au-jourd’hui qui refuse la « soumission » des 14 pays de la zone franc à un seul pays, fut-il une puissance nucléaire. A ce jour, certains de ces pays, comme la Côte d’Ivoire, abritent ses bases mi-

Mardi 28 novembre 2017, le Président français s’est longuement entretenu avec des étudiants africains, au lendemain de son arrivée à Ouagadougou.

litaires qui, ajoutées à l’influence de la langue et de la monnaie (la dernière monnaie coloniale encore en activité), maintiennent intacte la domination française. Et comme tous les pays développés, la France œuvre, avant tout, pour ses intérêts et le bien-être de ses citoyens, ce dont semble prendre conscience la jeunesse africaine. Accu-sée d’être à la base des crises politiques et militaires africaines, soit en finançant des rebellions pour déstabiliser des ré-gimes, soit en fermant les yeux sur les crimes des dictateurs arrivés au pouvoir par ses soins, c’est surtout l’intrusion de l’Elysée dans la politique africaine et son rôle qui dérangent. En effet, ses prises de positions et ses interventions en Afrique semblent être motivées par des intérêts qui échappent aux Afri-cains.

« La France aime les dirigeants afri-cains et déteste les citoyens africains, parce que nos dirigeants leur donnent presque tout et prennent les restes. Il n’y a plus rien pour la population et ça, ça ne dérange personne », déclarait un cyber activiste africain pour qui, il est urgent de briser la « colonisation française qui s’est poursuivie, sous d’autres formes, après les indépen-dances ». Ces propos reflètent assez bien l’état d’esprit de ces jeunes afri-cains, de plus en plus, nombreux à dé-noncer un pillage des richesses de leur

continent par la France et l’Occident à travers leurs multinationales. Si de telles affirmations peuvent avoir des limites, force est de reconnaître que le contraste entre les richesses de ce continent, riche de ses ressources na-turelles et de son développement est énorme. La redistribution équitable des richesses demeure une véritable préoccupation dans la presque qua-si-totalité des pays du continent et l’écart entre les riches et les pauvres se creuse, inlassablement, malgré une croissance saluée par les organismes internationaux. Là encore, les jeunes africains reprochent à la France dont les pouvoirs successifs ont maintenu des relations étroites avec les gouver-nants de leurs anciennes colonies, de ne pas s’intéresser aux questions cru-ciales telles que la corruption, le né-potisme, les détournements de fonds, etc. des problèmes communs à de nombreux régimes politiques, qui les poussent à l’immigration clandestine, vers une Europe qui ne veut pas les recevoir.

La France en Alerte ?L’hostilité des jeunes africains à

l’égard de la France n’est pas un fait méconnu par l’ancien colon. En perte de vitesse, face à la concurrence des Etats-Unis et de la Chine, la France est attentive à l’évolution des mentalités sur le continent. De passage à Casa-blanca, au Maroc, en novembre 2017, Erwan Borhan Davoux, Président du RP9, s’est dit préoccupé des tournures que prennent les relations Franco-Afri-caines. « Ce qui me préoccupe, c’est l’image négative de la France auprès de la jeunesse africaine. On a une population jeune qui n’a pas connu la période de la colonisation et pour-tant, qui est très critique vis-à-vis de la France. J’aimerais que la société

civile, les jeunes, la coopération dé-centralisée soient des piliers plus im-portants dans la relation bilatérale », au-delà des relations d’Etat à Etat, a-t-il déclaré.

« Il est évident que la France doit reprendre ses responsabilités avec l’Afrique, recréer de nouveaux liens et accompagner son développement économique. La France, en fait, ne sait pas trop quoi faire. Quand elle intervient trop, on lui dit qu’elle est l’ancienne puissance coloniale qui fait de l’ingérence intérieure. Quand elle n’intervient pas, parfois c’est pire, on lui dit : ‘’ Vous nous aban-donnez !’’ », A-t-il ajouté. Toutefois, il reste confiant sur l’avenir. « Je suis persuadé que le destin de la France et de l’Afrique sont intimement liés. Je pense qu’il faut réussir à recréer un lien de confiance, sur de nouvelles bases, où la France va être un accom-pagnateur. »

Lors de sa tournée africaine, en novembre, le Président français Emmanuel Macron n’a pas réussi à convaincre cette jeunesse. Au Bur-kina Faso, au même moment où il répondait aux questions d’étudiants sélectionnés pour le rencontrer, des centaines d’autres auxquels les auto-rités avaient interdit l’accès à l’uni-versité, manifestaient contre sa venue. Son dernier voyage au Sénégal où il a annoncé la décision de la France de verser 200 millions d’euros au Parte-nariat mondial pour l’éducation, n’a pas non plus convaincu. Ces jeunes africains veulent désormais compter sur leurs propres forces, se libérer du statut d’assisté et ne plus dépendre des aides extérieures. Pour ce faire, ils veulent sortir du franc CFA et se libérer de la présence militaire fran-çaise. Des projets que ne partagent pas forcément leurs dirigeants. n

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INTERNATIONAL

Au courant des neufs premiers mois de l’année 2017, les entrepreneurs chinois, de manière collective, ont investi, hors de leurs frontières, près de dix milliards de dollars,répartis dans soixante-quatre pays, le long de la Nouvelle Route de la Soie

FÉVRIER 2018 13

La Chine en ordre de marche….

Hong-Kong - DNES Jamal Chafra

Le moins qu’on puisse dire est que 2017 aura survécu à un contexte régional de crises et de tensions

explosives, où des forces, en attente, sem-blaient être sur le point de provoquer une déflagration fatale, accréditée à la faveur d’un faux drapeau (False Flag), prompt à susciter, en retour, un tonnerre de ripostes foudroyantes, aux conséquences dévasta-trices et incalculables, jetant le monde au bord du précipice.

Dans ce contexte critique de risques géo-politiques, rien n’a pour autant empêché la Chine, pétrie d’une passion pour le pragma-tisme, supportée par un boom économique sans précédent, de penser, de prime abord, au développement économique et social, si soucieuse de prendre en compte l’aspira-tion profonde de ses dirigeants à créer les conditions d’une stabilité et d’une prospérité durables pour leur pays et leurs administrés.

Cette vision en prise avec la réalité géos-tratégique, se déploie au moment même où la zone bruisse de rumeurs de conflits immi-nents, de crises et de tensions tragiques, de fracas de missiles, devant un triste spectacle de foire d’empoigne entre les grandes puis-sances qui campent le rôle de gendarme de la zone d’Asie du Sud-est.

La Nouvelle Route de la Soie

Et par ce même esprit de pragmatisme emblématique, le premier geste du nou-veau timonier au surnom affectueux de «Xi Dada», une fois aux affaires, -politicien au demeurant hors norme, leader incontesté en avance sur son temps-, fut de mettre en acte une approche cohérente et glo-bale tournée vers l’extérieur. Elle promeut de grands chantiers, tels que la Nouvelle Route de la soie, aussi appelée, littérale-ment, « La Ceinture (terrestre) et la Route

(maritime) », (One Road One Belt), fort du soutien décisif à la Chine de 80 pays, s’ad-joignant au passage leurs capitaux au sein de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.

L’enjeu est énorme. La tâche est gigan-tesque à chacune des étapes inhérentes à son développement.

En plein accord avec les principaux ob-jectifs escomptés, il s’ensuit qu’au courant des neufs premiers mois de l’année 2017, les entrepreneurs chinois, de manière col-lective, ont investi, hors de leurs frontières, près de dix milliards de dollars, répartis dans soixante-quatre pays, le long de la Nouvelle Route de la Soie, à la faveur de l’espoir providentiel qu’ont bien voulu placer en eux les pays récipiendaires, cooptés pour l’occasion.

Sans compter l’émergence de pas moins de quinze zones de coopérations écono-miques et commerciales incubées dans qua-rante-quatre pays et régions, regroupant un réseau de 3.400 entreprises chinoises, leur conférant une base durable dans un mail-lage de projets d’infrastructures routières, ferroviaires, maritimes, aéroportuaires, in-dustrielles, énergétiques, technologiques et d’ingénierie, venues enrichir, de manière opportune, le tissu économique local.

Parallèlement au nouvel espace commun économique ainsi constitué, il importait pour la Chine de s’ouvrir, à juste titre, aux autres civilisations, nations, et peuples, que compte la planète, comme alternative au confinement, à la polarité et à l’unilatéra-lisme ambiants.

Ce processus à l’œuvre, louable au de-meurant, a rencontré un grand succès et pour le coup se poursuit, inlassablement, dé-ployant, opportunément, des liens avec ses partenaires commerciaux, valorisant l’esprit d’ouverture, de dialogue, d’échanges, de coopérations universitaires, touristiques, et culturelles engageants pour, en défini-tive, imprimer la marque d’une impulsion attendue.

Autant d’élans fondateurs qui, en re-vanche, confirmeront, de toute évidence, une inévitable suprématie économique de la Chine sur l’échiquier international, fé-condée par une diplomatie de projets, pour le coup, assumée, épaulée, durablement, par la plupart des grandes puissances in-dustrielles et commerciales occidentales.

Celles-ci ont, légitimement, choisi de prendre ce train en marche (sauf rares ex-ceptions sans les désobliger pour autant) au nom de leurs intérêts propres. Elles furent suivies d’une myriade d’économies margi-nalement développées, et d’autres ayant ac-cusé un certain retard au décollage, chacune s’empressant à son échelle de rejoindre les rangs par pur intérêt vital, au risque d’être mise à son ban et de sombrer en marge. Néanmoins, sur le plan local, se profilent d’autres nouvelles initiatives performantes, tournées, elles, vers l’intérieur, qui, à tout point de vue, visent à parachever l’essor économique et social au sein même de ses frontières, second volet de cet engagement, tout aussi porteur de fortune et de paix.

La Grande Baie Guangdong-Hong

Kong-MacaoPour autant, la volonté puissante de

la Chine est de se développer en interne aussi. Si bien que l’on parle, à présent, du projet auto-centré, conçu et promu, lors du 19e Congrès national du Parti communiste chinois, d’une conurbation de premier rang mondial, baptisée « grande Baie Guang-dong-Hong Kong-Macao », zone de libre-échange, de surcroît, ouverte aux voyageurs d’affaires de 53 pays qui jouiront d’un ré-gime de transit sans visa pour une période de 144 heures. Rappelons, en outre, que la superficie de cet espace représente à peine 0,6% de la superficie totale de la Chine et quelque 5% de l’effectif de sa population, contribuant à hauteur de 12% à son écono-mie nationale.

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INTERNATIONAL14 FÉVRIER 2018

La Chine en ordre de marche…. (Suite)

En définitive, il s’agit d’en faire dans la foulée, la plus grande région de baie en termes de PIB à l’horizon 2030, pour devenir un espace manufacturier avancé, ainsi qu’une plate-forme mondiale de sy-nergies diversifiées et d’avantages réci-proques, en mesure de favoriser un riche écosystème d’innovation, de high-tech, d’industries créatives et numériques, de haute finance, de transport maritime et de commerce.

Tout au plus, cela formera un véritable cœur battant de la Chine, nouant durable-ment des liens, érigeant des passerelles, prenant en compte les exigences des équi-libres locaux, dans l’esprit gagnant-ga-gnant cher à la Chine, capable, à beaucoup d’égards, de concurrencer la Grande Baie de San Francisco, ou bien même, la sphère de New York ou de Tokyo.

Qu’entendent par là les planificateurs chinois, toujours à l’œuvre aux avant-postes, constamment en quête d’un enga-gement, prompt à provoquer un sursaut quantique, visant à rassembler leurs éner-gies autour d’un projet fédérateur, à refon-der une nouvelle architecture d’un ordre économique local et régional en mesure de sceller des partenariats décentralisés de région à région, à même de faire advenir une aire de prospérité nouvelle, dans le respect des spécificités, des identités, de l’autorité, de l’histoire et de la géographie, à l’échelle de leurs territoires propres et respectifs ?

Songeons à ce qu’avec un PNB avoi-sinant, en 2016, les 1.4 Trillions de dol-lars, produit de l’agrégat de onze agglo-mérations dont Hong Kong, Macao et Guangzhou, Shenzhen et Zhuhai dans la Province du Guangdong, la Grande Baie Guangdong-Hong Kong-Macao, gravite, désormais, dans le giron fermé du club comprenant la Grande Zone de Tokyo qui cumule, à elle seule, 1.8 trillion de dollars et de New York avec 1.7 trillion de dollars, dépassant, au passage, la zone de la Baie de San Francisco.

Mais encore, à l’horizon de 2030, ce même PIB régional de la zone de la Grande Baie atteindra 4.6 trillions de dollars pour enfin surpasser les zones de la Baie de Tokyo, de New York et ainsi occuper le premier rang mondial,

A l’heure de ces grands choix de réa-lisation, il y eut l’idée de ce pont de près de 55 kilomètres reliant, en réseau, Hong Kong et Macao, faisant corps avec la zone économique spéciale de Zhuhai sur la côte sud-ouest de la Chine, un méga-projet qui aura pris, au bas mot, six années, qui de-vrait être achevé courant 2018, permettant de réduire le temps de trajet entre ces villes de 3 heures à 30 minutes, tout en rendant fluide, en outre, la libre circulation des capitaux, des ressources humaines, des biens, des marchandises, des services, des énergies au sein de cet ensemble in-tra-urbain.

Elle est là, cette Chine fidèle à elle-même, qui dans sa grande marche silen-

cieuse, sereine et méthodique, se mue, se réforme, et se métamorphose sous notre regard témoin, -pour y avoir vécu d’affilée durant presque une trentaine d’années-, une exception notoire dans le désordre mondial qui règne d’ordinaire de nos jours, pour en sortir renforcée, plébiscitée par les forces vives de sa nation séculaire.

Tel est, du reste, le visage de la Chine nouvelle, en ce début du XXIe siècle, qui, dans un contexte de décentrement mondial, comme aime à le penser Dipesh Chakra-barty, se targue, à bon droit, de tirer les dividendes économiques et stratégiques fructueux de sa seule force d’initiatives, en parfaite harmonie avec les exigences de son temps. Mais tout succès suscite, par ailleurs, inconforts, crispations, jalousies et envies.

La Chine face à la frilosité et à l’incertitude

des NationsSans doute n’est-il pas inutile de rap-

peler les lectures en surimpression révé-lant ces angoisses, oscillant entre la vi-sion d’une Chine paternaliste, à l’image d’un sauveur messianique, déployant des moyens incomparables au profit «d’un tiers-monde en mal de développement» face auquel le monde occidental conserve une dette imprescriptible, (vision qu’il convient à notre sens de nuancer et d’at-ténuer), et celle d’une Chine qui suscite une exaspération doublée d’une méfiance névrotique, (vision tout aussi dénuée de logique), s’évertuant à dénoncer sans précautions oratoires, son ambition défer-lante, hégémonique, prédatrice, propre à déstabiliser et fragiliser un ordre mondial déjà incertain.

Cette Chine ainsi décrite, existe-t-elle comme elle nous l’est, dès lors, présentée, en une image qui se perpétue, par endroit si attachante, par moment si menaçante ? Autant de questions qui, tour à tour, fâchent, irritent et exaspèrent comme on le subodore.

La réalité se veut bien plus contrastée. Gardons-nous donc de ces représentations réductrices et de ces préjugés factices, qui relèvent parfois de la mystification, don-nant lieu ex abrupto à des incompréhen-sions qui souffrent de manque d’objecti-vité et de cohérence. Sauf à révéler chez leurs auteurs, une culpabilité inhibée, qui cache mal leur frustration d’avoir perdu la manche.

C’est en somme la destinée d’une Chine résolue à rayonner, échafaudant, minu-tieusement, des choix audacieux, faisant preuve à sa manière d’inventivité, de vi-sion stratégique, d’initiatives originales de long terme. Une Chine longtemps discrète dans les affaires planétaires, mais qui dé-sormais a toutes les raisons légitimes de se réjouir de son assurante ascension.

Consciente aussi de ses intérêts, elle poursuit tant bien que mal son avancée historique, se projette au futur, comme puissance économique, démographique,

nucléaire régionale, qui s’affirme et s’em-ploie à recouvrer la place la plus visible qui lui sied, au sein de la communauté internationale.

Faisant face à une réelle défiance à son égard, il est manifestement pour qui saura saisir l’occasion, une main gracieusement tendue par la Chine, désireuse d’acter son action sous le signe de la non-ingérence, de l’esprit de paix, du dialogue, de la coopération, de la solidarité, y compris de l’amitié et du respect entre les peuples, consentant à plus d’équité dans le partage des projets, des ressources et des richesses.

De fait, un rapide regard lucide sur son histoire abonde de réalisations frappantes. Le choc des exploits qui ne manque pas de nous étonner, aura tout fait de dissiper cette méfiance pour le moins révolue, ces incertitudes intrinsèques qui n’ont plus lieu d’être, et de neutraliser l’hystérie de ses détracteurs, à moins de se dérober de-vant la réalité, à l’heure où ceux-là même, s’embourbent dans une langueur écono-mique lascive.

Il revient, dès lors, à chacun de nous, de se rappeler de ces réalités parlantes, et de repenser notre manière d’appréhender notre jugement concernant cette presti-gieuse civilisation, sauf à vouloir faire le choix d’occulter, par démagogie politique, sa grandeur, que désormais plus personne ne conteste sérieusement.

La Chine est inexorablement en ordre de marche, à défaut de dire de bataille, évoluant selon une approche globale et régionale stratégiques, qui sera, plus ou moins, brève échéance, porteuse de paix et de progrès. Dans l’un comme dans l’autre cas, elle sera amenée à connaître en dépit des contingences historiques, son âge d’or ultime. L’Histoire lui aura, enfin, conféré sa place méritée dans le concert des nations.

Autant accepter la vérité que désormais, il y aura tout à gagner à être impliqué dans cet axe majeur de « partnership win-win », fondé sur le dialogue du face-à-face, en des termes d’égal-à-égal, auquel cas, il y aura, certes, à subir un risque immense à vouloir s’en passer.

Cela n’a, pour les pragmatiques que nous devrions être à notre tour, rien de reprochable ni d’opportuniste, face à ce qui se présente comme nouveaux enjeux de croissance, de prospérité et de stabilité. Telle est, à notre sens, la voie raisonnable à suivre. L’action ne peut pas attendre. n

Elle est là, cette Chine fidèle à elle-même, qui dans sa grande marche silencieuse, sereine et méthodique, se mue, se réforme, et se métamorphose sous notre regard témoin.

