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« When we were Kings » Carnet de voyage – New York City 25 octobre – 12 novembre 2005 Achevé le 18 novembre 2005 1

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« When we were Kings »

Carnet de voyage – New York City

25 octobre – 12 novembre 2005

Achevé le 18 novembre 2005

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Il est presque minuit ce jeudi 21 juillet et je reprends mon bic ! Merci à toi Roland ! J’ai eu un déclic tout con…un truc qui s’est passé entre le combat de Hearns contre Leonard et celui de Roy Jones contre Hoptkins !

Ca commence comme ça…Je suis allé au resto ce soir avec Roland, mon ami boxeur. On a papoté « Noble Art » comme d’hab’ pendant une bonne partie du repas. Y’a qu’avec lui que je peux avoir de telles discussions. On a tous les deux les yeux qui brillent lorsqu’on se met à tchatcher crochets, uppercuts et directs du gauche. Roland m’avait enregistré deux cassettes vidéo retraçant l’histoire pugilistique des plus grands champions. Je rentre à ma case vers 22 heures, reçoit par mail un message adorable d’une copine me disant qu’elle a aimé mon récit sur Israël…Thank’s Hibo…tes mots m’ont fait super plaisir et me donnent envie de continuer à gratter mon bic ! Puis je m’installe dans mon canap’ et lance les cassettes. Je veux voir un bon combat avant de me coucher. Celui de Sugar Ray Leonard contre l’invaincu Hearns, David contre Goliath, est un modèle du genre. Il y a tout dedans. De l’intelligence et de la technique. Du dépassement de soi et du respect de l’adversaire. De la violence et de la beauté. J’ai adoré. Merci mon vieil « Iron La Frite » de m’avoir donné l’occasion de me régaler avec un tel spectacle.

A la fin du combat, y’a un truc qui fait « Putain mais c’est bien sûr ! ». Plus de doutes, une petite voix dans ma tête me dit « Bah alors, qu’est-ce que tu fous Boris ? Tu aimes la boxe, les grandes villes, le Hip-Hop…et tu ne connais pas New-York ! ». Faut avouer que c’est un peu con non ? Va falloir remédier à tout cela ! Je me remémore la discussion que j’ai eu avec François, un pote du boxing club du 2ème ardt, qui m’a parlé de cette salle mythique près de Brooklyn. Celle-là même où ont été tournées des scènes de « Million Dollar Baby ». Il l’a visité en mai dernier et m’a décrit une grande salle où viennent s’entraîner des professionnels. Avec une vingtaine d’entraîneurs qui sont là pour te donner des cours particuliers à 20 $ de l’heure. Il faut que je trouve, à défaut du grand Clint, mon Morgan Freeman c’est obligé. J’ai super envie d’y aller, de me prendre une heure de cours le matin, une heure l’après-midi, de mettre les gants contre des amerloques et de progresser. Et je vais te mettre une de ces raclées en rentrant mon vieux Roland !

Je suis super excité. J’ai trouvé un nouveau but. Un nouveau rêve. Aller aux racines des choses encore. Aux racines de la boxe c’est certain. Mais aussi aux racines du rap, du Hip-Hop. C’est bien ici que tout à commencé, n’est-ce pas ? « N.Y.C. transit » chante Akhenaton dans son dernier album. En plus, j’ai toujours entendu mon ami Willy me dire et me redire « Tu verrais Boris, quand tu vas en boîte à New-York, tu vois des gens qui y vont pour danser et qui savent danser. J’ai jamais vu des nanas danser le ragga comme ça…elles bougent incroyablement bien ! ». Et si c’est mon pote Willy qui le dit, excellent danseur comme il est, je veux bien le croire !

Et puis j’ai envie de voir Manhattan, Brooklyn, Harlem, Time Square, le Bronx, les vestiges des Twin Towers, la statue de la liberté. De rencontrer des gens. D’arrêter de fumer également. En aurais-je la volonté ? Je l’ignore ! Mais quoiqu’il en soit, l’envie quant à elle est bien là…Les voyages font changer, évoluer, renforcent, nourrissent…et celui-ci va être des plus kiffant à mon avis. Départ en Septembre ou Octobre 2005. Et si vous êtes partants, je vous emmène avec moi !

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Samedi 29 octobre 2005

Hi ! Inconfortablement installé dans un Boeing, le vol AF 8990 me semble particulièrement long et j’ai hâte d’arriver à bon port.

Je viens d’entamer la lecture du passionnant bouquin d’Alexis Philonenko sur « L’histoire de la boxe ». Je le trimbalais dans mes affaires de voyages depuis un certain temps, attendant inconsciemment le bon moment pour le dévorer. Now, it’s time ! C’est agréable d’avoir une lecture aussi bien documentée et écrite sur un sujet qui vous passionne. C’est mon cas et je peux dire que je plane au sens propre comme au sens figuré à l’heure où j’écris ces lignes.

Lorsque je ferme les yeux, je visualise déjà cette salle de Brooklyn que je ne connais qu’en rêve pour une grosse part, la petite part restante étant à mettre au crédit d’internet. J’ai une grosse envie de boxer qui ne me lâche pas depuis ces derniers jours où j’ai dû m’imposer un peu de repos pour cause de mal de dos. Aujourd’hui je semble réparé et suis en forme. L’ambiance de la salle et les sensations du ring me manquent. J’ai hâte de retrouver l’énergie et la défonce que cela me procure d’ordinaire. Et l’idée de vivre cette expérience dans la salle de boxe la plus mythique qui soit me colle des fourmis dans les jambes et me fout le cerveau en ébullition !

Il est 15 heures dans le Maine et 21 heures à Paris lorsque nous passons à la verticale de Portland. Et j’ai tellement dévoré de bouquins de Stephen King dont l’action se déroule en ces lieux, que cela me fait triper de survoler cette région.

Il n’est pas loin de 16 heures lorsque nous atterrissons. C’est certainement la pleine saison du poireau alors je poirote une heure pour franchir les services d’immigration. Je dois avoir un ticket avec la douanière car celle-ci me prend en photo avec sa webcam et, sûrement fascinée par la pureté du galbe de mes doigts, garde trace de mes deux index.

Bref, je repoirote ensuite pour récupérer mes bagages puis attrape l’Air Train, sorte de tramway gratuit qui me dépose à la station Howard Beach, jonction avec la ligne A du métro new-yorkais. Il fait un froid de canard et je me gèle les miches en stationnant une bonne demi-heure dans les courants d’air glacé de ce quai situé à l’extérieur.

Une rame arrive finalement et j’ai l’étrange impression de faire un bond en arrière dans le temps. La voiture ressemble à nos anciens trains corail, version chromée. A mi-chemin entre le wagon à bétail et le transport de fonds. Cela donne une petite couleur guerre de sécession assez étonnante. Et le conducteur sortant la tête par la fenêtre au milieu de la rame pour vérifier si les portes sont bien fermées n’y est pas étranger. A l’intérieur de la voiture, il n’y a pas un tag et pas mal d’espace. Tout est vieux, moche mais relativement propre comparé au nôtre.

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Le voyage dure plus d’une heure et j’observe le ballet du conducteur et de certains passagers qui se délacent d’un wagon à un autre. Il y a une grande majorité de blacks dans la rame. Beaucoup de jeunes sapés hip-hop avec baggys, bandanas ou casquettes sur la tête et blousons trop grands aux couleurs d’équipes de basket ou de base-ball. Ils sont plutôt maousse-costauds les gars. En face de moi, une vieille mama noire aux allures de « Sister act » est plongée dans la bible. De temps en temps passe un vendeur « en freelance » pourrait-on dire, les bras chargés de twix et autres smarties certainement ramassés au cul du camion !

Lorsque je sors du métro, la nuit est déjà tombée sur Cathedral Parkway et il fait encore plus froid. Je traverse la 107 Th Street et roule ma valoche un bon moment avant d’arriver à mon hôtel. Après être passé par l’accueil, lorsque je découvre ma piaule, bah je me marre ! En fait, je crois que je n’ai que deux seuls choix ; me mettre à rire ou à pleurer. J’opte pour la première solution. Pour un peu, je regretterais ma petite chambrette minable de l’hôtel « AMI » de Tel Aviv. Au cas présent, dire que c’est sale serait insuffisant. Que c’est vieux et décati serait avoir une vue partielle. Après réflexion rapide, le qualificatif qui me paraît le plus juste et le plus adapté aux circonstances s’avère être « tout pourri ». La moquette est pourrie et sa couleur indéfinissable, les murs et le plafond sont pourris et partent en sucette, le radiateur est naze et à moitié en vrac sur ladite moquette…Bref, inutile de continuer l’inventaire et de vous décrire le lit tout tâché ou encore le lavabo craquelé, tous deux peuplés de tellement de cheveux aux ADN différents qu’un perruquier pourrait aisément y ouvrir boutique.

So anyway, j’me casse vite fait me balader sur Broadway, impatient de découvrir les lieux. Ca caille sec et on a beau être Saturday night, c’est pas la fever ! Les grands boulevards semblent presque fantomatiques tant les piétons se font rares. Je graille un cheeseburger rapidos et me promène un petite heure le col de veste bien remonté. En fait, je suis carrément à l’ouest car, s’il est 21 heures à ma Swatch, il est surtout 3 heures du mat’ dans mon cerveau et mon corps. Je suis super naze et décide de rentrer me pieuter.

De retour à l’hôtel, je suis relativement inquiet pour la santé de mes voisines de chambre car, compte tenu de l’extrême minceur des cloisons, je les entends renifler et toussoter comme si elles étaient dans mon padoque, ce qui n’est malheureusement pas le cas ! Je vais à nouveau m’équiper de mes boules Quiès made in Aérospatiale. Merci encore papa et pense à m’en chouraver d’autres avant de prendre ta retraite !

Dimanche 30 octobre

Réveillé à 8 heures. Levé à 8h30, je commets l’irréparable en allant visiter les toilettes et douches collectives. Si ma chambre est pourrie, ce n’est rien comparé au spectacle que découvrent mes petits yeux à moitié bouffis.

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L’endroit est tellement sale que je ne saurais dire ce qui agresse et soulève le plus mon estomac encore à jeun. Est-ce le festival international de poils de culs dansant joyeusement de la douche au lavabo où la couleur camouflage de la faïence des chiottes ? J’avoue que j’hésite un court moment. Finalement, mon regard se pose sur la poubelle posée à côté de la cuvette et l’hésitation s’envole. Ladies and gentlemen, la palme d’or de l’endroit le plus cradingue de ce lieu est attribuée à l’unanimité des juges à la corbeille à moitié renversée débordant de serviettes hygiéniques. Usagées, nul n’est besoin de le préciser.

Je mate autour de moi en cherchant les caméras. On doit très certainement être dans un labo clandestin destiné à mener des expérimentations sur la multiplication des bactéries en milieu clos. Je ne vois pas d’autres explications possibles. Je m’arrache de cet endroit délicieux à 9 heures et trace mon chemin sur Broadway Street.

Il fait très frais mais super beau aujourd’hui. Un grand ciel bleu et un soleil rayonnant. A 10 heures, je m’arrête manger deux œufs brouillés accompagnés de bacon et toasts dans un petit boui-boui ressemblant à un vieux saloon. Le cadre est vieillot et la nourriture très moyenne mais le spectacle est autour de moi. J’assiste pour la première fois à un réveil matinal et dominical new-yorkais. Il y a des gens de toutes origines. Des blacks, des whites, des latinos, des asiats, des métis…Et pas mal d’obèses à vrai dire parmi tout ce petit monde. En même temps, les assiettes sur les tables sont loin d’être diététiques.

A 10h30, j’attaque à nouveau le bitume et entreprends de descendre Broadway pour me diriger vers le sud de Manhattan. Plus je descends l’avenue et plus l’agitation de la rue se fait sentir. Je mitraille de photos la démesure de ce que je vois. Passés Columbus Circle et la 52 Th Street, je découvre le Broadway de légende. Celui que l’on a vu et revu à la télé. Toutefois, lorsque l’on marche sur ces trottoirs bordés de publicités gigantesques et animées au milieu des gratte-ciels, la magie opère incontestablement.

Tout est démesure ici. On se croirait au cinéma version « cinquième élément ». La ville semble elle-même être une entité vivante et animée. Les trottoirs peuplés de vendeurs de rue sont vivants. Les devantures de magasins et même les murs sont vivants. Tout y est ouvert 24 heures sur 24. Les grandes enseignes des multinationales se disputent les meilleurs emplacements. Les pubs ne sont plus des affiches mais des projections de couleurs plus vives les unes que les autres. CNN et les cours du Dow-Jones se lisent sur les façades. Je comprends pourquoi on appelle New York « la ville qui ne dort jamais ».

J’enfile les kilomètres à pieds jusqu’à Union Square et me pose sur un banc du parc pour m’en griller une et reposer mes pieds tout autant que mon cul. Je mate autour de moi les new-yorkaises lisant le journal en prenant le soleil. Plutôt jolies et habillées fashion les girls. Un tantinet bêcheuses peut-être ou suis-je chafouin ? A côté de moi deux homos sont assis sur un banc. Il se tiennent par le cou, vivent leur vie et tout le monde semble s’en taper.

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Ouf ! Cela fait du bien de constater que les States ce n’est pas partout le Texas et qu’on peut aussi y trouver cette ambiance un peu bohème à la parisienne. Je reprends des forces dans le calme de ce parc au milieu de la ville, fume une Marlboro et trace mon chemin.

J’ai décidé de descendre l’avenue où l’on fait la java le samedi jusqu’à l’extrême pointe de Manhattan. Battery Park et le terminal des ferries à destination de Staten, Liberty et Ellis Islands.

En descendant Broadway, je tombe sur une sorte de brocante occupant une bonne partie de la 4 Th Street. Je m’y promène et m’arrête devant l’étalage d’un vendeur d’affiches anciennes. Un clignotant s’allume dans mon hémisphère gauche et je sais ce que mes yeux cherchent. Bingo ! Je repars lesté de 10 dollars mais avec sous le bras une affiche, authentique selon les dires du vendeur que je ne crois qu’à moitié, annonçant le combat du 25 février 1964 opposant Cassius Clay à Sonny Liston. Je suis aux anges.

Cela m’ouvre l’appétit et j’engloutis mon premier hot-dog. Mouais, cela me donne surtout encore plus la dalle alors je jette mon dévolu sur un énorme bretzel salé. Je le bouffe avec précaution, ne voulant pas avoir l’air aussi con que Bush en m’étouffant avec ! J’en ai avalé les deux tiers avant de le balancer et je mets au défi quiconque sur cette planète d’en avaler plusieurs. C’est tellement bourratif ce truc qu’après en avoir avalé quelques bouchées t’as l’impression de manger du plâtre.

Je digère ces « agapes » à Park Place, le cul à nouveau scellé sur un banc public. Juste devant moi chante une chorale composée d’une vingtaine de quinquagénaires. C’est très lyrique et plutôt joli à écouter. Pour un peu, on se croirait dans un film de Claude Lelouch !

Je poursuis mon chemin et très rapidement j’arrive à feu « World Trade Center » aujourd’hui « Ground Zero ». Cela me fait quelque chose d’être là. Devant ce grand trou vide devenu chantier pharaonique où des ouvriers s’activent, y compris en ce dimanche. Le paysage ressemble un peu à un sourire auquel il manquerait les deux dents de devant. J’essaie d’imaginer les Twin Towers. Les plus hauts skycrapers de la cité. L’enfer qu’a dû être cette journée noire et le traumatisme que cela a pu provoquer à l’échelle de la ville. On est tellement loin de Kaboul et du Moyen-Orient ici. Et à tous les niveaux. La panique, les victimes des flammes sautant par les fenêtres, la peur mais aussi la colère. Toutes ces images dont on nous a abreuvés jusqu’à l’overdose.

Devant moi, deux militants dressent une immense banderole rouge sur laquelle est inscrit le message suivant : « La politique de Bush a engendré le 11/09 ». Je prends une photo puis me promène autours des multiples symboles commémoratifs. Sur des immenses plaques apparaissent les noms de toutes les victimes. D’autres retracent, minutes par minutes, l’actualité de ce mardi de septembre. C’est fait à l’américaine. De façon clinquante. Sobriété connais pas. L’important, c’est surtout que cela se voie.

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Pour être honnête, ce qui me dérange dans ce que je discerne, c’est peu ou prou la même chose que ce qui m’a choqué dernièrement en regardant un fabuleux documentaire sur l’évacuation des colons de Gaza. Soit la mise en scène et l’instrumentalisation de la vie – et de la mort en l’occurrence – de simples citoyens pour mieux dissimuler des pratiques et ententes politiques plus obscures et très certainement moins honorables. C’est la technique du « Braquez les caméras par ici pendant que j’agis par là ».

Quant à Ground Zero, il fait aujourd’hui le bonheur des vendeurs de t-shirts souvenirs, photos et babioles diverses et variées. « Business is business my friend ! ». Et tant qu’à être taxé de cynique, ajoutez-y également démagogue car je ne peux me retenir de dire que les milliers de morts anonymes irakiens et afghans, aussi civils que l’étaient les victimes du WTC, passeront eux de toutes façons à la trappe de l’Histoire. Loin de moi l’idée de vouloir comparer les douleurs à la Dieudo car c’est absurde, je quitte ces lieux en concluant avec myself sur cette évidence, on vit vraiment à une époque formidable, c’est certain !

17 heures – Je suis à Battery Park, à l’extrême sud de Manhattan. Devant moi s’ouvre l’Atlantique et j’aperçois au loin la Statue de la Liberté. La vue est magnifique et les ferries à destinations de Staten et d’Ellis Islands gorgés de touristes. En ce qui me concerne, j’irai un autre jour et de préférence je ne choisirai pas un dimanche.

Je savoure le paysage, regarde le soleil se faire draguer par la mer pour doucement la rejoindre et joue un bon moment à cache-cache avec les écureuils du parc. C’est mignon un écureuil mais qu’est-ce que c’est casse-couille à photographier. Ils viennent vers toi pensant que tu vas leur donner à becqueter, posent à merveille en se dressant sur leurs petites pattes arrières…et se cassent systématiquement avant que tu n’aies pu les shooter ! Promis la prochaine fois, je ne fais pas le rat à la frenchy et vous apporte à bouffer les gars !

18 heures – Je suis vanné par cette énorme virée et décide de prendre le subway pour rentrer. C’est là que les emmerdes commencent. Nous sommes dimanche et bon nombre de lignes sont en travaux de réfection ou d’entretien. Mon plan de métro m’est aussi utile qu’un cerveau à Bush. Autant le jeter ! Et je dois me fier uniquement aux indications sonores dans les stations. Déjà qu’en français à Paname je pige que dalle lorsqu’ils crachotent dans leurs micros, je ne vous dis pas en amerloque ! Même les autochtones sont à l’ouest et deux new-yorkaises me demandent leur chemin. J’suis mort de rire !

Finalement, mon salut vient d’une jeune black beaucoup plus bonne que la plus bonne de mes copines, à qui je m’adresse en prenant mon air le plus désemparé qui soit. Tant qu’à choisir, j’vais pas demander aux moches, pas vrai ? Simple question de logique…heu masculine ! Bonne pioche car elle me guide à merveille jusqu’à la ligne 4 qui exceptionnellement dessert le West Side. Mais pas toutes les stations cela serait trop beau !

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On papote un petit peu et lorsqu’elle me demande d’où je viens et que je lui réponds « France - Paris », j’observe une légère mais significative dilatation de la pupille gauche suivie d’un « Oh » sonore et d’un big sourire ultrabright. Preuve s’il en fallait que ces mots ont toujours une vertu magique et un fort pouvoir évocateur !

21h30 – Je suis allé manger dans une sorte de petit resto à la « Happy Days ». Il manquait plus que Fonzie et Richie Cunningham au tableau. J’ai discuté avec la serveuse, une femme dans la cinquantaine affable comme une mamie. Sachant que je venais de Paris, elle aussi m’a soigné aux petits oignons. Je me suis ensuite promené pendant une bonne heure et j’en ai profité pour visiter le campus de l’Université de Columbia. Même la nuit tombée, cela fourmille d’étudiants. J’ai ensuite pris le chemin d’Amsterdam Av., une parallèle de Broadway, où j’ai repéré des petits bars et des restos aux allures sympathiques.

