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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Salon de 1824 / par Ferdinand Flocon et Marie Aycard

Salon de 1824 / par Ferdinand Flocon et Marie Aycardgallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109056n.pdf · l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Salon de 1824 / parFerdinand Flocon et Marie

Aycard

Flocon, Ferdinand (1800-1866). Salon de 1824 / par FerdinandFlocon et Marie Aycard. 1824.

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SALON DE 1824.

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PARIS,A. LEROUX, ÉDITEUR, PALAIS-ROYAL,

Galerie do Bois, n. 2o2.

1824.

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L'ouvrage formera un fort volume; il parait,cliaquc semaine, par livraisons d'une à deuxfeuilles, avec le dessin au trait des tableaux lesplus remarquables..

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Nous croyons être agréables au public, en lui recom-mandant cette édition nouvelle des Mille et une Nuits; lamodicité du'prix la met à la portée de toutes les fortunes;et l'exécution typographique à laquelle s'est associé le ta-lent d'un graveur distmgué, doit lui mériter les suffragesdes amateurs de jolies éditions; celle-ci est imprimée avecdes caractères neufs et fondus exprès. La traduction élé-gante et exacte de Galland a été revue avec soin; des motset des locutions qui avaient un peu vieilli en ont disparu.La Notice que M. Saint-Maurice a consacré la vie et auxouvrages de Galland est remarquable par l'élégance dustyle et la finesse des pensées elle doit contribuerau suc-ces de cette charmante édition.

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SALON de 1824.

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-PARIS,A.LEROUX, ÉDITEUR,PALAIS-ROYAL,

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SALON DE 1824.

"CHAPITRE PREMIER.

aux beaux-arts, e!. il semble qu'ils ont été ho-norés chez eux en raison de la gloire de la na-ton et de la vertu des citoycns; c'est que les

beaux-arts deviennent utiles et nécessaires lors-qu'ils rappellent un triomphe de la patrie, undévouement sublime, une action vertueuse; lemarbre des statues, la toile du peintre sontcomme les vers du poète, ou les pages de l'his-torien, des monumens durables de gloire oud'infamie. C'est sous ce rapport que les Grecs

cl, les Romains les ont considérés ils leur ontdonné cet tedirectioncons tante les dieuxmême,les dieux qu'ils reproduisaient si souventétaientleurs ancêtres, et Jupiter Mars, Hercule Ju-non auraient eu moins de statues s'ils n'étaientpas nés dans la Grèce, ou si leurs figures n'a-vaient pas servi de voile à des allégories popu-laires, ou rappelé des souvenirs historiques.

A la fin du moyen âgc, lors de la renaissancedes arts, la peinture et la sculpture semblèrents'éloigner de ce but d'utilité, qui fait leur mé-rite et leur nécessité; le besoin de se former

sur les modèles de l'antiquité servit d'excuse

on s'extasiait devant les restes précieuxdes artsde la Grèce, et loin de retracer les belles ac-tions contemporaines, on peignit l'Olimpe ettous les dieux, les théories de Délos et toutesleurs pompes. Peu à peu le clergé acquit desrichesses et de l'influence, et il demanda deschefs-d'œuvrepour les mystères de la religion:les Anges remplacèrent alors les Bacchantes etles Zéphirs sous le pinceau des artistes; Diane

et Vénus cédèrent la place aux Saints et auxMadones mais il a fallu bien du temps avantqu'on se décidât à quitter un monde idéal pourarriver à la vérité,, avant qu'on nousdît en pein-

ture Voilà une belle action, et c'est votre voi-sin qu'il l'a faite; on a sauvé la patrie, et cettepatrie c'est la vôtre, et celui qui l'a sauvée estvotre compatriote, votre contemporain; c'est

que le mot ARTS est entouré d'un si grand pres-tige qu'il enlève et ravit l'imagination hors de

toute mesure; il trouble et saisit la raison aupoint que ceux qui les exercent ont long-tempsdépassé le but, pour s'être trop pénétrés de lasublimité de leurs missions. Un peintre est

venu et a clit J'exerce un art divin, ne fai-

sons que des divinités de là le bleu des nuages,l'or des cheveux blonds, et la pourpre de main-teaux des beautés de convention ont remplacéles beautés naturelles; on a dédaigné de pein-dre le sourire d'une jeune fille, pour faire gri-

macer Hébé; on a négligé d'être naturel, parcequ'on représentait des êtres hors de la nature;et admettons qu'on ait réussi dans ces sujetsmythologiques, supposonsque le tableau le plusparfait qui soit sorti de notre école représenteApollon enseignant la flette à Pan, à Daphnis;Jupiter enlevant Europe, qu'elle utilité réelle

aura pour nous un semblable chef-d'œuvre? Dequelle passion grande et généreuse s'enflamme-

ront nos jeunes Français devant ces images

sans intérêt positif? Mais, au lieu de ces sujetsimaginaires, mettez sous leurs yeux Jeanne-d'Arc chassant les Anglais de France, ou De-saix mourant pour la patrie, et alors l'utilitéde la peinture sautera à tous les yeux, et sa né-cessité jaillira de chaque coup de pinceau. On

a suivi long-temps une route opposée, et il ya plus d'un artiste qui, en se donnant le titrede peintre d'histoire, n'a jamais peint que dessujets fabuleux; ah! que notre David eût bienmieux fait de finir sa carrière par un Léonidas

nouveau, que d'employer ses dernières inspi-

rations 11 produire son superbe Mars et sa sé-duisante Vénus Ce que nous disons icicsthcut-être une monstruosité en peinture mais c'est

une vérité de hon sens et de raison. Oui, Le-brun en) mieux mérité de la patrie en peignantles batailles de Louis XIV, que celles d'Alexan-dre et Horace Véniel emploie bien plus utile-

ment son talcnt quand il nous retrace les champsde Jeminapcs, ou les citoyens de Paris défen-dant Chaillot que lorsqu'ilnous représente unevoluptueuse Odalisque ou un obscur Mamc-luck. On répondra à cela qu'en la renfermantdans des sujets historiques, on priverait la pein-

titre de ses attributs les plus grâcicux; cela estvrai, aussi ne nions-nous pas l'agrément de cescompositions, mais seulement leur utilité nousvoulons faire sentir aux jeunes artistes, que levéritable but de leur art, celui auquel ils doi-

vent tendre sans cesse, est d'instruireetdetou-cher il faut qu'une pensée morale ou patrio-tique conduise leurs pinceaux, s'ils veulent al-lier toutes les gloires et conquérir ce doublelaurier qu'indique Horace

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.

Ah! un ange, pour moi ce n'est point cettefigure qui occupe le haut d'une toile, avec desailes d'azuret une auréole brillante, c'est cette

jeune mère qui arrive auprès clu grabat d'unmalheureux mourant, et qui fait répandre sonor par les mains de sa fille, qu'elle hahitue à

plaindre l'infortune et soulager la misère uuhéros, ce n'est point le fabuleux Achille, ou leromanesque Amadis, c'est le vertueux Washing-

ton c'est d'Assas, Câlinât Vincent de Paulc,

ou Fénélon.Cette manière de juger la peinture serait sé-

vèrc si elle était exclusive; mais qu'on remar-que que nous ne condamnons pas ce duc nousn'approuvons pas absolument, ou pour mieuxdire que nous n'avons cette distinction en-tre l'utile et l'agréable que pour rendre hom-

mage au Salon de ccl te année, qui présente uneinfinité de morceaux où sont réunies ces deux

Les malheurs des Grecs ont fourni de noblesinspirations, et plus d'un pinceau a rctracé les

faits d'armes de cette nation malheureuse quidepuis trois ans lutte avec tant d'héroïsme con-tre la barbarie de l'Asie et l'indifférence del'Europe. Nos jeunes artistes sont allés cher-cherdes sujets dans celte écoleromantique, donts'énorgueillissent l'Allemagne et l'Angleterre,et qui n'est livrée en France au ridicule queparce qu'elle n'est: pas bien comprise encore,ou qu'elle est défigurée par des mains inha-

biles: Schiller,Shakespeare, Walter-Scott, By-ron ont animé plus d'une toile de leurs créa-tions.

Quelques jeunes peintres ontcru devoir aban-donner les leçons de l'école et suivre une routenouvelle; plusieurs ont fait des essais heureux,quelques noms nouveaux se sont faits connaît-tre presque tous ceux qui avaient été remar-qués au Salon de 1822, ont réalisé les espé-rances qu'ils avaient données; il nous paraîtmême que les jeunes artistes l'emportent surleurs devanciers, si ce n'est pas toujours en ta-lent, c'est du moins par le travail, le nombreet l'importance de leurs productions les maî-tres ont fait des portraits, les élèves des ouvra-ges. D'où vient cette différence? serait-ce im-puissance, paresse, ou calcul d'intérêt?. Undes chefs de l'école a exposé un tableau où toutPaît d'un pinceau correct et savant semble em-ployé à faire ressortir des têtes sans relief etsans expression; la soie, l'or, les broderiesbrillent partout, l'œil est caressé par,l'harmo-nie des couleurs, par le luxe heureux des meu-bles et des habits maisoncherche en vain danstoutes ces figures de courtisans, une émotion,

un blâme, ou un assentiment à l'action repré-sentée tous ces marquis sont muets devant le

maître; ils entr'ouvent gracieusement leurs le-

vres rosées, et semblent vouloir faire convenirtout le beau monde

Du mérite éclatant de leurs perruques blondes.

Cela peut-être historique, niais cela est bienfroid. Un autre tableau du même peintre est lacopie d'un de ses chefs-d'œuvre; le reste de sesproductions se compose de portraits.

Un peintre anglais, sir Thomas Lawrence, abrigué des suffrages français et obtenu une place

au Salon ici nous devons faire une remarquequi est à l'avantage de notre nation, et qui

montre la noble impartialité de M. de Forbin;le tableau anglais a obtenu une place brillante,et il, est posé de manière à attirer tous les re-gards par la place seule qu'il occupe, quand il

ne fixerait pas l'attention par son mérite. Voilàqui est bien; et en effet, qu'auriez-vous dit, sirThomas, si, sans égards pour vos talens oupour votre qualité d'étranger, on eut inliospi-talièrementrelégué votre ouvrage dans un coinobsur du Salon? C'est cependant ce qu'on a faità Londres dans la salle de Sommersel-House;on y a caché les productions de nos peintresfrançais dans le bois des soubassemens, de ma-nière qu'il fallait se baisser pour les examinerà l'aise, et regarder où l'on mettait les pieds

pour n'en pas endommager les cadres. Quoi-

que vous soyez président de l'académiede pein-ture de Londres, sir Thomas, nous aimons àcroire que vous avez été étranger à cette in-justice.