La Chine est inexorablement en ordre de marche, à défaut de dire de bataille, évoluant selon une approche globale et régionale stratégiques, qui sera, plus ou moins, brève échéance, porteuse de paix et de progrès.

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INTERNATIONAL

C’est précisément au moment où la Chine devient une puissance économique qu’elle redécouvre l’importance du monde arabe pour son économie et pour son rayonnement international.

FÉVRIER 2018 15

La Chine et les pays arabes :intérêts réciproquesDr. Bichara KHADER

Bien que voisins distants, la Chine et les pays arabes ont eu une re-lation ancienne qui remonte aux

premiers siècles de notre ère, bien avant l’apparition de l’Islam. Les lecteurs arabes intéressés par l’histoire de ces re-lations peuvent lire avec profit les dos-siers détaillés consacrés aux relations sino-arabes et publiés par l’excellente revue arabe « Al-Mustaqbal Al-Arabi », en 2017.

La Chine et les pays arabes après 1949

La République populaire de Chine est proclamée en 1949, en pleine guerre froide opposant l’Occident libéral à l’Union soviétique. La Chine n’a pas voulu s’aligner sur l’un ou l’autre camp, préférant s’engager dans le non-alignement prôné à Bandung en 1955 et ensuite, officialisé à Belgrade en 1961. Cela n’empêche pas la Chine de soutenir tous les mouvements de libération nationale en lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Ceci explique le soutien de la Chine à l’Egypte, lors de l’agression tripartite de Suez en 1956, la reconnaissance du Gouvernement provisoire algérien en 1958 et l’appui de la Chine au mouve-ment national palestinien dont elle a formé de nombreux cadres militaires. De leur côté, les pays arabes ont sou-tenu l’octroi à la Chine populaire d’un siège permanent au Conseil de sécurité, en 1971 et ont établi des relations di-plomatiques avec la Chine, entre 1956 et 1990. Mais entre 1949 et 1978, les relations économiques se réduisaient à une peau de chagrin

Avec Deng Xiao Bing (1978-1992), la Chine s’engage dans une timide réforme économique et une ouverture prudente sur l’économie mondiale..Lentement mais sûrement, la Chine s’engage dans un développement accéléré, devenant l’atelier industriel du monde, réalisant des excédents commerciaux considé-

rables, et engrangeant des fonds souverains, estimés aujourd’hui, à plus de 3.000 milliards de dollars.

C’est précisément au mo-ment où la Chine devient une puissance économique qu’elle redécouvre l’impor-tance du monde arabe pour son économie et pour son rayonnement international.

Les intérêts de la Chine dans le monde arabe

Les intérêts de la Chine dans le monde arabe sont lé-gion : nous en épinglerons les plus importants.

Le 1er intérêt est géopolitique En tant que puissance commerciale

mondiale, la Chine dépend largement du transport maritime qui assure 90 % des exportations chinoises. La sécuri-té de navigation est dès lors un inté-rêt primordial. Des quatre principaux détroits - Malacca, Hormuz et Bab el Mandab- et Gibraltar- trois se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Or, on estime que la moitié des importations pétrolières de la Chine et le quart de ses importations gazières transitent par le détroit d’Hormuz sur le Golfe arabo-persique. Bab el Man-dab, à l’entrée de la Mer Rouge, est encore plus important puisqu’un cin-quième des exportations chinoises vers le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe emprunte le détroit, par lequel transitent également près de 300.000 barils/j en provenance d’Algérie, de Libye et du Soudan.

Le 2e intérêt est énergétiqueSelon le journal économique MEES

(27 janvier 2017), la Chine importe près de 3.6 millions de b/j du Moyen-Orient soit près de 48 % de ses importa-tions totales de pétrole. La dépendance

Région 2010 2016 %Moyen-Orient 2.260 3.660 48,1%Afrique 1.414 1.347 17,7%Les républiques ex-Soviétiques

521 1.207 15,0%

Les Amériques 413 1.033 13,6%Source : Nasser Al Tammimi : l’émergence de la Chine : les intérêts chinois et les conséquences sur les pays arabes (en arabe) :

Al Mustaqbal al-arabi, Juillet 2017, p.82.

Tableau 1Importations chinoises de pétrole (milliers de barils/j) 2010-2016*

du gaz arabe et iranien est à peine in-férieure (41% du total de ses impor-tations). Or, compte tenu des besoins croissants de la Chine, il est fort pro-bable que la dépendance de la Chine de la région arabe et moyen-orientale devienne plus prononcée, dans les 2 prochaines décennies.

Le 3e intérêt est économiqueLa pénétration économique chinoise

des marchés arabes, au cours des 25 dernières années, a été spectacu-laire, faisant passer les exportations chinoises vers les pays arabes de $10 milliards en 1990 à $220 milliards en 2016. C’est une multiplication par 22. Certes, cela ne représente que 5.2 % des exportations chinoises estimées en 2016 à $ 3.96 trillions. Mais le scé-nario tendanciel semble indiquer que le commerce chinois avec les pays arabes dépassera les $ 300 milliards, bien avant 2025.

Le 4e intérêt est la promotion des investissements

Certes, l’Afrique noire attire, pour le moment, davantage d’investissements que les pays arabes et ceux du Moyen-Orient : $ 252 milliards contre $177 milliards, dont $ 70 milliards dans les pays arabes du Golfe. Mais le rythme de croissance des investissements dans les pays arabes a été, particulièrement, soutenu au cours de la dernière décennie et il le sera davantage au cours des pro-chaines années, compte tenu des nou-velles initiatives chinoises notamment les nouvelles Routes de la Soie dont il sera question plus loin.

Le 5e intérêt chinois est d’ordre religieux

Cela ne doit guère surprendre, car il est primordial, du point de vue chinois, d’entretenir des relations apaisées avec les pays musulmans.

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INTERNATIONAL16 FÉVRIER 2018

La Chine et les pays arabes : intérêts réciproques (Suite)

Tout d’abord parce que la Chine a, en son sein, à la frontière avec la Mon-golie, une minorité musulmane de 20 à 25 millions -les Ouighours- qui se considèrent marginalisés et stigma-tisés. La Chine craint à la fois leurs revendications séparatistes et leur pos-sible radicalisation (certains jeunes ouighours ayant rejoint les rangs de Daech en Irak et en Syrie). En outre, les nouvelles Routes de la soie chinoises traversent ou longent, au Nord comme au Sud, de nombreux pays où 80 % de la population est musulmane.

Et enfin, de plus en plus de musul-mans chinois se rendent en pèlerinage à la Mecque, chaque année : ils étaient 20.000 en 2017. Aussi la Chine multi-plie-t-elle les initiatives visant à affi-

cher son respect pour l’Islam, comme l’ouverture, en 2016, de « World Muslim City » à Yinchuan.

Les intérêts arabes à promouvoir les relations

avec la ChineDès l’implosion de l’Union

soviétique, les pays arabes n’ont pas tardé à découvrir tout l’intérêt qu’ils ont à nouer des relations de coopération avec la Chine. Les raisons en sont multiples :

- Echapper à l’étreinte trop étouffante des Etats-Unis dont les interventions malen-contreuses au Moyen-Orient et l’alignement systématique sur les politiques coloniales

d’Israël heurtent les sensibilités des populations arabes et musulmanes ;

- Diversifier leurs marchés d’expor-tation et attirer des investissements asiatiques ;

- Etablir une coopération partenariale avec un grand pays asiatique qui n’a pas eu de passé colonial dans les pays arabes et dont la relation est plus apai-sée qu’avec les pays européens.

Pour les Etats arabes, en effet, la Chine apparaît comme un contre-mo-dèle : sa politique étrangère se fonde sur le respect de la souveraineté na-tionale, l’intégrité territoriale, la re-connaissance des régimes en place.

Quant à son action diplomatique, elle privilégie le partenariat gagnant-ga-gnant, le dialogue, la négociation, la non-ingérence, le respect des règles internationales, le refus des sanctions et des conditionnalités, le rejet des pu-nitions collectives, pratiques courantes des chancelleries occidentales. Les di-rigeants arabes, qui sont loin d’être des parangons de démocratie, apprécient ce concept de « mondialité harmonieuse » qui se fonde sur le respect des spécifi-cités de tous.

Le Forum de Coopéra-tion sino-arabe 2004

Au vu des intérêts croisés, les Chinois lancent, en 2004, un « Forum de coo-pération sino-arabe ». Les résultats ne se font pas attendre : les échanges économiques entre la Chine et les pays de la Ligue des Etats arabes grimpent de $ 36.7 milliards en 2004 à $ 145.4 en 2010, soit plus d’un quadruplement en 6 ans.

En mars 2012, la Chine et les pays arabes franchissent un pas supplémen-taire et lancent « le Conseil supérieur de la coopération sur l’énergie ». En mai 2012, se tient le Ve Forum de coopération sino-arabe à Hamma-met, en Tunisie. Lors du VIe Forum, en 2014, sous présidence sino-maro-caine, Chinois et Arabes se montrent satisfaits des résultats de la première décennie de coopération (2004-2014) et décident de rehausser leurs échanges pour la décennie 2014-2024, en diver-sifiant les domaines de coopération, en multipliant les investissements croisés et en encourageant les échanges entre les sociétés civiles.

Pour ce faire, la Chine entend ins-crire ses relations avec le monde arabe dans le nouveau projet lancé par le Pré-sident chinois, Xi Jinping, en 2013, et appelé « nouvelles routes maritimes et terrestres de la Soie ».

Les nouvelles Routes de la Soie ou «l’Initiative

de la Routeet de la ceinture», 2013,

et les pays arabesL’IRC (en anglais BRI : Road and

Belt initiative) est une initiative lan-cée, en 2013, par le président chinois Xi-Jinping dans un discours pronon-cé au Kazakhstan. Elle vise à relier la Chine au reste du monde par un réseau complexe d’autoroutes, de chemins de fer et de routes maritimes, dans le but d’accroître les échanges de la Chine avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique et d’améliorer la connectivité avec ses principaux partenaires. L’initiative est multidimensionnelle : elle comporte plusieurs volets :

- Un volet terrestre (ferroviaire et

routier) avec des chemins de fer et des autoroutes reliant la Chine à l’Europe, comportant six corridors reliant la Chine à l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient.

- Un volet maritime avec deux voies : celle de l’Arctique au nord et celle du Sud qui relie la Chine au détroit de Malacca, au détroit d’Hormuz et au canal de Suez, débouchant sur le port de Pirée en Grèce, déjà sous contrôle chinois, et peut-être sur Tanger-MED au Maroc (ce n’est pas encore décidé mais c’est dans l’air).

Il s’agit donc d’un chantier d’avenir d’une grande envergure qui relie la Chine à tous les continents et qui né-cessite la mobilisation de gros investis-sements qui pourraient osciller, selon les spécialistes, entre 4.000 à 26.000 milliards de dollars.Pour financer ce gigantesque chantier, la Chine entend mobiliser une multitude d’acteurs à la fois privés et publics, notamment «Chi-na Development Bank », le Fonds des Routes de la Soie, la Banque asiatique pour les infrastructures, etc.

Très tôt les pays arabes se sont mon-tré intéressés par l’initiative chinoise et nombreux pays y sont déjà intégrés et certains, comme l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe participent à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Le Maroc sou-haite même que les nouvelles Routes de la soie débouchent sur Tanger.

La Chine se montre satisfaite de l’accueil favorable et même enthou-siaste, réservé par les pays arabes à son initiative et publie un document offi-ciel, en date de janvier 2016, intitulé « la politique chinoise envers les pays arabes » (China’s Arab Policy Paper) dans lequel la Chine se félicite que le monde arabe soit devenu le premier fournisseur de pétrole et le 7e parte-naire commercial de la Chine avec des échanges dépassant les $ 220 milliards.

Les chinois disent vouloir porter ces échanges à plus de $ 300 milliards à l’horizon 2024 lors du XXe anniver-saire du Forum de Coopération mais il y a fort à parier que ce seuil sera franchi bien avant. n

Il s’agit donc d’un chantier d’avenir d’une grande envergure qui relie la Chine à tous les continents et qui nécessite la mobilisation de gros investissements qui pourraient osciller, se-lon les spécialistes, entre 4.000 à 26.000 milliards de dollars.

Pour les Etats arabes, en effet, la Chine apparaît comme un contre-modèle : sa politique étrangère se fonde sur le respect de la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale, la reconnaissance des régimes en place.

Les nouvelles Routes de la soie chinoisestraversent ou longent, au Nord comme au Sud, de nombreux pays où 80 % de la population est musulmane.

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BMCE BANK - GROUPE AL BARAKA FÉVIER 2018 17

BTI Bank , ou comment deux groupesleaders scellent leur partenariat

Le Groupe BMCE Bank, en partenariat avec Al Baraka Bank, viennent de lancer la BTI Bank. Une importante cérémonie a été organisée à cet effet, au cours de laquelle M. Brahim Benjelloun Touimi a prononcé une importante allocution que nous publions ci-dessous.

C’est au nom de M. Othman Benjelloun, président du Groupe BMCE Bank Of Africa, que j’ai le privilège de prendre

la parole aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est un jour de célébration ! Il y eut une présentation assez développée de ce que sera la banque BTI Bank. Il y eut des éclairages extrêmement importants apportés par le président Adnan Yousif.

Pour ma part, je voudrais faire part du sentiment qui est d’abord celui de célébrer. Célébrer ce partenaire avec lequel nous sommes aujourd’hui, le Groupe Al Baraka Bank, et célébrer ses représentants au sein du Conseil d’Ad-ministration de BTI Bank. Nous sommes huit au Conseil et, parmi ces huit membres, il y a 5 nationalités différentes : Jordanie, Turquie, Tunisie, Maroc et Bahreïn. Juste pour illustrer que l’orientation dont on parlait tout à l’heure, est une orientation absolument internationale.

L’histoire de la rencontre entre le Groupe BMCE Bank Of Africa et le Groupe Al Baraka Bank, c’est celle de la rencontre entre le président Othman Benjelloun et le pré-sident Adnan Yousif. Il y avait à cette rencontre, deux ob-servateurs : l’un a été intercesseur et l’a permise, c’est M. El Hadi Chaibainou qu’a cité tout à l’heure le Président Yousif et l’autre, moi-même.

Si ces deux Groupes se sont rencontrés, c’est d’abord parce qu’ils ont des valeurs communes. Oui ! Vous sa-vez, les valeurs que Mohamed Maarouf a présentées tout à l’heure. Réfléchissons-y un instant : lorsque vous entendez parler du Groupe BMCE Bank Of Africa, vous entendez par-ler de la Responsabilité sociale d’entreprise. Vous entendez parler d’un certain nombre d’initiatives qui montrent que le Groupe considère, dans le droit fil et dans l’esprit même de son activité, d’être contributeur à la communauté des pays dans lesquels il exerce.

Dans ce cas de figure, le président Benjelloun et ceux qui sont autour de lui, ont considéré qu’il fallait choisir le meilleur Groupe de finance islamique pour pouvoir adresser une activité visée désormais par une loi : la Loi 103.12. D’ailleurs, je vous demande de réfléchir un petit moment : le hasard du calendrier a fait que la Loi - et je le dis sous le contrôle de Si Hassan Benhalima -, a été publiée le 23 décembre : c’est-à-dire le même «jour ouvré» qu’au-jourd’hui, jour du lancement de BTI Bank. Il faut qu’on se rende compte que si tout cela a été possible, c’est grâce au travail du Régulateur BAM et, plus particulièrement, de son Wali et de M. Benhalima. Permettez-moi de vous demander de les applaudir.

La Responsabilité sociale a requis que nous puissions choisir un grand Groupe international, présent dans 15 pays, pour pouvoir développer un pan de la finance qui va com-pléter l’offre de financement pour la population marocaine, que ce soit les professionnels, les particuliers, Les petites, moyennes ou grandes entreprises. Le référentiel de cette finance est un référentiel basé sur la Charia. Réfléchissez-y un instant : que dit la banque conventionnelle comme le Groupe BMCE Bank Of Africa ? Nous devons «donner du sens à la finance». Nous le donnons dans la banque conventionnelle lorsque nous affirmons que notre activité est basée sur le référentiel ISO 26.000 de la Responsabilité sociale d’entreprise ou sur l’initiative dont le Groupe BMCE Bank Of Africa a figuré parmi les 20 institutions financières

signataires de par le monde : le Positive Impact Finance. Qu’est-ce que je veux dire par là ? Que la finance ne peut être finance, que la banque ne peut être banque que si elle a du sens. Elle ne peut durablement être lucrative et béné-ficiaire que si elle a du sens. Et il se trouve que BTI Bank, la finance participative au Maroc, est une finance éthique, basée sur un référentiel qu’est la Charia.

Un Groupe comme le Groupe BMCE Bank Of Africa est en train de conforter cette orientation, celle de donner du sens à la finance parce qu’elle est seule à même de permettre que la finance puisse être durable. Durable, non pas «écolo», « paece and love », mais durable dans la mesure où son impact sur les communautés est acceptable, qu’elle peut continuer d’exercer et de dériver des revenus rémunérant ses actionnaires et permettant que des centaines de milliers d’emplois au Maroc et dans le monde, puissent prospérer et perdurer. Ce sont ces valeurs-là qui sont partagées avec le Groupe Al Baraka Bank. Réfléchissons-y encore : la crise de 2008 ? Quelle est la réponse concrète apportée à travers le monde ? Ce sont précisément des initiatives comme ce Positive Impact Finance. C’est-à-dire, celle qui considère que la finance pour la finance n’a pas d’avenir. On ne peut se permettre de penser ainsi : « je suis en train de rechercher un rendement pour le rendement » car cela n’est mobili-sable suffisamment, ni pour les parties prenantes, ni pour les clients, ni pour les autorités publiques ni pour le personnel. Je voulais, Mesdames et Messieurs, les représentants des médias nationaux que vous sachiez, que dans cette salle, se trouve non seulement l’état-major du Groupe BMCE Bank Of Africa à travers les membres de Comité de direc-tion générale, mais également les Directeurs régionaux du Groupe BMCE Bank Of Africa ainsi que ceux qui ont été clés dans la réussite de ce lancement, en étroite complicité et en intime relation avec le Groupe Al Baraka -. C’est de ce partenariat dont le président Adnan Yousif et Si Mohamed Maarouf parlaient. « Partenariat » qui, si l’on remonte à son sens étymologique, date du 12e siècle. C’est un terme anglo-normand qui signifie « être lié par l’héritage ». Et nous sommes liés par l’héritage, celui basé sur les valeurs.