Retour au West Side Inn à 21 heures. Il fait super froid dans ma chambre et les chiottes collectives sont bouchées. L’odeur n’est pas brevetée Christina Ricci et je me lave les dents en contenant mes hauts le cœur. Grand-père est au lit à 21h15 !

Lundi 31 octobre

Je suis réveillé à 4 heures du matin par le froid. Putain je grelotte, il ne doit pas faire plus de 10°C dans ma piaule. Et ce n’est pas la petite couverture d’été de merde qu’ils m’ont mis qui va me tenir chaud. Je plonge la tête dessous et tente de dormir en milieu fermé, espérant ainsi que le souffle de ma respiration puisse me réchauffer.

Je me lève à 6 heures, complètement frigorifié. Je dois ressembler à un schtroumpf. Très certainement le schtroumph grognon car je suis d’une humeur massacrante ce matin. Comme diraient les rappeurs de Puzzle, « J’suis le chien méchant qu’à froid aux os ». Je touche le radiateur. Il est aussi froid qu’un macchabée. Il ne l’ont pas mis de la nuit ces bâtards ! Avec la température qu’il fait dehors et les courants d’air qui passent sous ma fenêtre branlante, tu m’étonnes que ça caille. Je file prendre ma douche. Celle-ci est pétée et je dois me contenter d’un filet d’eau tiédasse pour me laver. Et, lorsque je parle de filet, c’est tout sauf une image. C’est presque du goutte à goutte ! Je claque d’un violent crochet du droit en grognant la paume de douche. Cela n’arrange ni le débit ni le jet mais cela me fait du bien.

En sortant de la salle de bain, je croise des voisins et leur demande si eux aussi ont eu froid cette nuit. Ils me répondent par l’affirmative. Je leur dis que c’est tout sauf normal et qu’il faut aller râler à l’accueil, ce que je ne vais pas manquer de faire.

Lorsque je descends, le moustachu à tête de nœud derrière son comptoir semble s’en branler comme de l’An quarante et me répond sans lever la tronche de son journal que le chauffage devrait être réparé dans la journée.

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Z’ont intérêt car sinon je leur provoque une petite insurrection populaire et leur fous le feu à leur putain d’hôtel de merde moi ! Ils vont voir ce que cela fait lorsqu’on se paie la tête des gens et comprendre leur douleur ! Sur ce, je file prendre mon breakfast. Il est 7 heures du mat’, on est lundi, la salle de boxe est désormais ouverte et j’y serai ce matin même. Yeah man !

9 heures – Je suis dans le métro ligne A direction Brooklyn Heights. Je pense à Roland, mon ami et partenaire de ring. A Bernard, mon entraîneur du boxing parisien. J’y suis presque les gars !

Je suis heureux, excité et à la fois un peu flippé. J’y ai tellement pensé à ce moment que j’espère que mon imagination et la réalité vont faire un mariage heureux. J’espère surtout que l’accueil sera sympa et que je vais prendre du plaisir. On verra bien ! En attendant, je suis chargé comme un mulet car je transporte avec moi mes gants de ring, ceux de sac, mes chaussures montantes, mon protège-dents ainsi que toutes mes affaires de rechange.

Je me laisse bercer par le métro. Mate autour de moi les visages de ceux qui vont tafer. C’est la première fois que je vais fouler le sol d’une salle de boxe de bon matin. Et c’est ici, aux States, à Brooklyn et pas dans n’importe quelle salle. Je rêve et je vis. Je vis et je rêve. Je suis heureux.

15h30 – Je prends le soleil dans un parc de Brooklyn. J’ai passé plus de cinq heures à la salle. La nana très sympa à l’entrée m’a fait un prix vu que les tarifs sont au mois et que je ne reste que quinze jours.

La salle est grande, magnifique et super bien équipée. Quatre rings surélevés. Une dizaine de sacs de frappe de toutes les tailles. Des appareils pour se muscler et travailler le cardio et la vitesse.

Je me suis changé dans les vestiaires. J’ai ouvert le premier casier devant moi et trouvé un bracelet blanc en plastique frappé du terme « TRUTH » oublié par un boxeur. Serait-ce le signe que mon heure de vérité va sonner dans cette salle ? Zut, voilà que je recommence à interpréter les signes et Anne-Camille va encore me taxer de grand-malade. Je t’embrasse et j’espère que tu t’en sors au boulot toute seule ! Je rigole.

J’ai attaqué l’échauffement puis j’ai poursuivi par du shadow sur le ring avant d’enchaîner sur une douzaine de rounds de sac. J’aurais aimé que tu sois là mon vieux Roland, ou plutôt devrais-je dire « Iron la frite » ! On se serait mis une belle peignée c’est certain.

L’ambiance est plutôt sympa. Les entraîneurs également. Ils m’ont demandé d’où je venais. Ici comme ailleurs dans les clubs de boxe, les nouvelles têtes attirent l’attention. Je prendrai un cours demain, c’est décidé. 25 $ pour suer et apprendre de nouvelles choses pendant 1h30, cela me va tout à fait. Car j’en ai des choses à apprendre eu égard à ce que j’ai pu observer. Cela cogne sec ici.

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Pas franchement le même niveau que ma salle parisienne. Et loin s’en faut ! Toutefois, j’ai été heureux de constater que j’étais loin d’être ridicule. Et, s’il y a bon nombre de mecs qui techniquement sont bien plus avancés que moi, il y en a aussi qui semblent moins affûtés. Cela fait plaisir de constater que ces huit années passées à transpirer trois soirs par semaine rue Léopold Bellan me permettent d’évoluer en étant à l’aise dans mes gants dans cette salle de boxe pour le moins reconnue. Et puis j’ai échangé des paroles avec certains mecs, des saluts avec d’autres. Ce qui laisse augurer que je vais bien trouver des partenaires pour tafer.

En dehors de ça, j’ai oublié de noter le numéro du cadenas qu’il ma fallu acheter pour fermer mon casier ce qui m’a permis, outre le fait de passer pour le « neuneu » du coin, de visiter le bureau privé des entraîneurs où sont affichées toutes les photos des grands ayant foulés ce parquet. Les « Ali », les « Foreman », les « Hearns », les « Liston », les « Hagler », les « Lewis » et autre « Tyson »…Cela fait un petit quelque chose lorsque l’on pose son cul sur un vieux banc en bois bordant le ring de se dire que ce dernier a vu passer les postérieurs trempés les plus prestigieux de la boxe anglaise.

Je suis ravi car j’ai également pu prendre pas mal de clichés. Autant de souvenirs que je pourrai partager avec mes amis et potes pugilistes parisiens.

18 heures – Après avoir tenté sans succès de roupiller une petite heure, je bouge mes fesses et décide d’aller dans l’East Village car, renseignements pris, c’est surtout par là que cela se passe pour Halloween.

Métro ligne 2 puis changement à Times Square. Je visite de Little Italy, sorte de Montmartre à la gloire des stars à la sauce bolognaise genre Pacino, De Niro ou encore Stallone. Des restos à belle allure fleurissent la rue. Les immeubles sont bas. On pourrait effectivement être à Paris ou Rome. Les serveurs vous alpaguent et chantent en italien sur le trottoir. Les magasins de souvenirs se succèdent à n’en plus finir. C’est bon, j’ai vu, j’me casse ! Surtout que, juste à côté, se trouve Chinatown, une curiosité. Ils sont vraiment forts ces asiatiques. Ils réussissent à s’approprier absolument tout. Dans leur quartier, toutes les enseignes sont inscrites en chinois, y compris celles des Mc Do et autres franchisés célèbres.

Je continue ma route et tombe sur un rassemblement de gens déguisés. C’est le début de la parade. Je ne sais plus trop où je suis mais une chose est certaine, c’est que la foule déboule de tous côtés. Une véritable marée humaine. Enfin « humaine » pas vraiment car je croise surtout des King-Kongs, des martiens, des supermen-batmen-catwomen, des loup-garous, des Freddy Kruger…Bref, je pourrais noircir des pages entières et rédiger plus gros qu’un bottin si je devais énumérer la multiplicité des créatures rencontrées. Certains déguisements m’ont néanmoins bien fait marrer tels ceux des « nudistes en grève », habillées à peu près comme moi ce soir-là. Il y avait aussi les « paquets suspects », faisant écho aux messages gavant de mises en garde diffusés sans cesse dans le métro new-yorkais. Imaginez une énorme boîte en carton se déplaçant toute seule au milieu de la rue avec pour seule inscription : « I’m a suspicious package ! » Plutôt marrant j’trouve !

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Devant moi, un Oussama en tenue de combat mitraille la foule tandis qu’un Bush sapé en bagnard (il est très en vogue dans ce costume ce soir à NY) lui saute dessus et feint de la maîtriser. A vrai dire les gens sont hilares et encouragent plutôt le barbu lorsqu’il fait sa fête à deuble-u.

Sur les chars c’est tout aussi chaud mais dans un autre style. Des pin-up se trémoussent sur du Usher et du Ricky Martin en haut des camions. Et franchement, je ne suis pourtant pas bégueule mais je suis surpris par le côté « no limit » que prend la danse. Les nanas chauffées par le public montrent un sein, puis deux. La foule masculine massée aux roues du char les y encourage par tous les moyens imaginables. Elles se roulent des galoches en veux-tu en voilà. Quelqu’un leur jette une bombe de mousse chantilly et elles se chargent de la faire mousser les cochonnes ! Et hop, une petite pression de Chambourcy « Oh oui » sur les tétons et celle-ci est vite avalée, sucée, léchée par la copine d’à-côté. Le public est aux anges, flashe de tous côtés et balance des billets alors on a rajoute et, sous couvert d’aimer la crème chantilly, on se bouffe la langue, le ventre, le bas du dos pour finir par le cul. Et, comme cela serait idiot de s’arrêter au milieu du gué, les strings valsent et on assiste à un festival de petits minous bien épilés en liberté. Je regrette fort de ne pas avoir apporté de lait. Et honnêtement, je suis médusé par ce que je vois…et filme !

Et dire qu’ils nous ont fait chier pendant des mois pour le minuscule (mais fort joli) bout de sein de Janet Jackson dévoilé par Justin Timberlake. J’y comprends rien à ce pays moi ! En tous cas, on ne me fera plus croire qu’Halloween est une fête pour les enfants. Et, même si j’ai vu bon nombre de papas scotchés sur place avec leurs marmots sur les épaules, ils ne semblaient pas être la cible principale de ce spectacle soyez-en certains. A moins que l’on ne considère avec malice que les américains sont un peuple de grands enfants. CQFD !

Finalement, je suis la parade pendant deux bonnes heures. Je deviens pote avec une jolie corsaire. On fait du troc tous les deux, une sorte d’échange humanitaire. Je lui file une clope française et elle me glisse dans la poche une capote américaine !

Il est 22h30 et je suis vanné. J’ai mal aux pieds, aux mollets, au cul, au dos…un vrai petit vioque ! Je trace ma route vers Union Square pour prendre le tromé comme on dit chez wam. A l’intérieur du wagon, c’est toujours Halloween bien entendu et les sorcières se chiffonnent avec les gargouilles pour trouver une place assise. J’ai l’air d’un vrai pisse-froid moi qui ne suis pas déguisé !

Je suis devant mon hôtel à 23 heures, sans avoir franchement envie d’aller me pieuter. Je prends donc l’initiative audacieuse d’aller m’enquiller une bière au pub du coin. Jusqu’ici je l’ai toujours vu vide mais je me dis qu’il y aura sans doute du monde ce soir car une fête y est prévue. Effectivement, c’est blindé dis donc ! Et ils doivent bien être six ou sept à se faire chier dans le troquet. A peine assis au bar, une blonde vient me faire causette. C’est une teutonne point vilaine d’une trentaine d’années. Elle s’appelle Lisa.

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Elle me draguouille et me propose de rejoindre sa tablée composée d’un anglais, d’un norvégien et d’un autre allemand. Ce dernier doit penser que je viens braconner sur ses terres et n’est pas super charmant. Il essaie de jouer les malins sur mon niveau d’anglais mais je me démerde pour le calmer vite fait l’animal.

La conversation tourne peu à peu au trip de routard genre « T’as fait quoi comme pays toi…Moi j’ai fait ça, j’ai vu ci, je suis allé là…» J’ai envie de leur dire « Et moi j’arrive à pied par la Chine dugland ! » Mais je ne possède pas le vocabulaire malheureusement. Rien de tel pour me donner envie de me barrer, ce que je fais sans tarder après avoir sifflé ma Budweiser.

Je vais me coucher à minuit avec des courbatures dans tout le corps et un putain de mal de dos. Lorsque je rentre dans ma chambre, cela pue à un point, je ne vous dis pas. Une horreur ! Une véritable infection sanitaire. Normal, j’ai fait sécher mes affaires de boxe un peu partout. Mes bandes pour les mains, mes chaussettes sales, mon t-shirt et mon short pendent accrochés au système anti-incendie du plafond tandis que mes gants et mes chaussures trempés traînent dans un coin de la pièce. « C’est un peu l’Italie » comme le chante Nino Ferrer. Ils veulent la guerre ces connards de l’hôtel et bien ils vont l’avoir foi de gascon. Et pour ma part, je viens de choisir mes armes ; elles seront bactériologiques !

Mardi 1 er novembre

Je suis réveillé à 8 heures par un brouhaha d’enfer. Putain mais qu’est-ce qui se passe, c’est la guerre ou quoi ?

Cette fois c’est sûr et certain je suis maudit ! Il font le ravalement de façade de l’immeuble d’en face et ce sont les décibels des kärsher chers à Sarkozy et autres groupes électrogènes qui m’ont tirés du lit. J’ai super mal au dos ce matin. Ou plutôt à la fesse gauche. Un peu comme si on m’enfonçait un clou dans le cul lorsque je marche. Cela me fait chier ! Ma séance de boxe d’hier a réveillé mon début de sciatique. Cela me déprime grave en fait. Je me dis que je vais aller me promener ce matin jusqu’au début d’après-midi et que j’irais à la boxe en fin de journée si cela va mieux.

A 10 heures je remonte vers l’Université de Columbia. Je m’attarde près de « Cathédral of St John the divine » et prends quelques photos car l’édifice est splendide. Selon mon guide c’est la plus grande cathédrale des States. Et elle n’est toujours pas achevée c’est dire !

Je dépasse Morningside Park, longe l’extrémité nord de Central Park et me dirige vers Harlem. Il fait doux, il y a un magnifique soleil et c’est on ne peut plus agréable comme virée.

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L’architecture de Harlem est différente de tout ce que j’ai pu voir jusqu’ici. Beaucoup de blocs carrés, pas mal de maisons vétustes murées. Les murs sont en brique ocre et c’est cette couleur qui donne le ton principal de ce quartier. Dire que c’est populaire est un euphémisme. Je ne croise quasiment aucun blanc dans les rues.

Je remonte le boulevard Malcolm X puis prends la 25 Th Street et me dirige vers le « Spanish Harlem ». L’ambiance me fait penser à une sorte de Barbès géant. Tous styles et proportions gardés bien entendu. Des tags ornent les murs. Je photographie l’un d’entre eux, un énorme graph’ illustrant un Mohammed Ali le poing rageur et triomphant.

Je graille dans un burger du coin et respire l’atmosphère. Observe les flics du NYPD qui vont et viennent. Sur les uniformes et leurs véhicules est inscrite leur devise en trois mots « Courtoisie, Professionnalisme et Respect ».

Je remarque que je croise pas mal d’éclopés, d’unijambistes et de gens en fauteuils à qui il manque les deux jambes. Et je me dis que cela ne doit pas être évident d’avoir accès aux techniques médicales réparatrices modernes lorsqu’on loge à Harlem. Vive la sécu française !

Une bagarre éclate dans la rue sur le trottoir en face du mien. Je sors mon numérique et shoote la scène avant de tracer ma route. Je prends Lexington Av. et entreprends de descendre vers le sud. Les quartiers chics. L’Upper West Side.

Cela fait une belle trotte et je suis contrarié car plus je marche et plus j’ai la douloureuse sensation d’avoir une aiguille qui s’enfonce dans ma fesse. C’est clair, ce soir je passe aux anti-inflammatoires. Je n’ai pas envie que cela me gâche mes vacances et m’empêche de boxer.

A 15 heures, je visite le Metropolitan Museum of Art. C’est apparemment un des musées new-yorkais les plus prestigieux et les plus grands qui soit. On y trouve 3,3 millions d’œuvre sur trois niveaux. De nombreuses peintures et de multiples objets dans les départements égyptien, grec et romain. Ainsi qu’une gigantesque section consacrée aux arts d’Afrique, du Pacifique et de l’Amérique précolombienne.

Je fais un petit tour, prends quelques photos et galère une heure à slalomer entre les vieux, les touristes et les cumulards avant de trouver la sortie. Je vais sans doute passer pour le dernier des péquenots mais cela m’oppresse les musées d’art. Pire, pour être honnête, je crois que cela me fait carrément chier. J’ai du mal à chuchoter en prenant un air constipé et à m’esbaudier devant des peintures ou des statues. Aussi rares soient-elles. C’est pas ma faute à moi si je préfère les éléments bien vivants que l’on peut toucher aux objets inanimés enfermés sous alarme dans des vitrines. Je pense à Roland qui a bossé pendant des années au Louvre. Et je ne sais pas comment il a fait pour tenir le coup. Moi, je crois bien que je serais devenu neurasthénique et dépressif à sa place !

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Je quitte donc la queue basse et les oreilles en arrière ce lieu dédié à la culture et à la connaissance puis trace par Central Park pour rejoindre le West Side. C’est mortel de se retrouver perdu dans la verdure en étant au cœur même de New-York. Comme promis, j’ai une pensée pour toi Lolita en fumant une petite clope au soleil sur un banc.

17h30 – J’ai dû faire quinze ou vingt bornes à pied et j’en ai plein mes Adidas et mes chaussettes trouées. Je rentre faire une petite sieste à l’hôtel.

19h30 – Je suis réveillé par une douleur dans la jambe gauche. J’ai les reins en feu. Fait chier merde ! Cela me déprime. Je me tire prendre le métro et stoppe à la 14 Th Street.

Je visite Greenwich Village en traînant la patte avec le moral au raz du bitume. Et je gamberge sec. Si j’ai mal au dos, je ne peux plus boxer. J’ai déjà mal quand je marche alors…Si je force et boxe quand même, est-ce que je ne vais pas rester bloqué ? Et si je reste bloqué ici tout seul, je fais comment ? Et je fais quoi ? Je me tape un bon flip et j’erre dans la ville de Greenwich à Soho, de Soho à Tribeca, ne croisant que des visages inconnus. J’ai froid et je me sens perdu. J’ai l’impression d’être un fantôme sur ces grandes avenues et je vadrouille comme une âme en peine. Je décide de rentrer me reposer, chope le premier métro et me trompe de sens. C’est un train express qui me conduit dans le fin fond de Brooklyn. Putain, j’ai tout faux moi ce soir ! A l’écart dans un coin du wagon, j’écoute sans cesse le même morceau de rap dans mon MP3. Il colle parfaitement avec mon état d’esprit du moment. En adéquation avec mon dos, mon moral part en couilles. Ca fait :

« Encore une prise de bec avec ma mère.Je fais le sourd, claque la porte, ricane avec mes potes en tapissant un bloc.

Le visage plongé dans les étoiles, noyé dans ma gamberge,Je cherche une île, une berge ou au moins un bout de bois.

J’me sens comme une bouteille à la mer.J’vais où le flot de la vie me mène loin de tout, même de ma mère.

La vie m’a offert la solitude de Robinson,J’voudrais repeindre ma vie mais j’ne trouve pas le bon pinceau.

Certains ont fait le grand saut, mariés et des enfants.Ils me lâchent leurs discours de réussite. Leur vie est mieux qu’avant.

C’est ce qu’ils me disent. J’vois d’la lassitude dans leurs regards.Mais eux au moins ont essayé de sortir de leurs brancards.

Moi j’ai l’impression d’avoir raté des tas de trains.Pourtant je n’ai jamais quitté le quai, d’ailleurs les jeunes le squattent, ça craint.