Le Salon présente aussi à l'admiration et auxregrets publics plusieurs ouvrages de ces pein-tres dont notre école pleure la perte récenteGeorgct, Gericaut, Singry, que la mort a en-levés au commencement de leur carrière, oudans la maturité de leur talent; ce jeune Mi-chalon, que ses deux premiers ouvrages avaientplacé si haut; et enfin ce Prudhon, dont le pin-

ceau était si suave et si doux qu'on reconnaîtdans tous ses ouvrages des traces de cette mé-lancolie qui l'a conduit au tombeau, car lesproductions du peintre s'empregnent ordinai-nairement des nuances dé son caractère; et si

en littérature le style est l'homme, il n'est pasdifficile non plus de reconnaître dans les autresbeaux-arts, les passions de l'artiste dans le stylede ses productions. Enfin, l'exposition de 1824

est remarquable par le nombre et par le méritedes tableaux, et il paraît que M. de Forbin atrouvé le rare secret de les placer tous sans bles-

ser l'amour-propre si -susceptible des artistes.Mais si le directeur des Musées royaux a con-t.enté tout le monde, il n'en est pas de même dujury d'admission; il a refusé beaucoup de ta-

bleaux, et on lui reproche plusieurs actes desévérité qu'on appelle des injnstices. Sans en-trer ici dans une question, oÙ nous ne sommespas compétens nous rapporterons seulement

une décision du jury, qui nous a paru plus quesévère, et qui a été appuyée d'une raison qui,si elle est exacte, ne ferait honneur ni aux ta-lens ni à l'impartialité des jurés M. Dupavil-lon, élève de David, a envoyé à l'exposition ungrand tableau rcprésentant la Querelle d'A-chille et d' Agamemnon. Le jury l'a refusé on areproché à l'élève d'avoir copié le maître. Si ona prétendu dire par-là que M. Dupavillon a fait

une copie matérielle d'undes tableaux de David,le reproche est absurde et il tombe de lui-même;si, au contraire, on l'accuse d'avoir imité lamanière, le style de l'illustre exilé d'avoir faitenfin du David tout pur, le motif d'exclusionest nouveau, et nous souhaitons à ceux desjurés qui sont peintres de l'encourir souvent.

Ainsi que nous l'avons dit dans notre pros-pectus, nous parcourrons le Salon, sans pré-ventions et sans haine nous connaissons peules hommes, et cette ignorance où nous som-mes de leurs personnes, en nous délivrant dela crainte de leur déplaire, ou du besoin de lesflatter, facilitera encore l'indépendance de nosjugemens. Nous verrons dans le tableau, le

tableau, et dans le nom inscrit sur le livret, lepeinture, mais d'après la manière d'envisager lapeinture que nous avons énoncée, dans ce cha-pitre, on ne sera pas étonné de nous voir nousarrêter avec plus de complaisance sur les mor-ceaux qui réunissent l'intérêt du sujet au mé-rito de l'exécution, que sur des ouvrages quin'ont que cette dernière qualité; qui, par exem-ple, parlerait sur le même ton du beau tableaudes Massacres de Scio, de M. Delacroix, et decelui qui est à côté, où l'on voit Mercure nousamenant du ciel Pandore et sa boîte fatale? Il

est enfin des tableaux dont nous ne parlerons

pas, soit à cause de leur peu d'importance soitparce que le sujet qu'ils représentent ne nouslaisserait pas toute notre indépendance. Quandil fait l'examen d'un tableau, le critique s'em-pare de tout, du choix du sujet, du lieu de lascène, des personnages il loue, il blàme il

compare, il désapprouveà son gré et d'après samanière d'envisager l'action historique': il jugel'oeuvre du peintre voilà l'écueil où nous érain-drions de nous briser, et vers lequel nous lais-

serons courir les plus habiles ou les plus adroits.

CHAPITRE Il.M. DELACROIX.

Les Massacres de Scio.

Si l'on disait à un homme, il fut une popu-lation paisible et florissante inofl'ensiveau mi-lieu des troubles et des révoltes, une horde debarbares vintl'envaliir, et se venger sur des ha-bitans désarmas, des défaites qu'ils avaientéprouvés dans d'autres pays Ils brûlèrent lesvilles, égorgèrent les citoyens, et emménèrent

en esclavage les femmes et les cnfans; si cethomme était peintre et s'il voulait reproduiresur la toile ces scènes de carnage et de désola-tion, croyez-vous qu'il dût employer ces har-monies de couleurs, ces douleurs d'étude, cesméchancetés de convention que l'on apprenddans les ateliers, et qui forment ce qu'on ap-pelle un style et une école? Oui, s'il n'est quepeintre. Mais s'il a reçu de la nature une âmeardente et sensible; si, oublieux des doctes etvains préceptes du professeur, il n'écoute quela voix du cœur et de l'imagination, se trans-portant par la pensée au milieu du théâtre de

tant d'horreurs, il verra l'agonie dans toute salaideur, l'assassinat, avec ses souillures, l'assas-sin avec sa figure basse et insolente, l'esclavageet la mort, et l'abandon du désespoir; il les

verra, et son pinceau fidèle les fera voir au spec-tateur.

Ici l'on m'arrête et on me demande pour-quoi choisir un sujet d'une nature si lugubrect: si révoltante? Le talent a-t-il besoin d'ex-citer de pareilles émotions pour assurer sontriomphe? A quoi bon nous attrister par desemblablespeintures? sans doute. Prenez gardede troubler l'heureuse indolence au sein de la-quelle vous coulez si tranquillement vos jours;défendons même aux journaux de rapporter lestueries de la Grèce, comme on leur fait taireles meurtres et les égorgemens d'Espagne quel'on établisse sur tous les points de l'Europe desboucheries humaines, pourvu que vous n'en sa-chiez rien ou du moins que vous ne le voyezpas, pourvu que le sang des victimes ne vienne

pas tacher le satin des souliers de vos femmes,

vos dîners.n'cn seront pas moins gais ni moinsaimables, et vous trouverez le même plaisir

aux calcmbourgs de Brunet et aux lazzis dePostier.

Mais, Français que vous êtres, pour resterle plus joli des peuples, avez-vous résolu de

ne plus être une nation?. iirisons-là. Je sensque j'irais trop loin, et je reviens au tableau deM. Delacroix. Il représente les massacres deScio, et il est d'une vérité d'expression et desentiment que l'on peut appeler effrayante.Dans le moment choisi par l'artiste, la résis-

tance a cessé, elle n'est plus attestée que parles cadavres ou les blessures de ceux qui ontsurvécu. Sur le premier plan est un groupecomposé de mourans et de morts, ou de pri-sonniers, dominés par deux soldats l'un à piedarmé d'un fusil, l'autre est un cavalier dui seprépare à emmener une jeune fille attachée audos de son cheval. Un abattement morne et si-nistre est répandu sur les figures des captifs.Un d'entre eux expire déchiré par une horribleblessure dont le sang coule à flots noirs; il estcouché, sa tête pose sur l'épaule d'une femmequi ne cherche pas à lui donner d'inutiles se-cours un sourire convulsif agite encore seslèvres bleuâtres, le reste de ses traits a déjàl'immobilité de la mort. Dans tout son corpsrègne une prostration de forces qui annonceque cet homme a long-temps et vigoureuse-ment combattu et qu'il est tombé épuisé 'de

sang et de vie. A ses pieds est une femme plusâgée, assise et levant les yeux vers le ciel avecune expression affreuse de désespoir. Près d'elle

est une jeune femme renversée, et qui a perduconnaissance, un petit enfant est couché surson sein. A gauche derrière le mourant est assisun homme encore dans la force de l'âge; sesvêtemens disent qu'il fut riche, quoique souil-lés de sang et de boue il est dans la situationla plus terrible de la vie, il cesse d'être hommeet il devient esclave. Devant lui deux enfanss'embrassent dans les angoisses d'une douleurdéchirante. Le vil Asiatedont le cheval se cabreau-dessus de cet amas de misères et desouffran cesn'est pas ému de colère, prêt à entraîner sonbutin, il tire son sabre pour se débarrasserd'une femme, la mère de sa captive qu'ellecherche à lui arracher. Sur le second plan les

massacres ne sont pas encore terminés, dans lefond on voit l'incendie de la ville, et la vue seprolonge ensuite sur une longue plaine entou-rée par la mer et couverte de ruines.

La première vue de ce tableau n'est pas ensa faveur l'artiste a voulu être vrai, et cettevérité n'est pas attrayante.Cependantquand les

yeux se sont une fois portés sur son ouvrage, ils

ne pcuvent plus s'en détourner peu et peu l'ons'accoulume à la dureté des couleurs et l'on nes'occupe que du sujet qui vous repousse et vousattache la fois. Il est impossiblede rester insen-sible au milieu de la foule d'émotions que ce

tableau fait. naîtrc. Tout y est si naturel, ledésordre des vêlemens l'expression des figures,l'abballemcnt morne et sinistre des personna-ges, qu'on oublie l'art et le peintre, et qu'onassiste réellement à cette scène terrible.

C'est alors que les réflexions vous pressentet vous assiègent. Une guerre barbare, désho-

norante pour l'humanité, pour le siècle qui l'a

vue éclore et se perpétuer avec une si lâche in-différence se passe au sein de l'Europe, à laporte des Etats les plus civilisés, et tout ceque ces

États ont trouvé à faire, c'est de resterneutres. Quelle neutralité que celle qui laisse

massacrer des milliers d'hommes, anéantir despopulations entières, et qui fournit encore auxégorgeurs de nouveaux moyens de destruction.Qu'on me pardonne mon indignation; c'est iciqu'on peut bien dire les pierres crieront si leshommes se taisent Il ne faut pourtant pas êtreinjuste; plus d'une voix s'est élevée en faveurdes Grecs, plus d'une lyre a essayé d'émou-voir dans le cœur des puissances de la terre unegénéreuse pitié. M. Delacroix s'est associé

ces nobles eflbrts du génie, son tableau est àla fois un bel ouvrage et une belle action.

