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SAINT NISETTE DE CAUX Jasabée Quenarjac

Saint Nisette de Caux p

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SAINT NISETTE DE CAUX

Jasabée Quenarjac

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SAINT NISETTE DE CAUX

Saint Nisette de Caux, trois kilomètres.

C’est curieux, en parcourant le trajet sur la carte ce matin, il n’avait pas prêté attention à ce nom. Quelle bonne idée d’être venu en Normandie pour ce week-end de l’Ascension. Le temps était superbe, juste quelques petits nuages blancs et une légère brise qui vous rafraîchissait.Bernard et Joëlle avaient passé la nuit à Bolbec et prévu de se retrouver le soir à Yport que Joëlle rejoindrait en voiture, tandis que Bernard ferait le trajet en vélo par les petites routes du pays cauchois.

La matinée était déjà bien avancée et les kilomètres commençaient à se faire sentir. Bernard posa pied à terre et regarda la campagne environnante. Une petite pause serait la bienvenue. Anouville était encore un peu loin, alors va pour Saint Nisette de Caux. Il fallait juste espérer qu’il y ait un café car le bidon était vide.Bernard se remit en selle. La route s’élevait lentement au milieu du bocage. Une cloche sonnait tout près, il devait être midi. La grand-rue était déserte

Par chance il y avait un café au milieu du village. Le fait qu’il s’appelât « Café de la gare » laissa Bernard songeur car on n’apercevait rien qui ressemblât à une voie ferrée.Bernard poussa la porte à laquelle on accédait par quelques marches protégées par un auvent. Ca sentait un peu le renfermé. A gauche de l’entrée un présentoir à journaux destiné aux « Echos du cauchois ». Il restait deux exemplaires dont un manifestement avait déjà était parcouru car un peu fripé.

Bernard se dit que s’il avait eu l’intention d’acheter le journal et qu’il n’était resté que celui-là, c’est pas sur qu’il l’aurait pris. C’est comme pour les livres des bibliothèques, il n’aimait pas trop l’idée qu’on les ait touchés avant lui.A droite un empilement de cageots de légumes. Le café devait faire aussi épicerie tabac. Le ruban attrape-mouches qui pendait au plafond avait connu un incontestable succès auprès des insectes diptères qui d’ailleurs représentaient l’essentiel de la clientèle. Succès tel que, faute de place libre, quelques mouches tournoyaient à proximité, dans l’attente un peu vaine d’une aléatoire place libre. On se croirait sur le parking du Leclerc à la veille d’un week-end de trois jours, songea Bernard.

La patronne essuyait un verre ballon derrière le comptoir. A en juger le peu de clients on était en droit de supposer que ce ballon venait d’avoir une utilisation plus personnelle que commerciale et, vu le teint de la patronne, que ce n’était pas le premier de la journée.

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- Qu’est-ce que je vous sers ?- Un Perrier. Vous avez des toilettes ?- Au fond du jardin.

En fait de jardin ça ressemblait plutôt à un terrain vague plus ou moins envahi d’herbes folles. Un vague chemin conduisait à une cabane dont la porte délabrée ballottait au vent. Contournant une lessiveuse qui n’en finissait pas de rouiller, Bernard se dirigea vers ces lieux. Les rescapées du piège à mouches semblaient s’être donné rendez-vous par là.

Le confort était un peu sommaire : une simple planche un peu vermoulue recouvrait en partie une fosse sombre où le regard, pour autant qu’il ait eu la curiosité douteuse d’y plonger, se perdait sans espoir. Pour un petit pipi ça irait.

A ce stade du récit le lecteur est en droit de s’interroger sur ce qui pousse Bernard à choisir les toilettes du jardin pour soulager sa vessie plutôt que la campagne où il était quelques minutes auparavant et où il retournerait sous peu. Le lecteur attentif n’a en effet pas manqué de remarquer que le héros de cette histoire est de sexe masculin, sexe dont l’une des prérogatives est de pouvoir accomplir ce besoin naturel sans difficulté là où bon lui semble. Judicieuse remarque donc du lecteur attentif qui aurait pu être prévenue par des justifications préalable du genre pudeur maladive. Ecartons d’un geste ces explications oiseuses et admettons une fois pour toutes que pour que le récit puisse se poursuivre il faut que Bernard soit à ce moment là, dans cet endroit là. Bernard n’étant pas du genre à interrompre un récit dont il est le héros, se rend donc dans la cabane du jardin. Ca va comme ça ?