Un autre élément fondamental que je voudrais ajouter - Si Adnan Yousif l’a dit mais j’y ajouterais autre chose : nous nous inscrivons dans la durée. Il ne faudrait pas voir le bilan de cette banque à l’issue d’un premier exercice, ni du deuxième ni d’un troisième. La présence de la Finance participative est irréversible dans nos environnements.

Elle correspond à des valeurs. Elle correspond à une éthique. Elle est basée sur un substrat basé sur cette spiri-tualité. Le tout est que parmi les banques qui ont été lancées, aujourd’hui il y a une 5e, (je ne parle pas des «fenêtres») qui a l’avantage du dernier arrivé, «The Last Mover Ad-vantage ». Ces gens-là - ceux des Banques participatives - ont la responsabilité, avec les autorités de régulation, de

faire avancer cette finance pour qu’elle puisse participer à l’augmentation de l’inclusion fi-nancière dans ce pays. Là aussi, ce n’est pas une réflexion politique, c’est simplement dire que si l’on a envie d’exercer notre Business dans la sérénité, nous avons besoin que des franges de la population de plus en plus larges puissent accéder à la finance. Et la finance participative y contribue.

Il était essentiel que nous fassions démen-tir, en nous alliant à un Groupe international présent dans 17 pays, l’idée que la Finance participative n’est qu’une espèce de suc-cédané de la banque conventionnelle, une finance dont les produits ne sont qu’une ma-tière déguisée de faire des produits conven-

tionnels à intérêt. Non ! La Finance participa-tive apporte une réponse précise à des problématiques d’une finance qui a du sens, une finance où les bailleurs de fonds, qui, dans ce cas de figure sont les banquiers, sont parties prenantes dans les projets des entrepreneurs. A terme, il y aura des produits où l’on partage les pertes en même temps que l’on partage les bénéfices.

C’est un grand message qui ne concerne pas uniquement la finance islamique. Je pèse bien mes mots : on en retrouve l’esprit dans le Private Equity ou les OPCVM en tant qu’in-vestisseur. Il y a des OPCVM et du Private Equity basés sur des principes éthiques.

Vous l’avez dit Si Adnan, les deux présidents Othman Benjelloun et Adnan Yousif ont signé un Mémorandum. Ce Mémorandum prévoit que ce que nous faisons au Ma-roc, cette épreuve de développer la finance participative au Maroc doit être «éprouvée». Je répète exprès le mot : Doit éprouver notre capacité à «travailler ensemble» pour aller vers les pays autres que les 6 pays dans lesquels Al Baraka est déjà implantée en Afrique. Je le dis de mémoire, sous votre contrôle président Adnan, les 6 pays sont : l’Afrique du Sud, le Soudan, l’Algérie, la Libye, la Tunisie et main-tenant le Maroc. Les deux Groupes comptent adresser la finance participative dans les pays où le Groupe BMCE Bank Of Africa est implanté. Se trouve également dans la salle le Directeur Général de Bank Of Africa, Amine Bouabid. Je suis le président du Conseil d’administration du Groupe BOA. Le Groupe BMCE Bank Of Africa et le Groupe Al Baraka Bank regarderont l’opportunité, d’une manière graduée, au terme d’un processus bien pensé, à offrir ses produits participatifs à travers nos pays d’implan-tation d’Afrique.

Je voudrais terminer en disant que parmi les valeurs ci-tées et même celles qui n’ont pas été citées, il y a le com-portement. Les banques participatives, parce qu’elles sont basées sur un référentiel très clair qui n’est pas seulement un référentiel comptable ni un simple référentiel d’éthique laïque, ont un grand challenge à relever : le comportement dans les agences. La manière de fonctionner doit être la plus irréprochable possible. Ce sera une source d’inspiration, me semble-t-il, pour les banques conventionnelles, si les banques participatives se conforment à cela.

En tout cas pour ma part, la Transparence, c’est-à-dire l’honnêteté vis-à-vis du client - nous sommes transparents grâce à Dieu, à BMCE Bank et les autorités réglementaires veillent à ce que les Banques affichent leurs tarifs. Je parle ici de comportement. En tout cas, la transparence fait partie de ces valeurs.

L’Intégrité est une autre valeur essentielle dans les pays comme les nôtres et dans les pays arabes en général, je dirais même dans les pays émergents. Donc si BTI Bank pouvait signifier aussi la Banque de la Transparence et de l’Intégrité, nous aurions commencé à réussir. n

Brahim Benjelloun Touimi, président du Conseil d’administration du Groupe BOA.

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DOSSIER DU MOIS18 FÉVRIER 2018

Les dérapages de Trump sur l’échiquier international et l’État profond

Donald Trump, le « spectre du déclin »ou la stratégie du chaos ?

Il est indéniablement vrai que la poli-tique étrangère américaine fait, plus que jamais, l’objet d’un débat médiatique

virulent, exprimant, à la fois, critiques et inquiétudes de la communauté interna-tionale, suite aux dérapages de Donald Trump, jugés racistes ou discriminatoires prévalant le slogan «America First».

Indifférent aux pratiques établies par l’Administration américaine, le Pré-sident Trump opte pour une doctrine de politique étrangère soi-disant isolation-niste, affichant ainsi son hostilité, qui s’est traduite au truchement de ses décisions vis-à-vis de certaines affaires internatio-nales importantes, comme par exemple la reconnaissance officielle de la ville d’Al Qods, capitale d’Israël. Une décision qui a remis en cause les efforts diplomatiques, déployés depuis des décennies, par ses pré-décesseurs républicains et démocrates, sur la question du statut de la ville sainte. Sans oublier l’adoption des lois interdisant l’ac-cès des migrants provenant des foyers de tension aux Etats-Unis et sa position vis-à-vis des crises au Moyen-Orient, en Sy-rie, au Yémen, en Irak et la crise entre le Qatar et ses voisins.

En réalité, il faut prendre en considéra-tion - constat communément admis - que tous les ex-Présidents des États-Unis pla-çaient les intérêts américains en premier lieu, en empruntant, souvent, les voies di-plomatiques et confirmaient les engage-ments de la Maison Blanche vis-à-vis des

affaires internationales. Or, Donald Trump - et contrairement à ses prédécesseurs - en-visage de se désengager des obligations et conventions internationales pour récupérer (la grandeur des Etats-Unis). Ainsi, il va jusqu’à considérer que les alliés ne doivent plus bénéficier de la protection américaine en remettant en cause le maintien du sys-tème international qui favorise le partage mutuel des intérêts et assure l’équilibre des puissances.

Cependant, la stratégie de Trump reflète un changement beaucoup plus radical par rapport à ce qui caractérisait l’Administra-tion américaine, en matière de gestion des affaires internationales. Cette vision scep-tique et nuisible risque de faire rapprocher la Russie et la Chine, une telle tendance a été consciemment évitée par les adminis-trations démocrates et républicaines. Cela pourrait finir par compliquer fortuitement les relations de coopération avec la Chine, en particulier lorsque cela est dans l’intérêt des États-Unis. Créer des tensions avec la Chine, à long terme, serait donc un choix irrationnel.

Donald Trump a ordonné à ses géné-raux de bombarder la Syrie et d’engager des manœuvres navales en Asie. Il a été ovationné par les parlementaires améri-cains, républicains et démocrates, ainsi que par la quasi-totalité des médias, y com-pris en Europe. De même, il envisage de rectifier ou bannir, définitivement, l’ac-cord nucléaire avec l’Iran «Plan d’action

conjoint» et déclarer la guerre contre la Co-rée du nord. Mais la question qui se pose est celle de savoir si le Président américain dispose des moyens nécessaires pour y par-venir. Et si c’est le cas, est-il sûr de pouvoir atteindre les objectifs escomptés ?

Malgré ses déclarations fracassantes qu’il pourrait déchaîner contre l’Iran et la Corée du Nord, jusque-là, il n’y a pas eu de manœuvres militaires dans le sens de frappes préventives contre ces deux pays. Et tandis que les options militaires sont, comme toujours, «sur la table», l’approche de l’Administration actuelle consiste, en réalité, surtout en un mélange de renforce-ments des sanctions et d’incitation à ce que la Chine en fasse plus : une stratégie que trois administrations précédentes avaient privilégiée, sans grands résultats.

Certes, il existe d’autres centres de pouvoir qui déterminent et influencent les choix du pays en matière de politique in-térieure et étrangère aux États-Unis. Mais à ce titre, il est important de souligner le concept connu sous le nom d’exception-nalisme qui accompagne ces centres de pouvoir, souvent appelés l’État profond.

Si l’État profond continue à bloquer la présidence américaine et si l’institution militaire réussit à faire pression sur Tru-mp, il est probable qu’il y ait un certain nombre d’effets collatéraux. Il y aura une augmentation exponentielle des synergies entre les pays qui ne sont pas alignés sur les intérêts américains. En termes écono-

miques, il existe des systèmes alternatifs à ceux qui sont centrés sur le dollar. En ma-tière d’énergie, il existe plusieurs nouveaux accords entre des partenaires européens, turcs ou russes. Et en termes politiques, il existe une alliance plus ou moins explicite entre la Russie et la Chine, avec une forte contribution de l’Iran, comme cela devien-dra bientôt plus évident avec l’entrée de Téhéran dans l’organisation de coopéra-tion de Shanghai.

En fin de compte, le débat aux États-Unis ne porte plus sur l’opportunité de participer aux relations internationales, mais sur les modalités et les objectifs de cette participation : unilatéralisme ou multilatéralisme, valeurs ou intérêt na-tional, soft power ou hard power, respect ou non du droit international, telles sont les lignes de fractures qui parcourent, aujourd’hui, la société américaine et qui questionnent les tendances de Trump sur l`échiquier international mettant en ques-tion le slogan «l’Amérique d’abord». n.

Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

«N ous devons protéger nos frontières des ra-vages que les autres pays font, en volant nos entreprises et en détruisant nos em-

plois. La protection mènera à une grande prospérité et à la force. Je vais me battre pour vous avec chaque souffle de mon corps et je ne vous laisserai jamais, jamais tomber.»

Ainsi parlait Donald Trump dans son tout premier dis-cours, le 20 janvier 2017, alors qu’il venait d’être investi 45e président des Etats-Unis. Depuis, il a souvent fait la Une des médias internationaux, mérite qu’il doit, incon-testablement, à ses bourdes que les journaux et chaînes de télévision répertorient non sans joie.

De facto, en un an de présidence, le Washington Post a recensé plus de 2.000 déclarations fausses ou mensongères annoncées par Trump. Bien évidemment, « fake news ! » rétorque le locataire de la Maison Blanche, chaque fois que l’excès est au rouge.

Le Président américain le plus impopulaire

Chef d’Etat imprévisible, adepte du contre-pied, il a tout de même survécu à sa première année de pouvoir, marquée toutefois, par beaucoup de fracas et de bruit mais avec peu de résultats comme diraient certains. Arrivé au Palais présidentiel sans expérience politique probante, la langue bien pendue, il a multiplié ses dérapages qu’il assume non

sans arrogance à tel point que ses perles collectées sur son compte Twitter et ses bourdes répétitives ont provoqué l’apparition du terme «trumpisme».

Une année donc après son investiture, le bilan de l’action du Président américain reste mince, contrasté et chaotique. Si sa base, qu’il entretient avec la même rhétorique in-cendiaire qu’au cours de sa campagne, reste mobilisée et continue à voir en lui l’homme providentiel qui rendrait à l’Amérique sa grandeur, une grande majorité des Amé-ricains le trouvent déplorable –il est le Président le plus impopulaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Amérique se voit ainsi divisée en deux clans. D’un côté, les sympathisants –un tiers des Américains- qui apprécient que Trump défie le politiquement correct et le supportent, envers et contre tout, considérant son bilan globalement positif . Et de l’autre, les anti-Trump pour qui le Président, «dont la vulgarité et la brutalité abaissent le statut prési-dentiel», est synonyme de catastrophes et de dégradation flagrante de l’état du pays.

« L’Amérique d’abord »Lui, qui avait promis des réformes spectaculaires, a

fait des déclarations fracassantes et même menacé de guerre, a coupé court avec la bienséance jetée aux orties. Seuls les intérêts américains comptent. Il n’hésite pas, donc, à se retirer d’une série d’accords internationaux, dont l’accord de Paris pour le climat, accusé de nuire aux entreprises américaines. La diplomatie n’est pas

une priorité pour lui et la maîtrise de ses rouages lui fait défaut aussi plusieurs décisions lui attirent-elles les foudres de plusieurs Etats surtout concernant la question de la migration. Son jeu du tac au tac avec le dirigeant nord-coréen qu’il a qualifié de « petit homme fusée » exaspèrent la communauté mondiale. Quant à sa me-nace de faire construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis pour endiguer l’immigration mexicaine, elle relève toujours de la fiction mais les relations entre les deux pays en sont pour autant hypothéquées.

Quelques points marqués toutefois en politique in-térieure jouent en sa faveur, notamment la réforme de l’impôt des sociétés. En revanche, et bien qu’il se targue de son bilan économique, sa politique commerciale très instable est plutôt contestée et ses promesses annoncées de façon théâtrale sont loin d’être remplies.

D’ores et déjà, ses décisions imprévisibles, ses attaques horripilantes, ses provocations peu diplomatiques, ses tweets irritants et ses discours parfois incohérents et déroutants ont fait que la santé mentale du Président américain a été mise en question, ces dernières semaines, ce qui a poussé la Maison Blanche à publier un bulletin de santé le concernant.

C’est dire que le bureau ovale n’a rien changé dans la conduite de cet habitué des propos provocateurs et ou-tranciers.

C’est à croire que le Président le plus puissant ignore tout du droit international et qu’il risque d’isoler, irrémé-diablement, les Etats-Unis. n

Dr Mohammed Issam Laaroussi,

Professeur des relations internationales

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DOSSIER DU MOIS FÉVRIER 2018 19

Quelle diplomatiepour l’Administration américaine ?

Ceci n’est pas un article d’opinion, ni un ar-ticle contextuel, ce texte se veut stratégique avant tout, répondant à un besoin d’analyse

profonde, non en tant qu’observateur/expert unique-ment, mais destiné à servir d’éclairage à tout lecteur marocain averti et responsable, conscient qu’un vent de changement a soufflé sur la politique étrangère de l’Administration américaine, une administration qui gouverne la première puissance mondiale depuis bientôt un an.

Dans un monde caractérisé par une multipolarité émer-gente, par un renforcement du pouvoir du secteur éco-nomique et des structures supra-étatiques, un monde aux mécanismes d’influence devenus universels, au shift tech-nologique transcendant et progressif du couple homme/machine, et à la singulière concentration de richesses, de prises d’initiatives et de dominance en constante mi-gration vers les nouvelles mégapoles reconnues mon-dialement, une analyse d’une politique étrangère n’est pas chose facile.

En matière de politique étrangère des Etats-Unis, deux doctrines géostratégiques majeurs se passent le relais, depuis plus de 100 ans, opposées en apparence mais complémentaires et symbiotiques sur le terrain. L’une, isolationniste et l’autre, globalisante.

De Facto, la première question à se poser en vue d’en-tamer la bonne compréhension de la politique étrangère de l’Administration du Président Trump est relative à la dominance de l’une des deux tendances suivantes: Garantir la prospérité et la sécurité interne, d’abord, pour achever le leadership mondial ou bien achever un lea-dership global en vue de garantir la création continue de richesses et une paix durable ?

La première tendance, si elle s’avère dominante, serait caractérisée par un recentrage des USA sur les intérêts directs et immédiats du pays, un abandon de son rôle de régulateur mondial universel et son remplacement, un mo-dus de priorisation des intérêts sécuritaires (en interne et en externe), de recréer son économie d’une manière « Inside to outside » favorisant l’industrie domestique, l’export, l’attrait des investissements, la création d’emplois, le soutien de la consommation interne, les facilités fiscales et procédurales/légales, la compétitivité et la protection du dollar par rapport aux autres devises (notamment le Yuan chinois) et vis-à-vis du risque montant de guerres monétiques, la lutte contre l’espionnage économique, la relance des mécanismes de « super-innovations » (dont le lead a toujours été entre les mains de l’industrie militaire et spatiale)… favorisant ainsi l’émergence de nouvelles opportunités économiques dans des secteurs nouveaux, ou en redonnant vie à des secteurs existants qui ont été abandonnés dans le passé (Energies fossiles, Industries lourdes, Infrastructures…).

La deuxième tendance quant à elle, se caractériserait par la création / adaptation d’une nouvelle vision normative du monde, en vue de promouvoir un nouveau modèle universel, qui impliquerait un nouveau leadership et une avancée stratégique par rapport aux « concurrents ». Une approche qui donnerait aux USA le lead en tant que pays instigateur/ régulateur/ et protecteur de ce « nouvel ordre mondial ».

Rupture avec la politique étrangèreDans la configuration actuelle, l’administration amé-

ricaine semble tendre vers la première option, le fameux « America First » de M. Trump, qui prioritise le déve-loppement national au travers d’actions déjà entamées ou en cours, telles que la révision des standards migratoires et d’accès au territoire américain, qui a fait couler tant d’encres, récemment, la réduction des aides étrangères, le retrait des accords multi latéraux, notamment l’alliance

pacifique entamée dès le premier jour de la nomina-tion du nouveau Président, le retrait de l’accord sur le climat, le retrait de l’UNESCO, focus sur la création d’un environnement économique probant au retour des capitaux et industries américaines au pays, un rapproche-ment lent mais décomplexé des autres super puissances étrangères : Chine/ Russie, dans un état d’esprit nouveau, qui semble accepter la réalité « multipolaire » du monde actuel, invitation déclarée ou implicite à la renégociation des partenariats avec les alliés traditionnels des USA d’une manière déclarée ou implicite, dont l’Europe, en guise d’exemple -Rappelons-nous les rencontres avec la Chancelière allemande Mme Merkel ainsi qu’avec le Premier ministre australien, M. Turnbull-, le retrait de l’alliance du pacifique, ainsi que la déclaration initiale vis-à-vis de l’OTAN (qui a été revisitée par la suite).

Ces dix points clefs, portent un message clair, un mes-sage de rupture avec la politique étrangère de l’adminis-tration précédente.