Le temps a soufflé sur ma 25ème bougie.J’en suis même pas sûr, j’suis toujours dans l’même logis, dans la même logique.

Une femme. Des fois j’me dis que c’est la plus grosse arnaque d’la vie d’un homme.Certains me disent qu’un jour l’une d’elle viendra éclairer mon ombre.

J’espère le voir de cet angle.Pour l’instant les couteaux que j’ai sur mes omoplates ont des traces de rouge à ongle.

Mais bon la vie faut la vivre donc j’la vis.

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Fuis les vitres brisées de mon existence, continue navigue, même dans le vide.J’vire à tribord, prends la fuite, à travers mes lignes te décrit mes rides.

Me construit un mythe oblige, j’sens qu’mon poul ralentit,Faut qu’je laisse la trace d’un mec honnête ou d’un gros bandit.

Rien à foutre ! Faut qu’je prouve que j’ai été vivant.Si tu penses que je dois voir un psy, dis-toi que je n’ai que le rap comme divan.

M’man la marée est haute et j’me laisse emporter par les vagues. Elles sont trop fortes.

J’voudrais te dire que j’t’aime mais j’ai trop le trac.Marque mon front de ton sourire.

S’il te plaît oublie toutes les fois où je t’ai fait souffrir.J’sais qu’le fort est une force que j’maîtrise peu.

Et j’sais aussi que c’est le parapluie qu’il faut quand sur tes joues il pleut.Mais dans ma tête j’entends des coups de flingues incessants.

Un braconnier a laissé des plumes de colombes pleines de sang.J’voulais apprendre à donner, j’ai appris à tout manger.

J’voulais apprendre à pardonner, j’ai appris à me venger.J’voulais apprendre à aimer, j’ai appris à haïr,

Je ne voulais pas ramer, j’l’ai fait avec un gros navire.J’ai voulu éviter la pluie, je l’ai affrontée en t-shirt.

Je la voulais pour la vie, je ne l’ai eue que pour un flirt.J’me sens comme une bouteille à la mer,

Noyé dans les vagues de la mélancolie d’la vie.Comme une bouteille à la mer j’me sens.

J’me sens seul comme une bouteille à la mer.A la recherche d’une ville, d’un navire qu’on puisse me repêcher et lire ce qu’il y a

dans mon cœur, ce qu’il y a en moi.Comme une bouteille à la mer j’me sens, seul comme une bouteille à la mer ».

Psy4 de la Rime – « Comme une bouteille à la mer »(Album « Enfants de la lune » - 2005)

Mercredi 2 novembre

Wake up à 9:30 AM. Je me lève, effectue quelques esquives. Ouf, je me sens nettement mieux ce matin. Les cachets pris hier soir ont fait leur effet. Faut dire que j’ai doublé la dose prescrite d’anti-inflammatoires auxquels j’ai ajouté deux Dafalgan. Je ressens encore une petite gène mais je n’ai plus mal.

Je me douche avec le sourire, à défaut d’avoir de l’eau chaude, saute dans mes fringues, avale un petit déjeuner copieux et attrape le métro direction Brooklyn.

Lorsque j’arrive dans la salle, je tombe illico sur James Thornwell dit « Country », un gros black avec qui j’avais discuté avant-hier.

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J’ai tout de suite un bon feeling avec cet entraîneur. C’est un rigolard. Il ponctue toutes ses phrases d’un rire tonitruant et communicatif. Il hante cette salle depuis 1984. Je l’interroge sur « Million dollar baby ». Il me confirme que c’est bien ici que le film a été tourné et me montre une jeune nana sur un ring en me disant : « Tu vois, cette fille, c’est elle qui a entraîné Hilary Swank pour son rôle dans le film d’Eastwood ».

Delen Parsley, un mastodonte aux fines rastas tressées en arrière vient me rejoindre et s’adresse à moi en me disant «You want to boxe guy and I want to boxe. So please, boxe with me ! ». Puis Country et lui se regardent et ils éclatent tous deux de rire. A la vue de ses 150 kilos, je lui réponds du tac au tac « Pas de problèmes mec, avec plaisir ! Attends-moi là quinze ou vingt ans et je reviendrai te corriger quand tu seras vieux ! » Concert de rires plus gras les uns que les autres.

L’ambiance est cool ici et le fait que je sois français et que je vienne par plaisir et par passion plus que par intérêt leur plaît bien je crois. Country me demande depuis quand je pratique la boxe et on attaque l’entraînement. Il me file une de ses cordes et me demande de faire trois rounds. Putain ça commence bien ! Sa corde est super légère et bien trop longue pour mon mètre soixante-quinze. Moi qui suis habitué à celle lestée offerte par Roland, je n’arrête pas de m’emmêler les pinceaux. Et l’autre qui m’observe et me jauge pendant ce temps-là ! Vérole, j’ai l’air d’un débutant et suis vexé comme un pou. Demain c’est clair, j’amène mon propre matos !

J’ai ensuite droit à trois rounds de shadow sur le ring avant qu’il n’enfile ce qu’on appelle les pattes d’ours et me rejoigne sur le carré magique. Il me fait tafer une bonne demi-heure. On bosse les enchaînements. Je multiplie les jabs, crochets, uppercuts, esquives latérales et rotatives. Puis il me montre des pas de côté.

Je suis content car je lui fais transpirer sa race au Country. Je suis tellement heureux d’être là que j’appuie tous mes coups comme un malade. Et je me marre tout seul dans ma barbe en me disant que la dernière fois que j’ai fait ça à Bernard, mon entraîneur parisien, je lui ai réveillé sa tendinite du coude ! Aussi, Country n’a de cesse de me répéter « Relax, relax guy, relax ! » Il me corrige sur mon placement de jambes et me félicite sur ma droite en me disant que j’ai un bon punch. J’ai ensuite droit à quatre rounds d’exercices devant un ballon suspendu entre deux élastiques. C’est la première fois que je travaille sur cet appareil et on ne peut pas dire que le résultat soit des plus brillants.

Je termine la session par quatre derniers rounds à la poire de vitesse. Je suis rincé et pas à l’aise avec ce machin. Je me dis que l’endroit où je prends le plus de plaisir, là où je peux montrer que je connais quelques trucs et que j’aime ça, c’est sur le ring en combat libre. Aussi, je demande à Country une fois l’entraînement achevé s’il peut me trouver un gars avec qui je puisse mettre les gants. Il me demande si j’en ai l’habitude et si j’ai un protège-dents. Je lui réponds que non seulement j’en ai une grosse habitude mais qu’en plus j’adore ça ! Il éclate de son rire à la fois rocailleux et aérien, me montre sa bouche en clavier de piano et me dit qu’on verra ça plus tard car j’ai largement mon compte pour aujourd’hui.

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En attendant, je suis on ne peut plus ravi car mon dos ne m’a pas joué de tour de cochon et je l’en remercie du fond du cœur !

14h00 – Je fonce à Union Square car, depuis que je suis à NYC, je n’ai cessé de recevoir tracts et autocollants appelant à manifester à l’occasion du premier anniversaire de la réélection de Bush. Le collectif organisationnel s’appelle « World can’t wait » et a pour slogan « Drive out the Bush regime » Je trouve leur programme alléchant.

Le tract fait mention d’un gouvernement qui, sur la base de mensonges éhontés, mène une guerre meurtrière et illégitime en Irak. Un gouvernement qui torture, qui transforme lentement mais sûrement ce pays en théocratie, supprimant l’enseignement scientifique ne confortant pas le point de vue religieux et faisant payer ainsi un lourd tribut aux générations présentes et à venir. Un gouvernement qui, aussi insidieusement que sûrement, se dresse contre le contrôle des naissances et le droit à l’avortement. Un gouvernement qui inculque une culture de bigoterie, d’intolérance et d’ignorance. Et le fameux tract de se terminer ainsi : « Les gens observent tous ces changements et pensent à Hitler. Et ils ont raison de le faire. Car le régime de Bush conduit à un rapide et radical changement de société sur une pente fascisante. Et cela pour les générations à venir. Nous devons agir maintenant. Le futur est dans la balance. Notre avenir se joue aujourd’hui ! ». Bigre !

Dans la mesure où, peu ou prou, je souscris à ce qui est écrit précédemment, je me dis que ce serait trop bête de ne pas être de la partie. C’est vrai quoi, on est pas obligé d’être américain pour avoir un point de vue sur un régime que l’on voit de toute façon s’exprimer tous les jours sur divers continents par le biais du petit écran. Et puis je suis curieux de voir à quoi peu ressembler une manif aux States. Y a-t-il des vendeurs de pop-corn et de hot dogs tous les deux mètres ? That is my question !

Mais lorsque j’arrive de la boxe, le rassemblement est déjà terminé et les gens s’en vont. Impossible de dire si cela a été un succès ou non. Merde alors, tout va décidément très vite dans cette ville. Je n’ose imaginer combien de temps dure un mouvement de grève. Cela doit certainement être torché dans le quart d’heure !

Dépité, je vadrouille dans les quartiers avoisinants Union Square. C’est le royaume du shopping par ici. Je prends le métro pour rejoindre le West Side. C’est un express qui me largue en plein Harlem. Je visite le quartier de nuit et regarde les jeunes s’affronter sur les playgrounds de basket avant de rentrer à pied at home.

Après avoir bouquiné une paire d’heure sur mon padoque, je me rends au « Big Nick’s Burger » sur la 77 Th Street. C’est la Mecque du hamburger et le Jérusalem de la pizza ce fast food ! Le patron officie depuis 1966 et son resto est kitch à mort, surchargé de photographies de pseudo stars américaines qui sont venues chez lui faire le plein de calories.

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La formule qui a rendu ce lieu institutionnel est la cuisson des steaks au charbon de bois. Je commande un maxi-cheeseburger. Délicious ! Aucun regret d’avoir poiroté vingt minutes pour attendre qu’une table se libère.

Je digère tranquillement en descendant à pied jusqu’à Columbus Circle. J’apprécie vraiment cette promenade. Il fait 7°C, il y a foule sur les trottoirs et je suis aussi courbatu que détendu. Plein de zénitude après cette excellente journée. Je savoure la chance que j’ai d’être là et de vivre à mon rythme, sans contraintes. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Tant mieux !

Passé Columbus Circle, je suis noyé dans un océan de lumières. C’est le royaume de « Theater District ». Difficile de trouver des mots et de décrire une féerie comme celle-ci. Je vais me répéter en disant que tout est démesure mais c’est bien le qualificatif qui me semble le plus approprié. Tout est énorme, gigantesque, titanesque, magique !

J’ai l’impression d’être un gamin découvrant un trésor, une ville inconnue dont les plans auraient été dessinés par monsieur Walt Disney. Le centre du monde peut-être ? Ou une sorte de réalité virtuelle. Mais pourquoi m’a-t-on enfermé à l’intérieur d’un flipper géant ? Fais gaffe à la bille quand tu traverses surtout ! Tu ne peux pas la louper, elle est jaune et elle roule on the road!

Je pourrais en parler pendant des plombes, la magie est indicible. Autant expliquer ce qu’est la lumière à un aveugle. Car tout est lumière ici. Jusqu’à l’excès, l’aveuglement et sans doute l’overdose pour qui s’y attarde. A mon avis, on doit en retrouver quelques-uns des papillons de nuit à moitié carbonisés par le whisky ici au petit matin. Mais peu importe car ils portent des smokings et roulent en limousine de 5 mètres de long alors…

Le mieux est donc que je revienne un de ces soirs avec mon caméscope et que je filme tout ça pour que vous en ayez un aperçu. Tiens, je vois qu’un des théâtres a pour programme une comédie intitulée « Bush is bad »

Putain, même chez Disney la réalité vient télescoper le rêve. Shit !

Jeudi 3 novembre

Je me lève vers 9 heures. File prendre un petit dèj’ complet et le digère rapidos en fumant une clope sur un banc de Riverside Park, en face de l’Hudson River.

Je suis au Gleason’s Gym à 11h30. Lorsque j’arrive, je vois plein de gars qui matent deux types s’affrontant sur un ring. Je comprends vite pourquoi. C’est un entraînement de poids lourds. Très certainement un professionnel et son sparing-partner. Cela déménage un max. Je suis super impressionné. Je n’ai jamais vu autant de puissance et de vitesse exploser à un mètre de moi.

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Je sors vite fait mon numérique, prends pas mal de photos et filme les trois derniers rounds. Country est accoudé sur les cordes et dispense ses conseils à un des athlètes. Il m’accueille avec un large sourire. La plupart des gars que je croise dans la salle, boxeurs et entraîneurs, me disent bonjour et me serrent la main ou me saluent en cognant poing contre poing. C’est cool, maintenant que ma tête est connue, je commence à faire partie de la communauté du matin. Ca fait zizir !

Je me change dans les vestiaires et papote avec un jeune pro avec qui j’avais déjà discuté les jours précédents. Il a le pif éclaté et du sang plein son t-shirt. Il m’explique qu’il débarque dans cette salle et manque de vitesse dans ses déplacements et ses esquives. Qu’il boxe à l’européenne et qu’il doit désormais apprendre à boxer à l’américaine, avec un centre de gravité plus bas et plus de rapidité dans l’exécution des mouvements.

J’effectue trois rounds de corde pour m’échauffer. Lorsque je monte sur le ring avec Country, celui-ci me prévient d’entrée de jeu et me dit : « Hier, c’était un échauffement Boris, aujourd’hui on travaille ! ». Il ne porte qu’un patte d’ours à la main gauche et m’explique qu’il s’est fait mal hier en bossant avec moi. Intérieurement, j’suis mort de rire en pensant à la tendinite du coude de Bernard. Je ne suis certainement pas un grand boxeur mais je commence à avoir un bon petit palmarès pour ce qui est de bousiller le physique des entraîneurs !

Ceci dit, je ne rigole pas longtemps. Car, même avec un seul bras, Country m’en fait voir de toutes les couleurs et me remet sérieusement à ma place de boxeur-loisir. Mon placement de jambes n’est pas bon, je boxe trop en avant donc en déséquilibre, ma garde est trop basse, mon épaule gauche trop remontée, mon crochet ressemble à un swing…bref, rien ne va ou pas grand-chose. Je me retrouve à bosser mon jab dans un coin du ring, reprenant le b.a.ba du débutant.

Je suis vexé à mort mais je serre les dents et ferme ma gueule. Tout simplement parce que je sais qu’il a raison. A Paris, je peux frimer de temps en temps devant des mecs qui ont autant de défauts que moi et leur en mettre plein la gueule. Mais ici, ce sont des champions qui s’entraînent alors j’écrase et j’apprends ! Et il ne se gène pas pour me foutre le nez dans mon caca le Country. Il me dit « Tu es venu de France jusqu’ici pour progresser, alors travaille Boris ! » Il m’entraîne pendant une heure et demie et, bien décidé à lui prouver que j’en ai encore dans les gants, je reste une demi-heure supplémentaire à transpirer et à travailler les bons gestes dans leur version académique.

Je quitte la salle à 15 heures et prends le métro ligne F direction l’extrême sud de Brooklyn, Coney Island. J’arrive là-bas à 16 heures. C’est moche et ça craint à moitié. Un immense Luna Park désert bordé de cités dortoirs. Ceci dit, je prends un bon kif en essayant de faire de chouettes photos, variant couleur, sépia et monochrome. Il a raison mon pote Willy, la photo quand tu chopes le virus, il ne te lâche plus. Tout comme la boxe !

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18h30 – Je suis à présent dans le Lower East Side, au croisement de Delancey Street et d’Essex Street où, sur les conseils glanés auprès de Country, je peux trouver un magasin d’articles de boxe à des prix intéressants. Manque de bol, le rideau de fer est déjà baissé. I will come back later.

Je découvre un quartier sympa et animé, remonte la Clinton Street bordée de boutiques de fringues, de restos et de bars à vin qui donnent envie de s’y arrêter. Ceci dit, je ne stoppe nulle part car j’ai l’air d’un vrai homeless avec mon sac à dos, ma barbe d’une semaine et mon bonnet enfoncé sur la tête. Sans oublier mon vieux sac plastique crado contenant mes chaussures et mes gants de boxe, d’où se dégage un fumet délicieux. Une chose est sûre, je ne risque pas de me faire draguer !

Je remonte l’East Village et prends la 4 Th Street. Je suis une fois de plus saisi par la magie de New York. Dès que la nuit tombe, cette ville de lumière brille de mille feux. Autant la journée, je trouve souvent que c’est beau sans être renversant. Autant la nuit, la ville change de physionomie et tout prend une allure féerique. Enfin, c’est comme ça que je ressens le truc !

Je remonte les avenues bondées de piétons jusqu’à Washington Square Park et prends la ligne C direction « Uptown Manhattan & Bronx » pour rejoindre ma kasbah. J’en ai plein les pattes et je me fends la poire tout seul en me disant que, si je m’étais greffé un compteur au cul en arrivant à NYC, on ne devrait pas être loin du nombre à trois chiffres au jour d’aujourd’hui ! Je me console en me disant que si je peine à acquérir la grâce et la technique d’un Sugar Ray Robinson, j’aurais au moins bientôt les mollets de Roberto Carlos. Et sur cette remarque pleine de finesse, je file me coucher car il est super tard. Pas loin de 22h30 !

Vendredi 4 novembre

J’ouvre un œil à 8 heures, le second à 8h15 et pose mon pied droit sur la moquette à 8h30. J’ai une pensée pour toi Matelot. Sans savoir où tu te trouves, j’espère que tu y es bien.

Je me douche, avale un café-donut à un dollar que l’on achète à une guitoune sur un trottoir et déjeune en marchant dans la rue. A la new-yorkaise. J’ai décidé de faire attention à mon régime alimentaire car, depuis que je suis ici, je me suis presque exclusivement nourri du triptyque « Burger-French Fries-Coke ». Et hier soir, j’ai poussé un cri en me voyant de profil dans la glace. Je me suis vu enceint de trois mois environ. Et une chose étrange se produit, plus mon ventre s’arrondit et plus j’ai envie de coca ! C’est grave docteur ? Bref, je ne suis pas franchement enchanté à l’idée de rejoindre le cortège des obèses que je croise tous les jours alors calmos sur la bouffe fiston ! Sur ce, je file éliminer mes calories superflues à la salle de boxe.

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J’y suis à 10h30. Country est en train d’entraîner le jeune pro avec qui je discutais hier. Je regarde comment ils travaillent tous les deux pendant dix minutes et Country me fout au taf. Corde, sac de frappe puis je monte sur le ring pour les exercices. Aujourd’hui, on insiste sur les esquives. S’il me félicite sur les latérales, que je perfectionne depuis des années avec Roland, il n’en va pas de même des rotatives. Et loin s’en faut ! Je dois apprendre à maîtriser la technique du « roll on », soit esquiver en faisant un pas de côté pour créer un décalage me permettant de placer mon crochet. Puis il me montre le « roll on twice » qui consiste à enchaîner deux rotatives.

Country m’expose ensuite la gestuelle technique pour bloquer efficacement directs et crochets de l’adversaire. Je me fais engueuler car ma garde est trop basse. Il me dit alors en se marrant « Boris, tu aimes bien ton visage n’est-ce pas ? Alors protège-le ! » Et pour appuyer ses dires, il me colle quelques directs dans la tronche que je ne bloque pas suffisamment rapidement pour me montrer à quel point il a raison. Et, à chaque fois que ses gants touchent mon visage, il se fout gentiment de ma gueule en éclatant d’un rire tonitruant. Ce type est dingue mais je le kiffe vraiment l’animal !

Je poursuis l’entraînement en bossant mes enchaînements et mes déplacements devant un ballon suspendu entre deux élastiques. Six rounds à transpirer. Je termine cette session avec la moitié des phalanges gonflées et bleuâtres et l’autre moitié bien écorchées. Je suis naze et trace à la douche. En sortant des vestiaires, je salue les gars et leur souhaite un bon week-end, règle les 25 $ à Country et lui dis que je compte visiter le zoo du Bronx. J’suis happy car il me confirme que c’est un truc génial à faire.

Je sors de la salle à 13h15, prends le métro F et m’arrête comme hier à Delancey Street. Country m’a expliqué que c’est un quartier juif et que c’est pour cette raison que j’ai trouvé porte close hier car ils ferment tôt. Je repense à mon dernier voyage et me marre en me disant qu’il faut que je me magne le cul pour arriver avant le début du Shabbat. And it’s Friday today !