Bernard s’avança donc prudemment et entreprit de se soulager

Or il arrive parfois qu’un séjour prolongé en selle ait quelque effet délétère -fort heureusement transitoire- sur la sensibilité périnéale et la capacité mictionnelle, différant quelque peu l’accomplissement du besoin naturel.

Homme d’expérience et peu enclin à se laisser dominer par une physiologie capricieuse, Bernard opéra sur le champ la contraction de quelques groupes musculaires appropriés dont la mise en oeuvre ne manquerait pas de lever l’obstacle à la délivrance attendue. Il accompagna cet effort d’un léger coup de rein destiné à augmenter encore la pression sur le sphincter récalcitrant.

Las, la propagation des ondes de choc n’obéit pas dans le corps humain aux lois invariables de la physique du globe. Il est en effet assez exceptionnel, et c’est très bien comme ça, d’observer un tsunami pelvien.

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C’est ainsi que par une fatale erreur d’aiguillage, le frémissement né au creux des reins de Bernard, au lieu de prendre une direction vers l’avant et le bas propice à l’augmentation transitoire de le pression intravésicale, se dirigea de façon aberrante tout à fait vers le bas, atteignant en une fraction de seconde les cuisses qui, trop surprises pour réagir promptement, n’offrirent qu’une résistance symbolique, fatiguées qu’elles étaient de surcroît par les efforts de la matinée.

Il va sans dire que la première ligne de défense ayant été brisée aussi facilement, les jambes ne firent guère de zèle, laissant passer avec une indifférence teintée d’un peu de dédain, l’onde vibratoire qui ne tarda pas à atteindre les pieds -qui pensaient à tout autre chose- les semelles qui n’amortirent rien du tout, et finalement la planche dont vous ne pouvez plus ignorer qu’elle était passablement vermoulue.

Il paraît que certains animaux ont un sens inné de l’imminence d’une catastrophe naturelle. Cette aptitude que ne possède pas l’homme, leur permettrait, en cas de nécessité, de se mettre à l’abri en temps utile. Les hôtes xylophages des planches de chiottes rurales du Cauchois ( Xylophagus Latrinae Cauchensis) ne possèdent probablement pas ce don car lorsque la catastrophe survint, ils étaient encore en plein repas.

En ce qui concerne Bernard, sa première perception fut celle d’un craquement rapidement suivi d’un dérobement du sol et d’une chute. Quant à son dernier souvenir visuel ce fut celui d’un bout de page des « Echos du Cauchois » qui accrochée avec d’autres à un clou, palliait tant bien que mal -plutôt mal- à l’absence de papier hygiénique. On y annonçait la prochaine « Fête de la truie » à Saint Nisette de Caux. Malheureusement il n’eut pas le temps d’en lire la date.

Bernard chutait donc et son estomac prenant quelque retard par rapport au reste du corps s’était déjà retrouvé au fond de sa gorge. Habitant lui-même la campagne et connaissant donc ces choses, il s’attendait à entrer en contact d’un instant à l’autre avec un liquide fangeux et malodorant. Dans un réflexe primitif bien qu’ici assez peu adapté, il serra les fesses.

La chute durait et il commença à s’étonner de ne pas encore avoir plongé.« Jusqu’ici tout va bien» se répétait-il, optimiste.

Au bout de quelques instants il eut l’impression que la chute se ralentissait et, malgré l’absence d’un quelconque repère dans l’obscurité, que sa trajectoire commençait à se modifier pour s’arrondir et finalement atteindre l’horizontale. Il continuait néanmoins à avancer, comme soutenu par un matelas d’air. Bien que surprenant, ce n’était finalement pas si désagréable. Mais où tout cela allait-il le mener ? Et Joëlle qui l’attendait à Yvetot, qu’allait-elle penser ?