Il me reste à parler de la nzczzzièrc de ce jeunepeintre, et ici ma ta1clie devient plus difficile.Sa composition est pleine de grandeur et de

sentiment, son dessein est en général pur estcorrect, son coloris est dur et sa touche estheurtée. Il serait difficile de dire sous quel maî-

tre il a étudie, mais il est évident qu'il n'avoulu suivre la méthode d'aucun de ceux de

notreécole. Aussion l'accuse d'être romantique,

car on emploie ce mot en peinture aujourd'hui,

comme on s'en sert déjà depuis quelque tempsen littérature sans avoir pu encore en donner

une définition précise. Il me paraît que dansl'une comme comme dans l'autre carrière, onl'applique à ceux qui sortcnt du chemin battu

pour arriver au but par des voies inconnues

que leur audace leur a fait découvrir. S'il enest ainsi au lieu d'en faire un terme de pros-cription, ne serait-il pas mieux d'applaudir àleurs essais, surtout lorsqu'ils sont heureux.Le besoin de la nouveauté s'est fait sentir à

toutes les époques, mais jamais aussi impérieu-

sement qu'à la nôtre. Tant d'événemcns inouïs,des positions inaccoutumées, ont fait germertant d'idées ignorées jusqu'alors. Notre tempsest un temps d'épreuves; loin de l'appeler le

siècle des lumières, il faudrait l'appeler le siècle

des essais ce sont les siècles futurs qui en pro-fiteront. Les sociétés sont tourmentées d'un mal

que l'on voudrait rendre secret, quoique cha-

cun le sente; les arts dans leur marche sont

empreints fortement des marques de ce malaisemuet qui travaille et fermente en silence. Faut-il s'étonner si nos jeunes artistes s'élancent

avec tant d'ardeur dans le champ immense desinnovations. Mais ce qui parle beaucoup en fa-

veur de M. Delacroix c'est que les Massacresde Scio ne sont pas son coup d'essai dans le

genre qu'il paraît avoir adopté. A l'expositionde 1822 il avait déjà révélé ses projets par untableau représentant le Dante et Virgile traver-sant les enfers, et, dans lequel on remarquaitdéjà la même sorte de beautés et de défauts quel'on retrouve dans son second ouvrage, aveccette différence que dans celui-ci les beautés

sont incontestablement plus monstrueuses etles, défauts moins sensibles que chez ce précé-dent. Cela nous annonce que ce peintre s'estrendu compte de sa manière, qu'il ne marche

pas à l'aventure, qu'il saura corriger ce qu'il

peut avoir encore de défectueux, et enfin qu'il

a de nouvelles idées de peinture. Nous ne pou-vons nous empêcher de rappeler ici qu'au salonde t8aa dans un ouvrage où l'on rendaitcompte de cette exposition, on osa insinuer,

avec beaucoup de ménagemens il la vérité, quece tableau du Dante était de deux mains diflë-

rentes, dont l'une avait composé et dessinéle sujet, et l'autre l'avait colorié. On ajouta

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même que c'était peut-être la copie de quelquev.icux dessins de l'école Florentine. M. Dela-

croix a glorieusementrépondu a cette assertion;son tableau du massacre l'a réfutée avec nnsuccès qui nous dispense de la combattre.

MONSIEUR GOSSE.

Saint Vincent, de Paule captif convertissant

son. maître.

M. Gosse, qui, il y a quatre ans, exposa letableau des trois âges, avait laissé passer lesalon de 1822 sans rien produire. Il mûrissaitdans le silence et le travail un talent remar-quable, et le temps qui s'est écoulé n'a pas étéperdu pour lui son- Saint Vincent de Pauleattire tous les regards; et, bien qu'il soit en-touré des productions des Gérard, des Lethiers,des Prudhon, il n'a rien à craindre d'unecomparaison dangereuse pour beaucoup d'au-tres. Le trait qu'il a choisi est singulièrementheureux Vincentde Paule, prisonnier sur uneplage africaine, avait été vendu comme un es-clave un renégat l'associait aux travaux d'unnègre, et tous deux trempaient de leur sueurune terre dévorante; mais le captif avait unautre but que celui de fertiliser les champs de

son maître, il prêchait une morale douce et

évangéliquc. Le moment que l'artiste a choisi

est celui ou le renégat renonce à O'Ialiomet

pour revenir à sa religion première il secourbe devant Vincent de Paule, et joint dansla main de son esclave des mains qui s'unissent

pour prier. Vincent montre le ciel, il parle

sans doute de pardon et de clémence; le nè-

gré attentif écoute; une jeune fille s'avance

pour ne rien perdre de cette scène, et l'onvoit qu'un des plus grands cflbri,s du renégatn'est pas tant de retourner à la religion duChrist que de renoncer aux charmes de la fillede l'Egypte. Enfin un vieil esclave est assisdans le sillon qu'il vient de creuser et s'appuie

sur des Instrumens aratoires. La figure du Saint

est pleine de douceur et de bonté. S'il a con-verti, c'est qu'il a persuadé; Saint Vincentde Paule n'est point un Saint Dominique, etM. Gosse a fort bien réussi il représenter lecalme d'un homme qui a convaincu sans sur-prendre, et ramené sans effrayer. Le torse deVincent de Paule est nu, et il est peint d'unemanière large ct vraie, la couleur des chairsest vive, elle se ressent des teintes dorées dusoleil de l'Afrique. Tout cela est fait par nnhomme qui connaît tous les secrets de son artet qui est sur de son pinceau. Le renégat estcouvert de riches habits, et le luxe de ses ve-

temens forme uu contraste heureux et naturelavec le dénuement des captifs. La ligure de lajeune fille a un caractère oriental elle est belle,et ne ressemble cependant ni à une faiseuse demodes de la rue Vivienne, ni à une figurante del'Opéra: c'est que M. Gosse a voulu être vrai;qu'il ne s'est pas contenté d'une nature de con-vent.ion; qu'après avoir conçu son sujet il s'estt ransporté en imagination, dans le pays brû-lant où il a placé sa scène il a vu le bananier,qui croît dans une terre à peu près stérile, ledattier à la tige droite et. élancée, le teint brunidu renégat, et il n'a pris le pinceau qu'aprèsavoir vu la scène qu'il a reproduite Diderotdit que le talent n'est rien sans le goût, et legoût n'est autre chose que la .nature et la vé-rité. Le tableau de M. Gosse n'est pas remar-quablc parce qu'il est convenuqu'un nègre a lescheveux crépus les pommettes saillantes et le

nez épaté, parce que les jeunes filles de l'Asie

ont le visage rond, les yeux noirs et grands,et les lèvres fortes; mais parce que cela est, etqu'il l'a rendu avec exactitude et talent. Main-tenant si l'on disait à M. Gosse, qui dans qua-tre ans ne nous a faitqu'un tahlean Vouscroyezavoir travaillé pour la postérité; vous espérez

que votre Vincent de Paule va orner quelquemusée, et servir de modèle aux jeunes peintres

à venir: point du tout, on va passer l'éponge

sur tout cela et on vous rendra votre toile aussi

nette, aussi blanche que lorsqu'elle est sortiede chez le marchand du coin; voyez-vous d'icile frisson qui parcourrait tout son corps, etcomme son pinceau découragé s'échapperaitde

sa main. Eh bien! ce qu'il redouterait tant pour

son tableau, il l'éprouve tous les jours pour sesautres ouvrages c'est il son talent, uni à celuide M. Ciceri, que nous devons les décora-tions qui charment tous les yeux a l'Opéra, et.qu'au bout de trois ou quatre ans on va laverdans la Seine, pour que son habile pinceaunous procure de nouvelles illusions. Mais necraignez rien, M. Gosse, votre tableau vivra;il ne passera pas comme les jardins d'Armide

ou les palais d'Aladin; seulement ne pouriez-

vous pas produire un tableau de plus, au risquede faire une décoration de moins?

M. Gosse a exposé aussi quatreportraits leportrait en pied d'une comtesse russe en habitde cheval; on voit sur le second plan un écuyerqui tient en lesse le coursier que probablementla comtesse, va monter ou dont elle vient dedescendie pourquoi se donner tant de peine

pour faire voir qu'on a un cheval alezan? Eh!madame, puisque vous teniez tant à votrecheval,

que ne vous faisiez vous peindre dessus, cela au-

rait été plus simple, et vous auriez fait partiede la cavalerie du salon qui, grâce au ciel, estnombreuse. On remarque aussi le portrait ducolonel Vout.ier,qui est d'une ressemblancepar-faite, et qui ne laisse rien à désirer sous le

rapport de l'art; tout le monde connaît les mé-moires de ce brave militaire qui a retracé, avecautant de modestie que d'exactitude, les premiè-res victoires des Grecs, où il n'a oublié qu'unechose, c'est de dire la part qu'il y a prise; unefoule d'officiers français se sont joints aux Hel-lènes, et aident de leur épée et de leur fortune

ce peuple malheureux il conquérir son indé-pendance.

M. Youtier est un de ceux qui l'a fait avecle plus de gloire et le plus de succès, il estvenu en France en 1823, et a publié une rela-tion exacte des faits dont il a été le témoin;mais son séjour dans sa patrie n'a point étélong, et il est maintenant dans cette Ipsara

que la trahison avait livrée aux Turcs et quela valeur des Grecs a reconquise; quand nousvoyons des Français quitter lenr patrie pouraller dans un ciel étranger combattre le despo-tisme, nous nous rappelons involontairementlapart glorieuse que prirentdes Français à l'aflran-chissement des États -Unis (car en France onne peut pas voir une action généreuse sans s'y

mêler ) et nous souhaitons que l'antique Grèceait le sort de la jeune Amérique.

M.TREZEL.

L'Atelier de Prudhun.

Le Salon de cette année ne brille pas moins

par les grandes compositions que par les ta-bleaux de genre, dits clc chevalet. Leur nombreest prodigieux; ils attirent la foule; et ces pe-tites compositions doivent séduire le peintre

par le peu de temps qu'elles exigent, et par la fa-cilité qu'il trouve à les placer. Horace Vernet,Vigneron, Duval Lecamus, Baume, Granet,Sclieflér aîné et quelques,autres ont exposé deschosescharlnantes, et dont nousrendrons comp-te dans de prochaines livraisons. Mais qui a pupersuader à M. Trezel de représenter, comme ill'a fait, le portrait crz pied de Jeu M. Prudhondans son atelicr? Prudhon est sur le devant il

monte sur une cscabellepour atteindrelehautdcsa toile plus loin est une dame qui peint elle seretourne vers l'artiste pour lui parler ou pourlui répondre dans le fond est le tableau de la.