Or, toute rupture du passé se voit porteuse d’une nou-velle approche qui se doit d’être analysée avec de nou-veaux outils centrés sur les finalités pragmatiques de cette politique ainsi que sur les acteurs clefs du changement.

Analyse de la politique étrangère américaine

Pour analyser la politique étrangère d’une nouvelle administration/ nouveau gouvernement, un carré est à établir comprenant dans l’ordre : la politique étrangère formalisée et déclarée de la nouvelle Administration, sa transformation probante en réalisations et en budgets (Allocations de moyens concrets), les visites officielles du Chef d’Etat ou des Membres Clefs de son entourage et enfin d’une composante majeure qui complète le carré, à savoir la politique « anticipée » ou non déclarée.

La politique déclarée : En établissant un fil d’Ariane entre les déclarations antérieures à la campagne, les en-gagements électoraux et un focus sur Les programmes et les communiqués officiels de la Maison Blanche et du Département d’Etat américain. Dans ce sens, la Maison Blanche affiche, de manière claire, quatre grands axes prioritaires à savoir « L’Amérique d’abord » qui s’ex-prime en termes de révision des standards migratoires et d’approche par rapport aux réfugiés et demandeurs d’asile, la sécurité externe et interne, ainsi que la lutte contre le terrorisme, la reconstruction de l’armée et le partage des coûts avec les alliés en matière des pro-grammes de défense conjoints et l’amélioration de l’in-fluence américaine. Les Réalisations jusqu’à ce jour et les capacités à réaliser, traduites sur le terrain, par des budgets et des programmes annuels et quinquennaux, dont le nouveau budget gouvernemental. Les visites à l’étranger du Président lors de cette 1re année où les com-posantes religieuse et économique furent fort présentes. Devons-nous rappeler que dans l’ordre, les trois premières visites présidentielles furent vers l’Arabie saoudite dans le cadre du sommet de Riyad, qui inclut des rencontres bilatérales entre S.M. le Roi Salman et S.E le Président Trump, suivi de rencontres avec les Représentants des pays du Golfe (plus de 50 pays arabes et musulmans) ? S’en suivit une visite officielle à Al Qods puis au Vatican. Trois destinations symboliques donc pour les trois reli-gions Abrahamiques : Islam, Judaïsme et Christianisme et une première pour un Président américain, en début d’exercice.

Les visites qui s’en suivirent furent d’un équilibre exact entre le nombre de pays visités en Europe et ceux visités en Asie. Cinq pays européens donc la Belgique, siège de l’Union européenne et de l’OTAN, l’Italie (seul pays à avoir reçu deux visites), la Pologne (Frontière

avec la Russie), l’Allemagne puis la France. Contre Cinq pays asiatiques qui sont le Japon, la Corée du Sud, la Chine (Deals économiques, compliments envers le Pré-sident chinois M. Xi Jinping et sa politique, la question nord-coréenne, et les négociations à la baisse des barrières à l’entrée furent parmi les principales caractéristiques de cette visite).

Vient après une double visite à portée emblématique au Vietnam et aux Philippines.

La prochaine année semble continuer dans le même état d’esprit, avec une participation annoncée du Pré-sident américain au World Economic Forum se tenant, à partir du 25 janvier, à Davos, en Suisse, suivie de visites réparties entre le continent américain (Pérou, Canada, Argentine), Europe (France, Belgique) et l’Asie notam-ment le Hub Clefs de Singapour en clôture.

La politique « anticipée » ou non déclarée : l’utilisa-tion d’un trinôme d’outils transversaux permet une meil-leure compréhension de ce volet en introduisant Trois (3) angles d’analyse différents mais complémentaires à savoir la continuité et discontinuité avec les administra-tions précédentes, en évitant le piège de rester limité à la comparaison dualiste avec l’administration du Président Obama uniquement. Puis la composition du cabinet et les personnes clefs contribuant à cette politique (background, priorités, sensibilités, groupes d’appartenances), le chan-gement de la doctrine géostratégique américaine, qui prend de plus en plus de distance du classique « Grand Chessboard » de M. Brzezinski, reconnaissant l’émer-gence d’un monde multipolaire à plusieurs « joueurs », où les règles du jeu évoluent, constamment, permettant l’évolution sans transition du statut de pion à celui d’in-fluenceur, et où la victoire est elle-même définie de ma-nière singulière pour chaque joueur selon ses propres enjeux.

Amine Laghidi, Expert international

en stratégie de développement et en diplomatie économique,

Vice-président du Congrès africain des Mines, Président de la Commission nationale

du capital immatériel, Ecrivain, conférencier

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DOSSIER DU MOIS20 FÉVRIER 2018

Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Et vers où souhaitons-nous aller ? Cela nous permet de donner une cohérence à la démarche sans rentrer pour autant dans la polémique ambiante autour de personnes au lieu de se focaliser sur des objectifs concrets.

Certes, le retrait des Etats-Unis des accords climatiques a eu les conséquences que nous connaissons tous, mais tout n’est pas perdu. Un focus peut toujours être fait sur les deux volets restants à savoir l’Humain et l’Economique.

Quelle diplomatie pour l’Administration américaine ? (Suite)

Analyse du Modèle de coopération actuelle

et potentielle Maroco-Américain :A ce stade, faisons un éclairage concis et pragmatique

sur les points de convergence et de non convergence ap-parents entre la politique étrangère marocaine et celle des U.S.A, dans le passé récent mais également dans le futur, le présent n’étant qu’un équilibre de transition entre les deux.

Trois questions existentielles s’imposent : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Et vers où sou-haitons-nous aller ? Cela nous permet de donner une cohérence à la démarche sans rentrer pour autant dans la polémique ambiante autour de personnes au lieu de se focaliser sur des objectifs concrets.

Le point de départ étant notre identité « marocaine » indépendante mais ouverte sur le monde, nos engage-ments nationaux et internationaux, la prise en compte de notre riche passé commun, avec un focus spécial sur le futur que nous désirons bâtir en termes d’objectifs stratégiques, économiques et sociaux.

Des priorités nous permettent de dresser le panorama

La Cause nationale: les Etats-Unis sont, comme chacun le sait, un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et un pays influent du dossier du Sahara marocain. Un lobbying efficace et adapté au nouveau mapping des « key stakeholders » de la nouvelle administration américaine est à opérer en vue de consolider et de pérenniser le soutien américain à notre cause nationale légitime et juste. Un lobbying qui se doit d’être omniprésent, pragmatique et faisant preuve de proximité.

L’approche est à compléter par deux volets clefs à savoir la diplomatie économique et la diplomatie régio-nale auprès des différents Etats composant les U.S.A.

Sécurité et paix : La nouvelle administration amé-ricaine s’inscrit dans la continuité de sa précédente en matière de lutte contre le terrorisme, priorisant la lutte contre ISIS (auto proclamée Etat Islamique), Al Qaida et ses ramifications (dont Aqmi, Boko Haram..). Et ce, en renforçant la coopération et les capacités des alliés stratégiques sur ce dossier dont le Maroc qui figure en tête de liste.

Sur le plan militaire : la nouvelle stratégie déclarée par l’administration américaine se veut pour le renforcement des commandements régionaux en terme de délégation de pouvoir et d’allocation de ressources et de matériel, sans oublier une relance de l’industrie et de la recherche et développement en matière d’armement. Ce qui devrait impacter, d’une part, la représentativité et le scoop du centre de commandement militaire américain en Afrique « l’AFRICACOM » tout en remettant sur scène, de ma-nière visible, les nouveaux paradigmes militaires tels « la guerre électronique », « la guerre intelligente », et « la guerre indirecte ».

Volet économique:Se tenant au cœur des priorités de la nouvelle admi-

nistration américaine, ce volet est favorable à la créa-tion d’emplois à l’intérieur du pays, au rapatriement des capitaux et investissements américains à l’Etranger, à la relance de l’industrie nationale, la relance de l’export, et la réduction du déficit commercial avec certains pays. Ces éléments imposent une adaptation de la doctrine économique marocaine transformant toute menace per-çue en une opportunité nouvelle. Les points suivants devraient servir de complément d’action à ce stade :

- La création d’une centrale d’achat/sourcing au Ma-roc, spécialisée dans l’export de la matière première et des composants industrialisés vers les Etats-Unis, jouant un rôle d’intermédiaire entre les usines (importateurs) américaines et les fournisseurs marocains voire africains. Cette centrale aurait pour double point fort la connais-sance des règles et des exigences légales et commerciales du marché américain, d’une part, et le référencement des fournisseurs marocains et africains ayant la capacité de remplir ces besoins, d’autre part.

- Le renforcement du rôle du Maroc en tant que Hub maritime et logistique en faisant de Tanger Med un Pivot permanent des exports africains vers les U.S.A, et ce en réduisant les temps des transbordements, en dématéria-lisant et homogénéisant les procédures douanières des exports à destination de ce pays.

- Promouvoir l’export des produits américains, en développant le rôle de Hub commercial joué par le Ma-roc, profitant d’une proximité géographique et culturelle vis-à-vis des marchés de l’Afrique, de l’Europe, de la Méditerranée et du monde arabe.

- Le Maroc comme hub cognitif (Export de savoir et de connaissances) pour les entreprises américaines exerçant dans les domaines de l’ingénierie, la tech-nologie, les fonds d’Investissements et les groupe de conseil intéressés par la région. La mise en place de ce hub favoriserait le transfert de savoir et de com-pétences vers les cadres marocains et l’émergence de nouveaux pôles d’expertise.

- Pour les produits agricoles : adapter les exports aux saisons, profiter des périodes où les Etats-Unis ne pro-duisent pas certaines récoltes et sont dans le besoin, pour leurs exporter des produits marocains bénéficiant ainsi d’importantes facilités douanières et exemptions favo-rables (modèle développé par certains pays d’Amérique latine).

- Partir sur une logique contractuelle avec les clients américains permettrait une maîtrise claire de la demande du client en termes de quantité et d’exigence qualité, et donc une production sur mesure (faire un focus sur les produits exotiques et rares).

- Relancer le dialogue stratégique entre les deux pays dont la composante économique.

- Lancement de Do-tanks conjoints Maroc – Etats-Unis, avec la mobilisation d’acteurs clefs : financiers, banques, assurances, transporteurs et logisticiens, pen-seurs, industriels, agriculteurs, influenceurs, légistes, ingénieurs…

- Lancement de centres de maintenance et de sourcing, sous forme de Joint-Ventures dans les domaines de l’aé-ronautique et de l’automobile pour servir les clients des entreprises américaines dans toute la Région.

- E-commerce : création d’une plateforme conjointe de distribution et de vente.

Les engagements régionaux et internationaux du Maroc

L’émergence du Maroc en tant qu’acteur clef de la scène régionale et internationale est indéniable. Cependant, et en guise de clôture de cette analyse, focalisons-nous sur trois points clefs : l’Afrique,

le développement durable et le statut de la ville sainte d’Al Qods.

L’Afrique : L’importance de l’Afrique et de son développement dans l’agenda de la politique étran-gère marocaine n’est plus à démontrer. L’Adminis-tration américaine actuelle n’a pas encore commu-niqué sa vision de coopération avec le continent, à l’exception de déclarations sur les sujets migratoires, qui ont créé le débat, récemment. L’administration précédente avait lancé une initiative africaine, cristal-lisée sous forme de « United States- African Leader summit » qui traite de différentes problématiques du continent. Quid de son continuum et du rôle que peut jouer le Maroc pour bâtir des ponts de rapproche-ment du continent africain avec les U.S.A, dans les différents volets politiques, économiques et sociaux.

Développement durable : Certes, le retrait des Etats-Unis des accords climatiques a eu les consé-quences que nous connaissons tous, mais tout n’est pas perdu. Un focus peut toujours être fait sur les deux volets restants à savoir l’Humain et l’Econo-mique. l’Humain au travers de l’éducation du trans-fert du savoir et des compétences, dans des domaines clefs tels que l’ingénierie et l’économie, en créant de nouveaux débouchés pour le petit producteur ma-rocain et africain, et en le connectant au plus grand marché du monde en termes de consommation. Idem pour le petit producteur et industriel américain qui pourrait trouver des débouchés probants dans le mar-ché régional en utilisant le Maroc comme plateforme d’accès.

Al Qods : Et pour terminer cet article sur une note positive, car en matière de relations internationales, la quête ultime est de bâtir des relations de paix, de respect et de « prospérité conjointe » entre les nations, le dernier point (last but not least) est celui du statut de la ville sainte d’Al Qods, à travers la réception de Sa Majesté le Roi Mohammed VI d’une lettre du Président Trump en réponse au message que le Souverain lui avait adressé récemment, au sujet de «la décision de l’Administration américaine de reconnaître Al-Qods comme capitale d’Israël et d’y transférer son Ambassade». Dans sa lettre au Souverain, le Président américain a exprimé «sa re-connaissance envers le leadership de Sa Majesté le Roi au sein de la Ligue des Etats arabes et de l’Organisation de la Coopération Islamique», et a affirmé qu’il partage également «l’importance que revêt la ville d’Al-Qods pour les fidèles du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam». « Jérusalem est, et doit, demeurer, un lieu où les Juifs prient au Mur occidental, où les Chrétiens marchent sur les stations du chemin de la Croix, et où les Musulmans prient à la Mosquée Al Aqsa», ajoute la lettre du Président. Il s’agit là d’un message positif pour Al Qods, un signal positif pour les relations maroco- américaines dans la reconnaissance du rôle clef et majeur, joué par le Royaume dans la région. n

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DOSSIER DU MOIS21 FÉVRIER 2018

Trump : Quel avenir pour les relations internationales ?

Les dérapages en série : populisme assuméou folie meurtrière ?

Depuis son accession à la Maison Blanche et sa prise de fonctions, le 20 janvier 2017, le Républi-

cain Donald Trump ouvre une nouvelle ère dans l’histoire des USA allant à contre-sens de l’interventionnisme, ha-bituellement dominant dans l’establish-ment américain de la stratégie politique étrangère du pays.

La première année du mandat de pré-sidence de Trump a été marquée par une forte tendance clairement protectionniste, isolationniste et hostile à l’immigration, signalant une scission irréfragable et dog-matique avec les engagements pris par son prédécesseur, le Démocrate Barack Obama.

Preuve à l’appui, la promesse décla-rée de construire un grand mur anti-mi-grants le long de la frontière avec le voisin mexicain ou encore le retrait des Etats-Unis du Pacte mondial sur la migration, jugé «incompatible» avec la politique migratoire de l’Administration Trump. Un retrait intervenant dans un contexte mondial extrêmement complexe et cri-tique : l’exode massif des Rohingyas, depuis le mois d’Août 2017, victimes de «nettoyage ethnique» de la Birmanie vers le Bangladesh, la crise des migrants et des réfugiés cherchant à s’installer en Europe pour survivre et fuir les guerres en Syrie et en d’autres zones d’instabili-té et de conflits, l’existence en Libye de

marchés d’esclaves où se font des ventes aux enchères des enfants, des femmes et des hommes migrants, etc.

D’autres retraits et désengagements spectaculaires de pacte, d’accords ou de projets d’accords internationaux impli-quant et rassemblant plusieurs pays du globe autour de défis sensibles à caractère mondiaux et nécessitant, inéluctablement, une stratégie et une action multilatérale organisée :

Les Etats-Unis d’Amérique, première puissance sur la scène mondiale et deu-xième plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète, s’isolent et de-viennent, désormais, le seul pays à ne plus vouloir faire partie de l’Accord de Paris, conclu fin 2015, sous l’égide de l’ONU, à l’occasion de la COP21 et visant à limiter le réchauffement climatique et ses consé-quences néfastes sur la planète.

Washington a également fait part, ré-cemment, de sa décision de se retirer de l’institution de l’Unesco, l’une des plus importantes organisations onusiennes chargée des questions de l’Education, de la Science et de la Culture, que Donald Trump estime anti-israélienne.

S’ajoute à cela, une série de positions tous azimuts fracassantes, faisant, de fa-çon quasi-permanente, la Une de la presse universelle et suscitant, à chaque fois, un torrent d’indignation et de contestations à travers le monde dénonçant leur carac-

tère, des fois, misogynes et souvent racistes, discriminatoires, xéno-phobes et islamophobes.

Dernier souvenir en date, les pro-pos injurieux, totalement inaccep-tables et abjects sur l’immigration en provenance de « pays de merde » en référence à des pays d’Afrique, à Haïti et au Salvador.

Et, drôle de coïncidence, cela se passe au moment où le pays de l’Oncle Sam honorait le « I Have A Dream Man », le héros afro-améri-cain des droits civiques feu Martin Luther King, assassiné en 1968.

Des dires d’une flagrante incohé-rence avec l’histoire des Etats-Unis d’Amérique et une antithèse des valeurs américaines qui ont inspiré ,dans le passé, l’action internationale du pays.

En réaction imminente, un commu-niqué, à ton fort et ferme, de condam-nation et de demande d’excuses a été émis de la part de 54 ambassadeurs de pays africains à l’Organisation des Nations unies.

Les nouveaux traits de la diploma-tie américaine préoccupent de plus en plus : des tensions grandissantes avec la Corée du nord, avec l’Iran, et bien d’autres.

Moult interrogations surgissent mais il serait opportun de se pencher sur la

question axiale suivante : Ce revirement de politique internationale des USA an-nonce-t-il une rupture fondamentale de l’ordre mondial actuel ?

A suivre !... n

Donald Trump, né le 14 juin 1946 à New York, est issu d’une famille d’entrepreneurs

dont il prend la tête en 1971, en trans-formant Elizabeth Trump & son pour la

renommer The Trump Organisation. Il mène, en parallèle, une carrière d’ani-mateur de télévision, dès les années 1980 et devient même l’animateur de l’émission téléréalité The Apprentice,

de 2004 à 2015. Il réussit dans l’ac-quisition, la construction et la gestion de biens immobiliers de prestige dont la célèbre Trump Tower. Ses accoin-tances avec des dirigeants de pays étrangers l’ont aidé à réaliser des opérations immobilières, en dehors des Etats-Unis.

Il s’intéressa à la politique, à partir des années 1980, soutenant alternati-vement le Parti Républicain et le Parti démocrate, le Parti de la Réforme et de nouveau le Parti Républicain qui le désigna, à la surprise générale, can-didat aux élections présidentielles de 2016. Il remporta les primaires ré-publicaines contre la volonté de son Parti et en ayant l’unanimité contre lui dans les rangs de l’establishment de Washington et la presse dans son ensemble.