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Bien du temps passa, toujours dans une obscurité totale, propulsé vers une destination inconnue.

Le silence était presque aussi complet que l’obscurité si ce n’est que par moments il eut l’impression d’entendre des bruits. Quelque chose comme, amené par le vent, le grondement continu d’une autoroute . Et puis plus rien.

Ce n’est qu’après un temps qui lui parut fort long que des bruits se firent à nouveau entendre, ténus puis plus forts, évoquant quelque chose de connu. Souffle, grincements, chocs métalliques. Mais qu’est ce que c’était. Et puis une autre perception, absente depuis le début du périple : une odeur. Cette odeur, il lui semblait la connaître. Mais oui, cette odeur, ces bruits, ça ressemblait au métro.

Par réflexe il plongea la main dans la poche qui contenait son porte-monnaie pour s’assurer qu’il était bien en possession d’un ticket. Sacré Bernard !

Puis il lui sembla qu’insensiblement la vitesse diminuait jusqu’à ce que finalement tout s’arrête. Plus un bruit. Au bout d’un moment il lui sembla tout de même entendre quelque chose. Là sur le côté, comme un murmure. Ne dirait-on pas des voix ? Oui ça y ressemblait bien.

Bernard se tourna un peu sur le côté et tendit l’oreille.- Vous croyez vraiment qu’il faut en arriver là ?- Nous n’avons plus le choix. A son retour de Londres il s’est fait hospitaliser

pour une dépression bidon mais la semaine prochaine il va être interrogé par les gens de la D.N.I.F. et alors…vous les connaissez…

- Mais Dominique vous êtes sur d’être couvert par…- Ecoutez, il est tellement mouillé lui-même que si je tombe, il tombe avec…

vous avez vu ce qu’il a été obligé de faire pour l’ancien champion…- Et vous voyez les choses comment ?- Ca c’est votre boulot mon vieux, c’est bien à ça qu’on vous paie non ? Une

chose est claire, il faut le neutraliser avant qu’il ne soit trop tard.- OK, mais à qui confier le boulot ? les services spéciaux se surveillent tellement

les uns les autres qu’il y aurait obligatoirement des fuites.- Et hors du sérail vous ne voyez personne ?

Un temps.

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- Si, peut-être…- A qui pensez-vous ?- Il y a quelques années nous avions dans certaines unités militaires des agents

très spéciaux utilisés pour des missions particulièrement délicates au-delà du rideau de fer

- Mais tout ça a disparu avec la chute du mur !- Officiellement oui…- Vous voulez dire que…- Je veux dire que certains de ces agents ont été mis en veilleuse, recasés dans

des unités ordinaires mais gardés en réserve au cas où…- C’est exactement ce qu’il nous faut. Il fait le boulot et disparaît dans la nature.

Mais attention il faut être extrêmement prudent . Pas question de laisser la moindre trace, le moindre ordre écrit. Il faut que vous le contactiez personnellement et que vous lui indiquiez en toute discrétion ce qu’il a à faire. Ne perdez pas de temps. Où est-il votre type ?

- Dans un régiment d’infanterie motorisée quelque part dans un département de l’est.

- Là où était notre ami Pierre ?- Exactement. Et en plus celui-ci y garde toujours des contacts. Ca peut servir.- Alors partez immédiatement et utilisez le module de transfert spécial, c’est plus

discret et ça ira plus vite. Nous avons toujours la liaison vers l’est ?- Tout à fait. Le temps de programmer le trajet et de vérifier que tout est en ordre

et je me mets en route.-

Il se dirigea vers un panneau de commande et tapota quelques instants sur un clavier. Puis il alluma un panneau d’écrans de contrôle qui était relié à des caméras infrarouge positionnées en différents points du réseau.Soudain son visage se figea.