Justice poursuivant le crime, sur le côté est leprécieux morceau de l'Agonisantentouré de sapauvre famille; on voit 'dans un portefeuille

ouvert, l'esquisse du Christ, et un dessin du

Zépliir troublantl'eau avec son pied, est jetésurle parquet: voilà ce qu'a fait M. Trezel mais,malgré l'esquisse du Christ, malgré le tableau del'Agonisant et celui du Zépliir, je me demandequel est cet homme qui monte, un pinceau à lamain, vers la grande toile qui couvre le che-valet? Commentcet homme, avec un pantalongris si bien brossé, avec une veste de mêmecouleur, si symétriquement ornée de passepoils

et de brandebourgsnoirs, c'est Prudhon?cettefigure commune, sans expression, sans feu,sans génie, c'est Prudhon? il avait ce visagecarré et inanimé?ces yeux sans expression? Celan'est pas possible,et, en le supposant, M. Trezelaurait-il dû le peindre? et, cette dame qui estau fond, que veut-elle? que demande-t-elle aPrudhon ? Je n'en sais rien, jene le devine pas

et peut-êtrel'auteur lui-mêmeserait-il aussi em-.barrassé que moi de le dire son tableau est va-gue, sans plan, sans intérêt, et on'pourraitfaire plus d'un reproche au dessin et à la cou-leur. Pour moi, si j'avais eu à traiter un pareilsujet, je m'y serais pris autrement d'abordje me serais pénétré du caractère et du genrede talent de l'artiste que j'avais à peindre, etj'aurais voulu qu'on le reconnût à la mélan-colie de ses traits fatigués par les passions etpar l'étude de son art; au feu passager que la

vue seule de sa toile communique à ses yeuxéteints par la maladie il n'aurait pas eu unechemise bien blanche, ni une cravatte bienmise; je n'aurais pas soigneusement boutonné

sa veste et son pantalon, ses deux pieds n'au-raient pas été commodément chaussés dansdeux pantoufles fourrées; non, il aurait tra-vaillé à cet Agonisant, qui est rejeté dans uncoin de l'atelier; c'est sur le chevalet qu'il fal-lait mettre ce tableau: il aurait eu ce désordred'habillement où l'on est quand le dieu est làTquand le pinceau vous a sali le linge ou bar-bouillé la figure; cet Agonisant, qu'il auraitpeint, lui aurait part un présage de sa desti-née, et il se serait retourné vers celle qu'il ai-mait, pour chercher dans ses regards une pen-sée moins pénible. Cette femme qui dans letableau de M. Trezel, nous regarde avec unrire si innocent et qui laisse tomber son pin-ceau le long de sa chaise, d'un air si ennuyé,je l'aurais animée, j'aurais donné à sa physio-nomie ce qu'elleavait, ou ce qu'elle devait avoir,le caractère des passions fortes, et on aurait vuà son geste, à son action que dans un moisdans une semaine, demain peut-être elle devaitattenter à ses jours, et par sa mort abréger lacarrière de Prudhon qui la regarde, qui lacontemple qui doit. mourir de sa mort qui

ne v.it, qui n'est heureux, crui n'est contant que

si elle est là; j'aurais peut-être jeté dans l'ate-lier une des productions de l'artiste mais je

ne les aurais pas mises toutes, je ne les auraispas entassées l'une auprès de l'autre parce quej'aurais voulu que le plus léger indice mît surla voie, et quc mon ouvrage dît le reste. Voilu

ce que j'aurais fait si j'avais peint Prudhondansson atelier, avec Mademoiselle ou

bien j'au-rais crevé ma toile et brisé mes pinceaux mesfigures auraient été ressemblantes et animées,et la passion se serait lue dans chacun de leurstrait.s, parce que, ayantà représenter deux êtrespassionnés, il y aurait eu de la maladresse àles peindre dans un moment de calme. M. Tre-zel a pris la chose beaucoup plus tranquille-ment, et son tableau eSt froid, et on passe de-

vant sans s'arrêter, parce qu'il n'a pas vu toutela poésie de son sujct et qu'il l'a traité sansverve et sans inspiration, son tableau ne l'a

pas rendu maladc, et il fallait avoir la fièvreil fallait souffrir, être amoureux, être jaloux,

éprouver ce malaise, cette difliculté devivreplus long-temps, qui fait qu'on cherche le re-pos quel qu'il soit. fût-il celui de la tombe.

M. Trezel a exposé sept autres morceaux,dont un a été commandé par le Ministre del'intérieur nous reviendrons sur les produc-tions de cet artiste dans une prochaine li-vraison.

CHAPITRE ÎIÏ.M. STEUBE.

Le Serment.

VALTHER Turst. Ecoutez mon avis à gau-che du lac en allant à Brunnen, vis-à-vis leMytenstein est une prairie entourée de bois

parmi les bergers elle porte le nom de Itutlic'est une espace vide au milieu de la forêt. C'estla limite d'Uri et d'Unterwald. Une barque vousconduira de Schwiz vers ce lieu en peu d'ins-tans. Nous nous y rendrons pendant l'obscu-ri té par des sentiers détournés et là nous pour-rons délibérer en sûreté. Nous traiterons encommun de l'intérêt commun, et sous la pro-tection de Dieu nous prendrons une résolu-tion.

Werner Stauffacher Ainsi soit main-tenant mettez votre main dans la mienne, etvous aussi la vôtre et de même que nous trois

nous venons entre nous de nous donner lamain en saigne d'une réunion sincère, de même

nous conclurons entre nos trois cantons unealliance fidèle, à la vie et à la mort.

ÀnNAULD Melchtal O mon vieux père!tes yeux ne pourront plus voir le jour de laliberté; mais tu l'entendras retentir. Quandd'une Alpc à l'autre des signaux de feu serontallumés, que les forteresses des tyrans serontabattues; alors lcs Suisses accourront ta ca-bane te porter ces heureuses nouvelles et lanuit qui couvre tes'yeux sera un instant dis-sipée. (Schiller.)

Tel était pendant une nuit l'entretien detrois paysansSuisses et. de cet entretien ré-sulta la délivrance de toute une nation. Il estvrai que la tyrannie alors était arrivée à

son comble, qu'elle était' âpre et insolente,qu'elle attaquait l'homme corps à corps sansemprunter aucun déguisement mais il est vraiaussi que ces hommes à qui elle s'attaquait,avaient toujours conservé un instinct de libertéqui leur faisait ressentir encore plus vivementla honte de la servitude et l'horreur de l'in-justice. Aussi la révolte fut générale et spon-tanée parce que depuis long-temps chaque ci-

toyen était forcé de lutter contre l'esclavage.Le tableau de M. Steube représente le momentoù le vieuxWaltherFurst, Werner Stauflacher

nt Arnold Melchtal, se donnent la main en si-

gne d'alliance entre les trois cantons. La

scène se passe au bord du lac des montagnes'élèvent, dans le fond et ferment l'horizon,la lune répand sur tout le tableau une clartégrise et tranquille qui produit un fort bel eflet.La tête de Walter Furst est noble et vénéra-ble, celui qui lève la main vers le ciel avectant d'énergie, c'est Melchlal, dont le père a

cu les yeux crevés par ordre de Gessler; il nerespire que vengeance, c'est le plus ardent eu-nemi des tyrans, et le peintre a su lui donnerdes traits qui font reconnaître son caractère.On cherche là un autre homme, que la penséeassocie aussitôt à cette entreprise, et qui n'yeut pourtant aucune part, le célèbre GuillaumeTell son nom est devenu l'égal du nom deBrutus, et les noms de Furst, Stauuacher etMelchtal sont presque ignores en France.

M. ALLAUX.

Pandore descendue sur la terre par Mercure.

Lorsque l'on a vu le tableau des massacresde Scio, et que l'on détache ses regards attris-tés de cette composition terrible, les yeuxrencontrent à peu de distance une grandetoile diaprée de rose et de bleu, qui nous aété envoyée de Rome et qui sert encore àfaire mieux apprécier le genre de M. de La-

croix et à lui faire pardonner d'avoir peut-être outré sa manière. On voit Mercure rap-portant du ciel Pandore et sa boîte fatalePandore, que tous les dieux de l'Olympe sesont plu il combler de leurs faveurs. Et, d'a-bord, l'on se demande ce que signifie un pareilsujet quel but d'utilité même indirecte,l'artiste a voulu atteindre? Que nous disent

ces deux grandes figures isolées au milieu d'unciel plat et sans harmonie, venant on ne saitd'où soutenues on ne sait comment n'étaitle livret si utile pour l'intelligence des coni-positions de cette espèce? Sans doute, dans destableaux de chevalet, l'artiste peut se livrer à

ses fantaisies, et cherche à satisfaire les capri-

ces des amateurs, mais lorsqu'on vcut remplir

une toile de dix pieds et faire ce qu'on appellede l'histoire, il faut avoir une imaginationbien pauvre, une direction d'idée bien mal-heureuse pour ne trouver rien de plus utile oude plus intéressant. Encore si la stérilité dusujet par la beauté des formes, l'é-légancc du dessin, la suavité du coloris, l'ou-

vrage, sans intérêt pour le public, pourraitoffrir aux jeunes peintres des sujet.s d'étude,qu'ils sauraientemployer plus convenablement

par la suite. Mais ici je ne vois rien de toutcela, et si les figures de M. Ail aux ne sont pas

mauvaises, son tableau n'est pourtant pas assezbon pour que le mérite de l'exécution serve de

passcllort à la nullité de l'action. Ses person-nages sont grêles leur pose est gracieuse, maiselle manque de vérité, et il ne pouvait guère enêtre antrement, puisque dans un sujet idéall'artiste n'a pu trouver les secours delà nature;le ciel est d'un ton monotone; les figures sontrosés mais elles ne sont pas animées tout estfroid, tout est faux, tout est maniéré.