Je dévalise littéralement la boutique. Je m’achète des gants de ring bleus à lacets pour faire chier Bernard (car c’est lui qui les lace), des chaussures basses Adidas pour être stable sur mes appuis et des pattes d’ours pour tafer avec Roland. Pour finir, je me fais également un petit plaisir avec une parka militaire couleur camouflage à 50 $. Avec ça sur le dos, je fais plus ricain qu’un mec du Bronx c’est sûr ! Je m’en tire pour 200 $ et suis satisfait. Mes gants étaient troués et mes chaussures plus que fatiguées. A Paris, j’aurais facilement payé double tarif pour les mêmes achats. Le « El Toro » de Paname City est désormais équipé de bleu des pieds à la tête.

Lorsque je tends ma Mastercard, le patron de la boutique me dit « Mais qu’est-ce qui se passe en France, vous avez vu tout ce bazar. C’est terrible ! » Je le regarde interloqué et lui demande ce qu’il veut dire par là. Il me regarde étonné et ajoute « Vous ne savez même pays ce qui se passe dans votre pays ? Ce sont les islamistes qui ont frappé en banlieue parisienne » Je blêmis et lui demande affolé s’il s’agit d’un attentat et s’il y a des victimes. Sa réponse est évasive. Il me dit qu’il ne connaît pas les détails mais qu’une chose est sûre, c’est la guerre civile en France.

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Et il prend à témoin une cliente qui vient d’entrer dans le magasin qui confirme, je la cite, que c’est « une situation terrifiante » Elle est inquiète car elle a de la famille en région parisienne et elle me dit qu’elle a vu des images où tout était en feu.

Je tente d’en savoir plus sans succès. Je suis complètement retourné par ce que mes oreilles viennent d’entendre. La patron en rajoute « C’est de la faute aux musulmans, vous en avez beaucoup chez vous n’est-ce pas ? Et si vous voulez en savoir plus, vous n’avez qu’à acheter le New York Post d’aujourd’hui. Les évènements français sont en première page ».

Je sors de la boutique à l’envers. C’est étrange comme le sentiment d’appartenance à une nation vous étreint lorsqu’il se passe des choses graves et que vous êtes à l’étranger. Et le patron qui m’accompagne à la porte de distiller cette remarque de fin politologue, accompagnée d’un sourire narquois : « Avec ce qui vous arrive aujourd’hui, peut-être que les français vont enfin se mettre à écouter et à suivre Bush ». Je suis perdu dans mes pensées et je n’ai pas envie de répondre à ce connard de première.

Et je me connais, si je commence à débattre avec lui, je sens que je vais rapidement devenir désagréable et, par là même, regretter les 200 $ que je viens de lui lâcher. J’ai déjà un petit pincement au cœur lorsque j’y pense. Je tourne les talons en songeant en mon fort intérieur « Ta petite morale de l’histoire à dix cent ne m’intéresse pas et n’est pas incluse dans mes achats tête de nœud ! So bye bye et à jamais ». Pour ma part, il faut que je trouve un journal pour savoir ce qui se passe dans l’hexagone.

Je profite de l’occasion pour anticiper le coup de fil à mes parents que je comptais passer le lendemain. C’est étrange, mon père me donne une toute autre version des faits. J’apprends pour résumer que, suite à la mort par électrocution de deux jeunes en Seine-Saint-Denis et aux déclarations fracassantes sur la « racaille à nettoyer » du petit homme populiste et irresponsable qui nous (des)sert de ministre de l’Intérieur, des émeutes éclatent toutes les nuits en banlieue parisienne.

Lorsque j’ouvre le « New York Post » pour lire l’article consacré à ce sujet, je suis stupéfait et comprends mieux le niveau de réflexion que certains américains peuvent avoir sur la question. Comme le reste des informations, tout y est monté en spectacle, à commencer par le titre énorme faisant la couverture du quotidien : « Pourquoi Paris brûle-t-il ? ». Et le « journaliste » d’arguer que c’est la preuve manifeste de la faillite de l’intégration à la française. Que les banlieues françaises sont des zones de non droit où l’on peut très bien « vivre une vie entière sans parler le français ». Que ces mêmes banlieues sont toutes contaminées et gangrenées par les intégristes islamistes qui trouvent chez nous du pain béni pour alimenter leurs lavages de cerveaux et faire du prosélytisme. Et que, c’est en raison de cette très forte concentration de population immigrée musulmane sur ses terres que la France a refusé de soutenir Bush en Irak. Le but officieux étant de redorer ainsi son blason auprès du monde musulman en ne se mettant pas à dos les barbus. « Funeste erreur de stratégie aux vues de ce qui se passe aujourd’hui » poursuit l’article.

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Tous les raccourcis et tous les amalgames sont de sorties. Eh les gars, c’est les soldes dans le rayon inepties aujourd’hui ou vous êtes vraiment aussi cons que vous vous en donnez l’air ? On confond les arabes et les musulmans, les musulmans et les intégristes, les banlieusards et les casseurs, l’Intifada moyen-orientale et des mouvements de cités. On parle de spectre de guerre civile, d’un chaos menaçant la stabilité même d’un pays ou règnent désormais désordre et peur.

Quelle presse de merde ! Effectivement, lorsque l’on nourrit sa pensée politique à cette prose, ou plutôt à ce torche-cul, on ne peut avoir qu’une vision binaire du monde. Mais à bien y réfléchir, est-ce juste de l’incompétence où ne faut-il pas plutôt y voir comme un petit plaisir malsain de revanche lorsque l’agitation touche un des rares pays européens à ne pas avoir accompagné l’Amérique dans sa croisade biblique du « Bien contre le Mal ». D’aucuns diront que j’ai l’esprit chafouin. C’est sûrement ça ouais !

Je profite des crédits restant sur ma carte pour passer un petit coup de fil à Roland. Il doit être rentré de l’entraînement lui aussi à l’heure qu’il est. Cela me fait trop plaisir de tchatcher boxe avec lui et de lui narrer mon immersion en milieu pugilistique new-yorkais.

20h30 – Je prends la ligne 2 du subway direction downtown. M’arrête sur la 4 Th Street au niveau du Washington Square Park et rejoins le Lower East Side à pied. Une bonne petite trotte ma foi. Il est clair que c’est le week-end car les new-yorkais, et en particulier les jeunes sont de sortie. Il y a foule sur le trottoir et, lorsque je demande mon chemin, je suis toujours accueilli avec un grand sourire et moult explications. La courtoisie est d’ailleurs une chose qui m’a toujours marquée aux Etats-Unis. Il n’y a pas cette peur de l’autre comme chez nous. Ce sentiment qu’autrui est une source potentielle d’agressions ou tout au moins de désagréments. On parle toujours de New York comme étant l’incarnation même de l’urbanité mais, paradoxalement, je trouve les rapports humais beaucoup plus faciles ici qu’à Paris. C’est tout con mais les gens se tiennent les portes en général, se sourient à l’occasion et papotent même parfois dans le métro avec des inconnus…tu fais cela à Paris tu passes au mieux pour un benêt, au pire pour un grand malade ! Nous sommes des ours nous les français et les parisiens en sont des polaires. A chaque fois que j’ai l’occasion de quitter la France, je tire ce même constat. Et je me dis que nous avons de la chance d’avoir un patrimoine historique et culturel riche car ce n’est certainement pas notre ouverture d’esprit et notre sens de l’hospitalité qui nous rendent attractifs.

Je descends Suffolk Street et rejoins en quelques mètres Rivington Street. Parfait, c’est bien là que je voulais me rendre car, suivant les informations glanées sur la devanture d’un petit magasin de musique indépendant, une soirée hip-hop est programmée au numéro 166 de ladite rue. Je me présente à l’entrée après avoir mangé un morceau dans un snack. Le portier, qui ferait presque passer Mister T pour un avorton, me demande ma carte d’identité. Et je pénètre dans les lieux.

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Je suis dans une sorte de mix entre le bar et la salle de concert. Ou plutôt dans une petite salle de concert où il y a un grand bar ! Il y a déjà du monde. Au-dessus de la scène est suspendue une banderole annonçant « Hip-Hop Karaoké ». Je souris et me demande ce que cela peut bien donner tant les termes peuvent a priori sembler antinomiques. Le public est varié et métissé tendance branchouille. Comme dans tous les endroits publics, il y est interdit de fumer. Et comme dans tous les débits de boissons américains, une affiche signale aux femmes enceintes que l’alcool leur est interdit. J’me marre en me disant que c’est bien la première fois que j’vais me pointer à une soirée rap sans fumer…de clopes bien entendu !

Je me colle dans un coin de la salle et j’observe ce petit monde. L’organisateur qui fait office de maître de cérémonie chauffe le public en rapant sur un morceau ricain que je ne connais pas. Et je suis bien le seul ce soir apparemment ! Puis il appelle des gens dans le public qui viennent placer des lyrics sur des instrumentaux qu’ils ont choisis et que mixe un DJ.

De Jay-Z à Eminem en passant par Dr Dre, Puff Daddy ou Snoop Dog, les standards du rap américain grand public sont repris les uns après les autres. Comme dans tous les karaokés, les séquences sont inégales et certains morceaux sont massacrés tandis que d’autres sont interprétés avec bonheur et rendent carrément bien. L’ambiance est super bon enfant et, c’est manifeste, le public est venu là pour s’amuser avant tout. N’empêche, il faut reconnaître qu’ils sont super décomplexés les américains car, bons ou mauvais, ils montent sur scène avec le même entrain et sont au final tous applaudis. Et je mesure à quel point le rap s’inscrit dans la culture populaire de ce pays et n’est pas, comme le plus souvent chez nous, cloisonné dans un petit milieu bien hermétique qui considère cette musique comme sa propriété. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle en imaginant le même projet de soirée en France. Nan, j’arrête de déconner et laisse tomber car c’est tout simplement inimaginable encore aujourd’hui !

Du coup, je passe une soirée super sympa, filme de petites séquences des différents interprètes pour en garder souvenir. Et me dis qu’avec mon frangin, on aurait pu tout déchirer et montrer aux amerloques qu’ils ne savent certainement pas à quel point « Demain c’est loin » !

Je quitte la salle vers 1h30 et me promène dans les petites rues de ce quartier bohème, connu pour être l’ancien repaire des dealers d’héroïne. Entre les badauds qui se promènent et les fumeurs qui forment des grappes à la sortie des bars, les trottoirs sont blindés de monde. Malgré mon mal de dos qui refait surface en même temps que se fait sentir la fatigue, je déambule bien deux heures dans les rues avant de reprendre le métro. Je suis comme un insecte fasciné et attiré par toutes ces lumières de la ville. Une sorte de gros papillon de nuit équipé d’un MP3 aux oreilles qui crache ce morceau lorsque je marche sur Broadway en direction de mon hôtel :

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« Sans visa, bouger en classe première,le visage collé au hublot, quitter ces paysages de merde,

Mettre le turbo loin de ces villes grises,C’est ça être libre, avancer même le chargeur vide,

Quand le cœur guide les actions, être libre c’est résister,Brailler parce qu’on existe, pas pour exister,

Vivre libre,Briser ces chaînes qui nous bloquent, qui nous freinent,

Libre,Certain qu’ça en vaut la peine.

C’est en vouloir, rouler à l’instinct, rester debout,Voir son destin au bout d’un couloir et pas s’arrêter,

La rage dans les intestins, s’apprêter au pire,Ouvrir l’œil au jour le jour, péter en attendant l’deuil,

C’est couvrir d’un linceul ses craintes,Ma clique un paquet d’soldats avançant comme un seul,

C’est mourir un peu dès qu’un des nôtres chute,Nourrir un feu même sous les insultes,

C’est croire ou ne pas croire, on porte le foulard ou la croix,Au risque de choquer France, j’revendique cicatrices et différences.

Hors de la matrice, j’secoue tellement la rue qu’elle en vibre,

Vivre libre,Briser ces chaînes qui nous bloquent, qui nous freinent

Libre,Certain qu’ça en vaut la peine.

C’est pas aller dans l’sens du vent, avoir du franc-parler,Tu vends ton âme ou t’élèves la voix ?

J’fais chialer ma plume à la fois claire et obscure, j’suis paré,Je m’assume moi, j’suis l’premier à qui j’dois plaire,Etre libre c’est goumer même quand faut payer l’taro,Essayer d’garder l’moral même derrière des barreaux,

Connaître le passé au présent, renaître,C’est les bifs qui font courir les gens,

Où est l’esclave, où est le maître ?Un gros splif, un bon son à mettre dans l’poste et j’kife ma taule,

Esquive le réel, j’vis entre l’enclume et le marteau,Inonde les ruelles, les ondes j’les crible,

Devenir l’inverse de ce qu’exige le monde, c’est ça être libre »

Borsalino « Vivre libre »(Album « Paradis assassinés » - 2005)

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Samedi 5 novembre

Je me réveille vers 9h30 avec la tête dans le cul et un petit mal de dos. Je ne pige pas, je n’ai rien picolé hier et pourtant j’ai l’impression d’avoir la gueule de bois. Pis je trimbale une Samsonite sous chaque œil. Mon dieu, que je suis vilain ce matin, une vraie gueule de déterré ! C’est l’occasion ou jamais d’aller faire peur aux animaux du zoo du Bronx. Et sans doute aux enfants par la même occasion. Halloween joue les prolongations et sans masque cette fois ! Merci qui ?

Je m’avale un brunch dans un boui-boui plein à craquer et prends le subway ligne 2 direction « Uptown-The Bronx ». Pour caricaturer, cette ligne est au métro new-yorkais ce qu’est la ligne 13 au métro parisien, soit on ne peut plus populaire, cosmopolite…et sale ! J’arrive à la station « Bronx Park » vers midi dans un état toujours semi-comateux.

Le zoo est à quelques centaines de mètres du métro. Il est immense et les 4.000 animaux qui y vivent sont en semi-liberté. Il fait super beau, presque chaud, et il y a foule à l’entrée. Normal, nous sommes samedi et les familles sont au grand complet.

Je salue les girafes, les dromadaires et les lions. Un petit coucou aux babouins, aux flamands roses et aux ours. Nice to meet you ! Tout est fait pour vous pousser à la consommation ici. Certaines attractions sont payantes en sus du prix d’entrée. Les poucettes pour les enfants sont équipées de réceptacles pour accueillir deux ou trois gobelets. Le pop-corn coule à flot sur des vagues de coca.

Le zoo est magnifique et bien entretenu. Je suis scotché par la montagne des tigres, la colline des grizzlys et des ours polaire, mais deux attractions me fascinent tout particulièrement.

Il y a, en premier lieu, le « monde des reptiles » où l’on peut voir lézards, varans, vipères, serpents à sonnettes et cobras de toutes les contrées. Bref, toutes les espèces à sang froid rampantes et courtes sur pattes de la création. Je cherche Nicolas Sarkozy dans un des vivariums…sans succès. Etrange non ? Il a certainement dû s’échapper ! On y trouve même celui qui est devenu une petite star locale, le prince du Bronx, j’ai nommé « Bobby », le plus grand anaconda du monde en captivité. Une dizaine de mètres enroulés les uns dans les autres. Impressionnant le spaghetti ! Des crocos et autres alligators attendent manifestement le printemps le cul dans leurs mares, le regard aussi expressif qu’un Raymond Barre au réveil. « Hey ! Tu dors ou t’es mort mec ? »

Mais l’endroit que, sans hésitation, je trouve le plus original, c’est « The World of Darkness ». On y croise toutes les familles de chauve-souris. Des petites, des grosses, des poilues, des glabres, des méchantes, des gentilles, des républicaines et même une démocrate.

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C’est magnifique et fascinant car on baigne soi-même dans la pénombre tandis qu’un ballet dansant, aussi magique qu’erratique, se joue autour de vous. Des dizaines de batmen s’agitent dans tous les sens, les radars en folie ! C’est merveilleux.

Le truc, c’est qu’il est préconisé à l’entrée de l’attraction de parler à voix basse et de faire le moins de bruit possible pour ne pas effrayer les petits draculas. Et demander ça à un américain, c’est un peu comme de demander à Bataille et Fontaine d’animer un magazine littéraire sur Arte. Pas évident comme challenge !

Il est 16h30, cela fait plusieurs heures que j’arpente le zoo et j’avance désormais avec la vitalité et l’allant d’un Abbé Pierre sous Tranxène. Je me pose le cul sur un banc pour fumer une clope et manque de m’endormir. Je n’ai pas tout vu mais je suis physiquement au bout du rouleau, alors je me casse.

Je sors du zoo et décide de visiter un peu le Bronx. Cela fait chier car la batterie de mon numérique est morte donc plus de photos. En même temps, c’est sans doute pas plus mal car se balader dans les rues du Bronx avec un caméscope dernier cri à la main n’est probablement pas l’idée la plus lumineuse qui soit.

Pour résumer, c’est pauvre, sale et insalubre. Des tas de maisons sont murées ou à l’abandon. Des bandes de blacks, sapés survets-casquettes, tiennent les murs à l’angle de chaque bloc. Je boutonne ma parka militaire et enfonce mon bonnet sur ma tête histoire de faire couleur locale. Faut dire que des blancs dans le quartier, c’est aussi rare que des poux sur la tête d’un chauve !

Je déambule une heure, il n’y a pas grand-chose à voir, puis décide de riper car la nuit tombe et les guides touristiques déconseillent vivement de s’y promener lorsqu’il fait noir. Très certainement parce que les blancs phosphorent la nuit, c’est bien connu !

Je remonte donc vers le métro à Bronx Park East. Une fois sur le quai, je papote avec une jeune femme. Elle se prénomme Joana, est âgée de 26 ans et habite le quartier. Elle me demande d’où je viens et l’on fait tranquillement connaissance en attendant la rame. La suite est difficile à raconter. Je crois que l’on peut néanmoins la résumer en une seule formule : nous nous sommes perdus ! Volontairement ou involontairement j’sais plus. Y’avait un peu des deux me semble-t-il. Il faut dire qu’il est parfois agréable de se perdre. En charmante compagnie cela va sans dire. Nous nous sommes donc perdus presque deux heures. D’une rame à une autre. D’une ligne à une autre. Inquiets tous deux à l’idée de tomber par inadvertance sur le bon itinéraire.

Je retrouve le West Side Inn à 19 heures et roupille pendant une heure car je ne tiens plus sur mes cannes. Et puis j’ai rendez-vous à 21 heures à Grand Central Terminal pour aller dîner quelque part avec Joana. Je me douche. Change de caleçon et de chaussettes. Il était temps. Je me rase et file à mon rencard.

Se donner rendez-vous à Grand Central Station, c’est un peu comme si tu disais à un pote à Paris « On se retrouve métro les Halles ok ? ».

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Il nous faut trois-quarts d’heure et deux coups de téléphone pour nous retrouver face à face. Nous allons ensuite manger dans une sorte de snack. Puis nous nous racontons nos lifes.

Elle vit seule à New York et travaille comme secrétaire dans un petit cabinet d’avocats du Bronx. Toute sa famille est restée vivre dans les îles caribéennes de Trinidad et Tobago dont elle est originaire. Joana en a eu marre de la chaleur et de la mer et a ressenti l’envie de découvrir les quatre saisons new-yorkaise. De pouvoir profiter de la qualité d’enseignement dispensée au sein des universités américaines également.

Nous nous promenons un long moment dans la rue. Elle glisse sa main dans la mienne. C’est agréable comme sensation. Je la raccompagne à son métro après minuit. Puis elle me vole un petit baiser avant de s’éclipser dans la rame.

J’ai encore envie de profiter de ce samedi soir à New York alors j’enchaîne au hasard les rues. Croise quantité de jeunes et moins jeunes qui vont dîner ou faire la fête. Les gens sont réchauffés ici ! Les mecs portent t-shirts ou chemises et les nanas arborent des décolletés, des jupes ultra-minis ou des robes de soirées qui ne laissent planer aucun mystère sur leurs attributs les plus sexy. Et moi, j’ai l’air d’un tchétchène avec ma parka ! Je fume des clopes assis le cul sur un banc d’Union Square. Regarde le temps s’égrener sur la façade du Virgin géant et écoute le cœur de New York battre autour de moi. Je suis bien.