Son succès est celui du populisme, du protectionnisme, du conservatisme et du climato-scepticisme.

Ses liens avec l’extrême droite ne

sont plus sujet à caution. En fait son discours antimusulmans, anti-immigra-tion et en proposant de construire un mur tout au long des frontières avec le Mexique et d’interdire l’entrée du territoire américain des ressortissants de certains pays comme l’Irak, la Sy-rie, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen. Dès sa prise de fonction, il signa les décrets controversés visant à restreindre l’entrée de nouveaux im-migrés, mesure invalidée par la jus-tice américaine, partiellement et dans certains cas totalement. En une année de présidence, il décide de sortir de l’accord Trans pacifique qui incluait les pays d’Asie, laissant la voie à une reprise en main de la Chine de ce par-tenariat. Le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le Climat est une entorse du principe de la continuité de l’Etat et du principe de l’engagement dans la durée quels que soient les gou-vernements en place. La dénonciation de l’accord sur le nucléaire iranien et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël sont en opposition avec les Etats européens et toute la communauté internationale.

Certains mettent ces dérapages sur

le compte de l’impréparation d’un homme qui n’a jamais exercé une fonc-tion publique ou militaire et sa mécon-naissance des relations internationales.

En réalité, Donald Trump est le porte-parole et l’expression incarnée de la frustration des blancs américains d’origine européenne qui ont largué par la mondialisation. Ses tweets menaçant les entreprises qui délocalisent de sanc-tions commerciales ou tarifaires et sa réforme fiscale visant à encourager les grands groupes américains à rapatrier leurs bénéfices et à relocaliser leurs activités participent du slogan « l’Amé-rique d’abord ».

L’instabilité des équipes de D.Tru-mp à la Maison Blanche montre que l’homme n’a ni la capacité de gérer une administration publique ni la car-rure d’un dirigeant habile, diplomate gérant les conflits de façon pragma-tique. Cela explique son qualificatif de « pays de merde » en parlant d’Haïti et de l’Afrique.

L’espoir viendra de la recomposition de pôles de reconstruction d’un nou-veau modèle des relations internatio-nales faisant de la place à la Chine, la Russie et l’Union européenne n

Ibtissame Azzaoui,Députée parlementaire,

Membre de la Commission des Affaires étrangères,

membre de la Commission parlementaire mixte entre le Parlement marocain et l’UE

Dr. Camille Sari, Professeur d’économie,

spécialiste du Maghreb, Président de l’Institut

euro-maghrébin d’études et de prospectives

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DOSSIER DU MOIS22 FÉVRIER 2018

Il souffle le chaud mais il boit du froid. Trump, c’est le leadership de la diversion et de l’imprévisibilité. Et c’est là où réside l’originalité de Trump chez qui tout est calculé d’avance.

Notre ami Trump :pas si fou que ça !

Pour se faire élire, Donald Trump a fait campagne en promettant le « plein emploi » surtout à la classe moyenne

et à la classe laborieuse des « Whites Anglo Saxons Protestants ». Une fois élu, Trump se rendra compte que dans bon nombre de secteurs d’activités économiques, les USA sont fortement concurrencés et dépassés. Dans les domaines des technologies nu-mériques, Israël, la Nation start-up, a ravi la vedette à la Silicon Valley. Le poten-tiel, la promesse et le futur des innovations technologiques et numériques se jouent à Tel-Aviv et à New Delhi.

Dans le domaine de l’industrie auto-mobile qui fut, jadis, un des trépieds de

l’économie étatsunienne, la montée en puissance de la Chine et de l’Inde et la forte et agréable présence des Européens (France, Allemagne, Angleterre) sur les marchés porteurs (Afrique, Asie du Sud-est et Amérique latine), font que l’industrie au-tomobile américaine est un peu descendue de l’autoroute pour prendre la route.

Dans le domaine de l’aéronautique civile, l’Europe a complètement transformé le marché et ses chaînes de valeur dans l’industrie aéronautique s’étendent dans les quatre coins du globe.

Dans le domaine de la Haute Finance, c’est tou-jours Londres et sa City, qui reste et demeure la ca-

pitale mondiale de la Finance.Dans le domaine des ressources minéra-

lières (pétrole, gaz et minerais), la Chine est en train de rafler, au nez et à la barbe des USA, les blocs pétroliers et gisements gaziers les plus prometteurs et les réserves minières les plus révélatrices. En somme, les USA ont cessé, depuis 2000, d’être la superpuissance mondiale et sont devenus une puissance mondiale parmi tant d’autres.

Toutefois, s’il y a encore un secteur d’activité où les USA sont encore le lea-der incontesté, c’est bien dans le secteur de l’armement. Et c’est là où Donald Trump n’est pas si fou que ça.

Trump, un fou malinLe Président américain, dans sa stra-

tégie de relancer l’économie américaine par le biais du secteur de l’armement (ce qu’il est en train de réussir soit dit en pas-sant), installe, volontiers, un climat mon-dial de terreur, d’insécurité, de presque guerre imminente. Chez Trump, le but de la manœuvre est d’amener les Etats ci-blés, à se réarmer. Comment ? En passant commande à l’Oncle Sam. Quand Tru-mp désigne l’Iran comme la capitale de

son axe du mal, c’est pour dire à l’Arabie saoudite de se réarmer pour ne pas perdre son influence et son poids dans la région du Golf. Quand Trump provoque et me-nace la Corée et Kim Jong-Un, c’est pour dire au Japon et certains pays d’Asie du Sud-est, de se réarmer pour parer à toute éventualité.

Mais voilà, Trump et les USA sous Tru-mp, n’iront jamais en guerre ni contre l’Iran, ni contre la Russie encore moins contre la Corée du Nord. Il souffle le chaud mais il boit du froid. Il clignote à gauche pour passer à droite. Trump, c’est le leadership de la diversion et de l’imprévisibilité. Et c’est là où réside l’originalité de Trump chez qui tout est calculé d’avance.

Trump et Nous,Trump « l’Africain »

Le fait est suffisamment rare pour ne pas être signalé : les 54 pays africains repré-sentés à New York, ont condamné avec fermeté et d’une seule voix, les propos in-qualifiables de Donald Trump dans lesquels il a qualifié des nations africaines, Haïti et Salvador de «pays de merde». Ces propos ont été tenus lors d’une réunion avec des sénateurs, à la Maison Blanche, sur l’im-migration.

Cette condamnation unanime a été ob-tenue après une réunion de quatre heures, à l’issue de laquelle le groupe des 54 am-bassadeurs africains s’est dit « extrêmement choqué » par les remarques « scandaleuses, racistes et xénophobes » de Donald Trump. Le groupe a également exprimé sa solida-rité au peuple haïtien et à tous les autres peuples qui ont été dénigrés.

Pour retrouver dans le passé, une telle unanimité dans les positions défendues par l’Afrique, il faut probablement re-monter aux négociations sur le climat pour relever des faits probants qui té-moignent de l’émergence d’un leadership politique africain plus affirmé. Le fait le plus connu est la position africaine unifiée sur les changements climatiques défendue lors de la Conférence de Co-penhague, en 1992. Les dirigeants afri-cains avaient développé une position reflétant les préoccupations de tous les pays africains. Ce qui avait conduit, en son temps, à la création d’une plateforme

africaine historique sur le climat.Chez notre ami Trump, et depuis toujours

pour les USA, l’Afrique n’est pas une prio-rité dans leur politique étrangère, orientée vers l’Asie et le Moyen-Orient. L’Afrique n’est pas vue, perçue et considérée comme un acteur de la globalisation mais simple-ment comme un enjeu de la mondialisation. L’enjeu des Autres.

Don Quichotteou Donald Quichotte ?

« Pourquoi est-ce que toutes ces per-sonnes issues de pays de merde viennent-elles ici ? », se serait interrogé Donald Tru-mp. Comme il est dit dans le Boja Yoga : « La connaissance sans le pouvoir n’est qu’une plaisanterie ». Mais qu’arrive-t-il quand on a le pouvoir sans la connais-sance ?

Trump est entré en politique à 72 ans. A la différence d’un Reagan, l’actuel pré-sident des Etats-Unis fait du cinéma sans être acteur de cinéma, pour savoir parler avec nuance, prudence et ambivalence.

Chez Trump, la vérité est dans les appa-rences telles qu’elles se présentent dans leur immédiateté et leur quotidienneté. Il pense que le monde commence et se termine aux USA comme le poisson dans un aquarium pense qu’il est dans l’infini bleu de la mer.

Trump n’est pas raciste comme il le dit et on peut le croire sur parole. L’homme disait en marge de la 72e session de l’AG des Nations unies que « L’Afrique a un potentiel exceptionnel pour les affaires. J’ai beaucoup d’amis qui vont dans vos pays pour essayer de devenir riches. Je vous en félicite. Ils dépensent beaucoup d’argent. (...). Et pour les entreprises américaines, c’est vraiment devenu un endroit où elles doivent se rendre, elles veulent s’y rendre ». Seulement Tru-mp est Président de la première puissance mondiale sans aucun passé politique. Il n’a jamais été candidat auparavant donc sans expérience. Il n’a jamais servi sous les armes et n’a aucune connaissance des équilibres fragiles du monde. C’est un businessman qui fonctionne en politique comme on fonc-tionne en business. D’où la confusion totale des espaces (publics et privés). Ou alors le monde de l’économie globalisée, ce monde de totalité et de morcellement, n’aurait-il pas aussi besoin d’un leadership fou pour faire avancer les lignes ? A la différence des autres, quand on est Trump, on balance à tout va, des inepties blessantes, des propos débiles et désobligeants. Il a une culture des clichés du 19e siècle, un goût prononcé pour les formules réductrices et, surtout, un sens fou des jugements à l’emporte-pièce. Et tout est dans la réponse de la Secrétaire générale de la Francophonie, Michaelle Jean, qui ré-torque « que Donald Trump se souvienne que son pays s’est construit par la sueur, le sang et la force d’hommes et de femmes arrachés à l’Afrique ». n

Siré SY, Ecrivain, Président du think tank Africa World Wide Group

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DOSSIER DU MOIS

On dirait bien qu’avec Trump, aucune diplomatie n’est possible au vu du nombre de plénipotentiaires américains interpellés par les autorités régaliennes des États au sein desquels ils exercent !

FÉVRIER 2018 23

Trump, la trompette tonitruante ou l’équation d’une diplomatie coup de poing

Les hommes politiques améri-cains et autres grands noms de la vie sociale de cette «nation

dominante» (pour emprunter un langage moins rugueux que celui de Dussouy) souffrent-ils tous d’un dédoublement de personnalité ? En effet, les récents événements politiques semblent confir-mer cette perception à priori, à savoir que plusieurs personnalités américaines souffriraient de schizophrénie ordinaire, voire de schizophrénie mythomano-his-torique (entendez ce trouble de la per-sonnalité qui vous empêche d’assumer de manière conséquente votre place dans la détermination de l’Histoire uni-verselle parce que le rôle vous paraît trop lourd à porter).

« Mr President, are you a racist? », telle est la question de la British Broadcasting Corporation(BBC) au Président américain Donald Trump,

suite à la bourde po-litico-diplomatique de ce dernier, lors d’une réunion tenue à la Mai-son Blanche, le jeudi 11 Janvier 2018. Le Washington Post n’y est pas allé avec le dos de la cuillère quand il a rapporté les pro-pos qu’aurait tenus le Président américain : « Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ?» (cité par Libération, le 12 janvier 2018 à 16h50). La question que l’on est en droit de nous poser est des plus simples : Pourquoi ces frasques de Donald Trump sont-elles aussi récurrentes et persis-tantes ? Peut-on voir en de tels écarts un avatar de l’excentricité et de l’exubérance améri-caines ? Deux axes de lecture sont possibles : le mariage entre le fait politique et le fait reli-

gieux aux États-Unis d’Amérique, ainsi que la compétition désormais ouverte entre nationalistes soucieux d’une nou-velle gloire américaine et mondialistes davantage acquis à la mise en route d’un Supra-État mondial !

L’intrication des faits politiques

et religieuxL’on se souviendra que Donald Trump

entremêle, en permanence, le politique et le religieux. En cela, il n’est pas le premier. Plusieurs États et nations sont

dits chrétiens, arabes ou autres, c’est-à-dire d’une identité culturelle fortement imprégnée de l’un des polythéismes ou monothéismes connus. À titre d’exemple, Dussouy désigne la « Umma al Islamiyya » sous le label géocen-trisme religieux. Cependant, tandis que les « guides » du monde arabe restent très souvent égaux à ce qu’ils prétendent (à l’exception de quelques-uns, qui vivent à l’opposé de leur profession de foi), avec Donald Trump apparaît une contradiction très voyante : un Président qui affiche sa foi aux yeux du monde et qui n’a de cesse de proférer des ju-rons en public, un homme politique qui rend médiatique sa relation à Dieu mais qui ne sait pas tenir sa langue en bride au point de dire, aussi souvent que possible, des mots qui « dérangent ». Serait-il victime d’un dédoublement de personnalité ? Serait-il un homme double (par référence à l’espionnage) qui s’assume comme tel ? À la page 86 de son livre Les théories géopolitiques. Traité des relations internationales (I), Gérard Dussouy pose la question : «Un empire ou un système américain ?». Tout de suite après cette question, il pose le constat selon lequel les États-Unis d’Amérique seraient en train de vivre les derniers instants de leur hé-gémonie politico-diplomatico-militaire, car pour lui « ceci conduit à penser que le monde n’a pas plus de chance de res-ter figé en 2030 qu’en 2001, en 1989, en 1870, ou en 1453, et que compte tenu des ‘‘tendances mondiales’’ actuelles, il faut d’ores et déjà, comme nous l’avons montré, envisager un ‘‘décentrement’’ de la carte géopolitique mondiale vers l’Asie et le Pacifique nord. En atten-dant, les États-Unis disposent d’un ‘‘moment hégémonique’’ autour duquel vient de s’ouvrir ‘‘un vaste débat’’» (p. 86). Pourtant, Dussouy tend à recon-naître à cette grande puissance en fin de règne un certain mérite dans l’Histoire de l’Humanité quand il affirme : «Quoi qu’il en soit, ces quatre arguments (stra-tégique, géopolitique, institutionnel et culturel) font, d’après Ikenberry, que l’ordre unipolaire américain est très différent et beaucoup moins dangereux pour les autres États que tous les ordres par l’empire ou par l’équilibre dont l’histoire nous a gratifiés». L’Amérique aura-t-elle réellement été différente de l’Assyrie, de Babylone, des Mèdes et des Perses, de la Grèce d’Alexandre le grand ou des Romains ? L’Amérique serait-elle différente de l’Angleterre, son ancien bourreau, ou de l’Espagne des rois catholiques, grands financeurs d’expéditions pour les explorateurs du Moyen-Age ? Donald Trump le pense peut-être et c’est pourquoi il prétend, parfois, à un certain messianisme. Pour-tant, il lui arrive, régulièrement, de cra-cher du feu comme un dragon. Est-ce la

taille et la typologie de ses adversaires politiques (en interne) ou les qualités de stratégistes de ses concurrents ex-térieurs, dans le jeu géopolitique de repositionnement des pions à l’échelle mondiale (la Russie en tête, la Chine ensuite, mais aussi la Corée du Nord, entre autres) qui donnent des frayeurs à Trump et l’amènent à sonner plus fort encore que d’usage ?

On dirait bien qu’avec Trump, au-cune diplomatie n’est possible au vu du nombre de plénipotentiaires américains interpellés par les autorités régaliennes des États au sein desquels ils exercent ! Allons-nous vers un monde de l’impos-sible diplomatie ? Nous dirigeons-nous vers une crise diplomatique mondiale ? Les deux fronts ainsi constitués mon-dialement ne rappellent-ils pas des présages comme ceux de Panthera Leo et du dragon rouge dans les constella-tions ? L’Histoire des grands hommes d’État, des grands chefs militaires, des grands conquérants ainsi que des grands penseurs, est pleine d’oracles et de mystères. Dans ce sillage, Trump serait-il un signal ? Il mélange lui-même le politique et le religieux de manière obsessionnelle. A-t-il compris ce que nous refusons de comprendre ou envi-sageons-nous des choses qu’il lui est impossible d’appréhender ?

La bataille stratégique entre nationalistes

et mondialistes Il apparaît de mieux en mieux, aux

États-Unis d’Amérique, qu’Hilary Clinton et Barack Obama incarnent le camp mondialiste, face auquel se dres-serait le camp nationaliste de Trump, la trompette tonitruante. Le slogan de campagne de Trump était «Make Ame-rica great again» ! L’attitude de Trump, sa soif d’une nouvelle grandeur amé-ricaine, donnent pleinement raison à Dussouy, qui concède à l’Amérique un peu de temps avant de voir son pouvoir mondial s’effriter.

Dr Eloundou Longin Colbert,

Directeur de l’Observatoire des politiques culturelles

d’Afrique centrale, Sémioticien

et Mythologue comparé

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DOSSIER DU MOIS24 FÉVRIER 2018

Le monde entier a bien observé que la foi en Dieu, fortement affichée de Donald Trump, n’échappe pas elle-même à l’impératif de mise en scène politique de soi.

En Mythologie comparée des peuples orientaux, la trompette appelait à se préparer pour le Combat. Trump serait-il le signal, la trompette que le monde redoute ?

Trump, la trompette tonitruante ou l’équation d’une diplomatie coup de poing (Suite)

Cependant, serait-ce réellement au profit d’un décentrement de la carte géopolitique mondiale vers l’Asie et le Pacifique nord ? Je n’envisage pas les choses de la sorte. Le décentrement, cette nouvelle forme de déterritoriali-sation, se fera vers un Gouvernement mondial. Il se prépare, devant nos yeux ébahis, une unipolarisation du monde, une hyper-mondialisation plus subtile que les régionalisations antérieures que l’Histoire de l’Humanité nous a déjà donné de connaître. Les grands Empires antiques ont largement prouvé cette soif inextinguible en l’homme de dominer sans partage sur ses semblables ! Ces instincts se sont-ils dissipés avec le dé-clin d’anciennes civilisations et la nais-sance de nouvelles ? De mon point de vue, pas du tout.