Depuis long-temps on se plaint que les dé-

penses faites par l'Etat pour entretenir uneécole à Rome ne soient pas récompensées parles progrès des artistes qu'il y envoie. Ce ta-bleau en est une nouvelle preuve, ainsi quetout ce qui nous est arrivé de Rome cette an-née, il une ou deux exceptions près. Si l'on sedemandait, en voyant l'ouvrage de M. Allaux,dans quel pays il a été composé, quel ciel l'ainspiré, on citerait peut-être celui de l'Alle-

magne, les bouts de nuages bleuâtres que l'onentrevoit d'un quatrième étage du faubourgSaint-Germain l'atmosphère froide et sanstransparence de l'Angleterre mais jamais onne songerait au ciel brillant et pur de l'Italie.Et croit-on d'ailleurs parce qu'on va chercher

son sujet dans les fictions usées de la Mytlio-

logie, obéir aux inspirations des vicilles rivésdu Tibre?

NOTA. Le Dessin qui devait accompagner celte livrai-

son paraîtra avec la seconde. Un retard indépendant deta volonté de l'Editeur t'empêche de le donner avec celle-ci les autres seront publiés régulièrement.

SALON DE 18240

1 Ve

ET Henri SCHEFFER.

La Mort de Gaston saint Thomasle Christ et la Vierge.

EN quelque matière que ce soit, les innova-tions ont toujours été l'occasion de longues dis-

putes et de discussions interminables. Ceux qui

.sont venus les premiers ont ouvert une routeau hasard; on a imposé à leurs successeurs laloi de suivre leurs traces et de marcher surleurs pas. Les critiques ont voulu régulariserles scntimens, et compasser les jouissances.Ils ont dit Vos devanciers avaient du génie,ils ont fait l'admirationde leurs contemporains;pour obtenir les mêmes succès, employez lamême méthode: et la différence des lieux, des

temps, des moeurs, des caractères a disparudevant la force de l'habitude. C'est surtout dansles arts de l'esprit que cette gêne se fait sentirdavantage il semble que l'homme effrayé àla vue de l'immensité des domaines de l'ima-

«inalion, ait chercher à s'en fermer l'entrée, oudu moins à ne se hasarder que dans la partiedéjà parcourue, regardant comme des témé-raires, ou comme des insensés, tous ceux,quitentaient des excursions dans les régions in-connues. Et cependant quoi de plus indivi-duel que le talent, quoi de plus indépendant

que l'âme, dont les émotions se refusent à l'a-nalyse, dont les facultés brisent à chaque ins-tant le joug sous lequel on voudrait la courber,Mais aussi la paresse ou la médiocrité trouventbien mieux leur compte dans une servile imi-tation que dans les dangers et les travaux d'unecréation aventureuse. Ici, comme ailleurs cene sont pas les plus forts qui ont fait la loi, cesont eux qui l'ont reçue des mains des plus ha-biles. Ces considérations générales rencontrentaujourd'hui une application directe dans l'oh-jet qui nous occupe. Une nouvelle école seforme en peinture comme en littérature; elle

a signalé sa naissance par des productions bril-lantes, et elle a fait pâlir de colère et d'effroiles vétérans de la routine, les chefs de la tourbeimitatrice. Amis de la liberté en tout et pourtous, nous croyons devoir entrer dans la lice

et défendre le plus beau privilège de l'esprithumain, son indépendance. On accuse l'écolenouvelle d'être romantique; si l'on vent dire

par là qu'elle diffère des écoles précédentes, onne lui reproche rien, ou plutôt on lui repro-che d'exister, car si elle était ce qu'étaient les

autres, elle ne serait plus une école. Il fautdonc que ce gi'and mot de romantique ait uneautre signification; tuchons de la découvrir.

Les classiques, dans les arts, sont ceux qui

ont pris pour modèle les restes de l'antiquité,et ont cherché h. façonner l'esprit et le goûtde leur siècle, sur ce qu'ils ont pu devinerde l'esprit et du goût des Grecs et des Ro-mains. Dédaignant de suivre la nature, ou troptimides pour en rechercher les beautés, ils ontcru plus facile de s'en tenir à celles qu'avaicnttrouvées leurs maîtres. Par la, ils nous ont donnéla copie de la copie. De là aussi sont nées lesrègles, car, dans leur imitation de conven-tion, ils avaient transgressé la première de tou-tes, et se voyaient jetés dans un dédale d'er-

reurs et de fluctuations. L'invention, la créa-tion, en fait d'arts, sont des mots qui n'ontpas une valeur réelle. L'imaginationn'invente,ne crée rien; elle imite, et plus son imitationest fidèle, plus elle se rapproche de la nature,plus alors elle ressemble à la création. Pour-quoi donc, au lieu de s'attacher au grand mo-dèle primitif, se borner à une imitation se-condaire, et, par cela même, nécessairement

imparfaite. C'est là, suivant nous, que gît laquestion, quoique l'onsans cesse delàdéplacer. Les romantiques sont donc ceux quilâchent de se rapprocher le plus possible de la

nature; les classiques, ceux qui n'ont 'd'autremodèle que les productions de l'antiquité.

En littérature,cette distinctiondeviendraplussensible encore. Les Allemands, les Anglais,les Espagnols mêmes sont essentiellement ro-mantiques. Les Français seuls ont été classi-

ques jusqu'à ce jour; ils ont poussé leur amourpour les anciens, au point de douter si le the;t-

tre ou la peinture pottvaicnt se servir de sujetstirés de l'histoire de leur pays et leur poésienationale a long-temps été chercher ses héros

sur les rives duTibre ou dans les plaines d'Argos

Nous espérons qu'on nous pardonnera cesréflexionspréliminaires. Ayant il parler de deuxpeintres' de la nouvelle école, elles nous ontparu trouver ici naturellement leur place. Nousallons passer maintenant a l'examen des- ta-bleaux de MM. Sclicucr.

C'est une chose aimable et rare en même

temps de voir deux frères s'avancer glorieuse-mcntdans la carrière des arts et signaler leurspremiers pas par des succès peu communs. Ilsemble que le mérite de chacun s'augmente en-core du mérite de son frère et en acquière un

nouveau lustre. M. A. ScliclFcr s'était déjà faitconnaître par son beau tableau des Bourgeoisde Calais. Ce sujet, vraiment national, étaittraité d'une manière qui avait réuni tous lessuffrages. Le tableau est placé maintenantdansla salle des conférences de la chambre des dé-putes et c'est sous tous les rapports undigne ornement du de réunion des rcpré-sentans de la France. M. Scheffer qui connaîtbien toute l'importance du choix du sujet, aencore pris le sien cette année dans les annalesde notre pays, et quoiqu'il fût d'une nature dit-férente, il n'a pas été moins heureux. Il nous

avait montre le simple et vertueux dévouementde quelques bourgeois se livrant à la rage del'ennemi pour en préserver leurs concitoyensil nous représente aujourd'hui la mort d'unnobles et illustre chevalier, Gaston de Foixduc de Nemours tué à la bataille de Ravcnne,

vers la fin du quinzième siècle. Dans son pre-mier ouvrage, Eustache de Saint-Pierre et sescourageux compagnons paraissaient pieds

nus, en chemise, la corde au cou dans l'atti-tude de la résignation un jour triste et som-bre répandait sur toute la composition un tonde mélancolie propre ;l insloircr le recueille-

ment; ici des armures brillaiil.es des écharpes,des panaches cclatans, l'or, te 1er, l'acier étin-

cellant de toutes parts unc lumière vive etéblouissantefrappentlavueetfontconcevoiraupremier coup d'œil une scène guerrière, maisc'est aussi une scène de deuil. Gaston avaitremporté la victoire il voulut disperser uncorps d'Espagnols qui se retiraient en bon or-dre il périt au milieu de leurs rangs, aprèsavoir renversé un grand nombre d'ennemis,et percé de dix-sept coups de lance. Soncorps est étendu sur le premier plan, sa têteest découverte son armure brisée et faus-sée en plusieurs endroits est souillée du sangqui coule en abondance. Près de lui sont sesvaillans frères d'armes Bayard Lautrec,d'Ars et la Palisse; une tristesse profonde sepeint sur leurs traits ils ont oublié leurstriomphes pour ne voir que la perte qu'ils ontfaite mais à côté sont des prisonniers dontla présence atteste la victoire de la France.Parmi eux on distingue le cardinal de Médi-cis, qui depuis sous le nom du pape Léon X,contribua si puissamment à la renaissance des

arts en Italie et donna son nom à son siècle.Dans le fond du tableau un guerrier indique

par un geste animé les tours de Ravenne etrappelle à ses compagnons que c'est la qu'ils

vengeront la mort de leur général. Les têtes

sont pleines d'expression celle de Gaston est

(l'une beauté sublime, et celle du cardinal n'estpas moins remarquable. Cette grande compo-sition est empreinte de vigueur et de noblesse;elle émeut, elle attache. On ne saurait resterfroid devant le corps de ce jeune vainqueur, qui

est enseveli dans son triomphe et l'on aime àvoir ces héros de la vieille France dont les

noms devraient être classiquesparmi nous. Cequi se fait remarquer surtout dans cet ouvrage,c'est une facilité prodigieuse et une vérité quisaisit. Je sais bien que certaines gens auraientvonlu. retrouver l'Apollon du belvédère sousl'armure de Gaston, l'Hercule Farnèsesous lacuirasse de Bayard, et peut-être aussi le Jupi-ter olympien sous la robe du cardinal maisM. Scheffer a seulement prétendu faire de sontableau le portrait de l'événement qu'il repré-sentait, et il y a parfaitement réussi.

C'est avec une manière et des tons de cou-leurs entièrementdiflerens que le mêmepeintre

a représenté saint Thomas d'Aquin prêchantla confiance en Dieu pendant une tempête. Lesaint est placé sur la proue d'un navire battu

par l'orage de l'autre côté est un groupe defemmes et de matelots éhouvanlés par la fu-

rcur de la mer. Saint Thomas les rassure etles exhorte à reprendre courage. Sa pose estadmirable il est debout la main élevée vers

le ciel les yeux calmes et sereins les traitsanimés par une inspiration surnaturelle touten lui contraste fortement avec ses compagnonsd'infortune, qui sont renversés dans l'abatte-

ment et la crainte, tandis qu'il les domine avecmajesté. On remarque dans ce tableau unegrande pureté de dessïn jointe à une exécu-tion plus soignée que dans le précédent. On necroirait jamais que le même pinceau a produit

ces deux ouvrages mais c'est le propre du ta-lent de savoir se plier à tous les sujets, et dedonner à chacun le style qui lui couvicnt. C'estlà aussi ce qui caractérise M. Schciïcv et danstous les tableaux qu'il a exposés cette année,

aucun ne se ressemble par la manière ou le tonde couleur.