Je prends le métro vers deux heures du mat’. Il n’y en a pas tant que ça la nuit ce qui fait que les rames sont bondées. Perdu dans ma rêverie, je me trompe de direction et prend « Downtown » ou lieu « d’Uptown ». Pas grave, je fais demi-tour, effectue un changement de ligne et suis à trois blocs de mon hôtel à trois plombes du mat’. J’ai soif et m’arrête dans un « Rite Aid », sorte de Monoprix ou de Franprix ouvert 24/24, pour acheter un pespi. Devant moi un type fait ses courses pour la semaine. C’est étrange pour moi de voir quelqu’un faire tranquillement ses emplettes au milieu de la nuit. La caissière lui refuse l’achat d’un pack de bières. Après deux heures du matin, plus moyen d’acheter de l’alcool. « C’est la loi à New York » lui dit-elle dans un sourire.

Je rentre tranquillement à pied au West Side Inn. Me fais taxer des clopes ou de la petite monnaie tous les trente mètres. Et suis in bed with…myself at 3:30 AM.

Dimanche 6 novembre

J’insulte mon réveil à 10 heures et peine à me lever. Ce matin, il y a lessive au programme. Mes affaires sales de boxe s’entassent et sont en train de moisir dans un sac plastique près de mon lit depuis plusieurs jours alors il urge que je prenne le taureau par les cornes. Je saute du lit, enfile les premières fringues qui me tombent sous la main, et claque la porte.

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Je longe la 107 Th Street en quête d’un pressing et mes oreilles sont charmées par des gospels émanant d’une église devant laquelle je passe. La cérémonie religieuse semble terminée mais un groupe d’irréductibles chante encore. Je m’approche du lieu saint, reste sur le parvis et écoute un petit moment les chants liturgiques. Un homme en soutane m’accoste par tribord et viens me saluer. Il me serre la main et ne la lâche plus. Me demande comment je m’appelle, d’où je viens…Je sors tout juste du lit et suis sale, tout ripouillé, pas rasé, les dents pas brossées avec un gros paquet de linge sale sous le bras. Je ne vous dis pas le tableau ! J’ai un peu honte à vrai dire. Je lui réponds vite fait et me sauve comme un voleur. Il doit me prendre pour un sauvage.

Je trouve un lavomatique sur Amsterdam Street, lance une lessive et vais m’avaler un bagel cheese-beef au Dubkin’Donut qui se trouve juste en face. Lorsque je retourne au landromat, je récupère mon linge mais pas le sac plastique dans lequel je l’ai amené. On me l’a fauché ! Je retourne donc à mon hôtel les bras chargés de chaussettes, calbuts et t-shirts dans tous les sens coincés jusqu’au menton. Je ne ressemble plus à un sauvage mais à un vrai romanichel. Et mon reflet dans la glace d’un magasin me fait éclater de rire.

Je me promène sur Columbus Street et Broadway, me prélasse au soleil de midi en buvant un café et cours sous la douche car j’ai rendez-vous avec Joana à 16 heures pour prendre le ferry et saluer la statue de la Liberté.

Je poirote bien une heure sur le quai de la 76 Th Street où nous nous sommes donnés rencard. Je suis moyennement étonné de ne pas la voir arriver car je me doutais que nous ne nous étions pas très bien compris hier soir. La faute à mon anglais pourri. En fait, je suis plutôt contrarié car je me dis que Joana doit m’attendre ailleurs et penser que je lui ai posé un lapin. Et, comme en changeant de jean j’ai oublié son numéro à l’hôtel, pas moyen de la joindre. Je lui téléphonerai demain car pour l’instant j’ai à faire. Nous sommes dimanche, j’ai déjà perdu assez de temps comme ça pour aujourd’hui alors il faut que je bouge.

En sortant du métro, je croise des supporters du candidat démocrate aux élections municipales new-yorkaises qui vont avoir lieu mardi 8 novembre. Je discute avec eux un petit moment. Le fait que je sois français m’attire leur sympathie. Ils me distribuent des tracts dans lesquels ils mettent en avant la responsabilité de Bush dans les attentats du 11 septembre. Ils me disent qu’il est désormais avéré que les services secrets américains étaient au courant qu’il allait se passer quelque chose ce jour-là. Et que la question qui se pose aujourd’hui est de savoir à qui a profité, et profite encore, la guerre. Et pourquoi les responsables du FBI et de la CIA, qui ont failli à leurs responsabilités ce triste jour, ont tous été promus par la suite. Quoi, on nous aurait menti ? Je ne peux le croire !

Je prends la ligne 1 « Downtown » et quitte le métro à la station Canal Street. Je revisite rapidement Little Italy. Un vrai baise-touristes ce quartier. Inutile de s’y arrêter. Je trace donc vers Chinatown. Effectue quelques achats pour mes amis et moi-même dans une rue commerçante et m’enfonce plus loin dans le quartier.

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Et là, je pige vraiment que je n’avais rien vu du réel Chinatown la fois dernière. Il faut s’y perdre en fait. C’est une ville dans la ville avec ses ruelles, ses impasses, ses recoins et ses galeries souterraines. Je suis totalement dépaysé. Et j’adore ça ! Le qualificatif qui me vient automatiquement à l’esprit est celui de « grouillant ». Car ça grouille de partout. Dans les rues. Dans les échoppes. Dans les casiers à crevettes et à crabes. Tout est en mouvement et tout va très vite. Cette réflexion est valable d’une façon générale pour New York mais c’est encore plus frappant à Chinatown. Les bouches d’égouts fument devant moi comme dans les films. Je prends un gros kif ici et il faudra que je revienne avec mon numérique c’est certain.

Il n’est que 18h30 mais j’ai faim et m’arrête dans un resto chinois pour calmer mon estomac. Je choisis un plat un peu au hasard et me retrouve avec une énorme assiette de nouilles ayant l’apparence et la consistance d’asticots. C’est pas ragoûtant mais en revanche c’est délicieux. On m’apporte du thé dès que je m’assois et le serveur vient régulièrement me resservir. Il n’y a que des asiatiques autour de moi. Je vois des filles à tomber à la renverse. Foutues comme des déesses et d’une beauté envoûtante au possible.

Je me promène encore deux bonnes heures dans Chinatown après avoir dîné. J’ai l’impression d’être à Hong-Kong ou à Pékin mais plus du tout aux States. J’adore cet endroit !

Je remonte ensuite à pied le Lower East Side jusqu’à l’East Village. Je suis ravi car je commence à plutôt bien me repérer dans Manhattan. Je croise des coureurs de fond, médailles pendantes au cou, qui reviennent manifestement du Marathon de New York qui a eu lieu aujourd’hui.

A un angle de rue, je suis frappé de stupeur en tombant sur un bar faisant office de fumoir à chicha sur la devanture duquel il est écrit « Here you can smoke ! ». Je profite de cette occasion bénie pour cumuler les vices et aller me siffler une bière en fumant une cigarette. Cela fait plus d’une semaine que je n’ai pas fumé à l’intérieur d’un bâtiment et cela me fait tout bizarre de voir des gens fumer autour de moi. J’ai presque le sentiment d’être dans un local clandestin en période de prohibition. Car il n’y a que des fumeurs ici et tout le monde « mégote » à qui mieux mieux, faisant un concours à celui qui fumera le plus de clopes en un minimum de temps.

Le bar est magnifique. Je me trouve une petite place au fond sur une banquette confortable au milieu des consommateurs de chichas. Je ne vois que des couples qui se bécotent autour de moi. Je savoure ma bière. Savoure la musique délicieuse et la lumière tamisée. Savoure les odeurs de pomme, de banane et de fraise qui s’évaporent des narguilés. Et je savoure d’être là, tout simplement. Petit frenchy perdu dans la grosse pomme. Je me tiens compagnie tout seul, rêvasse et pense à vous. A ma famille, à mes amis, aux gens que j’aime et qui peuplent ma vie. A ceux avec qui je partage et j’échange au quotidien ou à l’occasion. A ceux qui sont loin de l’hexagone. Vous voyagez toujours dans mes pensées lorsque je m’expatrie mais, à ce moment précis, je ne pense qu’à vous.

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Il pleut pour la première fois lorsque je sors du bar. Je prends le métro et change de ligne à Time Square. Dans mon compartiment quasi désert entre un jeune black. Il est défoncé à mort et s’affale presque devant moi. Son futal baissé jusqu’au genoux laisse apparaître son caleçon. Il ne peut même pas garder la tête droite ni les yeux ouverts. Il a de l’écume aux coins des lèvres et il bave. Les gens s’écartent de lui…et je fais comme les gens. J’ai mal au cœur. Et mal pour lui.

Lundi 6 novembre

Levé à 9h30, je file prendre un brunch au déli du coin. Au programme, jus d’orange, café, deux œufs « over », jambon et pommes de terre sautées. Avec ça dans l’estomac, je vais pourvoir tenir un petit moment !

A 10 heures, je longe Central Park et m’arrête au niveau de la 76 Th Street pour aller visiter le très réputé Musée Américain d’Histoire Naturelle. C’est un des rares musées que je tiens absolument à faire. Je prends donc le pass à 30$ m’ouvrant l’accès à toutes les salles et tous les programmes. Ce musée se donne pour mission la découverte, l’interprétation et la diffusion des informations liées aux cultures de l’homme, au monde naturel et à l’univers. Vaste champ d’investigation s’il en est. Il est à la pointe de tout ce qui concerne les sujets qui affectent notre vie quotidienne et l’avenir de la planète et de ses habitants.

16h30 – J’ai passé plus de quatre heures dans ce musée. Quatre heures merveilleuses et fantastiques. Quatre heures de rêves. Difficile, voire même impossible, de résumer tout ce que j’y ai vu et appris. Le premier choc est de pénétrer dans une sphère gigantesque représentant la terre où sont projetés des films en trois ou quatre dimensions. J’en sais plus rien à vrai dire tant c’est géantissime. Nous ne sommes pas devant un écran mais littéralement dans l’écran. La coupole entière est vivante et animée. C’est fabuleux. Je me suis équipé d’un traducteur me permettant d’avoir les informations en français. Le premier film pose la question suivante : « Sommes-nous seuls dans l’univers ? ». Et pour tenter d’y répondre, on nous emmène visiter les planètes, les étoiles, les nébuleuses, la galaxie, la voie lactée, le cosmos. On y croise le soleil, la lune, Mars, Jupiter, la ceinture d’Orion. On se perd dans des trous noirs, on change de dimension pour finalement explorer l’Infini grâce aux images de la NASA et du satellite Hubble.

Ce voyage est une féerie. J’en ai les larmes aux yeux et la gorge nouée tant ce que je vois est fascinant et ce que je ressens irréel. Je découvre et ressens l’univers dans son immensité. Nous sommes dans l’univers autant que l’univers est en nous à travers le calcium de nos os, le fer de notre sang, l’oxygène de notre air…Tout ceci peut sembler confus lorsque c’est jeté en vrac comme je le fais, mais le film et les explications données sont au contraire très claires et pédagogiques. Si un jour j’ai des enfants, une chose est sûre, il faut qu’ils voient ça. Comme tout un chacun devrait le voir une fois dans sa vie d’ailleurs.

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Je découvre que nous ne sommes rien dans le cosmos. Absolument rien. Même pas un grain de poussière. Des milliards de planètes semblables à la terre existent, naissent et meurent chaque jour dans des milliards de galaxies. C’est une sacrée leçon d’humilité. Un cours magistral de modestie.

La second film, plus didactique mais tout aussi passionnant, nous éclaire sur la création de la terre. Sa gestation, sa naissance, son évolution. Il nous présente les différentes constellations. C’est un voyage interstellaire à la vitesse de la lumière sur des échelles de distances qui dépassent l’entendement. Complètement hallucinant donc indescriptible.

Ma prochaine étape s’appelle « Butterfly ». Nous pénétrons par petits groupes dans une pièce surchauffée pleine d’une végétation luxuriante où des dizaines de papillons en liberté brassent l’air de leurs ailes. Il y en a de toutes les espèces, de toutes les couleurs et de toutes les tailles. C’est un univers enchanteur. Manque plus que Merlin !Je fais des photos qui seront très certainement magnifiques. Tout du moins je l’espère. Des gros plans de folie de cet univers chamarré. Un papillon se pose même sur mon visage et les gosses autour de moi s’exclament « You’re a lucky man ! » en se tordant de rire.

Mes pas me guident ensuite vers le monde des dinosaures où des fossiles uniques au monde sont entreposés. De petites interview de scientifiques diffusées en boucle sur des écrans nous expliquent que la disparition de ces poids lourds est due à une pluie de météorite qui a modifié l’atmosphère terrestre jusqu’à la rendre irrespirable. Je déambule par la suite dans cinq ou six halles immenses présentant la vie terrestre et aquatique sur les différents continents, l’évolution des espèces et, parmi elles, de l’homme. Sublime ! Dans un hall, une baleine grandeur nature est suspendue au plafond…c’est énorme cet endroit !

Mon parcours se termine enfin au théâtre IMAX, un des plus grands écrans au monde, où est projeté un film intitulé « Galapagos ». Nous voyageons sur des îles volcaniques où vivent varans et tortues géantes, ainsi qu’au tréfonds des océans où évoluent des espèces de poissons et de crustacés pour le moins étranges. Le but de cette promenade est de nous montrer que la Vie s’adapte à tous les milieux. A condition de ne pas détruire ce qui fait l’essence même de notre planète soit la terre, l’air et l’eau. Ce que nous sommes d’ailleurs en train de faire soit dit en passant. Et les américains ne sont pas les derniers de la caravane si l’on se réfère aux récents sommets concernant la terre et l’écologie. Cela donne à chacun matière à réfléchir, c’est le moins que l’on puisse dire.

Quoi qu’il en soit, je sors de ce musée littéralement enchanté par ces quelques heures et riche de tonnes de photos dans mon appareil. J’ai souvent pensé à toi Karine lors de ma visite car je sais que ce lieu t’aurait passionné. J’espère que tu auras un jour l’occasion de t’y rendre.

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Je remonte Columbus Street, m’avale un chocolat chaud et un muffin crème chocolat, tous deux délicieux, au Starbuck Café du coin et achète le « New York Sun ». Merde alors ! Les fromages qui puent font encore les gros titres des quotidiens américains. Celui-ci ouvre sa première page sur « L’escalade de la violence qui menace la France ». Apparemment, les émeutes ont gagné le centre de Paris et la nuit a été chaude place de la République samedi. Le canard précise que plusieurs flics se sont faits tirer dessus, que Supermenteur est intervenu à la télé et que la Vème République vacille. Rien de moins ! Il est également fait état d’une contagion des émeutes en province, dans les grandes villes et plus particulièrement dans le sud de la France, à Nice et à Cannes. Des écoles et des bureaux de poste sont brûlés en banlieue et les minorités musulmanes, arabes et nord-africaines, sont montrées du doigt. Bigre, cela fait vraiment bizarre de suivre les infos d’ici.

Il est 18 heures, je rentre fissa à l’hôtel, prépare mon sac de sport et cours à la boxe. Je vais y aller mollo ce soir car cela me relance grave de la fesse au mollet gauche. Putain, ça fait chier ce truc !

Lorsque j’arrive au Gleason’s, Country m’accueille d’une grande tape dans le dos en me disant « How are you today baby ! ». La salle est pleine à craquer. Je lui raconte ma visite au zoo du Bronx et il m’explique que s’il y a autant de monde à s’entraîner ce soir, c’est qu’une compétition se prépare. Je crois comprendre qu’il s’agit des fameux « Gloden Gloves », mais n’en suis pas certain.

Je travaille une bonne heure. Cinq à six rounds de shadow devant la glace suivis d’une dizaine au sac. Et je me tire prendre ma douche. Je me lave encadré par deux blacks baraqués comme pas possible et tatoués de partout. J’ai presque l’air d’un gringalet doublé d’un premier communiant moi au milieu ! Je me rends ensuite à l’accueil pour acheter un sweat-shirt à 40 $ estampillé « Gleason’s Gym ». Histoire de pouvoir me la péter un minimum en rentrant ! Bah ouais quand même !

Je suis à l’hôtel à 21 heures, bouffe dans un fast food à 22 heures et me gèle le cul sous ma petite couverture de merde à 23 heures. Demain à New York, on vote pour les municipales. Le choix se fera entre, côté droit Mike Bloomberg dit « Iron Mike », le Républicain bilionnaire sortant, et côté gauche Freddy Ferrer, l’outsider démocrate nous venant tout droit du Bronx. Un combat en un seul round qui ne semble pas captiver le public. Faut dire que les bookmakers donnent Bloomberg gagnant à dix contre un. J’y connais que dalle en matière de politique new-yorkaise mais, après avoir étudié le palmarès des deux sportifs et lu leurs tracts, j’espère qu’ils se trompent. Un démocrate à la tête de NYC, avouez que cela aurait de la gueule par les temps qui courent pas vrai ?

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Mardi 8 novembre

Je me lève de bonne heure, prends un petit dèj’ vite fait. Passe un coup de fil à ma mère qui me confirme que c’est le bronx dans les banlieues françaises et que mille bagnoles y crament toutes les nuits.

Métro ligne C direction « Brooklyn ». Je suis à la salle de boxe à 10h30. J’en ressors à 14 heures. Putain, j’y ai encore passé trois heures et demie sans m’en rendre compte ! Je suis ravi de mon entraînement. Après les rounds préparatifs habituels, Country m’a fait tafer les déplacements, les enchaînements de coups et plus particulièrement la vitesse d’exécution de ces derniers. J’avais la patate aujourd’hui et je commence à me sentir vraiment à l’aise dans la salle donc, tout logiquement, je boxe mieux. Plus « rilax » comme dirait Country. Il a gratifié mes coups de « nice and very nice » et de « you’ve got it baby » auxquels je n’était pas habitués jusqu’ici. Plaisante pour lui comme pour moi, la séance a duré plus longtemps que d’habitude.

Pour terminer, il a enfilé lui-même les gants et m’a dit de le rejoindre sur le ring. Franchement, ça a été un énorme kif et, se reflétant sûrement dans les miens, j’ai vu ses yeux pétiller de plaisir. Il a pigé que si je suis loin d’être un boxeur technique, j’ai quelques autres atouts. J’avance sans cesse et je n’ai pas peur de prendre des coups. J’entends encore Bernard s’exclamer « Les coups, tu peux y aller, Boris il adore ça ! ». Alors j’ai avancé en retrouvant mon assurance de la salle parisienne. Esquivant correctement ses directs et ses crochets, bloquant ses jabs, et envoyant des droites à assommer un bœuf. Hector Roca, entraîneur de nombreux champions spanish, nous a regardé et m’a félicité sur le punch de ma droite. Inutile de dire que j’ai jubilé !

J’ai terminé l’entraînement au sac puis regardé Tony Maglionori effectuer le sien. Monstrueux ce que j’ai vu. On est pas champion du monde junior pour rien. Les media le présentent comme le successeur des grands champions italo-américains dont Jake La Motta, aka Raging Bull, est sans doute la figure la plus emblématique.

J’ai ensuite demandé à Country si je pouvais laisser mes gants et mes chaussures dans son bureau perso car à vrai dire j’en ai ma claque de visiter New York chargé comme une mule. J’ai pris soin de lui préciser que ce n’était que pour trois jours. Et il m’a gentiment répondu en se marrant « It’s all right Boris, that’s not a problem ».

En rentrant dans les vestiaires, j’ai retrouvé le jeune boxeur pro dont j’ai déjà parlé. On a échangé un bon moment. C’est un type vraiment sympa qui vient d’Albanie. Il m’a raconté sa vie à Tirana. La misère, le chômage, l’insécurité et son exil aux States en compagnie de sa petite amie. Le rêve américain n’est pas mort pour tout le monde. Je lui souhaite sincèrement de réussir même si, dans le milieu sans pitié de la boxe professionnelle, c’est tout sauf une évidence. Après un échange d’e-mails, je fonce faire des photos sur le pont de Brooklyn.