Donald Trump a donc le bonheur de diriger une Amérique diminuée mais tout de même puissante, posture qui jus-tifie, par exemple, sa récente décision de soutenir la reconnaissance d’Al Qods comme capitale de l’État israélien. Il a également, et cela est incontestable, le malheur d’être le Président d’une Amé-rique dont les positions fortes ont été amoindries à travers le monde, une Amé-rique dont l’économie est à l’essouffle-ment, une Amérique dont la suprématie est, de plus en plus, contestée et qui ne tardera pas, si sa diplomatie est menée de la manière dont elle est conduite de-puis peu, à entrer en guerre. En effet, le travail des diplomates américains est rendu hyper-complexe (et pas simple-ment compliqué) par le Président Tru-mp. Son caractère double, tantôt doux comme un chat, tantôt farouche comme un lion, capable de débiter des énormités qui dérouteraient même le plus expéri-menté des Diplomates américains dans le monde, est-il finalement la chose qui nous rend aussi perplexe et même nous ahurit ? Pour nous, il est constant que Trump n’est pas seulement le résultat de ses propres conceptions, il est aussi le produit de ce que ce monde prétend avoir de meilleur. Et si ce que ce monde a de meilleur est Donald Trump, alors les « pays de merde » seront davantage dans «la merde» ! Ce n’est point le lieu ici de rappeler les implications et la res-ponsabilité directe de l’Occident dans la situation économique de l’Afrique comme de Haïti, mais Monsieur Trump sait certainement ses leçons d’Histoire mieux que nous. Il a peut-être oublié que même le cinéma de James Came-ron, dans Avatar, représente ce que les Nations les plus « avancées technolo-giquement » ont toujours fait de celles les « moins avancées » quand elles convoitent un bien de leur sol ou de leur sous-sol ! Il a certainement oublié qu’aux États-Unis, il y a des milliers de Noirs qui ont effectué le pèlerinage vers leurs sources, qui ont décidé de renouer avec leurs origines africaines grâce à la généalogie génétique, et qui sont forcé-

ment choqués d’entendre que leurs frères et sœurs, restés en Afrique, habitent des « pays de merde » !

Comme ponctue si bien Dussouy (c’est en effet la conclusion de son essai, p. 303) et en application à la compéti-tion entre nationalistes et mondialistes, « c’est la lutte entre les lieux de déter-ritorialisation et les efforts de reterri-torialisation qui constitue le cœur de la politique globale ». Il n’y a rien de plus vrai. Le monde entier a bien observé que la foi en Dieu, fortement affichée de Donald Trump, n’échappe pas elle-même à l’impératif de mise en scène po-litique de soi. Le politique commande-t-il désormais à la foi, quand on sait que dans l’antiquité, le fait religieux était au fondement des grandes conquêtes po-litiques ? Le mythologue comparé que je suis est alors tenté d’établir un pont entre les faits culturels (avec au cœur de ceux-ci la religion) et la mise en scène de soi, mais la mission universelle est bien réelle et il ne faut pas la sous-es-timer. Tout comme il serait idiot de sous-estimer les mondialistes qui luttent contre ce nationaliste schizophrène. Il se pourrait bien qu’il soit le moindre mal ! En Mythologie comparée des peuples orientaux, la trompette appelait à se pré-parer pour le Combat. Trump serait-il le signal, la trompette que le monde redoute ? Peut-être alors pourrais-je conclure cette petite note de lecture en empruntant, pour mieux le contredire, à Karim Émile Bitar dans Barack Obama et le monde musulman : de la beauté du verbe aux dures réalités (ENA Hors les murs, 2010, N° 399, p. 29) :

«La politique de Barack Obama ne repose ni sur le radicalisme, ni sur l’angélisme ou le pacifisme béat. S’il a lu W. E. B. Du Bois et Frantz Fanon, s’il admire Gandhi, Luther King et Mandela, Obama a surtout été marqué par la pensée du théologien protestant Reinhold Niebuhr, l’un des principaux théoriciens du concept controversé de «guerre juste». On retrouve très clai-rement l’influence de Niebuhr dans le discours qu’a prononcé Obama devant le Comité Nobel à Oslo. Barack Obama, bien qu’ayant des tendances libérales et internationalistes, mène une politique qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’école « réaliste», assez proche de celle menée naguère par George Bush père et de celle défendue par des per-sonnalités comme Brent Scowcroft ou Zbigniew Brzezinski.

L’objectif du nouveau Président amé-ricain n’est donc pas de militer pour la «paix perpétuelle» dont ont rêvé Kant ou Habermas, mais tout simplement de res-taurer l’image des États-Unis et d’en-diguer leur déclin. Il a plusieurs atouts en main pour mener à bien la première de ces deux missions. Pour ce qui est de la deuxième, seule une action volon-tariste de longue durée pourra obtenir les effets escomptés. Mais si l’on en juge

par la mobilisation actuelle de la droite radicale américaine, le succès des Tea Parties et l’audience toujours crois-sante d’animateurs aussi fanatiques et extrémistes que Glenn Beck et Rush Limbaugh, il est à craindre que Barack Obama ne soit qu’une parenthèse (une parenthèse heureuse, mais une paren-thèse néanmoins) et que nous assistions, dans quelques années à un backlash, un retour de bâton et un retour en force de cet ultranationalisme décomplexé et de ces idéologues qui n’ont rien appris et rien oublié, pour reprendre la for-mule qu’utilisait Talleyrand à propos des royalistes émigrés et des Bourbons après 1789 ».

Monsieur Bitar semble dire qu’Oba-ma croit au concept de guerre juste, mais qu’il a privilégié une approche profane du conflit israélo-palestinien. Pourtant, s’il a eu raison (en 2010) au sujet de la renais-sance des nationalismes américains, Bi-tar a lui-même reconnu, avant ces propos sur Obama qui nous permettent de mieux envisager Trump qu’«Al Qods demeure l’épicentre de la géopolitique interna-tionale, et le conflit israélo-palestinien continue d’être une plaie béante et de mobiliser les opinions publiques à tra-vers le monde. La question palestinienne est devenue emblématique, comme ce fut le cas naguère pour l’Algérie, le Viet-nam ou l’Afrique du Sud ». De ce point de vue, Trump ne sera pas une paren-thèse comme dit Bitar, puisqu’il a re-connu Al Qods comme capitale d’Israël, sonnant ainsi d’une trompette qui risque de précipiter le monde dans la guerre. Finalement, celui qui croit au concept de guerre juste, comme certains leaders arabes, est bien Trump et non Obama. Et pour le prouver, il en parle et reparle, dé-bitant des énormités, à chaque fois, no-tamment sur l’Amérique comme Nation chrétienne. Jamais Obama n’a autant mis en scène sa foi que Trump. Et même si Obama reprenait, un jour, les rênes de l’Amérique, même si Hilary Clinton ve-nait à accéder à la Magistrature suprême des États-Unis, le déploiement guerrier a débuté. Quel est l’intérêt des « pays de merde» dans ce déploiement ? Aucun ! Comment allons-nous donc envisager et vivre ce conflit s’il venait à éclater ? Il nous faut y réfléchir. n

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PORTRAIT

C’est peu dire que feu Abdallah Chaqroun avait imposé son nom et sa pédagogie : il nourrissait l’imaginaire d’un peuple, affranchi des carcans et découvrant les réjouissances de la liberté.

à l’instar d’un Don Quchotte, feu Abdallah Chaqroun partait à la conquête du monde avec la conviction chevillée au corps qu’un théâtre – celui des estrades comme celui de la vie – c’est d’abord le monumental travail de la parole et du langage qui le servent.

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Le Sanctum santorium d’Abdallah Chaqroun, regard d’un SageHassan Alaoui

Il y a comme une prétention voire une arro-gance à tenter l’exercice périlleux consistant à résumer en un article, si brillant fût-il, la vie

de feu Abdallah Chaqroun. Lui si grand et humble, dont on ne cessera jamais d’associer le patronyme à une légende jupitérienne, cultivait et portait la modestie comme le mât d’un bateau, inventant la radio, et la pédagogie de celle-ci, l’écriture drama-tique et sa sémantique, cette irascible détermination à élever l’art de la parole et de la didactique au niveau des populations simples et ordinaires. Tant de choses et autres signes caractérisent ce person-

nage haut en couleurs et fort en symboles. Il a été au cœur de la libération de la parole, au lendemain de l’indépendance du Maroc, à un moment où il fallait inventer sur les débris de la décolonisation politique une culture marocaine du langage radiophonique, enraciné dans la tradition, inventif, populaire et pédagogique.

Aux portes croisées de l’histoire et de la littérature, Abdallah Chaqroun, était com-paré à juste titre à un « géant », mieux : à un « monstre sacré »

de la radio et de la télévision. Il était une sorte de visionnaire qui happait l’écoute et l’attention voire même les cœurs des auditeurs rivés à leur poste de radio pour « voyager » avec lui, arpenter l’histoire et la mémoire, s’inscrire enfin dans la durée.

Visionnaire ? Abdallah Chaqroun le fut à plus d’un titre, car il a compris la puissance de la radio et de la télévision qui deviendront, au fil du temps, le vecteur incontournable de la communication et réduiront les distances dans ce Maroc, en cette époque, si vaste et engagé dans la construction

et l’édification de chantiers et d’infrastructures. L’édifi-cation nationale imposait son nécessaire pendant culturel, et feu Abdallah Chaqroun, tout à son dynamisme, non seule-ment incarnait le jeune intellec-tuel polysémique, mobilisé sur plusieurs fronts, mais forçait le destin d’un espace d’autant plus vide – disons vidé par le pou-voir colonial – qu’il fallait aux nationalistes l’inventer ou le réinventer. Ce fut entre autres, mais surtout lui qui réanima le désir du peuple marocain à se réapproprier son patrimoine culturel, théâtral s’entend. Ce fut lui encore qui mit l’inven-taire poétique à la portée des dizaines de milliers d’auditeurs, happés par sa voix de stentor,

figés, l’oreille tendue, à l’écoute des paroles de l’oracle qui, tantôt avec gravité, tantôt avec hu-mour, réconciliait les Marocains avec leur passé et leur mémoire.

Il avait tout lu sur le théâtre, la littérature, la poé-sie, en arabe comme en français, tout saisi des bruis-sements et des mouvements politiques, tout saisi

également des ressorts de l’envi-ronnement social et ses complexité dont il tirait – non sans une philo-sophie interrogative – la substance de quelques-unes de ses magistrales oeuvres. A sa manière, il intervenait sur le champ de la politique par la culture et le théâtre. C’est peu dire que feu Abdallah Chaqroun avait imposé son nom et sa pédagogie : il nourrissait l’imaginaire d’un peuple, affranchi des carcans et découvrant les réjouissances de la liberté. D’emblée sa parole était sai-sissante. Les émissions radiopho-niques très prisées – des feuilletons assidument suivis – constituaient alors le rendez-vous butoir que cha-cun de nos parents et nous-mêmes ne rations jamais. En lui, se recon-naissait une communauté entière, elle-même en irascible quête, sans doute, d’un destin, je dirais d’une identité ! Car il avait les mots et la tendresse du langage idoine pour la convaincre et la séduire. Il pouvait, ces dernières années, paraître comme le philosophe désabusé

Ce natif de Salé en 1926, a traversé le siècle comme un thaumaturge, la science de la commu-nication déjà entre les mains, comme un diction-naire héraldique pour nous donner à voir, à écouter, nous émerveiller dans un temps où la courtoisie et l’honneur avaient un nom. Salé, ville mythique à laquelle il est demeuré attaché, quand bien même Rabat, sa jumelle, lui aurait offert le théâtre d’ac-tion, sa terre d’élection professionnelle. Une allure sportive, athlétique même, un beau visage, bien tracé aux traits méditerranéens, relevant d’un Vit-torio Gassman, les traits qu’il gardera jusqu’à ses derniers jours, l’élégance dans une démarche à la limite de la nonchalance, la pudeur qui fut l’un des traits dominants de sa personnalité, une sobre ur-banité qui confine à l’humilité, la curiosité vorace des choses du monde et l’amour passionné pour sa famille. Un charisme à toute épreuve dont, à chaque rencontre, nous éprouvions la puissance qui force le respect et l’admiration.

Je le vois encore, voisin de palier à l’établisse-ment hôtelier lors du Festival Gnaouas d’Essaoui-ra-Mogador qu’il n’a jamais raté une seule fois, de-puis vingt ans, marcher avec la dignité seigneuriale, quelque peu courbé, portant l’âge de l’histoire du Maroc, en revanche ployé comme un chêne dans l’épreuve du temps, inébranlable dans ses convic-tions, mélange de tranquillité et de dynamisme, une alchimie, l’illustration parfaite de cet oxymore : la force et la douceur. Voici donc l’homme dont la vocation oracleuse a tant façonné nos âmes qui n’en démord pas de découvrir et d’aimer la vie et le monde, furtif et vigile face aux changements, appré-hendés par lui avec sagacité. S’il est un personnage qui lui est comparable, on citerait volontiers Jean d’Ormesson, son aîné de quelques mois seulement et tout comme lui décédé il y a quelques semaines.

Les deux hommes partageaient la même passion des mots, de la poésie, du journalisme, de la rhéto-rique et de la philosophie. Abdallah Chaqroun est aussi le modèle de générations entières, l’éclaireur des consciences qui a dû tout inventer de zéro et

n’a pas eu le privilège d’évoluer dans le confort douillet, il s’est battu et imposé pour inventer une programmation adéquate aux exigences d’une époque qui n’en était encore qu’aux balbutiements initiaux – à la limite d’une téméraire aventure - de la radio et de la télévision. L’époque des premiers pas de ces deux vecteurs était marquée au sceau de l’inventivité et de l’imagination. Or, à l’instar d’un Don Quichotte, feu Abdallah Chaqroun partait à la conquête du monde avec la conviction chevillée au corps qu’un théâtre – celui des estrades comme celui de la vie – c’est d’abord le monumental travail de la parole et du langage qui le servent.

Gentleman ? Mieux : un aristocrate qui se distin-guait et nous laissait admiratifs et plus qu’attentifs. Une parole si rare et mesurée, exquise en définitive. Notamment, quand, flanqué de son épouse – la magnifique Amina Rachid – ils arrivaient dans les diverses cérémonies officielles, ou ordinaires, formant le plus envieux couple d’artistes, complé-mentaires, complices à coup sûr, communicatifs d’une joyeuse ouverture sur les gens et le monde, transformant leur modèle en une iconique image de bonheur voire d’un mythe. Amina Rachid reste non seulement la compagne de la longue route, mais l’alter égo de feu Abdallah Chaqroun, le miroir en singulier d’un grand homme que la diversité des talents a rendu multiple et pluriel. Ils ont partagé, tout au long d’une vie ayant coulé comme un fleuve tranquille, les débuts, les premières joies, bien évi-demment les probables difficultés qui en furent in-hérentes et les succès qui marqueront une carrière si prestigieuse qu’elle n’a pas son équivalent.

Au cœur de ce parcours, il y a la tendresse qui est le ressort du travail mené par un homme en totale et parfaite symbiose avec son temps, son époque, sa communauté de travail et sa famille. Homme d’écriture au long cours, il est à notre vie culturelle ce que le héraut d’une époque en plein questionnement est à l’humanité : un Sage dont nous ne cesserons de mesurer à la fois le poids historique, la portée de l’œuvre au puissant accent pédagogique et patriotique, à l’aune d’une seule exigence : la foi ! n

Abdallah Chaqroun, un géant qu’on ne risque pas d’oublier.

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HISTOIRE D’UNE VILLE26 FÉVRIER 2018

Essaouira, la mariée de l’Atlantique aux mille et une saveurs

Souad Mekkaoui

Anciennement appelée Amogdul (la bien gardée) ou encore «Mugadur» - tout proche de «Muga-dir» qui signifie en berbère «la remparée», ou

« celle au rempart », d’où l’origine du nom de Mogador-, Essaouira (la bien dessinée) trône sur la côte atlantique, dans un bel écrin de nature.

La « ville du vent » émerveille non seulement par sa beauté naturelle et brute à la fois, ses forêts, ses dunes, ses lacs, son océan et sa côte sauvage mais aussi par sa culture et ses arts bercés par un climat doux, toute l’an-née. Bâtie sur une presqu’île rocheuse, en face s’érigent les Iles de Mogador protégeant la baie et le sable fin de la splendide plage contre les vagues fortes de l’Atlan-tique et abritant les faucons d’Eléonore, les goélands et les mouettes qui animent le ciel bleu de cette magnifique réserve naturelle.

Au loin, les adeptes de surf, windsurf et kitesurf ne se lassent pas de la qualité du vent qui embrasse les lieux au cachet si particulier.

Du cœur du cocon fait de murailles qui cernent la cité d’Alizé tel un joyau, la ville, où le bleu et le blanc règnent en maîtres, invite à un voyage envoûtant, hors du temps et de l’espace, entre ses remparts sé-culaires, ouvrages d’art et de défense.

Au détour de chacune des ruelles parse-mées de maisons consulaires, le visiteur a ren-dez-vous avec l’Histoire, un élément du patri-moine ou encore une galerie vouée à l’œuvre d’artistes qui sortent de l’ordinaire.

Histoire d’une forteresseDans le but de s’ouvrir sur l’Europe et sur

le monde afin de développer le commerce in-ternational, Mohammed Ben Abdellah alors califat de la vice-royauté de Marrakech, pro-pose à une compagnie danoise de s’installer dans l’îlot de Mogador, en 1751. Et c’est en 1757 alors qu’il devient Sultan, après la mort de son père, qu’il fait de Marrakech sa capitale et décide de fonder Essaouira pour disposer d’un port accessible, à longueur d’année.

La médina fortifiée, telle qu’elle existe aujourd’hui, est l’œuvre de Théodore Cornut, un spécialiste français qui avait été employé par Louis XV pour la construction des fortifications du Roussillon. Son inspiration est pui-sée dans la forteresse de Saint-Malo et fait réaliser son plan par des prisonniers français, pris lors de la défaite de Larache. La ville est alors organisée en damier et l’en-ceinte qui étreint la cité rappelle le style Vauban dont il était le disciple. D’ailleurs, le plan original du port et de la Kasbah est conservé à la bibliothèque nationale de France à Paris.

Force est de rappeler que la médina d’Essaouira est donc la seule médina du Maroc construite sur plan.

Aussi la fameuse Scala est-elle construite avec des for-tifications installées dans la baie, en plus des batteries de canons à feux croisés, selon les normes de l’architecture militaire européenne de l’époque tout en respectant tou-tefois, les principes de l’architecture et de l’urbanisme arabo-musulmans.