M. Henri Schcfrer est plus jeune que sonfrère il n'a exposé qu'une grande composition

et i.rois tableaux de genre.M. Henri Scheïïer a exposé un Christ des

ccndu de la croix; ce tableau, qui est placéde la manière la plus désavantageuse dans uncoin obscur ou l'on ne saurait le voir, étaitrependant assez remarquable pour être traitéavec moins de défaveur. L'ordonnance en estsimple et touchante il n'y a que deux person-nages, la Vierge et son fils. Elle tient sur sesjM'iiouxla têlcduChristdonl le corps est étendu

sur le premier plan et elle pleure avec la doit-leur d'une mère et la résignation d'une sainte.Aux pieds du Christ s'élève la croix dont onn'aperçoit que le bas les clous, la lance et le

roseau sont les seuls accessoires de cette com-position pleine de goût et de sentiment. Lepeintre a bien compris que la douleur était so-litaire, et il n'apas\ouluparlagcr l'intérêt surdes personnages étrangers, dui n'auraient pasmanque de l'affaiblir. Son dessin est correct

sa manière naïve a quelque chose qui se rap-proche de celle des anciens maîtres français.Son ton de couleur est sombre, comme il con-venait dans un sujet aussi triste et quoique

toutes les teintes soient rembrunies, elles con-servent cependant une grande transparence.

Les sujets religieux et les tableaux d'église

ont été les premiers que l'on ait fait en France.Les cloîtres et les'abbayes en ont été décorés

avant les palais des rois ou dela Nation. La sim-plicité des mœurs des vieux temps se retrouveencore dans les peintures sur verre que l'on aconservées. C'est ainsi que, dans un vitrage re-présentant l'Annonciation, on voyait d'un côtéla Vierge lisant les heures de l'autre, l'angeGabriel et dans uu coin, le Saint-Esprit sousla forme d'un pigeon du bec duquel partait unrayon pyramidal, clui abolissait à l'oreille de

la Vierge et y reposai) un enfant très-bien des-siné c'était la traduction exacte de ces deuxvers d'une ancienne prose.

Gaude, virgo mater Christ!.Quœ per aurem coiicepisti..

Ou peut-être le peintre avait-il connaissanced'un noël hourguignon, dont voici un couplet

sur le même sujet

L'ainge echevan ce prùpdMairie, (Hrainge merveilleAn concivi po l'oreille,Le fi de Dei, tô d'uu cô

Ses entrailles frémissircDu Varhe au dedan logé,Et dan troi moi qucmancirc,Ai santi l'anfan rogé.

Tout le monde connaît cet autre tableau tiréd'une église de Paris, et représentant sainteMarie Egyptienne offrant son corps à un ba-telicr, pour payer le prix de son passage. Cesdeux peintures étaient du quinzième siècle, etse faisaient remarquer par un beau coloris etun dessin assez exact. 11 y a loin de cette bon-homie à la noble simplicité du tableau deM. SchciTcr mais il y a loin aussi de la sim-plicité de ce dernier aux poses tourmentées

aux attitudes guindées que l'on retrouve chezplus d'nn peintre de nos jours nos aïeux

poussaient trop loin la naïveté; on n donnédans l'excès contraire, on s'est maniéré de

toutes les façons et dans tous les genres l'é-cole paraît en ce moment revenir sur le natu-rel puisse-t-elle enfin s'y arrêter MM. Au-

guste et Henri Schcncr, Delacroix, Sigalon

ont suivi les leçons de M. Guérin; il est assezremarquable qu'ils aient étudié chez un peintre

en qui le naturel n'est pas le principal mérite;c'est que M. Guérin n'a pas voulu que sesélèves sentissent d'après lui, mais d'après eux-mêmes, et qu'en dirigeant leurs études il ne

les a pas forcés de le copier.

TABLEAUX DE GENRE.

Les peintres d'histoire se mettent beau-coup au-dessus de leurs confrères, qui, dans

un cadre plus étroit, retracent les scènes or-dinaires de la vie, et nous intéressent à desêtres plus près de nous que les héros et les de-mi-dieux ils ont raison, sans doute car lesétudes immenses qu'exige leur art, les connais-sances approfondies qu'il nécessite, leur don-nent bien le droit de croire que leur part est laplus belle; mais celui qui nous attcndrit surnos propres maux qui nous fait hlcnrcr de nos

malheurs réels, et les représente avec grâce etvérité, atteint aussi un des buts de l'art, etsouvent son triomphe est plus doux et pluspopulaire. Grcuze n'a été reçu à l'Académie

que comme peintre de genre mais j'aimemieux Y Accordée(le Village, que vingt tableauxd'histoire de ses confrères. On admire la Hcn-riarlc; mais on relit sans cesse les contes ellesépîtres. Quand l'œil est fatigué de grandcscompositions quand l'imagination est rem-plie des idées que rappellent les cuirasses lesépées l'or cl, les broderies, l'oeil et l'imagina-lion se reposent volontiers sur ces petits ta-blcaux, ou l'on voit de jolies femmes qui nesont pas des princesses, (lc beaux garçons quin'ont pas l'épée au côté, des joies et des douleursqui ne sont pas sur le velours. MM. SolieHer

ont fait sans doute, toutes ces reflexions ils

ont senti l'importance des deux couronnes et,en athlètes hardis ils les ont briguées ¡toutesles deux.

M. Scheil'er aîné a, outre ses deux grandstableaux, dix tableaux de genre, et HenriSchcllcr son frère, a fait suivre son Christde trois compositions charmantes, auprès des-quelles la foule s'arrête, et dont les artistes ad-mirent la grâce et la suavité. Ces jeunes pein-

ires ont traité des sujets tristes: leur pinceau

est ami de la douleur et des larmes mais de

celte douleur douce qui remue l'âme sans latroubler, cl qui inshirc une mélancolierêveuse;

Ici c'cst la bonne vieille de cet auteur qui

D'un luth joyeux sut attendrir les sons.

Elle répète auprès de son foyer les chansonsde son ami un enfant, se joue auprès d'elle

une jeune fille interromptson ouvrage pour le-

vcr sur l'aïeule ses beaux yeux bleus der-rière la jeune fillc une sœur, de douze il treize

ans que les chansons d'amour ne font pas en-core rêver, cache sa tête espiègle. A l'autrecôté du foyer, est assis un homme déjà dansl'automne de la vie il écoute avec attendris-sement un beau garçon en folouze est sur lesecond plan; il écoute aussi, niais surtout il re-garde la jeune fille. Toutes les poses sont natu-relles et vraies; toutes les têtes ont une expres-sion de joie douce, mêlée il cette teinte de regretpour des plaisirs passés qui ne doivent, plusrevenir. M. Schcfïer a'iné a placé sa bonnevieille dans l'ombre ce n'est pas sur elle qu'ila voulu port.cr l'attention, c'est sur la jeunefillc, c'est sur le jeune homme dont les amourssont du moment et chez lesquels la chanson ré-veille autre chose que des souvenirs. Cette idée

est juste, elle montre que M'. Schefler voitd'une manière dramatique et sait renchériravec art sur le sujet dont il s'empare.

Dans le salon carré, un autre tableau dumême peintre représente l'enterrement d'unjeune pccheur, épisode touchant de l'dnci-quaire de Walter-Scott. Le corps du jeune pê-cheur dit le romancier écossais, était déposédans un cercueil placé sur le lit qu'avait oc-cupé l'infortuné pendant sa vie. A peu de dis-tance, était le père, dont le front, offrant lestraces des injures du temps et des saisons etcouvert de cheveux grisonnans, avait bravébien des nuits orageuses et bien des jours sem-blables à ces nuits. Il semblait repasser dans

son esprit la perte qu'il venait de faire avecce sentiment profond de chagrin particulier

aux caractères rudes et grossiers, et qui sechange presque en haine contre tout ce qui

rest.e dans le monde, après que l'objet chéri ena été enlevé. Le désespoir lui avait fait faireles derniers efforts pour sauver son fils etce n'était qu'en employant la force, qu'on avait

pu l'empêcher d'en faire de nouveaux, dans unmoment où il n'aurait pu que périr lui-même,

sans la moindre possibilité de le sauver. Toutes

ces idées semblaient fermenter dans son esprit.Il jetait un. regard sur le cercueil comme sur

un objet dont la vue lui était insupportable, etdont pourtant il ne pouvait détourner les yeux.

Comme il avait refusé toute nourriture depuis

que ce malheur était arrivé, sa femme avait eurecours à un artifice inspiré par l'affection; elleavait employé le plus jeune de ses enfans lefavori de Saundcrs pour lui présenter quel-

ques alimons. Son premier mouvement avaitété de repousser l'enfant avec une violencequi l'avait effrayé; son second, de l'attirer il

lui et de le serrer tendrement dans ses bras.Vous serez un brave garçon, si la mer vousépargne, Patic, lui dit-il, mais vous ne serezjamais vous ne pourrez jamais être ce qu'ilétait pour moi. Depuis dix ans, il montait avecmoi la barque, et, d'ici à Buchan-Ness per-sonne ne tirait mieux un filet.

Dans un autre coin de la chaumière, étaitassise la mère, la tête couverte de son tablier,mais indiquant assez la nature de sa douleurpar la manière dont elle se tordait les mains etpar l'agitation convulsive de son sein, qui re-poussait le tablier qui le couvrait.L'affliction des enfans était mêléed\onncmen.t à la vue des préparatifs qui sefaisaient devant eux.

Mais la figure la plus remarquable, 'Parmi

ce groupe a(lligé était celle de l'aïeule. Assise

sur son fauteuil ordinaire avec son air habi-tuel d'apathie, et sans prendre intérêt à ce qui

se passait autour d'elle, elle imitait machi-nalement le mouvement d'une personne quifile, et paraissait ensuite étonnée de ne trouverni sa quenouille ni son fuseau. Ses yeux sem-blaient demanderpourquoi on lui avait ôté lesiustrumens de son travail ordinaire, pourquoion lui avait mis une robe noire, et pourquoiil se trouvait dans la cabane un rassemblementsi nombreux. En d'autres momens levant les

yeux vers le lit, sur lequel était placé le cer-cueil, elle paraissait tout à coup sentir pourla première fois la grandeur de la perte que safamille venait de faire. Une expression de sur-prise, d'embarras et de chagrin' se peignait

tour à tour dans ses .t:raits ltébétés mais elle

ne versait pas une larme et ne disait pas unmot qui put faire juger jusqu'à quel point ellecomprenait la scène extraordinaire dont elleétaittémoin.