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J’ai une vue majestueuse sur toute la skyline, cette forêt de gratte-ciels. L’architecture de ce pont en fait un monument à part. Au milieu de celui-ci, un black tutoyant les deux mètres, sapé en tenue de camouflage, vient m’agresser verbalement en me demandant pourquoi je le suis alors que je suis concentré en train de prendre un cliché. Je l’emmerde ce con, s’il croit que je n’ai rien d’autre à foutre, il se goure le géant vert ! Car je veux voir Ellis Island this afternoon.

15h30 – C’est raté pour Ellis Island et pour la statue de la Liberté. Du moins pour aujourd’hui. Le dernier ferry est en train de lever l’ancre lorsque j’arrive à Battery Park. Pas grave, je décide de prendre le métro et d’aller me promener à Brooklyn. Je trouve une place assise lorsqu’un jeune black vient s’asseoir à côté de moi dans la rame. Il tient à la main son cahier de rime sur lequel il se penche. Puis il commence à scander son texte à voix haute dans la voiture. Il compte ses mesures. Je ne pige pas tout si ce n’est qu’il cherche un sens à sa vie et qu’il se demande ce qu’elle serait s’il était blanc. C’est drôle car il passe complètement inaperçu auprès des autres voyageurs qui n’y prêtent aucune attention. Comme si c’était quelque chose de totalement habituel. J’imagine la gueule des gens s’il faisait cela à Paris. Et je me marre d’avance !

Je m’arrête à Bourrough Hall. Ce n’est pas le même New York que Manhattan ici. La culture est plus proche de celle de Barbès que de celle de Wall Street. Le coin est populaire, noir et grouille de monde. Du rap s’échappe de toutes les boutiques de sapes, de téléphonie et de bijoux qui n’en finissent pas de se succéder. Les trottoirs sont squattés par des vendeurs de fringues à deux dollars et autres marchandises manifestement tombées de nombreux poids lourds. Je rentre dans une boutique et m’achète une nouvelle parka, en ne réfléchissant surtout pas à la manière dont je vais pouvoir ramener tout mon bordel car cela flinguerait le plaisir !

Je me promène environ deux heures avant de rentrer au bercail. J’achète le « New York Times ». La photo d’un bus en feu à Toulouse fait la couverture. J’apprends la mort d’un ancien ouvrier de chez Renault, tabassé par des émeutiers. Quelle barbarie ! L’article fait état d’une contagion de la violence dans de nombreuses villes de province. Et également de quelques incidents en Belgique et en Allemagne. Le gouvernement américain déconseille désormais à ses résidents de se rendre en France. S’ensuit un article de fond qui analyse la fracture qu’il y a entre la société française et la police. Et plus particulièrement les populations issues de l’immigration qui y sont sous-représentées. Sarkozy semble accusé, même au sein de la police, d’avoir mis le feu aux poudres en utilisant un vocabulaire déplacé dans la bouche d’un ministre et insultant pour toute une frange de la population. C’est le moins que l’on puisse dire !

Et l’article de poser la question sur laquelle, me semble-t-il, on ne pourra pas faire l’impasse suite à ces événements. Le sacro-saint principe français de l’égalité des chances est-il toujours d’actualité ? Quid de la discrimination positive ? Modèle français contre modèle américain d’une certaine façon. On sent comme une certaine jubilation des journalistes américains lorsqu’il s’agit de démontrer que le système français est archaïque et créateur d’inégalités.

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Une sorte de jouissance à stigmatiser ce peuple qui traîne derrière lui une sacrée réputation de donneur de leçons. Le journaliste cite un policier français disant « Auparavant, on enfilait notre uniforme à la maison pour nous rendre au travail. Désormais, on se change au poste ».

Pour en revenir à ce que je peux observer ici, je dirais que la police est très apparente pour ne pas dire omniprésente. On voit les policiers en uniforme manger dans les fast-foods, faire leurs courses dans les magasins…Ils sont de toutes les origines et de toutes les couleurs, ce qui n’est pas franchement le cas en France. Leur slogan est apparent sur les uniformes et sur les voitures et tient en trois mots « Courtoisie, Professionnalisme et Respect ». Toutefois, même si je suis forcé de reconnaître que je suis loin de ressentir la même tension urbaine (plutôt que de parler de sentiment d’insécurité) ici qu’à Paris, je me garderai bien de dresser un portrait idyllique de cette NYPD tant elle a pu être critiquée pour sa dureté dans l’application de la « politique de tolérance zéro ». D’aucuns diront même son racisme et ses excès de zèle.

Bref, je vais vous résumer ce qui transparaît ici en une phrase et à la lecture des quotidiens : la France, ça donne vraiment pas envie d’y aller !

Je descends manger un morceau sur Broadway et, comme j’ai promis à ma famille de ramener des images, je filme plusieurs petites scènes dans les lumières de Theater District. J’arpente les grandes avenues de 21 heures à minuit et je rentre en grimaçant pour cause de traînage de patte gauche.

Lorsque j’arrive à l’Hôtel, c’est « Waterworld » à mon étage. Quelqu’un a dû oublier de fermer son robinet (ou l’a laissé ouvert exprès en quittant les lieux, ce que je ferais peut-être d’ailleurs moi-même !) et je chante « I’m singing in the rain » en slalomant entre les infiltrations d’eau qui s’échappent du plafond pour aller noyer la colonie d’acariens colonisant la moquette paléolithique.

Je m’allonge sur mon lit, écoute de la zique sur mon MP3 et tombe sur un morceau datant de la fin des années 90 qui fait écho aux événements se déroulant en France actuellement. Il nous propose un « tour du monde en 80 mesures ». Ca te dit quelque chose hein frangin !

« En théorie, j’suis né en France donc ce pays m’appartient,Mais dans les faits, j’suis obligé d’admettre qu’on en est bien loin,

Issu d’la main d’œuvre étrangère dont le système abuse,J’suis d’la deuxième génération, celle que le système accuse.

Un système qu’on refuse, on a des revendications,Mais le problème reste la communication.

L’autre jour un jeune homme s’est fait tuer dans un poste de police,On a voulu s’faire entendre pour faire agir la justice.

Le lendemain, monsieur tout l’monde ne parlait plus d’la bavure,Mais d’une bande de jeunes en colère qui proféraient des injures.

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J’essaie d’expliquer, mais on ne veut pas m’écouter,J’ai vu l’jour dans une cité, alors on veut t’faire croire que j’suis un illettré

Enfin c’est l’équation habituelle, l’opinion des gens qui ne savent pasEt qui s’en mêlent, l’opinion des gens qui s’enferment dans leur dédain,

On ne voit que ce qu’on veut voir quand on voit de loin.Il paraît qu’on a tous les mêmes droits devant la justice et pourtant,Vendre du shit c’est plus risqué que de s’appeler Maurice Papon,

Ca doit dépendre des relations, où peut-être qu’il y a un date de péremption,En tous cas 50 ans plus tard on ne sent plus l’odeur des camps de concentration,

Ca porte un nom, c’est l’Education et on l’oublie,Un truc qu’on t’apprend à l’école et dont tu dois te servir toute ta vie,

Mon avis, c’est qu’ils nous mentent tous depuis la naissance,J’pense qu’on nous apprend à nous taire tu sais par où ça commence,

Enfance, le stade où tu la fermes et t’écoutes,Adolescence, le stade où tu l’ouvres et personne ne t’écoute,

De 25 à 60, tu fais ta place donc garde pour toi ce que tu penses,Passées 60, tu seras d’retour à la case adolescence,

Les gosses rêvent plus d’être pompiers, normal après tout ça,Dis-leur petit : « plus tard j’ai envie d’être chômeur comme Papa »

D’autres rêves de devenir riche pour pouvoir tout changer,Changer ce monde, mais à l’arrivée c’est l’monde qui les a changés.

J’passe direct au développement sautant l’introduction, y’a pas d’conclusion,C’est juste un résumé de ma vision,

L’opium du peuple est l’argent, l’amour n’est plus qu’illusion,Pourtant la terre tourne encore mais surtout en dérision,

L’Etat fait d’nous des esclaves, et il faut l’dire,Si son rôle était d’nous servir, pourquoi nous asservir ?

L’avenir quand t’as mon âge, c’est l’chômage qu’on te propose,Du coup chaque fois que j’pense à l’avenir, j’essaie d’penser à aut’chose,

Avec ou sans diplômes, là n’est pas la question,La question serait plutôt « avec ou sans piston ?»,

La société est comme ça, j’croyais que l’argent se méritait,Mais certains l’ont pas mérité, la plupart en ont hérité,

Vérité, c’est ça qui fait que d’autres encaissent mal le choc,Et ça va loin, des fois jusqu’à faire des gosses pour les allocs, triste époque !

Demande à Ben, l’horreur est humaine,Mec du FN qui veulent nous apprendre à nager dans la Seine,

Des sirènes, des villes en polystyrène construites à l’écart,Où ne passent pas les cars touristiques, à l’écart de vos regards,

Des espoirs qui sont si vains qu’on les perds à l’usure,Désespoir, le tour du monde en 80 mesures.

Puzzle – « Le tour du monde en 80 mesures » - 1999

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Mercredi 9 novembre

Je sors du lit à 9 heures et file vers South Ferry pour me rendre à Ellis Island et voir la statue de la Liberté. J’veux pas me faire avoir comme hier. J’irai à la boxe plus tard dans l’après-midi. Après avoir été fouillé des pieds à la tête, chaussures comprises, je suis dans le ferry à 11 heures.

11h25 – Ca y est, je suis devant la statue de la Liberté. Grande dame majestueuse, flambante et flambeuse. Premier symbole de l’Amérique qu’apercevaient les immigrants arrivant en bateaux de tous continents et tous pays dans le port de New York.

Construite par Gustave Eiffel, elle ne sera considérée comme faisant partie du patrimoine historique américain par les américains eux-mêmes qu’après la seconde guerre mondiale et leur intervention en Europe. Elle dresse en direction du large, de son bras droit la flamme de la liberté et tient sous son bras gauche le livre représentant la Constitution américaine. Les sept épines de sa couronne symbolisent mers et continents. C’est sympa à voir et rigolo de se photographier devant - ce que je n’ai pas manqué de faire - mais pas inoubliable ni renversant non plus.

Je reprends le ferry pour Ellis Island. C’est sur cette île qu’étaient parqués les candidats à l’immigration américaine. Populations particulièrement nombreuses au 19ème siècle et début du 20ème. Difficile de ne pas être ému aux larmes durant les deux heures que durent cette visite. Je suis équipé d’un traducteur portatif et me promène à mon rythme dans ces bâtiments où se sont entassés des millions d’hommes et de femmes qui attendaient leurs sésames pour le nouvel Eldorado. Ils étaient regroupés dans un grand hall avant de subir examens physiques et psychologiques destinés à vérifier s’ils étaient aptes ou non à fouler le sol de Manhattan et par conséquent à devenir citoyens américains. Moult interrogatoires étaient requis pour savoir s’ils n’allaient pas devenir une charge pour ce pays en construction et s’ils étaient en mesure d’en garantir les valeurs. Les malades étaient refoulés et les familles souvent éclatées, voire déchirées. Ils pouvaient passer ainsi des semaines à attendre le verdict sur ce petit bout de terre, en proie aux margoulins de tous poils s’escrimant à escroquer leurs quelques dollars contre des rêves en forme de passe-droits.

Qui n’a pas vu Ellis Island ne peut comprendre l’Amérique et les Américains, c’est une évidence. Combien de millions de cris, de pleurs de joies ou de déceptions, de sentiments mêlés et diffus ont pu contenir ces murs ? Ce lieu est tellement chargé en Histoire, en émotions et en tranches de vies que le pénétrer est un bouleversement. J’ai compris aujourd’hui pourquoi je vois tant de kippas à New York dans les regards de ces milliers de juifs fuyant l’horreur des pogroms en Europe de l’Est. La construction de ce nouveau pays, ce rêve prométhéen, a attiré tant de miséreux et d’intrépides venant des quatre coins du monde comme autant d’insectes aimantés par toutes ces lumières de la ville.

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Le pire comme le meilleur étaient au rendez-vous de l’Histoire et de leurs propres histoires. A savoir, la sélection et le melting pot.

J’ai pris des tonnes de photographies, fasciné par tous ces sourires, toutes ces larmes, tous ces visages et toutes ces expressions en noir et blanc. Je n’avais jamais vu pareil lieu retraçant la naissance et la construction d’une nation à travers ses habitants. Je n’oublierai pas ce voyage à Ellis Island. J’ai tant appris aujourd’hui. J’y ai laissé quelques larmes aussi. Je ne peux vous en dire plus et vous laisserai le soin de découvrir mes photos si le cœur vous en dit. Nul besoin de commentaires superflus tant elles parlent d’elles-mêmes.

16 heures – Je n’ai rien dans le ventre excepté le cookie au chocolat grignoté à 9h30 ce matin. Je trace donc vers Brooklyn et m’arrête manger un burger dans un déli près du Gleason’s gym. Je suis crevé et j’ai mal au dos mais je m’en branle. Après cette cascade d’émotions, il faut que je m’empresse de « lâcher la pression » comme dirait Lino.

Je regarde la télé dans le resto pour la première fois depuis que je suis aux Etats-Unis. CNN diffuse en boucle des images sanguinolentes d’un attentat-suicide ayant fait plus de cinquante morts dans l’explosion de trois hôtels à Amman en Jordanie. Ce monde m’effraie, m’attriste et me dégoûte à la fois. Où que l’on aille, la violence nous colle aux basques comme un vieux chewing-gum. Je n’ai qu’une envie, oublier tout le reste et aller boxer. Sur un ring, c’est clair que la confrontation est parfois violente, mais au moins il y a des règles.

Il est 19 heures. Je suis assis sur un tabouret dans un coin de la salle. J’écris bercé par le bruit mat du martyr des sacs de frappe, des cordes à sauter fouettant le sol et des gants s’entrechoquant sur le ring. Mon écriture est rythmée par le gong électronique qui, toutes les trois minutes, résonne d’une cloche stridente annonçant fin et début des rounds.

Il y a une bonne cinquantaine de personnes maintenant. Lorsque je suis arrivé, nous étions environ trente pékins. Un cameraman et des photographes étaient là pour shooter en technicolor un boxeur balèze entouré de costumes trois-pièces faisant la promotion d’un quelconque produit. Je me suis fait entreprendre par un mec qui, lorsqu’il a compris que j’étais français, m’a raconté avoir boxé pour les frères Acariès et combattu contre Fabrice Bénichou et consorts. Un échange bien sympa ma foi.

Après ma petite demi-heure d’échauffement rituelle, j’ai mis les gants et suis monté sur le ring pour travailler avec Country. J’ai découvert qu’il n’était pas franchement du soir. Et ce n’est rien de le dire ! Peut-être était-il fatigué ou de méchante humeur, je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que je ne me suis pas franchement marré ce soir. Comme je ne pige qu’un mot ou une phrase sur deux avec son putain d’accent, je me suis fait engueuler à de multiples reprises, c’est le cas de le dire !

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« No Boris, you always say “yes, yes” when I speak to you, but you don’t do what I say and what I want ! ». Et, lorsque l’on sait que les enchaînements sont basés sur la rapidité d’exécution, on peut piger que la fraction de seconde qui m’est mentalement nécessaire pour comprendre et traduire l’américain en français me met dans le vent. Une putain de fraction de seconde se plaît à foutre le bordel entre mes jabs, mes crochets et mes uppercuts. Du coup, j’esquive mal et, c’est la loi en boxe, j’en prends quelques unes dans la tronche. Elles ne me font pas mal mais me vexent à mort et me foutent la rage car je sais pertinemment qu’à Paris, dans un autre contexte, je ne les prendrais certainement pas ces coups-là.

Aussi, lorsque cette longue série d’exercices à la con se termine enfin, je demande à Country de mettre les gants contre moi comme hier et de nous mettre en situation de combat libre. Et là, lorsque je me lâche, que j’avance, tape comme un ours et esquive comme je sais le faire, il s’écrit «Yeah ! that’s better guy…It’s nice now ».

Pour résumer, un jour Bernard m’a dit « Je ne comprends pas Boris, dans la vie tu n’es pas bête et pourtant sur le ring tu boxes souvent comme un abruti ». Autrement dit, j’avance tout le temps pour distribuer mes coups sans me préoccuper de ceux reçus. Roland appelle ça « l’école sacrificielle ». De celle qui a vu éclore son lot de grands champions à la Rocky Marciano mais qui ont tous fini avec des gueules cassées tant ils étaient abîmés par les coups. Sans parler de ceux qui ont terminé « en marchant sur les talons » selon l’expression pugilistique consacrée.

Bref, je vais vous expliquer comment je ressens les choses. Pour moi, la boxe c’est un peu comme du théâtre. Une façon de sortir de sa vie et de soi-même, d’interpréter un rôle. Le ring est une scène sur laquelle évoluent deux acteurs. Le public est autour, plus ou moins fourni en fonction de la notoriété desdits acteurs. Ce ne sont pas trois coups qui résonnent pour annoncer le début de la représentation mais un gong bien sonore qui se fait entendre pour démarrer le combat. Et le kif dans tout ça, c’est que c’est de la totale improvisation. Rien n’est écrit à l’avance et la pièce prend forme au fil des rounds, avec ses rebondissements et parfois mêmes ses renversements de situations. Certaines pièces sont chiantes tandis que d’autres sont fabuleuses. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cinéma et boxe se sont souvent rencontrés. De « Rocky » à « Raging Bull », d’« Ali » à « Million dollar baby ». La boxe est un univers qui fait rêver et qui suscite des réactions, quelles qu’elles soient. Il n’y a qu’à regarder la carrière et la vie d’un Mohammed Ali pour se rendre compte qu’un grand boxeur est aussi un grand acteur et la boxe un réel spectacle avec sa mise en scène.

Je crois que j’aurais bien aimé faire du théâtre. Mais c’est aussi tellement excitant d’être « l’envers de soi-même » sur un ring. Ou d’être un autre soi. De laisser sortir ses pulsions animales et ses instincts primaires et violents. De pouvoir jouer les abrutis ou les bad boys. C’est une chance et une aventure de pouvoir changer les données et de pénétrer dans une autre dimension, un autre univers. Je vais sans doute passer pour un maso mais j’ai envie de dire que, si j’adore placer un bon coup, en recevoir un m’offre aussi le plaisir de me sentir bien vivant. De ressentir mon corps. Et puis, donner et recevoir, cela fait partie du jeu.

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Le combat « libre » est un moment ou l’on ne triche pas et ou l’on ne peut pas tricher car cela se voit et se sent très rapidement. Enfin, il m’est souvent arrivé de penser que la douleur physique possède une caractéristique bien différente de la douleur morale infligée par un mot, un regard, une absence ou une réflexion meurtrière : lorsque le gong retentit, elle passe rapidement. Enfin, en règle générale !

Tout ce que je viens d’écrire, cela va sans dire, n’est valable que pour moi. C’est une évidence. Je ne parle pas au nom des boxeurs en général et encore moins de ceux qui en font un métier. Leurs réalités sont bien différentes de tout ce que je peux vivre à mon petit niveau. Je parle juste comme un mec qui transpire trois soirs par semaine dans une salle parce qu’il aime ça, que cela le passionne et qu’il y a trouvé une famille de gens qu’il apprécie.

21 heures – Je mange à Chinatown. J’ai décidé de me faire un resto correct ce soir. Et ce n’est pas pour fêter la victoire écrasante de Bloomberg sur Ferrer (59% vs 39%) aux élections, soyez-en certain ! C’est juste que j’en ai ma claque de la malbouffe. J’ai commandé un plat au hasard et l’on m’a apporté une énorme assiette de porc recouverte de légumes de toutes sortes. Cela ne va pas me faire de mal de manger un peu de verdure car j’ai oublié le goût que cela avait. Tout ceci est arrosé d’un thé maison succulent. Yeah, c’est la fête ce soir !

Le plat était délicieux et super copieux. J’ai l’impression d’être un sumo qui vient de terminer son dessert un soir de Noël. Devant moi, je regarde crabes, langoustes et poissons se faire chier dans leurs minuscules aquariums en vitrine. Un jour ou plutôt une nuit de répit les gringos. Au moins, vous ne vous ferez pas bouffer ce soir. Ceci dit, votre avenir n’est pas des plus rose, je ne vous le cache pas. Mais à voir les tristes mines que vous tirez les uns les autres, il semble que vous vous en doutiez !