Depuis, reliant le Maroc et l’Afrique subsaharienne à l’Europe et au reste du monde, elle a été le premier port incontestable de commerce international, des siècles durant. Et c’est d’ailleurs par Mogador, ou le port de Tombouctou, que le thé est introduit au Maroc au XVIIIe siècle.

De facto, durant le règne du Sultan, Mogador prend son essor et connaît son âge de gloire en devenant la ca-pitale diplomatique du pays, entre la fin du XVIIIe siècle

et la première moitié du XIXe siècle.Et comme les belles choses ne durent pas, la ville

commence à se détériorer, considérablement, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. En 1799, assaillie par une violente épidémie de peste qui emporte environ 4.500 personnes, la ville voit partir ses chrétiens. Par la suite, il y a eu le bombardement dont elle fait l’objet, en 1844, avant qu’elle ne se dégrade encore plus, sous le protectorat français.

Histoire juive de la villePour établir des relations avec l’Europe, le Sultan se

sert de la communauté juive qui fut baptisée « Toujjar assoultane » (marchands du Sultan). Ils rempliront alors le rôle d’intermédiaires entre lui et les puissances étran-gères.

Ainsi, pour alester la Kasbah devenue trop peuplée, le Sultan Slimane Ben Mohammed ordonne la construc-tion du mellah, en 1807 afin d’y installer tous les Juifs de la ville dont le nombre dépassait, à l’époque, celui des musulmans.

Malheureusement, Essaouira se verra quitter par ses juifs, vers les années 1940 et 1950 pour aller principa-

lement en Israël mais aussi en France, au Canada et aux Etats-Unis, avant la guerre des Six jours, qui provoquera un départ massif, en 1967.

Aujourd’hui, au mois de septembre, les juifs du monde entier viennent se recueillir sur la tombe du rab-bin Chaim Pinto, enterré à Essaouira. Une occasion pour les descendants des anciens résidents qui viennent, im-prégnés de nostalgie, fouler la terre des ancêtres et dé-couvrir leurs origines.

Pour l’anecdote, le général Vichy aurait demandé à Feu le Roi Mohammed V, pendant la seconde guerre mondiale, combien de juifs vivaient au Maroc, et la ré-ponse du Monarque ne s’est pas fait attendre : « Je n’ai pas de juifs mais que des Marocains ».

Preuve s’il en faut, les deux cimetières juifs et leurs tombes qui s’ancrent dans la terre d’Essaouira pour té-moigner de plusieurs générations juives dans la ville.

La mariée de l’AtlantiqueSource d’inspiration de nombreux artistes et grandes

personnalités, depuis les temps immémoriaux tels Tayeb Seddiki, Haïm Zafrani, David Bensoussan, André Azou-lay et bien d’autres, la cité aux murs crénelés où gît le corps d’Edmond Amran El Maleh, a su garder, au fil des siècles, toute son authenticité et son histoire. Son patrimoine riche et exquis a servi de décor à plusieurs séquences cinématographiques renommées notamment Othello qui a connu un franc succès en 1952. Pour le film Kingdom of Heaven, le réalisateur en a fait la Jérusa-lem médiévale en 2004. Dans la série Game of Thrones, les remparts de la Kasbah ont servi de paysage pour les punis d’Astapor. Et ce n’est pas fortuit si en décembre

2001, l’UNESCO inscrit la médina au registre du Patri-moine mondial de l’Humanité.

N’est-ce- ce pas la ville dont Paul Claudel avait dit qu’«Il n’y a qu’un seul château que je connais, où il fait bon vivre enfermé. Il faut plutôt mourir que d’en rendre les clefs. C’est Mogador, en Afrique» ?

Mogador, symbole de tolérance Faut-il rappeler qu’Essaouira a longtemps été un sym-

bole de tolérance, depuis sa création par le sultan Mo-hammed Ben Abdallah au XVIIIe siècle ? Amazighs, Arabes, Africains et Européens ont longtemps cohabité dans le respect et la richesse de la différence.

Musulmans, Juifs et Chrétiens y travaillaient conforta-blement côte à côte. Ceci étant, la culture de la cité des Alizés est imprégnée d’un brassage riche d’anciennes traditions et de nombreuses influences qui font d’elle un creuset où verse une identité plurielle.

Mémoire d’une Histoire dense, Essaouira étreint nom-breux édifices religieux tels que des zaouias (à elle seule, elle compte une quinzaine) mais aussi l’église portugaise construite vers la fin du XVIIIe siècle par les négociants européens, la synagogue de Simon Attias, construite à

la fin du XIXe siècle par un marchand juif dont elle porte le nom et l’église Notre Dame de l’Assomption, construite en 1936 par des prêtres espagnols,

Un métissage de musiques et de cultures

Ville d’art et d’histoire, Essaouira constituait un havre de paix et de ressourcement pour les hippies du monde entier, dans les années 1960. A tel point que Cat Steven, Jimmy Hendrix et d’autres stars de l’époque, venaient se régénérer dans l’atmosphère magique de l’ancienne Mo-gador. Ces dernières décennies et chaque année,

ce sont des milliers de mélomanes qui se ruent vers la ville, escale incontournable, pour découvrir les nom-breux festivals, porteurs d’un message universel invitant au dialogue entre les cultures et faisant vibrer la cité aux rythmes tantôt de l’Orient tantôt de l’Occident.

A Essaouira, les saisons se suivent et ne se ressemblent pas et les fluctuations particulièrement conviviales et chaleureuses non plus.

Depuis 1998, le Festival des Musiques du Monde dif-fuse son ambiance magique et ravive la spiritualité an-cestrale des Gnaoua dans les rues d’Essaouira faisant du mois de juin un rendez-vous dédié aux « Musiques du Monde ».

En automne, elle résonne aux assonances du Festival des Andalousies atlantiques, célébrant l’art et le patri-moine arabo-andalou et dévoilant un passé fort et riche de métissage ethnique, culturel et artistique propre à la cité.

Travestie en une vaste scène de spectacles à ciel ou-vert, Essaouira danse aux couleurs d’un métissage d’har-monies qui font éterniser l’âme de l’authenticité plurielle d’une valeur universelle exceptionnelle.

Dès lors, la beauté de la ville jumelée avec La Rochelle et Saint-Malo (en France), Etterbeek (en Belgique), l’Île de Goréee (au Sénégal), et Changshu (en Chine), aurait le goût d’inachevé sans son art pictural, son artisanat qui porte l’empreinte des lieux et qui constitue la principale activité des Souiris, en plus de son huile d’argan qui en-sorcelle les touristes.

En somme, à Essaouira, la ville aux remparts et forti-fications portugaises et au patrimoine judéo-musulman, on se repose, on se ressource et on se cultive. n

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IN MEMORIAM FÉVRIER 2018 27

Malika Belmehdi El Fassi,une femme pour l’indépendance

Par S.M.

Qui a dit que la femme marocaine n’a pas gravé son nom en lettres d’or et de noblesse, elle qui n’a pas son

égal dans la lutte pour la cause nationale, l’indépendance du pays et la préservation de ses valeurs et ses constantes sacrées ?

Preuve en est, s’il en faut une, ces Maro-caines qui ont mené de longs combats lors des batailles d’El Hri (en 1914), Anoual (1921) ou encore pendant le mouvement de protestation contre le Dahir berbère en 1930.

Née pour militerCet engagement et ce dévouement

chez la femme marocaine, avéré depuis les temps immémoriaux, a davantage été hissé par une femme d’exception, la seule et unique signataire du Manifeste du 11 janvier 1944, parmi les 66 autres. Son dévouement infaillible pour la liber-té et l’égalité mais encore et surtout pour sa patrie constituait sa deuxième nature.

Née le 19 juin 1919 et décédée le 12 mai 2007, Malika El Fassi aura marqué, de son estampille et de sa «signature», l’Histoire du Maroc dans sa cause na-tionale et la lutte pour la promotion des droits de la femme. Ayant vu le jour dans une famille de nationalistes lettrés, elle privilégie de la même éducation que ses deux frères. A une époque où la fille n’avait pas à se prévaloir du droit à l’édu-cation, elle apprend à faire des idéaux nationaux sa devise. Après Dar Lfkiha, de nombreux précepteurs l’ont formée dans différentes disciplines notamment la langue arabe, française, l’éducation sportive et autres. D’ailleurs, elle n’était pas seulement une bonne cavalière, mais en férue de la musique andalouse, le luth et l’accordéon vibraient sous ses doigts. Et c’est avec lhaj Driss Touimi Benjel-loun qu’elle fonde Jamîiyate houat al moussiqa al andaloussia.

La plume pour armeJeune adolescente, elle a déjà de l’étoffe

et fait de sa voix une arme redoutable. A quinze ans, elle signait ses articles où elle dénonçait les injustices faites aux femmes surtout face à l’interdiction à leur accès à l’Université Al Qaraouiyine, sous le pseu-donyme Al fatate. Nom d’écriture choisi par Abdelkrim El Fassi avant d’opter pour Bahitate el Hadira (chercheuse de la cité), une fois mariée. Elle participera en tant que seule femme journaliste à la revue Majallate al Maghrib et fera de sa plume aiguisée une arme pour défendre, à cor et à cri, les droits de la femme notamment la scolarisation des filles, à partir des années 1930.

Ses papiers étaient aussi lus dans Rissa-late Al Maghrib et ensuite dans le journal Al Alam, à partir de 1934. Faut-il donc souligner que Malika El Fassi était passée à l’assaut pour ouvrir les horizons au jour-nalisme féminin au Maroc ?

Et c’est bien avant l’indépendance et à travers ses écrits qu’elle avait commencé à lutter contre l’analphabétisme et à inciter les parents à ne pas priver leurs filles des études et d’instruction, meilleur moyen d’évolution. A son actif, on peut lire aussi quelques pièces de théâtre et des romans dont «La Victime».

Son mariage avec son cousin feu Mo-hamed Ghali El Fassi, en 1935, professeur du Prince Moulay Hassan, dans le temps, ravive davantage son militantisme. Deux ans après, elle intègre le mouvement natio-naliste, Taïfa, au sein d’un comité secret où elle contribue, activement, avec ses cama-rades, à l’élaboration du Manifeste de l’in-dépendance et le signe, le 11 janvier 1944. Et comme le renoncement à ses convic-tions ne faisait pas partie de sa nature, elle mène la Résistance et l’Action féminine avec ses camarades qui ont échappé à la prison, après l’arrestation de la majorité de ses compagnons nationalistes. Dotée d’un esprit de mobilisation, Malika El Fassi aura côtoyé tous les grands leaders qui ont tracé le contour d’un Maroc indépendant.

Destin façonnéEt c’est ainsi que cette grande figure

de proue du Mouvement nationaliste et de la Résistance, qui avait du style et le coup d’œil sûr, accède, aisément, au Pa-lais, à partir de 1942, renforçant ainsi la présence de la femme marocaine sur la scène politique.

La nuit du 19 août 1953 sera mémorable puisque Malika sera la dernière à avoir rencontré feu le Roi Mohammed V, dans sa demeure, avant qu’il ne soit exilé. Lors de cette visite où elle s’introduit, dégui-sée, dans le palais royal, elle lui soumet la Bay’a des oulémas. Cette nuit-là sera le début d’une longue Résistance contre l’occupant.

En 1943, son mari, le nationaliste Moha-med El Fassi, avec qui elle était en cheville,

est nommé directeur de l’Université Al Qaraouiyine. Et c’est en accord avec lui et avec feu Sa Majesté Mohammed V qu’elle ouvre une section secondaire et universitaire spécialement pour les filles, en 1947 dont la première pro-motion comptait des noms de femmes exceptionnelles comme Aïcha Sekkat, Fettouma Kabbaj, Habiba El Bourqadi et bien d’autres qui ont ouvert la voie devant les autres générations.

Pionnière du féminisme dès son jeune âge, sa plus grande bataille dont elle fait son bourdon de pèlerin a été, sans conteste, sa lutte pour la scolarisation des jeunes filles. Elle a son permis de conduire en 1955 et parcourt le pays, dans tous les azimuts afin de promouvoir l’éducation des filles, créer des centres spécialisés et exhorter les parents à y inscrire leurs filles qu’elle encadre avec persévérance et ténacité. Dans le même esprit, elle sollicite le directeur français de l’enseignement et arrive à avoir son accord pour la création d’écoles pour les filles.

Figure féminine de l’action sociale

En 1956, en militante et nationaliste acharnée, elle multiplie ses actions de pa-triotisme comme pour donner un nouveau visage à la femme marocaine, au lende-main de l’indépendance. Elle fait alors partie des fondateurs de la Ligue maro-caine, dont elle était la Vice-présidente, pour l’éducation de base et la lutte contre l’analphabétisme, envers et contre tous. La même année, sous la présidence de la princesse Lalla Aïcha, elle figure parmi les fondateurs de l’Institution de l’Entraide nationale. Et c’est animée par une volonté ardente de faire jouir ses consœurs de tous leurs droits, qu’elle présente au Monarque une motion pour que celles-ci puissent vo-ter. Requête applaudie par le Souverain sans coup férir étant donné que la jeune femme avait voix au chapitre.Humaniste dans l’âme et affichant son altruisme sur son fronton, les démunis, les orphelins et les cancéreux ne la lais-saient pas indifférente. Aussi crée-t-elle, en compagnie de certaines femmes de Rabat, l’Association Al Mouassat dont elle était la présidente, à par-tir de 1960 pour la prise en charge et le soutien de personnes dans le besoin. Reconnue d’utilité publique, elle est l’une des premières associa-tions à bénéficier d’une subven-tion de l’INDH, instituée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Parcours hors du commun pour une Marocaine

d’exceptionA tous crins et en conférencière avisée,

elle a participé à plusieurs conférences et symposiums notamment en Chine, en Roumanie, etc. D’ailleurs, le gouverne-ment russe lui a attribué une médaille pour sa contribution à l’amitié maroco-russe.

Le dévouement et l’engagement chevil-lés au corps, sa consécration est un devoir national, elle qui a bataillé avec acharne-ment et dévotion pour l’indépendance de son pays. Récompensée par l’UNESCO pour sa lutte contre l’analphabétisme, elle se voit décorer par le Roi Moham-med VI, à l’occasion du cinquantenaire de l’Indépendance, du Grade de Grand Commandeur du Ouissame Al Arch, le 11 janvier 2005, avant qu’elle ne s’éteigne deux ans après.

Malika El Fassi, qui a passé sa vie dans la dévotion de sa patrie, restera à jamais un symbole de la Résistance et un em-blème du nationalisme et du sacrifice.

En pionnière du mouvement de l’éman-cipation de la femme marocaine, elle aura légué aux autres générations, qu’elle aura marqué de son influence, le flambeau de la liberté, du nationalisme, de l’engage-ment, des convictions et de la culture et aurait appelé de tous ses vœux que ses « successeuses » aient du cœur à l’ou-vrage pour aller encore de l’avant. n

Malika El Fassi, pionnière du féminisme marocain.

Femmes du Maroc indépendant.

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LIVRES28 FÉVRIER 2018

La force du roman de Nedali, à l’instar de son œuvre, est de peindre un monde d’injustice irrationnelle, où les jeunes sont soumis à la violence des arbitraires sociaux et à la bonne volonté des dominants.

Un simple baiser sur la bouche, une caresse furtive, tout au plus, sur le corps de l’aimée, dans un endroit à l’abri des regards. Mais tout le monde n’utilise pas les mots de la même manière pour définir le réel.

Cette jeunesse marocaine soumise aux arbitraires que les dominants exercent quotidiennement sur elle, consciente que les études mènent bien souvent au statut de diplômés chômeurs, est une proie facile.

Les mots sont importantsAvec «Evelyne ou le djihad ?»

(Editions de l’Aube, 2016), Mo-hamed Nedali poursuit son explo-

ration littéraire de la jeunesse marocaine, tiraillée entre désenchantement et espoirs utopiques. Dans un monde où la plupart des perspectives d’avenir sont bouchées, chacun cherche son salut comme il peut.

Iydar Amezzi est un garçon berbère sans histoire, un jeune lycéen inscrit en Lettres. Surpris avec une fille dans un coin perdu de campagne par deux agents de police qui décidèrent de l’inculper pour «relation sexuelle illégitime, outrage à la pudeur pu-blique et violence contre deux agents de sû-reté», il se retrouve en garde à vue, au com-missariat et ensuite en détention, pendant un mois, au pénitencier Boulemharez. Que faisait-il en réalité ? Un simple baiser sur la bouche, une caresse furtive, tout au plus, sur le corps de l’aimée, dans un endroit à l’abri des regards. Mais tout le monde n’uti-lise pas les mots de la même manière pour définir le réel. La première partie du roman raconte la façon dont Iydar s’est retrouvé en prison. Le livre s’ouvre sur l’une des visites que sa mère vient lui faire en prison. Iy-dar la prend dans ses bras, la réconforte, se veut être rassurant. La mère s’inquiète de sa perte de poids, de le savoir dans un lieu où évoluent des criminels. Le garçon, lucide, lui répond : «Il n’y a pas que des assassins et des malfaiteurs ici, mère ; il y a aussi beaucoup d’hommes honnêtes et irré-prochables qui, suite à quelques revers du destin, se sont retrouvés dans cet endroit : des pères de famille sans histoire, des ou-vriers, des commerçants, des étudiants, des fonctionnaires, des entrepreneurs, des…».

Iydar explique à sa mère que la fille avec qui il était n’est pas une prostituée, contrairement aux sornettes que véhiculent les gens d’Asni, le village au sud de Mar-rakech, dans lequel il habite. En fait, les deux tourtereaux se connaissent depuis l’âge de sept ans : «Que dire de Latifa ?

C’était une fille comme une autre : ni belle, ni laide, ni bête, ni intelligente, une fille quelconque en somme. Elle et moi avions bien des points communs : tous deux d’origine modeste, orphelins de père, berbères de langue et de culture – autant de raisons de nous entendre, Latifa et moi. Et de nous aimer». Le couple cultive une passion commune pour la chanson amazighe, notam-ment Izenzaren Chamekh. Iydar est très heureux d’avoir conquis le cœur de cette fille, dont il se sent de plus en plus proche, de plus en plus amoureux. S’ins-pirant fortement de Molière, peut-être en frôlant le plagiat, il rédige un poème à sa dulcinée. L’intimité affective évo-luant, le jeu du désir et du hasard vient se mêler de la partie. Iydar a envie d’un contact physique avec sa petite amie, à l’instar de tous les personnages mascu-lins que l’on voit dans l’œuvre de Moha-med Nedali depuis «Morceaux de choix» à «Triste jeunesse».

