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1 Samedi 3 février 2018 L’acidité EZECHIEL 18,1-9 La parole du Seigneur me fut adressée : « Qu'avez-vous donc, dans le pays d'Israël, à répéter ce proverbe : " Ce sont les pères qui ont mangé du raisin vert, ce sont les fils qui ont les dents agacées " ? Aussi vrai que je suis vivant déclare le Seigneur Dieu vous n'aurez plus à répéter ce proverbe en Israël. En effet, toutes les vies m'appartiennent, la vie du père aussi bien que celle du fils, elles m'appartiennent. Celui qui a péché, c'est lui qui mourra. L'homme qui est juste, qui observe le droit et la justice, qui ne va pas aux festins sur les montagnes, ne lève pas les yeux vers les idoles de la maison d'Israël, ne déshonore pas la femme de son prochain, ne s'approche pas d'une femme quand elle est impure ; l'homme qui n'opprime personne, qui restitue ce qu'on lui a laissé en gage, ne commet pas de fraude, donne son pain à celui qui a faim et un vêtement à celui qui est nu ; l'homme qui ne prête pas avec usure, ne réclame pas d'intérêts, détourne sa main du mal, qui tranche équitablement entre deux

Samedi L’acidité EZECHIEL 18,1 9€¦ · adversaires, suit mes lois et mes préceptes pour se ... Autour de la croix, sous la croix, ... sent mauvais !

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Samedi 3 février 2018

L’acidité

EZECHIEL 18,1-9 La parole du Seigneur me fut adressée : « Qu'avez-vous donc, dans le pays d'Israël, à répéter ce proverbe : " Ce sont les pères qui ont mangé du raisin vert, ce sont les fils qui ont les dents agacées " ? Aussi vrai que je suis vivant déclare le Seigneur Dieu vous n'aurez plus à répéter ce proverbe en Israël. En effet, toutes les vies m'appartiennent, la vie du père aussi bien que celle du fils, elles m'appartiennent. Celui qui a péché, c'est lui qui mourra. L'homme qui est juste, qui observe le droit et la justice, qui ne va pas aux festins sur les montagnes, ne lève pas les yeux vers les idoles de la maison d'Israël, ne déshonore pas la femme de son prochain, ne s'approche pas d'une femme quand elle est impure ; l'homme qui n'opprime personne, qui restitue ce qu'on lui a laissé en gage, ne commet pas de fraude, donne son pain à celui qui a faim et un vêtement à celui qui est nu ; l'homme qui ne prête pas avec usure, ne réclame pas d'intérêts, détourne sa main du mal, qui tranche équitablement entre deux

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adversaires, suit mes lois et mes préceptes pour se conduire avec droiture : un tel homme est vraiment juste, il vivra, déclare le Seigneur.

Mathieu 27, 45-50 45A partir de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures. 46Vers trois heures, Jésus s’écria d’une voix forte : « Eli, Eli, lema sabaqthani », c’est-à-dire « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 47Certains de ceux qui étaient là disaient, en l’entendant : « Le voilà qui appelle Elie ! » 48Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigre ; et, la fixant au bout d’un roseau, il lui présenta à boire. 49Les autres dirent : « Attends ! Voyons si Elie va venir le sauver. » 50Mais Jésus, criant de nouveau d’une voix forte, rendit l’esprit.

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Du vinaigre. À supposer que Jésus a bu à l’éponge qu’on lui tendait en croix, le vinaigre fut la dernière saveur à laquelle il a goûté avant de mourir. S’il n’en a pas bu, il n’a pas pu échapper à l’odeur piquante qui s’en dégageait. À Golgotha, comment comprendre ce geste d’un inconnu ? Etait-il motivé par de la compassion ? Celle d’apaiser la soif du supplicié. On sait que le vinaigre coupé à de l’eau était une boisson désaltérante. Et si l’intention de ce geste est miséricordieuse, alors l’éponge de vinaigre serait à Jésus ce que la dernière cigarette est au condamné à mort. Une ultime faveur. Mais dans l’Évangile de Matthieu, comme celui de Marc ou de Luc, sur la croix, Jésus ne demande rien. Pas d’ultime faveur. Le fameux « J’ai soif ». L’une de sept paroles de Jésus en croix ne se trouve que dans le récit de Jean.

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Je me risque aujourd’hui à une autre lecture moins rassurante et qui fera sans doute grincer des dents. Sur la colline, le spectacle est tout à la désolation. Autour de la croix, sous la croix, l’atmosphère est plus à la raillerie qu’à l’empathie. L’échafaud a toujours offert un divertissement bon marché et prisé des foules. À la vue du supplice, les plus bas instincts en l’homme se Réveillent, on s’excite à l’odeur du sang. Ce jour-là à Jérusalem, hors les murs, comme tous les jours d’exécution sur les places sans nom de par le monde … ça sent mauvais ! Comme sent mauvais la piqûre ascétique ou le goût de bouchon qui vous déglingue un bon vin. La crucifixion, ça pue ! Dans ce contexte cruel de la croix, la scène de l’éponge fait référence à un psaume. Celui que nous avons entendu tout à l’heure. Un homme désespéré, humilié, crie sa plainte à Dieu. Sans défense, il est à la merci de ses adversaires qui abusent de leur pouvoir. « Quand j’ai soif, ils me font boire du vinaigre ».