En ce, moment le ministre de la paroissearriva.Voilà la scène deWaller-Scott et voilà le

tableau de M. SchefTer. Le ministre est de-

bout auprès du père inconsolable. La mèrc

comme l'tlgamemnon de Timanlhe a la tête

rl!

couverte de son tablier les enfans sont devant

la vieille Elspcth est dans le coin, et l'on aper-çoit sur le lit le cercueil et dans le cercueil leschairs blanches et mortes du jeune homme.Walter-Scott avant de tracer celte scène,invoque le génie du peintre anglais Wilkie etaprès il la rend d'une manière si supérieure queje ne crois pas que la peinture puisse y attein-dre, parce que le dramatiquen'en consiste pasdans une seule scène, mais dans une infinitéd'incidens que le romancier ajoute les uns auxautres et qui serrent le cœur et portent à soncomble l'émotion du lecteur. C'est ainsi qu'a-près avoir décrit, comme on vient de le voir,la désolation de la chaumière du pêcheur, ilfait offrir aux assistans du vin et du pain defroment, comme cela se pratique en Ecosse

et, peignant sur les lèvres de la vieille Elspetlilesourire de l'imbécillité il lui fait dire d'unevoix creuse et tremblante. A votre santé

Messieurs, ctpuissions-nous avoir souvent unefête semblable! Ce mot, comme un présagesinistre fait frémir pour la famille entière, etje ne crois pas qu'on puisse le rendre en pein-

ture M. Scheffer ne l'a pas essayé il a sa-gement rejeté le personnage d'Elspeth dansun coin du tableau et il a porté la lumière

sur le corps du jeune homme et sur les traits

du père dont le désespoir muet contraste ad-mirablement avec la douleur froide du minis-tre ce tableau se distingue par la chaleur ducoloris on voit qu'il a été fait de verve, et jedoute que Wilkie dont les Anglais sont sifiers, eut mieux réussi à rendre le moment quel'artiste a choisi peut-être M. Scheflér au-rait-il dit redouter de rester au-dessous de sonmodèle; mais, de toutes les manières, il n'en apas moins fait un bon tableau.

A côté de l'enterrement du jeune pêcheur

est un tableau d'une couleur et d'une compo-sition toutes difïërentes. Une pauvre femme

est couchée dans un grabat; elle tient sur sonsein son jeune enfant qui vient de naître onvoit sur la figure pâle de la mère les tracesd'une douleur récente; le père est assis au pieddu lit, il tient dans ses mains la main de lajeune femme, il la regarde. Ils sont pauvres,mais jeunes forts vigoureux mais ils s'ai-ment, ils gagnent le pain de la journée, etl'on sent que le bonheur est-là, quoiqu'il n'yait pas un écu. Le talent de M. Schefler estparticulièrement remarquable pour la véritéles chairs sontblanches mais ce sont bien deschairs vivantes, sous lesquelles on voit le bleudes veines et l'incarnat léger du sang qui cir-cule ses détails sont gracieux et vrais. Cette

table, qui est au pied du lit, est vermouluemais elle est propre; le jour du matin éclaire

cette scène. Le petit garçon voit son premiersoleil, et le père et la mère sourient d'amouret d'espérance.

Ce tableau est gracieux et d'un intérêt douxet touchant. On voit que cette jeune mère seportera bien dans luiit jours et que dans unmois elle fera encore l'amour.

M. Schefl'er aîné a aussi exposé une mèremalade s'appuyant sur ses deuxfdles, une scènede l'Alsaceen 1 8 1 4> l'enfant qui pleure pourêtreporté le retour d'un jeune invalide et les enjanségarés. Ces deux derniers tableaux sont parti-culièrement remarquables par l'intérct cjue lepeintre a su exciter avec un ou deux person-nages dans le petit tableau du jeune Invalide,on voit un jeune homme que la guerre a frappésans payer son sang de ces marques brillantesdont la patrie récompensesouvent labravoure.Aucune épaulette d'or ou d'argentne brille surson habit;appuyésur une jambe de bois, il vientfrapper à la chaumière d'oit il est sorti. Jeune,beau, vigoureux, personne ne lui répond en-core, et il jette un regard d'inquiétude sur cequi l'environne. Voilà le chemin qui conduit

au village; voilà la prairie où il faisait danserles jeunes filles Dieux si son père si sa

mère, si sa bonne sœur avaient disparu! Quiserait son soutien dans ce monde! Qui soi-gnerait sa jeunesse mutilée

Les Enj'ans égarés ne ressemblent en au-cune manière à ces petits citoyens de Paris

que des bonnes négligentes laissent se perdredans les allées fréquentéesdes Tuileries ceux-cidu moins trouveront toujours quelqu'un quileur donnera du pain d'épice, qui les hébergera,les caressera et annoncera leur sort dans lejournal du lendemain; mais ceux de M. Schef-fer sont deux petits malheureux paysans dansla première enfance; ils sont égarés dans unlieu désert, coupé de ravins et de précipices.L'orage qui vient d'éclater les a trempés jus-qu'aux os; l'un est assis sur une pierre humideet cache sa tête sur ses genoux; l'autre croise

ses petites mains, et regarde le ciel en pleu-rant. Qu'ils sont à plaindre au milieu de tous

ces arbres brisés, de ces terres éboulées! et lesbêtes des forêts? et la faim et le froid? Toutcela est parfaitement rendu. Le pinceau deM. Schefler aîné est vrai, son dessin est pur,ses compositions sont étudiées avec soin; ci-comme il joint à ces qualités un sens droit,un goût exquis et une sensibilité naturelle. ilréussit très-bien à représenter ces scènes do-mestiques où la tristesse du sujet doit être

compensée par la grâce de l'exécution. Nous

avons vu dans son atelier un tableau qui estune nouvelle preuve de ce que nous avancons;il représente la fin d'un incendie de ferme. Lemalheureux fermier est avec sa famille 'dans

unc grange ouverte, où l'on a rassemblé lesdébris qu'on a pu sauver du feu sa femmepleure sur son épaule sa fille arrose sa mainde ses larmes, un enfant dans son berceau està leurs pieds, et lui regarde d'un œil mornesa demeure d'hier, tandis que le vent lui ap-porte la fumée de ses toits embrasés, et quele crépuscule du matin lui laisse voir sa ruineentière d'autres personnages sont jetés avecart autour de ce groupe malheureux, et aug-mentent l'intérêt de cette scène. Ce tableaufera partie de l'exposition dans quelque temps,et nous ne doutons pas qu'il ne partage la fa-

veur dont le public a entouré les autres pro-ductions de ce jeune peintre.

M. Henri Scheffer marche sur les traces de

son frère, mais par un chemin différent; samanière de peindre est toute autre, et il cher-che à creuser plus loin que lui encore dans lessensationsque font naître ses ouvragcs: voyezle Lcndcnaain de l'entcrrcnaent, c'est un poëme,c'est une élégie. Loin de chercher dans lesproductions littéraires des sujets de tableaux

M. Henri Sclietlèr fournirait au besoin dessujets à nospoëtcs.

« Assise sur un lit vide, la jeune femme

» croise ses mains, baisse sa tête et pleure.» Où es-tu, disait-elle, mon ami, mon» frère mon époux ? Le coussin qui hier

» soutenait ta tête languissante en conserveencore la trace; le poids de ton corps souf-

» frant a affaissé ces matelas tout me parle» ici de mon ami; mais, toi, où es-tu? Tu es

sorti de ton lit de douleur ces couvertures» pendantes me le prouvcnt où es-tu allé ?

» Moi, j'ai pleuré toute la nuit j'ai gémi loin» dc toi, sans sommeil et dans les larmes. 0» viens baiser mes yeux gonflés et mes joues» pâles. Vains souhaits! déception cruelle 1.

» il est mort la pierre de son tombeau est» trop pesante pour qu'il puisse la soulever,» et il ne me reste plus que les pleurs, la dou-

u leur, le souvenir et l'isolement. oSi je pouvais voler ce tableau je le vole-

rais et, après l'avoir suspendu aux murs rap-prochés de mon cabinet, je le couvrirais reli-gieusement d'un épais rideau; et, dans cesmomens ou je suis inquiet, triste, malheu-

reux, j'irais contempler l'image de cette pauvrejeune femme encore plus triste et plus malheu-

reuse que moi.

La jeune Fille soignant sa \mcre malade neprésente pas un spectacle aussi déchirant, etne fait :pas naîtrc d'aussi tristes pensées. Unefemme jeune encore est couchée, sa tête s'ap-puie sur des coussins; on voit sur sa figure les

traces de la douleur et la pâleur de la mala-die. Sa fille est assise sur son lit, la figure dela jeune fille est angéliquc; elle sourit auxespérances de santé qu'elle croit apercevoir

sur le visage de la malade; ses soins pieux ontpréparé les boissons salutaires elle parle sansdoute du bonheur d'une convalescence pro-chaine, elle soigne, aime et console.

Ces deux tableaux sont peints uvée soin,l'cflet en est doux et harmonieux, et l'on voit

que l'artiste s'est bien pénétré de son sujet, etl'a peint de manière à ne lui rien faire perdrede la couleur qu'il avait dans son imagination.En eflet, le ^coloris en est vrai sans être bril-lant, ni vigoureux et M. Henri Scheflcr con-serve avec raison les teintes fortes de sa pa-lette pour des sujets plus gais et plus animés;il n'a même pas cédé à une tentation qui auraitété l'écucil d'un moins habile. Dans le tableaude la jeune fille soignant sa mère, il n'a pascherché à faire contraster la pâleur de la ma-lade avec la bonne santé de la jeune fille

c'est une preuve de goût dont peu de jeunes

artistes auraient été capables, et qui donne à

sa composition une unité de ton et une har-monie de couleurs nécessaires pour produirel'effet qu'il cherchait. Maintenant, poursuivez,M. Henri Schefîer, frère d'un littérateur dis-tingué et d'un peintre remarquable jeuneespoir de notre école; placez-vous entre cesdeux modèles; montrez-nous le rare assem-blage de trois talens supérieurs réunis dans

une même famille et tandis que M. ArnoldSchefler est placé dans la liste honorable desécrivains citoyens, faites-nous voir, avec l'au-teur du portrait du général Lafayette, que lepinceau aussi est une puissance,

CHAPITRE V.