Profitant de l’absence de leur professeur d’éducation islamique, qu’Iydar considère, à l’époque, comme un «salafiste» assom-mant ses élèves de prêches à dormir debout, il s’éclipse avec Latifa dans un coin discret pour flirter. Il est surpris par la police qui les accuse de débauche. En leur tenant tête verbalement, il déclenchera leur fureur, se faisant rouer de coups mais permettant à Latifa de prendre la fuite et de préserver son honneur. Iydar a le sens du dévouement. Il ne balancera pas le nom de sa compagne aux policiers et assumera l’incarcération.

La force du roman de Nedali, à l’instar de son œuvre, est de peindre un monde d’injustice irrationnelle, où les jeunes sont soumis à la violence des arbitraires sociaux et à la bonne volonté des dominants. L’em-prisonnement d’Iydar a quelque chose de kafkaïen : « Jusque-là, j’espérai que le commandant classerait l’affaire, vu que ma fredaine avec Latifa ne valait pas vraiment un procès au tribunal. Je pensais qu’on n’oserait pas envoyer un élève devant le juge d’instruction pour un flirt ; qu’au pire, on me garderait une nuit au cachot. Mon espoir venait de s’évaporer complètement ; l’avenir s’assombrit devant moi».

Dans sa cellule surpeuplée, Iydar ren-contre un jeune homme avec le drapeau amazigh mais aussi Abou Hamza, un pré-dicateur religieux. Les deux personnages,

incarnation de deux visions du monde antagonistes, notamment au niveau des représentations de l’arabité. Lorsque celui que l’on surnomme «Amazigh» est changé de cellule, Abou Hamza a le champ libre pour organiser les prières collectives avec les personnes qui restent. Ce dernier leur avoue ses objectifs ; il cherche à recru-ter des jeunes qui iront faire le djihad en Syrie. Nedali montre que cette jeunesse marocaine soumise aux arbitraires que les dominants exercent quotidiennement sur elle, consciente que les études mènent bien souvent au statut de diplômés chômeurs, est une proie facile. A la fin du séjour, la plu-part des gens de la cellule sont prêts à aller en Syrie, malgré leurs hésitations. Abou Hamza a été convaincant.

Iydar reste le témoin passif de tout cela, sans exprimer forcément un point de vue critique à l’égard du prédicateur sala-fiste qui incarne, également, les perversions d’un système susceptible de voir exploser entre ses mains les bombes sociales qu’il fabrique en se désengagement de la vie so-ciale et en laissant les jeunes sans avenir. Le roman de Nedali pourrait se terminer de manière sombre. Toutefois, en sortant de prison, Iydar fait de l’auto-stop pour rega-gner son village et tombe sur Evelyne, une Européenne d’une cinquantaine d’années qui le prend dans sa voiture. Que va-t-il se passer désormais ? La salafisation des esprits dont parle Nedali n’est pas forcé-ment incompatible avec quelques errances amoureuses… n

Un livre qui peint un monde où la jeunesse est en proie à une injustice irrationnelle.

Jean Zaganiaris, EGE Rabat CERClE dE littéRatuRE ContEmpoRainE

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FÉVRIER 2018 29LIVRES

« O ui, vraiment, voici un recueil salubre de textes,

qui se clôt par une exploration plus intimiste du jardin secret. C’est un joli contrepoint à la première par-tie, où Nadia Essalmi, on l’a vu, ne mâche pas ses mots, car il vient un moment où il faut les murmurer, les mots… ‘‘Qui de nous n’a jamais écouté cet air que jouent les pages quand elles tournoient ?’’ C’est très doucement qu’on referme ce livre… » (Extrait de la préface)

La force tranquille ! Voilà ce qui pourrait le mieux décrire ce recueil de textes. Sa puissance réside dans le choix des mots, non seulement justes, mais nécessaires. Nadia Es-salmi sait leur donner la place où ils auront le plus d’impact, le plus d’éclat. Tout y est passé au scalpel. Et tout parle à notre conscience, à notre cœur. Les travers de notre so-ciété sont vus de près, désignés sans détour. Pourtant, l’auteure ne donne pas de leçons, ce n’est pas son ob-

jectif. Elle pose surtout des questions. Au lecteur de se for-mer lui-même un jugement. Ci-toyenne convaincue, l’auteure dépeint une société gagnée par l’incivisme et l’inculture. Loin de tout moralisme, elle plaide vigoureusement pour la ci-toyenneté et le vivre ensemble, ses sujets de prédilection, son véritable combat. Dans ce por-trait sans concessions, perce le je de l’auteure, pour notre grand plaisir de lecteurs. Et ça donne des textes intimes où affleure constamment l’émotion.

La révolte des rêves, premier livre publié de Nadia Essalmi, est un recueil frontal, frais et poignant.n

Deux hommes répondent tour à tour à vingt et une questions touchant

à leurs domaines respectifs, à ce qui les différencie et à ce qui les unit : un doc-teur en anthropologie religieuse, auteur de nombreux livres sur le soufisme, Faouzi Skali, et un psychologue clinicien et coach occidental passionné de philosophie et de coaching existentiel, Christian Lestienne. En quoi le soufisme ancestral et le coa-ching contemporain se rejoignent-ils et où se séparent-ils ? Le coaching est-il une forme rénovée de maïeutique ? Le coach peut-il, à l’instar d’un maître spirituel, in-carner une présence transformante ? Une voie spirituelle peut-elle inspirer une forme de coaching ? Autant de questions qui ont donné le jour à un dialogue riche, nourri de multiples références à toutes les spirituali-tés et culminant dans le vœu d’une conver-gence universelle, humaniste, des sagesses d’Orient et des maïeutiques occidentales.

Faouzi skali, docteur en anthropologie et sciences des religions, est l’un des plus grands spécialistes du soufisme. Il est no-tamment l’auteur de La Voie soufie (1985) et de Saints et sanctuaires de Fès (2007).

Christian Lestienne est psychologue clinicien, coach professionnel et confé-rencier. Il a lancé un mouvement de ren-contres créatives nommé Les Guetteurs du souffle.

Mouhcine Ayouche est Coach Profes-sionnel certifié PCC par L’ICF, conféren-cier dans des manifestations nationales et internationales. Il est de même critique d’art, scénariste et conteur.

Patricia Lambert est Master Coach Professionnel belge certifiée (MCC/ ICF). Elle œuvre à l’international, notamment à l’ONU, et a publié, en 200,7 un roman intitulé Al Nur, L’autre regard.n

K. le poète maître chanteur de l’instant, A. celle qui dé-

fie l’art, se rencontrent diligem-ment, absence, trous temporels, se voient, se tournent le dos, se retrouvent en forme de loves tuant le temps à grand feu, les heures

filent à vive allure, les réveils s’écoulent entre sang neuf, sang meurtri, sang meurtrier, amours qui se congratulent, s’enlacent, cheminement dans la vision de champs photographiques chassant à grands coups de pieds ce qui fait

ombrage à leurs courses effrénées, entre Japon et Maroc flamboyant, chao-tique, les choses s’ef-fritent avec l’assurance de l’or qui se transforme dans une fin du monde fabuliste, roi et reine se perdent pour des temps illustres aux confins de l’âme absurde …Françoise Benomar, écrivaine, historienne de l’art, critique de cinéma, photographe, univer-sitaire, a écrit dans de nombreuses revues d’art et de cinéma. Elle expose dans des galeries d’art au Maroc. Elle a également enseigné durant quinze années l’histoire de l’art, la photographie, le ciné-ma et la psychanalyse.n

La Révolte des rêvesRecueil de textes. Nadia Essalmi, Virgule Éditions

Soufisme et CoachingRencontres d’ici et d’ailleurs

Patricia Lambert et Mouhcine Ayouche, Tarik Editions

Afrique, le modèle du mondeEssai sur une géostratégie afro-centrée

Siré Sy, Éditions Universitaires Européennes

Ce livre est un essai en Stratégie et Prospective, dans une perspective

afro-centrée. Il a pour contenu et fi-nalité, de (re) donner aux Africains et Africaines, une estime de Soi. Ce livre se veut aussi un outil d’aide à la déci-sion pour les dirigeants et décideurs, en Afrique qui vit un tournant décisif dans sa trajectoire millénaire et cosmopolite. C’est le temps de l’Afrique. L’Afrique vit son temps. Il s’agit d’un « temps » appelé à survoler le temps pour s’inscrire dans la durée imputres-cible des épopées sublimées, celles qui sont appelées à éclairer la marche du continent, la marche du monde. Cet essai se soucie de coller aux exigences de l’heure, de coller aux pulsions des pays riches de toutes les richesses de leur sol, de leur sous-sol et de leurs enfants. Le pari de contri-buer à donner la vraie image du continent, l’image enthousiaste du vainqueur qui se réjouit de la victoire à construire méthodique-ment, chaque jour. De la victoire lancinante et permanente sur soi. L’Afrique d’abord. L’Afrique avant tout. L’Afrique après tout. L’Afrique toujours.

Économiste de formation (Finances et gestion publique), Siré Sy préside, depuis 2014, le Think Tank Afri-ca WorldWide Group, Think Tank afro-centré sur les questions de géo-politique, géoéconomie et Relations publiques en direction et à destination des Afriques.n

SANG NEUF, NOCES D’UN JOUR

Françoise Benomar, Écrans blancs

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CHRONIQUE DE VALÉRIE MORALES ATTIAS30 FÉVRIER 2018

Je me souviens d’un petit recueil d’à peine cinquante pages de Henry de Montherlant, paru en 1936 et dont le

titre, Pitié pour les femmes, laisse imaginer le peu de respect que l’auteur portait non pas aux femmes réelles, mais aux fameuses et éternelles «valeurs» dites féminines. Pour-quoi ai-je choisi de parler de celui-ci dans cette chronique alors que je suis une vraie convaincue de la cause féministe ? Parce qu’il définit en négatif une féminité univer-selle dans laquelle nous continuons à nous construire sans même le savoir. Cette fémi-nité littéraire est celle du ressentiment, de la victimisation et de la vulnérabilité. Féminité jalouse, toujours souffreteuse, encouragée par l’éducation, les carcans moraux, etc.

Dans cet étalage de figures féminines peu ragoûtantes, je me souviens pourtant d’un personnage de femme triomphal et joyeux. Une femme moderne dans son théâtre. Mon-therlant l’a nommée Dominique, un prénom qu’il a choisi sans sexe, ni genre, comme une pirouette de l’entre-deux, ni homme, ni femme, juste un être de grâce et d’intel-ligence, aimable, beau et fort. Une femme idéale. Un idéal féminin qui réunit dans la même personne les qualités attribuées aux

deux sexes. Pour moi, un monde parfait. Dans un partage sympathique des caractéristiques physiques et morales de chacun et chacune.

L’œuvre de Montherlant fut l’une de mes premières lectures adolescentes et cela a compté. Il y eut d’abord Montherlant et je ne me suis pas privée de m’identifier au jeune auteur de La Reine morte, dans sa période torero. Puis, je suis passée à Tolstoï et j’ai cherché Dieu avec Lévine au lever du soleil sur les somptueuses terres de la campagne russe…Bref, je fus une adolescente nourrie de garçonneries et d’exploits littéraires vi-rils. Je me rends compte, aujourd’hui, que la matière virile n’a rien à voir avec le sexe. Celle-ci m’apparaît juste comme une valeur cardinale partagée, indifféremment, selon des critères non hormonaux. Elle serait plutôt de l’ordre de la volonté et de la création.

Je ne me suis jamais posé la question de savoir à quel sexe la matière virile est censée appartenir. J’en ai déduit que la lecture des auteurs classiques ne rend pas plus «femme», mais elle rend plus fortement vivante. Une femme qui lit me semble toujours prête à l’action, plus talentueuse à prendre sa vie en main. Ce que la presse appelle, faussement, dans un dérapage sémantique, la femme «puissante», je l’appelle moi, la femme «vi-rile», celle qui manie la liberté comme qui rigole, consciente de sa douceur mais aus-si de sa force. En gros, et pour résumer, je crois que sur ce coup, je rejoins Catherine Deneuve. Et par la même occasion, l’acteur Gérard Depardieu qui, à propos de Deneuve, confiait en riant que Catherine était en fait un homme… Nous sommes toujours dans les fameuses valeurs «viriles» indifférenciées sexuellement.

C’est cela qu’il faut opposer aux walkyries mondialisées du néo féminisme parce que nous ne croyons pas à l’efficacité de tant de tapage médiatique sur les réseaux sociaux. Nous ne voulons ni dérapages, ni violence, ni outrance, ni haine à l’endroit des hommes. Ce que nous voulons ? Des femmes puissantes et rien d’autre. Pas celles du fric, des ré-seaux, de la bourgeoisie, non, tout cela n’est

qu’enfumage des médias pour faire oublier que la femme puissante est ailleurs. C’est Deneuve certes, mais aussi Simone Veil et bien d’autres. Elles représentent la non vulga-rité, la non injonction, la non-dénonciation… Mais la liberté, oui. La liberté, disent-elles. Deneuve en rajoute: « Je n’aime pas ces effets de meute, trop communs aujourd’hui. D’où mes réserves, dès le mois d’octobre sur ce hashtag ‘‘Balance ton porc’’ (… ) Je ne suis pas candide, mais en quoi ce hashtag n’est-il pas une invitation à la délation ? Qui peut m’assurer qu’il n’y aura pas de manipula-tion ou de coup bas ? Qu’il n’y aura pas de suicides d’innocents ? Nous devons vivre ensemble, sans ‘‘porcs’’, ni ‘‘salopes’’.»

Hashtag, je suis Catherine Deneuve. C’est acquis. Je ne veux plus que l’on éduque les filles devant les princesses Disney, mais qu’on les place devant des livres, qu’on puisse les convaincre de grands avenirs pro-fessionnels dans nos pays où les universités ne coûtent presque rien, mais où, pourtant, nos étudiantes ne se voient jamais assez grandes. Nous avons besoin de cela, de filles puissantes et douces pour l’avenir.

Et l’amour dans tout ça ? Celui des hommes et des femmes. Eh bien, parlons-en, parlons aussi du désir. De sa complexité qui exige la dualité et non la reproduction du même. Nous ne voudrions pas voir éclore une génération d’hommes qui soient des femmes comme les autres. Nous les voulons «hommes», c’est-à-dire issus de ce continent noir qui «hor-monalement» nous échappe. Nous voulons poursuivre cette danse bizarre qui nous em-mène dans leurs bras, en femmes «vraies». Danse peu orthodoxe, aux règles très folles, à faire bondir toute analyse puritaine de la situation. Balancement des profondeurs que nous dansons ensemble, l’un avec l’autre, l’un contre l’autre, sans mots ni vertu. Car entre nous, il y aura toute la palette qui va du soleil à la nuit, et dans cette sacrée confusion de ce qui est bien ou mal, nous chercherons toujours l’amour. Car, entre nous, couple improbable depuis des siècles et des siècles, nous ne saurions nous aimer autrement. n

Hashtag je suis Catherine Deneuve

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CHRONIQUE DE GABRIEL BANON FÉVRIER 2018 31

Et Dieu dans tout ça ?On prête à André Malraux la

célèbre phrase «le XXIe siècle sera religieux (spirituel) ou ne

sera pas». Depuis l’avènement de ce siècle, les religieux, les fanatiques, les illuminés et le terrorisme dit religieux, font tout pour lui donner raison.

La question n’est pas si le siècle sera religieux, mais si Dieu est toujours là pour les hommes.

La négation de l’existence de Dieu se répand auprès des adeptes du «politique-ment correct» qui inter-prètent à leur façon René Descartes dans son Discours de la Méthode, pour justifier leur propre discours.

Dieu, qu’on l’appelle Être suprême, Architecte de l’Univers ou Puissance immanente, n’est pas le fruit de notre imagination, mais

inspire la réponse à une nécessité, celle d’avoir des règles de vie pour accepter l’autre.

La question de l’identité, à l’heure d’une globalisation sans merci, est, en grande partie, posée par la perte des repères, découlant souvent de l’absence de spiritualité.

Pendant le totalitarisme nazi et celui

des communistes, plus de trois géné-rations ont vécu sans contact avec la religion. Le retour des libertés de base a été, en même temps, le retour en force de Dieu.

L’absence de Dieu et des règles qu’il inspire, rendent le vivre ensemble illu-soire et cette négation rend l’homme un loup pour l’Homme.

Même le philosophe Bento Spinoza, excommunié par les Rabbins d’Ams-terdam, au prétexte qu’il niait l’exis-tence de Dieu, ne l’a, en fait, jamais rejeté. Il s’offusquait de la représen-tation humaine que l’ancien testament en faisait et appliquait un raisonnement cartésien à sa lecture.

Les hommes politiques, défen-seurs des droits de l’homme, ont, en Occident, combattu l’ordre divin, en s’attaquant à la famille, au principe fondamental qu’un enfant a droit à un père et une mère et que le mariage est une union sacrée entre un homme et une femme. Ils veulent faire du rôle fondamental de la femme un fond de commerce, sous le prétexte fallacieux du droit à l’enfant.

Ils ont combattu Dieu parce que, comme Spinoza l’a fort bien démontré, Dieu est aussi un instrument politique par excellence, qui agit puissamment

sur les passions des hommes.Pour Spinoza, Dieu est la puissance

qui persévère à travers tous les êtres finis, et qui fait que chacun d’eux cherche à s’élever.

Le besoin du sacré, laissé orphelin par l’effondrement des grandes croyances collectives, se trouve désormais satis-fait par le culte rendu aujourd’hui aux droits de l’Homme.

Les tensions entre le politique et la religion ont toujours été un ressort ma-jeur de l’histoire de l’Occident, liées à des crises et à des tournants historiques de grande importance. Elles constituent la racine dynamique de l’Occident dans l’histoire.

La montée du populisme et des ex-trêmes est la réaction du citoyen lamb-da devant l’agression des politiques.

Ou bien nous sommes capables d’ou-vrir une ère de spiritualité et de com-préhension universelle dans laquelle la famille humaine saura dépasser toutes les divisions religieuses, ou bien nous prenons la voie de la radicalisation des religions, dans un mouvement qui ne conduira pas l’humanité vers plus d’in-tégrité, mais vers plus d’intégrisme.

Nier l’existence de Dieu n’est pas le signe d’une intelligence éclairée, mais la marque d’une solitude mortifère.n