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Mépris de l’homme qui est à terre. Bassesse de l’homme qui sans vergogne humilie le supplicié et torture le prisonnier. Dans les Écritures, l’acidité renvoie à la corrosion du mal. Je n’ignore pas que l’acide ce n’est pas que ça. Je n’ignore pas qu’en cuisine l’acidité exhauste les saveurs des mets. Et je n’ignore pas qu’en œnologie, l’acidité structure le vin, équilibre ses arômes et lui permet de se bonifier en vieillissant. Mais pour ce qui est des Ecritures, l’acidité a partie liée au mal. Non pas le malheur qui fait partie de la vie. Celui de la maladie, du deuil, de l’échec. Non, mais le mal destructeur. Le mal radical. Le mal qui déshumanise. Le mal qui comme l’acide finit par tout dissoudre. Le mal, c’est cette ambulance piégée qui explose à Kaboul.

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Le mal c’est Treblinka, Matthausen, Oradour sur Glâne. Le mal ce sont les bombardements des alliés sur Dresde. Le mal ce sont ces soldats et ces soldates de la prison d’Abou Grahib qui s’acharnent sur les prisonniers pour les humilier, les torturer, les violer, les exécuter. Dans les Écritures, l’acidité a partie liée avec ce mal. Mal énigme, à la fois mal commis et mal subi. Dans les Écritures, le goût du mal, c’est celui des raisins verts, dont on tire le verjus. Raisins verts qui évoquent ces actes irresponsables des parents qui lestent les générations suivantes, comme le rappelle ce proverbe : " Ce sont les pères qui ont mangé du raisin vert, ce sont les fils qui ont les dents agacées " Dans les Ecritures, le goût du mal c’est celui de cette dernière gorgée de vinaigre que l’on fait boire à Jésus sur la croix. Lorsque l’on demandait au psychanalyste Jacques Lacan ce qu’était le réel, il répondait : Le réel c’est ce contre quoi l’on se cogne. Et c’est peu dire que Jésus s’est cogné contre réel.

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Contre cette réalité incontournable du mal. Ce mal qui veut que l’on soit capable de se moquer du faible et du pauvre. Ce mal qui veut que l’on se vautre dans le dénigrement et la raillerie. Les chrétiens devant la croix assistent au dévoilement du mal. Voilà ce dont l’homme est capable ! Voilà ce dont nous sommes capables ! Misère ! Rien d’exceptionnel dans le supplice de la croix. La croix c’est le mal ordinaire, banal. Un mal que beaucoup subissent au quotidien. L’homme se révèle très créatif pour inventer des sévices de toute sorte. C’est avec ce goût acide du mal en bouche que Jésus- Christ meurt. Quand Dieu se fait homme, il ne fait pas les choses à moitié. Il ne joue pas un rôle, ne joue pas la comédie. Il devient homme avec les hommes. Pour le pire et pour le meilleur.

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Il met pied à terre et finira homme à terre. Quand Dieu se fait homme, il n’a pas de décharge, pas de dispense pas d’exemption qui lui permettrait d’éviter le mal, cette part ténébreuse du réel. Le réel, Jésus-Christ s’y cogne comme nous pouvons nous y cogner. Le mal me fait peur. Il me fait peur parce que je sais que je ne suis pas un héros. Sous la croix je me serai probablement enfui, comme les disciples. Je n’aurai pas supporté la scène. Le mal me fait peur. Je le redoute. Parce que je ne suis pas sûr de pouvoir lui résister ; je me sais en être souvent complice par mon silence. Le mal me fait peur. Parce que depuis les horreurs du siècle dernier, je n’ignore pas que les bourreaux sont souvent des pères et des mères de famille, tout ce qu’il y a de plus ordinaires, qui embrassent leurs enfants avant d’aller faire leurs sales besognes comme si de rien n’était.

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Je sais que je ne vaudrais probablement pas mieux qu’eux. Le mal me fait peur. Comme l’acide, je sais qu’il dissout tout, même les bonnes volontés et les bonnes intentions dont je suis pétri. Je me demande bien comment font les enfants d’Alep et de Rakka, les enfants kurdes pour survivre aux bombardement à Afrin ? Comment font les enfants soldats pour continuer à vivre après avoir été conditionnés et dressés à tuer et violer ? Comment font les femmes victimes des pires atrocités dans le Nord Kivu au Congo, et qui ont vu leur propre enfant se faire violer sous leurs yeux ! Nous souffrons en regardant la croix et nous sommes tentés de baisser les yeux. Car sur la croix, il y a toutes ces détresses, ces horreurs qui défilent dans notre regard. Mais le croyant se doit de regarder la croix, sans passer de suite à la résurrection ni à la lumière du matin de Pâques. La croix nous ouvre les yeux sur la face obscure de

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l’homme et du monde. Devant la croix, notre vocation est de ne pas baisser les yeux. De ne pas fermer les yeux. Et laisser le goût acide du mal nous agacer les dents. Regarder la croix, pour y trouver les forces de résister au mal qui cherche à dissoudre en nous toute conscience. Regarder la croix, pour y trouver les forces de résister au mal qui cherche à nous démobiliser. Regarder la croix et tendre l’oreille. Entendre alors le crucifié prier Dieu : « Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cette parole forte de Jésus-Christ nous rappelle que le mal sur la croix n’a pas réussi à tout dissoudre de Jésus-Christ et de son ministère. Regarder la croix. Pour y puiser notre espérance : L’homme crucifié est encore un homme debout. L’homme à terre est encore un homme résolument debout ! En croix, Jésus n’a jamais baissé les bras. Ne baissons pas les nôtres. Amen

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