Je me promène une petite heure dans Chinatown mais il se met à pleuvoir. Je prends le subway vers 22h45. Un clochard dans un piteux état est allongé dans la rame. Son caddy de fortune est ballotté de droite à gauche et rythme les arrêts aux différentes stations. Je traîne un peu sur Broadway et rentre à l’hôtel.

La lecture du « New York Post » m’apprend que des couvre-feux sont établis en France et que l’état d’urgence est décrété. Une première depuis les événements algériens. L’opposition socialiste crie à la provocation. J’ai bien l’impression que mon retour au bercail va s’effectuer dans une « drôle » d’ambiance.

Je passe une très sale nuit. Je n’aurais sans doute pas dû vider la théière du chinois ! Je cauchemarde de minuit à trois heures et « insomnise » de trois à six. Je tends le bras, attrape mon MP3 sur la table de nuit et écoute Gage chantonner une petite ballade qui me laisse un tantinet pensif :

« Comme j’ai donné, on m’a rendu mais en malComme j’ai aimé, on m’a aimé mais si mal

J’aimerais devenir comme beaucoup d’hommes ici bas

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Penser et faire tout comme le dicte le basJ’ai essayé de me laisser tenter

Et Dieu qu’elles sont belles, aimantes et belles à sombrerJ’ai résisté quand rien n’était à sauver

Je prie qu’un jour par vice je puisse me laisser aller

Même si…J’sais pas comment être un autreJe ne me laisse que c’dur choix

Rester l’homme d’une seule femmeEn aimer qu’une à la fois

J’aimerais bien faire comme d’autresMais le cœur ne me laisse que pour choix

De rester l’homme d’une seule femmeEt n’aimer qu’elle à chaque fois

Quand j’ai donné, on m’a trompé en amourComme j’ai tant aimé, j’aimerais reprendre à mon tour

J’aimerais devenir un homme, un vraiTombeur sans scrupules ni remords, un clichéEtre bien entouré mais seul et léger et passerSans m’engager, jamais rester, juste passerQuelle vie ce serait que de toucher et laisser

Je prie qu’un jour par vice je glisse, un homme peut rêver

A quoi bon la vertu si je n’en profite pas,A quoi bon j’y crois plus, et je ne resterai que moi alors

Y’en a-t-il au moins une, une qui se contentera,D’un fidèle jusqu’aux tripes, qui dès qu’il tombe s’agrippe,

Et reste là

Même si… »

Gage – L’homme d’une femme( Album « Soul Rebel » - 2005)

Jeudi 10 novembre

Le réveil est difficile mais je me lève à 9h30. C’est mon dernier jour complet à New York. Je décide donc d’en faire exclusivement une journée de détente et de plaisir. Un jour rien que pour moi. Et puis j’ai encore des lieux à découvrir ici.

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Je prends mon petit-déjeuner cookie-café dans un Starbuck au niveau de la 96 Th Street et opte pour la visite de l’Empire State Building pour pouvoir profiter de la lumière de midi.

12h15 – Je me tape une trentaine de minutes d’attente pour visiter celui qui est redevenu le plus haut gratte-ciel de Big Apple depuis la disparition des tours jumelles. A 14 $ la grimpette, le panorama a intérêt d’être sympa !

13h45 – J’engloutis deux parts de pizza arrosées de coke sur la 42 Th Street. L’escalade des 86 étage de l’Empire State valait largement le coup. L’ascenseur te propulse tout en haut en moins de deux minutes. Les oreilles se bouchent avec l’altitude. La vue est splendide sur la terrasse. On a l’impression de dominer New York et par là-même d’être sur le toit du monde, noyé dans une forêt urbaine. Sensation de gigantisme assez extraordinaire. On s’attend presque à voir surgir King Kong ou Spiderman au coin d’un building. J’ai adoré et crois avoir pris des clichés qui déchirent. D’ailleurs, j’ai été surpris de constater que j’ai sur ma carte mémoire quelques 650 photos. Je ne pensais vraiment pas en avoir pris autant.

Pas le temps de digérer, je trace à pied pour rejoindre le quartier de Turtle Bay et visiter le siège de l’ONU. Je kife vraiment mon voyage. Il est riche, divers et varié. Et cela va vite. Tout ce que j’aime !

Je fais un crochet par Grand Central Station car la dernière fois, en attendant Joana, je m’y étais peu attardé. En parlant de Joana, je ne l’ai pas rappelée et j’ai franchement honte. Je me fais la promesse de lui envoyer un mail de Paris pour m’excuser. Le truc, c’est que je me suis dit que je n’allais rien comprendre au téléphone. Ensuite, je me suis convaincu qu’il était trop tard pour la rappeler. Bref, en étant honnête avec moi-même, je crois que ce sont juste des excuses bidons pour ne pas admettre que je suis bien tout seul et que l’option batifolage n’est pas à mon ordre du jour en ce moment. En English, cela donnerait « I do what I want, when I want and as I want ». Ceci dit, faut que je me surveille car sur cette pente, je vais bientôt finir par taper le carton avec les ours du Bronx moi !

Bref, cette parenthèse fermée, Grand Central Terminal est un endroit à voir. Un des symboles de New York et un lieu qui a été immortalisé par de grands cinéastes et photographes. J’ai encore en mémoire une scène de fusillade incroyable du film « Les incorruptibles » qui se déroule sur ces escaliers. La lumière provenant des verrières magnifie cet endroit déjà architecturalement remarquable.

Je reprends ensuite ma promenade le long de la 42 Th Street, tourne à gauche sur la First Av. pour enfin apercevoir un immense bâtiment en verre abritant le siège des Nations Unies. Je fais le tour, emprunte la voie destinée aux visiteurs et me retrouve dans une foule compacte de possesseurs de dentiers et de sonotones derniers cris. Et, tout en faisant considérablement baisser la moyenne d’âge de la file d’attente, j’ai comme l’impression désagréable que ces honorables retraités de tous poils vont me faire attraper une véritable crise d’apoplexie.

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Car, comme on peut aisément l’imaginer, le siège de l’ONU est une cible potentielle d’attentats et donc, fort logiquement, un lieu des plus protégés. Et ils sont si tatillons sur le moindre bout de ferraille que je crois que si j’avais mangé des épinards la veille, il aurait mieux valu que je ne pète pas sous le portique sous peine de déclencher le bouzin tant ils sont sensibles à la détente leurs appareils. Il nous faut donc vider la monnaie de nos poches, retirer montres et bijoux ainsi que piercings aux tétons et aux clitoris. Bon, faut reconnaître que, compte tenu de la fraîcheur du public, ce n’est pas cette dernière opération qui nous prend le plus de temps. Mais pour ce qui est du reste, c’est une véritable catastrophe humanitaire. Et tout ça au siège même de l’ONU. Envoyez les casques bleus pour les aider les vioques, cela ira plus vite ! La nuit va bientôt tomber et j’ai un avion à prendre moi demain les gars !

Un septuagénaire fait le cirque sous le portique pour enlever sa ceinture comme s’il n’y avait personne derrière lui. Bah non mon grand, les rides et ridules n’exonèrent pas de suivre les mêmes règles que tout le monde. Pis on en sait rien au fond, peut-être qu’Oussama a pris un méchant coup de vieux, s’est rasé la barbe et a désormais pour passe-temps favori de faire chier jusqu’à rendre dingue les services de sécurité de l’ONU. Tout est possible merde !

Mon dieu, quand mon tour viendra, faites que je ne vieillisse pas comme ça. Car certains s’en sortent beaucoup mieux. Mais si, j’en connais…et les bise au passage !

Ce parcours du combattant version poilus des tranchées passé, je me dirige vers le comptoir des visites guidées. C’est mort pour une visite en français car elles n’ont lieu que le matin. J’opte donc pour une présentation dans la langue de Shakespeare (t’as vu Léon, je sais l’écrire maintenant. Et pour pas un rond !). Et je n’ai pas plus le choix que cela car, à vrai dire, j’ai un peu peur de patiner sur certains mots en suédois ou en japonais.

La visite dure une heure. Pour ce que j’en comprends, soit environ un tiers, elle est passionnante. Le guide, un type plutôt sympa et dynamique, nous retrace l’histoire de l’ONU depuis sa création et nous présente les pères fondateurs jusqu’à Kofi Annan. Il nous explique les connexions avec d’autres organismes style UNICEF ou UNESCO. La présentation est interactive et il fait participer le petit groupe d’une dizaine de personne que nous formons en posant des questions. Je n’ai qu’une trouille, c’est qu’il m’en pose une et que, si tant est que je la comprenne, je sois dans l’obligation de lui répondre devant tout le monde avec mon anglais à la Arafat. Hilarité assurée pour les autres mais pas forcément pour moi ! Par chance, et peut-être aussi parce que je joue le cancre du fond de la classe, j’y échappe.

Le guide nous expose des chartes et nous montre des cartes expliquant les objectifs et les interventions de cet organisme qui, s’il ne prétend pas être un gouvernement du monde, se veut une force au service de la paix. Moi, j’en ai surtout entendu par le biais de ses résolutions et embargos. De l’Afghanistan à l’Irak, du Darfour à la Côte d’Ivoire, nous passons en revue les pays dans lesquels les casques bleus sont récemment intervenus.

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Tout aussi intéressant, nous visitons les salles de réunions. Celle du Conseil Economique et Social ainsi que l’assemblée où débat le Conseil des Résolutions. Et, comme les pays membres siègent durant notre visite, nous nous posons dans les fauteuils destinés au public. Et là, un kit de traduction dans l’oreille, nous suivons les débats et assistons à dix minutes d’une session de l’ONU. Bonne surprise ça ! Je suis content et curieux de découvrir la façon dont cela se passe. On a tellement l’impression, vu de l’extérieur, que c’est une usine à gaz ce machin. Un truc de technocrates à la solde des US quoi !

Anecdotiquement, comme dans tous les groupes, on a le droit à notre « pine d’huître ». Présentement, elle prend la forme et le visage d’un adolescent d’une quinzaine d’années, sans doute un surdoué échappé d’une éprouvette, qui sait tout sur l’ONU depuis ses balbutiements et pose sans cesse des questions au guide pour mieux montrer qu’il connaît par avance les réponses. J’suis certain que, fortiche comme il est, il pourrait aisément nous dire si Boutros-Boutros Gali a eu des hémorroïdes entre ses trente et ses quarante ans, voire nous donner la fréquence de ses crises.

Il a une tronche de vieux sur un corps de jeune le pauvre ! Imaginez la tête d’Einstein sur le buste frêle d’un ado prépubère et vous ne serez pas loin du compte. Je sais, ça fait très peur. Moi, rien qu’à le regarder comme ça, en biais et de loin, j’ai déjà la frousse ! Le pire c’est que, vu comme il démarre dans la vie le p’tit con, il est bien parti pour finir le cul dans un fauteuil de l’ONU. Et, s’il y arrive, ce dont je ne doute absolument pas, cela ne sera pas du côté du public, je le crains. Cela nous promet des lendemains qui chantent. J’en frissonne à l’avance !

Il est près de 16h30 et je speede pour prendre le métro et me rendre à Chinatown. J’ai quelques courses à faire, des fringues à acheter et surtout, je veux prendre des photos avant qu’il ne fasse nuit. J’y suis à 17 heures et flashouille tout ce que je peux flashouiller, filme tout ce que je peux filmer.

Je tombe sur une boutique qui est en fait un dépôt de matériel de la police de New York. C’est un peu comme si chez nous, on décidait de s’acheter une tenue de flic, de CRS ou de membre du GIGN. Etonnant ! Surtout que ce ne sont pas des copies mais bel et bien les t-shirts, les vestes, les chaussures montantes, les casquettes, les cagoules du NYPD. Plus étonnant encore, on peut repartir de la boutique avec leurs menottes, leurs gaz lacrymogènes, leurs tonfas et leurs flingues. C’est pas un truc de malade ça ? Et les prix sont ceux des fringues classiques. J’hésite à m’acheter une veste ou un sweat puis je me dis que je vais avoir bonne mine de me balader à Paris ou d’aller tafer avec cela sur le dos ! Je me dirige donc vers Mott St, résigné à jouer les touristes de base et à faire des achats en conséquence.

Je rentre dans une boutique bien achalandée et say « Hello ! ». Personne ne me regarde, personne ne me répond. Deux solutions s’offrent à moi. Soit je suis l’homme invisible ou une sorte d’hologramme et je ne le sais pas. Soit je viens d’entrer dans le premier magasin tenu par une compagnie de sourds-aveugles-muets. Aucune des deux ne me satisfait alors je décide de faire ma petite vie.

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J’ai envie d’acheter des fringues alors j’essaie des fringues. Le patron asiat’ me lance un regard noir. Je me dis que c’est normal pour un chinois et ne fais pas cas. J’essaie à nouveau un sweat et il vient me voir et me gueule dessus. Je ne pige pas un traître mot de ce qu’il me dit, si ce n’est qu’à la fin il me demande si je prends les deux sweats que j’ai mis de côté. Je lui réponds « yes » et décroche un autre vêtement pour l’essayer. Et là, mon Jet Li me pète dans les pattes ! Il se fout carrément en boule (et pas de geisha) et me dit que c’est la dernière fois que j’essaie un vêtement. Je le regarde médusé et lui réponds qu’avant d’acheter une fringue, il est somme toute normal que je vérifie si la taille est la bonne et si elle me va. Et l’autre de me gueuler dessus comme un abruti en hurlant à plein poumons « No trying, no trying !!! ». Je lui dis qu’il a bien fait de ne pas ouvrir un restaurant. Vous imaginez le truc ? Le premier resto où l’on commande son plat, où on le dévore des yeux mais où on a surtout pas le droit d’y goûter. Succès garanti. Il est dingue ce type ! Faut l’enfermer !

Toujours est-il que je précise que si je ne peux pas essayer, je ne prends rien et laisse les articles mis de côté. Et ce con de me répondre « It’s ok, go ahead and bye bye ». Ce qu’on peut traduire grossièrement par un « pas de problèmes, casse-toi peigne-cul et bon vent ! ». Je lui fais alors mon plus beau sourire, lui souhaite une excellente soirée et m’arrache de son magasin avec une grosse envie de lui renverser toutes ses piles de fringues au passage. Voire de vérifier in situ la vélocité des crochets et uppercuts que j’ai perfectionnés ces derniers jours. Mon envie subite se calme rapidement lorsque je m’imagine courant comme un damné dans Mott Street avec tout Chinatown au cul, les yakuzas sabres au clair sautant par les fenêtres et tout le bordel autour. Ceci dit, comme dirait mon frère, en 34 ans de métier, jamais vu une attitude pareille dans le milieu du textile !

Il est 18h30 et j’ai super faim alors je me dis que je vais me réconforter en mangeant un morceau. Et là, c’est le drame ! La loi des séries va de nouveau frapper ce soir.

Je rentre dans le premier boui-boui chinois que je vois. Comme ça, sans réfléchir ! Le type me place au fond de la salle, près d’un placard à balais ouvert. Et là, j’ouvre les yeux et mate où je suis. Je me frotte les yeux plusieurs fois puis me pince et me mords les lèvres jusqu’au sang pour vérifier un truc. Merde alors, c’est la cantoche de Sing-Sing ou quoi ? Et il a pris combien le cuistot pour être équipé d’un matériel dans cet état ? Laissez tomber, j’veux pas l’savoir ! Je regarde les serveurs. Il sont sales comme des peignes et tirent des gueules de croque-morts. A leur décharge, quand on bosse dans un merdier pareil et que l’on porte des vêtements noirs de crasse, difficile de cultiver sourires et joie de vivre.

Je jette un coup d’œil aux autres « détenus » autour de moi. A mon avis, ils doivent alterner les mecs. Les jours pairs ici et les impairs à la soupe populaire. Mais bon, mon thé est déjà fumant devant moi alors je ne vais pas me tirer maintenant. J’me suis déjà fâché à mort avec l’autre con d’en face, j’vais pas non plus me foutre à dos toute la communauté chinoise new-yorkaise. C’est qu’ils sont nombreux les bougres ! Et je ne suis guère motivé à l’idée de voir mon tendre cul finir en tranches de canard laqué dans ce bouge ou celui d’à-côté.

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Je reste donc stoïque et, comme pour mieux me rassurer tout seul, je feins l’indifférence.

Baissant un peu trop ma garde, Country a bien raison, je commets l’incommensurable connerie de me lever pour aller pisser. Et là, j’apprends une chose essentielle pour ma vie future. Qui n’a pas eu la malchance de visiter les chiottes du resto « Hon Wong » de Chinatown ne sait pas ce que le mot « répugnant » signifie réellement. Déjà, tu pousses la porte et t’es obligé de tremper ta grole dans la cuvette pour rentrer dans le bocal tellement c’est petit. Et alors c’est crade ! Mais d’un crade ! Inqualifiable le machin. Un canard WC qui rentre là-dedans se tranche la tête tout seul pour ne plus voir ça et ne surtout pas avoir à s’y tremper les pattes. J’suis sûr que si vous mettez de l’eau de Javel par terre, elle s’évapore ou grimpe aux murs tellement elle est effrayée. Trop de taf ma pauvre ! Aussi, à l’instar d’un cambrioleur dévalisant une banque, je fais surtout attention à ne toucher à rien. On ne sait jamais, des fois que je laisse des traces de propre derrière moi !

Je sors vite fait de ce puit de l’enfer et me dis qu’il est temps d’affronter le Mal les yeux dans les yeux. Y’a plus à tortiller, le serviteur de Lucifer s’approche de moi et il faut que je passe commande. J’opte pour ce que je comprends et ce qui me paraît être le plus simple à préparer, du poulet avec des noix de cajou. Jusqu’à mes 34 ans, je n’avais jamais mangé de noix molles et gluantes. C’est une expérience curieuse à vivre. Tel un joueur de Mikado ultra-concentré, je m’applique à picorer les bouts de poulet sans toucher les légumes cueillis l’année dernière qui garnissent mon assiette. Je règle l’addition fissa, laisse à regret un maigre pourboire car la peur des yakuzas ne m’a pas encore entièrement abandonnée, et m’arrache à toutes pompes de ce trou à rat. Le mauvais œil était sur moi en cette fin d’après-midi. Et il était bridé !

Je me balade un peu dans le quartier, remonte par le Lower East Side puis l’East Village et attrape un subway pour rentrer déposer mes affaires. Je suis content car je maîtrise désormais plutôt bien le système particulier du métro new-yorkais et jongle entre les trains locaux, qui s’arrêtent à toutes les stations, et les express qui ne desservent que les quartiers principaux.

Le métro me dépose à l’angle nord-est de Central Park, qui marque la délimitation avec Harlem, et je rentre à pattes. Il fait un fait un froid polaire ce soir et je vois à quoi peut ressembler l’hiver dans cette ville.

Je me dépêche de me mettre à l’abri à l’hôtel. Je me dis que je ressortirais plus tard pour boire un verre et aller écouter du jazz dans un club situé sur Amsterdam Av. Finalement je bouquine, rêvasse et écris. Lorsque je sors à la porte du West Side Inn pour fumer une clope, le souffle du vent glacé me dissuade d’aller jouer le pingouin dans les rues désertes.

Quand je remonte dans ma piaule, c’est la samba chez mes voisins de chambrée. J’entends des « Yes…Oh Yessss ! » puis des « No, Nooo…Oh Yes…No ! ». Apparemment, elle ne sait pas ce qu’elle veut celle-là !

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Typiquement féminin comme attitude. Ceci dit, rien à voir avec mes « Princes de la Chignole » entendus à Tel Aviv. Ceux-là ne devaient pas être coachés par Marc Dorcel ni John B-rout car en cinq minutes c’était torché. Tant mieux !

A une heure du mat’, j’ai encore envie de profiter de la ville et vais faire un tour dehors. J’ai faim et rentre dans un magasin pour me faire un petit délire bouffe à ma façon. De la grande gastronomie. Je m’achète du coke, des twix et un énorme bocal de cacahouètes salées et grillées. Et je mélange tout ça dans mon estomac. Un vrai régal !