- Dominique venez voir ! - Qu’y a t’il ?- Regardez sur l’écran quatre !- Merde, c’est Bernard Copeaux ! Qu’est-ce qu’il fout là ? - Quand je vous disais qu’il en croquait place Beauvau ! Qu’est-ce qu’on fait

maintenant ?- Allez le chercher !- Impossible. A partir d’ici on ne peut qu’entrer sur le réseau, pas en sortir.- Alors dirigez le vers le terminal de sécurité, on le récupérera là-bas.- Egalement impossible. Le trajet programmé ne peut pas être annulé.- Alors expédiez le, il sera toujours temps d’agir.

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Bernard sentit quelques vibrations puis réalisa qu’il se déplaçait à nouveau avec cette fois l’impression d’aller beaucoup plus vite. A nouveau ce furent ces bruits sourds et indistincts. Une certaine torpeur se fit sentir. Bernard tomba dans le sommeil. Il rêva qu’il pédalait sur le toit d’un train mais que, malgré tous ses efforts il n’arrivait pas à rejoindre la locomotive. Lorsqu’il se réveilla il lui sembla qu’il changeait à nouveau de position dans l’espace et que, peu à peu, il se rapprochait de la verticale. Oui c’était bien ça. Une poussée de plus en plus violente le propulsait vers le haut. Des bruits de frottement commençait à lui redonner une perception du volume dans lequel il se trouvait.

Puis le mouvement ascensionnel se ralentit et c’est à petite vitesse que son crâne heurta un obstacle tandis qu’il entendait une trappe se refermer sous lui. Alors, tandis qu’il était jusqu’à présent comme suspendu en l’air, il tomba brutalement au sol perdant l’équilibre. Un peu abasourdi il entreprit de se relever. Toujours l’obscurité et le silence.

Prudemment il avança les mains vers l’avant, sentit comme une cloison qu’il explora. Celle-ci semblait suivre une courbe et il réalisa au bout d’un certain temps qu’il se trouvait dans une sorte de cylindre.

Une assez forte odeur de produit sanitaire lui irritait les narines. Il entendit alors un bruit de chasse d’eau rapidement suivi d’un flux liquide qui lui mouilla les chaussettes.

Bernard se mit à cogner contre les parois. Rien. Après un moment il recommença et puis entendit ce qui lui semblait être comme une voix. Il colla son oreille contre la paroi.

- Bernard ?

Non il ne rêvait pas c’était bien la voix de Joëlle.

- Bernard tu m’entends ?- C’est toi Joëlle ?- Ben oui, qui veux-tu que ce soit !- Joëlle fais-moi sortir de là !- C’est bon j’ai trouvé de la monnaie, je vais pouvoir t’ouvrir.

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Il entendit la pièce tomber puis la mise en route du mécanisme d’ouverture de la porte. Celle-ci coulissa et il cligna des yeux ébloui par la lumière.

- Eh bien viens maintenant qu’est-ce que tu attends ?- Euh oui j’arrive.

A ce moment il s’effaça un peu pour laisser passer un homme en tenue de cycliste avec casque et tout le tralala. Il avait même les chaussures spéciales dont les fixations firent un bruit de cliquetis sur le métal.

- Eh ben Bernard quelle aventure ! Coincé dans les sanisettes de la gare de Sarrebourg. Tu ne savais pas qu’il fallait payer avant d’entrer ?

- Non. Lorsque je me suis pointé la porte était entrain de se refermer et j’ai juste eu le temps de passer.

- Bon, tu le sauras pour la prochaine fois mais il faut y aller maintenant, Colette doit nous attendre au restaurant.

Joëlle prit Bernard encore un peu hésitant par le bras et ils se dirigèrent vers la sortie de la gare. « La table des Tropiques » se trouvait juste en face de la gare.Quelques dizaines de mètres à parcourir sous la pluie.

Ils ne prêtèrent aucune attention à une voiture sombre, moteur tournant au ralenti sur le parking voisin. Alors qu’ils pénétraient dans le restaurant le passager du siège arrière composa un numéro sur son portable. Plusieurs sonneries et on décrocha.

- Allo ?- Il arrive…

FIN