M. GÉRARD. Philippe V.

Voici le sujet du tableau de M. GérardCharles II, roi d'Espagne, allait mourir sansenfans les deux principaux prétendans à sasuccession étaient Louis XIV et l'empereurLéopold; mais Guillaume, roi d'Angleterre,qui redoutait également l'agrandissement dela France et celui de l'Autriche, imagina defaire passer la succession d'Espagne au princeélectoral de Bavière: il y réussit, et la nation,qui craignait un démembrement, applaudit à

ce choix; cependant ce prince encore enfantmourut, et les intrigues recommencèrent. LesAllemands étaient détestés en Espagne etnéanmoins Charles II par le conseil de Porto-Carrcro, appela auprès de lui l'Archiduc; cejeune prince s'attira l'animadvcrsion générale

par la légèreté de ses propos et l'indécence de

sa conduite. Porto-Carrero, à l'instigation dumarquis d'Harcourt ambassadeur de France il

Madrid, se brouilla avec les ministres allemands

et avec une certaine comtesse de Berleps très-

influente à la cour; l'empereurperdit ainsi sonplus utile auxiliaire.

( i ) La défection de Porto Carrero fut laruine de la faction autrichienne. Ce prélat battitles Allemands qui dirigeaient la reine d'Es-pagne, et terrassa le capucin Gabriel de laChiusa confesseur de cette princesse, le plusinfluent de tous, par les manœuvresqui conve-naient entre gens d'église. Porto-Carrero ré-pandit le bruit que le capucin, la comtesse deBerleps et leurs amis avaient ensorcelé la reinelaissant entendre qu'il était à craindre que leurtrame sacrilége ne se fût étendue jusqu'au roi.Cette grossière imposture, qui ne peut exciter

que lé mépris d'un siècle éclairé, était encoreun puissantmoyen en Espagne à la fin du dix-septième siècle, et elle s'accrédita avec la plusgrande facilité. Les mystères du lit conjugalfurent scandaleusement divulgués, et la ridi-cule imposturequifaisaitjouerun rôle au diableayant réussi au-delà des vœux de la maison deFrance, la disgrâce des Allemands fut résolue.L'inquisiteur Rocaberti et le père FroycarDiaz, confesseur de Charles II, l'exorcisèrent

(i) Les détails de cet événement se trouvent dans l'excel.lent résumé de l'ilisloirc d'Espagne pnr M. Alp. Rabbe.Voyez Affaire de la Succession pag. 385.

à différenties reprises; les paroles dont on sesert dans les rituels pourconjurer les puissancesinfernales, frappèrentde terreur ce malheureuxprince, et achevèrent d'altérer sa raison. Dèslors il ne fut plus qu'un Instrument docile etrésigné entre les mains impies de Porto-Car-rero il lui persuada de consulter le souverainpontifepour sortir de ses perplexités; tout étaitcirconvenupar la cour de France, et la réponsed'Innocent XII fut conforme aux intérêts deLouis XIV.

Tandis que les agens du roi de France tra-vaillaient avec tant de zèle et de succès à faireavoir à son pei i t-fils la totalité de la succession,

ce monarquefeignait de se prêter à un nouveautraité de partage proposépar le roi Guillaume.Louis XIV consentait généreusement à laisserà l'Archiduc l'Espagne et les Indes, en ajou-tant le Milanais au partage du Dauphin quiaurait eu Naples, la Sicile, le marquisat deFinal et la province de Guipuscoa; on auraitdonné au duc de Lorraine les Pays-Bas enéchangede son propre duché. Cet arrangementétait avantageux pour la maison d'Autriche. A

mesure que Louis le Grand était.plus près degagnerla partie, il faisaitplusbeau jeuàsonad-versairejLéopoldl'eiitembarrassé enleprcnantau mot, mais il eut la folie de rejeter ce traité.

Un ambassadeur d'Espagne en Angleterres'éleva contreces ténébreuses machinationsquitraitaient des peuples, comme on ferait d'unchamp ou d'un troupeau; son mémoire futréputé insolent et séditieux, et il reçut l'ordrede sortir du royaume.

Enfin le testament fut fait en vertu des dé-cisions des théologiens, et surtout en vertu del'obsessionducardinalPorto-Carrero; Charles IIsigna en pleurant la spoliation de sa famille,et le duc d'Anjou fut fait roi d'Espagne. Lefaible Charles mourut, et l'Europe entière sesouleva contre Louis XIV. Alors commença la

guerre de la succession qui dura jusqu'à la paixd'Utrecht, et mit la France à deux doigts de

sa perte. Cependant Philippe V, roi d'Espagne,fut deux fois obligé de quitter sa capitale, ab-diqua une fois, et mourut enfin accablé desennuis du trône et fatigué d'un pouvoir qu'iln'cut jamais ni le talent ni la fermetéd'exercer.

Les actions des rois appartiennentà la posté-rité qui les juge et les apprécie à leur juste va-leur et, de toutes les personnes qui connaissentle trait de la vie de Louis XIV qu'a peintM. Gérard, il n'en est point qui le considère

sous le point de vue où il nous l'a représenté.Un tableau est une page de l'histoire si vousvoulez donner à vos personnages une attitude

fière et imposante il faut leur faire faire uneaction exempte de reproche et de blâme. Leregard alticr, le front élevé de Louis XIV

sieyentbienaumonarqnequi vient de conquérirla Flandre en trois mois et la Franche-Comté

en trois semaines; mais non pas au roi négo-ciateur qui, par le moyen d'un pape, d'uncardinal, d'un inquisi.teur et d'un moine vientde faire avoir un royaume à son petit-fils. Sansdoute ces machinations tortueuses n'ont pascourbé physiquement le front de Louis, ni ra-petissé sa taille mais elles le rabaissent néan-moins dans l'espritde la postérité; et il est bien

autre à nos yeux sur les bords glorieux duRhin que lorsqu'il dit au duc d'Anjou ce motsi vanté Il n'y a plus de Pyrénécs. Ces con-sidérations morales devraient toujours guiderle pinceau de l'artiste il faut qu'il se souvienne

que sa toile loue ou blâme selon la manièredont il représente l'action et, d'après ce quenous avons dit de l'aflhire de la succession onvoit si M. Gérard est un, historien véridique!Cependant, il le faut avouer, il a conservé lavéritéhistorique en ce que le peuple n'est pourrien dans son tableau; c'est une affaire de grandsseigneurs, l'unique député espagnol qui est à

genoux devant le jeune prince est un hommed'épée; Louis XIV ne présente pas son petit-

fils aux députés de la nation la nation n'a quefaire là; on a traité sans elle, et c'est sans elleque l'on conclutl'affaire, cela est exact; je doutecependant que M. Gérard y attache le sens quime frappe. On s'arrête devant ce tableau pourvoir toutes ces jambes de soie chaussées de sou-liers à talon; mais les réflexions qui précèdentont frappé tous les bons esprits, et, malgré laréputation du peintre et l'engouement de cer-taines coteries, on reste froid devant un ou-vrage où l'on ne peut guère louer que le choixharmonieux des couleurs et le talent du pin-ceau qui a fini certaines parties avec une per-fection et un art admirables. Du reste, l'artistesemble avoir été embarrassé lui-même de lascène qu'il avait à peindre; il n'a su que fairedes princes et des courtisans qu'il a entassésauprès de Louis XIV, et toutes leurs figures

sont froides et plates comme celles des portraitsoù probablement il les a prises alors on re-carde le livret, et on quitte sans peine les roisde France et d'Espagne pour la brillante im-provisatrice du cap Mycène.

M. LAWRENCE. Deux Portraits.

Si l'on disait à un de nos grands artistes

vous êtes le premier peintre du monde vosportraits ont un naturel et un fini où n'attein-dront amais vos émules, de quelque pays qu'ils

nous viennent, dans quelque contrée qu'ilsaient 'étudié votre art; il y a une nation quiimagine cependant qu'elle tient le sceptre dela peinture, qui cite avec orgueil ses artistes,et qui place sans façon une douzaine de pein-

tres au-dessus de vous envoyez quelques-unesde vos productions dans la capitale de ce peu-ple aveuglé;qu'il voie et qu'il juge; croyez-vousque ce peintre n'envoyâtpas ses meilleurs ou-vrages ? Pensez-vous que, s'il avait dans sonatelier quelque morceau faible d'exécution, dedessin ou de coloris, il lui fit passer la merpourle soumettre à la critique d'étrangers qu'il croi-rait disposés, par orgueil national, à le jugersévèrement? Non, sans doute, et sir ThomasLawrence, setrouvantpréciscmentdanscecas,

a du choisir, parmises nombreuxportraits,ceuxdont il est le plus content, et qu'il pense devoirlui faire le plus d'honneur. Eh bien que sirThomas suive ses deux portraits, qu'il vienne

comme eux se placer dans le salon, et qu'il juge

à son tour nous, nous avons jugé.

Veut il [des modèles pour la vérité deschairs? Qu'il regarde le tableau du comteChaptal, par M. Gros. llecherche-t-il la vi-gueur unie à la légèreté du pinceau ? Un de

ses ouvrages, placé auprès du portrait d'Ho-race Vernct, lui fournira un terme de com-paraison. Fait-il cas enfin de l'exactitude delàressemblance? de la grâce et da naturel desposes ? de l'art de soigner les accessoires ?Qu'il s'arrête un moment devant les portraitsdes Gérard des Paulin Guériu des Dupa-villon, là il verra des mains, des bras, des che-veux peints avec vérité étudiés d'après na-ture, des costumes élégans qui, sans nuire àl'effet de la figure, l'accompagnent sans dis-parate, et la font ressortir avec harmonie il

verra comment un peintre habile sait faire va-loir des détails et opposer l'art à l'art et ilapprendra que lorsqu'on a fait deux yeux, unnez, une bouche, un menton et l'ovale d'unefigure il reste encore pour achever un por-trait, à faire des bras, des mains,.des che-

veux, du linge et des étoffes. '.'<

Contrasteinsuffisant

NF Z 43-120-14