Je prends conscience que sonne la fin de mes vacances et qu’au bout du couloir je vais retrouver le taf. Cela m’emmerde prodigieusement à vrai dire. Un jour ou l’autre, il faudra que je prenne le taureau par les cornes et que je change de voie. Sans parler de m’éclater tous les jours, j’aimerais néanmoins faire un job qui m’intéresse un tant soit peu.

Vendredi 11 novembre

Levé à 9h30, je m’envoie un petit café au lait devant les autoproclamés « Rois du Bagel » de Broadway avant de remonter dans ma chambre. Celle-ci est tellement sale et en bordel qu’on dirait un camp de réfugié. Les draps n’ont pas été changés depuis quinze jours et il a fallu que je quémande une serviette de toilette propre. En fait, personne n’a pénétré dans ma chambre à part moi depuis que je suis ici et, quelque part, ce n’est sans doute pas plus mal vu son état. Quand je regarde ma tronche pas rasée depuis des lustres dans la glace, je me dis que je ressemble un peu à ma piaule finalement. Et, entre nous, cela me fait marrer !

Je monte une opération commando pour boucler mes sacs et me tape un bon flip. Comment vais-je pouvoir faire rentrer tout ça dans ça ? La confrontation se termine en épreuve de force et je dois user de mes poings et de mon cul pour zipper des bagages qui menacent à tout moment d’exploser. Et le fin du fin, c’est lorsque je réalise que je dois encore récupérer mes affaires de boxe laissées au Gleason’s Gym. Cette histoire s’annonce mal barrée !

Chargé comme un mulet, je case tout ce petit monde dans le lève-charge qui a certainement dû voir le jour bien avant que Monsieur Otis n’invente l’ascenseur. Conscient de la vétusté du bordel, je ne l’avais encore jamais utilisé. Mais là, lesté comme je le suis, je n’ai guère le choix. J’appuie sur le bouton RDC et la bête m’envoie au 5ème étage. Je souris et exerce une nouvelle pression sur le RDC et me retrouve au sous-sol. Je ne souris plus tellement, appuie une troisième fois comme une brute sur le bouton RDC et…le bouton reste enfoncé ! Merde, j’suis dans le noir, coincé comme un gland dans l’ascenseur ! Je ne souris plus du tout à vrai dire lorsque j’allume mon briquet dans ce cercueil mobile. Je prie surtout pour qu’il n’y ait pas de fuite de gaz dans cet hôtel où rien ne fonctionne correctement. Ouf, ça n’a pas pété !

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Finalement, après deux ou trois bons coups de poings bien sentis sur le tableau de bord, l’antiquité greco-romaine redémarre. Et, à cet instant précis, je me fous complètement de savoir à quel niveau la porte va désormais s’ouvrir. Qu’on me laisse sortir de cette boîte à con et je serai déjà super content !

A la descente des escaliers, je demande au mec à l’accueil s’il existe une consigne dans laquelle je puisse laisser mes sacs. Il me confirme que c’est possible moyennant dix dollars. Mais, lorsque je tente d’enfourner mes affaires dans le rangement prévu à cet effet, je me rends compte que c’est mission impossible. Même avec l’aide d’une voiture-bélier, cela ne rentrera jamais. Quand je vous dis que je suis chargé !

Je me résous à les garder avec moi et à les trimbaler jusqu’à la salle de boxe lorsque le réceptionniste me demande si je suis français. Ils sont trois ou quatre personnes en alternance à l’accueil et je n’avais jamais eu l’occasion de discuter avec celui-ci. C’est un marocain qui habite depuis près de dix ans à New York. Il est très agréable et nous discutons en français une dizaine de minutes. « Mais qu’est-ce qui se passe chez vous en France, c’est terrible ! Vous avez vu ça ? » me dit-il. Et il me délivre sa petite analyse selon laquelle les problèmes sociaux et économiques ont fait monter la pression de la marmite jusqu’à ce qu’elle explose. Ou implose en l’occurrence. Aussi simpliste que cela paraisse, on ne peut pas dire que cela soit dénué de bon sens non plus. C’est un fait que, si l’on ajoute à cette marmite une génération perdue, sans repères, sans valeurs et sans espoirs, manipulée par les uns et méprisée par les autres, qui sont souvent les mêmes, le pot au feu devient explosif. Mais bon, il est difficile d’analyser ce qui se passe en France d’ici et, a fortiori, de prendre position car je n’ai que des bribes d’informations.

Quoiqu’il en soit, nous avons un échange très sympa. Il me dit regretter que cela se fasse sur mon départ car nous aurions pu aller prendre un verre et faire connaissance. Mais surtout, il propose de me garder gracieusement mes sacs de voyage dans sa loge jusqu’à la fin de l’après-midi. Quelle excellente idée que voici ! Il vient de m’enlever une belle épine du pied.

J’en profite pour prendre l’air à Central Park une bonne heure. C’est un endroit sublime le matin, particulièrement en automne et par beau temps. J’ai d’ailleurs le sentiment de découvrir la magie et la beauté d’une saison, que d’ordinaire je n’apprécie que très modérément, pour la première fois. Je crois que ceux qui découvriront les photos que j’y ai faites comprendront.

Du vert au marron, de l’ocre au rouge, les couleurs se mélangent et se marient pour le plus grand bonheur de mes yeux. Le tableau est reposant et ce calme tranche tellement avec le bourdonnement incessant de l’agitation de la ville que le contraste en est des plus saisissants. A deux minutes de Broadway, c’est la campagne avec en prime des écureuils qui vous accueillent en se dressant sur leurs pattes arrières et semblent vous dire « Bah qu’est-ce qu’il fout chez moi celui-là ? J’espère qu’il n’est pas venu les mains vides au moins !

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Voyons voir ce qu’il tient entre ses mains…un numérique l’enfoiré ! Cela ne se grignote pas ce truc ! J’ai que dalle à gagner moi dans ce deal, c’est bon j’me casse ! ».

Autour de moi, un photographe installe son appareil reflex sur un trépied assisté par sa femme. Une jeune peintre s’est mise à l’écart et immortalise sur aquarelle un cours d’eau glissant sous un pont en vieilles pierres. Des petits groupes de joggeurs suent dans leurs k-ways. Une femme essaie d’exténuer son labrador en lui lançant une balle de tennis, peine perdue. Des amoureux se bécotent sur un banc public, quel manque d’originalité ! Mais c’est beau tout ça. Manque plus que l’Ami Ricoré pour que le tableau soit complet !

Je quitte à regret le parc mais l’heure tourne et je dois aller à Brooklyn. Je fonce choper la ligne A et, arrivé là-bas, je m’installe pour prendre mon déjeuner dans un déli typiquement américain. C’est un endroit populaire, à mi-chemin entre le resto et la cantine. La bouffe n’y est pas mauvaise et on y mange à sa faim pour environ huit dollars. Il est situé presque en face du « Gleason’s » et je vois deux ou trois visages connus avec lesquels j’échange un bref salut d’un hochement de tête.

Lorsque je monte à la salle, sur les coups de 15 heures, celle-ci est quasiment vide. Je discute brièvement avec deux entraîneurs et leur explique que je prends l’avion ce soir et que je suis venu pour récupérer mes affaires et dire au revoir à Country. Ils me disent qu’il s’est absenté un petit moment pour manger mais qu’il devrait être de retour pour 16 heures.

En attendant, comme je l’avais prévu, j’achète bon nombre de t-shirts car j’ai promis à pas mal de potes de ma salle parisienne de leur en ramener. Puis je m’occupe en regardant les gars s’entraîner et en prenant quantités de photos. J’ai essayé de jouer avec les plans, les ambiances, la lumière. J’espère qu’elles seront réussies et reflèteront la vision que j’avais des choses à ce moment là.

A 16h15, Country n’est toujours pas de retour et, de mon côté, il faut que je ripe car je ne suis pas en avance et j’ai tout Manhattan à retraverser. Je m’adresse donc à un entraîneur et lui demande de saluer et de remercier son collègue de ma part. Très gentiment, il sort de sa poche son téléphone mobile, compose un numéro, me sourit et me tend l’appareil en me disant « Tu n’as qu’à le lui dire toi même, c’est mieux comme ça ». Je suis surpris et bafouille mon anglais au téléphone. Country semble aussi étonné que moi et il est manifestement touché par cette attention.

Je lui dis que cela a été un plaisir de travailler avec lui, que je vais essayer de ne pas oublier ses conseils, ses critiques et bosser pour progresser. Pas pour devenir champion, soyons sérieux, mais juste pour moi. Parce que j’aime ça tout simplement. « I have to break the bad habits » comme il n’a cessé de me le répéter. On va essayer ! Même si le fumeur que je suis n’ignore en rien que les mauvaises habitudes sont sans doute ce qu’il y a de plus dur à casser.

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De son côté, Country me glisse, avec son accent à couper au couteau : « Oh Boris, tu as mon numéro maintenant alors garde-le et ne le perds pas hein ! Et quand tu reviens à New York, même si ce n’est pas pour boxer, tu m’appelles ok ! ». Puis il ajoute que cela a également été un plaisir pour lui de me rencontrer et de travailler avec moi car dit-il « I’m a serious guy when I work ». Cela me touche et me fait plaisir car je me suis défoncé au maximum et j’ai transpiré avec lui sur le ring. Je n’aime pas les gens qui s’économisent. Encore moins les boxeurs. Etre meilleur ou moins bon qu’un autre n’est pas le plus important pour moi. Ce qui importe et ce qui rend respectable, c’est de donner ses tripes et d’y aller à fond. En tous cas, c’est mon point de vue et c’est ainsi que j’ai interprété le compliment de Country.

Je ressens un petit pincement au cœur en serrant des mains et en quittant la salle. Mon aventure pugilistique à new York touche à se fin. Mais je n’ai pas le loisir de verser ma petite larme car il faut que je me magne sérieusement le cul sous peine de me retrouver vraiment à la bourre cette fois. Les départs me stressent toujours, je devrais commencer à avoir l’habitude pourtant. Avant de mon départ pour NYC, j’étais stressé un max et là c’est idem. Toujours la crainte de la couille qui peut me faire rater mon avion et me foutre dans la merde. Un truc incontrôlable !

Au cas présent, j’ai plutôt raison de m’inquiéter car mon retour en métro est plus lent que prévu et, lorsque j’arrive à l’hôtel, ils me disent que je dois compter deux heures pour me rendre à l’aéroport Kennedy en transport en commun. En me référant à mon expérience de l’aller, j’avais plutôt tablé sur une heure.

Or, il est 17h15 et mon vol est à 21 heures. Sachant que je dois y être trois heures avant, c’est jouable mais je vais en baver chargé comme je le suis. Et il ne faut pas qu’il y ait le moindre grain de sable genre pépin dans le métro ou valise qui lâche sinon je suis cuit !

Je demande donc au réceptionniste combien coûte une course pour JFK en taxi. Soixante dollars tout rond me dit-il. Je regarde ce qu’il me reste dans mon portefeuille. Trois billets de vingt, tout juste la somme dis donc ! Alea jacta est, je me paie ce petit luxe. De toute façon, ce voyage m’a déjà coûté la peau du cul, autant y ajouter celle des couilles !

Je ne regrette pas car le taximan est un péruvien qui me fait bien rigoler. Tenez-vous bien, il me félicite sur mon anglais. C’est vous dire le niveau du sien ! Pour une fois que je parle mieux qu’un new-yorkais, je suis heureux ! C’est une vraie pipelette ce type. Nous mettons environ 1h15 pour nous rendre à l’aéroport à cause de bouchons énormes et je crois désormais tout connaître de sa vie et de celle de sa famille. Nous partons de son arrivée dans le Spanish Harlem avec ses quatre enfants puis remontons au fil des kilomètres son arbre généalogique sud-américain. En passant devant l’aéroport La Gardia, nous en sommes à la période Incas et arrivés à JFK aux Aztèques. J’ai certainement échappé ainsi de justesse à ses oncles et tantes Mayas ! Je plaisante car c’est un type très sympa et le voyage a été des plus agréable.

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20 heures – Je passe le portique pour rentrer dans la zone de check-in. Le mec de la sécurité mate mes sacs et je me marre en l’imaginant ouvrir celui hermétiquement clos par mes soins car il contient mes vieux gants de rings ainsi que mes chaussures de boxe récupérés à la salle. S’il commet l’imprudence de l’ouvrir, l’aéroport tout entier sera instantanément contaminé tellement ça pue ! Merde, il ne l’ouvre pas. Dommage !

Par contre, ce naze insiste pour que je mette mon affiche du combat « Cassius Clay vs Sonny Liston » dans la machine à rayon X. Même chargé comme un baudet, j’ai toujours pris grand soin de la prendre à la main sans la plier ni la rouler car elle est en carton et cela la bousillerait. En plus, elles est bien trop large et ne passera jamais dans sa machine, c’est gros comme une maison. Trois fois, il insiste pour l’enfourner avec ses gros doigts et il bloque le système. A la quatrième, mon sang ne fait qu’un tour car je sens qu’il va me la niquer s’il continue ce con-là ! Je lui demande s’il a bien vu que c’était un poster. J’évite d’ajouter « Cela ne va pas te péter à la gueule connard, cela ne fait que deux millimètres d’épaisseur Einstein ! ». Mais je suis persuadé que cette phrase est on ne peut plus lisible dans son intégralité et sans décodeur dans le regard noir que je lui lance.

21h30 – L’avion décolle et survole New York. Spectacle visuel fabuleux que ces millions de lumières scintillant dans la nuit. C’est certainement le plus beau panorama aérien qu’il m’ait été permis de voir. New York est gigantesque, vraiment. Une ville à part. A découvrir et à redécouvrir.

L’avion est bondé. Deux rangs devant moi, une tête se retourne et j’aperçois un visage connu. Tiens, c’est Arno Klarsfeld. Tout débraillé comme à son habitude. Il voyage en classe éco lui aussi. J’suis surpris !

22 heures – On bouffe bien sur Air France. Quel plaisir ! Je m’envoie un bœuf braisé paprika accompagné de riz pilaf que je fais passer avec un petit Cabernet pas dégueu. Putain, j’me régale. Y’avait longtemps !

23 heures – Je mate par le hublot. Nous sommes au-dessus de l’Atlantique maintenant. J’ai un peu bouquiné le journal mais cela m’a vite déprimé. Bon, faut dire que je l’ai un peu cherché mais y’avait que « le Figaro » de disponible ! Pas évident de se passionner sur les motions du PS ou sur la « paternité » du couvre-feu reconnue ou non à Chirac. En plus, j’ai lu une étude et il paraît que le climat de la France va se réchauffer de 3°C avant 2100. Un article disant que 56 % des français étaient satisfaits de l’action de leur ministre de l’intérieur et un autre annonçant qu’en Jordanie c’est loin d’être la joie. Comme dirait Lino « La réalité c’est un cauchemar pour ceux qui rêvent ». Mais bon, je suis loin de me plaindre car j’ai bien conscience d’être un putain de privilégié dans ce monde. Et, dans un tout petit peu plus de trente jours, je l’esquive de nouveau cette réalité pour aller visiter Madagascar avec mon p’tit reuf. Je suis ravi tu penses !

En attendant, Borsalino viens tchatcher dans mes écouteurs. Il me propose une place sur un vol de sa compagnie, « Paradis Airlines ». Je crois que je vais le suivre.

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Je passe la douane sans souci car il n’y a pas de frontières dans le monde musical. Je ferme les yeux, augmente le son de mon MP3, boucle ma ceinture et suis paré pour le décollage.

« Simple maillon, on est ce que la vie veut que nous soyons, Nous sommes des bêtes de sommes,

Maître ou esclave en somme,Simple lettre. Petite ou grosse somme, Amis ou traîtres ? Ennemis peut être,

Ou tout simplement des hommes, Des âmes perdues sans guides,

Nos armes braquent le bonheur, Que Sésame s’ouvre comme la trappe sous nos pieds,

Précipite mon corps dans l’vide, Nos dieux sont en papiers

Et c’est leur amour qui nous suicide, On est frappé par la foudre, comme conduits par un fou,

Rattrapés par nos démons, la cervelle brûlée par la poudre, C’est encore loin l’paradis ? Hey, c’est à combien l’paradis ?

Ce monde me blesse la rétine, me laisse aucun choix, D’la tétine à la tombe ; à Dieu j’m’adresse certains soirs,

Quand j’cherche un peu d’clarté, un sens à cette vie, J’me remémore le Quarté : naissance, école, boulot et mort,

Où est ma place, mon camp ici ? Croyant ou athée ? J’suis à l’abri des missiles mais jusqu’à quand ?

J’ai porté ma croix, maté mon coté sombre et les trois 6, Ecarté le mal mais jusqu’à quand ?

J’suis là assis seul dans les ténèbres, Braquant le ciel du regard,

On a l’art d’pisser la douleur quand on est nègre, Le bien a déserté l’écran, on célèbre nos noces de feu,

L’argent veut assassiner Dieu, le trône est vaquant,Sur toutes les lèvres, on lit la même prière, « les cieux on vise »

Si l’tout puissant est amour, pourquoi sa parole divise ? Le monde est à nous vu qu’on y vit,

J’veux crever l’arme au poing et pas à genoux, C’est réel, c’est pas MTV,

Y a rien d’glamour mais j’relativise,J’avoue la vie elle a un drôle de sens de l’humour parfois,

Loin du tunnel, on voit pas l’bout, Mec dans l’ghetto on craque,

Destin tracé comme le fœtus d’une mère défoncée au crack, La foi dans l’créateur, pas en l’homme et ses légions,

Mal comprise, religion devient arme de destruction massive, La guerre c’est un braco déguisée en juste cause,

Un ange qui ment sous serment, Des mômes qu’on arrose pour des gisements de brut,

J’te cause de rêves qui s’écroulent comme les tours jumelles,

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D’cette pute de Liberté qui perd son rimmel, Dans les rivières d’la haine coule le sang des martyrs,

Quand la peur gagne par K.O, la morale repart en civière, Proche du chaos, mon cœur abrite le feu d’Lucifer,

Mais là haut, faudra s’y faire, on nous a laissé l’libre arbitre, C’est la canicule, tout s’agite, le Sud encule le Nord,

Le sol rougit, on changera pas c’monde à moins d’un paquet d’millions d’morts.

Refrain : Vivre et apprendre à mourir. Se battre, faire prendre les armes.

Faire face ou passer son temps à courir, embrasser l’enfer, lui sourire Et succomber à ses charmes.

Avancer fier les poings serrés dans c’monde, Enterrer sa peine, contrôler son destin, même si c’est pas ici ou dans c’monde,

Moi j’y arriverai même à dos d’un putain d’missile c’est certain, J’reviens m’livrer.

c’est Bors’, j’reviens œuvrer, J’rappe comme avec un flingue sur la tempe,

Tu peux pas mentir donc j’dis vrai, Tu commences à l’sentir le souffre,

Livré à moi-même, j’ai appris à manœuvrer le bic au bord du gouffre, Dans c’putain d’monde j’étouffe alors j’écris,

Souffle ma trentième putain d’bougie dans les fourneaux d’l’antéchrist, Si j’le bouffe le micro, c’est pour m’arracher autre part,

J’commets des crimes musicaux pour arracher l’code barre, Y a personne pour entendre tes cris,

T’allumes un brasier, tu t’équipes en cas d’conflit, Monsieur Vengeance n’est pas rassasié,

Ce système pervers a fait l’casting, Fallait qu’ça arrive : Clara Morgane se change en vierge Marie,

J’ai l’organe vocal à un couplet d’exploser, Quand j’pilone la rime,

J’irai danser sur les ruines de Babylone,J’veux mourir brave, dans cette jungle prendre la bonne liane

Et partir humble sur Paradis Airlines. Paradis Airlines.

Refrain : Vivre et apprendre à mourir. Se battre, faire prendre les armes.

Faire face ou passer son temps à courir, embrasser l’enfer, lui sourire Et succomber à ses charmes.

Avancer fier les poings serrés dans c’monde, Enterrer sa peine, contrôler son destin, même si c’est pas ici ou dans c’monde.

Moi j’y arriverai même à dos d’un putain d’missile c’est certain, J’reviens m’livrer.

Lino - Paradis Airlines(Album "Paradis assassiné"- 2005)

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